dimanche 1 juillet 2018

Juin 2018










ÉCHAPPÉE VENDÉENNE









Vendredi 1er

Onze heures du matin. – Les mésanges bleues de la cabane dite “du petit volet” ont pris leur envol ce matin. Les trois premières (mais était-ce vraiment les premières ?) sont sorties assez vite – mais tout de même avec les ultimes hésitations d'usage : je sors le bec, je le rentre… je sors la tête, je la rentre… je sors la tête et la moitié du ventre, je les rentre… allez, j'y vais ! – autour de sept heures et demie. À ce moment, Catherine s'est levée et, malgré notre patience, elle n'a pas pu en voir une seule car tout s'est interrompu. Nous savions qu'il restait des petits à l'intérieur du nichoir car les deux parents continuaient d'aller et venir, chenille au bec (et à repartir sans, bien entendu). J'avais renoncé à mon observation continue (d'autant que je commençais à avoir des points noirs devant les yeux à force de fixer ce bloody nichoir…), résigné à n'en avoir vu que trois prendre leur essor en direction du cerisier. Or, à dix heures et quart, alors que Catherine était partie depuis une heure avec Charlus pour son cours d'éducation (le cours de Charlus…), j'ai soudain vu une nouvelle tête apparaître. Et, en un peu plus de vingt minutes, ce sont bel et bien huit mésanges qui ont pris leur envol. Aucune perte n'a été à déplorer (Golo avait été, par mes soins, prudemment enfermé dans la maison). La toute dernière a quitté le nid pratiquement au moment où Catherine revenait, si bien (ou si mal) qu'elle n'en a pas vu une seule. Et nous sommes sûrs qu'il n'y en a plus : l'un des deux parents vient de venir, chenille au bec… et est reparti sans même entrer, toujours avec sa chenille. Depuis, comme c'est l'habitude, les parents et les onze petits se sont tous volatilisés on ne sait où (probablement en direction d'un réservoir à chenilles…).  Je puis donc retourner à Tom Wolfe l'âme sereine et le cœur apaisé.


Samedi 2

Dix heures du matin. – J'ai terminé les 820 pages de Bloody Miami tout à l'heure, juste avant d'aller prendre ma douche (les deux faits n'étant d'ailleurs liés en rien) : il y avait longtemps que je n'avais pas lu un roman aussi réjouissant, qui se parcourt à tombeau ouvert (ou à bride abattue si on est vraiment passéiste), et donne de l'Amérique – ou au moins de Miami – une image aussi glaçante que drôle – vraiment très drôle. Par moment, on se croirait chez le bel Alexandre (Dumas), tellement ça galope. Quand je me dis que, pendant ce temps, des malheureux s'obstinent à déchiffrer les minces grimoires de Christine Angot ou d'Édouard Louis, un grand élan de pitié me vient pour eux. Il est vrai que Tom Wolfe – c'est à la fois modestie et ambition – se contente de montrer le monde tel qu'il le voit, d'en indiquer quelques-uns des ressorts les plus agissants, même si ce dévoilement ne risquait pas de lui valoir le Nobel, ni de lui ripoliner l'âme en couleurs pastel ; alors que nos deux chevaliers blancs, eux, attention les yeux, dénoncent le racisme et l'essclusion – pas moins. Il est certes fort beau de dénoncer le racisme et l'exclusion, même si tous les bien-pensants occidentaux le font du matin au soir depuis près de quarante ans ; mais il faudrait peut-être leur dire, à Christine Édouard et à Louis Angot, qu'un homme qui dénonce, cela ne s'appelle pas un écrivain mais un délateur. En attendant, cela s'accorde à merveille avec les deux clowns évoqués, je vais aller tout de suite ouvrir à sa première page Le Bûcher des vanités du même Wolfe ; dont les deux autres romans sont déjà bien au frais dans mon petit panier Amazon.

Quatre heures. – Il m'est arrivé, avec l'entrée qui précède celle-ci, ce qui se produit parfois : à mesure que je l'écrivais, elle cessait d'être une entrée de journal pour muter en billet de blog. Je sais que, dans ce cas, il ne sert à rien de chercher à redresser quelque barre que ce soit (et pourquoi redresser, d'ailleurs ?) : le mieux est de laisser faire… puis d'aller transplanter le résultat sur le blog ; ce que fis.

– Hier toute la journée, j'ai trouvé un peu triste mes “stations cigarette” sur la terrasse, privé que j'étais désormais du va-et-vient des mésanges nourricières. Je suppose qu'il en est ainsi chez tous les vieux parents qui voient les enfants quitter la maison pour s'en aller vivre ailleurs leurs vies d'ingrats crétins… Tout à l'heure, cependant, j'ai eu un petit sursaut joyeux en constatant que le troisième des quatre nichoirs était lui aussi fréquenté, par des charbonnières. Celui-là est situé contre le mur arrière de la maison, juste en face de la porte de la Case. J'ai l'impression que ce couple n'en est encore qu'au stade de la couvaison, mais évidemment je ne suis pas ornithologue ni mésangeologiste. De toutes façon, cette cabane-là n'étant visible ni de la terrasse ni de mon bureau quand j'y suis assis, il y a peu de chance que nous puissions assister à l'envol des petits lorsqu'il se produira.

