ANATOLE, MARCEL
ET L'ABBÉ DÎNEUR
Lundi 1er
– La nouvelle exigence de nos sœurs post-féministes : la création d'un “congé avortement”, en gros calqué sur le déjà existant congé maternité (qui, je suppose, ne doit plus s'appeler comme ça). En dehors de la bouffonnerie pure de l'affaire, elles ont bien raison de le demander… puisque personne, à terme, n'osera le leur refuser.
(Comme
le mois dernier, je triche éhontément, ce qui précède ayant été écrit
le 30 avril en début d'après-midi ! Mais le journal d'avril était tout
prêt, la peinture encore fraîche, etc., et je n'avais pas envie de
retourner le saloper pour une ridicule anecdote pétassière.)
Sept heures (le 1er mai, cette fois...). – Surpris et amusé de voir passer, au début de L'Anneau d'améthyste, un certain docteur Cotard, que je suis plus habitué à fréquenter chez Proust, quoique avec un t supplémentaire, que chez France. Est-ce le hasard, ou bien si Marcel a voulu donner un discret coup de chapeau à son glorieux aîné, qui fut naguère son préfacier ?
Dix heures. – Il y a en tout cas une chose qui ne “colle” pas, dans le cycle romanesque d'Anatole France, et c'est la ville, jamais nommée, dans laquelle se déroulent les trois premières parties. Spontanément, et dès les premiers chapitres, le lecteur aurait tendance à se croire dans une petite ville de province, comptant, disons, entre dix et vingt mille habitants, nantie d'un centre assez réduit pour que tous les personnages s'y croisent fatalement dans les trois ou quatre mêmes endroits : le mail, la librairie Paillot, la place Saint-Exupère...
Premier signe discordant pourtant : la ville possède une université, où enseigne M. Bergeret. Et, de fait, France nous apprend, au début de L'Anneau d'améthyste, que “sa” ville compte cent cinquante mille habitants. De ce fait, l'université devient plausible... mais c'est tout le reste qui entre en discordance avec ce nombre. Le lecteur est presque contraint de penser qu'il circule en fait dans deux villes différentes, alternativement, mais étrangement habitées par les mêmes personnages, qui eux-mêmes ne semblent pas avoir conscience qu'ils passent sans cesse de l'une à l'autre.
Une heure. – Catherine et moi avons, en fin de matinée, pour nous ouvrir l'appétit en quelque sorte, rempli “en ligne” mon dossier de pré-admission à la clinique Jouvenet, où je ferai une entrée glorieuse le premier juin prochain. L'affaire a tout de même pris une heure, et nous en sommes sortis plus ou moins éreintés. Éreintés, mais fiers comme un Achille homérien après sa victoire sur Hector, d'être triomphalement venus à bout de cette épreuve imbécile.
– Comme tous bons fanatiques, les écolodéments ont réponse à tout en toute circonstance. Ainsi, je viens de voir passer, chez les touitteux, l'argumentation suivante : si, depuis quelques semaines, les gens trouvent qu'on vit un mois d'avril plutôt froid, alors qu'en réalité les températures sont normales, c'est à cause... du réchauffement climatique, auquel nous nous sommes bon an mal an habitués et qui, marquant la pause, nous fait paraître le temps plus frisquet qu'il n'est réellement.
Il reste que ces hurluberlus ont tout de même fait preuve d'une distraction coupable, en admettant que les températures ont encore la possibilité d'être “normales”. Espérons pour eux, pour leur équilibre personnel, que la chose se reproduira le moins possible.
Sept heures. – Anatole France se fout du monde et de moi. Au tout début de M. Bergeret à Paris, on voit le personnage éponyme dîner d'une volaille rôtie, chez lui, avec son chien Riquet à ses pieds. Et l'Anatole de nous expliquer doctement que l'animal a un tel respect pour la salle à manger humaine qu'il refuse toute bouchée de poulet de son maître, même tendue vers lui avec ostentation : il est allé le chercher dans quelle galaxie lointaine, son cador, pour qu'il se comporte comme aucun chien terrestre ne s'est jamais comporté ?
De toute façon, même sans cela, il commencer à m'ennuyer plus qu'il n'est permis, le sieur France. Je vais aller au bout de sa fucking tétralogie, parce que je ne suis pas un lecteur volage, mais qu'on ne compte pas sur moi pour y revenir. C'est à se demander comment cet homme a pu être considéré comme le grand écrivain de son temps. Mais j'y reviendrai sans doute plus longuement une fois tournée la dernière page du pensum. (Oui, enfin : en général, quand je dis ça, je n'y reviens jamais. C'est un genre, chez moi, d'enterrement de première classe... mais sous une chape très lourde.)
Mardi 2
Onze heures. – Matinée à la con : grand Carrefour d'Évreux + Grand Frais + Picard Surgelés. Au bout d'un moment passé dans ces succursales de l'enfer, impression vaguement angoissante d'une irréversible zombification. Mais enfin, on a survécu. Apparemment.
Une heure. – Eh bien, finalement, contrairement à ce dont je me vantais hier, l'oncle Anatole a eu raison de ma résistance, pourtant impressionnante : je viens d'abandonner M. Bergeret à Paris, après une cinquantaine de pages. C'est-à-dire au moment où il a enchaîné deux de ses personnages à une table de restaurant pour les faire disserter sans mesure sur l'affaire Dreyfus, de la manière la plus scolairement didactique qui soit, et donc la moins romanesque.
Du coup, j'ai presque envie de relire le Jean Santeuil du jeune Marcel Proust (roman inachevé comme l'on sait, sorte de brouillon prématuré de la Recherche du temps perdu) : je me souviens qu'il y est également beaucoup question de l'Affaire, mais je suis bien sûr que, tout littérairement immature qu'il fût encore, Marcel a dû s'en tirer bien mieux que le pesant Anatole. À voir.
– On fait parfois de curieuses expériences, Dame Ternette aidant. Je tâchais de glaner auprès d'elle quelques informations concernant Enrique Larreta, diplomate et écrivain argentin que j'ai choisi pour remplacer le pénible Anatole. J'ai trouvé un certain nombre de sites, français ou hispaniques, et à la pertinence variable. J'ai fini par tomber sur un, en français, qui me faisait miroiter “toutes les informations routières en temps réel”, si jamais j'étais saisi par l'envie de me rendre au supermercado madrilène Gama, lequel se trouve sis... calle Enrique-Larreta. Je vais peut-être y faire un saut, maintenant que je sais comment y aller.
- Je viens de me livrer à un bref numéro d'acrobatie bancaire. Tout comme moi, Catherine dispose, dans notre banque commune, de deux comptes épargne. Dans un premier temps, j'ai viré sur l'un d'eux la somme de 164 € (sa retraite canadienne) ; et, dans la foulée, sans même reprendre ma respiration, j'ai ponctionné sur l'autre la somme déjà plus coquette de 4723 € (pour payer le plombier et sa douche). Elle a trouvé ça un poil mesquin...
– Mince alors ! Même Remy de Gourmont ? C'est à douter de tout et de tous ! Voici sur quoi je tombe, au détour de sa traduction du roman de Larreta que je viens tout juste d'aborder (c'est moi qui souligne) :
« Ils ne sortaient que de bon matin, en chaises fermées, pour assister, chacun de leur côté, à la messe de l'aube [...]. »
Il a de la chance d'être mort depuis un bon siècle, celui-là ; sinon, il entendrait parler de moi !
– Pendant ce temps, et depuis près de deux semaines maintenant, M. Arié, mon “proscrit” d'élection, continue à m'envoyer cinq ou six commentaires par jour, qui partent directement à la corbeille sans avoir été lus par quiconque, même pas par moi. « Il va bien finir par se lasser », me dit Catherine. Je n'en suis pas aussi assuré qu'elle...
Mercredi 3
Huit heures. – Au chapitre quatrième de La Gloire de don Ramire, il est question d'un lieu appelé Val-Amblez ; lequel, au début du chapitre suivant, devient Val-Amblès... pour redevenir Val-Amblez à l'orée du chapitre d'après : c'est pas r'lu, ça, m'sieur de Gourmont, c'est pas r'lu !
Neuf heures. – Au chapitre septième, notre Val-Amblez redevient Val-Amblès : ça vire au running gag.
Onze heures. – Il y a quelques instants, fin de ma télé-consultation avec l'anesthésiste de la clinique Jouvenet. Contrairement à mes craintes plus ou moins irrationnelles, tout s'est déroulé sans le moindre accroc d'aucune sorte. Avec, en prime, une excellente surprise : contrairement à ce que j'avais cru lire, la clinique ne demande plus le moindre test anti-covid, ce qui fait toujours une corvée de moins. La doctoresse m'a toutefois conseillé une troisième dose de vaccin avant mon entrée à la clinique le premier juin… mais elle peut toujours se brosser.
