vendredi 1 septembre 2023

Août 2023

 

 




JE RÉÉDITE WHARTON





– Le traducteur de Tom Wolfe devrait apprendre que Don Quichotte ne chevauche pas une mais bien un Rossinante, lequel est un cheval et non une jument.

(Note prise le 31 juillet, peu avant midi.)


Mardi 1er

Dix heures. – Finalement, nos Québécois sont restés à Paris jusqu'à minuit. Quand ils sont arrivés, sur le coup d'une heure, cette andouille de Charlus n'a pas jugé bon de pousser le moindre petit jappement d'avertissement. Tu parles d'un gardien...

Six heures. – Parce que c'est officiellement aujourd'hui la dernière limite pour déclarer en ligne ses “biens immobiliers”, chose que je n'ai apprise qu'hier et incidemment par Catherine, je tente depuis ce matin de m'acquitter de cette tâche stupide… sans le moindre succès pour l'instant : à chacun de mes nombreux essais, le site impots.gouv a “bugué” à un stade ou à un autre. 

– Mon souvenir ne me trompait pas à propos du Moi, Charlotte Simmons de Tom Wolfe : le roman est nettement moins bon que Le Bûcher des vanités et aussi que Un homme, un vrai. On aura beau me dire ce qu'on voudra : mille pages pour arriver à dépuceler enfin la péronnelle éponyme et lui faire découvrir les vertus désinhibitrices de la vodka-orange, je trouve que c'est un peu beaucoup.

Sept heures. – Il y a environ dix minutes, juste avant de fermer l'ordinateur, je me suis dit : « Allez, tiens, offre-toi un dernier petit tour chez tes amis d'impots.gouv ! » ; et, là, tout a marché comme sur des roulettes.  Profitant de cette bonne volonté, je leur ai expédié un petit message pour leur demander d'éclaircir le mystère suivant : pourquoi la maison de ma mère figure-t-elle dans mes “biens immobiliers” alors que je n'en suis nullement propriétaire ?


Mercredi 2

Huit heures. – Retour provisoire à la normale, Élodie et Jean étant quelque part entre Seine-Maritime et Somme ; et provisoire parce qu'il repasseront par ici vendredi et samedi, avant d'aller reprendre, dimanche matin, leur avion pour Québec via Montréal.

Deux heures. – J'ai oublié de noter ici que, depuis quelques semaines, nous avons une nouvelle femme de ménage, l'ancienne s'étant évanouie dans la nature. La nouvelle travaille très bien. Le problème est qu'elle est à la frontière de la débilité mentale : elle ne comprend rien qu'on ne lui ait répété quatre ou cinq fois, y compris les choses les plus élémentaires (du style, par exemple : cette semaine, inutile de faire les poussières ; ou bien : pensez à passer l'aspirateur dans l'arrière-cuisine), et elle-même répète trois ou quatre fois de suite tout ce qu'on lui dit, soit parce qu'elle a absolument besoin d'une confirmation immédiate, soit parce qu'elle essaie désespérément de graver telle ou telle indication dans ce qu'elle possède de mémoire. Elle épuise Catherine (moi, je fuis lâchement dans la Case dès qu'approche l'heure de son arrivée, et n'en ressors que quand elle nous quitte).


Jeudi 3

Midi. – Il y a environ deux semaines, mon journal du mois dernier en est l'impartial témoin, je me suis décidé à acheter le second film formant suite à la série Downton Abbey, film que nous avons regardé avec beaucoup de plaisir. Et qu'est-ce qui vient tout juste d'arriver sur les ondes netflicardes, et que nous aurions donc pu voir gratuitement moyennant dix jours d'attente ? Eh oui : le second film formant suite, etc. Fuck 'n' Shit, tiens !

Deux heures. – Il pleut quasiment sans discontinuer depuis trois jours et la température ne parvient même plus à atteindre 20 degrés au plus caniculaire de l'après-midi. Du coup, la calotte glaciaire normande semble moins inquiète de son avenir.

– Au sortir de ma sieste, parce que le vent soufflait depuis ce matin et qu'il n'était pas tombé une seule goutte d'eau depuis au moins une heure, je me suis dit que j'allais empoigner la tondeuse à gazon juste après avoir bu mon café. Lorsque je suis sorti sur la terrasse, pipe et tasse en mains, j'ai pu voir que, à l'ouest immédiat du Plessis, le ciel était aussi plombé qu'une roulotte de Romanos. À la troisième gorgée de café, l'eau a chu de nouveau, adieu tondeuse et herbe rase.


Vendredi 4

Sept heures. – Hier soir, parce qu'il venait d'échouer sur Netflisque, nous avons revu le deuxième Terminator. Ce film (moins bon que dans notre souvenir, trop long), nous l'avions vu en salle lors de sa sortie, en 1991 donc. Je crois bien que c'est la seule fois où Catherine et moi sommes allés au cinéma ensemble. Ce dont je suis à peu près sûr en tout cas c'est que, moi, je n'y suis plus retourné ensuite. Il y a donc 32 ans que je n'ai pas mis les pieds dans une salle, sans que cela me manque le moins du monde.

Neuf heures. – Il y a un instant, prenant mon café dehors, je me suis surpris, légèrement atterré, à lier conversation avec l'une des sept vaches qui occupent depuis quelques jours la pâture voisine. Fort bien élevée, elle s'est avancée jusqu'à la haie mitoyenne et m'a sobrement répondu.

– Sinon, je viens de me découvrir un super-pouvoir, qui devrait être facilement monnayable dans de nombreuses régions du monde : il me suffit désormais de seulement penser à ma tondeuse pour qu'il se mette aussitôt à choir des trombes d'eau céleste. 

Six heures. – Il y a environ une heure, message d'Élodie à sa mère pour lui apprendre que finalement Jean et elle restaient en Picardie et n'arriveraient donc chez nous que demain dans la journée. Très net agacement de Catherine… qui venait de passer la moitié de sa journée à préparer plat principal et pâtisseries à leur intention. Elle l'était d'autant plus, agacée, qu'Élodie a maladroitement essayé de lui persuader qu'elle l'avait avertie dès ce matin, mais que “mes messages ne sont pas pas passés” ; ce qui, au dire de Catherine, ne peut se faire sans que l'expéditeur le voie. D'autre part, comme elle me l'a fait remarquer, il restait cette solution toute simple : téléphoner. Mais enfin, Élodie  a toujours été ainsi, d'un égoïsme tranquille et inentamable, ce n'est sûrement pas la cinquantaine passée qu'elle va s'arranger de ce point de vue.

 

Samedi 5

Dix heures. – Très heureux de constater que mon super-pouvoir est toujours aussi agissant. À neuf heures, constatant que le vent venait de se lever, j'ai décidé de tondre le jardin en début d'après-midi. À neuf heures trente-huit exactement, la pluie a commencé à tomber. C'est donc l'âme sereine et l'esprit en paix que je puis retourner au Bûcher des vanités, décidément le meilleur des quatre romans de Tom Wolfe (mais je n'ai pas encore relu celui qui se passe à Miami).

Quatre heures. – Nos Québécois sont bien arrivés de la Somme… et sont présentement occupés à faire leurs bagages – dont je me demande comment ils vont les faire entrer dans leur minuscule Fiat de location (leur “suppositoire à camion”, aurait dit mon père) – avant de repartir, demain matin, pour Roissy. Ils auront bien mérité leur apéritif de tout à l'heure…


Dimanche 6

Dix heures. – Élodie et Jean, à l'heure qu'il est, doivent être arrivés à Roissy. Leur avion est prévu pour décoller à deux heures, direction Montréal.

– Nouvel exemple de la stupidité qui frappe souvent le couple éditeur/traducteur : le quatrième et dernier roman de Tom Wolfe s'intitule originellement Back to Blood. Un titre que le couple maudit a choisi de “traduire” par… Bloody Miami. Traduire revient donc, dans ce qui tient lieu d'esprit à ces gens, à remplacer un titre anglais par un autre titre anglais.


Lundi 7

Dix heures. – Finalement, c'est très bien que Tom Wolfe n'ait écrit que quatre romans : à la relecture, il m'apparaît que chacun d'eux est moins bon que celui qui l'a chronologiquement précédé. Assez nettement moins bon même.

Une heure. – Aujourd'hui, tontine. Il y a des siècles que je n'ai pas tondu et, avec les pluies de ces dernières semaines, tout le jardin est en voie de junglification. Je m'y mettrai d'ici une petite heure, histoire de laisser au vent le temps de sécher un peu tout ça.

Trois heures. – Corvée accomplie ! Retour à Tom Wolfe. Je crois avoir compris pourquoi Bloody Miami est le moins réussi de ses quatre romans : parce qu'il a laissé le reportage prendre le pas sur le roman proprement dit, le phagocyter. De ce fait, les personnages se retirent – comme s'ils étaient vexés… –, le livre ne parvient pas à se forger une colonne vertébrale et se répand un peu dans tous les sens. Les autres qualités wolfiennes sont toujours là, mais diffuses, diluées. On dirait un peu, ce roman, un jardin français que l'on aurait laissé se faire envahir par la broussaille. 


Mercredi 9

Dix heures. – Hier, dit adieu (ou au revoir ?) à Tom Wolfe. Nous nous quittons sur la déception qu'a été pour moi la relecture de Bloody Miami, son dernier roman. C'est Joyce Carol Oates qui l'a remplacé. J'ai repris Blonde, son livre “ni roman, ni biographie” centré sur Marilyn, que j'avais abandonné à peu près à la moitié de ses mille pages (en format “non poche”…) lors d'une première lecture. On va voir ce que ça donne cette fois-ci. Il va de soi que je l'ai repris da capo.


Jeudi 10

Onze heures. – Pour l'instant, après 350 pages, je ne vois toujours pas ce qui, lors d'une première lecture, m'a fait abandonner à la moitié le Blonde de Joyce Carol Oates. Mais enfin, ce fatidique milieu n'a pas encore été atteint, il s'en faut de 150 pages… Il reste que cette lecture n'est pas sans dommages financiers collatéraux. Car cette plongée dans la vie de Marilyn Monroe – plongée étrange, inqualifiable au sens propre du mot, où beaucoup de choses sont imaginées mais où tout est pourtant vrai – m'a donné envie de lire juste après une véritable biographie de Marilyn… que j'ai commandée ce matin. Ensuite, il y a un instant, scène réussie de l'audition qui va conduire Norma Jeane Baker vers son premier vrai rôle, dans son premier vrai film, sous la direction de son premier vrai cinéaste. Même si Oates demeure dans un genre de “flou artistique”, le lecteur comprend facilement que la starlette est face à John Huston et qu'elle auditionne pour le petit rôle qu'en effet elle obtiendra dans le superbe Asphalt Jungle, devenu en français Quand la ville dort ; film que j'ai eu immédiatement envie de revoir… et que je viens de commander à l'instant même (la carte dorée en est encore toute chaude). À ce rythme-là, je serai ruiné avant d'avoir atteint la millième et dernière page du livre de la diabolique Joyce Carol.

