LA CASA DE PAPEL
Samedi 1er
Trois heures. – Pluie en rafale et vents épileptiques : pas moyen d'aller arpenter les voies et les chemins. Ça commence bien…
Dimanche 2
Sept heures. –
Ce matin, écrit 8500 signes “lucratifs”, ce qui ne m'était pas arrivé
depuis des lunes. Il m'en reste environ 5500, que je vais me dépêcher de
boucler demain matin, avant d'expédier le tout aussitôt, de façon à
“passer” sur les piges de novembre – payées fin décembre – et non sur
celles de ce mois-ci.
– Terminé Deux siècles ensemble, tout à l'heure, entre le repas de Charlus et notre propre dîner ; commencé aussitôt L'Archipel du Goulag,
ou plutôt : recommencé, puisque déjà lu il y a une vingtaine d'années
(à la louche : je ne sais plus du tout quand j'ai lu ça).
–
Adrien, le neveu de Catherine, est arrivé du Japon pour quelques
semaines en France. Il sera chez nous le week-end du 15. Catherine a décidé que,
ne faisant rien à Noël, nous nous offririons un petit réveillon
prématuré, pour son arrivée, le 14 au soir. Nous avons prévu d'aller
passer la journée du lendemain à Chantilly (il y a, dans l'enceinte même
du château, un restaurant “Relais et Châteaux” qui a l'air pas pire
(parlure québécoise)), et, le dimanche après-midi, nous irons
probablement visiter le château de Monte-Cristo, cette demeure assez
étrange qu'Alexandre Dumas s'était fait construire à Port-Marly et qu'il
n'a finalement que fort peu habitée, si j'en crois les pages que Renaud
Camus lui a consacrées dans le volume “Île-de-France” de ses Demeures de l'esprit.
Lundi 3
Neuf heures du matin. – Parvenu aux deux tiers de Résurrection,
j'en retire une impression étrange : celle d'une histoire qui se serait
trompée d'auteur. Culpabilité, élan vers la rédemption, chute, rachat,
mysticisme et faux semblant : quel roman aurait tiré Dostoïevski de tout
cela ! Et ce n'est sûrement pas lui qui, comme Tolstoï, nous aurait
infligé ces lourdes tartines sur la justice de classe, la cruauté des
hauts fonctionnaires, l'innocence des bagnards, etc. Résurrection
: du Dostoïevski délayé dans du Hugo. Cela dit, il faut être juste et
reconnaître de nombreux éclairs de génie, dans ce roman. Ainsi, dans un
long chapitre de la première partie, qui nous place au cœur d'un salon
mondain, on a l'impression de lire du pré-Proust, par l'enchaînement des
scènes et l'ironie pénétrante du regard ; impression renforcée par le
fait que le personnage central de toute la scène semble préfigurer à la
fois Mme Verdurin et la duchesse de Guermantes. Et puis, tout de même,
Tolstoï est beaucoup plus sensible au monde extérieur que ne l'a jamais
été Dostoïevski.
Deux heures. – Hier et ce
matin, mon inextinguible soif de richesses m'a conduit à m'intéresser à
l'endométriose. Qu'est-ce que l'endométriose, ami lecteur (comme elles
savent sans doute déjà de quoi il retourne, les amies lectrices sont
autorisées à aller jouer dehors jusqu'à mon intervention suivante) ? L'endomètre
est la muqueuse qui recouvre la
paroi interne de l'utérus. Au début de chaque cycle menstruel, il
s'épaissit et devient richement vascularisé, pour pouvoir éventuellement
accueillir un embryon, qui deviendra ensuite un enfant bruyant, puis un
adolescent pénible et enfin un électeur de la France insoumise.
L'endomètre est parfois appelé
“dentelle utérine”, ce qui est bien une manière hypocrite de cacher la
merde au chat. Si grossesse il n'y a point, l'endomètre se détériore
partiellement et les déchets sont évacués par le flux menstruel (j'en
vois déjà au moins trois qui ont quitté la salle, tout pâlots). En cas
d'endométriose, la voirie se met en grève et les petits détritus
remontent au lieu de descendre, pour aller coloniser, à leur fantaisie,
les trompes, les ovaires, mais aussi bien l'intestin, le rectum et
autres organes alentour. Je vous passe les détails, mais enfin, en gros,
toutes ces adhérences parasitaires engendrent inflammations,
saignements, kystes, nodules, et provoquent chez ces dames des douleurs
fort pénibles au moment des règles, mais aussi entre les règles dans
certains cas, et parfois pile à l'instant de l'orgasme : la joie dans la
douleur.
