IL FAUT CHOISIR :
LES DIAMANTS OU LE CANAPÉ !
Vendredi 1er
Dix heures. – Du journal de Jules Renard (janvier 1894) : « On m'avait dit qu'il y a, dans les journaux, des littérateurs de vaisselle, sorte de cuisiniers spécialement chargés de faire des saletés aux hommes de talent, de rayer un mot de leur manuscrit ou d'en ajouter un, de supprimer, de recoudre. On me l'avait dit, mais je ne voulais pas le croire. »
Et voilà comment, après s'être imaginé écrivain en bâtiment durant trente ans, on se retrouve simple littérateur de vaisselle…
– Depuis la chute du communisme, il ne faut plus dire : flux RSS, mais de nouveau : frussie.
– Quand on dit d'une femme qu'elle est encore jeune, cela signifie deux choses : qu'elle est vieille et qu'on se pense délicat.
– Michel Desgranges me racontait hier que je ne sais plus quelle officine internationale avait récemment recommandé de ne plus parler de “variole du singe”, car c'était discriminatoire vis-à-vis des… des Africains ! Donc, pour ces antiracistes en béton armé, singe et Africain sont deux mots équivalents ; ou, en tout cas, assez fortement liés l'un à l'autre. Comme quoi, quand l'antiracisme est saisi de démence, il peut très facilement déboucher sur le racisme le plus “brut de décoffrage” ; c'est que le vieux Sigmund appellerait : un méchant retour du refoulé. Accessoirement, on pourrait rappeler à ces guignols qu'on trouve également quantité de singes en Amérique latine et dans tout le sud asiatique. Du reste, la formule “variole du singe” risque de discriminer également les habitants de Vincennes, dans la mesure où le rocher de leur zoo grouille lui aussi de primates divers et variés.
– La triste nouvelle du jour : « Le crash des cryptomonnaies menace les plans d'armement de la Corée du Nord. » Enfin, du moment que ses habitants continuent de manger à leur faim, c'est bien le principal…
Six heures. – Brusquement repris par un prurit déménageur : Saint-Flour tient la corde…
Samedi 2
Deux heures. – Une certaine Claire Desmares, présidente du groupe écologiste de Bretagne, se présente comme une “activiste de la ruralité positive”. Ce qui donnerait facilement l'envie de tomber dans la grossièreté.
– Commencé le Middlemarch de George Eliot : mille pages format Pléiade, je ne suis pas au bout. À moins que je l'abandonne en cours de route, comme je l'ai fait il y a quelques années et comme Michel Desgranges m'a dit avant-hier l'avoir fait aussi. Wait and see. (Ou plutôt, dans ce cas : Read and see.)
Six heures. – Un déménagement est toujours d'actualité mais, en milieu de journée, la côte normande (Dieppe ou Fécamp) a soudain “pris le meilleur” sur la Haute-Auvergne. Le suspense est à son acmé…
Dimanche 3
Six heures. – Pendant ce temps, notre Guillaume Cinglé favori en est à écrire que “ce qui se fait aux États-Unis, c'est interdire l'avortement”. Stupidité pure et simple ou mensonge assumé ? Difficile de se prononcer…
(Et je songeais hier, avec un amusement certain, à la tête consternée et horrifiée que ferait les “followers” du Cinglé en question si quelqu'un venait à leur révéler que, voilà dix ans encore, leur oracle tourangeau était un fervent et enthousiaste lecteur de Renaud Camus, ce monstre idéologique absolu. Je suppose que leur premier réflexe serait de le faire exorciser…)
Lundi 4
Une heure. – Anniversaire d'Adeline (49 ans), qui a choisi ce moment pour attraper le petit Chinois.
– Côté vélo immobile : ce matin, 8 kilomètres virtuels durant 25 minutes réelles. “Parcourus” en écoutant le Ferré de 1960 : Paname, Jolie Môme, etc. La musique, dispensée par l'ordinateur, rend l'exercice supportable, mais pas davantage : je ne comprendrai jamais les gens qui font du vélo pour le plaisir. Du reste, hormis la marche à pied, toute activité physique me semble absurde ou pénible ou les deux.
Six heures. – M. Henry Bouillier fut peut-être professeur à la Sorbonne, cela n'empêche pas que les notes dont il a parsemé le journal de Jules Renard dans l'édition Bouquins oscillent un peu trop souvent entre la cuistrerie satisfaite et un complet ridicule. Deux exemple (c'est moi qui souligne dans les deux cas) :
« À cette époque arriérée, il était mal vu de publier dans son journal des petites annonces racoleuses. »
Arriérées, vraiment, les années quatre-vingt-dix du XIXe siècle ? Plus que celles du suivant, durant lesquelles sévissait M. Bouillier ? Et même sans ce jugement de valeur dédaigneux de moderne, qu'apporte une telle note ? Rien.
« Calmette, Gaston (1858 – 1914). Journaliste, directeur du Figaro, il fut tué prématurément par Mme Caillaux. »
Prématurément ? Ce n'était certainement pas l'avis de Mme Caillaux, justement, qui devait penser, elle, qu'il était exactement temps que mourût celui qui ne cessait de s'acharner sur son mari dans les colonnes de son journal. Et qui peut se vanter d'avoir été assassiné rigoureusement au jour et à l'heure prévus ? Et prévus par quelle officine administrative ?