Cinq heures. – Qu'est-ce que je disais tout à l'heure ? Je sens monter l'envie d'aller voir chez Dame Ternette si, par hasard, je ne trouverais pas quelque coffret contenant les films de Marilyn...

Six heures. – Trouvé un coffret de 17 films. Je l'ai mis dans mon petit panier… mais ne l'ai pas commandé : dépensier, certes, mais réfléchi.


Vendredi 11

Dix heures. – Gloussé tout à l'heure en découvrant cette information, piquée dans le marais touitteresque (c'est moi qui souligne) : en Irlande, les victimes de violences conjugales pourront désormais prendre un congé payé de cinq jours sans fournir de preuve à leur employeur. Autant dire que tout Irlandais marié dispose dorénavant de cinq jours de congés supplémentaires. J'en suis fort content pour eux, mais j'imagine déjà l'indignation des célibataires, des pacsés, des à-la-colle et des veufs, hurlant à la discrimination. À moins qu'il ne soit plus nécessaire d'être marié, en Irlande, pour “bénéficier” des bienfaits de la violence conjugale ? Va-t-on bientôt voir défiler dans les rues de Dublin d'interminables théories de manifestants, brandissant des pancartes vindicatives pour réclamer “la violence conjugale pour tous” ? Je n'en serais même pas surpris.

Midi. – Il y a tout de même des hommes bizarres, des sortes d'énigmes. Joe Di Maggio par exemple : quand on ne supporte pas que les autres mâles regardent sa femme, on devrait éviter d'épouser Marilyn Monroe. Enfin, il me semble.


Samedi 12

Huit heures. – Lorsqu'il arrive au terme des mille pages de Blonde, le lecteur est certain qu'il vient d'être le témoin (passablement éprouvé lui-même...) d'un authentique cas de possession. Mais laquelle au juste ? Joyce Carol possédée par l'esprit de Marilyn ou l'inverse ? Est-ce le mort qui a saisi le vif ? Ou bien le vif qui a rendu son souffle au mort ? Sans doute un mélange des deux. Un cas de possession double, réciproque, mutuelle.

– J'ai découvert hier, sur le blog d'un ami de Nicolas – que j'ai rencontré moi-même plusieurs fois à La Comète – le terme d'islamopithèque, pour désigner ce que l'islam engendre de plus méchamment abruti parmi ses sectateurs : je suis jaloux de ne pas l'avoir trouvé moi-même, celui-là…

– Le marais touitteresque ne manque pas de greluches divertissantes. Certaines poussent même l'humour jusqu'à avoir des noms qui ressemblent à des pseudonymes. Chez le professeur Cingal on croisait déjà, régulièrement, une Marie Coquille, méchante petite musaraigne tatouée et au crâne surmonté d'une sorte de balai O'Cedar à poils longs ; voici qu'apparaît aujourd'hui une Marie Sonnette. Elle se présente comme une “sociologue maîtresse de conférences” de 40 ans. Et voici comment s'exprime de nos jours une sociologue maîtresse de conférences de 40 ans : « Vous avez probablement une meilleure expertise que moi, qui a consacré une thèse et plusieurs ouvrages sur le sujet, etc. ».  En 19 mots, trois fautes de français grossières : expertise à la place d'expérience, a consacré au lieu de ai consacré, sur le sujet à la place d'au sujet. Et on confie des étudiants à des analphabètes de ce calibre. Mais, évidemment, toutes ces Coquille vide et ces Sonnette d'alarme ont l'immense vertu d'être impeccablement écolo-woko-féministo-gaucho-etc., ce qui fait d'elles d'incriticables saintes laïques.

Trois heures. – Mme Michèle Lévy-Bram est une traductrice professionnelle, apparemment. On lui doit entre autres la version française de Confessions d'un gang de filles, le roman de Joyce Carol Oates que j'ai repris pour faire suite à Blonde. Cela n'empêche nullement Mme Lévy-Bram d'ignorer comment se conjugue le verbe “faillir” : au présent, tel qu'elle l'utilise, on ne dit pas “je faillis, il faillit”, qui sont la forme du passé simple, mais bien “je faux, il faut”. Si l'on trouve que cette forme “passe” mal, on change de verbe.

– Dans ce roman d'Oates, nous sommes face à une narratrice en quelque sorte dédoublée. Maddy Wirtz, l'une des membres du gang du titre, s'est faite l'historienne du groupe (de fait, elle écrit le roman que l'on est en train de lire). Mais, quand elle relate une expédition collective, elle se met en scène à la troisième personne, à l'égal de ses comparses... pour, aussi bien, revenir à la première personne au milieu d'un paragraphe, quand elle éprouve le besoin de préciser quelque chose ou d'émettre une idée avec le recul du temps (car le lecteur sait depuis le début que Maddy écrit assez longtemps après la dissolution du gang). Il résulte de tout cela un style inhabituel, assez agréable dans son originalité et toujours parfaitement “coulant” et clair.

Cela dit, ce n'est certainement pas ce roman que je conseillerais, à qui me demanderait par quoi aborder l'œuvre de Joyce Carol Oates. Mais comme on ne me demande rien...

– Sans m'vanter, je pense que j'aurais fait un assez bon traducteur... si j'avais pris la peine d'apprendre une ou l'autre de ces foutus idiomes estrangers. Voilà ce que c'est que d'être linguaphobe...

 

Dimanche 13

Dix heures. – Depuis hier, à Cherbourg, une femme est entre la vie et la mort, suite aux viols et tortures répétés que lui a fait subir un sympathique jeune homme de 18 ans, aux origines plaisamment exotiques. Pas un bruit sur Twitter à ce propos, nos sœurs de combat étant actuellement bien trop occupées à se mobiliser contre le “viol conjugal” pour s'intéresser à un vulgaire fait divers : on ne peut pas être partout ni se battre sur tous les fronts. Pas un bruit ? Ah, si, tout de même : une vieille écolo-gauchiste qui signe “Stéphanie from the 12” (on est prié de ne pas rire, ni même d'esquisser un sourire…) trouve un moment pour s'indigner… de ce qu'on lui demande de s'indigner du fait divers en question ; lequel, à ses yeux chassieux, a le grand tort d'être évidemment “récupéré par l'extrême droite” en raison du prénom fâcheusement islamoïde du jeune bourreau. Il ne faudrait pas la prendre pour une conne, Mme From-the-12, hein ! Qu'on ne compte pas sur elle pour se mettre à hurler avec les loups vert-de-gris, alors qu'il y a tellement de draps matrimoniaux à inspecter pour y repérer les traces de viols conjugaux, autrement plus préoccupants, on ne vous le serinera jamais assez.

Bref, tout est normal.

Deux heures. – Abandonné à mi-chemin le roman que j'évoquais hier. Je pense que le talent de JCO n'est nullement en cause, mais cette histoire de gang d'adolescentes des années cinquante... la distance entre elles et moi était vraiment trop grande, sans doute. Repris à la place le roman d'Edith Wharton intitulé Sur les rives de l'Hudson. Comme j'ai relu récemment le roman de JCO qui s'appelle Hudson River, le dépaysement risque d'être modéré ; et le décalage horaire nul.

Six heures. – Sait-on que, seulement septième mondial par la superficie, le lac Baïkal contient autant d'eau à lui seul que les cinq Grands Lacs américains réunis ? Moi, je l'ignorais il y a encore une couple d'heures. Merci qui ? Merci Wiki !

 

Lundi 14

Neuf heures. – Notre modeste jardin se croit sans doute au printemps, avec son herbe vert fluo, épaisse, grasse, drue, ayant poussé de près de vingt centimètres en une semaine. Comme si elle ignorait que nous subissons la pire sécheresse qu'ait connu la terre depuis le Crétacé supérieur (au moins). Bref, tout à l'heure, lorsque la dite sécheresse aura bien voulu faire s'évaporer un peu la ruisselante rosée de la nuit : tontine.


Mardi 15

Neuf heures. – Nos téléphones nous proposent des services météorologiques de plus en plus sophistiqués, actualisés quasiment tous les quarts d'heure. Je suis d'autant plus fasciné par leur incapacité, presque systématique, à dire le temps qu'il fait en ce moment même. Et aussi, quand ils se trompent manifestement, par leur étonnante persistance dans l'erreur : ils n'ont jamais la curiosité de regarder par la fenêtre, ces gens ?

– Quand Edith Wharton, dans Sur les rives de l'Hudson, évoque les révolutionnaires d'habitude (les rebelles de confort, chers à Muray) qui enthousiasment sa vieille Mrs Spear, elle les qualifie de “pâles conformistes vieillissants” : pour un peu, on croirait que, bondissant dans le temps, elle a rencontré les zozos de la France insoumise. Elle aurait pu, si c'était le cas, y ajouter ces petites bourgeoises piaillantes, qui, au moins aussi conformistes que leurs aînés, se contentent de se laisser porter par le courant dominant, alors même qu'elles sont persuadées (et fières) de nager contre lui : si demain ce courant bifurque, voire s'inverse, elles bifurqueront avec lui ; sans même s'en apercevoir.

Onze heures. – Depuis une demi-heure sur un petit parking du village de Croisy, où j'ai véhiculé Catherine qui souhaitait, en ce 15 août, assister à la messe chez les sœurs de l'endroit. Après une promenade agreste au bout de la laisse de Charlus, j'ouvre le recueil des chroniques de Rinaldi, qui me fait office de lecture de secours quand je fais le chauffeur attendant son client. Et me voici, dix minutes plus tard, pantelant du désir d'acquérir les Cahiers de Cioran dont, jusqu'à présent, j'ignorais qu'ils existassent.

– Par ailleurs, toujours grâce à Rinaldi, je viens d'apprendre l'existence, et tout de suite après la signification, de l'adjectif amouillante : se dit d'une vache sur le point de vêler. Voilà.

Une heure. – Pas moyen, apparemment, de trouver les Cahiers de Cioran à moins de 45 € : qu'ils se les gardent. Si vraiment il m'arrive d'être en manque d'Emil, je n'aurai qu'à relire les Syllogismes de l'amertume ou encore son Précis de décomposition.

Cinq heures. – Question saugrenue qui me tombe dessus : si nous parvenions à voyager dans le temps, nos téléphones portables fonctionneraient-ils dans le passé ? A priori, on a évidemment tendance à répondre “non” ; voire à se contenter de hausser les épaules, pour signifier que l'on trouve la question idiote (de fait, elle l'est, d'une certaine façon). Mais en est-on si sûr ? Après tout, on peut considérer comme à peu près certain que tout cela, réseaux et appareils, fonctionnera encore dans dix ans. Donc, pourquoi pas il y a dix ans ? Ou cent ans ? Que savons-nous réellement des rapports entre le monde matériel et le temps, en dehors du banal phénomène d'usure ? À peu près rien, il me semble. On me dira : mais comment voulez-vous que votre téléphone fonctionne à une époque où il n'était même pas inventé, ni internet, ni rien de ce qui lui permet de vous rendre ses habituels services ? Je répondrai par une autre question : si nous voyageons effectivement dans le passé, comment pouvons-nous y vivre alors que nous n'avons pas encore été engendrés, ni nos parents non plus ? Non, en réalité, pour ce qui concerne la vie de l'iBigo en 1750, le seul vrai problème serait peut-être celui du rechargement de sa batterie...