Sept heures vingt. – Ce pauvre “Juan Sarkofrance” qui, chaque semaine, s'oblige à une indigeste tartine “politique” dans laquelle il tente de résumer à charge (contre Sarkozy d'abord, contre Hollande ensuite, contre Macron désormais et contre le suivant j'imagine) l'actualité des sept derniers jours. Il est difficile d'avoir une vue plus courte, plus appliquée, que ce garçon : je me le représente en écolier à blouse grise, comme sur une photo de Doisneau, son porte-plume à la main, penché sur sa page de cahier quadrillée, la lèvre légèrement baveuse, essayant de s'intéresser à ce qu'il est en train d'écrire. C'est un devoir auquel il s'astreint, on le voit se persuader de faire œuvre utile. Suivant sa propre humeur du moment, on a envie d'éclater de rire ou de pleurer.  Et quasiment jamais un commentaire… des tartines de lieux communs d'une gauche qui a totalement cessé d'exister et que personne ne lit… Le petit-bourgeois parisien boboïde dans toute sa décrépitude… Fin de race absolue…


Dimanche 3

Sept heures vingt. – Passé ma journée à lire Tom Wolfe, au salon d'abord, au jardin ensuite. C'est-à-dire, donc, que je n'ai rien fait, si l'on s'en tient aux critères de la presque totalité des gens, ceux pour qui la lecture c'est “quand on n'a rien de plus intéressant à faire”. Parmi ceux-là, le sous-ensemble des non-lecteurs honteux, qui vous affirment qu'ils adorent les livres mais qu'ils n'ont jamais le temps.


Lundi 4

Sept heures dix. – Terminé Le Bûcher des vanités en milieu d'après-midi. J'espérais vaguement recevoir aujourd'hui un autre roman de Wolfe, mais non. C'est très agaçant car, me figurant qu'il va arriver demain, je n'ose commencer un nouveau livre, sachant bien que je ne résisterai pas au Wolfe dès qu'il sera là. Que faire ? Patienter en relisant quelques pages d'un journal quelconque (je parle bien sûr d'un journal d'écrivain, pas d'un périodique) ? Des chroniques, genre Muray ou autre ? Ah, elle n'est pas toujours facile, la vie du lecteur compulsif !

Avec tout ça, comme dirait Didier G., j'ai fait, ce matin, à peine la moitié du travail que je m'étais juré d'abattre. il est vrai que je me l'étais juré très mollement et en croisant les doigts.


Mercredi 6

Midi et demie. – Charlus revient de chez son esthéticienne (toiletteuse, en langue vulgaire) qui lui a rasé tout le poil superflu qu'il avait. Le résultat est quelque peu surprenant : il s'est mis à ressembler à un chien, mais son volume global a été divisé par deux (au moins). Il a l'air de s'en foutre royalement. Apparemment, si on veut le maintenir en l'état, plus ou moins, il nous faudra prévoir une tonte tous les deux mois. Comme je l'ai fait remarquer à Catherine : « Ça va nous coûter à peu près l'équivalent que de ce nous allons économiser avec la résiliation de l'abonnement à Canal.  » Du reste, à propos de télévision, la même Catherine a décidé de s'atteler à la “question Netflix”, sorte d'entité  mystérieuse qui, pour prix d'un abonnement modique, permet de voir des dizaines de séries et des milliers de films. Évidemment, cette chose passe par l'ordinateur, et nous serions bien incapable de nous en occuper nous-mêmes (surtout moi, il va sans dire). Heureusement l'un de nos plus proches voisins tient échoppe d'informatique à Pacy et il a accepté de prendre les choses en mains. (Écrivant ce qui précède, je m'aperçois que, si nous persistons dans cette idée, nous allons simplement remplacer l'abonnement Canal par un autre abonnement d'une nature différente. Ce qui fait que les frais esthéticiens de Charlus seront bel et bien en supplément. Heureusement qu'on est pété de thune…)

– Plongé depuis hier dans Moi, Charlotte Simmons, troisième roman de Tom Wolfe : intéressant mais, après lecture d'un quart du livre (encore un pavé de mille pages…), paraissant inférieur aux livres déjà lus, notamment à cause des dialogues “de jeunes” qui sonnent terriblement faux. Mais est-ce la faute de Wolfe ou celle de M. Bernard Cohen, son traducteur ? Un traducteur qui, par ailleurs, ne manie pas une langue très élégante, ni même très assurée d'elle-même : M. Cohen est un virtuose du “sur comment” et de ses variations possibles (de comment, où comment…). Ce qui est étrange, c'est que les “sur comment” avaient déjà tendance à bourgeonner dans Le Bûcher des vanités, dont la traduction remonte pourtant à 1987, et qui est due à une autre personne. La tournure serait-elle le reflet de ce qu'a écrit Wolfe ? Mais alors, il faudrait savoir si l'aberration syntaxique est du fait de l'Américain ou si elle n'apparaît que dans la version française. En bref, tous ces “sur comment” ne seraient tolérables que s'ils étaient chargés de rendre une discordance du même type chez l'auteur. Mais comment s'en assurer, quand on ne lit pas l'anglais, et que de toute façon on ne dispose pas de la version originale ?