Mardi 5
Midi. – Léautaud n'est pas cité une seule fois dans le journal de Jules Renard, ce qui d'une part est dommage pour la curiosité et, d'autre part, un peu surprenant. Renard parle volontiers des gens – écrivains et “théâtreux” principalement – qu'il rencontre. Or, il paraît peu croyable qu'il n'ait jamais croisé ni lu Léautaud : Renard était l'un des fondateurs et principaux actionnaires du Mercure de France où travaillait et publiait Léautaud ; il était très introduit dans le milieu du théâtre, Léautaud aussi ; il était ami avec Marcel Schwob, Léautaud également ; etc. D'ailleurs et à l'inverse, Renard apparaît à de nombreuses reprises dans le journal de Léautaud : 82 “entrées” si l'on en croit l'index général. Il faudrait les reprendre toutes une à une pour voir si, dans l'une d'elles, Léautaud fait état d'une rencontre réelle, d'un échange quelconque entre eux. Mais bon…
Mercredi 6
Neuf heures. – Journée de merde : rendez-vous à deux heures et demie avec mon oculiste de Neuilly. Et, bien entendu, cette expédition vers la capitale et ses petites joies tombe le jour où les clampins de la SNCF ont décidé de se mettre en grève, ce qui risque d'accroître le nombre des imbéciles prenant la route en même temps que moi.
– Nous avons, hier soir, tenté de regarder une très récente adaptation cinématographique de l'Emma de Jane Austen (avec, dans le rôle du personnage éponyme, cette jeune actrice au physique étrange qui interprétait le personnage principale du Jeu de la dame). Nous avons abandonné après une vingtaine de minutes, tout “sonnant” implacablement faux dans ce qui se déroulait sous nos yeux. Cela m'a conforté dans mon opinion que les romans de Miss Austen sont rédhibitoirement intransposables à l'écran, bien que ces transpositions se comptent par dizaines. Le paradoxe n'est qu'apparent. L'histoire qui est racontée dans ces romans, leur synopsis, leur “pitch” sont toujours d'une grande simplicité et d'une clarté tout aussi grande ; ce qui constitue une tentation pour les cinéastes, qui pensent que rien ne sera plus aisé que de faire passer ces histoires du livre à la pellicule. Or, ce qu'ils réussissent parfois à y faire passer, en effet, ce n'est jamais rien d'autre que le squelette des romans, ce synopsis dont je parlais : tout ce qui fait le génie de Jane Austen se perd en route, à savoir son ironie subtile et baignée d'une sorte de tendresse amusée, ainsi, et surtout, que la distance toujours parfaite, ni trop grande, ni trop courte, que la romancière sait établir entre ses divers personnages et son lecteur. Pour emprunter son langage au cinéma, justement, Jane Austen est une réalisatrice qui sait toujours exactement où elle doit “placer sa caméra” et quel éclairage elle doit faire donner à tel moment puis à tel autre. Ces qualités, qui à mon avis font d'elle l'un des plus puissants écrivains anglais, ces qualités disparaissent entièrement lors du passage à l'écran ; où il ne demeure, au mieux, que d'honnêtes produits de consommation courante, ne s'élevant jamais au-dessus du niveau d'une bonne série télévisée. Voilà.
Jeudi 7
Dix heures. – Demain, dans l'après-midi, Adrien doit nous arriver du Japon pour deux jours. (En réalité, il n'arrive pas directement de Tokyo, puisqu'il vient de passer quelque temps chez sa mère – la sœur cadette de Catherine – en Franche-Comté. Mais c'est tout de même plus classieux de dire qu'on attend une visite du Japon…). Il a demandé à Catherine si elle pouvait l'emmener à Giverny, laquelle Catherine n'est pas plus enchantée que cela à l'idée d'affronter la maison Monet un samedi de juillet… Mais enfin, il faut bien faire plaisir, quand on peut. Le piquant de l'affaire est que, fraîchement débarqué de Tokyo, Adrien risque de se retrouver à Giverny noyé dans des troupeaux… de Japonais. Comme Catherine aime de moins en moins conduire, trouvant cela peu prudent en raison des vertiges qui l'empoignent sans prévenir, c'est moi qui ferai le chauffeur. Mais, n'en ayant rien à secouer de Monet, de sa maison ni de ses jardins, j'irais me promener dans les rues avec Charlus pendant que la tante et le neveu sacrifieront au rite de la visite.
– Ma rencontre avec l'oculiste s'est bien passée : ma vue a si peu évolué par rapport à l'année dernière que le Dr de Bardies n'a pas jugé bon de changer mes verres. D'après lui, et je n'ai aucune raison de ne pas le croire, si ma vision de loin s'est de nouveau affaiblie, c'est parce que ma cataracte continue d'épaissir gentiment mais sûrement. si bien que l'opération d'icelle me pend au nez, ou aux cils, et qu'elle prend même des allures d'inéluctable.
– Pour le toujours consternant Guillaume Cingal, s'indigner de la suppression de l'enseignement du latin et du grec au lycée revient à partager “toutes les paniques morales et l'élitisme antisocial de l'extrême droite”. Rappelons que cet individu est professeur.
Vendredi 8
Neuf heures et demie. – Nous venons de déposer Charlus chez son esthétichienne, qui devrait nous le restituer peu avant midi, transformé en gros rat parfumé. Quant à Adrien, il est censé arriver en gare de Vernon à six heures ce soir, soit juste bien pour l'apéritif que nous prendrons en rentrant. Je dis “est censé” car, apparemment, les nuisibles du rail sont toujours en grève et plusieurs trains sont d'ores et déjà supprimés.
