ÉCHAPPÉE VENDÉENNE
Vendredi 1er
Onze heures du matin. – Les mésanges bleues de la cabane dite “du petit volet” ont pris leur envol ce matin. Les trois premières (mais était-ce vraiment les premières ?) sont sorties assez vite – mais tout de même avec les ultimes hésitations d'usage : je sors le bec, je le rentre… je sors la tête, je la rentre… je sors la tête et la moitié du ventre, je les rentre… allez, j'y vais ! – autour de sept heures et demie. À ce moment, Catherine s'est levée et, malgré notre patience, elle n'a pas pu en voir une seule car tout s'est interrompu. Nous savions qu'il restait des petits à l'intérieur du nichoir car les deux parents continuaient d'aller et venir, chenille au bec (et à repartir sans, bien entendu). J'avais renoncé à mon observation continue (d'autant que je commençais à avoir des points noirs devant les yeux à force de fixer ce bloody nichoir…), résigné à n'en avoir vu que trois prendre leur essor en direction du cerisier. Or, à dix heures et quart, alors que Catherine était partie depuis une heure avec Charlus pour son cours d'éducation (le cours de Charlus…), j'ai soudain vu une nouvelle tête apparaître. Et, en un peu plus de vingt minutes, ce sont bel et bien huit mésanges qui ont pris leur envol. Aucune perte n'a été à déplorer (Golo avait été, par mes soins, prudemment enfermé dans la maison). La toute dernière a quitté le nid pratiquement au moment où Catherine revenait, si bien (ou si mal) qu'elle n'en a pas vu une seule. Et nous sommes sûrs qu'il n'y en a plus : l'un des deux parents vient de venir, chenille au bec… et est reparti sans même entrer, toujours avec sa chenille. Depuis, comme c'est l'habitude, les parents et les onze petits se sont tous volatilisés on ne sait où (probablement en direction d'un réservoir à chenilles…). Je puis donc retourner à Tom Wolfe l'âme sereine et le cœur apaisé.
Samedi 2
Dix heures du matin. – J'ai terminé les 820 pages de Bloody Miami
tout à l'heure, juste avant d'aller prendre ma douche (les deux faits
n'étant d'ailleurs liés en rien) : il y avait longtemps que je n'avais
pas lu un roman aussi réjouissant, qui se parcourt à tombeau ouvert (ou à
bride abattue si on est vraiment passéiste), et donne de l'Amérique –
ou au moins de Miami – une image aussi glaçante que drôle – vraiment
très drôle. Par moment, on se croirait chez le bel Alexandre (Dumas),
tellement ça galope. Quand je me dis que, pendant ce temps, des
malheureux s'obstinent à déchiffrer les minces grimoires de Christine
Angot ou d'Édouard Louis, un grand élan de pitié me vient pour eux. Il
est vrai que Tom Wolfe – c'est à la fois modestie et ambition – se
contente de montrer le monde tel qu'il le voit, d'en indiquer
quelques-uns des ressorts les plus agissants, même si ce dévoilement ne
risquait pas de lui valoir le Nobel, ni de lui ripoliner l'âme en
couleurs pastel ; alors que nos deux chevaliers blancs, eux, attention
les yeux, dénoncent le racisme et l'essclusion – pas moins. Il
est certes fort beau de dénoncer le racisme et l'exclusion, même si tous
les bien-pensants occidentaux le font du matin au soir depuis près de
quarante ans ; mais il faudrait peut-être leur dire, à Christine Édouard
et à Louis Angot, qu'un homme qui dénonce, cela ne s'appelle pas un
écrivain mais un délateur. En attendant, cela s'accorde à merveille avec
les deux clowns évoqués, je vais aller tout de suite ouvrir à sa
première page Le Bûcher des vanités du même Wolfe ; dont les deux autres romans sont déjà bien au frais dans mon petit panier Amazon.
Quatre heures. – Il m'est arrivé, avec l'entrée qui précède celle-ci, ce qui se produit parfois : à mesure que je l'écrivais, elle cessait d'être une entrée de journal pour muter en billet de blog. Je sais que, dans ce cas, il ne sert à rien de chercher à redresser quelque barre que ce soit (et pourquoi redresser, d'ailleurs ?) : le mieux est de laisser faire… puis d'aller transplanter le résultat sur le blog ; ce que fis.
– Hier toute la journée, j'ai trouvé un peu
triste mes “stations cigarette” sur la terrasse, privé que j'étais
désormais du va-et-vient des mésanges nourricières. Je suppose qu'il en
est ainsi chez tous les vieux parents qui voient les enfants quitter la
maison pour s'en aller vivre ailleurs leurs vies d'ingrats crétins… Tout à
l'heure, cependant, j'ai eu un petit sursaut joyeux en constatant que le
troisième des quatre nichoirs était lui aussi fréquenté, par des
charbonnières. Celui-là est situé contre le mur arrière de la maison,
juste en face de la porte de la Case. J'ai l'impression que ce couple
n'en est encore qu'au stade de la couvaison, mais évidemment je ne suis
pas ornithologue ni mésangeologiste. De toutes façon, cette cabane-là
n'étant visible ni de la terrasse ni de mon bureau quand j'y suis assis,
il y a peu de chance que nous puissions assister à l'envol des petits
lorsqu'il se produira.
