vendredi 1 juin 2018

Mai 2018








LES DIABLERIES DE WITOLD







Mercredi 1er

Trois heures.



[…]




– Entretemps, j'ai trouvé celui d'emmener Soraya au garage Renault de Pacy, afin qu'on y installe une grille de séparation entre le coffre et les sièges arrière, puisque cet animal de Charlus a trouvé le moyen de passer de l'un à l'autre dès qu'on le laisse seul dans la voiture. Je suis remonté de Pacy dans une Twingo : l'impression de me retrouver dans un char à banc du XIXe siècle.

Sept heures dix. – Depuis plusieurs jours, je lisais en alternance (je veux dire : au sein de la même journée) les écrits politiques de Maurras et des romans : Paul-Jean Toulet, Cynthia Ozick… Tout à l'heure, à peu près au milieu de l'après-midi, j'ai tout arrêté pour reprendre le journal de Gombrowicz, l'un des plus étonnants du XXe siècle, assurément, qui pencherait plutôt du côté de Kafka ou de Pavese que de celui de Léautaud ou de Kamureno. Cela, cette brusque envie, parce que le roman de Mme Ozick, intitulé Le Messie de Stockholm tourne autour du personnage de Bruno Schulz, lequel était un ami de Gombrowicz. Et je sens que je ne serai pas long avant de ressortir les Boutiques de cannelle de leur rayon. Mais, pendant ce temps, seront sans doute arrivés à bon port Léon Bloy et deux ou trois autres, qui me solliciteront avec quelque impatience (surtout Bloy, je gage !). On ne s'en sortira jamais.

– Dans la voiture, revenue au bercail, Charlus dispose désormais d'une élégante grille (?) qui l'empêchera de faire le zouave lorsque nous le laisseront seul dans le coffre. Ce fut tout de même une plaisanterie à près de trois cents euros, “pièce et main d'œuvre, TTC”, ainsi que l'on dit. […]


Jeudi 3

Trois heures. – C'est au moment où, après un an et demi d'existence, Catherine s'apprête à fermer sa “micro-entreprise” que l'URSSAF se met à déconner. Ce matin, en allant dire un petit bonjour à nos divers comptes bancaires, j'ai eu la mauvaise surprise de constater que, sur un gain trimestriel de 5700 €, ce digne organisme lui avait ponctionné… 5700 € ; ce qui était pousser un peu loin la notion de charges. L'affaire s'est réglée assez rapidement par téléphone, puis par une lettre assortie d'un RIB pour le remboursement des 4400 € pris en trop. Mais, bien entendu, on ne sait pas quand cette somme va accomplir son retour au bercail. Cela n'a aucune importance dans notre cas, mais je me suis imaginé dans quelles affres une telle bévue administrative aurait plongé une personne n'ayant, en trois mois, gagné que ces 5700 € pour tout revenu, et devant vivre avec, puis se les voyant brutalement confisquer. Certes, je suppose que, l'erreur étant facile à prouver, les banques doivent, dans ces cas-là (sans doute assez fréquents, supposé-je), se montrer plutôt arrangeantes. Mais d'une part je n'en sais rien, d'autre part cela fera toujours des agios à payer pour cause de gros découvert. En outre, cela peut tomber sur une personne se trouvant déjà en découvert, et donc plus ou moins en délicatesse avec sa banque, laquelle sera forcément moins encline à se montrer patiente. Tout cela sans s'attendre, bien entendu, au moindre mot d'excuse de la part de l'administration incompétente.