– À mon âge, j'arrive encore à être épaté par certaines coïncidences chronologiques, dont je sais pourtant qu'elles n'ont rien que de très banales. Par exemple, lisant Jules Renard, je tombe sur une courte note concernant un certain Paul Leclercq, poète et romancier dont je n'avais jamais entendu parler. Il y est précisé ceci : (1872 – 1956). Constatant qu'il est né et mort aux même dates qu'un autre Paul que je connais beaucoup mieux, Léautaud, j'ai la candeur (pour rester poli avec moi-même) de m'en ébahir, voire de m'en émerveiller durant une poignée de secondes. J'ai heureusement la prudence de ne pas creuser plus avant dans la biographie de Paul Leclerq. Car si jamais je découvrais qu'il est né et mort non seulement les mêmes années mais aussi les mêmes jours que Léautaud, mon ravissement stupide me ferait au moins la journée.
– Eh bien, ça n'a pas traîné : les professeurs les plus tarés – comprenez : d'extrême gauche – en sont déjà à réclamer en trépignant la démission de leur ministre de tutelle, à cause de je ne sais déjà plus quelle phrase anodine qu'il a eu l'inconscience de prononcer. S'il se pensait, bien à l'abri sous la tente du wokisme, et douillettement protégé par la couleur de son épiderme, il va falloir que Monsieur Pap déchante : le voici derechef transformé en une sorte de Hitler racisé. C'est, somme toute, suffisamment stupide pour qu'on s'en amuse un peu. Moderne contre moderne, as usual.
Dimanche 10
Onze heures. – Parce qu'Adrien a pensé à me le rapporter, j'ai relu, hier et ce matin, le délicieux Festin en paroles de Revel. Et comme je n'avais pas envie de déserter aussi vite les cuisines, j'ai décidé d'enchaîner avec l'excellente biographie de Marie-Antoine (dit Antonin) Carême que l'on doit à la plume de M. Georges Bernier, lequel, malgré son nom, n'a rien à voir avec le Professeur Choron.
– Avant même son arrivée, Adrien avait émis le souhait d'une visite à Giverny. Catherine évitant de plus en plus de conduire, en raison des vertiges qui la saisissent sans le moindre coup de semonce, j'ai offert mes services de chauffeur, lesquels ont été acceptés avec une spontanéité qui fait chaud au cœur. Comme je n'en avais rien à faire de la maison de Monet, et encore moins de ses jardins, à visiter au milieu d'une foule compacte en short et tee-shirt informe dans la plupart des cas, je suis resté sur le parking, heureusement ombragé d'arbres, en compagnie de Charlus et de Jules Renard, me plongeant dans le second après avoir promené le premier. À leur retour, une heure et demie plus tard, Catherine m'a confirmé qu'il y avait foule, ainsi qu'elle l'avait prévu (il s'agissait tout de même d'un samedi de juillet…), et bien que nous fussions arrivés à neuf et demie, pour l'ouverture.
Six heures. – Du journal de Jules Renard : « Les femmes cherchent un féminin à “auteur” : il y a “bas-bleu”. C'est joli, et ça dit tout. À moins qu'elles n'aiment mieux “plagiaire” ou “écrivaine” : la rime n'aurait rien d'excessif. » Donc, en 1905 déjà, les écrivaillonnes s'y entendaient pour nous casser les… pieds.
L'année précédent, le même Renard notait ceci : « On avait fait une collecte pour le peintre Degroux qui n'avait plus un liard. Il prend l'argent et dit : – Je vous étonnerai par mon ingratitude. »
Je connaissais déjà cette réplique… mais attribuée à Léon Bloy. Or, en note, on nous signale que ce Degroux était un grand ami et le disciple de Bloy. Du coup, on se perd en conjectures, qui demeurent indécidables. Bloy a-t-il dit la phrase le premier, le “disciple” la reprenant ensuite à son compte ? Ou bien a-t-on attribué faussement à Bloy une réplique qui lui allait fort bien, mais dite en réalité par l'obscur barbouilleur de toiles, suivant le principe bien connu du “on ne prête qu'aux riches” ? Et le lecteur, déboussolé, finit par se dire que, peut-être, la réplique n'a été prononcée par aucun des deux, mais forgée par un journaliste ou un biographe un peu trop imaginatif et désirant corser un peu son article ou sa page…
Lundi 11
Deux heures. – On nous annonce à grands sons de trompe une nouvelle “canicule”. Je n'ai pas encore réussi à savoir s'il s'agirait d'une simple plume, ou si, cette fois-ci, nous aurions droit à l'aile entière.
Mardi 12
Six heures. – La température, ici, est montée aujourd'hui jusqu'à 33, ce qui m'a évidemment fait songer à Flaubert et à l'incipit de Bouvard et Pécuchet : « Comme il faisait une chaleur de 33 degrés, le boulevard Bourdon se trouvait absolument désert. » S'agissait-il, en ces temps reculés, d'un pré-réchauffement climatique ou d'une simple plume caniculaire ? Flaubert, et c'est bien dommage, reste muet sur ce sujet, pourtant capital.
– J'en ai terminé, presque simultanément, avec George Elliot (Middlemarch) et avec Jules Renard. À compter de demain, mon “attelage” sera formé par P.G. Wodehouse (Bill le Conquérant) et par Benvenuto Cellini (histoire de sa vie par lui-même).