Six heures. – Dans la mesure où nous avons prévu de passer deux nuits à Paris, les 1er et 8 juin, il nous fallait un chenil pour Charlus. J'en ai trouvé un tout de suite, idéalement placé puisqu'à quatre ou cinq kilomètres seulement de Pacy et, surtout, situé juste à côté de la bretelle d'accès à l'autoroute de Paris. C'est après que les choses se sont corsées. Voici le himmel que j'ai, en fin de matinée, adressé à ces braves cynogardiens :
« Madame, Monsieur,
Avant-hier, lundi 1er mai, je vous ai adressé un sms au numéro indiqué sur votre site internet, par lequel je vous demandais s’il me serait possible de vous confier mon chien le 1er juin prochain : pas de réponse.
Hier, donc, je suis retourné sur votre site, où j’ai consciencieusement rempli votre formulaire pour la même demande de réservation : toujours pas de réponse.
C’est pourquoi, aujourd’hui, je tente ma chance auprès de vous par mail. Ensuite, si ce courrier reste également sans réponse, il me restera la télépathie ou les signaux de fumée…
Auriez-vous, avant que j'en vienne à ces solutions très aléatoires, la bonté de me répondre, d'une manière où d'une autre ?
Merci d'avance,
Didier Goux »
J'étais
déjà résigné à l'idée de trouver un autre établissement lorsque,
soudain, durant mon tour de village avec Charlus, a retenti la sonnerie de
l'iBigo, que Dieu sait pourquoi et comment j'avais pensé à prendre avec
moi : c'était la dame du chenil. Avant que nous n'arrivions à
la mairie du Plessis, Charlus et moi, tout était arrangé pour son
hébergement.
– J'ai oublié de noter que j'avais abandonné le señor Larreta après environ cent pages. Je m'ennuyais dans son roman, pourtant loin d'être dépourvu de qualités. Peut-être le moment était-il mal choisi, sans qu'il y allât de la faute d'aucun de nous deux. On voit des couples qui, lors d'une première rencontre, sont restés tout à fait indifférents l'un à l'autre et qui, se recroisant quelques mois ou années plus tard, tombent radicalement amoureux : Enrique et moi aurons peut-être une seconde chance...
Jeudi 4
Huit heures. – Je me suis éveillé tout à l'heure avec en tête La Javanaise de Gainsbourg, qui ne me quitte pas depuis. Je n'ai pas trop à me plaindre de cette “occupation des lieux” : dans le genre, il m'est souvent arrivé bien pis...
– La fiabilité des prédictions météorologiques. Pour ce jour : d'après le téléphone de Catherine, grand soleil ; selon mon iBigo, nuages et soleil en alternance ; et si l'on se réfère à mon ordinateur de bureau, nuages et pluie. J'ai dit à Catherine : « Il ne reste plus qu'à trouver un site annonçant qu'il neige et on sera complet. » Après ça, il se trouvera encore des marchands d'orviétan pour nous assurer mordicus que, dans 22 ans et 5 mois, la température du globe aura augmenté de 3°12', garantis sur facture.
– Comme l'envie continuait à m'en titiller, depuis mon abandon de l'oncle Anatole, je viens de rapporter au salon le Jean Santeuil du jeune Marcel.
– Voici ce qu'écrit le torchonnesque quotidien Libération sur son site ternette : « L’Organisation
météorologique mondiale estime à 60 % les chances qu’El Niño se
développe d’ici à la fin juillet et 80 % de chances d’ici à la fin
septembre. » Mais si vraiment il s'agit de “chances”, qu'est-ce qu'ils ont à nous emmerder avec ce fucking gamin ? Est-ce que, pour ces folliculaires décervelés, il y aurait 20 % de risques qu'il ne se produise rien du tout ?
Vendredi 5
Sept heures vingt. – Sur le site météo de l'iBigo, cette information capitalissime : « La pluie devrait s'interrompre dans 4 minutes et reprendre 13 minutes plus tard. » Je suis surpris et un peu déçu qu'ils ne tiennent aucun compte des secondes : cette imprécision ne leur fait pas honneur.
- J'avais oublié que si Jean Santeuil est écrit à la troisième personne, il arrive régulièrement que l'auteur prenne la parole en son nom propre et, donc, passe au “je”. Cela produit, pour le lecteur de La Recherche, un effet que je qualifierais volontiers d'émouvant si je n'avais pas peur d'exagérer : l'impression que le futur narrateur cherche déjà à tout prix, non seulement à naître, mais à “prendre le pouvoir” sur son personnage en se l'assimilant si complètement qu'il finisse par se résorber totalement.
Il y a d'autres choses encore, dans cette ébauche roman, qui font tressaillir le lecteur de La Recherche : j'y reviendrai probablement (ouais... on dit ça !).
Une heure. – Il est curieux de noter que si, dans Jean Santeuil, le futur Combray de La Recherche se nomme Éteuilles, les rues que l'on y rencontre portent déjà les noms qu'elles auront à Combray : rues de l'Oiseau, du Saint-Esprit, Saint-Hilaire, etc.
Quant à la future et magnifique Françoise, elle se prénomme ici Ernestine. Mais elle partage avec celle dont elle est l'esquisse cet étrange sadisme qui la pousse à rendre infernale la vie de la pauvre fille de cuisine que ses maîtres ont placée sous ses ordres.
Il est frappant de constater une autre chose : si, à Éteuilles (qui vient sous mes yeux de se transmuer en Sargeau...), la maison est partagée par Jean avec des cousins à peu près de son âge, ceux-ci seront totalement éliminés dans La Recherche : le Narrateur enfant doit régner sans partage sur son monde d'adultes. Raison qui, dans l'un comme dans l'autre roman, a conduit et conduira Proust à éliminer radicalement son frère cadet...
– Les invitations bien tentantes : Le distingué professeur Cingal nous émoustille avec la tenue prochaine, à Bordeaux, d'un “arpentage littéraire”. Il s'agira d'arpenter un livre au titre fort alléchant : La poétique de la cale, d'une certaine Fabienne Kanor. Et on arpentera sous la houlette d'une non moins certaine Ella Bordai qui n'est rien de moins que “animatrice en éducation populaire politique”. Éducation populaire politique vous a, je trouve, un délicieux parfum de Komsomol et de Jeunesses hitlériennes…
Trois heures.
– Je viens, par internet, de nous réserver une place de parking pour
les 1 et 2 juin prochain, pas trop loin de notre hôtel. L'affaire m'a
bien pris une demi-heure… et je suis littéralement fourbu : c'est beau,
la vieillesse !
Quatre heures. – Chez le jeune Proust, Éteuilles s'était déjà transformé en Sargeau ; mais voici que, quelques pages plus loin, la réalité reprend le dessus... et que Éteuilles-Sargeau retrouve son véritable nom d'Illiers.
(Quand je dis “plus loin”, cela veut dire seulement : “plus loin dans la Pléiade”. Car, dans la réalité, on ne sait pas trop dans quel ordre Proust a composé les diverses pièces du puzzle Jean Santeuil.)
Et s'il n'y avait que le village pour changer ainsi de nom au gré des fantaisies de l'écrivain ! Mais les gens aussi vivent sous le règne de la même incertitude quasi onirique. Ainsi Ernestine – la future Françoise de La Recherche – devient-elle soudain Félicie. En attendant, peut-être, la nouvelle métamorphose qui la guette au chapitre suivant.
(Eh ! qu'est-ce que je disais ? Voici que, dès le paragraphe suivant, Félicie accomplit un genre de mini-mue pour devenir Félicité !)
Six heures. – La Renaissance : je me demande quelle tête ont bien pu faire tous ces hommes et femmes quand, un matin, au saut du lit, ils se sont aperçus qu'ils venaient de sortir du Moyen Âge.
Samedi 6
Neuf heures. – Dans Jean Santeuil, les métamorphoses et les transmutations se poursuivent, au fil de la lecture, donnant à celle-ci quelque chose d'irréel, presque de féerique. Ainsi, la grand-tante de Jean, qui jusqu'ici était madame Sureau, devient brusquement – à la page 340 de l'édition Pléiade – madame Servan. On la découvre alors ne sortant plus de chez elle, scrutant la rue depuis sa chaise devant la fenêtre. Si bien que le lecteur comprend que, tel un papillon à demi extrait de sa chrysalide, elle est déjà en train d'accomplir la métamorphose qui, dans une quinzaine d'années, fera d'elle la très-précieuse tante Léonie (Léonie qui, en outre, était le deuxième prénom de ma grand-mère maternelle, laquelle est née à peu près dans le même temps que Proust accouchait de son inoubliable tante).
