jeudi 1 septembre 2022

Août 2022

 

 

 

 

 

 

 PAUL, EUGÈNE, MICHEL, JANE 

ET LES AUTRES

 

 

 

Lundi 1er

Six heures. – Parvenu plus ou moins exténué au bout des 350 pages de la première partie des Démons de Dostoïevski, le cœur m'a manqué devant les plus de 800 qui m'attendaient ; et les trois volumes du roman sont retournés dans la petite armoire où j'ai prudemment enfermé tous mes Russes.

Du coup, sur la table du salon, c'est Giorgio Bassani qui se frotte les mains, en ricanant sous cape. Je crois qu'il m'attendait au tournant, devinant qu'à mon âge Dostoïevski se révélerait un alcool un peu trop fort pour moi. (Pourtant, il n'y a pas si longtemps que j'ai relu en entier et sans souffrance aucune Les Frères Karamazov…)


Mardi 2

Dix heures. – Aujourd'hui : visite ! celle du Père B. (je ne saurai jamais si le mot “Père” réclame ou non la majuscule initiale ; je la lui accorde de confiance, car on n'est jamais trop prudent avec les puissances célestes) qui, à la suite d'un périple normand, viendra passer la soirée et la nuit ici, avant, je présume, de regagner son Berry domiciliaire – s'il habite bien toujours cette région, ce dont je ne suis pas tout à fait sûr.

Presque tout est prêt pour sa venue. Il ne me reste plus qu'à mettre le pouilly fumé dans le réfrigérateur et d'en extraire les fromages ; ce qui sera fait en son temps.

Je dois au moins deux choses au Père B., en tout cas sur le plan littéraire. D'abord la découverte de Flannery O'Connor, dont il m'avait envoyé le volume des œuvres complètes pour notre mariage religieux de 2010, et alors même que j'ignorais totalement son existence, et encore plus qu'il fût l'un de mes lecteurs. Et, ensuite, c'est lui qui m'avait incité à lire Les Tours de Barchester, de Trollope, écrivain dont j'ai ensuite fait mes délices.  Et je crois bien que c'est parce que je lui en ai parlé, à l'occasion d'une visite que je lui fis, que Michel Desgranges s'est mis lui aussi à dévorer les livres du dit Trollope – même si, évidemment, il le connaissait déjà (Michel connaît “toujours déjà” les écrivains dont on lui parle : c'est son côté agaçant…)

Rappelons que si les lecteurs du monde entier sont redevables à Anthony Trollope de ses très-savoureux romans, les Anglais lui doivent en outre ces grosses boîtes aux lettres rouges et cylindriques qui sont, encore aujourd'hui d'après ce que je sais, plantées aux coins de leurs rues.

– Repris, comme prévu et annoncé, la lecture de Bassani : pour aujourd'hui, Les Lunettes d'or. Et, depuis hier, je feuillette fort agréablement la Correspondance de Léautaud (deux volumes de sept cents pages environ).

Quel vieux roublard – pour ne pas dire escroc… –, d'ailleurs, que ce Léautaud ! Dans son journal, il ne cesse de prôner la totale spontanéité du style, le naturel du premier jet, le charme du “comme-c'est-venu”, etc., en profitant pour accabler de son mépris les fignoleurs  de phrase, les amateur de drapé, tels Chateaubriand ou Flaubert, deux de ses bêtes noires littéraires. 

Or, que découvre-t-on dans les lettres qu'il adresse à son ami Paul Valéry, vers la fin de 1902, alors que son Petit Ami vient de paraître dans le Mercure de France (la revue) et va bientôt sortir au Mercure de France (la maison d'édition) ? Qu'il ne cesse de se torturer l'esprit et d'accabler son correspondant de demandes de conseils : doit-il garder telle tournure ? Serait-il bon, lors du passage au livre, de remplacer tel mot par tel autre ? Doit-il revenir à sa première formulation de tel paragraphe, ou bien se contenter d'arranger celui qui est paru dans le Mercure ? Etc. Bref, on le découvre presque aussi maniaque du style et torturé de la syntaxe que le maître de Croisset lui-même !


Jeudi 4

Dix heures. – La soirée d'avant-hier, avec le Père B. s'est, comme il était prévisible et prévu, fort bien déroulée, en conversations variées et en nourritures qui ne l'étaient pas moins ; le tout accompagné par un pouilly fumé auquel je crains d'avoir fait honneur nettement plus largement que notre hôte.

– Terminé ce matin Le Jardin des Finzi-Contini et, dans la foulée, commencé Derrière la porte, court roman qui fait lui aussi partie de l'ensemble voulu par Bassani lui-même et qu'il a appelé Le Roman de Ferrare. L'autre soir, j'ai vivement conseillé au Père B. de découvrir Bassani, d'autant plus qu'il est, lui, parfaitement capable de le lire dans sa langue originale.

Cinq heures. – Un crétin d'envergure nationale, apparemment, un genre de grand chef écolo, parle, à propos d'un éventuel manque d'eau, de “stress hydrique”.


Vendredi 5

Dix heures. – Dans ma petite rubrique personnelle des phrases bizarres d'écrivains : dans un chapitre de son Héron, Giorgio Bassani évoque, à propos de l'un de ses personnages, “ses petites dents compactes de boxeur”. Quand je songe que je suis resté jusqu'à ce jour dans l'ignorance totale de la compacité particulière des dents de boxeur, cela me colle une sorte de vertige. Et, par contrecoup, je me demande s'il existe d'autres catégories de sportifs dont les dents seraient notoirement aérées, voire diaphanes.