– J'ai aussi écrit, sur le blog-mère, un court billet à propos du livre que Pierre Moulier a consacré à Marius Tournadre, “anarchiste fumiste” dont j'ignorais tout et même qu'il eût existé, et qu'il a eu la prévenance de me faire envoyer par son éditeur.
Mercredi 13
Neuf heures. – Le Señor Météo nous menace pour cet après-midi de 35° implacablement celsius. autant dire qu'on va se prendre une plume en pleine tronche. Comme nous n'avons pas à bouger de la maison, je m'en fiche un peu.
– Commencé ce matin “à la fraîche” à lire le roman de Wodehouse récemment publié par les Belles Lettres ; rien à y redire pour l'instant : c'est du Wodehouse tout pur ; qui, donc, ravira ceux qui aiment l'auteur et laissera indifférent ceux qui ne le prisent guère. Je précise que je fais plutôt partie de la première catégorie… à condition de ne point abuser de sa lecture, sous peine de se rendre compte qu'il a, toute sa vie, réécrit à peu près le même roman, avec des variations trop faibles pour ne pas sembler à la longue un poil répétitives.
Six heures. – La lecture de Wodehouse m'a brusquement donné envie, au mitan de l'après-midi, de me replonger dans Guerre et Paix : il est inutile de me demander le pourquoi ou le comment de cette aberrante liaison entre l'Anglais et le Russe. La chaleur peut-être ?
Mercredi 14
Neuf heures et demie. – Depuis une courte demi-heure, et comme chaque année à cette même date, la Patrouille de France s'offre quelques petits “tours de chauffe” au-dessus de nos têtes, avant d'aller, tout à l'heure, empanachée de bleu, blanc, rouge, descendre les Champs-Élysées.
– J'ai donc repris le roman de Tolstoï dans la Pléiade. Il s'agit d'une réimpression de 1990 de l'édition de 1952 (mais avec mention du “premier dépôt légal” daté, lui, de 1945, ce qui fait que je m'y perds un peu…). Bref, ce qui est notable, c'est que, contrairement à la règle de la collection, les notes de bas de page, agréablement fort peu nombreuses, le sont ici réellement, en bas de page, et non groupées en fin de volume. Sans qu'aucune indication de l'éditeur ne vienne justifier cette “entorse”.
Onze heures. – Ayant ouvert le roman, j'ai eu envie de revoir le Guerre et Paix de King Vidor, avec Mel Ferrer, Henry Fonda et Audrey Hepburn (et aussi, car c'est une coproduction italo-américaine, Vittorio Gassman). Je ne l'ai point trouvé seul mais, par hasard, je suis tombé sur un coffret de sept blu-ray consacré à la délicieuse Audrey sus-nommée, qui contient le film de Vidor au milieu de six autres tout aussi alléchants : My Fair Lady, Diamants sur canapé, Vacances romaines, Drôle de frimousse, etc. Le tout pour une quarantaine d'euros… qui furent aussitôt dépensés.
Jeudi 15
Cinq heures. – Dans le chapitre VII de la troisième partie du Livre premier (ouf !) de Guerre et Paix, on tombe soudain sur cette information que le juron favori du tsarévitch quand il est en colère est : « Tas de Bachibouzoucks ! » Et l'on se dit que, à moins d'une coïncidence improbable (oui, je sais : le propre d'une coïncidence est d'être improbable), c'est en lisant le roman de Tolstoï que Hergé a trouvé l'injure emblématique du capitaine Haddock.
Sinon, je viens de passer deux heures lafumesques, à l'ombre du cerisier, à poursuivre ma lecture du roman sus-évoqué. Et, ma foi, par moment, la petite brise qui se mettait à souffler était presque frisquette ; frisquelette, pourrait-on dire. On aura compris que si je note cela, c'est dans l'unique but d'agacer un peu ceux de mes douze lecteurs qui, dans d'autres régions que la mienne, sont toujours, à cette heure, salement canicularisés.
(Et il va falloir que je me défasse de cette manie de forger des néologismes idiots.)
Vendredi 16
Midi. – Terminé à l'instant le premier livre (375 pages) de Guerre et Paix, consacré en grande partie à la défaite autrichienne d'Ulm suivie de près par le désastre austro-russe d'Austerlitz. Je parle de défaite et de désastre parce que tout bon lecteur du roman se doit, il me semble, adopter le point de vue de ses personnages – sinon celui de Tolstoï lui-même – à propos des événements réels qui y surviennent. Et c'est ainsi qu'on se retrouve à détester les Français et l'usurpateur qui leur fait office d'empereur, à se méfier de ces sournois d'Anglais, à regarder d'un peu haut les Autrichiens et à mépriser franchement l'attentisme de la Prusse.
Trois heures. – Brusquement décidé de relire Giorgio Bassani, quand j'en aurai fini avec Tolstoï (ou quand je l'aurai lâchement abandonné…). Au moins Le Jardin des Finzi-Contini.
Samedi 17
Dix heures.
– J'avais tout à fait oublié que, dans le roman de Tolstoï, le
personnage d'Anna Pavlovna est, par certains de ses côtés, une étonnante
et savoureuse préfiguration de la madame Verdurin proustienne. De son
côté, dans le livre deuxième, la comtesse Hélène prend une coloration
assez “duchesse de Guermantes”, alors que, dans le premier, au moment de
son mariage avec ce songe-creux de Pierre Bézoukhov, elle tendait
plutôt vers Odette de Crécy.