– À quoi ressemble Jean Santeuil, tel qu'on peut le lire aujourd'hui ? Recourons à une métaphore maritime : si À la recherche du temps perdu était un superbe navire de pleine mer, un galion de haute époque, Jean Santeuil en serait l'épave, rejetée sur le rivage après avoir été longuement ballottée, saccagée, démantelée par les éléments. On reconnaît certaines des parties d'origine, on reconstitue la splendeur des grandes voiles à partir d'un tronçon de mât, on peuple en imagination le pont défoncé et vermoulu de tous les fiers personnages qui l'ont un jour arpenté, ainsi de suite. Le paradoxe, ce qui donne à cette lecture son côté étrange, presque fantasmagorique, c'est que, dans ce cas, l'épave a précédé le navire dans le temps. Il s'agit en quelque sorte d'une épave avant-coureuse.
Deux heures. – Philippe Sollers est mort aujourd'hui. La littérature s'en tape. BHL pavoise discrètement.
Dimanche 7
Huit heures. – Tombant sur le récit du duel de Proust, je suis chaque fois saisi par le même bref mais intense vertige, en imaginant que la balle tirée par Jean Lorrain ce jour de 1897, aurait fort bien pu frapper son adversaire à la tête ou au cœur, au lieu d'aller sagement se perdre dans les frondaisons du bois de Meudon. J'ai beau me dire que, dans ce cas, ne pouvant être écrite, l'œuvre de Proust n'aurait pu me manquer en rien, cela ne marche qu'à demi. D'autant que vient à ce vertige s'en ajouter un autre : combien de futurs génies littéraires sont morts, de cette façon ou de toute autre, avant d'avoir écrit la première ligne de l'œuvre qu'ils avaient à donner ? Interrogation parfaitement stérile, bien sûr, mais à l'effet puissant.
– Il y a déjà un petit moment que je ressens l'envie (sporadique...) d'aller jeter un coup d'œil aux Cahiers de Maurice Barrès ; ce à quoi m'encourageait Michel Desgranges la dernière fois que nous nous vîmes. Ce qui m'avait jusqu'à présent arrêté était le prix auquel était proposée cette dizaine ou douzaine de volumes. Or, hier soir, reprenant cette recherche, je suis tombé sur un livre Plon des années soixante (je crois) de près de 1200 pages, proposant une anthologie de Mes Cahiers pour moins de 25 €. Comme c'était sur un site où je n'ai pas mon rond de serviette, j'ai préféré attendre ce matin pour, éventuellement, faire l'emplette de la chose depuis l'ordinateur de la Case : rien de plus malcommode, en effet, que de passer une commande de l'iBigo.
Dix heures. – Eh bien voilà : Emmaüs a un nouveau client… et Barrès un futur lecteur.
–
Un blogueur particulièrement inspiré écrit ceci : « Le Général a sauvé
notre pays avec Churchill et la Reine. » Il y a donc encore des gens
pour croire que de Gaulle a sauvé quelque chose durant sa carrière, et
particulièrement la France. Et qui s'imaginent savoir qu'entre 1940 et
1945 l'Angleterre avait une reine…
Quatre heures. – J'ai tout de même un peu de mal à concevoir qu'on puisse lire autre chose que Proust, quand on n'a encore jamais lu Proust.
Lundi 8
Trois heures. – Quand paraît Du côté de chez Swann, novembre 1913, Proust envoie des exemplaires dédicacés à un grand nombre de ses amis et relations mondaines, dont un à la comtesse Greffulhe qui, comme on le sait, a involontairement posé pour lui afin de donner naissance à la duchesse de Guermantes. Environ un demi-siècle plus tard, ayant le volume entre les mains, Ghislain de Diesbach pourra constater que seules les premières pages en avaient été coupées : pitoyable dédain d'une oie superbe envers celui à qui elle doit son unique survie dans la mémoire des hommes.
On peut d'ailleurs mettre en regard cette “grande dame” et une autre, la comtesse de Chevigné ; laquelle, recevant je ne sais plus lequel des volumes suivants de La Recherche, le tendit ainsi à Cocteau : « Mon petit Jean, soyez gentil de le lire et de me marquer les passages où l'auteur parle de moi ! »
– Dans une lettre à ce même Cocteau, au début de 1915, Proust ironise à propos des “stupides journalistes qui ont la faculté d'oublier qu'ils nous ont dit sans cesse que les Russes seraient à la fin d'octobre à Berlin, et qui triomphent de ce que les Allemands n'ont pas fêté la Noël à Varsovie ”. Mes chers confrères avaient déjà un sens imputrescible de l'information juste et raisonnée, en ces temps-là.
Et à propos de Montesquiou (modèle du baron de Charlus et, un peu plus tard, fort marri de se découvrir l'être), qui dans le même temps, publie ses Offrandes blessées : « 188 élégies sur la guerre. Il a dû commencer le lendemain de la mobilisation. »
Mardi 9
Sept heures. – Depuis deux jours, nous regardons une série qui a l'originalité d'être israélo-norvégienne (et qui est en partie “plombée” par son versant scandinave...). L'un des personnages principaux est un ministre israélien, porteur de kippa. Hier soir, Catherine : « Comment ils font, les chauves, pour la faire tenir ? » Moi, après quelques secondes d'une éprouvante réflexion : « Soit ils se paient une moumoute, soit ils se convertissent au catholicisme. » C'était, il me semble encore ce matin, la sagesse même.
- Mes deux écrivains français préférés, pour ce qui concerne le XXe siècle, Proust et Léautaud, ne se sont jamais rencontrés, en aucune façon, ni “dans la vie”, ni littérairement. Après la mort de Proust, Léautaud a affirmé à son journal n'avoir jamais lu une ligne de lui (ce qui, du reste, est peut-être exagéré). Quant à Proust, je me souviens de quelques mots assez durs, dans l'une de ses lettres, à l'occasion de la sortie du Petit ami ; livre qui, en effet, compte tenu de “rapports à la mère” violemment opposés, ne pouvait que le heurter, de même que, deux ans plus tard, en 1905, In memoriam. Leur seul trait d'union serait donc l'abbé Mugnier, dont je me demande si je ne vais pas, ces prochains jours, relire les mémoires.
– Le 14 août 1918, Proust dine au Ritz, seul. À l'une des tables voisines, le duc de Marlborough, en grande conversation avec Winston Churchill.
– La technique de Proust pour faire croire à ses amis et relations qu'il a lu leur dernier livre : en parcourir une dizaines de pages, éparses et prises au hasard, relever dans chacune une phrase et affirmer à l'auteur qu'il n'a jamais rien écrit d'aussi beau, d'aussi suggestif, d'aussi poétique, d'aussi profond, etc. ; et que lui-même rêverait d'avoir ne serait-ce que la moitié du talent de son correspondant. Comme dirait l'autre : plus c'est gros, mieux ça marche. Surtout dans le domaine des compliments.
Une heure. – Commandé à l'instant les Cinquante ans de panache d'André de Fouquières. Pour ceux de mes douze lecteurs qui ignoreraient de qui il s'agit – ils en seront volontiers excusés –, voir ici.
– La phrase la plus irrésistiblement comique de toute la correspondance de Proust : « En général, je n'aime pas parler de ma santé. » Il est d'ailleurs possible que je l'aie déjà relevée.
Et puis, bien sûr, il y a ce petit billet écrit à Céleste Albaret, quelque temps avant sa mort : « Je n'ai ni mes petits gâteaux secs ni ma montre. » Les gâteaux = la madeleine ; la montre absente = le temps perdu...
Six heures. – Qui connaît un peintre et écrivain anglais né dans les années quatre-vingt du XIXe siècle et nommé Wyndham Lewis ? Pas moi. En tout cas, j'ignorais absolument son existence il y a encore une demi-heure. Je viens donc de commander deux livres de lui : un roman, Tarr, et un recueil d'essais et d'articles curieusement intitulé (mais c'est ce qui m'a fait l'acheter) À bas la France, vive la France.
(Et il faudrait que je me calme un peu dans les commandes car je viens tout de même d'acheter quatre livres en deux jours…)
– J'ai écrit une sottise ce matin, ici même : ce ne sont pas des mémoires qu'a laissés l'abbé Mugnier mais un journal ; dont je ne possède d'ailleurs que des extraits, en un volume de la collection “Le Temps retrouvé”... laquelle nous ramène évidemment à Proust.
– Notre abbé détestait monter en chaire pour y prêcher. Il disait : « Notre-Seigneur a donné la parole aux hommes pour qu'ils s'en servent, mais il n'a pas dit qu'il fallait se mettre dans un coquetier !»