Trois heures. – Fin de mon mini-cycle Bassani. Sur une impulsion soudaine (une impulsion a-t-elle les moyens d'être autre chose que soudaine, abruti ?), j'ai rouvert le dernier roman de Houellebecq, Anéantir. Immédiatement, je retrouve tout ce qui me séduit toujours chez l'écrivain… ainsi que ce qui a tendance à m'agacer ; comme sa propension – ce n'est qu'un exemple – à utiliser le pataud et un peu ridicule anticiper à la place du sobre et élégant prévoir. Mais enfin : péché véniel…


Samedi 6

Neuf heures et demie. – Une question me taraude depuis ce matin : ne serait-il pas grand temps de débaptiser l'Hôtel des Invalides pour l'appeler désormais  : Hôtel des en-situation-de-handicap ? Je vais tâcher de mettre la Hidalguette là-dessus.

– Je persiste à trouver, comme lors de ma première lecture, qu'Anéantir est un roman composé de deux histoires entre lesquelles la “carburation” a du mal à se faire. Mais peut-être est-ce un livre trop subtil pour moi. Cela dit, il n'en est pas pour autant dépourvu d'intérêt, très loin de là même.

Deux heures et demie. – Autre motif d'agacement que je retrouve intact en relisant Anéantir : la multiplication sans mesure des récits de rêves que fait le personnage nommé Paul. Cela dit, je ne porte nullement cela au débit de Houellebecq, c'est une affaire tout à fait personnelle : je n'ai jamais supporté les récits oniriques. Quels qu'en soient le sujet, la longueur, le style, l'auteur, le roman dans lequel ils apparaissent, c'est immanquable : dès que je comprends de quoi il s'agit, mon intérêt s'éteint immédiatement et je suis pris d'un invincible ennui, dont je suis par ailleurs incapable de démêler les raisons, si tant est qu'il y en ait. Une seule exception de taille : Lovecraft. 

Six heures. – Si je devais qualifier Anéantir en trois mots, je dirais que c'est un roman ambitieux manqué. Contrairement à ce dont je pensais me souvenir, et que je redisais hier, le livre n'est pas composé de deux mais bien de quatre histoires différentes : 1) les mystérieux attentats terroristes, 2) les rapports familiaux des Raison, 3) la campagne électorale présidentielle de 2027 et la personne de Bruno Juge, le ministre des Finances, 4) le cancer de Paul Raison. En soi, cette abondance n'est évidemment nullement blâmable. Après tout, il n'en va pas autrement dans Guerre et Paix, par exemple. Le problème est que, dans le roman russe, la puissance de Tolstoï parvient à unifier ses différentes histoires, à les fondre dans le creuset de son génie, si je puis dire. Chez Houellebecq, ça tire un peu à hue et à dia. Certes, les quatre histoires sont plus ou moins reliées entre elles… mais le lecteur se rend assez vite compte qu'elles le sont plutôt moins que plus, si bien que toutes les quatre ont tendance à s'ensabler, à s'évanouir comme un fleuve qui, en son delta, se sépare en tellement de bras qu'ils finissent par disparaître avant d'avoir atteint la mer. C'est vrai en particulier de l'histoire des attentats terroristes, qui ouvre le roman de manière hégémonique, revient ensuite de manière épisodique et déjà moins convaincante, avant de s'évaporer totalement dans l'air. Il est vrai que, dans les cent ou cent cinquante dernières pages, tout tend à disparaître, et que le roman “polyphonique” que l'on vient de lire mute brusquement et complètement en une sorte de “monographie du cancer” que rien ne laissait prévoir (ou anticiper, pour jargonner comme Houellebecq, qui semble raffoler de ce verbe imprécis et malgracieux…).

Mais roman manqué n'est pas synonyme de livre sans intérêt, et Anéantir en a beaucoup – que je pourrais détailler si j'en avais envie ou si j'étais grassement payé pour le faire. Disons que Houellebecq, là, fait un peu penser à un homme qui aurait conçu et fabriqué tout un assortiment de matériaux précieux, souvent introuvables ailleurs, mais qui, avec eux, n'aurait finalement réussi qu'à bâtir une maison toute de guingois et, pratiquement, peu logeable – mais néanmoins très séduisante.

Qu'on se débrouille avec ça.


Lundi 8

Neuf heures. – Quand on enchaine sans interruption la (re)lecture des romans de Houellebecq les plus récents, ce qui est actuellement mon cas, on est frappé par une chose : le fait que les parents du ou des personnages principaux sont à peu près tous voués à disparaître brutalement (accident de la route, suicide, cancer, etc.) ou, au moins, à se retrouver tétraplégiques. En tout cas, s'ils existent encore au début de chaque roman, ils sont sommés de quitter la scène très vite ; et, le plus souvent, sans y avoir joué le moindre rôle – sinon néfaste, lors de l'enfance et de la prime jeunesse de leur progéniture.

Deux heures. – À cause de Houellebecq (l'un de ses personnages en parle de façon fort louangeuse dans l'un des trois romans que je viens de relire… mais lequel ? déjà oublié !), j'ai comme une vague envie de lire enfin les romans d'Arthur Conan Doyle. Je dis “enfin” car, aussi étonnant que cela pourra sembler, c'est une chose qui ne m'est encore jamais arrivée – Dieu seul doit savoir pourquoi, et ce n'est même pas sûr. Hormis les deux ou trois adaptations filmées que j'ai pu voir, je ne connais rigoureusement rien de Sherlock Holmes.