Mercredi 16

Onze heures. – Eh bien, finalement, parce que je persistais à en avoir envie, je les ai bel et bien mis dans mon p'tit panier, ces Cahiers de Cioran, trouvés à 35 € port inclus. En revanche, j'ai repoussé la commande jusqu'au prochain “mois carte dorée”, c'est-à-dire jusqu'à lundi : on ne saurait être plus raisonnable, il me semble.

– Un blogueur normand nous informait ce matin qu'il lui était arrivé de travailler, pour un organisme quelconque, “dans le cadre d’un projet consacré à l’innovation”. Depuis que j'ai lu ça, je me demande ce que peut bien être un projet consacré à l'innovation. Et que sont censés faire les gens qui se retrouvent coincés dans le cadre de ce projet. J'ai souvent l'impression, désormais, que le monde moderne m'échappe de plus en plus : je m'en réjouirais plutôt.

Midi. – Première fois que je vois une chose pareille. Je reçois à l'instant la biographie de Marilyn commandée la semaine dernière. Je l'ouvre. Mes yeux tombent sur la mention classique : “Traduit de l'américain par”. Et, là, s'alignent pas moins d'onze (oui : 11) noms de traducteurs et trices ! Ce n'est plus un livre que j'ai entre les mains, c'est un patchwork.

– Élodie est tombée récemment, Catherine dixit, sur une série netflicarde consacrée à Anne Boleyn. Avec, dans le rôle titre, une actrice noire. Évidemment. Il est tout de même dommage que ces pitoyables guignoleries soient toujours à sens unique : j'entends d'ici les couinements des ouistitis progressistes si, demain, un cinéaste consacrait un biopic à Louis Armstrong avec Mel Gibson dans le rôle principal ; ou un film sur Rosa Park jouée par Glenn Close. Mais hélas, aucun producteur n'aura jamais de pulsions suicidaires assez puissantes pour mettre ne serait-ce qu'un dollar dans une telle “appropriation culturelle”. Dommage, on aurait bien ri...


Jeudi 17

Midi. J'aime beaucoup cette injonction faite par Darryl F. Zanuck à ses collaborateurs : « Attendez que j'aie fini de parler avant d'être d'accord avec moi ! »

 

Vendredi 18

Dix heures. – Demain, nous recevrons Rémi à déjeuner, ce qui n'est pas arrivé depuis un bon bout de temps. Le chablis est au chaud et les fromages au frais : il s'agira d'inverser radicalement la tendance demain matin, afin que les deux soient à température consommable pour midi. Et depuis que j'ai écrit la phrase précédente, je me demande par quel miracle une température pourrait être consommable.


Samedi 19

Sept heures. – Dès le début de Les Dieux arrivent d'Edith Wharton, ce tronçon de phrase : « il éprouvait des délices distincts à l'idée que ses premiers jours, etc. » Je rappelle à M. Jean Pavans que le mot “délice” devient féminin lorsqu'il passe au pluriel. C'est une amusante particularité que les élèves de l'ancien temps savaient à peu près dès le CM1.

Sur ce, m'en vas mettre le chablis au frais et sortir les fromages du frigo, afin que l'ami Rémi profite aux mieux de ces somptueuses délices...


Dimanche 20

Une heure. – La journée d'hier, en la compagnie de Rémi, s'est fort agréablement déroulée : le chablis était frais et buvable, les fromages moelleux, la salade de pâtes concoctée le matin même par Catherine délicieusement parfumée, et notre hôte plus disert qu'il ne l'avait jamais été, depuis plus de dix ans que nous le recevons. Lorsqu'il nous a quittés pour rejoindre la maison parentale à Évreux, je fus tout surpris de constater qu'il était déjà six heures et demie. Le silence et le chablis conjuguèrent alors leurs effets pour me plonger dans une sieste de l'espèce “vendanges tardives”. Sieste dont je ne sortis, une grande heure plus tard, que pour aller me coucher, renonçant très sagement au(x) Ricard un instant envisagé(s). Je me suis réveillé à six heures ce matin, frais comme un vieux gardon.

– Je la trouve assez terne et morne, cette biographie de Marilyn qu'a signée M. Donald Spoto. Mais je me demande si c'est vraiment sa faute, et s'il ne pâtirait pas plutôt (pâtir c'est mou'ir un peu...) de sa trop grande proximité de lecture avec l'étonnant Blonde de Joyce Carol Oates. Mais enfin, il me semble qu'il fait tout de même la part trop belle à tous les salmigondis freudiens.


Lundi 21

Une heure. – Une question que mon ignorance foncière a bien dû laisser sans réponse : doit-on écrire un “New-Yorkais” avec deux majuscules initiales, ou bien, considérant qu'il ne s'agit que d'un seul mot, certes composé mais tout de même unique, préférer “New-yorkais” ? Je penche pour la seconde orthographe, mais sans aucune certitude. Ce qui ne va pas m'empêcher de poursuivre ma lecture des New-Yorkaises – ainsi écrites par l'éditeur – d'Edith Wharton, commencée juste après le déjeuner. La conservation du titre original, Twilight Sleep, m'eût épargné de me poser des questions oiseuses.

 

Mardi 22

Neuf heures. – Journée desgrangienne : départ dans une heure et demie environ, pour être là-bas à midi tapante, comme d'habitude : lorsque je pousse la porte d'entrée avec deux ou trois minutes d'avance ou de retard, Michel consulte ostensiblement sa montre en affectant un air profondément surpris…


Mercredi 23

Onze heures. – Dans les pages “culture” de l'un des Valeurs actuelles rapportées hier de chez Michel, je découvre que l'ex-femme de Matthieu Woland, que nous avons accueillie ici avec lui une ou deux fois, vient de publier un livre. Son titre : Réussir son divorce...

Six heures. – La seule information vraiment importante de ce jour, trouvée chez mes analphabètes de référence : « L'iPhone 15 pourrait être livré avec un câble de recharge assorti à sa couleur. » Enfin une raison de se montrer optimiste, en ces temps de violences climatiques, d'épidémie conjugale et de réchauffement covidien ! La seule chose qui fait frémir, c'est tout  de même ce “pourrait”, ce conditionnel qui laisse planer un doute terrible : et si, finalement, le rêve se brisait ? Si l'iPhone 15 nous parvenait escorté d'un câble de recharge jurant violemment avec la couleur de l'appareil ? Je préfère ne pas y penser pour le moment : il sera bien temps de se suicider en masse si jamais une telle catastrophe en arrive à se produire.


Jeudi 24

Neuf heures. – Petit malentendu financiaro-bancaire ce matin. Sur le site de notre banque, je constate, dans mon relevé de carte dorée, une dépense de 99,50 € faite le 21 août, soit lundi dernier, au profit d'une entité commerciale appelée FamilyVets. Je n'avais aucun souvenir d'un achat de vêtements fait ces jours derniers par Catherine et, en attendant qu'elle veuille bien quitter les bras de mon rival, je parle bien entendu de Morphée, j'ai eu le temps d'imaginer les pires arnaques financières, dont celle-ci ne serait que la timide prémisse. Ma paranoïa naissante fut encouragée par le fait que Catherine, finalement démorphisée, m'assura n'avoir pas commandé le moindre bout de tissu...

Ce n'est qu'après une rapide et simple recherche auprès de Dame Ternette que nous comprîmes : le “Vets” de la mystérieuse raison sociale n'était pas là pour “vêtements” mais bien pour “vétérinaires”. Et les presque cent euros correspondaient à mon tout récent achat de nourriture charlusienne, effectué emprès la clinique de Saint-Aquilin. 

Notre erreur était cependant compréhensible dans la mesure où jamais jusqu'à ce jour notre bonne vieille clinique ne s'était présentée sous ce nom ridicule.

– J'ai reçu il y a deux jours le gros volume Gallimard contenant les Cahiers de Cioran. Après l'avoir un peu feuilleté, il m'a semblé qu'il ferait une excellente lecture “automobile” (quand je fais le chauffeur de Catherine et l'attends…), n'étant composé que de paragraphes très brefs et non liés entre eux (sauf par les thèmes obsessionnels propres à l'Emil…). Ce pauvre Cioran a donc immédiatement quitté le salon pour la banquette arrière de Soraya.

Midi. – Nicolas m'apprend à l'instant la mort brutale, par un cancer judicieusement qualifié de foudroyant, de Myriam Dal Molin. À l'époque “héroïque” des blogs, elle était connue dans ce petit milieu sous le sobriquet de Marie-George Profonde. Nous ne l'avons, Catherine et moi, rencontrée qu'une fois, ce devait être en 2008, lors d'une soirée à la Comète. Et je nous revois, cette Marie-George et moi, sur la terrasse du bistrot, chantant en duo plusieurs refrains de Trenet que nous connaissions tous deux par cœur. En tant que dessinatrice, elle avait, il y a trois ou quatre ans (à vue de mémoire...), publié un livre en commun avec cette autre blogueuse pseudonommée Olympe, que nous avons reçue ici même, pour un apéritif, alors qu'elle se trouvait en séminaire de travail... au Plessis-Hébert. Pour revenir à l'infortunée Marie-George/Myriam, elle avait tout juste 50 ans. Et, en effet, c'est l'image d'une jeune femme dans la trentaine, fort souriante, que je revois chantant avec moi assis en face d'elle : Je t'attendrai à la porte du garage...

– Le roman de Mrs Wharton que je termine tout juste, Les New-Yorkaises, est délicieusement immoral, puisqu'on y voit un avocat de la meilleure société coucher avec sa bru, quasiment sous les yeux de sa femme et de leur fille. Tout le talent de l'écrivain consiste à nous le laisser comprendre, non seulement sans nous le dire, mais même sans nous donner le moindre indice vraiment concluant. Si bien que, la dernière page tournée, le lecteur décontenancé en arriverait presque à s'accuser d'avoir imaginé de telles turpitudes, à cause de son esprit particulièrement vicieux.

– Question : sachant que l'épouse de mon fils est  dite ma belle-fille, la femme de mon beau-fils sera-t-elle ma belle-belle-fille ?

Deux heures. – Mme Gabrielle Rolin était, me confirme Dame Ternette, une romancière belge. Son statut d'écrivain ne l'empêcha nullement d'écrire, dans sa traduction des Boucanières d'Edith Wharton (c'est moi qui souligne) : « C'était justement DE ça DONT je voulais te parler... » Les ossements blanchis de son compatriote Grevisse ont dû se mettre à cliqueter dans leur sépulcre.

