mercredi 1 novembre 2023

Octobre 2023

 

 

 

 

 

 

 GUERRE ET PAIX

(Garanti sans Hamas ni Ukraine)

 

 

 

 

 Dimanche 1er

Huit heures. – Ciel parfaitement azuréen, température prévue : 28. Je sens qu'on va de nouveau avoir droit aux piaillements de la basse-cour caniculophobe, qu'Atlantico va m'annoncer gravement que nous vivons le dimanche le plus chaud depuis celui de Bouvines, etc. Pure routine.

– J'ai toujours entendu affirmer que si les créateurs des ordinateurs Macintosh avaient choisi pour emblème une pomme entamée, c'était en hommage à Alan Turing, qui s'est suicidé en croquant dans l'un de ces fruits préalablement farci au cyanure. Et voilà que je découvre, lisant l'autobiographie de Jim Harrison, En marge, qu'il existe une variété de pommes dont le nom est... McIntosh. Si bien que je me demande si le nom et le logo d'Apple ne viendraient pas tout simplement de cette homonymie. Mais, évidemment, c'est moins “poétique”...

– Du même Harrison, décidément irremplaçable, ceci (le livre date de 2002) : « Soudain, le monde s'est mis à grouiller de pères la morale et de bénis-oui-oui qui envisagent la vie comme un problème à résoudre. [...] nous devons prendre garde à la flopée de thérapeutes amateurs qui semblent depuis peu envahir le marché. Qu'il s'agisse de votre gnôle, de vos clopes ou de votre pitance, ils vont essayer de pisser dessus. » Quel brave et honnête homme que ce Jim-là...

Midi. – Cette mouche m'agace depuis quelques minutes : inconscience ou pulsion suicidaire ? Mais la voici qui se pose à portée. Je saisis la tapette de plastique et l'abats bruyamment sur le bras de mon fauteuil. Alors, dans la cuisine, Catherine s'adressant à Charlus : « Quand papa fâché, lui toujours faire ainsi... »

– Sous la plume d'un certain Clément Sénéchal, qui, à l'entrée de son petit marais touitteresque, s'auto-proclame “expert des enjeux climatiques”, je découvre la notion légèrement asilaire de “racisme environnemental”. Ça devrait me faire mon après-midi…

Quatre heures. – Comme à tout le monde, il arrive à Jim Harrison d'écrire des sottises. Il conclut ainsi le chapitre qu'il consacre à ses endroits préférés des États-Unis : « Jamais tu n'approcheras d'aussi près l'existence libre et capricieuse d'un oiseau migrateur. » Or, l'existence d'un oiseau migrateur est tout ce qu'on voudra sauf libre et capricieuse. Elle est au contraire implacablement “programmée”.


Lundi 2

Sept heures. – Dans le long commentaire qu'il a laissé sous mon billet consacré à La Ballade de Buster Scrugges des frères Coen, Nicolas relève plusieurs similitudes entre les histoires du film et celles utilisées par Goscinny dans divers albums de Lucky Luke. Et il se demande si les deux Américains ne se seraient pas inspirés du Français. Ça m'étonnerait beaucoup : il me paraît nettement plus probable qu'ils aient, chacun de son côté, puisé aux mêmes sources “folkloriques” écrites, en extrayant des personnages et des situations archétypiques mille fois utilisées avant eux : le duel dans la grand-rue déserte, le vieux chercheur d'or solitaire, la caravane en route vers l'Ouest, etc.

 Midi. – J'apprends seulement à l'instant, par un billet de Hashtable, que l'inénarrable crétin Justin Trudeau, a fait ovationner par l'ensemble du parlement canadien un vétéran ukrainien de la Seconde Guerre mondiale, émigré au Canada après la dite guerre. Pour s'apercevoir quelques jours plus tard que cet héroïque combattant avait en fait appartenu aux volontaires ukrainiens de la Waffen SS. Qu'est-qu'on rigole... 

– Sinon, la grande passion française de ces derniers jours, notre nouvelle affaire Dreyfus, c'est… le retour des punaises de lit. Et, déjà, un commentateur de télévision dont j'ignore tout se fait plus ou moins traiter de raclure maurasso-pétainiste parce qu'il a osé demander à l'un de ses invités parasitologues si le phénomène pouvait être lié aux conditions insalubres dans lesquelles vivent la plupart des immigrés récents, et notamment les clandestins. Personnellement, je m'étonne que personne n'ait encore songé à accuser le pernicieux réchauffement climatique ; ni à se demander si, par hasard, la punaise de lit ne ferait pas celui de Marine Le Pen.

Quatre heures. – Piqué ceci dans le chapitre que Harrison consacre à son expérience de scénariste hollywoodien : « Certains trouveront cela bizarre, mais il y a très longtemps, au Sunset Marquis, j'ai parlé de littérature allemande avec Arnold Schwarzenegger pendant qu'il mangeait toute une roue de brie trouvée dans notre réfrigérateur, après avoir manipulé cinquante tonnes de fonte en une heure au Gold's Gym. »

Six heures. – Dans le marais féministo-touittéroïdien, je tombe sur une certaine Florence Porcel, qui semble plus ou moins grenouiller dans les milieux télévisuels et dont le trait caractéristique a l'air d'être les diverses plaintes déposées par elle contre Poivre d'Arvor, qui l'aurait violée deux fois à quelques années d'intervalle (Errare humanum est, sed perseverare diabolicum…). Donc, cette personne déclare péremptoirement ceci : « Quand une femme porte plainte pour viol, c’est parce qu’elle a été violée. »

Désolé, mais non. Pas forcément. Il y a des menteuses, il y a des délirantes et il y a des salopes qui cherchent à nuire pour diverses raisons. De même qu'il y a parmi les hommes des menteurs, des mythomanes et des salauds. Et, parfois, même, d'authentiques violeurs. On appelle cela : l'espèce humaine.

Il est vrai que, ces jours derniers, dans le marais que j'évoquais à l'instant, ces dames s'indignent et se scandalisent de ce que Gérard Depardieu ose se défendre des accusations du même ordre portées contre lui. Alors qu'il devrait, j'imagine, trotter de lui-même vers le billot le plus proche pour y poser sa tête avec empressement, voire gratitude.


Mardi 3

Neuf heures et demie. – Station hebdomadaire, et désormais rituelle, sur le parking du Grand Frais, en compagnie de Cioran.

Cioran, justement : ses gémissements perpétuels, sa façon de tout pousser systématiquement au noir, finissent par provoquer, chez son lecteur, une sorte de fou rire incrédule, et qui n'ose pas se laisser à lui-même libre cours.

– Sur la devanture de la Biocop, juste en face de moi, cette annonce : “Produits écologiques”. L'écologie est la science étudiant les rapports entre les êtres vivants et leur milieu naturel : comment, dans ce cas, un produit pourrait-il être qualifié d'écologique ? Et cela n'étonne absolument personne... pas même moi, d'ailleurs.

– Je tombe sur l'annonce d'une “masterclass” organisée par l'université de Tours. Son intitulé ? “Écologie de la traduction”. Qu'est-ce que ça peut bien vouloir dire ? Peu importe, du reste. On sent bien que, désormais, il est devenu à peu près obligatoire, dans n'importe quel type d'annonce que l'on fait, d'employer au moins un des mots-qui-font-joli : écologique, citoyen, durable, etc. Si l'on se sent un tempérament de risque-tout de la modernité, on ira jusqu'à non-binaire ou intersectionnel. Je suis sûr qu'il doit exister des traductions non binaires et des traductions intersectionnelles, quelque part dans les tréfonds des universités de province…

Cinq heures. – Lorsqu'il se rend à Collioure – à la recherche de la valise de poèmes perdue par Antonio Machado... –, Jim Harrison se figure être dans le sud-ouest de la France. Cela dit, ne faisons pas trop le malin : on ne s'en tirerait pas mieux, et probablement moins bien, si on devait se repérer dans le Michigan ou le Montana.