Mardi 9

Midi. – Expérience un peu étrange, tout à l'heure, à la pharmacie de Pacy. La femme qui s'est occupée de mon renouvellement de drogues diverses (elle n'est pas pharmacienne, je crois bien, seulement “préparatrice” ; une sorte de lumpenpharmacienne, si l'on veut) m'a remercié au moins trois fois, et avec une chaleur qui, à ce point d'incandescence, en devenait presque inquiétante. Si bien qu'en ressortant, j'avais l'impression que par le simple fait de lui présenter mon ordonnance j'avais miraculeusement sauvé l'officine d'une banqueroute imminente et irrémédiable.

– Je continue d'enchaîner les Houellebecq, et toujours “à rebours” (ce qui devrait plaire à un admirateur de Huysmans comme lui). Je viens de terminer La Carte et le Territoire et, sautant par-dessus La Possibilité d'une île, que je n'ai jamais beaucoup aimé, m'apprête à atterrir sur Plateforme. Je pense tout de même que je vais ensuite m'arrêter là.

Six heures. – J'ai oublié de préciser que, en parallèle de Houellebecq – ou en contrepoint –, je m'étais mis à relire Léautaud. Mais, lui, je le pratique “dans le bon ordre”, ayant commencé hier et ce matin par Le Petit Ami (1903), enchaîné cet après-midi avec In memoriam (1905) avant, demain, d'emporter Amours (1906) à l'hôpital d'Évreux.

Oui car, demain, Catherine a prévu une matinée aux urgences du dit établissement. Rien de grave, juste un coup de bistouri à donner ; la difficulté, je le sens, va être de trouver une main disponible pour manipuler l'instrument en question. Et comme je n'avais rien de plus excitant de prévu pour demain, j'ai décidé de l'accompagner. Donc, prévoyant que tout cela va durer plusieurs heures, je vais emmener avec moi Houellebecq ET Léautaud. en espérant qu'ils ne se chamailleront pas trop dans la voiture. Si, avec tout ça, je n'abrège pas de manière significative mon temps de purgatoire, ce sera à désespérer du bon Dieu et de son administration.


Mercredi 10

Midi. – Lorsque, peu avant neuf heures, nous sommes arrivés devant le bâtiment des urgences de l'hôpital d'Évreux, il restait, sur le modeste parking réservé aux “visiteurs” (qui diable pourrait avoir envie de visiter des urgences ?), six ou sept places libres, ce qui, à ma connaissance, ne se produit jamais. Spontanément et sans nous consulter, Catherine et moi avons aussitôt décidé qu'il s'agissait là d'un bon signe. De fait, nous sommes repartis exactement deux heures plus tard, problème résolu, ce qui peut nous permettre de parler d'une “visite éclair” – ou presque. Curieusement, le plus long fut, en toute fin de parcours, de récupérer l'ordonnance concernant les soins “de suite”.

– En ayant terminé avec mes relectures houellebecquiennes, je viens de ressortir les deux volumes Pléiade consacrés à Jane Austen. Je compte commencer par Sanditon, roman laissé inachevé par Austen (et encore jamais lu par moi), pour cause, bien excusable, de maladie suivie de mort. Inachevé n'est d'ailleurs pas exact : ébauché serait sans doute plus juste, puisque les onze chapitres écrits occupent à peine cinquante pages de la Pléiade quand ses six grands romans en comptent chacun entre deux et trois cents. Mais il se trouve que, tout dernièrement, nous avons vu, de cette ébauche, une adaptation télévisée anglaise, en huit épisodes, et j'aimerais bien me rendre compte ce qui, sur ce qui nous a été proposé, est réellement dû au génie de Miss Austen et ce qui est imputable au(x) scénariste(s) moderne(s).

Trois heures. – En ce qui concerne Plateforme, le dernier Houellebecq relu – mais abandonné environ aux deux tiers –, il m'a parut souffrir d'une faiblesse de construction, ou de conception, comme on voudra : alors que l'histoire est racontée à la première personne par le personnage central, on rencontre néanmoins plusieurs courts épisodes pour lesquels Houellebecq revient à la troisième personne et nous raconte des choses dont son narrateur ne peut matériellement pas être au courant. Ce n'est pas grave, mais un peu gênant tout de même. 


Jeudi 11

Neuf heures. – Départ tout à l'heure pour aller déjeuner chez les Desgranges et passer l'après-midi en leur compagnie – ou plutôt : eux en la mienne.

– J'ai donc lu, hier, les quelque cinquante pages que Jane Austen nous a laissées de son Sanditon (qui, d'ailleurs, ne se serait probablement pas appelé ainsi si elle avait assez vécu pour le mener à bien et le publier). C'est pire que ce que j'avais imaginé. Je veux dire que l'écart entre le texte austenien et l'adaptation télévisée que j'évoquais hier ne peut même plus être qualifié d'écart : c'est un énorme gouffre que rien ne saurait combler. 

Car, enfin, dans ses onze chapitres, Jane Austen n'a guère le temps que de présenter ses différents personnages – et encore pas tous –, tout en esquissant de manière fort embryonnaire un ou deux des événements auxquels elle comptait les mêler. Ce qui revient à dire que son début de roman correspond en gros au premier épisode de la série… et que les sept suivants sont entièrement dus à l'imagination des scénaristes ! Partant de là, présenter la série comme une “adaptation” de Jane Austen relève au mieux de l'exagération délirante, au pis de l'escroquerie pure et simple.

Le cas le plus  flagrant est celui de Miss Lambe. Comme elle ne surgit qu'à l'ultime chapitre écrit, la seule chose que Jane Austen nous en dit est qu'elle débarque de ses Antilles natales, qu'elle est une très riche héritière et qu'elle est à demi mulâtre. À demi mulâtre, c'est-à-dire qu'elle doit avoir la peau vaguement “chocolatée” et rien de plus. Du reste, quand elle arrive (dans le roman), aucun des autres personnages ne fait montre de la moindre surprise devant son allure ou son teint.