J'ai donc passé deux jours à scruter de près cet intéressant processus et ses diverses conséquences. Privilège du grand âge, je crois m'en être tiré sans dommages psychiques majeurs. Mais je pense que si on m'avait demandé d'écrire ce genre d'article à 20 ans, j'aurais viré pédé illico.
Jeudi 6
Neuf heures du matin. – Est-ce que je “soutiens” les gilets jaunes (les Gilles et John,
comme dit l'autre…) ? Oui, indubitablement, et même de plus en plus, à
mesure que dure le mouvement. Éprouvé-je même un élan de sympathie
envers eux ? Une certaine forme de solidarité (toute passive, malgré
tout) ? Encore oui. Mais mon soutien est-il d'un excellent aloi ? D'un
métal sans la moindre paille ? Pas sûr. Car, ces gens, tels qu'on peut
les voir sur internet et, je suppose, à la télévision, il faudrait me
payer cher pour me voir fraterniser vraiment avec eux, avec leurs
personnes, et rien que l'idée que je pourrais avoir à les fréquenter
suffit à provoquer chez moi une fugace sensation d'ennui, voire
d'accablement. Il est vrai, pour tempérer le côté désagréable de ce que
je viens de dire, il est vrai que, l'âge augmentant, je me sens de moins
en moins en moins apte à toute fraternisation, quel que soit le frère
putatif. Les gilets jaunes représentent certainement la “vraie France”
(c'est-à-dire, soyons clair, celle qui agonise sous nos yeux), mais
qu'on me permette, même si j'en suis indubitablement issu, de me tenir
prudemment en lisière d'elle.
Dimanche 9
Trois heures. – Demain, matinée de merde : scintigraphie à la clinique Bergouignan (mais comment peut-on avoir un nom pareil et, en plus, fonder des cliniques ?) d'Évreux. Une scintigraphie, pour ceux qui ne savent pas, c'est environ cinq heures dont au moins quatre dans la salle d'attente. On va d'abord faire du petit vélo, jusqu'à ce que souffle et muscles vous lâchent (quand ce n'est pas le cœur lui-même, comme ce bon Goscinny). Ensuite, retour à la salle d'attente, pas très longtemps (d'après mes souvenirs d'il y a quatre ans…). Puis on va s'allonger à côté d'une machine qui, contrairement au scanner, n'a même pas l'intérêt de bouger pour vous distraire un peu. Ensuite, de nouveau salle d'attente, et là pour au moins deux heures. Puis, on repasse à la machine sus-évoquée. Après, re-re-re-salle d'attente, avant de voir enfin un cardiologue, qui vous dit que tout va bien et que vous pouvez rentrer chez vous ; ou bien qui vous fait immédiatement hospitaliser, c'est selon. Et, durant ces cinq heures, on vous interdit de sortir fumer une cigarette sur le parvis, sous le peu rassurant prétexte que vous êtes radioactif. Seul point positif : on a le droit de se nourrir avant d'arriver. Non, un autre : leurs fauteuils, si j'ai bonne mémoire, sont tout à fait confortables. Ce qui me permettra de bien avancer dans le second tome deL'Archipel de M. Sol.
Lundi 10
Cinq heures. –
J'ai écrit des sottises, hier : la machine bouge bel et bien. Mais on
n'en voit rien dans la mesure où l'on est étendu sur le ventre avec
interdiction de bouger un cil (sinon la photo est floue et il faut
remettre ça…) D'autre part, j'ai été optimiste en parlant de cinq
heures, puisque j'en suis demeuré six à Bergouignan, au sous-sol qui
plus est, si bien que j'ai un peu l'impression que quelqu'un, quelque
part, m'a escamoté une journée. Mais enfin, malgré cela – l'épuisement
sur le vélo immobile, puis les trèèès longues heures d'attente entre les
deux passages en machine (lavage et rinçage ?) –, je suis tout à fait
content de savoir que mon cœur va aussi bien qu'il n'allait il y a un
peu plus de quatre ans, lors du même examen au même endroit. À noter, ce
petit fait presque incroyable qui m'a presque arraché des sanglots de
gratitude : la salle d'attente où l'on passe ces heures vides, non
seulement est pourvue de fauteuils qui sont réellement des fauteuils,
comme je le disais hier, mais surtout… il ne s'y trouve ni radio ni télévision.