Mercredi 4

Neuf heures. – Tout à l'heure, par sms, Nicolas et moi évoquions Gérard de Nerval – comme quoi tout peut arriver, en ce monde sublunaire. Cela m'a rappelé que dans ma jeunesse parisienne, il m'est arrivé plusieurs fois d'aller assister à des spectacles au Théâtre de la Ville, place du Chatelet. Chaque fois, avant que l'agitation scénique ne commence, je contemplais longuement le trou du souffleur en rêvassant. Car je savais que cette salle avait été construite là où était, jusqu'au milieu du XIXe siècle, la rue de la Vieille-Lanterne ; et que j'avais lu je ne sais plus où que ce trou se trouvait à l'emplacement exact de la grille à laquelle, un lugubre matin de 1855, on avait retrouvé Gérard de Nerval pendu.

Si Nicolas et moi en sommes venus, dès potron-jacquet, à parler de Gérard, c'est parce que je venais de lire une forte sentence que Jim Harrison lui attribue :

« Il faut boire, sinon quelqu'un d'autre boira à ta place. »

Paroles d'airain qui, on me l'accordera, valaient à coup sûr de tirer des limbes matinales notre sympathique Kremlino-Loudéacien.

– De Jim Harrison, justement, dans l'une de ses chroniques “gastronomico-vineuses” qu'il a intitulée Aide-soignant, « un mot évoquant ces fouineurs au visage serein et mou qui depuis peu font intrusion dans nos vies. Nous sommes partout en péril et nous barbotons dans la peur comme des herbes nocives dans le troisième estomac d'une vache. Vingt-quatre heures sur vingt-quatre, les médias nous assomment de guerres, de famines, de maladies, du chaos sexuel universel, et même le royaume animal est harcelé à chaque instant par des scientifiques bidons qui exigent davantage d'argent pour leurs recherches. Il existe clairement une conspiration mondiale destinée à nous terroriser. On va jusqu'à dire que les consolations que sont la nourriture et l'alcool sont suspectes, sans parler des cigarettes tant appréciées par Albert Einstein, James Joyce et moi-même. »

Il a dû écrire cela il y a une dizaine d'années : le pire était encore à venir... et lui a été épargné.


Jeudi 5

Sept heures. – Il a quelques jours, Catherine a commandé des sardines à je ne sais quelle conserverie bretonne. Elles sont arrivées hier : cinq malheureuses boites perdues dans un océan de chips en polystyrène, lesquelles ont bien amusé Charlus, mais seulement lui. Quant au carton qui contenait le tout, je ne sais même pas s'il entrera dans la poubelle jaune, tant il est disproportionné à notre humble commande.

– Ouvrant un nouveau (nouveau pour moi...) roman de Jim Harrison, Un bon jour pour mourir, je tombe sur un mot jamais rencontré encore : leptosome. D'après Dame Ternette, il signifie, dans la classification de j'ai-déjà-oublié-qui, quelque chose comme “longiligne”. Et le contraire serait pycnique, ce qui nous fait plus ou moins basculer dans la galéjade.

Midi. – Il y a trois jours, à propos de la désormais fameuse punaise de lit, j'écrivais ceci, ici même : « Personnellement, je m'étonne que personne n'ait encore songé à accuser le pernicieux réchauffement climatique ; ni à se demander si, par hasard, la punaise de lit ne ferait pas celui de Marine Le Pen. » Eh bien, j'apprends à l'instant, grâce à Fredi Maque, que l'un de nos ministricules s'est offert ce luxe de stupidité, en pointant son petit index vengeur vers le dit réchauffement. Pour ce qui est des responsabilités du parti naziforme, attendons encore quelques jours...

Six heures. – Parce que je suis, depuis une heure environ, plongé dans sa savoureuse correspondance avec Jim Harrison, je viens de commander deux livres de Gérard Oberlé : Nil rouge et Itinéraires spiritueux. Je suis absolument certain d'avoir déjà lu au moins un livre de cet Alsaco-Morvandiau, et aussi de l'avoir aimé. Mais comme, d'une part, j'ai perdu tout souvenir de son contenu et que, d'autre part, le dit livre a proprement disparu de cette bibliothèque, j'en arrive à croire que j'ai peut-être rêvé l'avoir lu. Ce n'est peut-être qu'un ressenti de lecture…


Vendredi 6

Huit heures. – Je crois avoir omis de noter la plus importante nouvelle domestique depuis des mois, peut-être même des années : j'ai changé de boulangerie ! Les deux ou trois derniers pains “meunier” que j'ai acheté à la boulangerie dite “de la mairie” ressemblaient davantage à de grosses éponges compactes qu'à d'honnêtes miches. Or, la boulangerie dite “du pont” ayant récemment changé de tenanciers, j'ai découvert, un peu par hasard, que le nouveau boulanger proposait à la convoitise et à l'appétit des Pacéens un pain au levain tout à fait chrétien. J'ai donc, après maint atermoiement – je suis d'un tempérament fidèle, pour ne pas dire routinier –, dit un adieu muet et quelque peu honteux aux gens de la mairie pour porter ma pratique à ceux du pont ; en espérant secrètement que les premiers ne s'aviseront jamais de cette triste défection.

– On apprend des tonnes de choses, en lisant Jim Harrison. Par exemple, jusqu'à ce matin, j'ignorais qu'il existât au Manitoba, à la frontière de la Saskatchewan, une ville affublée du nom de Flin Flon.

– Pendant que je papote ici, avec une insouciance frôlant l'inconscience, une réunion interministérielle est organisée en urgence à Paris. L'objet de ce Conseil extraordinaire ? La punaise de lit…

Dix heures. – J'ai été bien inspiré d'acheter le roman de Harrison intitulé Retour en terre : on y retrouve un certain nombre des personnages découverts dans De Marquette à Veracruz, que je viens tout juste de relire. Cela dit, il ne s'agit pas à proprement parler d'une suite, plutôt d'une sorte de... non, pour l'instant, je sens bien que je ne parviendrai pas à m'exprimer clairement ; sans doute parce que ce n'est pas clair dans mon esprit. Peut-être plus tard, quand je serai plus avancé dans le second roman.

Trois heures. – Le narrateur de ce roman (il est mi-indien, mi-finnois !) dit à un moment qu'il ne croit pas à la réincarnation, mais que, s'il devait revenir sur terre pour une seconde vie (pourquoi seulement une seconde, d'ailleurs ?), il aimerait que ce soit sous la forme d'un corbeau. C'est là un sort que je trouve moi-même enviable, ou au moins envisageable, depuis plusieurs décennies. En tout cas, j'aimerais revenir en un truc qui vole et à la chair immangeable...

– De Jim Harrison, dans son Journal gastronomique américain : « Les grandes cuisines, la française et la chinoise arrivant largement en tête, émergent dans des économies de pénurie où la rareté des ingrédients garantit le maximum d'ingéniosité. À l'inverse, le panier américain est tellement rempli que le fond vient de céder et que nous mangeons d'ordinaire la bouillie ramassée par terre. Pas toujours, mais très souvent. »

– Conseil de Dögen (永平道元), philosophe japonais du XIIIe siècle : « Il est inutile de chercher à modifier la réalité pour satisfaire le soi. » Un précepte que nos amis progressisto-wokoïdes devraient afficher en grosses lettres au pied de leur lit. Et même dans toutes les autres pièces de leur gourbi.


Samedi 7

Huit heures. – Catherine, consultant la météo de son téléphone : « Il va faire chaud presque toute la semaine prochaine ! » Moi, en reprise de volée : « C'est normal, on est en octobre : c'est le dérèglement climatique indien... »

– Piqué ceci, qui m'a fait sourire, dans le roman en cours de Harrison : « Un politicien local, qui refusait que l'enseignement des langues étrangères soit inscrit dans le budget d'une école, a déclaré : “Si l'anglais a suffi à Jésus-Christ, il devrait suffire à nos gosses.” »

– Dans ma mini-série “les noms de villes saugrenus”, je viens de dénicher, en Ontario, à une quarantaine de kilomètres au nord du lac Supérieur, un bled nommé Wafa : ça s'écrit  comme ça s'aboie.