Mercredi 10
Neuf heures. – Jean Santeuil est écrit à la troisième personne (même si, parfois, l'auteur se met brièvement à parler en son nom propre). Pourtant, en certaine parties – et notamment lorsque intervient un phénomène de mémoire involontaire, une “pré-madeleine” en quelque sorte –, il arrive que Jean Santeuil disparaisse brusquement de la scène pour faire place à un “je” qui a déjà la tonalité qu'il prendra dans La Recherche. C'est le Narrateur qui demande à naître, qui s'introduit en douce dans le récit, comme le cambrioleur pénètre dans la maison par la fenêtre que les propriétaires ont mal fermée.
Deux heures. – Lisant Jean Santeuil, je me souvenais que René Girard s'était livré à une comparaison entre lui et La Recherche, montrant, pour le dire rapidement, que le jeune Marcel Proust était encore dans le “mensonge romantique”, tandis que celui de la maturité était parvenu à la “vérité romanesque”. C'est donc tout naturellement que j'ai, avant le déjeuner, rouvert Mensonge romantique et vérité romanesque, afin d'y relire les pages en question... qui ne s'y trouvent point. Mais alors, où sont-elles ? Dans quel livre ? Peut-être dans Des choses cachées depuis la fondation du monde ? Ou dans le recueil de textes intitulé Critique dans un souterrain ? Si le passage ne se trouve dans aucun de ces deux-là, c'est probablement que je l'aurai rêvé...
Au passage, lors de mon “survol”, je me disais qu'il était bien dommage que Girard n'ait jamais, à ma connaissance, soumis à l'éclairage de ses hypothèses les récents avatars du féminisme. Quelqu'un d'autre pourrait d'ailleurs le faire à sa place, ce serait sûrement fort instructif. Notamment en partant de cette idée que les haines s'exacerbent à mesure que le “modèle obstacle” se rapproche, c'est-à-dire que les différences, très réelles au départ, s'amenuisent à ce point qu'elles deviennent purement fantasmagoriques. Et de même que chez Proust, les snobs trépignent d'autant plus hystériquement que le “monde” a moins de réalité, et même plus aucune, de même ces dames sont-elles plus “vent debout” que jamais contre un patriarcat totalement en miettes, si tant est qu'il ait jamais existé sous nos latitudes. Lorsqu'elles dressent inlassablement le portrait de l'homme en tyran oppresseur, violeur et sanguinaire, elles ne font qu'exprimer leur obscur mais taraudant désir de prendre sa place – ou plus exactement la place, largement imaginaire désormais, où elles l'ont installé, ce trône de toutes les abjections d'où elles l'empêchent de descendre pour mieux se donner les gants de l'y crucifier.
Jeudi 11
Neuf heures. – Trouvaille de Catherine, à l'instant, chez Dame Ternette : le remplacement du mot “prison”, sans doute jugé trop cruel pour les adorables bisounours qu'on y fait séjourner, par l'expression “lieu de privation de liberté”. Je regrette pour ma part que l'on n'ait pas, dans la foulée, périphrasé le mot “privation”, vraiment trop dur. Mais enfin, je suis tout de même content, soulagé, de savoir que les taulards sont désormais des personnes en situation de privation de liberté.
(Peut-être pourrait-on remplacer “privation” par “suspension”, beaucoup plus souriant ? Voire par “dispense” ?)
Une heure. – De l'abbé Mugnier, en 1897 (il a 44 ans) : « Comme je vis rétrospectivement ! Le passé m'est tout. L'avenir ne compte pas. Je préfère ce qui a été à ce qui sera. Il me faut la patine du temps. » Rien à ajouter à cela.
– Hier soir, nous avons repris la série israélienne Fauda que, Dieu sait pourquoi, nous avions abandonnée après quatre épisodes (sur quarante-huit…). À un moment, voyant l'acteur principal, Lior Raz, s'entraîner au maniement d'armes et à divers autres exercices très “physiques”, Catherine s'étonnait de ce qu'il y soit aussi crédible. Je lui ai fait remarquer que les jeunes Israéliens recevaient tous une formation militaire et que, donc, cette crédibilité qui l'épatait était moins surprenante que dans le cas d'acteurs américains ou français. Je ne croyais pas si bien dire : Le Lior Raz en question, à la fin de ses études, a passé deux ans dans une unité d'élite de l'armée israélienne, spécialisée dans la lutte anti-terroriste, Douvdevan. À la suite de quoi il a momentanément émigré aux États-Unis où il est devenu… garde du corps de Schwarzenegger. Il pouvait donc être crédible dans le rôle. Du reste, je découvre qu'il est également co-auteur de la série en question.
Anecdote
à mettre au crédit de cette série et de son excellence : les
antisémites rabiques de l'officine BDS, “Boycott, Désinvestissement,
Sanction”, dont la cible unique est évidemment Israël, a demandé à
Netflix de supprimer la série de sa plateforme. Netflix, et c'est pour
une fois tout à son honneur, a envoyé paître ces guignols malfaisants.
Quatre heures. – De l'abbé Mugnier encore, cette fois en 1903. Il se trouve dans le salon d'une princesse, qu'il ne désigne que par ses initiales, E. de L. : « Elle m'a aussi demandé quels étaient les devoirs des enfants vis-à-vis des amants de leur mère. » On aurait bien aimé savoir quelle réponse l'infortuné abbé a trouvé à lui fournir...
– Soudain, début 1908, voilà mon abbé sautant à pieds joints, et bien entendu sans s'en douter, dans le monde de La Recherche : invité chez la comtesse Greffulhe, future duchesse de Guermantes, il y rencontre Anatole France, modèle de l'écrivain Bergotte, Robert de Montesquiou, bientôt métamorphosé en baron de Charlus, et Mme Arman de Caillavet, qui donnera quelques traits à Madame Verdurin. Pendant que tous ces gens prennent le thé et babillent et potinent, Marcel Proust, à trois ou quatre rues de là, écrit les premières esquisses du grand œuvre...
Quelques jours plus tard, on retrouve les mêmes silhouettes proustiennes, et toujours en compagnie de l'abbé, occupées à faire tourner une table et à papoter avec les esprits, sous la direction de l'allumée (on dit aussi : médium) italienne Eusapia Paladino !
Vendredi 12
Dix heures. – Matinée industrieuse. Après un rapide arrêt à la boulangerie, direction le garage Renault, afin d'y faire changer le pare-brise fendu – fente menaçant depuis quelque temps de se faire crevasse – de Soraya. Retour dans une Touinego, dont il a fallu réapprendre très vite le maniement de sa boîte de vitesses non-automatique, avec halte au Super U de Saint-Aquilin ; halte à peu près inutile : sur trois articles demandés par Catherine, deux étaient manquants ; la soviétisation de la société de consommation suit tranquillement son cours.
– Toujours cette impression, même déjà dans Jean Santeuil, qu'il y a en Proust deux individus distincts mais qui se complètent admirablement : un enfant ayant conservé intacte cette sensibilité à vif, cette ouverture de l'imagination et des sens que l'on possède à cet âge et qui généralement s'atrophie dans la suite, et à côté, ou au-dessus, comme on voudra, un adulte doté d'une intelligence supérieure, qui ne cesse de l'observer, le scruter, l'analyser, bref : le maintenir aussi vivant qu'il est possible, en s'appropriant, s'amalgamant toutes les sensations enfouies mais dûment imprimées dans le cerveau de l'enfant dont il semble ne jamais lâcher la main de peur de le voir se diluer et disparaître dans des ténèbres sans fond.
Et le plus étonnant est peut-être que cette symbiose, cette reconquête de l'un par l'autre semble chez Proust plus profonde, plus totale, pour ainsi dire parfaite, à 45 ans, l'âge de La Recherche, qu'à 25, celui de Jean Santeuil.
Midi. – L'abbé Mugnier en 1910 – il a 57 ans – à propos de ses très (trop ?) nombreux dîners en ville : « Je dissipe mon âme à pleine assiette. »
Trois heures. – Brave iBigo ! Je revenais de Pacy au volant d'une Soraya pare-brisée
de neuf, lorsqu'il se mit à trompeter dans ma poche. Pensant que
Catherine avait besoin de quelque chose, je m'arrêtai donc devant chez
le vétérinaire de Saint-Aquilin afin de m'enquérir. Ce n'était pas
Catherine, mais l'agence Century 21 de Pacy (installée dans l'ancienne
maison de la presse) qui m'informait qu'un colis m'attendait en ses
murs, à quelque trois cents mètres d'où j'étais arrêté. C'est ainsi que
j'ai pu rentrer à la maison, Mes Cahiers de Barrès sous le bras, en m'étant évité un aller-retour supplémentaire. Les petites joies de la vie…
– Proust fait son apparition dan le journal de l'abbé Mugnier le 12 janvier 1914 ; non pas encore en personne, mais par le truchement de Du côté de chez Swann, dont les mérites lui sont vantés par Cocteau.
À
propos de Cocteau, j'ai toujours trouvé le personnage assez irritant et
ses fameux “mots” superficiels et vains, très
m'as-tu-vu-quand-je-fais-de-l'esprit : l'abbé Mugnier, qui en cite
beaucoup, ne me fera pas changé d'avis, bien au contraire.