Mardi 11
Midi.
– Un retentissant imbécile de tendance communiste, nommé ou pseudonommé
Alain Bobards vient d'écrire ceci, en commentaire chez Juan Sarkofrance
(lequel a un redoutable don pour attirer les dogmatiques furieux, je me
demande bien pourquoi). Bref, voici ce qu'écrit ce Bobards, à propos de
ce que semble avoir dit, hier, le président de la République, que je
n'ai évidemment pas écouté :
« Un truc qui sautait aux yeux, hier soir : le petit marquis lisait un
prompteur . On peut en déduire que 1) ça manquait de sincérité 2) que ce
sont les communicants élyséens qui ont rédigé le texte 3) que ça
confirme que les « conseillers » du petit marquis sont aussi largués
que lui 4) que de se prendre pour » la figure du roi « , ça incite les
citoyens à lui coller des baffes dans la royale figure ! »
Donc, pour cette andouille de format king size
: 1) quand on lit un texte, c'est qu'on ment : la sincérité ne peut
naître que de l'improvisation ; 2) quand on lit un texte, c'est forcément qu'il a été écrit par quelqu'un d'autre que soi (exemple : Malraux
accueillant les cendres de Moulin au Panthéon…) ; 3) le fait que le
texte soit écrit, et le soit par d'autres, implique que ces autres ne
savent absolument plus quoi raconter (c'est pourquoi, je suppose, on
leur a confié l'écriture de la dite déclaration) ; 4) que lire un texte
sur un prompteur implique que l'on se prend pour “la figure du roi”
(mais pourquoi pas pour le roi lui-même ?), ce qui, bien entendu, dans
l'esprit de ce résidu post-moderne de Jacobin, entraîne une envie de
violence chez les “citoyens”.
Peut-on être plus sottement et plus illogiquement péremptoire ?
Sept heures. – Il y a, c'est connu, des degrés dans l'horreur, notamment en matière carcérale. quand on sort à peine de L'Archipel du Goulag pour
se replonger incontinent dans les mémoires de Casanova, on se surprend à
sourire devant la description qu'il donne de ses conditions de détention aux
célèbres “plombs” de Venise : pour un peu, on aurait presque
l'impression qu'il vient simplement de tomber dans un hôtel de basse
catégorie (son geôlier, le premier jour, vient prendre la commande de ce
qu'il souhaite pour son repas du lendemain, et savoir de quels meubles
il a besoin…). De même, d'après Soljénitsyne, la Maison des morts de Dostoïevski (que je compte relire juste après L'Archipel)
fait plus ou moins figure de camp de vacances pour jeunes difficiles de
Seine-Saint-Denis ou de la banlieue lyonnaise. À l'inverse, au moment
de la parution d'Ivan Denissovitch, son auteur s'était fait
amicalement tancer par Varlam Chalamov : « Qu'est-ce que c'est que ce
chat qui se promène librement dans votre hôpital ? Pourquoi personne ne
l'a-t-il encore tué et mangé ? » Cela dit, quand on voit ce que furent
les camps communistes et nazis (et sont sans doute encore, ici ou là,
dans le premier cas), on se dit que, dans l'avenir, il va être vraiment
difficile de faire pis. Mais je suis probablement un incorrigible
optimiste. Ou, si l'on veut voir les choses sous un angle différent, un
incurable pessimiste, un type qui ne fait pas assez confiance à
l'ingéniosité humaine…
Mercredi 12
Dix heures du matin. – Cinquième anniversaire, aujourd'hui, de la mort de mon père. L'événement me paraît tantôt plus proche, tantôt plus lointain que cela. Comme si je ne parvenais pas à accommoder.
Jeudi 13
Dix heures.