Sept heures vingt. – Ce
pauvre “Juan Sarkofrance” qui, chaque semaine, s'oblige à une indigeste
tartine “politique” dans laquelle il tente de résumer à charge (contre
Sarkozy d'abord, contre Hollande ensuite, contre Macron désormais et
contre le suivant j'imagine) l'actualité des sept derniers jours. Il est
difficile d'avoir une vue plus courte, plus appliquée, que ce garçon : je me le représente en écolier à blouse grise, comme sur une
photo de Doisneau, son porte-plume à la main, penché sur sa page de
cahier quadrillée, la lèvre légèrement baveuse, essayant de s'intéresser
à ce qu'il est en train d'écrire. C'est un devoir auquel il s'astreint,
on le voit se persuader de faire œuvre utile. Suivant sa propre humeur
du moment, on a envie d'éclater de rire ou de pleurer. Et quasiment
jamais un commentaire… des tartines de lieux communs d'une gauche qui a
totalement cessé d'exister et que personne ne lit… Le petit-bourgeois
parisien boboïde dans toute sa décrépitude… Fin de race absolue…
Dimanche 3
Sept heures vingt. – Passé ma journée à lire Tom Wolfe, au salon d'abord, au jardin ensuite. C'est-à-dire, donc, que je n'ai rien fait,
si l'on s'en tient aux critères de la presque totalité des gens, ceux
pour qui la lecture c'est “quand on n'a rien de plus intéressant à
faire”. Parmi ceux-là, le sous-ensemble des non-lecteurs honteux, qui
vous affirment qu'ils adorent les livres mais qu'ils n'ont jamais le temps.
Lundi 4
Sept heures dix. – Terminé Le Bûcher des vanités
en milieu d'après-midi. J'espérais vaguement recevoir aujourd'hui un
autre roman de Wolfe, mais non. C'est très agaçant car, me figurant
qu'il va arriver demain, je n'ose commencer un nouveau livre, sachant
bien que je ne résisterai pas au Wolfe dès qu'il sera là. Que faire ?
Patienter en relisant quelques pages d'un journal quelconque (je parle
bien sûr d'un journal d'écrivain, pas d'un périodique) ? Des chroniques,
genre Muray ou autre ? Ah, elle n'est pas toujours facile, la vie du
lecteur compulsif !
– Avec tout ça, comme dirait
Didier G., j'ai fait, ce matin, à peine la moitié du travail que je
m'étais juré d'abattre. il est vrai que je me l'étais juré très
mollement et en croisant les doigts.
Mercredi 6
Midi et demie. – Charlus revient de chez son esthéticienne (toiletteuse,
en langue vulgaire) qui lui a rasé tout le poil superflu qu'il avait.
Le résultat est quelque peu surprenant : il s'est mis à ressembler à un
chien, mais son volume global a été divisé par deux (au moins). Il a
l'air de s'en foutre royalement. Apparemment, si on veut le maintenir en
l'état, plus ou moins, il nous faudra prévoir une tonte tous les deux
mois. Comme je l'ai fait remarquer à Catherine : « Ça va nous coûter à
peu près l'équivalent que de ce nous allons économiser avec la
résiliation de l'abonnement à Canal. » Du reste, à propos de
télévision, la même Catherine a décidé de s'atteler à la “question
Netflix”, sorte d'entité mystérieuse qui, pour prix d'un abonnement
modique, permet de voir des dizaines de séries et des milliers de films.
Évidemment, cette chose passe par l'ordinateur, et nous serions bien
incapable de nous en occuper nous-mêmes (surtout moi, il va sans dire).
Heureusement l'un de nos plus proches voisins tient échoppe
d'informatique à Pacy et il a accepté de prendre les choses en mains.
(Écrivant ce qui précède, je m'aperçois que, si nous persistons dans
cette idée, nous allons simplement remplacer l'abonnement Canal par un
autre abonnement d'une nature différente. Ce qui fait que les frais
esthéticiens de Charlus seront bel et bien en supplément. Heureusement
qu'on est pété de thune…)
– Plongé depuis hier dans Moi, Charlotte Simmons,
troisième roman de Tom Wolfe : intéressant mais, après lecture d'un
quart du livre (encore un pavé de mille pages…), paraissant inférieur
aux livres déjà lus, notamment à cause des dialogues “de jeunes” qui
sonnent terriblement faux. Mais est-ce la faute de Wolfe ou celle de M.
Bernard Cohen, son traducteur ? Un traducteur qui, par ailleurs, ne
manie pas une langue très élégante, ni même très assurée d'elle-même :
M. Cohen est un virtuose du “sur comment” et de ses variations possibles
(de comment, où comment…). Ce qui est étrange, c'est que les “sur
comment” avaient déjà tendance à bourgeonner dans Le Bûcher des vanités,
dont la traduction remonte pourtant à 1987, et qui est due à une autre
personne. La tournure serait-elle le reflet de ce qu'a écrit Wolfe
? Mais alors, il faudrait savoir si l'aberration syntaxique est du fait
de l'Américain ou si elle n'apparaît que dans la version française. En
bref, tous ces “sur comment” ne seraient tolérables que s'ils étaient
chargés de rendre une discordance du même type chez l'auteur. Mais
comment s'en assurer, quand on ne lit pas l'anglais, et que de toute
façon on ne dispose pas de la version originale ?
(Le
paragraphe qui précède est écrit en pur charabia, et bien malin qui
comprendra, y compris moi, ce que j'ai tenté d'y dire. Mais j'ai la
flemme de repétrir cette pâte infâme…)
Jeudi 7
Trois heures.