– Nationalisation des banques, impôts égalisant les revenus, centralisation du crédit entre les mains de l'État, impôt sur la fortune, confiscation des immeubles de rapport : le programme de la nupes en 2023 ? Non : celui de Mussolini en 1920.

Six heures. – Titre analphabétoïdal : « Chef, penseur ou commentateur, Emmanuel Macron tente de se redoser. » Ce “redoser” me laisse rêveur, moi qui ne savais même pas que l'on pouvait se doser.


Vendredi 25

Six heures. – Il y avait longtemps que je ne m'étais pas levé “de nuit” : c'est bon signe, celui que l'été s'éloigne.

– En fin de matinée, petite expédition à la clinique Pasteur d'Évreux, afin de m'y faire IRMiser la prostate. Voilà un type d'examen que je n'ai encore jamais subi : une expérience qui en vaut une autre...

– Stupeur amusée hier soir en constatant qu'à peine rentrés de leurs vacances d'été, nos “voisins Volvo” ont déjà commencé à illuminer leurs décorations de Noël. L'impression que, chaque année, ils s'y mettent un mois plus tôt que la précédente : je suppose qu'ils aspirent au Noël permanent.

– Par ailleurs j'ai, encore ce matin, l'esprit tout encombré de l'infortunée Marie-George/Myriam, une femme que j'ai croisée une seule fois dans ma vie, il y a 15 ans de cela, et à laquelle depuis, pour reprendre l'expression de Stravinsky à propos de Florent Schmitt, “je ne pense pas tous les jours” : ça devient ridicule.

Onze heures moins le quart. – Avec une confortable avance, me voici installé dans la salle d'attente des IRMistes. Il n'y a pas foule, ce qui est plutôt bon signe. Et pas de radio ni de télévision qui hurlent leurs insanités sonores...

Onze heures vingt. – Examen terminé ! Expérience amusante : l'impression de participer à la répétition générale de sa propre mise en bière.

Une heure. – Pour ceux qui ne savent pas, une IRM est découpée en un certain nombre de “sessions” sonores (très sonores...), mais dont les sons diffèrent de l'une à l'autre, allant du mugissement uniforme aux “coups de klaxon” très rapprochés. Avant chaque nouvel épisode, une voix dans le casque dont on a équipé vos oreilles vous avertit du temps qu'il va durer. Dans mon cas, cela variait de “moins de trente secondes” à quatre minutes pour le bouquet final. Comme je n'avais rien de plus passionnant à faire, je me suis essayé à suivre le temps qui s'écoulait en m'efforçant de visualiser la trotteuse d'une pendule murale. Je ne m'en suis pas trop mal tiré puisque, quand la session de quatre minutes a fini, nous en étions, la pendule virtuelle et moi, à quatre minutes et dix-huit secondes. Là-dessus, le manipulateur m'a extrait de mon sarcophage et je suis rentré à la maison.

– Les éditeurs m'épateront toujours. Je reçois à l'instant l'autobiographie d'Edith Wharton. En anglais, elle s'intitule A Backward Glance. En exergue, l'auteur a choisi une citation de Walt Whitman qui, en français, dit : Un regard en arrière sur les chemins parcourus. Très logiquement, le lecteur un brin naïf s'attend à ce que les crânes d'œuf de chez Flammarion nomment leur version : Un regard en arrière, non ? Trop facile. ! L'éditeur français, qui n'est pas le dernier des cons mais s'en approche un peu plus chaque jour, veut “imprimer sa patte” à l'ouvrage qu'il va distribuer aux libraires. Donc, pour montrer qu'on ne l'impressionne pas aussi facilement, qu'on ne doit pas la lui faire à l'intimidation en lui brandissant je ne sais quelle version originale, il choisit d'appeler “son” livre : Les chemins parcourus, faute de français comprise puisque la règle aurait voulu la majuscule initiale à “chemins”. Ah mais !

(On a encore eu de la chance : emporté par son élan, le cuistre aux manettes aurait aussi bien pu se décider pour Les autoroutes de la life ou encore Les VTT mémoriels, histoire de moderniser le produit à donf.)

Six heures. – On m'avait dit à la clinique que mon compte rendu d'IRM serait prêt dans quarante-huit heures : il vient de m'arriver déjà. D'après ce que je puis en comprendre – c'est-à-dire peu de choses –, tout semble à peu près normal du côté de ma prostate. Afin de lever le voile sur cet “à peu près”, je viens d'envoyer le compte rendu au bon docteur Pluton. Il n'y a plus qu'à attendre son verdict…


Samedi 26

Neuf heures. – L'excellent docteur Pluton me confirme à l'instant que je puis m'enorgueillir de posséder en mes tréfonds une véritable prostate de bébé, ou peu s'en faut. Voilà qui devrait me dispenser de la biopsie dont m'avait vaguement menacé l'urologue de Neuilly consulté en juin. Je montrerai toutefois le compte rendu de l'IRM au docteur Bram, mon ablateur de rognon de 2013, lorsque Catherine et moi le consulterons en octobre prochain.

Deux heures. – Je lis depuis deux jours l'autobiographie d'Edith Wharton, Les Chemins parcourus. De par sa date naissance et le milieu new-yorkais dans lequel se déroulent son enfance et sa jeunesse, j'ai l'impression d'avoir sauté à pieds joints dans la série The Gilded Age de Julian Fellowes. Le plus amusant est que, relisant en parallèle Les Boucanières de l'Américaine, c'est cette fois dans la série Belgravia que je crois avoir atterri : je soupçonne ce bon Fellowes d'avoir très soigneusement relu Edith Wharton avant de se lancer dans l'écriture de ses deux séries.

– Quand je suis entré au CFJ (Centre de formation des journalistes) à l'automne 1977, les deux premières semaines étaient remplies par un cours magistral de Bernard Voyenne sur l'histoire de la presse. J'apprends aujourd'hui – on devinera aisément où… – que, cette année, la première semaine des nouveaux étudiants du CFJ sera prise en charge par les matonnes idéologues de MoiTaussiMedia. C'est bien : quand on veut qu'un mouton soit docile sa vie durant, il faut lui faire sentir la poigne du maître quand il est encore agnelet.

– Au tout début de sa carrière littéraire, en 1899, Edith Wharton a pour mentor Walter Berry, qui restera l'un de ses plus proches amis durant 30 ans (et peut-être même son amant : l'affaire est douteuse…), c'est-à-dire jusqu'à la mort de Berry. Les lecteurs de Proust le connaissent bien, par les lettres que l'auteur de la Recherche lui adressera entre 1916 et sa propre mort en 1922. Relation suffisamment chaleureuse pour que Proust lui dédie son volume de Pastiches et Mélanges, paru vers 1920 (je ne sais plus la date exacte...). Et je me demande si , dans sa correspondance, Proust évoque la romancière américaine. Comme je ne dispose pas de l'index général, pas moyen de le savoir. Il faudrait que je pense à demander ça à Michel Desgranges, si j'étais encore capable de me rappeler quoi que ce soit : dommage que ma mémoire ne soit pas aussi juvénile que ma prostate...


Dimanche 27

Cinq heures. – Edith Wharton et son mari lisaient alors avec passion une volumineuse biographie de George Sand. C'était au tournant du siècle, ils venaient d'acquérir leur toute première automobile. Comme celle-ci démarrait toujours avec brio mais calait dès la première côte, ils l'avaient baptisée “Alfred de Musset”...


Lundi 28

Midi. – J'ai eu tout à l'heure la curiosité d'aller fouiller les entrailles du blog-mère afin de voir combien de billets j'avais déjà consacrés à Edith Wharton : surprise de constater que ce nombre est égal à zéro. C'est d'autant plus étonnant que, sur la dizaine de romans que je possède d'elle, et que je relis actuellement les uns après les autres, il s'en trouve au moins sept tout à fait remarquables. Si on me demandait par quoi commencer pour découvrir cet étonnant écrivain, je conseillerais l'achat du volume “Omnibus”, qui renferme cinq romans dont trois essentiels : Chez les heureux du monde, Les Beaux Mariages et Le Temps de l'innocence (ce dernier ayant été porté à l'écran par Scorsese avec, dans les rôles principaux, Daniel Day Lewis, Michelle Pfeiffer et Winona Ryder). Si l'on n'est pas rassasié encore à la fin du volume, on pourra prolonger le plaisir avec Ethan Frome, roman très différent de la veine habituelle de Mrs Wharton, mais tout à fait exceptionnel, ainsi que par la remarquable autobiographie de la dame, Les Chemins parcourus.

Qu'on ne vienne pas me dire après ça que l'auteur de ce modeste journal, tout ignoblement élitiste qu'il soit, ne se soucie pas de l'éducation des masses incultes...

– Je viens de commander à Herr Momosque deux romans anglais : le premier d'un certain Howard Sturgis, dont je n'avais jamais entendu parler à ce jour, l'autre de Max Beerbohm, dont le nom me disait très vaguement quelque chose mais sans plus. Tout cela parce qu'Edith Wharton vient de dîner avec l'un puis avec l'autre : je suis trop influençable, comme garçon.

– Restons avec Mrs Wharton, ou plutôt retrouvons-la chez Henry James. Celui-ci en vient à évoquer son précédent domestique, un charmant garçon selon lui : « Le seul ennui était que, lorsque je lui donnais un ordre, il devait passer par trois phases mentales successives avant de pouvoir comprendre ce que je lui avais dit. D'abord, il devait enregistrer le fait qu'on lui adressait la parole, puis assimiler la signification de l'ordre donné, et enfin réfléchir aux conséquences pratiques qu'on attendait de lui s'il obéissait. » C'est très exactement, précisément et totalement ce à quoi est confrontée Catherine avec notre nouvelle femme de ménage. Sauf que ni elle ni moi n'aurions été capables de le formuler avec telles justesse et précision. Notre femme de ménage non plus, d'ailleurs.

– Je reviendrai demain, plus longuement, sur les mémoires d'Edith Wharton, et en particulier sur ses années parisiennes. (Je le note dès maintenant pour m'en souvenir demain…)


Mardi 29

Huit heures. Températures il y a une heure : 9° dehors et 17 dans la maison ; et aucun “réchauffement climatique” prévu pour les jours qui viennent. On est à deux doigts de remettre le chauffage en marche...

– Grande nouvelle de la blogoboule : l'inénarrable Juan Sarkofrance is back ! Et toujours d'une malhonnêteté intellectuelle en béton armé. Son dernier argument en faveur de ce qu'on appelle, je crois, l'abaya : si de plus en plus de filles se voilent librement des pieds à la tête, c'est pour se protéger de tous ces hommes... qui soutiennent Gérard Depardieu, ce violeur en série bien connu de nos services.

– Quand je commence à taper le mot “dégenré”, l'iBigo me propose illico de le remplacer par “dégénéré” : finalement, cet appareil est peut-être plus futé qu'il n'en a l'air de prime abord. En tout cas, plus lucide qu'un gauchiste de modèle courant. 

Onze heures. – Finalement, j'ai préféré aller parler d'Edith Wharton sur le blog-mère plutôt qu'ici. 