Midi. – Lorsque j'aperçois une tache noire dans la pâture qui jouxte l'arrière de chez nous, je ne sais jamais trop s'il s'agit d'un petit chat ou d'une grosse corneille : il faut que l'animal bouge pour que je commence à m'en faire une idée. Et quand il s'envole, mes dernières incertitudes le font avec elle.

(Ma dernière phrase est évidemment incorrecte syntactiquement. Mais il me plait que l'animal indistinct devienne brusquement corneille par le simple glissement des pronoms. Si j'avais le sens du calembour, je dirais : d'un seul coup d'elle...)

– Nouvel exemple de balourdise de la part du traducteur “attitré” de Harrison. Je plante brièvement le décor :  David se pointe dans le bar où sa maîtresse, avec qui il s'est engueulé la nuit précédente, travaille comme serveuse. Arrive la phrase suivante : « Quand mon cheeseburger volontairement trop cuit arrive devant moi, etc. » C'est évidemment absurde. Bien sûr, on comprend ce que Harrison a dit et que M. Matthieusent a cru traduire en français : que Carol, la serveuse-maîtresse avait volontairement fait trop cuire la viande destinée à son amant. Mais, dans l'opération, c'est elle qui a fait preuve de volonté... et certainement pas le steak haché ! Il est donc idiot de parler d'un cheeseburger volontairement trop cuit ; il fallait tourner autrement la phrase, ce qui ne devait pas être trop difficile.

– Noms de villes saugrenus. Au bord du lac Supérieur, mais côté Michigan cette fois : Au Train.

Trois heures. – Et allez donc, ça continue ! Page 206 de Retour en terre : « Les deux femmes évoquent les problèmes de la fille de Polly, là-bas à New York, car elle souffre d'un violent herpès qui lui fait problème pour trouver, etc. » 

On peut faire des tas de choses : faire le mur, faire semblant, faire la cuisine, faire pipi au besoin... Mais “faire problème” ? Qu'est-ce que c'est que ce putain de charabia ? Ah ! Oui, j'y suis : c'était pour le plaisir d'employer deux fois le mot “problème” à deux lignes d'intervalle ! 

Ce Brice Matthieussent, vraiment... Il a de la chance d'être un presque vieillard ; sinon, je serais volontiers allé lui botter le cul. Même si d'ignorer son adresse faisait problème...

Cinq heures. – Le David de Jim Morrison me donne une soudaine et furieuse envie de lire Le Labyrinthe de la solitude d'Octavio Paz. C'est malin...

– Lorsque, plusieurs fois par jour, on passe comme je le fais des romans de Harrison à ses chroniques, et retour, on finit par ne plus trop savoir, tant la vision et les atmosphères sont sœurs, où passe la frontière entre fiction et monde réel. Vient alors, évidemment, le soupçon qu'elle n'existe pas, cette frontière. Ou alors, qu'elle passe ailleurs, plus profond dans l'homme.

(Mais qu'est-ce que je raconte, moi ?)


Dimanche 8

Neuf heures. – Si l'on me demandait tout à trac “de quoi parlent” les deux romans de Jim Harrison, De Marquette à Veracruz et sa suite : Retour en terre, je serais incapable de répondre. Parce qu'il s'y passe beaucoup de choses, dont certaines importantes, voire tragiques, et en même temps il ne s'y passe rien. Je veux dire (ou j'essaie de dire...) que tous les événements ponctuels sont pris dans une sorte de flux, à la fois lent et chaotique, qui est celui de la vie même, et qu'on pourrait appeler : la Destinée, aussi bien individuelle que collective. C'est d'ailleurs peut-être là le signe distinctif de Harrison, ce pouvoir de dérouler et d'entrelacer diverses existences, sans avoir l'air d'y toucher ; d'en être, tout comme nous, lecteurs, un simple spectateur.

(J'ai bien peur de ne pas être très clair...)

– Les noms saugrenus : la ville de Belle Fourche, dans le Dakota du Sud. Et les esprits pervers se demanderont si les femmes de Belle Fourche sont plus bandantes que celles à fourche ordinaire...

On notera que Belle Fourche – 5553 habitants – se situe à environ 25 kilomètres au nord de Deadwood, où se déroule l'excellente série télévisée qui porte ce nom.

Midi. – Une forte pensée de Jim Harrison (dans une chronique) : « Manger est plus amusant quand on a faim. »

– Aujourd'hui, sombre dimanche, comme chantait Damia : Le Plessis est plus ou moins occupé par une bande de zombis post-modernes attifés de rose, arpentant nos quelques rues, d'ordinaire si tranquilles. Que font-ils ici ? Ils marchent contre le cancer du sein. Les métastases mammaires n'ont plus un poil de sec, cependant que celles du foie, des poumons, de la gorge et des intestins sont plus hilares que jamais.

Naturellement, cette funèbre guignolade ne pouvant en aucun cas s'accomplir en silence, le martèlement bovin d'une quelconque musique de merde nous parvient de l'ancienne école, nous obligeant à demeurer porte et fenêtres fermées, alors que nous pourrions profiter de ce fort bienvenu réchauffement climatique indien. Il y a vraiment des cancers qui se perdent...

– Il est certain que les hommes d'âge ont beaucoup plus d'expérience que les jeunes gens. Le problème est que l'expérience ne nous apprend jamais rien.


Lundi 9

Cinq heures. – Dans la salle d'attente de la clinique Pasteur : double rendez-avec le Dr Bram, urologue de son état, celui-là même qui, il y a exactement dix ans, m'a soulagé de mon sénestre rognon. En ce qui me concerne, je veux juste qu'il me confirme le verdict positif émis par le bon Dr Pluton, relativement à ma prostate. À dire vrai, je me serais fort bien passé de la dite confirmation, mais comme je devais de toute façon accompagner Catherine...

Six heures. – Diagnostic plutonien confirmé par la HAU (haute autorité urologique) : prostate de (presque) jeune homme. À surveiller tout de même... 

Mais comment s'y prend-on pour surveiller une prostate ? On l'équipe d'un GPS ?


Mardi 10

Dix heures. Apparemment, il existe aux États-Unis trois villes se nommant Saint Cloud (sans trait d'union) : l'une en Floride, une autre dans le Minnesota et la troisième au Wisconsin. Et j'aimerais bien savoir pourquoi j'ai dérangé l'iBigo à seule fin d'y noter une telle chose, rigoureusement dénuée d'intérêt. Sauf pour quelqu'un ayant des envies de jumelage, peut-être.

Trois heures. – Précepte forgé par Jim Harrison, et à mon avis souvent enfreint par son auteur : « Ne mangez jamais en une seule journée davantage que le poids de votre propre tête. »

Une tête humaine pesant entre 5 et 8 kg, la tolérance harrisonienne demeure confortable.

Cinq heures. – Remarque de Bernard Frank, en introduction à son recueil de chronique En soixantaine : « On pense un jour à un nouveau livre, on oublie de l'écrire, et ça devient une habitude. » Oh que oui !


Mercredi 11

Six heures. – Parce que je venais de relire la novella de Jim Harrison, nous avons, hier soir revu Légendes d'automne. Nous nous en sommes fort bien trouvés : c'est un excellent film, même si moins riche que le livre dont il est tiré.

Quatre heures. – Une chose que j'ignorais (une parmi des wagons d'autres...) : le tout premier jumelage interurbain a eu lieu en 1931 ; il fut pour associer Tolède avec Toledo en Arizona.
 
– Demain, journée Desgranges.


Jeudi 12

Sept heures. – Le folklorique Dr Arié semble de nouveau en crise : il m'expédie, journellement, une petite dizaine de commentaires, qui oscillent entre l'inepte et le vindicatif, certains parvenant à combiner ces deux vertus. Je suppose que Nicolas a droit au même traitement de faveur...