(Le paragraphe qui précède est écrit en pur charabia, et bien malin qui comprendra, y compris moi, ce que j'ai tenté d'y dire. Mais j'ai la flemme de repétrir cette pâte infâme…)


Jeudi 7

Trois heures. –  J'ai fait, hier, un grand bond en avant dans la modernité la plus échevelée : j'ai ouvert un abonnement à Netflix, cette officine internétique qui, pour une somme modique (10 € mensuels à peu près) permet d'avoir accès à des quantités de films et de séries télévisées, séries dont on a compris, je pense, que nous faisons une assez grande consommation ; laquelle devrait encore croître lorsque nous n'aurons plus aucune chaîne de télévision. Pour l'instant, nous n'avons accès à rien, Catherine et moi étant bien incapables de paramétrer les choses qui réclament de l'être, afin de pouvoir transporter films et séries de mon ordinateur à l'écran de télévision. Mais notre voisin informaticien, lui-même abonné à Netflix si l'on a bien compris, devrait passer ici prochainement pour régler ces détails qui, pour nous , relèvent à l'évidence de la sorcellerie la plus noire. En attendant, nous continuons sagement à glisser des DVD dans la machine idoine, pour regarder Lost ou Six Feet under.

Moi, Charlotte Simmons est assez nettement inférieur aux deux romans de Wolfe lus précédemment (Le Bûcher des vanités et Bloody Miami). Cela doit tenir pour une bonne part au fait qu'il s'agit d'un écrivain de plus de 70 ans décrivant la vie sur un campus universitaire des années 2000 : il est trop éloigné de ce monde pour être vraiment convaincant, sans doute. C'est probablement pour la même raison que ses dialogues “jeunes” sonnent le plus souvent dramatiquement faux. Mais je ne crois pas que Wolfe soit le seul fautif (une fois de plus, il faudrait se reporter à la version originale, ce que ne puis) : le traducteur, M. Bernard Cohen, me semble mériter sa part d'opprobre, avec sa propension à utiliser des termes argotiques dont plus personne ne s'est servi depuis la disparition de Gabin et d'Audiard, et dont notre belle jeunesse actuelle ne doit même plus savoir ce qu'ils signifient. Ses dialogues à lui, ses dialogues traduits, deviennent encore plus irréels à cause d'un parti pris étrange et à mon sens indéfendable : celui d'avoir laissé tels quels les innombrables “fuck” qui émaillent le roman : ils surgissent à chaque ligne de dialogue avec l'incongruité d'un chevalier en armure médiévale traversant le salon de la duchesse de Guermantes. C'est d'autant plus dommage (et stupide) que, selon le contexte discursif (eh oui, j'ose !), tous ces fuck auraient mérité d'être traduits tantôt par “merde”, tantôt par “bordel”, tantôt encore par “putain”, plus deux ou trois autres vocables. Bref, M. Cohen se fout du monde. À cela s'ajoute le fait que, s'il connaît peut-être très bien l'anglais, il ne maîtrise que très imparfaitement le français : les “sur comment” pullulent, avec les dérivés attendus : de comment, par comment, etc. J'aurais pu relever bien d'autres balourdises ou impropriétés, mais il suffit. Le plus ennuyeux est bien sûr que ces “couacs” jettent la suspicion sur l'ensemble de sa traduction, et surtout sur sa fidélité à l'original. Enfin, malgré toutes ces réserves, Moi, Charlotte Simmons reste d'une lecture fort réjouissante par moment. Mais seulement par moment ; sans doute aussi parce que la jeune fille éponyme du roman, qui en est aussi le pivot, est finalement une figure assez pâlote, aux contours trop imprécis pour emporter l'adhésion du lecteur, ou même simplement susciter son empathie active. Il reste la description d'un prestigieux campus américain et les merveilleuses aberrations du politically correct : ce n'est déjà pas si mal.


Vendredi 8

Deux heures vingt. – Hier, juste après avoir écrit le paragraphe précédent, consacré au roman de Tom Wolfe, je l'ai transformé en billet pour le blog. Quand je dis “transformé”, j'attige, puisque je me suis en fait contenté de le transporter tel quel. Et puis, une ou deux heures plus tard, m'apercevant qu'il était vraiment trop superficiel, trop “survolé” comme disent mes ex-confrères, pour se supporter seul, je l'ai supprimé. La chose a eu deux effets immédiats : d'abord les ronchonnements de Mildred qui avait déjà laissé un commentaire, frêle esquif qui a évidemment disparu avec le navire amiral ; et, ensuite, l'annonce d'un billet fantôme dans toutes les blogolistes amies.

– J'ai terminé ce matin Moi, Charlotte Simmons (décidément bien inférieur aux deux romans wolfiens précédemment lus), et commencé aussitôt Un homme, un vrai, du même auteur.

– Terminé le pensum que je traîne après moi depuis je ne sais plus combien de jours.

– Tontine. L'herbe n'avait point encore atteint une hauteur alarmante, mais comme le señor Météo annonce des averses pour demain, que les tondeuses sont bannies le dimanche et que nous serons vendéens de lundi à mercredi, j'ai préféré prendre les devants (tout en restant prudemment derrière la tondeuse).