– Ce matin, le digne professeur Cingal apporte son “soutien total à une grande figure politique”. De qui s'agit-il ? De Mme Sandrine Rousseau. Jusqu'à quels tréfonds de ridicule ce brave fonctionnaire post-colonialisant descendra-t-il avant de s'apercevoir de l'endroit où il barbote ?

– Je m'étonnais, hier ou avant-hier, de n'avoir jamais consacré le moindre billet de blog à Edith Wharton, sa vie, son œuvre. J'avais raison de m'étonner puisque je lui en ai bel et bien consacré un, en novembre 2021, ainsi que le l'a signalé le très vigilant Henri La Dive, l'un de mes derniers commentateurs disposant d'un cerveau en état de marche. L'explication, je l'ai trouvée ensuite, tout seul comme un geek de compétition : à l'époque, j'avais orthographié le prénom de l'écrivain à la française : Édith avec accent. Si bien que, quand j'ai tapé, hier, Edith à l'anglaise, donc sans accent, cette minuscule absence a suffi pour faire disjoncter le moteur de recherche de Blogger. Et on va, après ça, nous bassiner avec la so called “intelligence artificielle” : je me gondole et me gausse...


Mercredi 30

Onze heures. – Journée traditionnellement dite “de merde” : ce matin, visites dans les divers hangarabouffe nécessaires à notre toute provisoire survie ; cet après-midi, irruption de la femme de ménage, qui nous consignera dans la Case. Je pense que je vais en profiter pour m'offrir une première relecture de ce journal d'août. Je pourrais aussi passer la tondeuse dans jardin, mais ce serait pousser vraiment trop loin le désespoir.

– J'ai ressorti hier après-midi l'Histoire d'Angleterre de Maurois, et j'ai déjà oublié pour quelle raison (car il y en avait une...). Cela a sûrement à voir avec Edith Wharton, mais je ne saurais être plus précis. (Note au Père B. : je parle bien d'Edith Wharton et non d'Enid Blyton...)


Jeudi 31

Huit heures. – Comme chaque année, très content de voir ce maudit mois d'août (modimoidou...) mourir de sa belle mort. Et d'autant plus qu'il s'achève, pour nous, par une journée vierge de corvées d'aucune sorte, juste entre Catherine, Charlus, Mrs Wharton et moi.

– En attendant que l'automne soit vraiment là, et le chauffage remis en marche, on se caille violemment les miches.

lundi 31 juillet 2023

Juillet 2023

 

 

 

 

 

 

RETOUR DE JOYCE, 

ENVOL DE MILAN

 

 

 

 

 Samedi 1er

Dix heures. – On commence ce premier mois d'été – saison maudite, au moins de mon point de vue – avec de la fraîcheur et de la pluie. Mais ni l'une ni l'autre, je gage, ne sera assez puissante pour entamer le dogme des réchauffolâtres, ni même simplement l'érafler.

– Quant à moi, j'entame juillet comme j'ai conclu juin, c'est-à-dire en compagnie de Théodore Dreiser et de sa très volumineuse Tragédie américaine. Pour l'instant, après deux cents pages, nous nous entendons plutôt bien.


Lundi 3

Sept heures et demie. – Hier en fin de journée, j'ai abandonné le malheureux Dreiser peu après  la quatre centième page de sa Tragédie américaine. S'il avait eu la sagesse de boucler son roman en six cents pages, comme tous les écrivains bien élevés, je serais à coup sûr allé au bout de cette histoire qui, pourtant, malgré d'indubitables qualités, ne me soulevait pas d'enthousiasme ; mais l'idée qu'il m'en restait encore plus de cinq cents m'a brusquement découragé ; d'où l'abandon. Ce matin, j'ai donc ouvert La Symphonie des spectres de John Gardner, roman qui, lui aussi, dépasse les neuf cents pages : il doit y avoir un fond de masochisme là-dessous...

– Demain, en début d'après-midi, rendez-vous à Neuilly avec le Dr de Bardies, que je ne quitterai, muni de la tant attendue ordonnance pour de nouvelles lunettes, que pour me précipiter, à cent mètres de là, dans le cabinet du Dr Jobbé Duval, cardiologue de son état, bien heureux que je suis d'avoir réussi à grouper ces deux rendez-vous.

Trois heures. – Je quitte un moment le roman de John Gardner afin de passer une heure ou deux dans le journal de Joyce Carol Oates, année 1982. Première chose que j'y apprends : John Gardner vient de se tuer dans un accident de moto...


Mardi 4

Quatre heures. – Notre triple corvée médicale (deux rendez-vous chez l'ophtalmo plus un pour moi chez le cardiologue voisin) s'est déroulée au mieux : aucun bouchon, deux médecins en avance sur l'horaire, et je suis revenu nanti d'un cœur capable de jouer les prolongations et d'une ordonnance pour de nouveaux verres de lunettes. 

Je suis tout de même assez consterné (mais non, en fait, pas tant que ça) lorsque je constate que, désormais, un aller-retour Neuilly plus deux visites médicales éclairs suffisent à me mettre sur le flanc. Je me fais l'effet d'un Rossinante pour qui l'abattoir serait presque en vue. 


Mercredi 5

Huit heures. – Après un après-midi banlieusard, hier, matinée de courses diverses aujourd'hui ; la plus importante, au moins pour moi, étant la visite chez l'opticien. La bonne nouvelle est que, sauf mésaventure inopinée, nous n'avons plus rien à faire dans la région parisienne avant plusieurs mois. Mais j'aurais bien garde de le dire trop fort...

– Ayant lu les 250 premières pages de La Symphonie des spectres, je me suis dit plusieurs fois, au cours de ma lecture, que, s'il lui venait l'idée saugrenue (saugrenue chez lui) de lire un roman, c'est assurément celui-là que mon ami Pierre de Saint-Flour (vieille noblesse auvergnate) devrait choisir : cette histoire d'un philosophe, professeur dans une université new-yorkaise, assez sur le déclin (sa femme dont il est séparé lui pompe tout son argent, ses deux enfants l'ignorent, il picole un peu trop...), décidant de s'installer tout seul dans une maison antique et réputée hantée du fin fond de la Pennsylvanie dans le but d'y écrire enfin son “grand œuvre”, cette histoire aurait, je crois, de quoi l'intéresser et le faire sourire assez souvent.

Trois heures. – Revu hier soir La Grande Vadrouille, film délicieusement stupide et, par là même, indispensable. Afin de rester à la même époque et de ne pas quitter la Résistance, mais dans un esprit légèrement différent, j'ai suggéré que nous pourrions, ce soir, repiquer à L'Armée des ombres de Melville ; proposition qui fut aussitôt adoptée à  l'unanimité.


Jeudi 6

Sept heures. – J'ai bien dû voir cette Armée des ombres quatre ou cinq fois, ces cinquante dernières années. Eh bien, malgré cela, mon admiration pour ce film fut, hier soir, inentamée. Avec toujours, cependant, cette minuscule réserve que je trouve la scène londonienne inutile et même gênante : non seulement la brève apparition du faux de Gaulle accrochant une décoration (laquelle, d'ailleurs ?) sur la poitrine de Paul Meurisse n'apporte rien au film, mais, tout au contraire, elle aurait plutôt tendance à lui enlever quelque chose. Balzac savait bien, lui, qu'il vaut mieux éviter, tant que c'est possible, d'introduire un personnage réel, historique, dans un récit de fiction parfaitement maîtrisé : loin de l'authentifier, de le renforcer, cette irruption à presque toujours pour effet, paradoxalement, de le rendre moins intense. D'autant plus quand, comme dans ce film, la scène ainsi créée est tout à fait anecdotique voire inutile.

Mais enfin, grand film tout de même.

Midi. – Alors que je cherchais si la saison 2 de The Gilded Age (due au créateur de Downton Abbey) était disponible en dvd (elle ne l'était apparemment pas), je suis tombé sur une série HBO dont j'ignorais l'existence, The White Lotus : j'ai donc commandé la première saison, du reste la seule disponible. Et pendant que j'étais à dépenser de l'argent, j'ai également commandé la première saison de Belgravia, série également due au talent de Julian Fellowes et chaudement recommandée par Michel Desgranges depuis déjà un petit moment.

(Je me rends compte que, pour un lecteur étranger au monde des séries télévisées, le paragraphe qui précède doit être parfaitement inintelligible...)

Quatre heures. – J'ai brusquement décidé, en fin de matinée qu'il me fallait aller sans tarder m'acheter un jean neuf (évidemment neuf, imbécile !). Catherine m'a alors suggéré, s'ils en avaient des noirs, d'en acheter deux, un de chaque couleur, plus une veste légère “pendant que j'y  serai”. Me voilà donc parti pour Vernon, sur les coups de deux heures. J'y allais à reculons, ce qui n'est jamais conseillé dès lors que l'on est en voiture : peu de choses me dépriment davantage que de devoir choisir et surtout essayer des vêtements. Mais puisqu'il le fallait...

Arrivé à l'échoppe, la vendeuse qui m'a pris en charge découvre en même temps que moi que les jeans restant à vendre sautent des tailles 42 à 50 ; donc, pour ce qui me concerne, du trop étroit au trop large : exit les pantalons. Quant aux vestes proposées à ma convoitise, elles oscillent entre le grisâtre et le beigeasse...

Je suis ressorti de la boutique les mains vides, mais l'âme toute guillerette d'avoir échappé au supplice des essayages et réalisé une assez solide économie, ayant finalement décidé qu'on pouvait parfaitement vivre, en tout cas moi, avec un seul jean et une veste vieillotte et un tantinet fatiguée.

Six heures. – Je viens de mettre dans mon petit panier Rakuten – mais sans encore passer la commande... – un coffret contenant les six “Gendarme” de de Funès : la régression intellectuelle bat son plein. Je sais fort bien que, sur les six, seuls les trois premiers sont regardables. Mais comme le coffret ne coûte que 17 euros...


Vendredi 7

Huit heures. – Aujourd'hui, petit accès de réchauffement climatique prévu : 31 d'après “ma” météo, 32 selon celle de Catherine. Nous avons presque toujours cet écart d'un degré dans nos oracles respectifs. Je crois lui avoir, à l'instant, donné l'explication la plus rationnelle et convaincante : « Ton fauteuil est un peu plus au sud que le mien... »

Trois heures. – Le roman de John Gardner que je lis depuis deux ou trois jours a pour titre original Les Fantômes de Mickelsson (soit, en anglais, Mickelsson's Ghosts). Pourquoi, alors, lui avoir donné cet autre titre, grandiloquent jusqu'au risible de : La Symphonie des spectres ? Les éditeurs français m'épateront toujours, avec ce goût si sûr qu'ils ont, en tout cas beaucoup d'entre eux, pour aller toujours et directement au plus mauvais.


Samedi 8

Trois heures. – Superbe pluie d'orage en ce moment même, bienfaisante pour l'oreille et pour l'œil. 