Palinodie qui ne va pas m'empêcher, d'ici une triplette d'heures, de partir pour B., où les Desgranges m'accueilleront, dûment avertis de mon arrivée par l'escouade de chats de plein air qui a établi son campement aux abords de leur maison.

– Se redire tous les matins, et aussi chaque fois que l'on émerge d'un bain de boue touitteresque, se redire la phrase de Montaigne : « S'escarmouche le monde en mille questions desquelles et le pour et le contre sont faux. »

– De George Bernard Shaw : « Celui qui peut, agit. Celui qui en est incapable, enseigne. » Je me trouve bien aise de n'avoir jamais fait l'un ni l'autre.

Neuf heures. – Itinéraires spiritueux de Gérard Oberlé. On s'éveille dans le gris de la Lorraine, avant de filer bien vite vers les coteaux ensoleillés et vinifères qui bordent la plaine d'Alsace. Quelques années plus tard, nous voici dans le Nivernais, après un détour coloré par le neuvième arrondissement de Paris et un rapide mais très alcoolisé crochet par le Val d'Aoste. Et soudain, à la page 135, nous sautons à pieds joints au milieu du bar de Grand Marais, Péninsule Nord du Michigan ; où, il fallait bien s'y attendre, nous accueille un Jim Harrison trônant, qui darde sur nous son œil valide, pendant que l'autre semble suivre la croupe de la serveuse qui vient de lui renouveler son whisky vespéral. Et nous ne sommes qu'à l'exacte moitié de ce livre peu chiche en effluves divers.


Vendredi 13 (brrr...)

Deux heures. – Je suis revenu hier de chez Michel avec une pile de magazines et revues trois fois plus impressionnante qu'à l'accoutumée. Cet accroissement de volume était dû à plusieurs numéros du Figaro Histoire, revue toujours de bonne facture. Pour ce qui est du “tout-venant”, j'ai pu constater, une fois de plus, que j'y trouvais de moins en moins de choses à lire, que ce soit dans Causeur, dans L'Incorrect ou, moins encore, dans Valeurs actuelles. Ce dernier titre est à peu près en dessous de tout, mais il a pour lui de proposer une grille de mots croisés qui m'amuse encore. Il n'y a guère que la revue Éléments pour avoir un contenu vraiment substantiel et digne d'intérêt. 

– Dans la boîte aux lettres, quatre livres de Jim Harrison, dont j'ai la flemme de recopier ici les titres.


Samedi 14

Onze heures. – Pour me dépayser un peu du Michigan et de l'Arizona de Jim Harrison, j'empoigne le hors-série du Figaro consacré à Blaise Pascal...

Une heure. – Une chose que j'ignorais. L'ancien billet de 500 francs, familièrement appelé le “pascal”, était à l'effigie de l'auteur des Pensées. Or, le dessin qui l'ornait avait été exécuté à partir d'un portrait que l'on a longtemps cru être celui de Pascal... mais qui est en fait celui de Le Maistre de Sacy, importante figure du Jansénisme et de Port-Royal. Si bien que Pascal, lui, a toujours été absent du billet de banque qu'on avait prétendu lui consacrer. Je ne sais pas quelle morale on peut en tirer... mais il y en a sûrement une.
 
– Sous-titre d'un article de Causeur : « Un professeur de nouveau tué, aux cris d'“Allah Akbar”. » Ce pauvre Dominique Bernard aura donc été tué deux fois ; ce qui fait tout de même beaucoup. 


Dimanche 15

Cinq heures. – Je crois bien avoir noté ici que je trouvais un tantinet ridicule de faire de Vincent Cassel et Romain Duris deux des Trois Mousquetaires, vu qu'ils ont plutôt l'âge d'être leurs pères. C'est avec une certaine jubilation mauvaise que j'apprends à l'instant, dans le Figaro Histoire, qu'en plus de ça, ce pauvre Porthos est brusquement devenu... bisexuel ! Je m'étonne que le Bourboulon à qui l'on doit cette palinodie filmique n'ait pas fait de Milady un Milord transgenre. Un reste de timidité peut-être ?


Lundi 16

Dix heures. – Je termine de lire à l'instant, dans Le Figaro Histoire, une assez longue interview de Pio Moa, ancien militant communiste espagnol et auteur d'un livre, Les Mythes de la guerre d'Espagne, qui semble remettre radicalement en cause tout ce qu'on (et moi dans ce “on”...) croyait avéré à propos de la Guerra civil. J'ai grande envie de l'acheter, si je le trouve à prix raisonnable. Après avoir dépouillé un grand nombre d'archives, dont beaucoup émanant du camp “républicain”, Moa affirme la responsabilité quasi unilatérale des partis de gauche, et au premier chef du Parti communiste, dans le déclenchement de la guerre.

Dans un genre plus léger, voire ludique, on observera que notre historien ibérique était non seulement communiste mais de tendance maoïste ; ce qui nous fait déboucher sur la fameuse ritournelle de Nino Ferrer : Mao et Moa.

– Du duc de Morny, haute figure du Second Empire : « Dans ma lignée, nous sommes bâtards de mère en fils depuis trois générations. Je suis arrière-petit-fils de roi, petit-fils d'évêque, fils de reine et frère d'empereur. » Boutade de rodomont ? Bien sûr que non. Remontons le fil. Morny était le demi-frère de Napoléon III : voilà le “frère d'empereur”. Leur mère commune était Hortense de Beauharnais, femme de Louis Bonaparte, éphémère souverain de Hollande par décision de son frère aîné Napoléon : “fils de reine” donc (et, accessoirement petit-fils d'impératrice, puisque sa grand-mère est Joséphine de Beauharnais). Son père était Charles de Flahaut, amant de la reine Hortense. Ce Flahaut était le fils illégitime d'Adelaïde de Flahaut dont l'amant était Talleyrand, évêque d'Autun : et un “petit-fils d'évêque”, un ! Enfin, la belle Adélaïde était connue comme fille, évidemment illégitime, de Louis XV : et nous tenons notre “arrière-petit-fils de roi”.

À part ça, il n'était pas plus comte ni duc que moi, sauf sur la fin.


Mardi 17

Dix heures. – Station hebdomadaire sur le parking du Grand Frais d'Évreux. Comme lecture d'accompagnement, j'ai échangé Cioran contre Bernard Frank : le premier a bougonné un peu (mais pas tellement plus que d'habitude...), le second a semblé ravi d'être de sortie.

Trois heures. – D'après les astrophysiciens les plus à la pointe, l'univers compterait, à la louche cosmique, deux billions de galaxies, soit deux mille milliards. Questions simples et corrélées : qui les a comptées ? Et comment ?

– Sinon, tontine ; celle dont, à ce moment de l'année, j'escompte toujours qu'elle sera la dernière... et qui ne l'est jamais. Un peu comme les guerres mondiales, si on veut.


Mercredi 18

Sept heures. – Depuis avant-hier, nos soirées télé sont consacrées au Don paisible, film fleuve (c'est bien le moins...) de Serguei Guerassimov sorti sur les écrans soviétiques en 1957. Film en trois parties, dont il nous reste la dernière pour ce soir, d'une durée totale de six heures. Film dépaysant ( et aussi des paysans), pas toujours facile à suivre pour qui ne connaîtrait pas déjà un peu l'histoire générale de la révolution russe et celle, plus particulière, de ces Cosaques du Don. Dépaysant aussi du fait que presque tous les acteurs, et surtout les actrices, jouent de façon extrêmement théâtrale, ce qui n'est nullement désagréable mais un peu surprenant au début.

Du coup, l'appétit venant en mangeant, m'a saisi l'envie de voir, et donc d'acheter, le Guerre et Paix de Bondartchouk, film “monstre” à tous points de vue, à commencer par celui de sa durée : huit heures. Je vais aller faire un tour du côté de chez Rakuten, voir un peu ce que ces gens proposent à ma convoitise.