– Relu hier, un peu en diagonale, la biographie succincte de Giorgio Bassani qui est donnée en fin du volume “Quarto” que je possède de lui. J'avais oublié que, en tant qu'éditeur, on lui devait la première édition mondiale du Docteur Jivago de Pasternak, ainsi que la “découverte” du Guépard de Lampedusa.
Lundi 18
Dix heures. – Sur touiteur, un abruti éco-compatible, un certain Mickaël Correia se prétendant “journaliste climat à Mediapart” (c'est mignon comme tout : journaliste climat…), affirme que, pour lutter contre la “canicule”, il faut urgemment “démanteler les 100 multinationales fossiles responsables de 71% des émissions globales de gaz à effet de serre”. 71% hein, vous avez bien noté ? Pas 70 ni 72 : 71 ! Ce n'est certainement pas aux journalistes climat de Mediapart qu'on fera prendre des vessies pour des lanternes, ni de bonnes grosses canicules pour de simples plumes.
D'autre part, une question me vient : si ces terrifiantes entreprises sont réellement “fossiles”, à quoi bon les démanteler, un fossile étant par définition mort, donc hors d'état de nuire ?
Enfin, je note que notre situation générale a tendance à s'améliorer : il y a un siècle, nous devions affronter les 200 familles, et voilà qu'aujourd'hui le nombre de ces grands nuisibles a été divisé par deux. L'ambiance est à l'optimisme le plus béat…
– Par ailleurs, depuis que la chaleur s'appesantit sur nos têtes, tout ce que les arrière-mondes internétiques comptent d'écolo-catastrophistes s'agite à qui mieux mieux et d'une façon assez amusante. Car au moment même où ils poussent des cris d'alerte et des piaulements de panique, on les sent proches de jubiler devant ce qu'ils pensent être l'éclatante confirmation de leurs thèses. Ils sont, malgré qu'ils en aient, tout vibrants d'une sorte de schadenfreude climatique.
Midi. – Guerre et Paix est, certes, une œuvre puissante ; dans l'enthousiasme qu'il suscite (au moins chez moi et en ce moment…), on pourrait même aller jusqu'à : prodigieuse. Néanmoins, lorsqu'il parvient à la page 750, le lecteur est saisi d'une certaine sensation de vertige en se rendant compte qu'il n'est pas encore à mi-roman…
Mercredi 20
Deux heures. – Pour éviter que ne se reproduisent les pointes de très grosses chaleurs, les écolo-touitteurs ont la solution, qu'ils ne cessent de remettre sur leur petit tapis depuis tous ces jours derniers. C'est une solution comportant deux volets principaux. Il faut :
1) Remplacer son steak quotidien par des courgettes ou des radis.
2) Abattre le capitalisme.
Pour ce qui est du capitalisme, je ne puis malheureusement pas faire grand-chose. En revanche, hier, Catherine et moi nous sommes astreints à un dîner “tout légumes”. Et, en effet, aujourd'hui, le thermomètre affiche seize degrés de moins qu'hier à la même heure. Le monde entier doit donc urgemment se convertir à l'écolomanie : je ne vois pas d'autre solution pour nous empêcher de tous défunter dans d'atroces souffrances et en état de péché mortel.
Jeudi 21
Dix heures. – L'information capitale de ce jour (en attendant mieux) : « Didier Lallement fait don de sa casquette de préfet de police de Paris à un musée. » Et les chaussettes qu'il portait le jour de sa prise de fonction, il se les garde pour lui, les chaussettes ?
À part ça, je l'aimais bien, moi, ce préfet. D'abord parce qu'il portait le même prénom que moi, et ensuite parce que son patronyme est celui de ma grand-mère maternelle – quand elle était jeune fille, avant d'épouser René Jadoulle, à l'automne de 1931.
Onze heures. – Depuis ma dernière escale ici, j'ai eu l'immense bonheur de me sentir riche durant une dizaine de minutes. Les événement se sont succédé comme suit :
D'abord est arrivé le serrurier convoqué par Catherine, vu que notre porte d'entrée refuse depuis quelques jours d'être fermée à clé, ce qui préoccupait la maîtresse de maison (j'aurais plutôt, moi, tendance à m'en foutre).
À peu près au moment où il pénétrait dans la maison, je découvrais ici, émerveillé, que le Trésor public venait de me rembourser un “trop perçu” d'impôt de 450 €. Comme il est de règle, une intense gratitude m'inonda aussitôt, devant ce “cadeau”, accompagné d'une agréable sensation d'opulence imméritée.
Environ dix à douze minutes plus tard, donc, je regagnai la maison où le serrurier était occupé, sur un coin de la table de salle à manger, à rédiger son devis. Verdict : 600 €.
Je venais d'être riche durant un petit quart d'heure…
Autre petit fait, pour moi assez intrigant. Arrivant au total du devis en question, ce noble artisan nous annonce donc une somme de 648 €. Et, aussitôt, après une courte seconde de réflexion, nous annonce qu'il nous octroie une “petite remise”, qu'il chiffre à 38 €, « pour vous remercier de votre accueil sympathique », précise-t-il.
Ni Catherine ni moi n'avions fait la moindre remarque quant au prix initial, ni même esquissé la plus petite grimace pouvant induire que nous trouvions son devis douloureux. Alors, pourquoi ce rabais spontané ? Et pourquoi 38 €, plutôt que 35 ou 41 ? Ça m'énerve un peu de me dire que je n'en saurai jamais rien.
(Renseignement
pris auprès de Catherine, le devis de départ était non pas de 648 mais
de 638 €. Du coup, la remise de 38 € se comprend beaucoup mieux : elle
est un “arrondissement” à la centaine inférieure. Mais ça n'explique pas
du tout la raison de cette remise spontanée.)