Vendredi 4

Onze heures. – Je viens de m'occuper de ma (ou plutôt de notre) déclaration de revenus pour 2017. Elle menaçait d'être un peu plus compliquée que les années précédentes, dans la mesure où il fallait que je trouve  la page où déclarer les revenus de la micro-entreprise de Catherine, celle qui a encaissé “nos” revenus de FD. Je l'ai trouvée, cette page, sans la moindre difficulté, non plus que la petite case où je devais inscrire les 27 600 € qu'elle a gagnés sans trop se fatiguer. Seulement, après, page suivante, on me demandait d'inscrire son numéro Siret (pas de problème, je l'avais) ainsi que son adresse. Cette dernière partie aurait dû, évidemment, être d'une simplicité biblique : il n'en a rien été. Car tout se passait (département, commune puis rue) par un système préenregistré dans lequel il fallait choisir. Par exemple, après avoir tapé 27 pour indiquer que la micro-entreprise concernée était domiciliée dans l'Eure, il fallait dérouler toutes les communes du département jusqu'à trouver et sélectionner le Plessis-Hébert : jusque-là, pas de problème. C'est ensuite que l'affaire s'est corsée. On me demandait en effet de taper quelques lettres du nom de ma rue (ou de mon lieu-dit), puis de cliquer sur “valider” et, seulement ensuite, de choisir ma rue dans le déroulé. J'ai eu beau essayer toutes les combinaison possibles pour “rue de l'Église”, toute validation m'a systématiquement été refusée : pour l'administration fiscale, il n'y a pas de rue de l'Église au Plessis-Hébert, c'est comme ça et pas autrement. Comme j'étais bloqué à ce stade, et que je soupçonnais la chose de n'être utile que dans les villes importantes (pour ne pas se retrouver dirigé vers un autre centre d'impôts que le sien), j'ai fini par taper les premières lettres du premier nom de rue me venant à l'esprit : celle de la Mare du Four, qui se trouve être au bout de la nôtre. Là, miracle, on a bien voulu de moi, si bien que j'ai pu mener la déclaration à son terme.

Terme qui me réservais une autre surprise, mais agréable celle-là. Alors que, pour nos revenus de 2016, je paie 320 € par mois (sur dix mois), le calculateur automatique du site m'indiqua que, au titre de l'année 2017, je ne serai redevable que de 2042 €. Or, si j'additionne nos deux retraites avec les gains de l'entreprise catherinesque, nous arrivons tout de même à des revenus dépassant (de peu…) soixante mille euros. D'où mon étonnement devant ces deux mille euros réclamés, somme me paraissant vraiment très modeste. Mais, bien entendu, je n'envisage pas d'aller me plaindre. Du reste, je me souviens d'avoir eu exactement le même genre de surprise pour nos revenus de 2016 : mon impôt avait chuté par rapport à l'année précédente (alors que tout le monde, au même moment, se plaignait du “matraquage fiscal”)… avant de remonter l'année suivante, c'est-à-dire en ce moment. Bref : le retraité ne comprend rien, mais le retraité est bien content.


Dimanche 6

Deux heures. – Depuis quelques semaines, j'ai un nouveau passe-temps, rendu possible par le fait que je continue à me lever avant cinq heures, c'est-à-dire alors qu'il fait encore nuit. Plutôt qu'un passe-temps, d'ailleurs, je devrais dire un relevé. Ou un compte à rebours. Enfin… Dans la rue de l'Église, les lampadaires publics ont été programmés pour s'allumer à six heures précises ; ce qu'ils font avec une ponctualité dont il convient de les féliciter. Il se trouve que c'est également l'heure de l'un de mes cafés du matin, après ceux de cinq heures puis cinq heures et demie et avant ceux de six heures et demie puis de sept heures. Ma ponctualité à moi tient à la cafetière électrique qui, dans le but probable de sauver la planète, s'éteint automatiquement toutes les demi-heures : pour ne pas oublier d'aller à la cuisine la remettre en route, j'ai pris l'habitude de me “caler” sur le carillon du salon, lorsqu'il sonne la demie et l'heure juste. Une fois debout, j'en profite naturellement pour me servir quelques gorgées de café, allumer une cigarette et aller consommer le tout sur la terrasse, en compagnie du chien. Je suis donc aux premières loges pour voir les lampadaires s'allumer, d'autant que René, le carillon, avance souvent d'une minute ou deux.

Or, si l'éclairage publique s'allume selon l'heure qu'il est, il échappe au temps des hommes pour ce qui est de s'éteindre : c'est alors la luminosité naturelle qui prend la relève du commandement et décide de l'extinction. Si bien que, selon le processus maintenant bien connu de l'allongement des jours entre le 24 décembre et le 21 juin, la durée d'éclairage des lampadaires héberto-plessistes tend à subir le même sort que la peau de chagrin balzacienne.  J'ai senti que le tragique dénouement était proche il y a une douzaine de jours, lorsque le temps des illuminations est tombé sous la demi-heure. Ensuite, l'agonie a été rapide : les lampadaires, hier, sont restés allumés exactement cinq minutes et demie, et ce matin cinq.  Je crains qu'avant une semaine ils ne s'enfoncent pour plusieurs mois dans un long jour, qui est pour les lampadaires ce qu'une longue nuit est pour les humains. J'en ressens comme une vague mélancolie, de celles qu'il est préférable de garder pour soi si l'on ne veut pas faire figure de demeuré.