– M. Matthieussent, traducteur décidément médiocre (Jim Harrison aurait mérité mieux), semble ignorer – il n'est malheureusement pas le seul dans sa profession – que l'expertise anglais se traduit en français par “expérience” et non par “expertise”. Ce qui me fait songer que j'ignore tout à fait comment notre “expertise” française se dit en anglais (mais je m'en fous un peu).

– Puisqu'on parle de Harrison, ceci : il me semble qu'en ses dernières années, il avait un peu viré au vieux gauchiste, trop perméable à mon goût à cette tristement fameuse “culture de la repentance” qui empoisonne l'Amérique, et nous avec. Dans Péchés capitaux, son dernier roman, paru un an avant sa mort, il écrit par exemple ceci :

« Du temps des croisades, quand une bataille était perdue, le sultan ne faisait pas tuer tous les ennemis, il leur disait simplement de rentrer chez eux et de ne plus revenir. » 

D'où a-t-il bien pu sortir une fadaise de cette envergure ? Laquelle fadaise “bisounoursienne” est aussitôt mise en regard de la férocité quasiment génocidaire des chrétiens...

Midi. – Trouvé le Guerre et Paix sus-évoqué à 40 € chez Rakuten : aussitôt commandé. Du coup, je me demande s'il ne serait pas judicieux de relire le roman de Tolstoï avant de recevoir le film. (Interrogation toute rhétorique : j'ai déjà décidé de me lancer dans cette relecture...)

– Formule plaisamment imagée qu'utilisent, semble-t-il, les habitants de la Péninsule Nord lorsqu'ils veulent désigner une femme ne répugnant que fort peu à l'accouplement impromptu : « Elle baiserait un tas de cailloux si elle savait qu'il y a un serpent dedans. » Je me demande si tout cela est bien correct, politiquement et sexuellement parlant : à vérifier auprès de ces dames des comités Mitou...
 
Deux heures. – Chanceux que je suis ! Je pensais ne posséder Guerre et Paix que dans une triste édition de poche en deux volumes, et voici que, vérifiant tout de même dans la bibliothèque voisine, je constate que je l'ai dans la Pléiade, sagement rangé entre Dostoïevski et Tourgueniev.


Jeudi 19

Dix heures. – Titre divertissant sur le site de Contrepoints : « Attaque du Hamas en Israël : Emmanuel Macron, un discours attendu. » Attendu par qui, grands dieux ? À moins que l'auteur de ce titre à la syntaxe fort embryonnaire n'ait voulu parler d'un discours se faisant un peu trop attendre ? Cela n'aurait pas plus de sens : qui pourrait trépigner d'impatience à l'idée que notre syndic de faillite tarde à faire un peu de bruit avec sa bouche ? En outre, sur un sujet dont il ne maîtrise ni les tenants, ni les aboutissants. Ni rien de ce qui pourrait se trouver entre les deux.

– Terminé hier soir, et au triple galop, l'ultime roman de Jim Harrison. Le roman de trop. Péchés capitaux ressemble à ses livres précédents comme une coquille d'œuf ressemble à un œuf : même apparence, mais rien dedans. On pourrait aussi évoquer un vieux rafiot exténué dont les moteurs sont tombés en rade et qui court encore un peu sur son erre. Expérience de lecture un peu triste.

Après ce lugubre crépuscule, replonger dans les salons moscovites et pétersbourgeois dans le sillage de Tolstoï m'a remis à peu près d'aplomb. Sans effacer totalement mon ressentiment envers l'ogre édenté du Michigan.
 
En complément de programme à Guerre et Paix, j'ai ressorti le Tolstoï ou Dostoïevski de George Steiner, réédité l'année dernière par les Belles Lettres et acheté par moi je ne sais plus quand. 

D'après lui, Steiner, la tâche du critique doit être de distinguer entre le bon et le meilleur, et non entre le bon et le mauvais, fonction subalterne qu'il convient de laisser au chroniqueur.

Cinq heures. – Pendant que, debout dans la cuisine, je dégustais un peu mélancoliquement mon yaourt nature enrichi d'une douzaine de framboises portugaises, j'avise le sachet de quatre tranches de jambon blanc acheté voilà deux jours au Grand Frais. Et mes yeux tombent malencontreusement sur l'inscription suivante : “Fabriqué dans notre atelier du Limousin”. Je connaissais le jambon cuisiné ; ou à la rigueur préparé ; mais du jambon fabriqué ? Et sortant d'un atelier ? Pourquoi pas, aussi, un rôti de veau assemblé sur une chaîne de montage ? Si j'avais été là au moment de l'achat (mais j'étais resté dans la voiture avec Bernard Frank...), et que j'avais repéré à temps cette phrase grotesque, le jambon manufacturé serait resté sur son présentoir.


Vendredi 20

Sept heures et demie. – J'apprends à l'instant, dans la traduction de Guerre et Paix, l'existence d'un verbe que je n'avais encore jamais rencontré : chauvir. Dont voici le sens, piqué chez Dame Ternette : « Dresser les oreilles, en parlant des animaux qui ont les oreilles longues et pointues, tels que les chevaux, les mulets ou les ânes. » 
 
– Tout à l'heure, passage de Charlus chez l'esthétichienne, qui va promptement faire de cette espèce de Chewbacca un genre de rat pelé (rat pelé à l'ordre, bien entendu…).

Deux heures. – Je me demande s'il serait possible d'écrire en une langue encore plus pâteuse, et sur un ton plus pontifiant, que le blogueur pseudonommé Authueil, un genre de “référence” pourtant, dans le petit marigot blogosphérique ; personnage dont j'étais d'ailleurs persuadé que, comme tant d'autres, il était mort de sa belle mort (ou d'un excès de vacuité ?), mais qui vient de faire sa réapparition dans la blogoliste de Nicolas. Voilà un garçon chez qui, pour ce qui concerne l'expression écrite, l'artificiel semble être parfaitement naturel, et la banalité du propos une sorte d'originalité personnelle. D'après Dame Ternette, ce garçon serait attaché parlementaire ; soit, en français de tous les jours : parasite mensualisé. La fonction créant l'organe, je m'explique beaucoup mieux cette langue à la fois creuse et pondéreuse dans laquelle il se fait croire à lui-même qu'il exprime quelque chose, et où chaque phrase tombe comme un pesant bloc de pierre blanchâtre détaché de sa falaise.

– Sinon, ce bon Renépol essaie de me chercher des poux dans la tête à propos de ce que j'ai dit, sur le blog-mère, de mon agacement à voir le mot “héros” employé à tout bout de champ et, qui plus est, à mauvais escient. Il ne parvient à dénicher aucun pou, pour la bonne raison qu'il n'a pas encore réussi à localiser ma tête. Croyant me mettre dans l'embarras, il me cite deux extraits anciens de ce journal dans lesquels j'ai qualifié de “héros” d'une part un personnage sur lequel je devais écrire un article, d'autre part l'une de mes connaissances qui, ce jour-là, signait son dernier livre dans une quelconque librairie. Il ne voit pas, ou plutôt il n'entend pas, que je me situais là dans un registre différent, à un tout autre “niveau de langue”, beaucoup plus familier, voire très légèrement moqueur. Je suppose que si, au lieu de “héros”, j'avais employé le mot “roi” – ce que j'aurais très bien pu faire en effet –, mon contradicteur aurait voulu savoir quand ces deux personnages avaient été couronnés, s'ils avaient bien été sacrés à Reims, si celui des deux qui est mort aujourd'hui reposait à Saint-Denis, etc. J'ai failli, en commentaire chez lui, me mettre à lui expliquer un peu cela ; et puis, à quoi bon ?


Samedi 21

Dix heures. – Si l'on en croit Tolstoï, le juron favori du tsarévitch, en 1805 en tout cas, était “tas de Bachibouzoucks !”. Affirmation qui, chez le lecteur d'aujourd'hui, provoque de perturbantes distorsions littéraro-temporelles, pour peu qu'il soit raisonnablement tintinophile.