Les scénaristes, eux, se sont rués avec voracité sur ce “à demi mulâtre” et ont choisi de donner le rôle à une négresse pur sucre – et d'ailleurs fort jolie. Ce qui leur permet, durant les sept épisodes entièrement de leur cru, de délivrer trois ou quatre de ces messages “antiracistes” sans lesquels, apparemment, aucune série télévisée digne de ce nom ne saurait désormais exister, de lui inventer un amour contrarié avec l'un de ses frères de race, né esclave, et dont on se demande ce qu'il fout en Angleterre.

On voit aussi, dans la série, un frère et une sœur aux rapports presque ouvertement incestueux, lesquels n'ont évidemment aucun début de commencement d'existence chez cette pauvre Jane Austen. 

Et tout le reste est à l'avenant, quoique moins caricatural que les deux inventions que je viens de noter. Les malfaiteurs qui ont commis cette série ont d'ores et déjà mis en boîte les “saisons” deux et trois de leur forfait, saisons dont nous nous priverons sans regret.


Vendredi 12

Deux heures. – À un moment de notre conversation, je disais hier à Michel que, venant de relire le Soumission de Houellebecq, je m'étais surpris à espérer qu'un tel scénario (élection d'un président musulman, instauration d'une charia light…) arrive effectivement en France. Pour avoir le divin plaisir de voir s'éteindre d'un coup les démences du wokisme, que cessent les criailleries des LGBT et autres allumés de la bite et de la touffe, qu'un grand coup de balai soit donné à l'Éducation nationale, et spécialement à l'Université, pour en chasser les toqués (aux deux sens du terme) qui y font aujourd'hui la loi ; et enfin, pour voir réduites au silence et à l'innocuité les racailles violentes qui poignardent à droite et à gauche en toute impunité.

Bref, j'étais, entre cochonnailles et pâtisseries, à deux doigts de me convertir à l'islam.

(Finalement, j'ai transformé la palinodie ci-dessus en mini-billet sur le blog-mère ; histoire de tirer mes amis progressistes de leur probable léthargie caniculaire.)

– Il ne faudrait pas me pousser beaucoup pour que j'en vienne à affirmer que Jane Austen est, tout compte fait, le plus grand des romanciers anglais.


Samedi 13

Midi. – Après le poignardage de Salman Rushdie par un mahométan taré, entendre un Guillaume Cingal qualifier l'écrivain de “grand résistant” produit sur mes zygomatiques à peu près le même effet que si l'on me mettait sous le nez une déclaration dans laquelle, en 1942, Marcel Déat ou Jacques Doriot auraient fait un vibrant éloge de Jean Moulin. Ou si j'entendais Houria Bouteldja se déclarer fervente admiratrice de Renaud Camus. Guillaume Cingal ou la preuve par l'exemple qu'à-plat-ventrisme et indignation ne sont pas forcément incompatibles ; il suffit pour y parvenir que le premier soit quotidiennement pratiqué et la seconde de pure commande.


Dimanche 14

Neuf heures. – Les températures semblant vouloir redevenir à peu près chrétiennes, j'ai pu renouer avec le plaisir des promenades charlusiennes dans la campagne. Mais, prudent tout de même, j'y suis allé dès huit heures.

– Commencé Le Cœur et la Raison (Sense and Sensibility) de Jane Austen. En fin de journée, je reviens à Léautaud (Amours), qui s'avère alors bien reposant : on ne court chez lui aucun risque de tomber, au détour d'une page, sur des jeunes filles à marier.

– C'est très joli, la féminisation systématique des noms… sauf lorsque cela risque d'amener un surcroît de malentendu et d'incompréhension entre celui qui parle et celui qui écoute. Car, malgré toutes les innovations, souvent irréfléchies, les soubassements de la langue demeurent actifs, et agissantes ses règles anciennes ; comme celle, décriée entre toutes, qui veut que le masculin l'emporte sur le féminin, en tant que genre “non marqué”. Par exemple, si je dis que Jane Austen est l'une des plus grandes romancières anglaises, on comprendra tout naturellement que je restreint le champ de ma comparaison à toutes les Anglaises ayant écrit des romans. Je suis bien obligé de dire : Jane Austen est l'un des plus grands romanciers anglais, si je veux être sûr qu'on comprenne que j'englobe dans cette comparaison Swift, Dickens, Thackeray, Trollope et tous les autres mâles de l'espèce écrivante ; ainsi, bien sûr, que George Eliot, Virginia Woolf, Elizabeth Gaskell et consœurs. Bref, comme dirait les Québécois : on n'est pas sorti du bois.

Deux heures. – La bêtise ou l'art de sécréter des amalgames. Chez les touitteurs, je tombe sur cette phrase, en forme d'interpellation interrogative : « Contester les chambres à gaz, prétendre à une supériorité raciale, ce sont des “idées” dignes d'expression selon toi ? » Passons sur le fait que, pour ce noble progressiste, il y aurait des idées “dignes d'expression” – les siennes, je suppose – et d'autres qui ne le seraient pas, sans que l'on puisse discerner selon quel critère irréfutable.

Le problème de cette phrase est qu'elle tente d'additionner une carotte et un navet. Car si prétendre à une supériorité raciale peut en effet être considérer comme une idée, ou plus exactement comme une opinion, qu'il est bien entendu loisible de combattre, nier l'existence des chambres à gaz ne peut en aucun cas en être une, celle-ci étant nettement prouvée. De même, affirmer que deux plus deux peuvent équivaloir parfois à trois et demi et parfois à cinq un quart, n'est pas non plus une idée, ni une opinion, mais une simple absurdité ne méritant même pas la réfutation.