Trois heures. – Retour d'Évreux, où j'ai accompagné Catherine qui avait rendez-vous chez notre dentiste. C'est un praticien que Catherine a trouvé il y a environ un an, peut-être un peu plus, et dont nous sommes fort satisfaits : français “de souche”, installé en plein centre ville dans un cabinet où son père officiait avant lui, bref : un truc suffisamment vieille France pour nous convenir. Tellement vieille, cette France, que ce damné arracheur de dents vient d'annoncer à Catherine qu'il prenait sa retraite à l'automne ! Nous voilà revenus au point de départ. Le conseil du futur retraité : « Surtout, n'allez jamais dans un cabinet dentaire collectif ! » Je sens que tout cela va se terminer à Neuilly-sur-Seine, comme pour nos autres spécialistes…
– Pour ce qui regarde Guerre et Paix, j'approche de l'épilogue. Il faut tout de même savoir que le dit épilogue occupe cent trente pages format Pléiade, ce qui représente à peu près la totalité d'un roman pondu par l'une ou l'autre de nos écrivaillonnes autofictionneuses…
Vendredi 22
Neuf heures. – Matinée plutôt agitée (à notre légumineux niveau, s'entend). D'abord, dès mon lever, il a fallut : 1) que j'enferme le chat dans le petit salon de télévision, pour être sûr qu'on l'ait sous la main un peu plus tard, quand il s'agira de l'emmener chez le vétérinaire ; 2) bloquer au moyen d'une chaise la porte d'entrée, provisoirement privée de tout moyen de fermeture, je le rappelle, afin d'éviter que Charlus n'allât défoncer le grillage de l'enclos des poules dans le but, souvent réalisé, de bouffer le pain d'icelles.
Ensuite de quoi, il fallait guetter : 1) le livreur qui doit apporter incessamment sa nouvelle tablette iMachin à Catherine ; 2) le serrurier qui, contre toute attente de notre part, s'est déclaré déjà en mesure de nous bricoler une porte toute neuve et “fermante”. Il est d'ailleurs en train d'officier au moment où j'écris ces lignes. Il est arrivé accompagné d'un aide, jeune homme qui a fait passer un frisson d'horreur le long de la colonne vertébrale de Catherine… quand elle s'est avisée qu'il était “décoré” d'une énorme araignée tatouée sur son cou.
Après cela, peu avant onze heures, il s'agira de pousser Golo à l'intérieur de sa caisse de transport, sachant bien que, se doutant de quelque chose, il sera terré sous le clic-clac. Ce sera à moi d'aller attendre à la clinique vétérinaire le bon vouloir du Dr Le Thomas, Big Boss de la dite clinique.
Enfin, avant de rentrer, épuisé mais heureux, je ferai un crochet par le Bricomarché afin d'y récupérer les deux paquets qui n'attendent que moi. En effet, le garage Ford où j'avais, si je puis dire, mon couvert mis, a cessé d'être un “point Mondial Relay”, ce qui nous a conduits à adopter pour nos livraisons le Bricomarché en question.
De tout cela, je suis épuisé par avance.
– Sinon, je viens tout juste d'aborder à l'épilogue du roman de Tolstoï. Que j'envisage de faire suivre par Anna Karénine, dont, pourtant, je ne conserve qu'un souvenir mitigé.
Midi et demie. – Le programme déroulé ci-dessus s'est enchaîné sans la moindre anicroche. Grosse frayeur tout de même (n'exagère pas, mon gars, n'exagère pas !) en ouvrant l'un des deux colis “Bricomarché”, celui qui contenait le coffret de DVD donnant les adaptations des différents romans de Jane Austen. Sur la boîte et sur la jaquette, je découvre ceci : « langues : français, anglais – sous-titres : anglais. » Ma première réaction fut quelque chose comme : fuck and shit ! merde ! joder ! Puis, je me suis dit qu'il était tout à fait illogique de proposer à un public français (tout était écrit dans cette langue sur boîtier et pochette) des sous-titres anglais : cela méritait vérification. Et, en effet, il s'agissait bien d'une simple bévue typographique et les sous-titres étaient heureusement rédigés dans la langue de Christine Angot. Mais, avec tout ça, je n'avais plus un poil de sec.
– Prenant notre café sur la terrasse, Catherine en vient, je ne sais plus comment, à évoquer la chance que j'ai d'avoir une femme que les bijoux n'ont jamais intéressée. Et elle conclut par cette sentence, à mon avis définitive : « Dans Diamants sur canapé, moi, ce que je préfère, c'est le canapé ! »
Samedi 23
Neuf heures et demie. – Ce matin, Catherine et moi avons fait marcher la tondeuse. Pas celle du jardin, lequel n'en a, en ce moment, nul besoin : celle de ma tête. Me voici donc tout prêt à affronter d'un crâne léger les futures plumes caniculaires, que ne vont sûrement pas manquer de provoquer – peut-être même exprès, parce qu'elles ont très mauvais fond – les cent “multinationales fossiles” dont j'ai découvert l'existence il y a quelques jours (cf supra en ce journal) et dont je continue à ignorer les noms et les agissements précis ; mais dont je suis désormais bien persuadé de leur nature intrinsèquement démoniaque.
Sur ce, je retourne vers Anna Karénine, ses traîneaux, ses toques de fourrure, ses étendues neigeuses et glacées, ses plumes frigorifiques, etc.