– Alors que je continue de jongler avec le journal de Gombrowicz et les livres de témoignages édités par Rita-la-veuve, je viens en plus de ressortir le volume Quarto de chez Gallimard, qui contient les quatre romans. En fait, il est aussi difficile de sortir de Gombrowicz que d'y entrer.

– Hier, j'ai étrenné la tondeuse toute neuve : elle est très bien, nettement plus légère et maniable que l'ancienne, tout en étant largement aussi efficace.


Mardi 8

Cinq heures.Ferdydurke.

–  Je viens de décider, quasiment à l'instant, de ne plus mettre chez les pieds dans le blog de Juan ex-Sarkofrance : en dehors du peu d'intérêt et du conformisme navrant de ses billets proprement dits, il m'est apparu, avec une évidence dont je m'étonne de ne l'avoir pas perçue plus tôt, que cela n'avait aucun sens de gaspiller mon temps à lire les ratiocinations sans fin d'une poignée de vieux communistolâtres mal déstalinisés, qui vitupèrent en crachotant sur leurs claviers, persuadés de l'absolue saloperie de notre société et de l'urgence d'une révolution qui la ruinerait en moins de deux, bien calés par les coussins qui tapissent le fond de leurs fauteuils roulants. Le pire est que je me crois obligé d'y participer, à leurs “débats” ! Bien sûr, je le fais sous le paratonnerre de l'ironie, le parapluie de la distance ; mais enfin, le fait est que j'y passe un temps hors de proportion avec le pâle amusement que cela me procure, lequel en outre va s'amenuisant un peu plus chaque jour. Donc : stop. [Note du 30 mai : il y a eu rechute…]


Mercredi 9

Sept heures et quart.Trans-Atlantique.

– Le plus déprimant (mot mal choisi : voir à la relecture) n'est pas d'être confronté à des gens situés sur des planètes n'appartenant pas à son propre système solaire, ni même à sa galaxie natale, mais au contraire à ceux qui, normalement, devraient être les plus proches de vous, mais qui, en fait, s'éloignent d'autant plus qu'ils disent des choses que vous auriez pu dire vous-même, en les déformant de telle façon – le plus souvent par l'entraînement naturelle de leur propre bêtise – que vous avez soudain envie de vous transformer en gauchiste radical, pour le simple soulagement de n'avoir absolument aucun point commun eux. C'était (jusqu'à hier) mon cas avec ce commentateur du blog de Juan qui signe L'ancien : je sens bien que, sur le fond, nous devrions être d'accord sur à peu près tout ;  mais je sens encore plus, dès qu'il ouvre la bouche (tripote son clavier), que je préférerais mourir que d'avoir le moindre point commun avec cet individu. J'éprouve un sentiment apparenté (quoique fort différent) avec un autre blogueur qui se déclare et se pense de droite, alors que, visiblement, son rêve le plus prégnant est d'être admis dans cette espèce de panthéon où il s'imagine que trônent ses modèles de gauche – son principal modèle étant Nicolas.

– J'ai donc replongé dans les romans de Gombrowicz. Et, comme les fois précédentes, j'ai eu, durant les premières dizaines de pages de Ferdydurke, un peu peur de devenir fou. Ensuite, toujours comme les autres fois, je me suis apaisé, en me disant que, en fait, il n'y avait pas lieu de s'inquiéter, puisque j'étais déjà fou, et que c'était même pour ça que je relisais Gombrowicz.

Fou, peut-être ; mais, en attendant, je connais peu de livres aussi drôles que les siens.

Demain matin, j'aborderai La Pornographie.

– J'ai fait, en début d'après-midi, un aller-retour  à Évreux, uniquement pour passer Soraya dans les rouleaux : les travaux faits par les voisins l'avaient rendue immonde, couverte de poussière, ce que nous ne supportions plus ni l'un ni l'autre. et c'est évidemment le moment qu'avaient choisi pour tomber en panne les rouleaux du Super U de Saint-Aquilin.

– J'ai oublié de noter hier que, finalement, j'ai publié mon journal de mars (l'homme des résolutions fermes, c'est moi !), mais en supprimant tout ce qui […]. Si bien que, le mois prochain, je devrai également supprimer ce passage-là.