Cela me rappelle le même genre de confusion faite par le personnage joué (et écrit) par Jean-Pierre Bacri dans sa pièce Cuisine et Dépendances : « Quelle majorité ? Celle qui est pour la peine de mort ? Celle qui pensait que la terre était plate ? »

Là aussi, de manière encore plus enchevêtrée, Bacri met sur un seul plan deux choses fort différentes entre elles : être pour la peine de mort est une opinion, qui peut, à ce titre, être soutenue, combattue, argumentée, etc. Croire que la terre est plate est un simple déni de réalité incontestable. Où l'affaire devient comique c'est que, en croyant dénoncer la bêtise humaine (il y a des gens qui croient que la terre est plate), il tombe à pied joint dans une erreur presque aussi grosse : depuis environ deux mille ans, personne – à l'exception de quelques groupuscules et sectes de tarés – n'a jamais mis en doute la rotondité de la terre. Pas même l'Église catholique qui, contrairement à ce que croient encore beaucoup de bouffeurs de curé, s'est toujours fichue de la forme de la terre : c'est la question de l'héliocentrisme qui lui était douloureuse, pas celle du géomorphisme.


Lundi 15

Neuf heures et demie. – Hier soir, j'ai rapporté au salon le volume de la Pléiade proposant les auteurs libertins du XVIIe (il y en a en fait deux, mais je n'ai jamais acheté le second). Pourquoi ? Parce que, rangeant Jane Austen (le volume second, cette fois) à l'étage en dessous, mes yeux se sont posés sur lui. On voit que ma motivation littéraire était profonde… Je pense que je vais relire Cyrano de Bergerac : Les États et empires de la lune et ceux du soleil. Mais comme je n'en ai pas encore fini avec miss Austen, rien n'est moins assuré que cette lecture : j'aurai peut-être envie, ensuite, de rester encore un peu avec les Anglais.

Midi. – Dans ma rubrique des phrases bizarres d'écrivains, celle-ci : « À table, elle ne mangea rien et ne chercha pas à s'alimenter. » À moins qu'une subtilité n'échappe à mon grossier entendement, il y a là comme un fort parfum de pléonasme.  Et pourquoi pas, pendant qu'on y est : « À table, elle ne mangea rien, ne prit aucune nourriture et ne chercha pas à s'alimenter. » ? Cela dit, il faut tout de même noter qu'il s'agit d'une phrase traduite (de Jane Austen, Sense and Sensibility), et que c'est peut-être M. Pierre Goubert qui s'est pris les pieds dans le tapis, et non la miss sus-nommée.

– Devant comme tout le monde subir depuis des semaines les glapissements des écolos, nous promettant dans un avenir proche d'innombrables morts dans des abominations de sécheresse, j'éprouve un plaisir furtif mais intense à faire tourner mon lave-vaisselle à moitié vide.

Six heures. – Je continue ma relecture de Léautaud avec Passe-Temps. Le premier récit de ce double recueil (car il y a aussi un Passe-Temps II, posthume…) s'intitule Madame Cantili. Il commence ainsi :

« Je n'aime pas beaucoup le petit récit qui suit. Je l'ai écrit en courant, un dimanche que je n'avais pas d'autre sujet et qu'il fallait que je donne une chronique. Je lui trouve un petit ton à la Flaubert, écrivain que j'abomine. »

Léautaud a bien raison de se placer, fût-ce ironiquement, sous le patronage du Gustave de Croisset. Car sa Madame Cantili est, en miniature, du même niveau de perfection qu'Un cœur simple, le premier des Trois Contes. Resterait à savoir s'il peut y avoir des niveaux dans la perfection, mais cela nous entraînerait trop loin – en tout cas plus loin que je ne souhaite me rendre.

Je crois que si quelqu'un n'ayant jamais rien lu de Léautaud me demandait par quel côté il pourrait bien l'aborder, je crois que je lui recommanderais chaudement ce volume contenant les deux Passe-Temps.


Mardi 16

Six heures. – Dans les Mots, propos et anecdotes de Léautaud (Passe-Temps I), celle-ci, d'anecdote, que bien sûr je connais depuis longtemps mais qui me ravit toujours quand je retombe sur elle :

« On répétait une Famille au temps de Luther. Il fallait une Bible à Mounet-Sully. Il voulut absolument en avoir une de l'époque. Malgré la difficulté à la trouver, et la dépense qu'elle représentait, Jules Claretie [administrateur général de la Comédie française, de 1885 à 1913] réussit à la lui trouver. Il la lui apporta, tout heureux, à une répétition. Mounet-Sully la prit dans ses mains, la regarda, la retourna, puis, la posant sur une table avec découragement : “Mais non, dit-il de sa voix chevrotante, mais non. À cette époque, c'était un livre neuf.” »

Et ce sera tout pour aujourd'hui.


Mercredi 17

Neuf heures. – Nous étions impatients qu'arrive sur Netflisque la sixième et dernière saison de cette remarquable série qu'est Better Call Saul. Enfin la saison vint : cruelle déception ! Dès les premiers épisodes (il y en a treize), impression que les scénaristes ont été mis au travail un lendemain de cuite sévère, ce que les différents réalisateurs ont tenté de camoufler par un maniérisme ostentatoire assez pénible. Au huitième épisode, vu avant-hier, la saison semblait bizarrement terminée, l'histoire en cours résolue. Or, il en restait encore cinq… C'est alors que tout à sombré dans le grand n'importe quoi, une succession de scènes parfaitement incompréhensibles, sans lien entre elles, chacune ne disant à peu près rien et le disant très très longuement. Bref, nous avons lâché l'affaire au onzième épisode, et sans regret, sauf celui de voir s'abîmer de façon aussi affligeante une série qui, cinq saisons durant, s'était maintenue à un haut niveau de qualité.