Cinq heures. – Catherine m'apprend que, devant l'imminence de je ne sais quel ouragan, la Guadeloupe vient de passer en alerte violette. « Je ne savais même pas que ça existait », ajoute-t-elle. Non, moi non plus. Mais c'est logique : à partir du moment où la moindre brise déclenche une alerte orange, que le rouge n'est plus là que pour indiquer une pluie un peu soutenue, il fallait bien inaugurer une nouvelle couleur pour signaler un danger réel. Toujours à la Guadeloupe, on demande officiellement aux habitants de se “confiner” – mot très à la mode – chez eux, ce qui est une façon de prendre les Guadeloupéens pour d'immatures crétins : comme si, vivant là, ils ne savaient pas depuis longtemps comment se comporter en cas d'ouragan.


Dimanche 22

Huit heures. – Question difficilement soluble, pour le lecteur français de Guerre et Paix : lorsque prend fin la bataille d'Austerlitz, a-t-il, en tant que Français, le sentiment d'une éclatante victoire, ou bien, en tant que lecteur, de Tolstoï, celui d'une défaite cuisante ?

On ne devrait jamais relire Guerre et Paix...

– Encore un verbe que je découvre (chez Tolstoï, ou plus exactement chez son traducteur) : “se motter”. Terme de chasse qui signifie “se cacher, se blottir derrière des mottes de terre, en parlant des perdrix”. Sauf que Tolstoï, lui ou son traducteur, l'emploie à propos d'un lièvre.

Cinq heures. – Tolstoï fait parfois preuve d'un humour caustique mais discret, qu'on pourrait qualifier de pré-proustien. Ainsi, au chapitre VI de la seconde partie du livre deuxième de Guerre et Paix (ouf !), bref : à la page 474 de l'édition Pléiade, il dit ceci d'Hélène, la femme de Pierre Bézoukhov, bête comme une oie et ayant plus au moins le feu au cul, mais pas avec son mari : « elle posa à Boris plusieurs questions sur son voyage et la situation de l'armée prussienne ne laissa pas de la préoccuper. » On croit entendre déjà le fameux “la Chine m'inquiète” de la duchesse de Guermantes.
 
Beau texte de Jérôme Vallet, à propos d'une “crémation” à laquelle il venait d'assister. Nous sommes, au moins à ce sujet, sur la même longueur d'onde.


Lundi 23

Sept heures. – Je suis fasciné (le mot est sans doute un peu fort : disons que cela me fait rêvasser...) par le fait que Tolstoï et Dostoïevski ne se sont jamais rencontrés, pas une seule fois. Bien évidemment, chacun lisait l'autre, et même le commentait parfois, mais ils ont toujours semblé prendre grand soin de s'éviter ; comme si tous deux sentaient ce qu'une confrontation directe aurait de déplaisant, de déstabilisant, peut-être même de destructeur.

Une heure. – Autant que faire se peut, il me semble préférable d'éviter l'emploi de l'adjectif “comparable”, en raison de son ambivalence, source de malentendus qui peuvent se révéler problématiques.

Comparable, en son sens propre, signifie simplement “qui peut être comparé”. Mais, de plus plus me semble-t-il, il s'est mis à vouloir dire quelque chose comme “à peu près semblable” ou encore “ressemblant” : d'où les malentendus.

Ainsi, par exemple, si untel vient me dire que Tolstoï et Dostoïevski ne sont pas comparables (au second sens du mot) et que je lui rétorque que, si, ils sont parfaitement comparables (au sens premier), nous aurons tous les deux raison bien que disant exactement l'inverse l'un de l'autre.

Mais alors, si l'on veut lever l'ambiguïté, par quoi remplacer comparable, dans son sens second ? Aucun terme ne me paraît pleinement satisfaisant, et c'est bien tout le problème. “Semblable” est évidemment trop fort, “identique” encore davantage, “voisin” est trop vague, etc.

Bref, on n'est pas sorti du bois, comme disent les Québécois, dont la langue est certes comparable à la nôtre... mais de moins en moins comparable.
 
Trois heures. – Je ne sais pas qui est François Malaussena, et je tiens à demeurer dans cette bienfaisante ignorance. C'est en tout cas un garçon qui n'aime pas que l'on stigmatise le doux et pacifique “allah akbar” que les islamopithèques meurtriers clament parfois en pleine action, sans doute par distraction. Voici ce qu'il écrit, dans son petit cloaque touitteresque : « Quand des terroristes égorgeront des gens en criant “liberté, égalité, fraternité” pour nous faire chier, devra-t-on leur abandonner ? » Je passe sur la syntaxe fort approximative de sa question. Mais M. Malaussena semble ne s'être pas avisé que personne n'égorgeait des gens dans la rue en criant ce qu'il dit. Pas plus qu'en hurlant “À la soupe !” ou “Vive les vacances au ski !” J'ajouterai à cela qu'il ne me paraît pas certain que nos égorgeurs d'importation poussent leur cri dans le seul but de “nous faire chier”, comme le dit si élégamment et si subtilement M. Malaussena.

 D'où la mienne, de question : M. Malaussena est-il foncièrement malhonnête, maladivement islamolâtre ou simplement abruti ?

Six heures. – Titre de mes analphabètes d'élection : « Attaques et appels au boycott de l'entreprise McDonald's se retrouvant impliquée dans le conflit entre Israël et le Hamas. » Je suppose qu'ils ont dû se trouver pris en sandwich.


Mardi 24

Six heures (du soir...). – Est-ce que vraiment “c'était mieux avant” ? Probablement pas. Alors ? Alors, ceci de Jean Dutourd, à quoi il me parait bon de souscrire :

« Quant aux idées de maintenant, j'ai le bonheur d'éprouver surtout de l'antipathie à leur égard, non qu'elles soient plus fausses ou plus bêtes  que les idées de 1830 ou de 1730, mais elles sont de mon temps, elles traînent partout, on me les serine chaque jour, j'en suis excédé. »

Voilà. Pour le dire plus abruptement et avec moins d'élégance, les marottes et âneries du passé ont cette supériorité sur les nôtres que plus personne ne nous casse les couilles avec. Et que, en plus, nul n'exige que l'on se prosterne devant elles.


Mercredi 25 

Sept heures (du matin...) – Reçu hier le Guerre et Paix de Bondartchouk, film de près de huit heures, que nous ne regarderons que quand j'en aurai terminé avec la “version papier” de l'œuvre en question ; ce qui n'est pas exactement pour demain puisque, en ayant lu environ 700 pages, je ne suis même pas à la moitié de ce roman monstre. Pas gênant dans la mesure où nous avons, hier soir, abordé la quatrième et dernière saison de Succession, excellente série HBO.

– Toujours hier, j'ai reçu de l'attachée de presse des Belles Lettres leur programme de parutions nouvelles pour janvier et février prochains. Comme à chaque fois, cette aimable personne me prie de “revenir vers elle” si jamais un ou plusieurs livres de la liste se trouvaient m'intéresser. En principe, je ne “reviens” jamais, ayant horreur de quémander, même quand on m'y incite gentiment. Or, cette fois, mes yeux sont tombés sur les deux derniers tomes du journal de Muray, à paraître ensemble le 4 février. J'ai donc tordu violemment le bras à mes principes (qui d'ailleurs n'en sont pas à proprement parler : c'est plutôt une grande gêne que j'éprouve à l'idée de réclamer quoi que ce soit d'indu), et signifié clairement à la dame concernée qu'elle me comblerait d'un ineffable bonheur en me faisant parvenir les deux volumes en question. Si, comme je le pense, ma requête se perd dans les sables (février est encore si loin…), j'en serai quitte pour les acheter, comme je l'ai fait pour les trois tomes précédents (trois ou quatre ? Voilà que j'ai comme un doute... en fait, quatre : je viens d'aller vérifier), ce qui, évidemment, ne fera que renforcer ma répugnance à m'attirer de quelconques privilèges.