– On commence à être de moins en moins copains, les gilets jaunes et
moi. Samedi, nous avions prévu d'aller, avec Adrien, passer la journée à
Chantilly, la table au restaurant était même réservée depuis une bonne
semaine. Rusé comme un Native American, j'avais concocté un
trajet buissonnier, évitant grands axes et villes, de manière à circuler
sans encombres. Sauf que je viens de m'apercevoir que la promenade en
question allait durer deux heures et demie – soit cinq au total –, et
que, détestant désormais conduire de nuit, surtout sur de petites routes
inconnues, et donc forcément vicieuses, notre équipée allait consister à
passer six heures dans la voiture et pas plus de trois au château
lui-même, si on ajoute au transport le temps du déjeuner : annulation.
Catherine
a donc suggéré une solution de repli : Rouen, sa cathédrale, son musée,
sa place du Marché. Très bien : pas plus de 40 mn de trajet. Mais, par
sécurité, elle vient de téléphoner au musée en question, et on lui a
répondu que, en raison des manifestations prévues, il était fort
possible que le musée fermât prudemment ses portes, afin de se protéger
de l'excès d'enthousiasme révolutionnaire des racailles d'extrême gauche
et de leurs consœurs ethniques (ça, c'est moi qui le rajoute…). Donc,
annulation de Rouen également.
(Dernière minute : Catherine vient de m'appeler pour me dire que rien ne nous empêchait d'aller à Rouen dimanche et non samedi ! Pas bête, en effet. La machine est donc relancée. Mais ça devient tout de même fatigant.)
Vendredi 14
Quatre heures.
– Pour occuper notre Tokyoïte d'adoption – qui doit nous arriver en tout
début de soirée, par la magie de Blabla Car (la peste soit de ce
vocable et de son orthographe !) –, j'ai eu l'idée que nous pourrions,
demain, l'emmener à Lyons-la-Forêt, qui offre l'avantage de n'être pas
très loin d'ici et de se trouver dans une région qui ne devrait pas
grouiller de gilets jaunes à la moindre intersection. Cela lui fera
l'occasion de découvrir l'existence d'Isaac de Benserade, le régional de l'étape : je n'ai pas
de statistiques probantes sous la main, mais je doute que beaucoup de
chimistes connaissent parfaitement l'œuvre ni même l'existence de ce
poète (déjà, chez les écrivains en bâtiment…). À son propos, d'ailleurs,
je note que Wikipédia et la BnF le font naître à Lyons, cependant que
sa fiche de l'Académie française lui fait voir le jour à Paris : il
faudrait savoir. J'incline à donner raison aux premiers ; au moins parce
que, sinon, l'une des justifications de l'équipée de demain me
claquerait entre les doigts.
Pour dimanche, la visite
rouennaise est toujours d'actualité, à moins d'une météo fortement
contraire, ce qui ne semble pas à exclure.
Lundi 17
Cinq heures. – Le séjour d'Adrien – qui s'est terminé ce matin par une reconduite à la gare de Vernon – s'est déroulé sans anicroches. Samedi, nous n'avons finalement pas bougé d'ici, nous contentant de cuver le vin bu vendredi soir, pour célébrer dignement son arrivée. Hier, nous avons passé la journée à Rouen (cathédrale, musée des beaux-arts, avec brasserie Paul entre les deux), sans voir le moindre gilet jaune. Il est vrai que, à l'aller comme au retour, nous n'avons fait que rouler à travers une purée de poix quasi londonienne : la flèche de la cathédrale en était à peine visible dans sa partie supérieure.
Si
nous avons finalement renoncé à l'excursion sabbatique prévue (Lyons),
c'est que le temps, ce jour-là, fut véritablement exécrable et qu'aucun
de nous trois n'avait la moindre envie de mettre le nez dehors. Surtout
lorsque s'est mise à tomber une pluie assez drue, se transformant en
gel dès qu'elle touchait le sol. Évidemment, aujourd'hui que nous
n'avions pas à sortir, ni rien à visiter, il a fait un temps absolument
superbe dès le matin, et encore maintenant alors que tombe doucement la
nuit.