Dimanche 10 juin

Deux heures et demie. – Nous partons demain matin pour la Vendée, où nous passerons un jour et demi (un jour et deux soirs serait plus juste) chez Christian, le frère cadet de Catherine, et Roselyne, sa femme. Ils ont vécu assez longtemps à Perpignan (où nous étions allés les voir à moto depuis le Loiret où nous vivions alors : c'était donc aux alentours de 1995), puis dans la région de Carcassonne, avant d'atterrir à Saint-Hilaire-du-Riez où nous les rejoindrons demain. La Vendée fait partie de ces quelques régions de France où je crois bien n'avoir jamais mis les pieds (depuis que je suis adulte en tout cas). Cela ne m'empêche pas d'y être attaché d'une certaine manière, puisque c'est là, dans ce département, que ma grand-mère et ses trois ou quatre enfants de l'époque, dont ma mère, furent réfugiés durant mes quatre années d'occupation allemande ; dans un village (petite ville ?) nommé Varade, dont j'ai entendu parler durant toute mon enfance et au-delà. Ils y avaient été rejoints par mon grand-père lorsqu'il a été libéré de son camp de prisonniers. Les Allemands auraient d'ailleurs mieux fait de le garder car, sitôt maître de ses mouvements, ce monstre d'ingratitude s'est mis à saboter des voies de chemin de fer et à plus ou moins faire sauter des trains : on est toujours mal récompensé de ses accès de gentillesse et de magnanimité.

J'espérais bien avoir terminé Un homme, un vrai avant de partir, mais il semble, vu le nombre de pages restant, que ce ne sera pas le cas ; tant pis, je partirai avec, même si je sais pertinemment que je n'en lirai pas une page durant les trois jours prochains. Mais partir sans livre m'est chose possible, surtout quand c'est pour atterrir dans une maison où je suis presque certain de ne pas pouvoir “vivre sur l'habitant”.


Vendredi 15

Dix heures du matin. – Nous voilà de retour après notre bref séjour vendéen, chez Christian et Roselyne. Lequel s'est fort bien passé, hormis pour le temps : lundi, nous avons parcouru les 450 km nous séparant de Saint-Hilaire sous une pluie presque continuelle et très souvent battante, voire torrentielle pour ne pas dire diluvienne (il m'est arrivé plusieurs fois de ne pas pouvoir, sur l'autoroute, dépasser les 60 km/h). Cela ne nous a évidemment pas empêchés, les uns et les autres, de faire honneur aux bouteilles de chablis que j'avais apportées.

Christian et Roselyne vivent à quatre ou cinq kilomètres de l'océan, dans une maison allongée et sans étage, qu'ils louent. Elle fait partie d'une ferme plus vaste et, le matin, on s'éveille au meuglement des vaches toutes proches. Les fermiers sont tout à fait charmants, d'après ce que j'ai pu en juger en faisant leur connaissance, et Christian a pris l'habitude de donner un coup de main à l'occasion de certains travaux ; il a même été intronisé aide-vétérinaire au moment des vaccins. La maison a été entièrement refaite avant leur arrivée et elle est tout à fait agréable.

Le lendemain, mardi, il pleuvait toujours autant (non : presque autant) à notre réveil. Heureusement le temps s'est dégagé à partir de midi et nous avons pu, l'après-midi, aller patrouiller un peu dans la région, voir le littoral à Saint-Gilles notamment. Toutes ces bourgades collées les unes aux autres n'ont, à mes yeux, aucun intérêt, n'ayant jamais aimé ce qu'il est convenu d'appeler des stations balnéaires. Mais enfin, il y a bien pis que celles-là.

Une fois au bord de l'eau – la marée était haute –, Charlus a avisé, sur un rocher plat, à deux ou trois mètres du bord, un groupe d'oiseaux que je serais bien en peine d'identifier (disons des mouettes, pour faire bref), et il s'est précipité dans l'eau sans hésiter, dans le vain espoir d'en attraper au moins un ; ce qui bien entendu ne s'est pas produit. J'ai tout de même eu un peu la trouille en le voyant grimper sur le rocher plat, puis ressauter de l'autre côté, toujours obnubilé par les volatiles qui se jouaient de lui : je me voyais déjà en train de plonger dans l'eau frisquette afin d'aller le rechercher, si jamais un courant contraire l'empêchait de revenir vers la plage.  Finalement il est revenu seul et nous avons prudemment continué par la promenade piétonne située à quelques mètres au-dessus du niveau de l'eau.

Le mercredi, jour du retour, il a fait beau toute la journée. Et encore aujourd'hui, où nous attendons la visite cette fois de Nathalie, la sœur cadette – et même benjamine – de Catherine et Christian : notre vie sociale est un véritable tourbillon mondain et familial. En juillet, ce sera au tour de mon frère Philippe de débarquer, avec femme et fille, pour quelques jours. Et, fin août, Catherine m'abandonnera durant deux semaines, qu'elle ira passer à Québec avec ses filles et ses petits-enfants (deux de chaque…). Je me suis déjà prévu quelques films et séries d'horreur pour meubler ces soirées-là.

Avec tout ça, je n'ai même pas pris un gramme : il y aurait un dieu pour les ivrognes ?