– Curieuse langue française : pourquoi un combattant parti se battre avec ses deux "t" en perd-il un sitôt qu'il se montre combatif ?
Samedi 13
Sept heures. – Toujours au chapitre des bizarreries de la langue, mais bizarrerie de sens cette fois : l'expression “c'est la montagne qui accouche d'une souris”. Elle désigne en gros quelqu'un qui s'est démené comme un diable, a développé d'énormes efforts, dépensé une énergie considérable, pour aboutir à un résultat médiocre voire insignifiant.
Or, si l'on y réfléchit, qu'un gros tas de cailloux recouvert d'un peu de terre pût enfanter un être aussi extraordinairement complexe, par rapport à lui, qu'une souris, qu'un être vivant, autonome, reproductible, etc., voilà qui serait un exploit tout à fait remarquable, le contraire d'un échec, pratiquement un miracle.
– Regardant hier soir la fin de la première saison de la série israélienne Fauda, je disais à Catherine qu'ils auraient pu aussi bien l'appeler Game of Drones.
Trois heures. – Lu le premier chapitre de Tarr, le roman de Wyndham (bon sang ! je crois que je n'arriverai jamais à me fourrer ce fucking prénom dans la caboche !) Lewis. Je suis rien moins que sûr d'aller au bout du livre : écriture étrange, insaisissable souvent, conversation entre deux personnages se rencontrant Bd du Montparnasse dont il est difficile de comprendre l'enjeu, les tenants et leurs compagnons de chaîne : les aboutissants. Je vais tout de même m'obstiner un peu...
Dimanche 14
Onze heures. – Dans la partie “mondaine” de Jean Santeuil, on rencontre très brièvement un vieux vicomte qui, d'une façon à la fois infantile et touchante, pense avoir trouvé l'infaillible moyen de cacher au monde sa calvitie. Voici : « [...] il avait quarante perruques très légèrement plus longues les unes que les autres. Quand il était arrivé à la plus longue, il mettait sans transition la plus courte pour faire croire qu'il se faisait couper les cheveux. Et à partir de ce jour, les cheveux repoussant, il mettait chaque jour pendant quarante jours une perruque de plus en plus longue. »
– Moderne contre moderne, le grand match des victimisés ! Un joueur de football de Guingamp s'est vu interdit de match car il a refusé de porter le maillot “arc-en-ciel“ dont les autorités sportives avaient décidé d'affubler tous leurs joueurs afin, évidemment, de sensibiliser… blablabla… homophobie… blablabla. Dans le marais touitteresque, cet ignoble individu se fait vertement tancer par un guignol donneur de leçons, socialiste de surcroit, nommé Pierre Moal : « Il serait bon pour l'EAGuingamp de rappeler à son joueur que l'homophobie n'est pas une opinion mais un délit et qu'elle tue. » Je rappellerai, pour ma part, à ce substantifique Moal que ce qu'il est en train de brandir en guise d'étendard, c'est ce qu'on appelle justement un “délit d'opinion”, et que le fait que même décrété autoritairement délictueuse n'empêche nullement une opinion de rester une opinion. Quant à savoir si le fait de ne pas porter un maillot bariolé peut aussitôt entraîner la mort d'un ou de plusieurs homosexuels, je n'entrerai pas dans ce débat par trop moaleux.
Je
parlais de grand match des victimisés en commençant. C'est que le
joueur “homophobe” en question, un certain Donatien Gomis, se trouve
être impeccablement sénégalais. Catastrophe cyclonissime et patatras !
Si les différents damnés de la terre commencent à se regarder les uns
les autres en chiens de faïence, si les racisés se mettent à bouder les
sodomites, et peut-être même inversement, les chattes progressistes
risquent d'avoir un certain mal à retrouver leurs petits dégenrés.
Cinq heures. – J'ai publié ce matin sur le blog-mère un court billet pour signaler ce qu'un de mes lecteurs m'avait lui-même signalé, à savoir la parution prochaine, au Québec, d'une version de La Recherche en écriture inclusive. Le blogueur suisse Fattorius a aussitôt attiré mon attention sur la date de parution de l'article mis en lien par moi : premier avril ! Voilà donc un “poisson” que j'ai gobé sans sourciller, avec l'hameçon, la ligne, la canne, plus le pêcheur et son pliant. Évidemment, “quand on y réfléchit” – c'est toujours ce que l'on dit après coup –, on se rend tout de suite compte que, même pour des névrosés obsessionnels comme l'époque en produit à la tonne, s'appuyer une “inclusion” de trois mille pages et, ensuite, trouver un éditeur suffisamment maboule pour s'y risquer, tout cela n'était guère réaliste. Néanmoins, le fait que j'aie pu croire une telle aberration possible ne me parait pas à porter au crédit de l'époque (ni au mien, d'accord, d'accord...).
– Sur le site de Causeur,
j'apprends que Gallimard vient de sortir un volume Quarto de presque
deux mille pages contenant les romans du Québécois Réjean Ducharme. J'ai
beaucoup lu et aimé ses livres, il y a une grosse trentaine d'années.
Quand j'ai essayé d'en relire un ou deux, voilà trois ou quatre ans, ils
m'ont parus terriblement artificiels, au point de les abandonner après
quelques dizaines de pages. Et de nouveau la question aussi classique
que sans réponse : qui a raison ? Le jeune DG ? Ou le vieux machin qui a
pris sa place ? L'heureuse conséquence de ma désillusion est que je
viens de faire l'économie d'un volume Quarto…
– Philippe et Dominique viendront des Landes jusque chez notre mère les 19, 20 et 21 juin prochains. Nous irons les y rejoindre le 20 : j'ai déjà réservé une chambre au Relais “Douce France” de Veules-les-Roses.
Lundi 15
Huit heures. – Dans les chapitres consacrés à la vie mondaine, à la “conquête” du Faubourg par ses personnages, il y a en quelque sorte deux Proust. Celui de Jean Santeuil d'abord, qui tente de nous et de se faire croire que les rêves de triomphe de l'adolescent qu'il était hier sont bel et bien la réalité, que réussite mondaine il y a en effet. Pour parler comme Girard, il est encore sous l'emprise du désir mimétique, qui le pousse à croire qu'il y a réellement quelque chose à conquérir et que ce quelque chose lui apportera de vraies satisfactions, agira comme une sorte de baume apaisant sur son amour-propre. Pourtant, au ton qu'il emploie, à un certain humour teinté d'ironie, on sent déjà poindre le second Proust, celui de La Recherche. Celui-là s'est débarrassé des liens du snobisme qui l'entravaient et est désormais capable de nous faire apparaître la réalité, à savoir la nullité du “monde”, pour ne pas dire sa non-existence, mais également la vanité risible et pitoyable de son Narrateur qui trépigne pour y être admis. Le premier Proust rampait encore sur le sol et, du coup, prenait pour de fabuleux rochers les petits cailloux rencontrés sur sa route. Le second Proust s'est en quelque sorte équipé d'un drone qui, s'élevant, lui permet de voir et de nous montrer l'immensité du paysage, désolé et morne.
Cinq heures. – Qu'est-ce qu'un professeur d'extrême gauche ? Un révolutionnaire de pose, qui n'a jamais franchi le portail de l'école. Un insurgé de préau.
Mardi 16
Sept heures. – Il y a une demi-heure, à mon lever, le thermomètre extérieur affichait 3,5 degrés misérablement Celsius. Prévision pour cet après-midi, malgré un soleil régnant sans partage : 16°. C'est, je suppose, ce qu'il est convenu d'appeler une “pause” dans le réchauffement climatique...
– Au début d'un paragraphe de Jean Santeuil, consacré à Jean et sa mère (le père, ce gêneur, est en voyage...), Proust écrit : « En rentrant le soir, il trouva le petit mot que sa mère lui laissait chaque soir en se couchant et où elle lui demandait de bien lui dire l'heure au lieu de s'en tenir à de vagues “il n'est pas trop tard”, s'il se coucherait enfin ce soir plus tôt, sa grande préoccupation. » On sent déjà venir la phrase fameuse qui servira, une quinzaine d'années plus tard, d'ouverture à La Recherche : « Longtemps je me suis couché de bonne heure. »
– Autre remarque : à mesure qu'il avancera dans Jean Santeuil, le lecteur pensera de plus en plus à la remarque de Flaubert, disant à peu près ceci : « Ce qui fait le collier, ce ne sont pas les perles : c'est le fil. » C'est précisément ce qui manque ici, le fil. Et c'est probablement son incapacité d'arriver à le trouver qui a conduit Proust à abandonner ce premier essai romanesque : il s'est vu avec un sac de perles – dont certaines d'une aussi belle eau que celles qu'on trouvera à profusion dans l'œuvre de la maturité – mais rien pour les lier ensemble et en faire une parure digne d'être arborée.