Mardi 18
Cinq heures. – Ah ! triple vérole ! On m'y reprendra, à recevoir du monde, à jouer les hôtes munificents ! En deux jours et demi d'orgies alimentaires – orgies qui, en outre, ne furent point sardanapalesques –, voilà que j'ai pris quasiment trois kilos ! Certes, je sais bien qu'il s'agit de kilos “flottants”, qui vont s'empresser de disparaître presque aussi vite qu'ils sont venus, pour peu que je les en prie gentiment, mais enfin tout de même : c'est rageant. Du coup, je suis repassé au-delà de la fatidique barre des 90 ; de fort peu, sans doute, mais symboliquement c'est désastreux. Bon, les saines habitudes (marche + nourritures diététiquement correctes) ont été reprises dès ce matin, et il ferait beau voir que je ne repassasse point cette foutue barre dans l'autre sens d'ici samedi : c'est le terme que je viens de me fixer à l'instant même. Les foules haletantes seront bien entendu tenues au courant jour par jour des résultats de cet homérique combat caloriphobe. Je pesais donc, ce matin, le poids éléphantesque de 91 kg : il va s'agir de quitter l'Essonne pour les Vosges, en traversant dare-dare le Territoire de Belfort et sans trop s'attarder non plus dans l'Yonne ; si l'on est vraiment courageux, on poussera peut-être même jusqu'à la Haute-Vienne : je compte sur moi.
Mercredi 19
Cinq heures. – Commandé à l'instant le prochain roman de Houellebecq – à paraître le 4 janvier – intitulé Sérotonine : il me tarde déjà.
– Ce matin, au lever, j'étais redescendu à 90 kg. OK, OK : un bon 90 ! Mais tout de même : c'est encourageant, tout ce mauvais gras intempestif qui part en fumée, non ?
Jeudi 20
Trois heures. –
J'ai repassé le cap de Bonne Espérance, soit la barre des 90
rugissants. Pas de beaucoup, mais c'est de ma faute : hier, vers quatre
heures, au lieu de manger deux oranges comme j'en avais l'intention
primordiale, je me suis souvenu malencontreusement que, la veille,
Catherine avait mitonné quelques cookies à sa façon (avec des
petits fruits rouges dedans, dont j'oublie toujours le nom :
canneberges, peut-être) et j'en ai gloutonné deux sans même reprendre ma
respiration. Or, tout se paie, dans notre triste monde sublunaire, et
la balance fut mon juge.
(Je sens que le journal de ce mois-ci va être palpitant ; on va terminer l'année en œuvrant dans le grandiose.)
– Sinon, qu'est-ce que vous voulez que je me
dise ? Je continue à lire Casanova le matin, Soljénitsyne l'après-midi,
en allant, entre les deux, transpirer par les voies et les chemins. Ah,
tout de même : en outre, tout à l'heure, je suis descendu au Super U de
Saint-Aquilin et je suis passé à la pharmacie. C'est ce qu'on pourrait
appeler une journée bien remplie ; à deux doigts de l'engorgement ; à la
limite du débord.
Vendredi 21
Dix heures du matin. – Regardé hier soir les trois derniers épisodes de cette série espagnole dont tout le monde semble faire grand cas depuis un an : La Casa de papel, histoire d'un braquage de plus de deux milliards d'euros, effectué à la Maison royale de la monnaie, à Madrid, lieu où sont imprimés les nouveaux billets. Série du genre irritant, car assez originale pour qu'on la regarde jusqu'au bout, mais suffisamment ratée pour énerver de plus en plus, au fil des 22 épisodes, les deux spectateurs que nous fûmes. Beaucoup trop de bavardages, de scènes “romantiques” sans intérêt et, qui plus est, répétées sans vergogne deux ou trois fois, grossières incohérences du scénario. En fait, il m'est apparu que si les scénaristes avaient “compressé” leurs 22 épisodes dans les 13 de la première saison, ils auraient peut-être obtenu une série digne des meilleures productions américaines. Mais, en l'état, c'est loin d'être satisfaisant (quoique à mille lieues au-dessus de n'importe quelle production française, il va sans dire).
(La Casa de papel : ce pourrait être le nom général de ce journal. Ou, au moins, son titre pour ce mois-ci.)
– Depuis cette nuit : pluie persistante et vent violent : la marche se fera sans moi.
–
Sur la balance, au réveil : 89 kg. Comme le but fixé était de
redescendre sous la barre des 90 d'ici samedi, le pari est d'ores et
déjà gagné. Si je pouvais quitter l'Yonne pour les Vosges d'ici dimanche
matin, je serais comblé.