Samedi 16 juin

Sept heures dix. – Parce qu'un des personnages de La Montagne magique le citait, j'ai relu quelques dizaines de pages du Zibaldone de Leopardi. Des notations passionnantes (tout ce qu'il dit sur les différentes langues, en particulier) et des développements qui sont tout à fait hors de ma portée, faute d'une culture, notamment gréco-latine, suffisante. Cet après-midi, seul à la maison (Catherine et sa sœur étaient parties au musée de Giverny, où se tenait une exposition centrée sur le Japon, laquelle les intéressait, surtout Nathalie, en raison de la vie qu'Adrien, leur fils et neveu, mène à Tokyo depuis plusieurs années), j'ai regardé “en enfilade” les quatre premiers épisodes d'Oz, série absolument remarquable, dont j'ai ensuite commandé l'intégrale des six saisons pour une somme tout à fait modique (la série en question a vingt ans, donc les prix sont en chute libre). Catherine doit s'y essayer demain, mais il n'est pas du tout sûr qu'elle soit capable de regarder ça : il s'agit d'une série tout de même assez violente, davantage dans son climat général, d'ailleurs, que dans ses différentes scènes.

La soirée d'hier, avec Nathalie, fut tout à fait agréable, mais, évidemment, plus ou moins alcoolisée, alors que nous étions à peine remis de notre excursion vendéenne. Semaine chargée, donc, dans tous les sens du mot. C'est sans doute ce qui explique mon peu d'envie de lire après déjeuner et mon rapatriement devant la télévision.


Lundi 18 juin

Cinq heures. –  Mes craintes, concernant la réception d'Oz par Catherine était vaines : après avoir regardé les deux premiers épisodes hier, elle a tenu à voir les deux suivants tout à l'heure, de manière à me rattraper. Je les ai d'ailleurs revus avec elle, avec à peine moins d'intérêt que lors de la découverte, simplement en m'attachant à d'autres choses que la narration pure. C'est ainsi que j'ai pu m'apercevoir que la “bande son”, si l'on dit bien comme ça, était tout aussi remarquable que le reste. Il m'est apparu aussi que le sujet vraiment central (au stade où nous en sommes) n'était pas la prison, mais la damnation et la rédemption. Il me tarde de voir la suite, ce qui sera fait dès demain soir, puisque nous allons boucler la deuxième saison de Lost dès ce soir.

(Ah, non, demain soir peut-être pas, car nous recevrons à sept heures et demie notre sauveur informatique qui, profitant de ce que nous sommes voisins, passera pour nous installer Netflix et expliquer aux malheureux infirmes que nous sommes comment s'en servir.)

– Je n'ai pas passé ma journée devant la télé, cela dit : j'ai écrit six mille signes (un peu ce matin, un peu cet après-midi, et j'ai bien progressé dans mon ascension de La Montagne magique.


Mercredi 20 juin

Neuf heures du matin. – “Intéressant” et “important” sont deux qualificatifs qui, je m'en aperçois, tendent à se confondre, à se recouvrir parfaitement, dans l'esprit de beaucoup de gens. Or, il me semble que les deux notions sont au contraire fort différentes ; pas antinomiques, non, il ne faut pas exagérer, mais enfin, n'ayant que des rapports de voisinage l'une avec l'autre. Par exemple, je n'ai jamais réussi à m'intéresser à l'argent (ni même essayé d'ailleurs), cela ne m'empêche pas d'admettre qu'il s'agit d'une chose importante. Qu'il est, en tout cas, important d'en avoir ou d'en gagner suffisamment (mais pas trop non plus), justement pour qu'il ne devienne pas une chose trop importante, voire envahissante. À l'inverse, quelques sujets, un certain nombre de choses peuvent me paraître très intéressantes, passionnantes voire, alors même que je sais bien qu'elles n'ont, au moins dans notre époque, rigoureusement aucune importance. Je m'en suis avisé il y a quelques mois, lorsque je me suis pris d'un intérêt  exclusif (très momentanément exclusif, qu'on se rassure…) pour la lutte entre les jansénistes et les jésuites, au XVIIe siècle et encore ensuite. Il ne me viendrait pourtant pas à l'idée de prétendre que c'est là un sujet important. (Et j'ai brusquement l'impression de faire de la philosophie pour élèves de terminale d'un lycée technique en “zone défavorisée”…)

– Je viens de franchir le cap des deux tiers de La Montagne magique ; ce qui devrait signifier que je suis passé sur l'autre versant, le descendant, alors que j'ai toujours la sensation (presque physique, dans les mollets) de grimper le long d'un chemin de plus en plus escarpé. Elle n'est pas drôle tous les jours, la vie du lecteur compulsif, on ne se rend pas compte. On pourrait d'ailleurs, à ce propos, tenter d'examiner, l'une par rapport à l'autre, les notions de passion et de plaisir, montrer qu'elles non plus ne sont nullement superposables. Mais la cloche vient de retentir et mes élèves à capuche me signifient, en disparaissant, que c'est assez de philo de comptoir pour ce matin.

– Notre voisin e-magicien est bien passé hier soir pour nous connecter à Netflix, ce qui fut fait en un tournemain. Nous allons pouvoir désormais nous gorger de séries et de films sans bourse presque délier. À condition, bien sûr, que nous maîtrisions les procédures d'accès ; lesquelles – j'ose à peine l'écrire de peur d'attirer le mauvais œil – ont heureusement l'air assez simples (c'est presque toujours “assez simple”, dès lors qu'il s'agit de nous soutirer de l'argent, aussi modeste soit la somme).