(Et le temps d'écrire la ligne précédente, elle est déjà en train de se calmer, cependant que le tonnerre s'éloigne vers l'est.)

Et soudain... une averse de gros grêlons qui déclenche un vacarme du diable, mettant Charlus en alerte maximale !

Six heures. – Terminé à l'instant La Symphonie des spectres de John Gardner, ample roman hautement recommandable, malgré son stupide titre français. Pour suivre, l'un des deux Anglais qui attendent patiemment sur le coin de la table basse du salon : Ford Madox Ford ou bien John Fowles. Laissons décider la main…


Dimanche 9

Sept heures. C'est finalement Ford Madox Ford qui vient de l'emporter sur son concurrent, et ce pour deux raisons : 1) c'est lui qui tenait le dessus de la pile, 2) après les “pavés” ingurgités ces derniers temps, il m'a semblé reposant d'aborder un roman ne dépassant qu'à peine les 250 pages.

Midi. – Lu environ cent pages du Bon Soldat de F.M.F., en me demandant, à chaque page tournée, ce que je foutais là : poubelle jaune. Avec toutefois la sensation un peu déplaisante que la faute de ce désaccord entre nous m'était entièrement imputable. Comme ce n'est pas, loin s'en faut, la première fois que pareille chose m'arrive, je reste zen...

Quatre heures. – N'ayant plus “en route” de lecture de complément, j'ai décidé, il y a une petite demi-heure, de rouvrir le journal de Samuel Pepys. Juste aussitôt, j'ai été fort surpris d'avoir eu cette idée : d'où avait-elle bien pu m'arriver ?

 

Lundi 10

Neuf heures. – Rigoureusement rien à dire ici pour le moment. Mais comme je viens d'inscrire le jour et l'heure, je me sens comme obligé. (Il y a des jours où je suis bien content de ne pas faire partie des lecteurs de ce journal, moi…)

– Sinon, à l'instant même, j'ai failli acheter Le Carnet d'or de Doris Lessing. Et puis finalement non.

Midi. – J'allais pour extraire de ma bibliothèque “anglaise” le journal de Samuel Pepys quand mes yeux sont tombés par hasard sur celui de Virginia Woolf : c'est elle qui a gagné.

Trois heures. – Décidément, pas de chance avec mes lectures, ces jours derniers : après deux cents pages, Le Mage de John Fowles tournant de plus en plus au fatras onirico-je-ne-sais-quoi, avec en prime d'interminables dialogues filandreux mais se donnant les airs de la profondeur, il a rejoint Ford Madox Ford dans la poubelle jaune, heureusement très accueillante. Je vais me réfugier dans une valeur sûre, me “replier sur mes minima” comme dit Barrès : Joyce Carol Oates.


Mardi 11

Dix heures. – J'ai donc repris, hier, ce roman d'Oates qui s'intitule en français Le Goût de l'Amérique. Spécialement dans celui-ci, on comprend fort bien pourquoi l'écrivain n'est pas tellement en odeur de sainteté auprès des croisées du féminisme : elle est trop intelligente, et surtout trop implacablement romancière, pour ne pas mettre à mal le monde en noir et blanc rigoureusement tranchés de ces âmes militantes. Et forcément, quand on s'efforce de comprendre, de “pénétrer les âmes”, on finit par produire des choses un peu dérangeantes pour les paisibles certitudes, les colères ronronnantes et les routinières indignations de ces femmes-z'en-lutte. Celui ou celle qui s'aventure à introduire dans son panorama du monde les fameuses “nuances de gris” s'expose forcément à la vindicte des amateurs – et surtout trices... – de proclamations vertueuses et de tracts monochromes.

Trois heures. – On sent que le 14 juillet approche à ceci que la Patrouille de France a commencé à tournicoter au-dessus de nos têtes ; certains de ses éléments tout au moins.

 

Mercredi 12

Une heure. – J'apprends à l'instant la mort de Kundera. C'est un écrivain que j'ai lu avec passion autour de ma trentième année (à peu près), que j'ai relu beaucoup plus récemment avec un peu plus de distance (je continue à beaucoup aimer ses premiers romans “tchèques” ainsi que ses essais, mais nettement moins ses romans “français”), et que je relirai certainement un jour ou l'autre. 

Trois heures. – Petit billet-hommage à Kundera sur le blog-mère. Dans lequel je délaie outrageusement les quatre lignes que l'on vient de lire.

Six heures. – C'est curieux, je m'en étonne moi-même, mais depuis quelques heures, je ressens une tristesse vague mais persistante chaque fois que je songe à la mort de Kundera. Une certaine sensation de manque, ou d'appauvrissement, je ne sais trop.

- Je viens d'apprendre, tout à fait par hasard, qu'Aldous Huxley est mort le 22 novembre 1963, soit le même jour que John Kennedy : comme “plan presse”, on peut difficilement faire aussi nul.


Jeudi 13

Sept heures. – Pour se faire une idée de l'œuvre immense de Joyce Carol Oates (je dis immense dans le sens d'énorme : pour ce qui en concerne la qualité, chacun reste libre de son appréciation), il faut imaginer un Balzac écrivant durant soixante ans et non seulement pendant vingt.

Midi. – L'opticienne m'avait fait miroiter l'espoir de recevoir aujourd'hui mes nouvelles lunettes : apparemment c'est raté. Je ne les aurai donc pas avant la semaine prochaine, demain étant férié et la lunetterie n'étant jamais livrée le samedi, Mardi matin, je me rendrai donc chez les Desgranges “à l'œil nu” ou, comme disait mon père d'une façon plus imagée, en “naviguant aux instruments”.

Six heures. – Je me suis montré bêtement défaitiste : il y a cinq minutes, message téléphonique de l'opticienne m'avertissant que mes lunettes étaient prêtes. J'irai les chercher samedi matin, à l'ouverture.


Vendredi 14

Sept heures. – Élodie, fille aînée de Catherine, et Jean doivent officiellement nous arriver de Québec le 5 août prochain. Or, il s'agit là d'une ruse de Sioux (paradoxale, puisque Jean est huron) : en réalité, ils débarqueront ici le 29 juillet, jour anniversaire de Catherine, sous forme de “cadeau surprise”. J'ai déjà réservé, pour ce même soir, une table en bordure de l'Eure, au restaurant Bel Ami de Pacy, que nous pratiquons, très “de loin en loin” certes, depuis plus de vingt ans. 

Évidemment, pour que la surprise en demeure une, il faut que je me montre habile, voire retors, et même de plus en plus à mesure que la date se rapproche...

– Je relis depuis hier La Légende de Bloodsmoor de Joyce Carol Oates, roman qui flirte assez nettement avec le fantastique, pour faire bref. Ce que j'avais oublié, c'est l'espèce de tour de force qui consiste à faire raconter l'histoire par une narratrice dont, au moins dans les deux cents premières pages, on ignore absolument qui elle peut bien être, quels rapports familiaux ou sociaux elle a avec les autres personnages, etc. Mais voici le tour de force : on sent très bien, même si ce n'est jamais dit, qu'il doit s'agir d'une assez vieille dame, toute pétrie des conventions de son époque (le roman se déroule dans les années 1880, quelque part entre le Delaware et la Pennsylvanie...), des préjugés de sa classe, ce qui l'empêche bien souvent de comprendre ce qu'elle relate en toute innocence, mais que le lecteur, lui, comprend, ou au moins subodore. Et c'est toute l'habileté de Mrs Oates, qui parvient à tenir cet équilibre précaire entre le vrai et le faux, l'apparent et le caché, les motifs énoncés par la narratrice et ceux qui agissent réellement en sous-main, sans que le récit ne devienne jamais obscur ni artificiel.

Du reste, est-il si sûr qu'il s'agisse d'une dame ? Et si la narratrice était finalement un narrateur ? Je ne le crois pas... mais le doute est bien là.

(Et pendant ce temps, les avions de la Patrouille de France ont commencé leur ronde au-dessus de nos têtes, s'apprêtant à filer vers les Champs-Élysées (la Patrouille, pas nos têtes…).)

Deux heures. – Finalement, il semblerait bien que la narratrice de Mrs Oates fût un chroniqueur. Ce qui persiste à me chiffonner un peu...

Trois heures. – Non, décidément, plus de doute possible : c'est bien d'une narratrice qu'il s'agit ! J'en suis tout réjoui d'avoir vu juste dès le début...

 

Samedi 15

Dix heures et demie. – Me voilà équipé de lunettes toutes neuves – ce qui est façon de parler puisque j'ai gardé les montures anciennes. La différence de vision “de loin” est suffisamment sensible pour que je m'en réjouisse : je peux de nouveau (à peu près…) lire les panneaux routiers qui se présentent à moi lorsque je roule, ce qui peut toujours être utile.

– Nous avons, hier soir, regardé les deux premiers épisodes d'une série HBO intitulée The White Lotus : pas mal du tout, assez caustique et pas franchement woke, ce qui nous repose des conformistes âneries netflicardes. Elle se déroule à Hawaï, dans un hôtel pour demi-riches qui se croient pleinement riches : d'un côté les clients désœuvrés essayant de se persuader qu'ils vivent un moment “inoubliable”, de l'autre le personnel de l'hôtel, tenu à la gaîté factice et au sourire optimiste en toutes circonstances, même quand ils sont submergés de problèmes, personnels ou professionnels. Réjouissant.

(À noter aussi que cette série comportant six épisodes d'une heure et que le séjour des vacanciers durant six jours, chaque épisode couvre exactement une journée.)

Trois heures. – Terminé à l'instant ma relecture de La Légende de Bloodsmoor. Quelle femme, tout de même, que cette Joyce Carol ! Et surtout quelle romancière ! Un peu impulsivement, alors qu'il m'en reste à relire ici, je viens de commander deux autres romans d'elle : Je vous emmène ainsi que Corky. En les attendant, je vais relire Middle Age : A Romance, que l'éditeur français – Stock, pour ne pas le nommer – a stupidement choisi de renommer : Hudson River.


Dimanche 16

Sept heures. Les petites erreurs, ou “distractions”, des écrivains. Mrs Oates écrit : « [...] ils ne se voyaient plus, un peu comme des taupes dans un terrier. » Les taupes ne risquent pas de se voir dans un terrier, même si on venait à y installer l'électricité, puisque chaque taupe vit rigoureusement seule dans son propre terrier ; sauf, très fugitivement, au moment de l'accouplement, le mâle affrontant alors les dangers du monde de la surface pour aller tirer son coup, la femelle le recevant à domicile et l'éjectant sans cérémonie dès qu'il a terminé sa petite affaire.


Lundi 17

Huit heures. – Catherine a commencé à prévoir les menus qu'elle allait servir (est-ce qu'on sert un menu ?) à Élodie et Jean à partir du 5 août, date de leur arrivée officielle chez nous. Je la laisse faire, évidemment, bien que sachant que l'Indien et sa squaw se présenteront à notre porte le 29 juillet, jour anniversaire de Catherine...