– Par ailleurs, j'ai repris, en lecture d'appoint, ou de contrepoint, le recueil de chroniques littéraires de Dutourd qui s'intitule Domaine public : il ne s'y occupe que d'écrivains morts, ce qui est fort agréable. L'inévitable conséquence est qu'il me donne de brusques désirs de lire ou relire tel ou tel ; par exemple Paul-Jean Toulet dont, par chance, je possède déjà les œuvres à peu près complètes. Cela dit, il est assez probable que cette envie m'aura passé quand j'en aurai fini avec Tolstoï. Pour faire place à d'autres, sans doute...

– À propos de Dutourd, je suis plus ou moins titillé par l'envie d'acheter Les Horreurs de l'amour, volumineux roman de lui, datant des années soixante mais récemment réédité. Michel Desgranges est plus ou moins responsable de ce désir incongru. Lors de notre dernier déjeuner, il m'a dit en substance : « Je suis un peu curieux de ce roman, et j'aimerais bien que vous le lisiez d'abord pour me dire si ça vaut la peine que je l'achète. » Je lui ai évidemment rétorqué qu'il pourrait, lui, l'acheter et ensuite me dire si ça vaut la peine que, moi, je le commande. Mais je sens bien qu'il n'en fera rien et que ça va être à moi de me dévouer...

Trois heures. – Tolstoï est une espèce de “deux en un”. Il y a en lui un romancier dont la parfaite maîtrise est au service d'une puissance rarement égalée. Mais, soudain, celui-ci se fait arracher la plume des mains par l'autre Tolstoï, un songe-creux qui se met à ratiociner à propos de tout, de l'histoire, des fins dernières, du hasard et de la prédestination, etc., entremêlant les évidences aux plus délirantes âneries. (Voir par exemple les premiers chapitres du livre troisième.)

– J'ai toujours beaucoup aimé cette anecdote – vraie ou controuvée, peu importe – concernant Guillaume Budé, à qui un de ses valets, affolé, vient annoncer que la maison est en feu, et qui, sans lever le nez du livre qu'il lit, lui répond tranquillement : « Avertissez ma femme, vous savez que je ne me mêle point du ménage. » Je m'en amuse, tout en sachant que je devrais sans doute m'en offusquer plutôt. Car la remarque dénote chez l'ignoble Guillaume un sexisme parfaitement inacceptable : quel déplorable exemple pour nos chères têtes blondes crépues ! Et personne pour se demander comment la pauvre Mme Budé s'est tirée de ce mauvais pas...

Sait-on seulement comment elle s'appelait, cette triste victime du patriarcat de style Renaissance ? Gertrude Budé ? Solange Budé ? Guillermine Budé ? Encore une pauvre invisibilisée, sacrifiée sur l'autel d'un mâle probablement cisgenre et arrogamment content de l'être !

– Je constate qu'à son époque Dutourd était aussi mal disposé envers les traducteurs de livres étrangers que je le suis à la mienne. « Notre mal vient de plus loin », donc.

Par ailleurs, le même Dutourd vient de me vanter les grands mérites du Roman de l'énergie nationale de Barrès... que Michel m'invitait pressamment à lire lors de notre dernière rencontre. Bon, bon, si tout le monde s'y met... Je vais toujours rapporter le volume “Bouquins” de la Case. Mais Maurice devra attendre que j'en aie fini avec Léon.


Jeudi 26

Dix heures. – De Joseph Joubert (1754 – 1824) : « Sexes. L'un a l'air d'une plaie, l'autre a l'air d'un écorché. » C'est sans doute pour cela que notre temps a remplacé le sexe par le genre : ça fait tout de suite plus propre ; presque pimpant.

– De Jean Dutourd, parlant de l'unique roman de Marat, Les Aventures du jeune comte Potowski : « La niaiserie est la forme que prend la sensibilité chez les hommes impitoyables. » Si, de nos jours, on se réfère aux divers cloaques de type Twitter, l'assertion me semble encore plus vraie pour ce qui concerne les femmes.
 
– Et, puisqu'on parle de Marat, cette exclamation de Mark Twain, à qui l'on rapportait son poignardage par Charlotte Corday : « Pour une fois qu'un Français prenait un bain ! »

– Je trouve toujours un peu curieuse cette expression qu'emploient régulièrement mes ex-confrères dans leurs notices nécrologiques : “Machin Truc, mort des suites d'un cancer”. Le cancer ne suffirait donc pas à tuer son hôte ? Il lui faudrait des “suites”, en quelque sorte des aides qui viendraient terminer le boulot ? Est-ce que, dans son cas, guérison ou mort ne sont pas les seules suites raisonnablement envisageables ?

Trois heures. – Curieuse maladresse de Dutourd qui, d'ordinaire, sait parfaitement sa langue. Parlant d'Augustin Thierry, il écrit qu'il “a pris de Chateaubriand une certaine couleur, une façon ample et dramatique de peindre le passé qui tient autant de l'histoire que du roman”. Pour être logique, Thierry étant historien, Dutourd aurait dû écrire “qui tient autant du roman que de l'histoire”.

– Dans ses fameuses lettres à Stendhal, Mérimée évoque régulièrement ces femmes qu'il a “traitées comme des aiguilles”. Je suppose qu'il veut dire qu'il les a “enfilées par le chas”... Mais peut-être me trompé-je.
 
Sept heures. – Je viens de rapporter au salon le premier volume Pléiade de la Correspondance de Flaubert. À l'inverse, Cioran et ses Cahiers ont pris le chemin de l'exil, c'est-à-dire de la Case : au moins, maintenant, ce vieux raseur pleurnichera pour quelque chose.


Vendredi 27

Huit heures. – J'ai publié hier, sur le blog-mère, un court billet de tonalité nettement "déconnante”, dans lequel je feignais de croire, pour m'en indigner vertueusement, que l'identité de la femme de Guillaume Budé était restée totalement inconnue (on peut en lire l'amorce ici même, supra). C'était évidemment une gaminerie. Eh bien, il s'est tout de même trouvé deux lecteurs pour, après recherches internétiques, venir m'informer doctement que si, si, on connaît très bien le prénom de Dame Budé. Comme si je n'aurais pas été capable de le trouver moi-même en deux clics-souris si j'avais vraiment voulu le savoir. Il me semblait pourtant clair, vu le ton général de ces deux ou trois paragraphes, que tel n'était pas mon propos ; que je n'avais d'ailleurs aucun “propos”, sinon celui de faire sourire au passage une poignée de lecteurs : raté apparemment.

Midi. – Nos valeureu•x•ses jean-moulins et jeanne-moulinettes de clavier s'offrent aujourd'hui une journée “sans Twitter” (tiendront-ils jusqu'à minuit ? Le monde tremble...). Cet acte héroïque de résistance, de la part des croisés de la liberté, a pour but de protester hautement contre l'expression de toute opinion qui ne serait pas exactement conforme à la leur, les dites opinions étant généralement hâtivement travesties sous le nom de Fake News, alors qu'il s'agit seulement, si l'on tient à l'anglais, d'Unpleasant News pour leurs oreilles délicates. Tout ce que les cloaques internétiques comptent de spectres gauchisants s'est évidemment engouffré dans cette brèche… qui laissent totalement indifférents les neuf dixièmes et demi de la population, et qu'eux-mêmes auront oublié dès demain matin.

Quatre heures. – La préface que Jean Bruneau a placée en tête du premier volume de la Correspondance de Flaubert est un modèle du genre, modèle qui n'est hélas quasiment plus jamais imité de nos jours : précise, riche d'informations, exempte de toute fatuité et de jargon d'universitaire, tout entière au service de son sujet, et non l'exact inverse comme c'est si souvent le cas désormais. Bref, en 1973, la Pléiade restait, mais pour peu de temps encore, une collection tout à fait fréquentable. Dame Ternette m'informe que Jean Bruneau est mort en 2003, octogénaire ; je salue donc sa mémoire.