– J'ai fait, hier, un grand bond en avant dans la modernité la plus
échevelée : j'ai ouvert un abonnement à Netflix, cette officine
internétique qui, pour une somme modique (10 € mensuels à peu près)
permet d'avoir accès à des quantités de films et de séries télévisées,
séries dont on a compris, je pense, que nous faisons une assez grande
consommation ; laquelle devrait encore croître lorsque nous
n'aurons plus aucune chaîne de télévision. Pour l'instant, nous n'avons
accès à rien, Catherine et moi étant bien incapables de paramétrer
les choses qui réclament de l'être, afin de pouvoir transporter films
et séries de mon ordinateur à l'écran de télévision. Mais notre voisin
informaticien, lui-même abonné à Netflix si l'on a bien compris, devrait
passer ici prochainement pour régler ces détails qui, pour nous ,
relèvent à l'évidence de la sorcellerie la plus noire. En attendant,
nous continuons sagement à glisser des DVD dans la machine idoine, pour
regarder Lost ou Six Feet under.
– Moi, Charlotte Simmons est assez nettement inférieur aux deux romans de Wolfe lus précédemment (Le Bûcher des vanités et Bloody Miami).
Cela doit tenir pour une bonne part au fait qu'il s'agit d'un écrivain
de plus de 70 ans décrivant la vie sur un campus universitaire des
années 2000 : il est trop éloigné de ce monde pour être vraiment
convaincant, sans doute. C'est probablement pour la même raison que ses
dialogues “jeunes” sonnent le plus souvent dramatiquement faux. Mais je
ne crois pas que Wolfe soit le seul fautif (une fois de plus, il
faudrait se reporter à la version originale, ce que ne puis) : le
traducteur, M. Bernard Cohen, me semble mériter sa part d'opprobre, avec
sa propension à utiliser des termes argotiques dont plus personne ne
s'est servi depuis la disparition de Gabin et d'Audiard, et dont notre
belle jeunesse actuelle ne doit même plus savoir ce qu'ils signifient.
Ses dialogues à lui, ses dialogues traduits, deviennent encore plus
irréels à cause d'un parti pris étrange et à mon sens indéfendable :
celui d'avoir laissé tels quels les innombrables “fuck” qui
émaillent le roman : ils surgissent à chaque ligne de dialogue avec
l'incongruité d'un chevalier en armure médiévale traversant le salon de
la duchesse de Guermantes. C'est d'autant plus dommage (et stupide) que,
selon le contexte discursif (eh oui, j'ose !), tous ces fuck
auraient mérité d'être traduits tantôt par “merde”, tantôt par
“bordel”, tantôt encore par “putain”, plus deux ou trois autres
vocables. Bref, M. Cohen se fout du monde. À cela s'ajoute le fait que,
s'il connaît peut-être très bien l'anglais, il ne maîtrise que très
imparfaitement le français : les “sur comment” pullulent, avec les dérivés attendus : de comment, par comment,
etc. J'aurais pu relever bien d'autres balourdises ou impropriétés,
mais il suffit. Le plus ennuyeux est bien sûr que ces “couacs” jettent
la suspicion sur l'ensemble de sa traduction, et surtout sur sa fidélité
à l'original. Enfin, malgré toutes ces réserves, Moi, Charlotte Simmons
reste d'une lecture fort réjouissante par moment. Mais seulement par
moment ; sans doute aussi parce que la jeune fille éponyme du roman, qui
en est aussi le pivot, est finalement une figure assez pâlote, aux
contours trop imprécis pour emporter l'adhésion du lecteur, ou même
simplement susciter son empathie active. Il reste la description d'un
prestigieux campus américain et les merveilleuses aberrations du politically correct : ce n'est déjà pas si mal.
Vendredi 8
Deux heures vingt.
– Hier, juste après avoir écrit le paragraphe précédent, consacré au
roman de Tom Wolfe, je l'ai transformé en billet pour le blog. Quand je
dis “transformé”, j'attige, puisque je me suis en fait contenté de le
transporter tel quel. Et puis, une ou deux heures plus tard,
m'apercevant qu'il était vraiment trop superficiel, trop “survolé” comme
disent mes ex-confrères, pour se supporter seul, je l'ai supprimé. La
chose a eu deux effets immédiats : d'abord les ronchonnements de Mildred
qui avait déjà laissé un commentaire, frêle esquif qui a évidemment
disparu avec le navire amiral ; et, ensuite, l'annonce d'un billet
fantôme dans toutes les blogolistes amies.
– J'ai terminé ce matin Moi, Charlotte Simmons (décidément bien inférieur aux deux romans wolfiens précédemment lus), et commencé aussitôt Un homme, un vrai, du même auteur.
– Terminé le pensum que je traîne après moi depuis je ne sais plus combien de jours.
–
Tontine. L'herbe n'avait point encore atteint une hauteur alarmante,
mais comme le señor Météo annonce des averses pour demain, que les
tondeuses sont bannies le dimanche et que nous serons vendéens de lundi à
mercredi, j'ai préféré prendre les devants (tout en restant prudemment
derrière la tondeuse).