La seule chose qui risque d'être un peu délicate, pour moi, va être, un jour ou deux avant la date fatidique, d'acheter de quoi offrir l'apéritif à nos Québécois sans éveiller les soupçons de l'épouse, Évidemment, je puis toujours dire que c'est pour célébrer entre nous le jour glorieux de sa naissance. Mais elle va trouver que j'achète un peu beaucoup de bouteilles pour deux... d'autant qu'elle-même ne boit plus du tout d'alcool.

Midi. – La façon à la fois drôle et subtilement vicieuse qu'a Joyce Carol Oates de, comme on dit, “ouvrir le parapluie”. Son roman Hudson River est dédié “À mes amis de Princeton, qui ne sont nulle part dans ces pages”. Le parapluie est d'autant plus prudent que le milieu dans lequel elle nous plonge, cette petite ville de l'État de New York, peuplée de nantis, intellectuels ou artistes pour beaucoup, tous impeccablement généreux et de gauche – au moins en apparence –, mais passablement frustrés (les hommes) et névrosés (les femmes), tout cela fait bel et bien penser au milieu universitaire dans lequel Oates a baigné durant  40 ans. Et comme sa dédicace prend bien soin, pour feindre de l'écarter, de nous désigner Princeton, même le lecteur le plus distrait ne pourra manquer de faire le rapprochement : c'est le côté malicieusement vicelard de la chose. On dirait un peu Proust s'évertuant à persuader Robert de Montesquiou que son baron de Charlus n'a rien, mais alors là, vraiment rien à voir avec lui.

Il est du reste étonnant, ce roman, étonnant et réjouissant, dans lequel le personnage central meurt d'entrée de jeu, et dont la mort, tel un virus surpuissant se répandant dans l'air, va suffire à ronger tous les masques, détruire les souriantes apparences et rendre béantes les minuscules failles de toute une communauté, pourtant si béatement satisfaite d'elle-même et se contemplant dans tous les miroirs avec une admiration que la modestie affichée dissimule assez mal. En voici le tout premier paragraphe :

« Est-ce juste ? Vous quittez votre maison de Salthill-on-Hudson, un après-midi chaud et humide de 4 juillet, pour vous rendre à un barbecue (une invitation que vous avez acceptée on ne sait pourquoi, sans en avoir vraiment envie), et vous y revenez quelques jours plus tard sous forme de cendres dans une urne funéraire d'un goût douteux : grosse poudre granuleuse, fragments et éclats d'os qui finiront répandus, dispersés et mêlés au râteau à la terre friable de votre propre jardin. De l'engrais pour mauvaises herbes. »

Quatre heures. – Il m'aura donc fallu attendre d'avoir 67 ans pour découvrir l'existence et la forme du passé simple du verbe “luire” : je luisis, tu luisis, il luisit, etc. Et j'ai beau me le répéter, rien à faire : je continue à trouver que ce “luisit” sonne comme une grossière faute de langue. Pourtant, il se conjugue exactement comme “conduire”, “produire”, “séduire”, etc., qui, eux, ne m'ont jamais choqué en quoi que ce soit.


Mardi 18

Neuf heures. – Journée Desgranges. Cela fait un bout de temps que je ne suis pas allé chez eux, pour cause de double opération oculaire. Environ deux mois, “à vue d'œil”.

 

Mercredi 19

Six heures. – Un blogueur, dont la connaissance de sa langue maternelle n'est pas la vertu la plus saillante, pose cette question en titre de son dernier billet en date : « […] Quel maux est le pire ? » J'ai failli, en commentaire, lui conseiller de se situer d'emblée par-delà le bien et le maux et de ne pas passer trop de temps à cultiver les fleurs du maux… Mais on m'aurait encore reproché de m'acharner sur les plus faibles, de stigmatiser l'ignorance, de nauséabonder toujours dans le même sens, et je ne sais quoi encore d'autre. Alors que, on me connaît, j'aurais évidemment lancé ces plaisanteries en toute innocence ; sans penser à maux.


Jeudi 20

Deux heures. – Délaissant un moment Joyce Carol Oates, j'ai commencé à lire le roman offert avant-hier par Michel, à savoir Snobs de Julian Fellowes, le créateur pour la télévision de Downton Abbey, mais aussi de The Gilded Age et autres Belgravia. Ça s'annonce plutôt bien.


Vendredi 21

Midi. – Nicolas m'envoie à l'instant un sms où figure un titre de presse par lequel j'apprends qu'une gamine a trouvé la mort à Pacy, après s'être fait renversée par une voiture, il y a deux jours. Ce titre précise d'une part que toute la ville est, comme il se doit, “sous le choc” (moins que la malheureuse enfant, qui avait déjà l'infortune d'avoir été prénommée Eden à sa naissance). Il se trouve que nous revenons tout juste de Pacy : je puis témoigner que, parmi les commerçants, leurs clients et les simples passants, personne ne nous a semblé spécialement “sous le choc”. Mais peut-être s'agissait-il d'un choc interne ?

D'autre part, le même titre nous apprenait qu'une e-cagnotte avait été lancée au profit des parents d'Eden : j'avoue avoir un peu de mal à comprendre ce qui pourrait la justifier. Je suppose que cette incompréhension doit être  causée par ma naturelle et nauséabonde sécheresse de cœur...


Samedi 22

Sept heures. – Nous avons, ces trois soirs derniers, regardé une mini-série HBO intitulée Mildred Pierce, excellente en tous points (sauf un...) et portée par une remarquable Kate Winslet. Ce matin, sur le point de ranger ce mince coffret, je m'aperçois qu'une courte phrase a été inscrite sur la pochette : « À vouloir tout avoir, elle finira par tout perdre. » Ce qui revient, en moins de dix mots, à démolir toute espèce de suspense. Je sais bien que les péripéties de l'histoire ne sont pas l'alpha et l'oméga d'une série réussie (ou d'un film, ou d'un roman), mais tout de même...

Pour ce qui est de mon “sauf un” exprimé plus haut, il tient à ce que, dans les deux derniers épisodes, la fille de l'héroïne éponyme devient, quasiment du jour au lendemain, une soprano colorature d'un talent tel que les grands opéras des États-Unis se l'arrachent. Or, il me semble que devenir une chanteuse lyrique de haut niveau demande des années de travail acharné et ne peut, comme ici, advenir sur un claquement de doigts, simplement parce que l'on s'est révélée “douée”. Mis à part ce détail, finalement peu gênant, l'ensemble est pleinement réussi.

Cinq heures. – De Virginia Woolf, dans son journal (3 février 1918) : « J'ai été frappée par l'idée que l'âge ne consiste pas à avoir un point de vue différent, mais à garder le même point de vue, et défraîchi. » Il est à craindre qu'elle n'ait raison...


Dimanche 23

Midi. – Sms d'Élodie pour me dire que Jean et elle sont bien arrivés hier à Saint-Malo, comme prévu... mais en grand secret de Catherine, qui doit toujours les croire à Québec, puisque, officiellement, ils ne sont censés atterrir à Roissy que le 5 août prochain. La tension n'est pas encore à son comble mais “ça s'en vient”, comme ils disent là-bas.

– J'ai lu, hier, une centaine de pages de Je vous emmène, roman de J. C. Oates nouvellement arrivé : il m'a paru suffisamment ennuyeux pour être abandonné, ce qui ne m'était encore jamais arrivé avec elle (sauf pour Blonde, mais c'est un cas tout à fait particulier). J'ai aussitôt enchaîné sur Corky, autre roman de J. C., arrivé par le même colis : il commence beaucoup mieux que son infortuné compagnon de voyage.


Lundi 24

Sept heures. – Le personnage central et éponyme  de Corky fait, par bien des aspects, penser à celui que campe Tom Wolfe dans Un homme, un vrai (A Man in Full) : un “gagnant” dont les bases sont progressivement sapées par les problèmes qui l'assaillent, de plus en plus pressants et nombreux. Sauf que, chez Oates, ces problèmes semblent davantage intérieurs, personnels, que chez Wolfe ; en tout cas après 200 pages lues sur les 750 du roman. Du reste, je me demande si je ne vais pas, juste ensuite, relire le roman de Wolfe.

Une chose remarquable chez Joyce Carol : la plasticité de son style, les différentes “voix” qu'elle est capable de prendre d'un roman à l'autre. Corky est écrit à la troisième personne, il n'empêche qu'il l'est dans une langue abrupte, parfois brutale, non exempte de traits de vulgarité soudaine, c'est-à-dire exactement celle qu'emploierait Jerome Corcovan, son personnage central, s'il racontait lui-même son histoire à la première personne. (Tout cela pour autant que je puisse en juger d'après la traduction.)

– Une devinette que je connaissais mais qui me plait toujours en raison de sa structure même, de son côté “piégeux” : Pourquoi ne faut-il jamais se fier à un avocat juif ?  Là, l'interlocuteur se tend plus ou moins, sentant venir la blague antisémite ; pour un peu, il dirait bien qu'il ne tient pas tant que ça à connaître la réponse. Celle-ci arrive pourtant : Parce qu'il ne faut jamais se fier à un avocat, quel qu'il soit. C'est le déplacement soudain de la cible qui provoque alors le sourire, voire le rire, teinté d'un certain soulagement.

Onze heures. – Plonger dans Twitter, même brièvement et en apnée, c'est découvrir toute une série de mondes parallèles à celui dans lequel on a soi-même l'impression de vivre, et que l'on prend donc, peut-être un peu hâtivement, pour le monde réel. Ainsi, on s'aperçoit que le monde d'un Guillaume C., et de ses semblables, grouille littéralement de fascistes et de néo-nazis prêts à ouvrir des camps d'extermination à chaque coin de rue ; tandis que le monde parallèle d'Élodie J. et de ses sœurs de combat est envahi par des colonnes de mâles en rut (et presque toujours blancs...) qui, bite turgide bien en main, ne pensent qu'à violer sauvagement toute femelle de l'espèce s'aventurant dans son champ de vision. Je suppose que si on arrangeait une rencontre entre ces deux-là, ils tomberaient vite d'accord pour procéder à une sorte de jumelage entre leurs deux univers. Dans l'amalgame ainsi créé, les rues seraient envahies de violeurs qui, tous, arboreraient des tatouages de croix gammée et entonneraient le Horst Wessel Lied au moment de souiller leurs malheureuses victimes.

– Reçu aujourd'hui un virement du Trésor public de 1026 €. J'ai beau en recevoir un chaque année à peu près à la même époque (mais d'habitude plutôt moins important), toujours cette même délicieuse impression d'un véritable cadeau du Ciel, d'une manne imméritée.