Six heures. – Dans le livre que j'évoquais hier, Léautaud prend plaisir, à plusieurs reprises, à flétrir le patriotisme, la fierté d'être “né quelque part”, comme chantait Brassens. Il en vient à écrire ceci :

« Supposez que les bruns se mettent à être fiers d'être bruns, avec une idée de prévalence, – et qui dit prévalence dit bientôt rivalité, – sur les blonds ou vice versa ? Vous voyez si vous êtes comique avec votre orgueil national et votre patriotisme : vous avez eu autant de part à être de ce pays plutôt que d'un autre, que les bruns à être bruns et les blonds à être blonds. »

On comprend fort bien, n'est-ce pas, qu'en imaginant que les bruns pourraient soudain devenir se rengorger de l'être, l'intention de Léautaud est de montrer, par analogie, l'inanité du patriotisme. C'est qu'il n'a pas eu l'occasion de connaître notre époque de “fierté homosexuelle” et autres black is beautiful

– Apparemment, les écolos-asilaires bénéficient d'une ligne directe avec le Ciel : voilà des semaines qu'ils piaillent à cause de la sécheresse ? On leur envoie des trombes d'eau sur Paris et sa banlieue, afin que la sécheresse qui leur faisait si peur se mue en inondations diverses. Dieu est un farceur.


Jeudi 18

Six heures. – Parce que, dans son Passe-Temps II, Paul Léautaud lui consacre un bel hommage, m'est venue l'envie de relire quelques pages de Marcel Schwob, écrivain original que nous devons être désormais bien peu à connaître – mais peut-être suis-je trop pessimiste. J'ai donc tiré de son étagère le gros volume de ses Œuvres que les Belles Lettres ont publié en 2002 et que Michel Desgranges m'avait offert dans les premiers temps que nous nous refréquentions. Il s'orne d'une assez copieuse préface de Pierre Jourde, dont je ne conserve aucun souvenir, et contient presque tout ce que Schwob a écrit durant sa courte existence. Je pense que je vais commencé par le Spicilège, ne serait-ce que parce qu'il s'ouvre sur un texte consacré à François Villon. 


Dimanche 21

Dix heures. – Deux jours sans la moindre note ici, et… ça ne risque pas de s'arranger aujourd'hui ! À moins qu'il ne se passe quelque chose d'ici ce soir, ce que je ne souhaite nullement : je suis pleinement satisfait de ces dernières journées apparemment vides, passées en compagnie de Jane Austen (depuis ce matin : Mansfield Park), de mon lever jusqu'au milieu de l'après-midi, puis de Léautaud jusqu'au dîner – Léautaud chez qui il s'avère alors très reposant de ne jamais croiser la moindre jeune fille à marier… Ensuite, la soirée – assez courte – est consacrée aux diverses saisons de Breaking Bad, série que nous avons décidé de revoir pour tenter d'effacer la frustration engendrée par la calamiteuse fin de Better Call Saul (et je me rends compte que, pour des gens ne regardant pas de séries télévisées américaines, ce qui précède doit relever du pur charabia frisant l'ésotérisme).

Trois heures. – Savoureuse note, due au traducteur, Pierre Goubert, au tout début du volume II de Mansfield Park : « On pensait généralement que le climat antillais ne pouvait convenir à des Européens, d'où la recherche de main-d'œuvre africaine. » Cette “recherche de main-d'œuvre africaine”, c'est l'art de la litote poussé jusqu'au sublime.

Six heures. – En ayant, tout provisoirement, fini avec Léautaud, il m'a paru naturel, après lui, de reprendre les écrits autobiographiques (ou “égotistes”) de Stendhal, pour lesquels l'ermite de Fontenay (langage de journaliste) a toujours professé la plus grande admiration. Triste volume, que cette Pléiade-là ! C'était dans les années quatre-vingt, je ne saurais être plus précis. Je venais tout juste de l'acheter. Ce devait être l'été, et à coup sûr le week-end, car, sitôt arrivé chez mes parents, à La Ferté-Saint-Aubin, j'étais allé m'installer sur une chaise longue, au jardin ; avec Stendhal donc. Je l'ai abandonné durant quelques minutes, le temps d'une miction, d'un café, ou que sais-je. Quand je suis revenu, la chienne berger allemand de mes parents avait eu le temps de déchiqueté toute la reliure ainsi que les 144 premières pages du livre que j'avais eu la bêtise de poser dans l'herbe. Cette chienne s'appelait Bella. En trois coups de dents, elle était devenue beyliste.


Lundi 22

Dix heures. – L'une des facettes les plus étonnantes du génie de Jane Austen est sa capacité à mettre en scène la bêtise et à la laisser s'exprimer comme librement, presque en dehors de sa volonté d'auteur. En fait, parler de bêtise est déjà trop dire, celle-ci ayant le plus souvent quelque chose d'agissant, presque de volontaire. C'est plutôt le rien, le néant de certaines cervelles qu'Austen orchestre, parfois sur cinq ou six pages d'affilée, et sans que le lecteur ne s'ennuie une seconde, grâce à cette ironie bienveillante dont elle nimbe ses dialogues. Je sais bien que “ironie” et “bienveillante” sont deux mots qui jurent ensemble, ont tendance à se repousser l'un l'autre. Mais c'est justement l'essentiel du génie de Jane Austen, sa marque, d'être capable de les fondre ensemble et d'en tirer un ton et des effets qu'elle est à peu près la seule à maîtriser à ce point.