Dimanche 10 juin
Deux heures et demie. –
Nous partons demain matin pour la Vendée, où nous passerons un jour et
demi (un jour et deux soirs serait plus juste) chez Christian, le frère
cadet de Catherine, et Roselyne, sa femme. Ils ont vécu assez longtemps à
Perpignan (où nous étions allés les voir à moto depuis le Loiret où
nous vivions alors : c'était donc aux alentours de 1995), puis dans la
région de Carcassonne, avant d'atterrir à Saint-Hilaire-du-Riez où nous
les rejoindrons demain. La Vendée fait partie de ces quelques régions de
France où je crois bien n'avoir jamais mis les pieds (depuis que je
suis adulte en tout cas). Cela ne m'empêche pas d'y être attaché d'une
certaine manière, puisque c'est là, dans ce département, que ma
grand-mère et ses trois ou quatre enfants de l'époque, dont ma mère,
furent réfugiés durant mes quatre années d'occupation allemande ; dans
un village (petite ville ?) nommé Varade, dont j'ai entendu parler
durant toute mon enfance et au-delà. Ils y avaient été rejoints par mon
grand-père lorsqu'il a été libéré de son camp de prisonniers. Les
Allemands auraient d'ailleurs mieux fait de le garder car, sitôt maître
de ses mouvements, ce monstre d'ingratitude s'est mis à saboter des
voies de chemin de fer et à plus ou moins faire sauter des trains : on
est toujours mal récompensé de ses accès de gentillesse et de
magnanimité.
J'espérais bien avoir terminé Un homme, un
vrai avant de partir, mais il semble, vu le nombre de pages restant,
que ce ne sera pas le cas ; tant pis, je partirai avec, même si je sais
pertinemment que je n'en lirai pas une page durant les trois jours
prochains. Mais partir sans livre m'est chose possible, surtout quand
c'est pour atterrir dans une maison où je suis presque certain de ne pas
pouvoir “vivre sur l'habitant”.
Vendredi 15
Dix heures du matin. –
Nous voilà de retour après notre bref séjour vendéen, chez Christian et
Roselyne. Lequel s'est fort bien passé, hormis pour le temps : lundi,
nous avons parcouru les 450 km nous séparant de Saint-Hilaire sous une
pluie presque continuelle et très souvent battante, voire torrentielle pour ne pas dire diluvienne (il m'est arrivé
plusieurs fois de ne pas pouvoir, sur l'autoroute, dépasser les 60 km/h).
Cela ne nous a évidemment pas empêchés, les uns et les autres, de faire
honneur aux bouteilles de chablis que j'avais apportées.
Christian
et Roselyne vivent à quatre ou cinq kilomètres de l'océan, dans une
maison allongée et sans étage, qu'ils louent. Elle fait partie d'une
ferme plus vaste et, le matin, on s'éveille au meuglement des vaches
toutes proches. Les fermiers sont tout à fait charmants, d'après ce que
j'ai pu en juger en faisant leur connaissance, et Christian a pris
l'habitude de donner un coup de main à l'occasion de certains travaux ;
il a même été intronisé aide-vétérinaire au moment des vaccins. La
maison a été entièrement refaite avant leur arrivée et elle est tout à
fait agréable.
Le lendemain, mardi, il pleuvait toujours autant (non : presque
autant) à notre réveil. Heureusement le temps s'est dégagé à partir de
midi et nous avons pu, l'après-midi, aller patrouiller un peu dans la
région, voir le littoral à Saint-Gilles notamment. Toutes ces bourgades
collées les unes aux autres n'ont, à mes yeux, aucun intérêt, n'ayant
jamais aimé ce qu'il est convenu d'appeler des stations balnéaires. Mais
enfin, il y a bien pis que celles-là.
Une fois au bord
de l'eau – la marée était haute –, Charlus a avisé, sur un rocher plat,
à deux ou trois mètres du bord, un groupe d'oiseaux que je serais bien
en peine d'identifier (disons des mouettes, pour faire bref), et il
s'est précipité dans l'eau sans hésiter, dans le vain espoir d'en
attraper au moins un ; ce qui bien entendu ne s'est pas produit. J'ai
tout de même eu un peu la trouille en le voyant grimper sur le rocher
plat, puis ressauter de l'autre côté, toujours obnubilé par les
volatiles qui se jouaient de lui : je me voyais déjà en train de plonger
dans l'eau frisquette afin d'aller le rechercher, si jamais un courant
contraire l'empêchait de revenir vers la plage. Finalement il est
revenu seul et nous avons prudemment continué par la promenade piétonne
située à quelques mètres au-dessus du niveau de l'eau.
Le
mercredi, jour du retour, il a fait beau toute la journée. Et encore
aujourd'hui, où nous attendons la visite cette fois de Nathalie, la sœur
cadette – et même benjamine – de Catherine et Christian : notre vie
sociale est un véritable tourbillon mondain et familial. En juillet, ce sera au tour
de mon frère Philippe de débarquer, avec femme et fille, pour quelques
jours. Et, fin août, Catherine m'abandonnera durant deux semaines,
qu'elle ira passer à Québec avec ses filles et ses petits-enfants (deux
de chaque…). Je me suis déjà prévu quelques films et séries d'horreur
pour meubler ces soirées-là.
Avec tout ça, je n'ai même pas pris un gramme : il y aurait un dieu pour les ivrognes ?