Jeudi 21 juin

Sept heures vingt. –  Il y a quelques jours, cet idiot de Charlus a trouvé le moyen de se ficher une épine entre les coussinets d'une patte arrière, la gauche (toujours, les emmerdes et les complications viennent de la gauche, avec les dépenses qui s'ensuivent). Catherine la lui a retirée, ou du moins a cru la lui avoir ôtée totalement. Ce n'était pas le cas et, tout-à-l'heure, constatant, entre les dits coussinets, une boule violâtre, qu'il ne cessait de lécher, il a bien fallu le conduire chez le vétérinaire… où il est resté pour la nuit, puisqu'il fallait en passer par l'anesthésie. Catherine en est revenue toute décontenancée, voire désemparée, et je dois dire que, depuis, la maison semble un peu vide, anormalement calme et statique.

Auparavant, nous avions eu une journée assez agitée et furieusement dispendieuse, essentiellement de mon fait, mais j'y reviendrai demain, n'ayant pas la patience, ce soir, de raconter notre odyssée minuscule.


Vendredi 22

Trois heures. –  Hier, donc, les dépenses ont commencé dès potron-minet. C'est Catherine qui a ouvert le bal, en allant faire les courses de la semaines, puisque jeudi est ici le jour du marché : rien que de très normal, donc ; mais enfin, l'impulsion était donnée. Dans le même temps, j'avais décidé de me remettre à la marche quotidienne, après environ deux mois d'interruption sans cause bien définie. J'ai alors constaté : 1) que je ne disposais plus du moindre bout de blouson pour me couper du vent frisquet qui soufflait hier dans nos contrées ; 2) que je n'avais à me mettre aux pieds que des chaussures presque exténuées et fourrées. Il fut donc convenu d'aller, l'après-midi, à Évreux, faire une petite visite à Mme Décathlon, que Catherine fréquente de loin en loin, et moi jamais. Tandis qu'elle se dirigeait vers l'allée des maillots de bain féminins (sa fille lui avait passé une commande ferme), je l'assurai que je pouvais très bien trouver chaussure(s) à mon pied tout seul et, d'une mâle démarche, me dirigeai vers le rayon dédié aux marcheurs, randonneurs et autres trekkeurs. En effet, après quelques tâtonnement, je dénichai la paire qui me convenait : pas trop voyante, enveloppant bien la cheville, à la fois souple et d'apparence costaude, qui plus est parfaitement à la taille de mes extrémités orteilleuses. Ce n'est qu'une fois à la caisse que je m'aperçus n'avoir négligé qu'une chose : regarder le prix de l'article. Il était de 150 €, ce qui est nettement excessif pour un marcheur faisant une fois et demi le tour du Plessis-Hébert cinq fois par semaine (en mettant les choses au mieux). Mais comme “on” a sa fierté, même si mal placée, il ne pouvait être question d'aller replacer dans leur présentoir ces pompes de milliardaire pour en choisir une autre paire plus modeste…

Cependant, nous n'avions pas trouvé de blouson qui me convînt. Sur le chemin du retour, Catherine me fit observer que nous avions tout le temps de pousser jusqu'à Vernon, bien certaine qu'à la boutique de vêtements “chasse & pêche”, nous trouverions forcément mon bonheur. De fait, nous le trouvâmes et l'achetâmes. Il coûtait 150 €, exactement comme les chaussures (ils se sont donné le mot ou bien ?). Nous pensions en avoir fini des dépenses dispensables, mais c'était compter sans Charlus et son abcès, et surtout sans l'opération qui s'en est suivie, laquelle nous a encore coûté 133 € : pour la beauté de la chose, j'ai regretté que notre bon vétérinaire n'ait pas poussé ses émoluments jusqu'à 150.


Dimanche 24

Sept heures dix. – J'ai beau me surbranler la pensarde, rien à noter ici. Lectures, travail et encéphalogramme à peu près plat. Côté lectures, à propos : t'Serstevens pas terrible ; Le Désert des Tartares, décevant (mais je me méfie des souvenirs ayant 40 ans de cave). En revanche, le livre de Calasso (La Folie Baudelaire) est vraiment très bien, même si c'est le genre qui vous donne l'impression d'être à la fois inculte et à la limite de l'idiotie, par rapport à l'auteur.