– Toujours aussi fasciné par l'une des premières lettres que nous ayons de Flaubert. Il vient d'avoir 9 ans et il écrit à Ernest Chevalier (je rétablis orthographe et ponctuation) : 
 
« Si tu veux nous associer pour écrire, moi j'écrirai des comédies et toi tu écriras tes rêves. Et comme il y a une dame qui vient chez papa et qui nous conte toujours des bêtises, je les écrirai. » 
 
C'est-à-dire que tout se passe comme si, avant 10 ans, Gustave savait déjà que la bêtise serait la grande affaire de sa vie littéraire, comme si bouillonnaient déjà dans cet enfant Bouvard et Pécuchet ainsi que le Dictionnaire des idées reçues.

Une autre chose étonnante, dans ces lettres enfantines : celles du Gustave de neuf ans sont parsemées de fautes, dont certaines assez grossières ; à onze ans, il n'en fait plus une seule. Apparemment, l'Instruction publique était un petit plus efficace que notre Éduc' nat'...


Samedi 28

Neuf heures. – C'est tout de même curieux, cette propension, presque puérile, qu'a Tolstoï de refaire après coup les batailles (celle de Borodino par exemple, au livre troisième), en présentant comme évidents des enchaînements qu'il était impossible de prévoir, ni même de distinguer, au moment des faits, dans le feu des actions entremêlées. Il cède constamment au Post hoc, ergo propter hoc des Latins, pensant que si deux événements se suivent, le second est forcément la conséquence du premier ; ce qui, dans la réalité est rarement vrai. C'est une sorte de reliquat de la pensée médiévale : si une épidémie de peste se déclare un mois après le passage d'une comète, c'est donc la comète qui est responsable de la peste. Pensée médiévale peut-être, mais dont nous sommes nous-mêmes fort loin d'être affranchis.

Dix heures. – Nouveau mot rencontré à l'instant : veillote. « Petite meule de foin temporaire, faite dans le champ à partir des andains de foin coupé et séché, et destinée à être chargée dans la fourragère. » Pas facile, de nos jours, de placer cette veillote dans une conversation...
 
– Sinon, je viens de tourner le coin de la page 1000 de Guerre et Paix : plus que 600…

– Et je me demande si le fait que tous les valeureux combattants du Bien ont, hier, boudé Twitter en masse a suffi à faire plier le genou à l'ignoble Musk, le décidant à museler une bonne fois pour toutes les innombrables mal-pensants qui grenouillent dans les bas-fonds de son rézosocio afin d'y répandre leurs miasmes délétères, dignes des heures, etc.


Dimanche 29

Six heures. – Ce matin, donc, en plus du dérèglement climatique : dérèglement horaire. Une excellente occasion pour pleurnicher un peu plus, que certains, je gage, ne vont pas laisser passer. Pour moi, je me suis contenté de mettre horloges, montre et réveil à l'heure nouvelle – qui serait plutôt l'heure ancienne, du reste.

– Je crois bien ne m'être jamais rendu compte, lors de mes deux ou trois précédentes lecture de Guerre et Paix (qui doivent s'échelonner sur un demi-siècle...) à quel point Natacha Rostov pouvait être une adolescente pénible, parfois même horripilante. En ce sens, d'ailleurs, le portrait qu'en trace Tolstoï est tout à fait réussi. Mais enfin, je gardais plutôt le souvenir d'une jeune femme au charme encore juvénile mais troublant et difficilement résistible ; un peu comme si je continuais à la voir avec les yeux du prince André Bolkonski à l'époque où il la demande en mariage.

Mais il y a autre chose, sans doute : le souvenir très net du film de King Vidor, vu plusieurs fois lui aussi, dans lequel cette même Natacha est, en quelque sorte, transfigurée par le charme d'Audrey Hepburn qui l'incarne. Je suis curieux de voir si la Natacha du film de Bondartchouk, que nous regarderons d'ici quelques jours, parvient à effacer, ou au moins à faire un peu pâlir, ce souvenir tenace.

– Il y a six ans jour pour jour, me rappelle Catherine, Charlus faisait son entrée chez nous.  Et il y a 29 ans, également jour pour jour, Catherine et moi nous épousions en la mairie de Beaulieu-sur-Loire. Je crois que c'est tout pour le 29 octobre.

Midi. – De Flaubert, dans une lettre de 1842 (il a 20 ans) : « La justice humaine est d'ailleurs pour moi ce qu'il y a de plus bouffon au monde, — un homme en jugeant un autre est un spectacle qui me ferait crever de rire, s'il ne me faisait pitié [...] » Opinion que je partage entièrement, et de plus en plus à mesure que je prends de l'âge. La fameuse formule “Je fais confiance à la justice de mon pays” m'apparaît, pour reprendre une expression flaubertienne, comme un Himalaya de niaiserie.

– Dans l'un des deux derniers épisodes de Succession, une réplique qui semblerait sortie tout droit de la cervelle de Joseph Prudhomme : « Tu n'aurais jamais osé manquer l'enterrement de mon père de son vivant ! »

Quatre heures. – Jeudi prochain était prévu un déjeuner à Fontaine-le-Dun, au restaurant, avec ma mère, mon frère, sa femme et leur fille. Or, Philippe a trouvé malin d'attraper le Covid : plus question pour eux de venir des Landes, et nous déjeunerons donc avec ma mère seulement... mais tout de même au restaurant prévu. Il faut d'ailleurs que je pense, demain quand ils seront ouverts, à les appeler pour “réduire la voilure” de notre réservation.


Lundi 30

Six heures et demie. – Hier soir, alors que nous nous apprêtions à regarder le Anna Karénine de Julien Duvivier, notre lecteur de DVD est brusquement passé de vie à trépas. Tout à l'heure, nous le remplacerons par celui qui dort au sous-sol depuis un an ou deux, en espérant pouvoir le tirer de sa longue léthargie. Dans le cas contraire, il faudra bien se résoudre à faire un petit tour dans une boutique idoine. 

Onze heures. – Eh bien, il fonctionne parfaitement, ce lecteur exhumé des profondeurs très encombrées du garage ! J'en suis d'ailleurs fort surpris — presque déçu...
 
Six heures. – Titre légèrement surréaliste pêché sur Atlantico : « La réforme institutionnelle en Corse divise les Bonapartistes » Et pourquoi ces guignols ont-ils droit à, tout soudain, à une majuscule initiale ?


Mardi 31

Cinq heures et quart. – Mais enfin, qu'est-ce qui leur a pris, à nos éboueurs, de passer vider nos poubelles il y a une demi-heure, soit à cinq heures moins le quart du matin ? Du coup, par un genre de solidarité intersectionnelle entre travailleurs et retraités, je me suis levé. Et, maintenant, j'ai l'air un peu con...

– Hier soir, nous avons regardé une production netflicarde qui, fait exceptionnel, était d'une excellente qualité. Il s'agit d'une adaptation allemande, allemande et longue de deux heures et demie, du roman d'Erich Maria Remarque, À l'Ouest rien de nouveau. Quand je dis “nous”, j'exagère : Catherine a décroché très vite, ne supportant plus les scènes de guerre un peu réalistes : on devient délicat, avec l'âge, il faut croire. En tout cas, un film nettement, voire hautement, recommandable.

– J'apprends, par Tolstoï, qu'il existe en Russie une sorte d'équivalent de ce que, dans le nord-est de l'Amérique, les Québécois nomment l'été des Indiens. Les Russes, eux, l'appellent – ou l'appelaient – l'été des femmes ; sans doute parce qu'ils manquent d'Indiens.
 
Dix heures. – Vu la tempête annoncée pour après-demain, je viens, sur les injonctions de Catherine, d'annuler notre petite expédition en Seine-Maritime, prévue justement ce jeudi. Prévenue à l'instant par téléphone, ma mère s'est déclarée soulagée de cette non-venue.
 
Quatre heures. Terminé Guerre et Paix à l'instant. Quand je dis “terminé”, c'est tricherie : les cinquante dernières pages de l'épilogue sont une épaisse et indigeste tartine théorico-fumeuse, par-dessus laquelle j'ai allègrement sauté pour atterrir directement sur le mot “fin”.

Dès demain matin, cap à l'ouest pour un retour sur les rives des lacs Supérieur et Michigan.

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