Samedi 16 juin
Sept heures dix. – Parce qu'un des personnages de La Montagne magique le citait, j'ai relu quelques dizaines de pages du Zibaldone
de Leopardi. Des notations passionnantes (tout ce qu'il dit sur les
différentes langues, en particulier) et des développements qui sont tout
à fait hors de ma portée, faute d'une culture, notamment gréco-latine,
suffisante. Cet après-midi, seul à la maison (Catherine et sa sœur
étaient parties au musée de Giverny, où se tenait une exposition centrée
sur le Japon, laquelle les intéressait, surtout Nathalie, en raison de
la vie qu'Adrien, leur fils et neveu, mène à Tokyo depuis plusieurs
années), j'ai regardé “en enfilade” les quatre premiers épisodes d'Oz,
série absolument remarquable, dont j'ai ensuite commandé l'intégrale
des six saisons pour une somme tout à fait modique (la série en question
a vingt ans, donc les prix sont en chute libre). Catherine doit s'y
essayer demain, mais il n'est pas du tout sûr qu'elle soit capable de
regarder ça : il s'agit d'une série tout de même assez violente,
davantage dans son climat général, d'ailleurs, que dans ses différentes
scènes.
La soirée d'hier, avec Nathalie, fut tout à
fait agréable, mais, évidemment, plus ou moins alcoolisée, alors que
nous étions à peine remis de notre excursion vendéenne. Semaine chargée,
donc, dans tous les sens du mot. C'est sans doute ce qui explique mon
peu d'envie de lire après déjeuner et mon rapatriement devant la
télévision.
Lundi 18 juin
Cinq heures. – Mes craintes, concernant la réception d'Oz
par Catherine était vaines : après avoir regardé les deux premiers
épisodes hier, elle a tenu à voir les deux suivants tout à l'heure, de
manière à me rattraper. Je les ai d'ailleurs revus avec elle,
avec à peine moins d'intérêt que lors de la découverte, simplement en
m'attachant à d'autres choses que la narration pure. C'est ainsi que
j'ai pu m'apercevoir que la “bande son”, si l'on dit bien comme ça,
était tout aussi remarquable que le reste. Il m'est apparu aussi que le
sujet vraiment central (au stade où nous en sommes) n'était pas la
prison, mais la damnation et la rédemption. Il me tarde de voir la
suite, ce qui sera fait dès demain soir, puisque nous allons boucler la
deuxième saison de Lost dès ce soir.
(Ah, non,
demain soir peut-être pas, car nous recevrons à sept heures et demie
notre sauveur informatique qui, profitant de ce que nous sommes voisins,
passera pour nous installer Netflix et expliquer aux malheureux
infirmes que nous sommes comment s'en servir.)
– Je
n'ai pas passé ma journée devant la télé, cela dit : j'ai écrit six
mille signes (un peu ce matin, un peu cet après-midi, et j'ai bien
progressé dans mon ascension de La Montagne magique.
Mercredi 20 juin
Neuf heures du matin.
– “Intéressant” et “important” sont deux qualificatifs qui, je m'en
aperçois, tendent à se confondre, à se recouvrir parfaitement, dans
l'esprit de beaucoup de gens. Or, il me semble que les deux notions sont
au contraire fort différentes ; pas antinomiques, non, il ne faut pas
exagérer, mais enfin, n'ayant que des rapports de voisinage l'une avec
l'autre. Par exemple, je n'ai jamais réussi à m'intéresser à l'argent
(ni même essayé d'ailleurs), cela ne m'empêche pas d'admettre qu'il
s'agit d'une chose importante. Qu'il est, en tout cas, important d'en
avoir ou d'en gagner suffisamment (mais pas trop non plus), justement
pour qu'il ne devienne pas une chose trop importante, voire
envahissante. À l'inverse, quelques sujets, un certain nombre de choses
peuvent me paraître très intéressantes, passionnantes voire, alors même que je sais bien qu'elles n'ont, au moins dans notre époque,
rigoureusement aucune importance. Je m'en suis avisé il y a quelques
mois, lorsque je me suis pris d'un intérêt exclusif (très momentanément
exclusif, qu'on se rassure…) pour la lutte entre les jansénistes et les
jésuites, au XVIIe siècle et encore ensuite. Il ne me viendrait
pourtant pas à l'idée de prétendre que c'est là un sujet important.
(Et j'ai brusquement l'impression de faire de la philosophie pour
élèves de terminale d'un lycée technique en “zone défavorisée”…)
–
Je viens de franchir le cap des deux tiers de La Montagne magique ; ce
qui devrait signifier que je suis passé sur l'autre versant, le
descendant, alors que j'ai toujours la sensation (presque physique, dans
les mollets) de grimper le long d'un chemin de plus en plus escarpé.
Elle n'est pas drôle tous les jours, la vie du lecteur compulsif, on ne
se rend pas compte. On pourrait d'ailleurs, à ce propos, tenter
d'examiner, l'une par rapport à l'autre, les notions de passion et de
plaisir, montrer qu'elles non plus ne sont nullement superposables. Mais
la cloche vient de retentir et mes élèves à capuche me signifient, en
disparaissant, que c'est assez de philo de comptoir pour ce matin.
–
Notre voisin e-magicien est bien passé hier soir pour nous connecter à
Netflix, ce qui fut fait en un tournemain. Nous allons pouvoir désormais
nous gorger de séries et de films sans bourse presque délier. À
condition, bien sûr, que nous maîtrisions les procédures d'accès ;
lesquelles – j'ose à peine l'écrire de peur d'attirer le mauvais œil –
ont heureusement l'air assez simples (c'est presque toujours “assez
simple”, dès lors qu'il s'agit de nous soutirer de l'argent, aussi
modeste soit la somme).