– Bref himmel de Jean S. pour me signaler que TF1 rediffuse ce soir l'Itinéraire d'un enfant gâté de Lelouch, dans lequel joue Jean-Philippe Chatrier (il y est le fils de Belmondo), qu'il a connu comme moi à France Dimanche, au début des années 90. Comme nous ne recevons plus aucune chaîne de télévision, je ne pourrai évidemment pas le revoir, ce film. De toute façon, même ayant accès à TF1, je ne pense pas que je me serais infligé cette peine, n'ayant nul besoin de Lelouch pour penser à Chatrier.


Mercredi 24

Dix heures. – La maison de la presse de Pacy annonce triomphalement – en tout cas par voie d'affiche en vitrine – qu'elle s'apprête à fermer définitivement ses portes. Et je me demande où vont aller les gens pour acheter leurs journaux, si tant est qu'il existe encore des lecteurs de journaux, vu que c'était le seul point de vente de la ville, hors les grandes surfaces évidemment ; lesquelles, d'ailleurs, suffiront peut-être à la tâche, quoique  nettement moins diversifiées dans leurs offres. De toute façon, s'il y a un problème qui ne me concerne pas, c'est bien celui-là.


Jeudi 25

Trois heures. – En tournant, il y a quelques minutes, la dernière page d'Emma, j'ai mis fin à mon cycle de relecture des six romans de Jane Austen – relecture dont je me suis fort bien trouvé. C'est maintenant le tour de Stendhal : La Chartreuse de Parme, roman que je n'ai lu qu'une seule fois (si ma mémoire ne me trompe pas…) et il y a bien longtemps. Sauf abandon prématuré , je vais donc, dans les trois ou quatre prochains jours, être stendhalien (ou beyliste) à cent pour cent, dans la mesure où je poursuis, en seconde partie d'après-midi, ma relecture de ses écrits autobiographiques.


Vendredi 26

Dix heures. – Il y a déjà un petit moment que je n'ai pas couvert de flétrissures (peut-on couvrir de flétrissures ? J'ai un doute, tout soudain…) l'un ou l'autre de ces cuistres universitaires qui viennent encrotter les livres des meilleurs écrivains par leurs notes de bas de page ou de fin de volume. Excellente raison pour s'y remettre.

Le cuistre d'aujourd'hui est une cuistresse. Je livre son nom à la postérité, qu'elle n'a, je l'espère, aucune chance d'atteindre sans mon aide : Fabienne Bercegol. Wikimachin m'apprend qu'elle est professeur (sa fiche dit évidemment : professeure…) de littérature française à l'université de Toulouse Jean Jaurès : grand bien fasse aux abrutis hébétés qui lui font office d'étudiants. C'est cette dame que Garnier-Flammarion a chargée, voilà une grosse vingtaine d'années, de réalisé l'édition “avec dossier” de La Chartreuse de Parme, édition qu'un esprit malfaisant m'a poussé à acheter il y a presque aussi longtemps.

Ses notes occupent en moyenne un bon quart de chaque page et, neuf fois sur dix, ne sont que l'étalage d'une fausse érudition inutile – en tout cas inutile pour lire Stendhal, dont elle interrompt fâcheusement la lecture à chaque instant pour se mettre à répandre son babillage de cuistresse à très petit budget.

Car, parlant plus haut d'érudition, je parais cette pintade des plumes du paon : ses notes purement informatives semblent s'adresser à des enfants de treize ou quatorze ans très moyennement doués (une note pour nous apprendre qui était Machiavel, une autre pour nous révéler ce que fut la bataille de Waterloo, etc.) ; c'est-à-dire à de pauvres adolescents qui, s'ils sortent un jour de leurs mangas, ne se précipiteront évidemment pas sur La Chartreuse stendhalienne… même si le roman se retrouvait “au programme”. Quant aux notes “non informatives”, c'est du blabla de prof pas très douée, essayant de faire la maligne sur sa petite estrade.

On me dira que c'est bien fait pour ma pomme, que j'aurais bien dû me douter que ce genre d'édition “avec dossier” ne pouvait s'adresser qu'à des semi-mongolos assoupis en fond de classe et que je n'avais qu'à me garder de l'acheter. On aura raison.

Un peu plus tard. – Dans le dossier à charge de la Bercegol, on notera en outre que la péronnelle diplômée ne se contente pas d'interrompre grossièrement Stendhal toutes les deux minutes pour accabler le lecteur de ses bavardages hors de saison : il lui arrive fréquemment aussi de piétiner carrément l'écrivain qu'elle a pris pour victime ; c'est-à-dire de révéler ce qui va se passer ensuite dans le roman, tant elle est pressée de caser ses petites explications à propos d'événements non encore advenus.

 

Samedi 27

Dix heures. – Je viens de tomber sur un guignol touitteroïde, un certain Vincent Flibustier, qui se présente fièrement comme “formateur en citoyenneté numérique”. C'est vrai que ça manquait.

– Sinon, la bonne nouvelle – qui ne touchera pas grand-monde –, c'est que notre boulangerie a rouvert ses portes et que, donc, pour la première fois depuis près de quatre semaines, je mangerai du pain frais à midi.