– Une demi-phrase dans Corky, dont j'ai souri : « Wolf Wiegler est le genre de type si évidemment célibataire, que même s'il était pédé il ne s'en rendrait pas compte. »

– Dans la mini-série HBO que nous avons commencé de regarder hier soir, Mare of Easttown, Mare est le prénom – ou plutôt le diminutif – du personnage central, superbement interprété par Kate Winslet. À un moment, parce qu'un autre protagoniste venait de lui souhaiter une bonne nuit, good night, Mare, j'ai fait remarquer à Catherine que l'on pouvait tout aussi bien entendre : good nightmare. Dix minutes plus tard, dans le même épisode, un troisième intervenant, qui venait à son tour de lui souhaiter une bonne nuit, se faisait explicitement la même réflexion que moi juste avant lui. L'irrécupérable monoglotte que je suis en conçut aussitôt une certaine fierté, passagère mais bien réelle quoique puérile.


Mardi 25

Neuf heures. – C'est la même chose depuis le début du mois : à mon lever, entre six et sept heures, le thermomètre affiche une douzaine de degrés ironiquement Celsius, avant de monter péniblement à vingt ou vingt-et-un au plus caniculaire de la journée. Tout cela accompagné d'un vent à tendance franchement automnale. En outre, il tombe une petite pluie fine quasiment sans discontinuer depuis hier soir. Heureusement encore que nous subissons de plein fouet un terrible réchauffement climatique : sans lui et son action bienfaisante, ce serait neige, congères et verglas.

– La ville fictive que, dans Corky, Joyce Carol Oates nomme Union City (il en existe un certain nombre de ce nom aux États-Unis, mais apparemment aucune dans l'État de New York), cette ville en bordure du lac Érié pourrait fort bien être Buffalo ; ville que l'écrivain doit parfaitement connaître, ayant grandi à quelques dizaines de kilomètres de là.


Mercredi 26

Sept heures. – En abandonnant (momentanément...) Joyce Carol Oates au profit de Tom Wolfe, j'ai aussi quitté la région des Grands Lacs pour la Géorgie. Avec l'espoir qu'il y fasse un peu plus chaud qu'en Normandie ce matin.

Trois heures. – C'est officiel et définitif : je renonce à comprendre comment fonctionnent les “mutuelles” (je crois bien qu'en réalité elles ne s'appellent pas comme ça : il faudrait demander à VS, qui est une spécialiste de la question), en tout cas la mienne, Henner. Il y a peu, on s'en souvient peut-être, j'ai dû faire changer les verres de mes lunettes, dont j'ai conservé la monture (car qui veut aller loin…). Coût de l'opération : 836 €, soit 418 € par verre.

Première surprise, en quelque sorte liminaire : la Sécurité sociale rembourse royalement 0,30 € par verre, c'est-à-dire rien : comment font les gens qui n'ont pas de mutuelle ?

Seconde surprise, donc : Henner vient de m'octroyer deux remboursements. L'un de 418 €, soit la totalité du prix d'un verre, mais le second de 290 € seulement. Outre le fait que le changement m'aura donc coûté plus de cent euros – je m'y attendais plus ou moins –, j'aimerais quand même bien savoir au nom de quelle logique l'un de mes yeux me coûte de l'argent et pas l'autre.


Jeudi 27

Quatre heures. – Avant-hier, deux morts et un blessé grave lors d'un affrontement au gros calibre dans une rue du quartier de la Madeleine d'Évreux. À première vue, il s'agirait du désormais banal règlement-de-comptes-entre-trafiquants. Personnellement, je n'ai rien contre le fait que ces racailles s'entretuent, je trouve même qu'elles devraient le faire à plus grande échelle. Mais à vingt kilomètres de chez moi, là je dis non…

À cette occasion, humour noir involontaire de Paris-Normandie qui titrait hier (c'est moi qui souligne) : « Fusillade mortelle dans le quartier la Madeleine d'Évreux : les associations locales cherchent leur place. » En effet, c'est sans doute l'aspect le plus préoccupant du problème : que vont faire nos associations lucratives sans but ? Si vraiment ces parasites cherchent leur place, j'm'en vas leur en conseiller une : juste au centre des tirs croisés de kalachnikovs.


Vendredi 28

Dix heures. – Titre curieux chez mes analphabètes d'élection : « Mesurer la présence d'hélium dans des galaxies lointaines pourrait permettre aux physiciens de comprendre la raison d'être de l'univers. » La “raison d'être” implique une ambition, un but. Il est curieux de supposer tout cela à l'univers… à moins qu'il y ait un Dieu pancreator qui se cache derrière les galaxies ? Mais enfin, je ne pense pas que ces sympathiques atlanticoïdaux aient réfléchi jusque-là…

– Demain, double anniversaire. Celui de Catherine, bien sûr, mais également le vingt-et-unième de notre arrivée dans cette maison. Avant cela, ni Catherine ni moi n'avions jamais vécu aussi longtemps dans un même endroit. Il s'en faut même de beaucoup puisque, si je me souviens bien, les précédents records étaient, pour elle comme pour moi, et depuis nos naissances, de six ans. En tout cas, pour ce qui me concerne, la chose est certaine.

Trois heures. – Je viens de (re)descendre à Pacy (nous y étions ce matin pour les courses “officielles”...), afin d'y faire l'emplette de divers vins blancs ainsi que d'un whisky buvable, en cachette de Catherine évidemment. Pour plus de sûreté, je suis allé planquer les dits flacons dans la penderie de la chambre, derrière mes gros pulls d'hiver. Qu'est-ce qu'il ne faut pas faire, tout de même... Je les retiens, les Québécois, avec leurs anniversaires surprises !
 
Six heures. – L'excellente nouvelle du jour est que Kevin Spacey vient d'être totalement blanchi des accusations grotesques portées contre lui. Il s'en tire bien : il aura simplement eu sa carrière détruite. Reste à voir ce que vont pouvoir éructer les viragos de Moitaussi qui, pourtant, ne sont en principe nullement concernées par l'affaire, puisqu'il s'agissait d'histoires de tripotage entre hommes. Mais je sens déjà que l'idée qu'un mâle blanc, riche et célèbre de surcroit, puisse sortir libre d'un tribunal quand il a été accusé d'agression sexuelle, va faire grincer toutes leurs charmantes petites quenottes. 


Samedi 29

Neuf heures. – Anniversaire de Catherine. Élodie et Jean ont prévu de nous arriver aux environs de cinq heures. D'ici là, j'aurai mis mes bouteilles de vin au frigo... avec interdiction faite à Catherine d'ouvrir la porte d'icelui ! Car elle trouverait forcément étrange que j'aie acheté trois bouteilles, alors que je suis censé être le seul de nous deux à boire du vin...
 
Dix heures. – Catherine, sortant de la douche : « Est-ce que je dois m'habiller pour sortir ou pas ? » (Car, pour éviter qu'elle ne préparât un dîner parfaitement inutile pour ce soir, il a bien fallu que je lui dise  m'occuper de tout…). Donc, elle pose sa question. Et moi, après une ou deux secondes d'hésitation, que réponds-je ? Je réponds… oui. On peut difficilement être plus stupide ! J'aurais répondu non, elle n'aurait eu que le mal de se changer une fois Élodie et Jean arrivés, lequel mal n'aurait pas été bien grand, et je brouillais habilement les pistes. Comme dirait ma mère : il y a des fois, je me battrais…

Deux heures. – Catherine ayant émigré vers la Case pour dessiner, ainsi qu'elle le fait chaque après-midi, j'ai pu me livrer à ma tâche essentielle de la journée, à savoir mettre au frais chablis et châteauneuf-du-pape, destinés à apaiser la soif des Québécois lorsqu'ils arriveront – ainsi qu'accessoirement la mienne –, et qui dormaient depuis hier dans le haut de penderie de la chambre. Auparavant, j'avais comme prévu signifié à Catherine mon interdiction formelle d'ouvrir la porte du frigo, sous peine de déclencher les pires calamités (mon côté Barbe-Bleue). Elle a obtempéré et disparu dans son atelier sans demander son reste : c'est dans des moments comme ça qu'on se sent pleinement homme.

– Le traducteur de Wolfe, un certain Benjamin Legrand, m'agace. Pas de manière générale, mais précisément lorsqu'il essaie de rendre en français les particularités d'accent ou de prononciation des divers personnages que Wolfe, j'imagine, a données en anglais : il se plante presque systématiquement. Un exemple.

 Le personnage central, qui aime affecter un certain parler “plouc”, pose cette simple question : « Kèske tu lis ? » Il n'est pas du tout venu à l'esprit ni à l'oreille de M. Legrand que, phonétiquement, “qu'est-ce que tu lis” et “kèske tu lis” sont rigoureusement semblables et que, donc, il ne “rendait” rien du tout ?

Un autre exemple, un peu différent. Le personnage central, Charlie Crocker, est appelé par les employés nègres de son immense plantation “capitaine Charlie”, mais en “bouffant” le premier mot. Je ne sais pas comment Wolfe transcrit leur prononciation mais, dans le français de M. Legrand, cela devient “cap'n Charlie” : je défie qui que ce soit, s'exprimant en français, de parvenir à prononcer ce “cap'n” ridicule. Alors que “cap' Taine” aurait semblé tout naturel ; ou à la rigueur “p'taine”.


Dimanche 30

Huit heures. – Nos Québécois sont arrivés hier, à cinq heures comme prévu ; et la surprise de Catherine a été totale, ce qui était le but de la manœuvre. La soirée au Bel Ami a été parfaite, même si je ne trouve pas que nous tenions là le restaurant du siècle, notamment parce que le temps doux et l'absence de vent nous ont permis de dîner dehors, au bord de l'Eure. J'ai évidemment trop bu, ce qui m'a expédié au lit dès notre retour ici. Ce matin, la gueule de bois ne m'a pas empêché d'être à la boulangerie à sept heures, pour en rapporter baguettes, croissants, pains au chocolat et chausson aux pommes.

Midi. – Il y a une heure, nos Québécois ont décidé de descendre à Pacy pour acheter des cigarettes avec leur Touinego de location. Ils ne sont pas allés plus loin que le bout de notre rue : une roue crevée. En principe, le dépanneur envoyé par le loueur devrai être là demain matin entre sept heures et sept heures et quart. J'ai hâte de voir...

Cinq heures. – Pour rester en compagnie de Tom Wolfe, j'ai commencé à relire Moi, Charlotte Simmons, roman qui, lors de sa découverte, m'avait déçu, notamment par rapport au Bûcher des vanités. Et j'ai, dès les premières pages, retrouvé intact mon sujet d'agacement primordial, dû à l'utilisation systématique, par le fucking traducteur, du passé composé au détriment du passé simple.


Lundi 31

Neuf heures. – Le dépanneur était là à sept heures sonnantes... mais à part regonfler le pneu défaillant, il n'a rien dépanné du tout. En ce moment, nos Québécois doivent être au garage Renault de Pacy, où on doit arranger leur affaire, de façon à ce qu'ils puissent aller jusqu'à Paris. Là-bas, ils devraient échanger leur voiture contre une autre en meilleur état, dans une agence idoine. À moins qu'ils puissent réaliser la même opération à Évreux, l'affaire n'est pas très claire dans mon esprit (ni du reste dans le leur).
 
Onze heures. –  Journal publié avec une journée d'avance, pour satisfaire à un soudain caprice de l'Épouse…