Jeudi 21 juin
Sept heures vingt.
– Il y a quelques jours, cet idiot de Charlus a trouvé le moyen de se
ficher une épine entre les coussinets d'une patte arrière, la gauche
(toujours, les emmerdes et les complications viennent de la gauche, avec
les dépenses qui s'ensuivent). Catherine la lui a retirée, ou du moins a cru
la lui avoir ôtée totalement. Ce n'était pas le cas et, tout-à-l'heure,
constatant, entre les dits coussinets, une boule violâtre, qu'il ne
cessait de lécher, il a bien fallu le conduire chez le vétérinaire… où
il est resté pour la nuit, puisqu'il fallait en passer par l'anesthésie.
Catherine en est revenue toute décontenancée, voire désemparée, et je
dois dire que, depuis, la maison semble un peu vide, anormalement calme
et statique.
Auparavant, nous avions eu une
journée assez agitée et furieusement dispendieuse, essentiellement de
mon fait, mais j'y reviendrai demain, n'ayant pas la patience, ce soir,
de raconter notre odyssée minuscule.
Vendredi 22
Trois heures.
– Hier, donc, les dépenses ont commencé dès potron-minet. C'est
Catherine qui a ouvert le bal, en allant faire les courses de la
semaines, puisque jeudi est ici le jour du marché : rien que de très
normal, donc ; mais enfin, l'impulsion était donnée. Dans le même temps,
j'avais décidé de me remettre à la marche quotidienne, après environ
deux mois d'interruption sans cause bien définie. J'ai alors constaté :
1) que je ne disposais plus du moindre bout de blouson pour me couper du vent
frisquet qui soufflait hier dans nos contrées ; 2) que je n'avais à me
mettre aux pieds que des chaussures presque exténuées et fourrées.
Il fut donc convenu d'aller, l'après-midi, à Évreux, faire une petite
visite à Mme Décathlon, que Catherine fréquente de loin en loin, et moi
jamais. Tandis qu'elle se dirigeait vers l'allée des maillots de bain
féminins (sa fille lui avait passé une commande ferme), je l'assurai que
je pouvais très bien trouver chaussure(s) à mon pied tout seul et,
d'une mâle démarche, me dirigeai vers le rayon dédié aux marcheurs,
randonneurs et autres trekkeurs. En effet, après quelques tâtonnement,
je dénichai la paire qui me convenait : pas trop voyante, enveloppant
bien la cheville, à la fois souple et d'apparence costaude, qui plus est
parfaitement à la taille de mes extrémités orteilleuses. Ce n'est
qu'une fois à la caisse que je m'aperçus n'avoir négligé qu'une chose :
regarder le prix de l'article. Il était de 150 €, ce qui est nettement
excessif pour un marcheur faisant une fois et demi le tour du
Plessis-Hébert cinq fois par semaine (en mettant les choses au mieux).
Mais comme “on” a sa fierté, même si mal placée, il ne pouvait être
question d'aller replacer dans leur présentoir ces pompes de
milliardaire pour en choisir une autre paire plus modeste…
Cependant,
nous n'avions pas trouvé de blouson qui me convînt. Sur le chemin du
retour, Catherine me fit observer que nous avions tout le temps de
pousser jusqu'à Vernon, bien certaine qu'à la boutique de vêtements
“chasse & pêche”, nous trouverions forcément mon bonheur. De
fait, nous le trouvâmes et l'achetâmes. Il coûtait 150 €, exactement
comme les chaussures (ils se sont donné le mot ou bien ?). Nous pensions
en avoir fini des dépenses dispensables, mais c'était compter sans
Charlus et son abcès, et surtout sans l'opération qui s'en est suivie,
laquelle nous a encore coûté 133 € : pour la beauté de la chose, j'ai
regretté que notre bon vétérinaire n'ait pas poussé ses émoluments
jusqu'à 150.
Dimanche 24
Sept heures dix.
– J'ai beau me surbranler la pensarde, rien à noter ici. Lectures,
travail et encéphalogramme à peu près plat. Côté lectures, à propos :
t'Serstevens pas terrible ; Le Désert des Tartares, décevant (mais je me méfie des souvenirs ayant 40 ans de cave). En revanche, le livre de Calasso (La Folie Baudelaire)
est vraiment très bien, même si c'est le genre qui vous donne
l'impression d'être à la fois inculte et à la limite de l'idiotie, par
rapport à l'auteur.
Lundi 25
Trois heures. – Eh bien, ils m'ont cruellement déçu, les Tartares
de M. Buzzati ! Je dis “cruellement” car on ne revient jamais sans
quelque souffrance sur une idée, ou une image, ancrées en soi depuis
quarante ans. Or, je vivais sur ce souvenir d'un roman éblouissant… et
il ne l'est pas ; ou plus. Je cherche ce qui ne va pas, dans ce roman,
et je ne trouve pas. Ou plutôt, si, je crois savoir : en fait, rien ne va. Tout est un peu trop ou au contraire pas assez.