Dimanche 28

Dix heures. – Entièrement repris par la lecture d'Eugène Nicole et de son Œuvre des mers. Inutile que je revienne sur les charmes qu'a pour moi ce livre, j'en ai déjà suffisamment parlé, ici ou sur le blog-mère. La nouveauté est que cette relecture va entraîner pour moi une nouvelle dépense. La raison est la suivante :

Nicole a d'abord publié séparément, à partir de 1988, les trois premières parties de son ode à Saint-Pierre-et-Miquelon. En 2004, les réunissant en un seul volume (éditions de l'Olivier), il a transformé sa trilogie en tétralogie, y ajoutant une quatrième partie, laquelle ne pouvait alors se trouver nulle part ailleurs que dans ce volume de 750 pages : c'est lui que j'ai acheté, quelques années plus tard, je ne sais plus exactement quand, probablement autour de 2010, en tout cas avant 2011.

Or, je viens de m'apercevoir, en lisant la fiche wiki de Nicole, qu'il avait “refait le coup” en 2011 (d'où ma “date butoir” ci-dessus), élevant cette fois la tétralogie à la dignité de pentalogie. Et, là encore, la partie rajoutée ne peut s'acheter seule ; il va donc me falloir, si je veux pouvoir lire l'œuvre complète, faire l'emplette de ce livre-là, lequel atteint presque les mille pages, alors que seules les deux cents dernières me manquent. 

Heureusement, dans sa grande bonté germanique, Herr Momosque me le propose à moins de cinq euros, port inclus. L'achat est donc imminent…

(J'ai oublié de noter que j'avais abandonné La Chartreuse de Parme aux alentours de la deux-centième page. Décidément, Stendhal et moi…)

Deux heures. – Il me plaît bien que les habitants de Terre-Neuve – en anglais : Newfoundland – soient, pour ceux de Saint-Pierre-et-Miquelon, devenus les Nioufes. Et je me demande s'ils sont toujours appelés ainsi de nos jours, ou bien si un progressisto-woke quelconque aurait un triste matin décrété que le mot était trop méprisant pour continuer à être employé.

– Dans son billet d'aujourd'hui, le camarade Musset affirme que nous venons de vivre un “été climatique” ; ce qui n'a rigoureusement aucun sens, mais ce n'est pas bien grave. Je suppose que, suivant la même logique asilaire, il doit considérer que nous avions connu, en 2021, un “été vaccinal”, lequel faisait suite à un printemps coronaviral.

 

Lundi 29

Dix heures. – Je ne sais plus comment a surgi l'idée, mais enfin, il y a quelque temps, m'est venue la curiosité de revoir la série fantastico-complotiste appelée X-Files, que Catherine et moi suivions plus ou moins lorsqu'elle est apparue sur les écrans, il y a une petite trentaine d'années. J'ai d'abord découvert qu'elle ne comptait pas moins de douze saisons, à raisons de vingt ou vingt-cinq épisodes chaque. Ça faisait tout de même beaucoup ! Avec une prudence qui m'a épaté moi-même, je me suis contenté de faire venir la seule saison première, trouvée pour une somme modique…

J'ai bien fait : nous avons, hier soir, lâché l'affaire au bout d'un épisode et demi. Série extraordinairement bavarde, aux ficelles trop apparentes ; et, par-dessus tout, très mal filmée à mon sens : presque uniquement des plans très rapprochés, qui donnent à l'ensemble, assez rapidement, les allures étriquées et étouffantes d'un roman-photo. Une mauvaise idée de plus que j'ai eue là, donc.

(Somme modique, somme modique… Je viens d'aller vérifier : l'affaire m'a tout de même coûté un peu plus d'une douzaine d'euros – ce qui fait cher pour une soirée ratée.)

Six heures. – Ravi, tout à l'heure, au détour d'une page de la Vie de Henri Brulard, de rencontrer sous la plume de Stendhal la locution “sauf à” prise dans son sens véritable (quitte à) et non n'importe comment ainsi qu'on le fait désormais : d'un coup, on se sent moins seul. Le problème, mon problème, est que, en ces matières, les gens avec qui je me sens moins seul sont à peu près tous morts.

Je me dis – enchaînement d'idées – que j'ai eu beaucoup de chance lorsque, un beau jour d'octobre 1982, le hasard m'a parachuté au rewriting de France Dimanche : compte tenu d'une part de mon mépris du journalisme, déjà solide à l'époque, aggravé de ma très faible capacité à l'exercer, et d'autre part de cet amour quasi exclusif que j'ai de la langue, je ne pouvais tomber en un meilleur endroit. D'ailleurs, j'y suis vaille que vaille resté 34 ans.


Mardi 30

Deux heures. – C'est une fort mauvaise idée que celle d'aller au ravitaillement dans un hangar-à-bouffe le dernier ou l'avant-dernier jour du mois : tous les salauds de pauvres viennent de recevoir leur ration monétaire de survie – celui-ci sa retraite, celui-là son SMIC et tous les autres leur RSA – et, par conséquent, se ruent en même temps que vous dans les allées du dit hangar. 

Les salauds de riches, eux, ont la décence de se répartir beaucoup mieux tout au long du mois et, en outre, de faire leurs courses plutôt dans les boutiques bio et les commerces alternatifs. Ajoutez à cela qu'ils sont nettement moins nombreux.

Anyway, nous en sommes tout de même ressortis vivants. Assourdis et hébétés, mais vivants.

Six heures. – C'est seulement aujourd'hui, à 66 ans bien tassés, que j'ai appris ce qu'était un pied-de-mouche. Pour quelqu'un qui se vante d'aimer et de connaître sa langue, cépafor


Mercredi 31

Deux heures. – Comme chaque année, grand bonheur à l'idée que, dans quelques heures, l'abominé mois d'août sera derrière nous. C'est une chose que j'ai toujours eu le plus grand mal à comprendre : comment peut-on aimer l'été ? À moins d'être dans l'enseignement, et encore, je ne vois toujours pas.


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