Onze heures. – Comme il y avait au moins vingt-quatre heures que je n'avais pas dépensé d'argent, je viens de commander :
1) Le livre de George Steiner intitulé Tolstoï ou Dostoïevski,
2) Anna Karénine, film de Julien Duvivier datant de 1948, avec Vivien Leigh dans le rôle titre.
D'ici à ce que les âmes vertueuses me dénoncent comme suppôt de Poutine il n'y a pas des verstes…
– J'apprends, par le blog de Miss Élodie J. que mon grand ami Guy Birenbaum va publier un roman. Pour nous appâter sans doute, il nous donne à lire le texte de quatrième, où je pêche ceci : « Dans une suite de textes fulgurants, véritable puzzle qui donne à ce roman cousu main des allures de fausse autobiographie (où tout est vrai), Guy Birenbaum, etc. »
Qu'est-ce que c'est que ce charabia ? Comment une suite de textes – même fulgurants… – pourrait à la fois former un puzzle et se constituer en roman ? Qu'est-ce donc qu'un roman “cousu main” ? Et, surtout, en quoi peut bien consister une fausse autobiographie où tout est vrai ? Est-on en droit de l'opposer à une véritable autobiographie où tout serait inventé ?
Là-dessus, le général Birenbaum entend placer ses troupes dociles en ordre de marche et ne voir qu'une tête. Il écrit : « Publier aux éditions Braquage […] c'est faire le choix de la petite édition artisanale et indépendante. Il est donc important que dès maintenant ceux que le livre intéresse le précommandent. Quasiment par militantisme. »
Vous avez compris, tas de ploucs velléitaires ? On commande et sans discuter ! D'autant plus qu'il s'agit là, non pas de faire tomber quelques euros dans l'escarcelle de l'auteur, comme pourraient l'insinuer quelques mauvais esprits, mais d'un acte merveilleux de militantisme désintéressé, de dévouement à une noble cause-qui-nous-dépasse-tous.
Guignol, va…
Dimanche 24
Neuf heures. – J'étais, il y a un instant, tout juste installé devant ce clavier, dans la Case dont j'avais ouvert les fenêtres une heure plus tôt, afin de profiter de la fraîcheur matino-dominicale, j'entends soudain comme un grattement, sur ma droite, du côté de la bibliothèque hispano-anglo-saxonne. Était-ce Charlus ? Une des deux poules enhardie jusqu'à entrer ici ? Pour le savoir, il fallait que je me lève, une avancée de cloison m'empêchant de voir par là…
Ce n'était ni chien ni poule… mais un écureuil, sans doute entré par la petite fenêtre donnant sur le parc des voisins, et qui, je suppose, se cherchait de la lecture du bout des incisives. Il a détalé par la porte ouverte, sans demander son reste – ni rien emporter.
– On tombe parfois, y compris dans les plus grands romans, sur des notations curieuses, pour ne pas dire absurdes. Par exemple celle-ci, au chapitre XXVIII de la deuxième partie d'Anna Karénine : « Alexis Alexandrovitch sourit de son sourire sans expression qui ne laissait voir que ses gencives. » Un sourire qui découvre les gencives, on voit ce que cela donne, pour en avoir déjà rencontré un certain nombre. Mais un sourire qui ne laisse voir que les gencives ? À moins, à la rigueur, d'être totalement édenté, ce que n'est pas Alexis Alexandrovitch Karénine, la chose semble rigoureusement impossible.
Cela me rappelle, il a quelque temps, dans je ne sais plus quel autre roman, d'avoir souri à l'évocation de tel personnage qui, pour marquer son ennui, simulait un éternuement. Essayez donc de simuler un éternuement, vous m'en direz des nouvelles !
Lundi 25
Trois heures. – On peut se demander – et, de fait, on se le demande – quel petit démon particulièrement vicelard pouvait pousser Léon Tolstoï à gâcher de lui-même ses œuvres les plus imposantes.
Dans Guerre et Paix, ce sont ces nombreuses, interminables et filandreuses pages où le romancier tente de se muer en philosophe de l'histoire, sans pratiquement jamais y parvenir, n'alignant à peu près que des lieux communs ou alors de franches stupidités.
Dans Anna Karénine, c'est le “plombant” personnage de Constantin Lévine et ses tout aussi interminables dissertations ou discussions sur l'avenir de la paysannerie russe, les modernisations de l'agriculture, etc. Autant de considérations qui avaient peut-être leur intérêt pour un lecteur russe de 1880 (et encore…), mais qui l'ont totalement perdu depuis lors.
C'est d'ailleurs curieux car, dans ses Paysans, Balzac lui aussi aborde des sujets semblables ; pourtant, il reste toujours passionnant. Il est vrai que, contrairement au Russe, il ne prétend nullement jouer au vieux sage et faire le bonheur de l'humanité future, rôle plutôt endossé par Hugo ; qui, du coup, sait lui aussi devenir parfaitement emmerdant quand ce prurit le saisit.
Tout cela ne devrait pas nous empêcher, ce soir, de nous farcir trois heures de Tolstoï mis en bobines par King Vidor.