Lundi 25

Trois heures. –  Eh bien, ils m'ont cruellement déçu, les Tartares de M. Buzzati ! Je dis “cruellement” car on ne revient jamais sans quelque souffrance sur une idée, ou une image, ancrées en soi depuis quarante ans. Or, je vivais sur ce souvenir d'un roman éblouissant… et il ne l'est pas ; ou plus. Je cherche ce qui ne va pas, dans ce roman, et je ne trouve pas. Ou plutôt, si, je crois savoir : en fait, rien ne va. Tout est un peu trop ou au contraire pas assez. Le pire défaut, celui qui fiche le livre par terre sans lui laisser la possibilité de se relever, c'est que, dans ce roman entièrement construit autour du temps, on ne le sent jamais s'écouler. L'auteur a beau nous affirmer que Drogo a désormais 25 ans, puis 40, et enfin… rien à faire : on ne marche pas, il est totalement impuissant à nous faire sentir ces années qui sont censées avoir passé. C'est peut-être (c'est sûrement) que le livre est trop court : 250 pages format “poche” pour toute une vie, même immobile, surtout immobile, c'est trop peu. Ou alors, il y aurait fallu le génie temporel d'un Tolstoï, à la rigueur d'un Thomas Mann (car il serait intéressant de se livrer à une comparaison un peu systématique entre Le Désert des Tartares d'une part et La Montagne magique d'autre part : si j'étais professeur de lettres des universités, je sens que je pourrais passer au moins un trimestre rien que là-dessus) : il est manifeste que ce génie-là manque à l'Italien. La brièveté du roman nuit aussi à l'uniformité qui est censée se dégager de cette existence vide : là encore, il y eût fallu 900 pages…

Finalement, les livres qu'on a lus à 20 ans, c'est un peu comme les filles qu'on a aimé au même âge : on ne devrait jamais essayer de les rouvrir.


Mardi 26

Neuf heures vingt du matin. – La “cuvée juillet”, en matière de livres, s'annonce assez grisâtre. Après la déception due au Désert des Tartares, c'est Paul Auster qui vient de basculer dans mon petit enfer personnel. Il n'est pas déshonorant, son Mr Vertigo, loin de là. Il n'y a même, au fond, rien de sérieux à lui reprocher : agréable à lire, bien construit, avec ce qu'il faut de rebondissements, on sent qu'il y avait un plan solide à la base (et, justement, on pourrait lui reprocher cela : de laisser son lecteur s'apercevoir qu'il y avait un plan). Le problème est qu'il n'y a rien non plus à porter à son crédit. Le livre refermé, on se demande pourquoi il a choisi de nous raconter cette histoire plutôt qu'une autre, et on l'oublie aussitôt. Un peu comme le verre d'eau, une fois que la soif est étanchée. Bref, j'ai bien fait de ne commander qu'un seul livre d'Auster : je crois que j'en resterai là.

– J'avais prévu, ce matin, de mettre en route les pages que j'ai à remplir d'écriture. Seulement voilà : alors que Catherine est absente pour la matinée, le releveur de compteur électrique doit passer ce matin chez nous ; c'est donc à moi de le guetter plus ou moins (avec l'aide sonore de Charlus, tout de même), ce qui suffit à me couper toute velléité laborieuse. On retombe toujours sur la remarque de Flaubert, qui disait à peu près : « Pour travailler, il ne suffit pas de n'être pas dérangé : il faut être sûr qu'on ne pourra pas l'être. »

(Et, au beau milieu de la phrase précédente, la cloche du portail : c'est mon releveur. Me voilà donc, trois minutes plus tard, dégagé de tout souci de distraction. Sauf que, dans l'intervalle, je me suis fait à l'idée de ne pas travailler ce matin… Et puis, avec tout ça, il est déjà dix heures moins le quart ; or, j'ai repris depuis une semaine, la bonne habitude d'aller marcher dans la campagne entre onze heures et midi moins le quart, approximativement. Donc, on sera d'accord avec moi, je pense : ça ne vaut plus le coup de s'y mettre…)

– J'ai oublié de noter le spectacle étonnant qui s'est offert à moi, l'autre matin, entre cinq heures et demie et six heures du matin, alors que je venais de sortir sur la terrasse pour un café-cigarette. Le soleil n'était pas encore apparu, mais il s'en fallait de peu. Le ciel était entièrement parsemé de petits nuages blancs, frangés de rose, tous de la même taille approximative et très rapprochés les uns des autres, comme les taches sur une peau de guépard, ou comme de gigantesques flocons de neige restés en suspension. Ils faisaient paraître la nue deux fois plus vaste qu'à l'ordinaire, au point que le grand arbre en boule qui se dresse en sentinelle juste à gauche de la ferme paraissait, lui, avoir régressé au statut d'arbuste. Mais surtout, il y avait la lumière jaune du soleil sur le point de se dévoiler, derrière la ferme : non pas gonflée et arrondie en dôme au-dessus de l'horizon, comme elle est le plus souvent, mais comprimée en un étroit faisceau montant très haut, comme si on avait installé, juste derrière l'horizon, un énorme projecteur braqué sur le zénith. On aurait pu croire aussi, à condition d'avoir l'âme un peu mystique, à un rayon divin mais inverse, non plus tombant du ciel mais montant des profondeurs de la terre. Le phénomène a duré une dizaine de minutes, puis, assez rapidement, tout est redevenu normal, courant, quotidien. Et ma tasse était vide.


Mercredi 27

Dix heures et demie du matin. – Petit changement dans les habitudes conjugales : parce que les services météorologiques qu'elle consulte pieusement chaque matin annonçaient à Catherine des températures en hausse, elle a décidé d'aller effectuer sa marche charlusienne dès la fin de son petit déjeuner, soit aux environs de huit heures et demie. Souffrant d'un manque de personnalité qui n'est plus à démontrer, je lui ai aussitôt emboîté le pas (façon malencontreuse de parler puisque, en dehors des premiers deux cents mètres, nos parcours de marche diffèrent totalement). Et, en effet, ce fut fort agréable de se remuer dans la fraîcheur, plutôt que sous le soleil de midi, comme je le faisais jusque-là.  Le seul inconvénient est que, au retour, on ne peut pas dire que l'envie de se mettre au travail devant ce clavier soit fort pressante ; je m'y suis mis néanmoins.