Trois heures. – Eh
bien, finalement, si : la pluie ayant un moment suspendu sa chute, et le
vent son vol, j'ai pu aller me dérouiller les muscles et m'exercer le
souffle dans les rues du Plessis, durant trois petits quarts d'heure
(point trop n'en fallait, car je voyais s'avancer, venant de l'ouest, un
groupe de nuages aussi sombres qu'une bande de Français new style
et presque aussi menaçants : pas question de les provoquer plus que de
raison, sachons rester humbles et souriants face à l'inéluctable,
n'est-ce pas ?).
Samedi 22
Midi. – Verdict du matin : 88,5 kg. On peut donc considérer que l'incartade de la semaine dernière a été effacée de l'ardoise magique.
– Reçu tout à l'heure, L'Île de Sakhaline, de Tchekhov, que je compte ouvrir après avoir relu les Souvenirs de la maison des morts.
Ensuite, il sera temps de m'évader de tous ces bagnes russes, pour
aller un peu respirer ailleurs. Rabelais, peut-être ? On verra bien.
Néanmoins, je continue à pratiquer Casanova tous les matins.
–
Nouvelle reprise des écritures lucratives. D'autre part, puisqu'on
parle plus ou moins de finances, budget, etc., je dois dire que j'ai
hâte de voir quelle retraite je vais toucher en janvier, une fois
celle-ci amputée de la retenue d'impôt “à la source”. Je ne sais trop
pourquoi, je m'attends à des choses assez rock and roll.
– Ce soir, messe en l'église du Plessis, ergo
petit apéritif en attendant le retour de Catherine. C'est qu'il ne
s'agirait pas de laisser tourner le chablis qui est resté en carafe
après la visite d'Adrien…
Mardi 25
Dix heures du matin.
– Belle matinée de Noël (hormis la neige, mais on sait que je n'y tiens
guère) : froid raisonnable, toutes surfaces blanches de givre, qu'elles
soient herbues ou tuilées, ciel d'une parfaite pureté, plus lumineux
que vraiment bleu, et si peu de vent que la fumée semble hésiter à
s'évader des cigarettes. (Et plutôt que de noter ce genre de choses, je
ferais mieux, profitant de ce que Catherine est partie pour la messe («
Je m'occupe du spirituel, à toi le matériel ! »), d'écrire quelques
milliers de signes lucratifs, d'ici à son retour.
Deux heures. – Bonne marche sous le soleil hivernal, et en l'absence complète de vent, ce qui n'est pas arrivé souvent ces derniers temps. Catherine est partie par le chemin “du berger allemand”, moi par celui qui rejoint la Ferme de l'Hôpital, et nous nous sommes rejoints à la voie romaine, avant de revenir ensemble (chabada bada), de nouveau par le chemin du berger allemand, celui “entre les maisons” étant par trop boueux, ou du moins nous ayant semblé tel.
– J'ai
oublié de noter que, ayant fêté Noël avec Adrien le 15 décembre, nous
n'avons aucunement réveillonné hier. Endives au jambon, trois épisodes
de Designated Survivor, au lit à dix heures moins le quart :
telle fut notre soirée. Et il devrait en aller exactement de même le 31
(sauf que nous mangerons autre chose et serons probablement venus à bout
de l'actuelle série).
– Demain, visite conjointe au Dr
Jobbé-Duval, cardiologue neuilléen de son état, afin qu'il me félicite
chaudement pour les résultats de ma scintigraphie (il a intérêt, sinon
j'arrête de scintiller !).
– J'en ai terminé, hier, avec L'Archipel du Goulag, je vais donc pénétrer dans la Maison des morts dostoïevskienne dès que j'en aurai fini avec ces notes sans le moindre intérêt.
Mercredi 26
Sept heures dix. –
Aller-retour à Neuilly, donc. Verdict médical : Catherine a un cœur de
jeune mariée, et moi de garçon d'honneur ou presque. Les deux trajets se
sont déroulés sans encombres, même si, au retour, une vingtaine de
gilets jaunes se trouvaient au péage de Mantes, souriants et cordiaux.