– Ce matin, reprise du vélo immobile, après la bonne excuse des grosses chaleurs passées. Mais reprise fort modeste : moins d'un quart d'heure…
Mardi 26
Neuf heures. – Eh bien, le War and Peace de Vidor s'est finalement révélé plutôt décevant, surtout pour moi qui avais encore le roman tout frais dans la mémoire, et dont il ne reste pas grand-chose, à peine le squelette, et encore privé d'un certain nombre de ses os, une fois faite la transposition à l'écran. Il en surnage de vagues histoires sentimentales entre des personnages falots (à l'exception d'Audrey Hepburn, qui est une Natacha Rostov assez convaincante), un Napoléon et un Koutouzov caricaturaux, et des grossièretés historiques manifestes (Napoléon présent au passage de la Bérézina et, quasiment, attendant sagement son tour pour franchir la rivière…). Tout cela a ravivé l'envie que j'avais plus ou moins, d'acheter le film fleuve de Bondartchouk.
Six heures. – Parvenu à moins de cent pages de la fin, je dois dire que mon avis sur Anna Karénine reste inchangé par rapport à ma précédente lecture (mais quand était-ce ?) : roman passablement ennuyeux, je n'en démords point. Quant à l'héroïne, c'est assez typiquement le genre de femme dont on est toujours content d'éviter de croiser la route : amoureuse possessive ascendant hystérique. Bref : une pénible. Non dénuée de charme et de charmes, d'ailleurs… mais pénible.
– Demain, donc, je quitterai les steppes enneigées de Russie pour la plaine du Pô, et plus particulièrement Ferrare où m'attend Giorgio Bassani depuis déjà plusieurs jours (je commence à le sentir un peu énervé).
Mercredi 27
Onze heures. – Peu avant dix heures, j'ai poussé la Karénine sous le train. Il me reste maintenant à gagner Ferrare, voyage qui sera achevé en début d'après-midi.
Trois heures. – Effet du grand âge, effet agaçant et même pénible, il m'arrive de plus en plus fréquemment d'oublier le nom de personnages qui me sont pourtant fort familiers (le genre dont on dit généralement : c'est énervant, je ne connais que lui…). Autant que faire se peu, je m'efforce de ne pas aller le rechercher, ce nom, ailleurs que dans ma mémoire délabrée ; environ deux fois sur trois, au bout d'un temps variable, j'y parviens en effet, ce qui constitue chaque fois une petite victoire bien agréable.
Le pis arrive lorsque, au nom que je cherche, vient inopinément s'en substituer un autre, dont je sais qu'il n'est pas le bon, mais qui s'installe quand même à l'avant-scène, prend aussitôt toutes ses aises et la place, rendant impossible la survenue du nom véritable.
Cela vient de se produire à l'instant. Je ne sais pourquoi, ayant commencé à relire Le Roman de Ferrare de Giorgio Bassani, je me suis mis à songer à La Conscience de Zeno, roman de… de… J'ai cru un moment que je m'en sortirais tout seul. C'est alors qu'a surgi Italo Calvino. Je savais bien entendu que jamais Calvino n'a écrit La Conscience de Zeno ; mais, une fois sorti de l'ombre, ce bougre de Rital refusait d'y rentrer ! Et il m'a bien fallu me traîner jusqu'à la Case pour rendre à Italo Svevo son dû.
Ce qui m'étonne le plus est que le prénom commun à Calvino et à Svevo ne m'ait pas mis sur la bonne voie. C'est sans doute le signe que le mal progresse…
Jeudi 28
Dix heures. – Fait l'ouverture du Bricomarché – une grande aventure des temps modernes – pour y récupérer le livre de George Steiner, Tolstoï ou Dostoïevski (Belles Lettres). Personnellement, entre les deux mon choix est déjà fait ; mais enfin, ça vaut sans doute quand même la peine d'y aller jeter un coup d'œil.
Vendredi 29 (anniversaire de Catherine)
Onze heures. – La honte : dix minutes après avoir noté que c'était aujourd'hui l'anniversaire de Catherine, de retour à la maison j'ai totalement oublié de le lui souhaiter. Même le fait de me souvenir que nous devions passer à la pâtisserie pour y acheter un gâteau – chose tout à fait exceptionnelle chez nous – ne m'a pas fait bouger une oreille…
Comme nous étions à Pacy – où, dans la rue qui mène à l'église, les pompiers étaient occupés à tenter de ranimer une personne étendue sur le trottoir (mais invisible à nos yeux –, je suis également allé à notre boulangerie pour y prendre livraison des trois pains “meunier” qui, en principe, devraient me permettre de ne pas mourir de faim d'ici le retour de vacances des boulangers, vendeuses et autres mitrons. En réalité, en acheter quatre aurait été plus sûr, mais notre congélateur n'est pas un modèle extensible.
Passé également au Bricomarché afin d'y récupérer l'Anna Karénine de Julien Duvivier.
Samedi 30
Midi. – Commencé, hier, à relire Les Démons de Dostoïevski : influence pernicieuse du livre de Steiner évoqué quelque part plus haut. Même impression que lors de précédentes lectures : Dostoïevski, et particulièrement ce roman-là, engendre assez rapidement une sorte d'ébriété, sans que l'on puisse déterminer qui des deux est saoul, de l'auteur ou de son lecteur.
Pour
le coup, il y en a un qui fait un peu grise mine de s'être fait, sans
façons, voler son tour de parade, c'est Giorgio Bassani, auquel je
reviendrai dès je serai gavé du Russe.
Dimanche 31
Onze heures. – Dans nos contrées, la canicule atteint des proportions si vertigineuses que, depuis ce matin, j'ai sur le dos une grosse chemise canadienne molletonnée. Et boutonnée quasiment jusqu'au col.
– Nous attendons une visite, un jour de la semaine prochaine ; mais ce sera pour le journal d'août…
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