Le pire défaut, celui qui fiche le livre par terre sans lui laisser la
possibilité de se relever, c'est que, dans ce roman entièrement
construit autour du temps, on ne le sent jamais s'écouler. L'auteur a
beau nous affirmer que Drogo a désormais 25 ans, puis 40, et enfin… rien
à faire : on ne marche pas, il est totalement impuissant à nous faire
sentir ces années qui sont censées avoir passé. C'est peut-être (c'est
sûrement) que le livre est trop court : 250 pages format “poche” pour
toute une vie, même immobile, surtout immobile, c'est trop peu. Ou
alors, il y aurait fallu le génie temporel d'un Tolstoï, à la rigueur
d'un Thomas Mann (car il serait intéressant de se livrer à une
comparaison un peu systématique entre Le Désert des Tartares d'une part et La Montagne magique
d'autre part : si j'étais professeur de lettres des universités, je
sens que je pourrais passer au moins un trimestre rien que là-dessus) :
il est manifeste que ce génie-là manque à l'Italien. La brièveté du
roman nuit aussi à l'uniformité qui est censée se dégager de cette
existence vide : là encore, il y eût fallu 900 pages…
Finalement,
les livres qu'on a lus à 20 ans, c'est un peu comme les filles qu'on a
aimé au même âge : on ne devrait jamais essayer de les rouvrir.
Mardi 26
Neuf heures vingt du matin. – La “cuvée juillet”, en matière de livres, s'annonce assez grisâtre. Après la déception due au Désert des Tartares, c'est Paul Auster qui vient de basculer dans mon petit enfer personnel. Il n'est pas déshonorant, son Mr Vertigo,
loin de là. Il n'y a même, au fond, rien de sérieux à lui reprocher :
agréable à lire, bien construit, avec ce qu'il faut de rebondissements,
on sent qu'il y avait un plan solide à la base (et, justement, on
pourrait lui reprocher cela : de laisser son lecteur s'apercevoir qu'il y avait un plan). Le
problème est qu'il n'y a rien non plus à porter à son crédit. Le livre
refermé, on se demande pourquoi il a choisi de nous raconter cette
histoire plutôt qu'une autre, et on l'oublie aussitôt. Un peu comme le
verre d'eau, une fois que la soif est étanchée. Bref, j'ai bien fait de
ne commander qu'un seul livre d'Auster : je crois que j'en resterai là.
–
J'avais prévu, ce matin, de mettre en route les pages que j'ai à
remplir d'écriture. Seulement voilà : alors que Catherine est absente
pour la matinée, le releveur de compteur électrique doit passer ce matin
chez nous ; c'est donc à moi de le guetter plus ou moins (avec l'aide
sonore de Charlus, tout de même), ce qui suffit à me couper toute
velléité laborieuse. On retombe toujours sur la remarque de Flaubert,
qui disait à peu près : « Pour travailler, il ne suffit pas de n'être
pas dérangé : il faut être sûr qu'on ne pourra pas l'être. »
(Et,
au beau milieu de la phrase précédente, la cloche du portail : c'est mon
releveur. Me voilà donc, trois minutes plus tard, dégagé de tout souci
de distraction. Sauf que, dans l'intervalle, je me suis fait à l'idée de ne pas travailler ce matin… Et puis, avec tout ça, il
est déjà dix heures moins le quart ; or, j'ai repris depuis une
semaine, la bonne habitude d'aller marcher dans la campagne entre onze
heures et midi moins le quart, approximativement. Donc, on sera d'accord
avec moi, je pense : ça ne vaut plus le coup de s'y mettre…)
–
J'ai oublié de noter le spectacle étonnant qui s'est offert à moi,
l'autre matin, entre cinq heures et demie et six heures du matin, alors
que je venais de sortir sur la terrasse pour un café-cigarette. Le
soleil n'était pas encore apparu, mais il s'en fallait de peu. Le ciel
était entièrement parsemé de petits nuages blancs, frangés de rose, tous
de la même taille approximative et très rapprochés les uns des autres,
comme les taches sur une peau de guépard, ou comme de gigantesques flocons de neige restés en suspension. Ils faisaient paraître la nue
deux fois plus vaste qu'à l'ordinaire, au point que le grand arbre en
boule qui se dresse en sentinelle juste à gauche de la ferme paraissait,
lui, avoir régressé au statut d'arbuste. Mais surtout, il y avait la
lumière jaune du soleil sur le point de se dévoiler, derrière la ferme :
non pas gonflée et arrondie en dôme au-dessus de l'horizon, comme elle est le plus
souvent, mais comprimée en un étroit faisceau montant très haut, comme
si on avait installé, juste derrière l'horizon, un énorme projecteur
braqué sur le zénith. On aurait pu croire aussi, à condition d'avoir
l'âme un peu mystique, à un rayon divin mais inverse, non plus tombant
du ciel mais montant des profondeurs de la terre. Le phénomène a duré
une dizaine de minutes, puis, assez rapidement, tout est redevenu
normal, courant, quotidien. Et ma tasse était vide.
Mercredi 27
Dix heures et demie du matin. –
Petit changement dans les habitudes conjugales : parce que les services
météorologiques qu'elle consulte pieusement chaque matin annonçaient à
Catherine des températures en hausse, elle a décidé d'aller effectuer sa
marche charlusienne dès la fin de son petit déjeuner, soit aux environs
de huit heures et demie. Souffrant d'un manque de personnalité qui
n'est plus à démontrer, je lui ai aussitôt emboîté le pas (façon
malencontreuse de parler puisque, en dehors des premiers deux cents
mètres, nos parcours de marche diffèrent totalement). Et, en effet, ce
fut fort agréable de se remuer dans la fraîcheur, plutôt que sous le
soleil de midi, comme je le faisais jusque-là. Le seul inconvénient est
que, au retour, on ne peut pas dire que l'envie de se mettre au travail
devant ce clavier soit fort pressante ; je m'y suis mis néanmoins.