Jeudi 10

Sept heures vingt. – J'ai fait  absolument n'importe quoi, avant-hier : décidant de mettre en ligne une version “tronquée” de mon journal de mars […], j'ai en fait publié celui d'avril. Deux ou trois lecteurs, moins endormis (ou confiants) que les autres se sont étonnés de certaines “distorsions temporelles”. Du coup, j'ai, aujourd'hui, publié le vrai journal de mars, et je défie qui que ce soit de s'y retrouver dans ce merdier.

 – En train de terminer La Pornographie de Gombrowicz. Décevant, de mon point de vue, par rapport à Ferdydurke et à Trans-Atlantique : trop forcé, artificiel. Mais, bien entendu, il est possible que ce moi qui n'y comprenne rien. Constantin Jelenski, dans une lettre à l'auteur, dit que c'est le plus métaphysique de ses romans : je veux bien. Je le trouve, moi, un peu gratuit, par rapport aux deux précédents. Je vais commencer Cosmos demain matin : on verra.

Il est possible que je sois, sans le savoir encore, en train de faire mes adieux définitifs à Gombrowicz, comme je les ai déjà faits à Kafka et à Dostoïevski : une perspective qui ne me rend pas spécialement gai. Mais pas triste non plus : il ne faut rien exagérer.


Vendredi 11 

Neuf heures du matin. – J'ai finalement interrompu ma lecture de Cosmos après quelques dizaines de pages (deux ou trois…) : l'impression de retomber dans le même univers que celui de La Pornographie, dans ce fourmillement de petits faits épars et insignifiants (?) mais que l'auteur relie de force entre eux pour leur faire dire quelque chose. Pour ne pas quitter Gombrowicz trop brutalement, j'ai décidé de relire les nouvelles (au moins quelques-unes…) qui composent le recueil intitulé Bakakaï, sa première œuvre publiée, en Pologne, au milieu des années 30.

– […]

Midi. – J'ai finalement remisé Witold et suis passé au livre d'un écrivain slovène dont je n'avais jamais entendu parler jusqu'à présent : Boris Pahor. Le livre que j'ai entre les mains s'intitule Nekropola, ce qui est devenu en français, un peu absurdement, Pèlerin parmi les ombres (avec tout de même Nécropole en sous-titre). C'est bien de cela qu'il s'agit, d'ailleurs : un homme, Pahor lui-même, revient au camp alsacien de Struthof, quarante ans après y avoir été interné, mêlé au flot de touristes qui, eux, “visitent” l'ancien camp nazi (comme nous l'avons fait, Catherine et moi, voilà quelques années, à l'occasion de l'un de nos petits séjours alsaciens, chez André et Béa). Écriture très dense, pensée très imagée, complexe, ne supportant en aucune façon le survolage : c'est un livre dans lequel on doit accepter de s'immerger totalement, ou bien le laisser de côté.

L'édition que j'ai date de 2012 ; si la 4ème de couverture mentionne que Pahor est né à Trieste en 1913, elle ne dit rien de sa mort. J'en ai d'abord déduit que personne n'avait pensé à remettre à jour le résumé biographique depuis le “dépôt légal” de 1996. Or, pas du tout : tapant son nom dans la petite fenêtre Google, j'ai eu la surprise de constater que Boris Pahor était toujours vivant et allait sur ses 105 ans, qu'il aura dans trois mois. Cela après avoir fréquenté successivement les camps de Struthof, Dora, Dachau, Hazungen et Bergen-Belsen : ce qui ne tue pas rend plus fort, on dirait bien que c'est vrai dans certains cas, dont celui-ci.

Le fait que mon Slovène soit né à Trieste – et y vive toujours – a déclenché aussitôt une envie pavlovienne : celle de relire Italo Svevo. Je viens donc de tirer de son casier La Conscience de Zeno, que je relirai dès que j'aurai réussi à m'évader du Struthof.

Six heures. – Je viens de rouvrir le roman de Svevo. Avec un plaisir intact et quasi instantané.


Dimanche 13

Sept heures vingt.La Conscience de Zeno ; rien de plus, rien de moins. Plus, tout de même, quelques pages d'écriture vaine ce matin.


Lundi  14

Sept heures et demie. –  Mail de Pierre Cormary (que je suis presque sûr de n'avoir jamais rencontré in vivo), pour me signaler une charge d'une amie à lui contre ce pauvre Juan Asensio. Le texte ne manque pas de brio, même s'il sent un peu trop le règlement de comptes pour mon goût. Mais enfin, c'est un genre que l'Asensio lui-même n'a jamais dédaigné. J'ai répondu ceci à Cormary :

Cher Cormary,

Je ne suis pas sûr que nous nous soyons déjà rencontrés (ou alors j’étais saoul avant votre arrivée sur les lieux…). Mais je vous connais, puisque je vous lis, et toujours avec intérêt et plaisir, dès que l’occasion se présente de le faire.