Apparemment, ils laissaient passer les voitures sans payer, ce qui n'a
pas valu pour nous, puisque nous disposons du bitonio (je ne sais
comment nommer ce petit boîtier de plastique fixé au haut du pare-brise)
de Bip and Go, qui nous ouvre automatiquement les barrières de
péage… en débitant l'argent directement sur notre compte bancaire. Et
nous avons formellement entendu le “bip” nous indiquant que le débit
aurait bel et bien lieu. Mais, comme on est pété de thunes, on s'en bat
l'œil et le reste. Trop contents, déjà, de ne pas avoir eu à affronter
des kilomètres de bouchons avant de pouvoir franchir le péage en
question. Il aurait d'ailleurs été facile d'en créer un vraiment maousse
car la circulation était étonnamment dense dans les deux sens, surtout
en plein milieu de journée et durant une semaine réputée “creuse”. Ou
alors, c'est moi qui, depuis ma retraite, ait oublié à quoi ressemblait
le trafic sur l'A 13 durant les semaines “pas creuses” ; c'est tout à
fait possible.
Samedi 29
Dix heures et demie du matin. – Finalement, ça n'avait pas grand sens, de vouloir mettre en parallèle L'Archipel de l'un avec la Maison des morts de l'autre : leurs buts, leurs visées, leurs projets, leurs moyens même sont par trop différents. Alors que Soljénitsyne cherche à brosser le tableau le plus exhaustif possible d'un monde, on sent bien que, pour Dostoïevski, le bagne n'est qu'une occasion – j'allais écrire “une bonne occasion” ! mais, de fait, il donne souvent l'impression de se féliciter de l'expérience qu'il a faite – de descendre plus profondément en l'homme, par des voies qui lui étaient inaccessibles avant et que l'expérience carcérale seule a pu lui ouvrir. Ce qui est passionnant, en dehors des enseignements eux-mêmes, des portraits, etc., c'est que l'on discerne déjà, dans ces Souvenirs, les lignes de force qui vont ensuite être utilisées par l'écrivain dans ses “grands romans”, et notamment dans Crime et châtiment.
En revanche, pour l'avoir commencé hier après-midi, j'ai l'impression que L'Île de Sakhaline
va bien mieux se prêter à mon “projet comparatif”, si je puis ainsi
jargonner. Malgré tout, il y aura toujours un fossé qui séparera
Tchekhov des deux autres : eux ont vécu au bagne, pendant que lui n'y
est allé qu'en visiteur.
Lundi 31
Trois heures. – Je me demande bien pour quelles raisons (sans doute n'y en avait-il aucune, que mon caprice) je me suis privé pendant tant d'années de la lecture des mémoires de Casanova, dont je vais, demain ou après-demain, achever le deuxième volume (le troisième et dernier tarde un peu à arriver : on risque la rupture de flux…). Quel homme irrésistible et attachant ! Comme on a envie de le suivre partout et en toute circonstance ! et combien on aurait aimé pouvoir le connaître, souper avec lui, courir l'Europe (la vraie, pas le machin grisâtre et soviétoïde qu'on appelle ainsi de nos jours) en sa compagnie et bambocher dans les auberges rencontrées sur la route ! Et on ne peut que l'approuver, dans ses relations avec les femmes qui le séduisent, dont il tombe entièrement et sincèrement amoureux, chaque fois, même si c'est pour les quitter au bout d'une semaine et s'éprendre d'une autre, tout aussi entièrement et avec une passion intacte. Du reste, cet élan envers elles, qui ne cesse jamais d'être juvénile, cet élan se traduit bien dans sa façon de manier le français, une langue vive et pimentée de quelques italianismes qui ne jurent jamais avec le ton général de sa phrase (je rappelle que Casanova a écrit les quelque quatre mille pages de ses mémoires en français). La façon aussi dont il parle de ses ébats sexuels est savoureuse, à la fois allusive et assez directe cependant. Un seul exemple. Le voilà au lit avec une charmante et complaisante Thérèse, avec laquelle il “s'abandonne à l'amour” durant deux heures, avant de s'endormir, épuisés tous les deux. Il écrit : « À notre réveil nos fureurs se renouvelèrent, et je ne l'ai quittée qu'après lui avoir donné un bonjour égal en force à l'ardeur avec laquelle je lui avais concilié un sommeil de quatre heures. » Il y a, pour terminer une année et en commencer une autre, des lectures plus moroses.
–
Notre “réveillon” de ce soir sera aux antipodes des régalades
casanoviennes : dîner de crêpes entre sept heures et sept heures et
quart (approximativement), généreusement arrosé d'eau minérale ;
télévision de sept heures et demie à neuf heures et demie (série The Blacklist, avec James Spader) ; coucher avant dix heures. On n'est pas plus janséniste.
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