– Titre curieux, sur le site de Contrepoints
: « Macron doit faire un choix crucial : réactiver l'industrie
nucléaire pour préserver l'industrie française. » Ou est le “choix”,
puisqu'on ne lui laisse qu'une possibilité ? C'est une décision qu'on
lui intime de prendre, et non un choix qu'on lui propose de faire.
Quatre heures. – Il y a de cela un instant, j'ai tourné la dernière page de Jean Santeuil. Sans changer de braquet, je reprend le journal de l'abbé Mugnier où je l'avais laissé, soit au début de novembre 1922... et je me retrouve en train de prier pour le repos de l'âme de Proust, rue Hamelin, près de sa dépouille mortelle.
Mercredi 17
Huit heures. – Ayant refermé, pour cette fois, ma parenthèse proustienne, je suis sagement revenu à Anthony Trollope : Quelle époque !, roman dont le titre, on s'en doute, me convient tout à fait.
– Une chose assez étonnante dans Fauda, cette excellente série israélienne que nous regardons en ce moment : pendant toute la première saison et la majeure partie de la seconde (soit durant une bonne vingtaine d'épisodes), le personnage principal, le “héros”, membre d'une équipe de combattants infiltrés chez les terroristes palestiniens, ce personnage, donc, rate absolument tout ce qu'il entreprend ! Toutes les opérations auxquelles il participe foirent d'une manière ou d'une autre. C'est souvent dû aux circonstances, à des imprévus malencontreux, mais c'est parfois entièrement sa faute. C'est tout à fait inhabituel et curieux. Par ailleurs, il s'agit d'une série que, au moins en ses deux premières saisons, je n'hésiterai pas à qualifier de remarquable.
Quatre heures. – Et voici mon bon abbé Mugnier, printemps 1923, en villégiature dans une villa du Cap Nègre tel un vulgaire Sarkozy !
(Je me demande d'ailleurs ce qu'on attend pour rebaptiser cet endroit Cap des Racisés et pour y élever un grand monument à la mémoire des victimes de la traite.)
Jeudi 18
Une heure. – Au début des années vingt, l'abbé Mugnier se rencontre régulièrement avec Jean Cocteau et Jacques Maritain – ensemble ou séparément. Or, ce sont là deux personnages que je n'ai jamais aimés, bien qu'ayant fort peu lu le premier et jamais la moindre ligne du second. Je n'aime pas Cocteau en raison de cet esprit prétendument “éblouissant”, et que je trouve, moi, artificiel, voulu, forcé. Quant à Maritain, le thomiste-en-chef, m'horripile son côté “convertisseur à la chaîne”, donneur de leçons sacrées. D'autant que ses prétendues conversions semblent parfois bien superficielles (Cocteau, justement), quand elles ne sombrent pas dans la palinodie ( Maurice Sachs). Mais je me rends bien compte qu'il est tout à fait vain de ma part de juger de la sincérité des uns et des autres, spécialement dans ce domaine qui me demeure radicalement étranger.
– On aimerait bien, moi en tout cas, que le correcteur automatique de l'iBigo se montre un peu plus laxiste qu'il ne l'est, voire carrément je-m'en-foutiste ; ce qui le conduirait, quand on commence à taper un mot qu'il ne connaît pas, à ne pas le terminer en se fiant à ses seules, et assez restreintes, connaissances. Ainsi, hier, ne m'aurait-il pas affiché “Maurice” quand mon intention était de parler de Mauriac...
– À force de lire l'abbé, on finirait par s'imaginer qu'à cette époque il était impossible de faire plus de vingt mètres dans une rue de Paris sans buter sur une duchesse ou un grand écrivain, ni de pousser la porte de n'importe quel appartement sans qu'ils soient déjà là à vous attendre. Ainsi, le 31 mars 1927, notre abbé dîne chez les Henry Bernstein. Il y retrouve trois autres couples : les Bainville, les Maurois et les Mauriac. En arrivant dan le hall de l'immeuble, il se cogne presque à la grille de l'ascenseur dans une dame, invitée elle aussi. Évidemment, elle n'est rien de moins que Colette.
Au cours de ce dîner, François Mauriac – il avait fumé quoi, avant de venir ? – évoque le plus grave de tous les péchés ; lequel, d'après lui, consiste à châtrer un cardinal pour l'empêcher d'être pape ! On se marrait bien, dans les années folles... Ce qui est comique, c'est de voir l'abbé Mugnier relater tranquillement, en demeurant parfaitement imperturbable, les sujets de conversation les plus scabreux, que nul ne semble gêné d'aborder en sa présence.
C'est par lui que j'ai appris que le jeune Barrès avait été très amoureux de Rachilde (madame Alfred Valette à la ville) et que, dédaigné par elle, il était allé se consoler dans le lit d'une autre romancière : Gyp (comtesse de Martel née Riquetti de Mirabeau dans les salons). Pour un peu, je me croirais de retour à France Dimanche !
Quatre heures. – 7 août 1930, date importante puisque celle de la première rencontre de l'abbé avec Paul Léautaud : « C'est un homme qui, avec ses lunettes, sa figure maigre, sombre, mal rasée, sa voix et ses gestes de cabotin, ressemble ou à un prêtre défroqué ou à un homme de théâtre dans la débine. » Pas si mal vu, l'abbé, pas si mal vu !
– Deux ans et demi plus tard, 18 janvier 1933 (jour, mais c'est un hasard, du 61ème anniversaire de Léautaud), l'abbé déjeune chez Lucien Descaves. Il y a là le peintre Vlaminck et le nouveau romancier à succès : Louis-Ferdinand Céline. Rentrant chez lui dans l'après-midi, l'abbé aperçoit de loin une femme qui fait le pied de grue devant sa porte, attendant patiemment son retour. S'approchant, il la reconnaît : c'est la reine Amélie du Portugal. Un peu plus tard il écrit dans son journal : « Ce sont vraiment les extrémités des choses humaines, le docteur Destouches, la reine Amélie du Portugal ! »
Vendredi 19
Midi. – Le bon abbé Mugnier ayant basculé dans sa nuit (il est devenu aveugle à la fin des années trente, avant de mourir en 1944, à 91 ans), je commence les brefs Mémoires de Maurice Barrès, placés en ouverture de ses Cahiers.
Trois heures. – On n'échappe pas à ses fantômes. Les Cahiers de Barrès commencent en 1896 et s'ouvrent – du moins l'anthologie que j'en possède – sur une évocation de Verlaine, qui vient de mourir. Barrès se rend auprès de sa dépouille, laquelle est veillée par le comte Robert de Montesquiou, c'est-à-dire le futur baron de Charlus proustien.
– À cette même époque, Barrès avait chez lui une chatte dont le nom était : Rose-qui-a-des-épines-aux-pattes. J'espère qu'il n'avait pas à l'appeler trop souvent.
– J'ignorais tout à fait que Léon Tolstoï fût, par sa mère, le petit-fils du général Koutouzov, le vainqueur de Napoléon en 1812.
– À part ça, la routine : je continue à recevoir chaque jour de l'étrange monsieur Arié commentaires et himmels, dont j'ignore absolument la teneur, les envoyant directement de la réception à la corbeille, et de là dans le néant. Comme on disait dans ma jeunesse : ça lui passera avant que ça me reprenne...
– Ce que Dumas disait de Flaubert : « C'est un géant qui abat une forêt pour faire une boite. » Il y a de ça, oui. Mais la boîte, le plus souvent, est parfaitement réussie.
Samedi 20
Sept heures. – C'est un phénomène qui continue à me surprendre et à m'amuser chaque fois qu'il se produit. Je commence par avoir l'idée de noter quelque chose dans ce journal ; par exemple, hier, nos démêlés avec la ritournelle lacustre de Mort Shuman. J'ouvre la page du jour, je commence innocemment à enquiller les phrases...
Et soudain, au bout de deux ou trois paragraphes, je m'aperçois que, sans l'avoir voulu ni même en être tout à fait conscient, j'ai cessé d'écrire mon journal pour rédiger un billet de blog. Je ne saurais même pas dire avec précision comment ni pourquoi je m'en aperçois. Quelque chose d'imperceptiblement changé dans mon écriture peut-être... Toujours est-il que dès ce moment, celui de la “prise de conscience”, il n'y a plus de doute possible, ni moyen de revenir en arrière : entre l'écriture-journal et l'écriture-blog, le sas ne fonctionne qu'à sens unique.