Cinq heures.
– Saisi d'une pulsion soudaine (et inexpliquée à cette heure), j'ai
décidé qu'il me fallait absolument lire ces auteurs de romans noirs, ou
policiers, ou je ne sais comment je dois les nommer, que beaucoup
s'acharnent à considérer comme des écrivains à part entière – ce en quoi
ils ont peut-être raison. Bref, je viens d'exiger de Mme Amazon qu'elle
me livre dans les plus brefs délais les ouvrages de Raymond Chandler,
Dashiell Hammett, Jim Thompson, James Hardley Chase et autres Chester
Himes que j'ai trouvé sur son site. Du coup, la tradition est respectée
: mon budget culturel a explosé (enfin, bon : il est passé de 100 à 140
€, ce n'est pas la mort du petit cheval non plus. Il est vrai que le
“mois carte dorée” n'est pas fini ; il serait même plutôt encore dans
ses débuts…).
– En dehors de ça, j'ai finalement fait à
la déchetterie cet aller-retour dont je me promettais mainte joie
depuis un nombre considérable de semaines ; j'ai aussi ramassé les
merdes de Charlus dans le jardin. Enfin, j'ai écrit cinq mille signes
d'inepties, lesquelles auront au moins le mérite de couvrir largement,
d'un point de vue financier, l'explosion dont je parlais il y a une
seconde.
Vendredi 29
Trois heures.
– Quelle déception que Chandler ! Quand je pense que voilà au moins
quarante ans qu'on me bassine avec lui et quelques autres, toujours pour
me démontrer par l'exemple que les romans policier ou noir, “c'est de la
vraie littérature à part entière”. J'ai attaqué le volume Quarto de
Gallimard par le premier roman qui s'y trouvait proposé, à savoir Le Grand Sommeil.
J'ai jeté l'éponge à la moitié, à peu près, et en m'étant ennuyé ferme
durant ces cent premières pages. Histoire dépourvue d'intérêt,
personnages inexistants, et rien de cette fameuse “ambiance” dont il
paraît qu'elle serait le point fort de l'auteur. Au total, une pénible
impression de faire du surplace, malgré l'agitation qui, pour des
raisons assez obscures, s'empare de tous les protagonistes, et en dépit
des morts qui jonchent le moindre chapitre. Comme le volume contient
d'autres romans, je donnerai une seconde chance à Chandler d'ici
quelques jours, mais avec peu d'espoir et d'allant.
En revanche, j'aime beaucoup le Pottsville, 1280 habitants
de Jim Thompson que j'ai ouvert juste après. C'est extrêmement drôle,
saugrenu, cruel, absurde, cynique, et il y a, circulant entre ces personnages
pitoyables, une vie et une humanité que je n'ai trouvées à aucun moment
dans le Chandler. Bref, pour l'instant, mon incursion dans ce type de
romans (mais, d'ailleurs, je vois mal pourquoi on les attelle ensemble,
ces deux que je viens d'évoquer, ne leur trouvant qu'assez peu de
rapports. Thompson se rapprocherait plutôt d'Erskine Caldwell, il me
semble) n'est catastrophique qu'à cinquante pour cent. On verra ce que
donnent les autres.
À propos du roman de Thompson, un grand mystère : pourquoi le premier traducteur (Marcel Duhamel himself) a-t-il cru bon de traduire le titre, Pop. 1280 par 1275 âmes ? Où sont passés les cinq habitants manquants de Pottsville ?
Samedi 30
Huit heures et demie du matin. – Pas plus de chance avec Dashiell Hammett que je n'en ai eu avec Raymond Chandler : je viens d'abandonner son Faucon maltais
à peu près au tiers, après m'être ennuyé ferme durant les quelque
quatre-vingts pages lues. C'est plus ou moins statique, terriblement
bavard et irritant en ceci que le personnage central, Sam Spade, semble
toujours comprendre des choses qui, faute de renseignements ou
d'indices, restent parfaitement opaques au lecteur : procédé assez
puéril, destiné sans doute à masquer la pauvreté des intrigues
policières. C'est du reste déjà une chose qui m'a irrité chaque fois que
j'ai revu le film de John Huston : l'impression d'être baladé à peu de
frais. Mais au moins, là, il y avait Bogart et Huston pour faire passer
la sauce. Comme pour Chandler, j'ai tout de même gardé le volume au
salon, afin de faire une seconde tentative d'ici quelque temps : on
n'est pas plus équitable. Pour me consoler, je vais commencer tout à
l'heure le deuxième roman de Thompson que j'ai acheté, Rage noire.
Et attendre sans impatience notable les Chester Himes et James Hadley
Chase qui doivent arriver aujourd'hui ou lundi. Après cela, je pense
que c'en sera terminé de cette incursion peu probante dans le domaine du
roman noiro-policier.
Sept heures et demie. – Ce matin, promenade au laboratoire d'analyses médicales. Cet après-midi, résultats : sang de bébé. Du coup, ce soir, deux ou trois gin-tonics. Mais où placer le pluriel, dans ce mot, "gin-tonic" ? Je suis d'accord : on s'en fout.
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