Cinq heures. – Saisi d'une pulsion soudaine (et inexpliquée à cette heure), j'ai décidé qu'il me fallait absolument lire ces auteurs de romans noirs, ou policiers, ou je ne sais comment je dois les nommer, que beaucoup s'acharnent à considérer comme des écrivains à part entière – ce en quoi ils ont peut-être raison. Bref, je viens d'exiger de Mme Amazon qu'elle me livre dans les plus brefs délais les ouvrages de Raymond Chandler, Dashiell Hammett, Jim Thompson, James Hardley Chase et autres Chester Himes que j'ai trouvé sur son site. Du coup,  la tradition est respectée : mon budget culturel a explosé (enfin, bon : il est passé de 100 à 140 €, ce n'est pas la mort du petit cheval non plus. Il est vrai que le “mois carte dorée” n'est pas fini ; il serait même plutôt encore dans ses débuts…).

– En dehors de ça, j'ai finalement fait à la déchetterie cet aller-retour dont je me promettais mainte joie depuis un nombre considérable de semaines ; j'ai aussi ramassé les merdes de Charlus dans le jardin. Enfin, j'ai écrit cinq mille signes d'inepties, lesquelles auront au moins le mérite de couvrir largement, d'un point de vue financier, l'explosion dont je parlais il y a une seconde.


Vendredi 29

Trois heures. – Quelle déception que Chandler ! Quand je pense que voilà au moins quarante ans qu'on me bassine avec lui et quelques autres, toujours pour me démontrer par l'exemple que les romans policier ou noir, “c'est de la vraie littérature à part entière”.  J'ai attaqué le volume Quarto de Gallimard par le premier roman qui s'y trouvait proposé, à savoir Le Grand Sommeil. J'ai jeté l'éponge à la moitié, à peu près, et en m'étant ennuyé ferme durant ces cent premières pages.  Histoire dépourvue d'intérêt, personnages inexistants, et rien de cette fameuse “ambiance” dont il paraît qu'elle serait le point fort de l'auteur. Au total, une pénible impression de faire du surplace, malgré l'agitation qui, pour des raisons assez obscures, s'empare de tous les protagonistes, et en dépit des morts qui jonchent le moindre chapitre. Comme le volume contient d'autres romans, je donnerai une seconde chance à Chandler d'ici quelques jours, mais avec peu d'espoir et d'allant.

En revanche, j'aime beaucoup le Pottsville, 1280 habitants de Jim Thompson que j'ai ouvert juste après. C'est extrêmement drôle, saugrenu, cruel, absurde, cynique, et il y a, circulant entre ces personnages pitoyables, une vie et une humanité que je n'ai trouvées à aucun moment dans le Chandler. Bref, pour l'instant, mon incursion dans ce type de romans (mais, d'ailleurs, je vois mal pourquoi on les attelle ensemble, ces deux que je viens d'évoquer, ne leur trouvant qu'assez peu de rapports. Thompson se rapprocherait plutôt d'Erskine Caldwell, il me semble) n'est catastrophique qu'à cinquante pour cent. On verra ce que donnent les autres.

À propos du roman de Thompson, un grand mystère : pourquoi le premier traducteur (Marcel Duhamel himself) a-t-il cru bon de traduire le titre, Pop. 1280 par 1275 âmes ? Où sont passés les cinq habitants manquants de Pottsville ?


Samedi 30

Huit heures et demie du matin. – Pas plus de chance avec Dashiell Hammett que je n'en ai eu avec Raymond Chandler : je viens d'abandonner son Faucon maltais à peu près au tiers, après m'être ennuyé ferme durant les quelque quatre-vingts pages lues. C'est  plus ou moins statique, terriblement bavard et irritant en ceci que le personnage central, Sam Spade, semble toujours comprendre des choses qui, faute de renseignements ou d'indices, restent parfaitement opaques au lecteur : procédé assez puéril, destiné sans doute à masquer la pauvreté des intrigues policières. C'est du reste déjà une chose qui m'a irrité chaque fois que j'ai revu le film de John Huston : l'impression d'être baladé à peu de frais. Mais au moins, là, il y avait Bogart et Huston pour faire passer la sauce. Comme pour Chandler, j'ai tout de même gardé le volume au salon, afin de faire une seconde tentative d'ici quelque temps : on n'est pas plus équitable. Pour me consoler, je vais commencer tout à l'heure le deuxième roman de Thompson que j'ai acheté, Rage noire. Et attendre sans impatience notable  les Chester Himes et James Hadley Chase qui doivent arriver aujourd'hui ou lundi. Après cela, je pense que c'en sera terminé de cette incursion peu probante dans le domaine du roman noiro-policier. 

Sept heures et demie. – Ce matin, promenade au laboratoire d'analyses médicales. Cet après-midi, résultats : sang de bébé.  Du coup, ce soir, deux ou trois gin-tonics. Mais où placer le pluriel, dans ce mot, "gin-tonic" ? Je suis d'accord : on s'en fout.

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