Onze heures. – Depuis environ une semaine, on peut voir, sur la mare qui est au bout de notre rue ou dans ses abords les plus immédiats, une cane escortée de ses deux canetons. Mais de canard, point : chez les anatidés aussi, la famille monoparentale est désormais une triste réalité. On ne voit pas encore de canards 1 et 2 ayant adopté les canetons d'une cane porteuse, dûment rémunérée en boulettes de mie de pain, mais on sent bien que c'est dans l'air et que ça ne saurait plus tarder.
Trois heures. – De Barrès, en 1898 : « Il faut surveiller l'Université. Elle contribue à détruire les principes français, à nous décérébrer ; sous prétexte de nous faire citoyen de l'humanité elle nous déracine de notre sol, de notre idéal aussi. » Au point où nous sommes rendus 120 ans plus tard, “surveiller” ne me paraît plus de saison : un dynamitage massif serait sans doute mieux adapté à la situation.
– Cette irritante manie moderne de remplacer des expressions simples et claires par d'autres qui ne sont ni ceci, ni cela, quand elles ne sont pas franchement absurdes. Ainsi les fameux “droits de l'homme” disaient-ils fort bien ce qu'ils entendaient signifier. On a cru bon de les remplacer par je ne sais quels “droits humains” qui n'ont rigoureusement aucun sens : comment un droit pourrait-il être humain ou inhumain ? Le plus déprimant est que cela se fait sous les applaudissements et les sourires ravis de tous les imbéciles qui pensent avoir, ce faisant, permis à l'humanité un magnifique pas en avant. Pas en avant peut-être, mais vers quoi ? En direction de quelle fosse d'épandage ?
– Ces paysans d'avant 1900 qui avaient appelé leur vin : le dreyfus. Parce qu'en le versant dans les verres de leurs visiteurs, ils prévenaient : « Attention ! il est traître... »
Dimanche 21
Trois heures. – Je m'avise seulement maintenant que je me suis mis à lire les Cahiers de Barrès l'année du centenaire de sa mort ; centenaire que l'on se gardera évidemment de célébrer, pour des raisons si évidentes qu'il est inutile de les noter. Peut-être, fin novembre ou début décembre, verra-t-on éclore dans nos feuilles de chou deux ou trois sermons destinés à nous expliquer pourquoi il serait nauséabond de parler de cet ignoble personnage, besogne dont on aura chargé les plus obscures folliculaires des rédactions, non sans les avoir affublés au préalable des pincettes nasales destinées à les prémunir contre les émanations méphitiques, et leur avoir formellement déconseillé de lire le moindre paragraphe tombé de la plume de leur victime avant de pondre leur pensum.
– Seul un étranger peut dire à raison qu'il aime ou qu'il n'aime pas la France. Un Français ne le peut pas puisqu'il la constitue, qu'il en est tout à la fois l'essence et le produit. Un Français proclamant qu'il aime la France, ou qu'il la déteste, c'est un peu comme si un neurone prétendait adorer la cervelle ou ne pouvoir en supporter l'existence.
Lundi 22
Dix heures.
– Apparemment, Houellebecq vient de balancer un gros pavé dans le
marigot post-féministe en déclarant d'abord qu'il croyait en l'innocence
de Depardieu (là, il s'avance peut-être un peu…) et ensuite que “les
femmes mentent, tout simplement”. On imagine le tollé, le concert
d'indignation de commande, les criailleries femelles tous azimuts. Sur
Touitteur, une crétine se prétendant journaliste (bête comme elle semble, elle mériterait en effet de l'être) déclare ceci : « Les femmes ne mentent pas. Elles parlent et beaucoup les entendent […]. » Quelqu'un
pourrait-il se dévouer, et expliquer à cette grosse nouille que c'est
précisément ainsi que se caractérisent les menteurs : ils ont tendance à
parler beaucoup et ils savent se faire écouter, voire croire.
– L'art de parler pour ne rien dire – et, accessoirement, de prendre le client pour un parfait gogo. Sur ma bouteille d'eau, la précieuse “information” suivante : « Évian est pure et naturelle par nature comme toutes eaux minérales naturelles. » On se croirait tombé au milieu d'un congrès des médecins de Molière.
– Autre nouvelle du grand asile d'aliénés dans lequel nous vivons désormais. Parce qu'il est curieux de toute chose, Michel D. a eu l'idée de poser à ChatGPT (plus haut que mon cul) la question suivante: « Est-ce mal pour un homme de refuser de sortir avec une femme parce qu'elle a un pénis ? » Réponse du matou questionné : « Oui, c'est mal, c'est de la transphobie, car ce n'est pas parce qu'une femme a un pénis qu'elle est moins femme que les autres femmes. » Mais pourquoi donc n'arrivé-je pas à être étonné de la dite réponse ?
Quatre heures. – Reçu à l'instant le roman de Nikos Kazantzaki, Alexis Zorba,
dont a été tiré par je ne sais plus qui le célèbre film du presque même
nom ; célèbre film… que je n'ai pour ma part jamais vu.
– Réflexion de la princesse Mathilde, citée par Barrès : « Les enfants, j'aimerais mieux en commencer cent que d'en terminer un. »
Mardi 23 (Saint-Didier)
Dix heures. – Je viens d'aller chercher au locker Mondial Relay de Saint-Aquilin le livre de souvenirs d'André de Fouquières : Cinquante ans de panache ; éditions Pierre Horay de 1951 : par chance, les pages en sont déjà coupées...
Parce qu'il était le grand ordonnateur des fêtes et des bals mondains, les chansonniers avaient surnommé Fouquières : Pic de la Farandole...
Une heure. – Parvenus que nous sommes à son exact milieu, il nous semble que la quatrième, et jusqu'ici dernière, saison de Fauda, se situe un ou deux crans au-dessous des trois précédentes : intrigues trop dispersées, d'où une ligne directrice moins fermement tenue, cadre moins bien dessiné, personnages se diluant quelque peu. Cela posé, comme on était parti de très haut, cette saison reste parfaitement regardable. Et puis, quoi : on soutient Israël ou on ne le soutient pas, bon sang !
Mercredi 24
Sept heures. Net progrès : ce matin, en place du funeste Lac Majeur qui me poursuit depuis trois jours, je me suis réveillé chantonnant : There is a river called the river of no return... Je dois dire que je trouve la fréquentation de Marilyn nettement plus agréable que celle de ce brave Mortimer. J'espère seulement que la rivière de celle-là ne va pas aller se perdre dans le lac de celui-ci.
– Pour ce qui est de la quatrième saison de Fauda, il me faut en rabattre : à mesure qu'on s'y avance, elle devient de moins en moins bonne, avec de gros “trous d'air” que les scénaristes remplissent d'insipides bavardages et de philosophie de comptoir. Les personnages subissent une étrange mutation : on avait affaire à des combattants du genre musclé, on se retrouve avec de tristes fantômes d'hommes, passant une bonne partie de leur temps à bêtifier avec leurs femelles respectives au lieu d'aller dézinguer du Palestinien féroce. Du reste, les femelles subissent elles aussi une “américanisation” du même genre : alors qu'elles ne répugnaient nullement à faire le coup de feu aux côtés de leurs hommes, ou à interroger “virilement” les prisonniers récalcitrants, voilà qu'elles se mettent à enfanter et ne sont plus occupées que de leurs ovaires et de leurs petites dépressions post partum.
L'explication de tout cela me semble assez évidente. Les trois premières saisons étaient de purs produits israéliens. Puis, la série a été achetée par Netflisque, qui a ensuite accouché de la quatrième saison. Et comme ces gens-là ont une fâcheuse tendance à salir tout ce qu'ils touchent, ils ont introduit les doses massives de niaiserie qui leur semblaient indispensables. Il y a des gifles qui se perdent...
–
Lorsqu'il a réellement quelque chose à dire sur un livre ou un
écrivain, Angelo Rinaldi reste tout à fait lisible encore aujourd'hui.
Mais quand il n'est pas très inspiré, ce qui lui arrive finalement assez
souvent, il se mue alors en un pénible et impitoyable phraseur.
Cinq heures. – Alexandre Duval définissait ainsi les “bouillons”, restaurants bon marché fondés par son père : beaucoup de brie pour rien.
–
Une information amusante, piquée chez mes analphabètes de concours : «
Un couple du sud de la France gagne un million d'euros au loto après 30
ans de participation. » Ce qui représente 2500 € par mois durant ce
temps, soit un salaire à peine correct. Un million d'euros, c'est à peu
près ce que m'ont rapporté les Brigade mondaine que j'ai écrits : ça ne m'a pris que 20 ans et je n'ai même pas eu à acheter de billets pour pouvoir jouer.
Jeudi 25
Neuf heures. – Une autre chose qui a le don de provoquer chez moi une irritation que j'admets être hors de proportion avec son objet, en ce qui concerne les faiseurs de sous-titres télévisuels. Ces analphabètes semblent ignorer l'orthographe française des noms propres et, dans leur inculture crasse, adoptent en toute bonne conscience, je suppose, l'orthographe anglaise. C'est évidemment fort sensible dans les films et séries tournés dans une langue n'ayant pas recours, pour écrire, à notre alphabet. C'est ainsi que, dans Fauda par exemple, Karim est devenu Kareem, Abdou Abdu, Mourad Murad, etc. C'est encore pire pour ce qui concerne les noms de famille. Par exemple, dans la dernière saison, l'un des personnages s'appelle audiblement Taoualbi. Dans les sous-titres il devient Tawalbe, ce qui, en français, ne correspond que de fort loin à ce que l'oreille entend. C'est un détail, sans doute, mais qui en dit long sur la compétence de ces semi-ânes ; qui, si ça se trouve, ont peut-être obtenu un master de “traductologie” sous la direction du distingué professeur Cingal.
(Lorsque je veux taper ce nom, Cingal, l'iBigo, qui se croit décidément tout permis, me le transforme automatiquement en “Cingalais”...)
– Une dame du monde, chichement gâtée par la nature, demandait à l'abbé Mugnier si c'était un péché de se regarder nue dans sa glace. Réponse immédiate de l'abbé : « Non madame, c'est une erreur... »
Six heures. – Depuis environ deux jours, j'ai une envie assez tenace de revoir les meilleurs films de Louis de Funès. Catherine m'ayant encouragé à satisfaire la dite envie, je viens de commander un coffret contenant les trois films réalisés par Oury : Le Corniaud, La Grande Vadrouille et Les Aventures de rabbi Jacob ; plus, en disque séparé, l'indispensable chef-d'œuvre qu'est Pouic-Pouic.
–
Titre curieux chez mes analphabètes de référence : « Dreux : un homme
aurait “égorgé” sa femme et ses deux filles. » J'aurais bien aimé qu'on
m'explique en quoi consiste exactement un égorgement-entre-guillemets,
en quoi il diffère d'un égorgement-tout-nu. Sur le fond de l'affaire,
rien à dire contre cet homme : c'était sa femme, c'était ses
filles, il fait ce qu'il veut avec – surtout après avoir pris la
précaution de fermer les guillemets pour ne pas importuner les voisins.
Vendredi 26
Onze heures. – Lu d'une traite ce matin les 180 pages du Marie-Claire, de Marguerite Audoux, dont j'avais déjà entendu parler – par le journal de Gide entre autres – mais que je n'avais jamais lu : livre absolument remarquable, presque prodigieux, dont on comprend très bien qu'il ait pu susciter l'admiration immédiate de gens comme Mirbeau, Fargue, Gide déjà cité, Werth ou encore Larbaud et Alain-Fournier. Je vais essayer, cet après-midi de dire en quoi il est admirable dans un billet pour le blog-mère ; si j'y arrive...
Trois heures. – Billet écrit et publié : le moins que l'on puisse dire est qu'il n'est pas tout à fait à la hauteur de son sujet…
– Il y a, dans L'Atelier de Marie-Claire, une scène montrant un repas de fête dans un atelier de couture de l'avenue du Maine, offert par le couple de patrons à leurs couturières, brodeuses, etc., qui m'a fait irrésistiblement penser au repas de noces en la blanchisserie de Gervaise Macquart dans L'Assommoir de Zola. Sauf que, là, ce n'est plus un bourgeois qui se penche sur les mœurs ouvrières mais une simple couturière qui évoque sa propre vie ; avec un talent différent mais aussi haut.
J'ajoute que ce second volet du diptyque de Marguerite Audoux me fait également beaucoup songer à ma grand-mère paternelle, Denise, qui, trente ou trente-cinq ans après Marguerite, a dû connaître à peu près la même existence d'apprentie couturière ; sauf qu'elle travaillait de l'autre côté de la Seine, rue d'Aboukir.
Samedi 27
Dix heures. – Je termine à l'instant L'Atelier de Marie-Claire, de Marguerite Audoux, dont l'onde sonore si particulière continue à résonner en moi, au point que j'hésite à me lancer tout de suite dans la lecture de Miss Mackenzie : j'ai peur que ce cher Trollope n'entre trop violemment, et à son détriment, en collision avec Marguerite, tant leurs univers me semblent étrangers l'un à l'autre, comme issus de deux galaxies très éloignées à la fois dans l'espace et le temps. Mais peut-être y a-t-il moyen de découvrir des passages de l'une à l'autre, des sortes de “trous de ver” littéraires...
Quatre heures. – Je ne sais comment ni pourquoi, alors que j'étais en pleine aventure trollopienne, une assez impérieuse envie m'est soudain venue de relire Flannery O'Connor. Je pense que je vais y céder.
Dimanche 28
Huit heures. – De Trollope, dans Miss Mackenzie : « Pour beaucoup de femmes, je pense que le moyen le plus efficace de toucher leur cœur est de les maltraiter puis de le reconnaître. Si vous voulez exprimer d'une herbe ses plus doux parfums, piétinez-la et écrasez-la. » Voilà une vision des choses qui aurait bien du mal à “passer” de nos jours. Pourtant, ne contient-elle pas un certain fond de vérité ?
Dix heures et demie. – Me voici pour une grande heure sur le parking de Pacy, attendant Catherine qui est à la messe pentecostale (je doute fort qu'elle s'appelle ainsi, mais bon). J'ai été fort surpris, un dimanche matin, de ne pas être contraint, faute de place, d'y rester en double file. Du coup, je regrette de n'avoir pas emmené Charlus, à qui j'aurais pu offrir une petite promenade pacéenne, toute pleine de nouvelles odeurs certainement très excitantes pour lui.
Deux heures.
–Commencé à parler ici de Houellebecq, de Renaud Camus et du pitre
Asensio. Finalement, j'ai préféré en faire un billet pour le blog-mère, à
paraître demain.
– Parfois, dans les romans anglais, quand on voit ces jouvencelles victoriennes hésiter durant des centaines de pages entre deux, trois, voire quatre prétendants, préférer un moment celui-là, puis plutôt tel autre, revenir au premier tout en regrettant le second avant de pencher pour un troisième, etc., on a envie de leur donner un conseil en forme d'injonction : attrapez donc le premier qui se présentera demain matin chez vous, traînez-le jusqu'à votre virginale litière et faites-vous séance tenante déblayer le berlingot. Vous verrez qu'après ça, les choses vous apparaîtront plus simples et le choix plus clair. Mais, évidemment, si elles se mettaient à suivre nos avis, les romans y perdraient une bonne partie de leur charme...
Lundi 29
Trois heures. – Commencé Alexis Zorba, de Nikos Kazantzakis. Il y a longtemps que je n'avais pas mis le pied en Crète, moi… Donc, voici :
« Nous débarquâmes l'après-midi sur notre plage. Un sable blanc, comme passé au tamis, des lauriers-roses encore en fleur, des figuiers, des caroubiers, et plus loin, sur la droite, une colline sans arbres, basse et grise, qui faisait penser à un visage de femme renversé. Avec, sous le menton, son cou strié par les veines bistrées du lignite. »
Cinq heures. – Du narrateur d'Alexis Zorba : « Mon grand-père n'avait jamais quitté son village. Il n'était même pas allé à Candie [ancien nom de la ville crétoise d'Héraklion] où à Réthymno. “Pourquoi irais-je, disait-il. Les gens de Réthymno et de Candie passent par ici, Réthymno et Candie entrent chez moi, ça me suffit. À quoi bon y aller moi-même ?” »
Parfaite sagesse du vieil enraciné crétois, que n'aurait certainement pas renié un Baudelaire :
L'homme ivre d'une ombre qui passe
Porte toujours le châtiment
D'avoir voulu changer de place.
Mardi 30
Deux heures. – Avant-dernière journée de calme : après-demain, à cette même heure, je franchirai le seuil de la clinique Jouvenet, sise en la rue parisienne éponyme, afin de m'y faire charcuter le sénestre œil. J'ai de plus en plus hâte d'y être. Non par je ne sais goût morbide du charcutage, mais par lassitude d'avoir l'événement en ligne de mire. Cela dit, je continuerai à l'avoir devant moi, puisqu'il me faudra y retourner le jeudi suivant afin de faire subir le même sort au dextre.
Mercredi 31
Midi. – Donc, demain, lorsque mes douze lecteurs s'attelleront à la lecture de ce journal de mai, je serai en train ou sur le point de me faire charcuter l'œil gauche – et l'œil droit exactement une semaine plus tard, même heure, même endroit. Compte rendu de cette double équipée dans un mois, sauf si j'ai dû entretemps remplacer ce clavier par une canne blanche flambant neuve…
Tiens, “du coup”, je crois que je vais publier ce journal dès aujourd'hui, au risque d'engendrer de graves chocs psychologiques chez les plus routiniers de mes apôtres (on remarquera que je n'ai nommé personne…).
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