Évidemment que le texte de votre amie Héloïse (saluez-la pour moi au passage) m’a étiré les lèvres et fait pétiller les yeux ! Même si j’y subodore tout de même une lutte homme/femme dans laquelle je ne me trouve pas grand-chose à voir, un règlement de comptes qui ne me concerne pas.

Pour ce qui est de ce pauvre Asensio… Pourquoi s’obstiner à taper contre un punching-ball qui s’est lui-même institué comme punching-ball ? Plus ce malheureux Juan écume et plus il rapetisse : laissons-le faire tout seul le travail qui va l’amener à son exacte proportion. Comme disait l’autre : il s’est voulu César et…

Je m’arrête là : je ne puis absolument pas dire du mal de ce roquet écumant, puisque, ayant été « victime » de ses coups de chicots, on me soupçonnerait de chercher à me venger, ou, au moins, de parler par dépit (alors que les 20 feuillets qu’il m’a consacrés m’ont procuré une jouissance presque pure). Or, il est bien évident que personne ne peut éprouver le moindre dépit vis-à-vis de cet étrange ectoplasme qui va bientôt atteindre la cinquantaine sans avoir réussi le moins du monde à exister (et, je suppose, sans Rolex…).

Bref. Pourquoi faut-il que notre premier échange ait pour sujet ce guignol ? C’est une petite victoire qu’il ne mérite pas. Je vous propose de ne reparler de lui que du jour où il sera capable d’écrire en français. Je pense qu’on sera, vous et moi, morts avant.

Je vous salue bien bas, soit au niveau de notre sujet du jour.

Didier Goux


Mardi 15

Trois heures. – Il y a bien des points de ressemblance (et autant de dissemblance), évidemment) entre le Svevo de Senilità et le Proust d'Un amour de Swann : Emilio fait souvent penser à Swann, dans sa façon masochiste et tatillonne d'analyser sa jalousie, et Angiolina penche assez fort du côté d'Odette. Néanmoins, même si l'Italien a publié son roman avec quinze ans d'avance, on est quand même bien content que le Français soit arrivé avec le sien.

– J'avais décidé de ne rien écrire aujourd'hui, mais, ce matin, la première phrase du texte que je méditais m'est venue ; comme il aurait été dommage de la laisser perdre, je l'ai notée… puis ai écrit près d'un feuillet dans la foulée et cet enthousiasme juvénile qui fait une partie de mon charme. On verra demain et après-demain pour les compléments.


Mercredi 16

Sept heures et demie. – Journée constructive, vraiment. Dix mille signes de compléments, répartis entre ce matin et cet après-midi. Puis, tontine. Il doit me rester cinq mille signes de compléments pour demain matin ; puis, je m'occuperai de ma tension artérielle. Et, samedi, visite de Rémi.

(Le journal de ce mois-ci, si je me tiens à ce que j'ai décidé de faire,  ne comportera que peu – voire pas du tout – de […], mais, en revanche, il sera largement incompréhensible – ce qui m'amuse beaucoup.)

– Léon Bloy : intéressant, voire plus, mais fatigant. Comme dans mon souvenir de lui.


Jeudi 17

Neuf heures du matin. – Le point commun le plus remarquable aux écrivains de droite du second XIXe siècle et du premier XXe, c'est leur détestation quasi frénétique de Zola. De Barbey d'Aurevilly à Kléber Haedens, en passant par Goncourt ou Daudet, ils ne peuvent s'empêcher de le piétiner, puis de cracher sur ce qu'ont laissé leurs lourdes bottes. Le plus enragé est bien entendu Léon Bloy. J'ai passé les deux premières heures de la matinée à lire son Je m'accuse…, tout entier consacré à sa bête noire (ou devrais-je dire : à l'une de ses bêtes noires ?). Je dois reconnaître que la charge est si outrée qu'elle devient rapidement fort réjouissante, et même d'une irrésistible drôlerie par endroit. Il est vrai aussi que Bloy se fait le jeu facile en choisissant pour cible Fécondité, ce roman aussi grotesque qu'illisible (je le sais : j'ai essayé). Il me répondrait sans doute qu'il n'a pas choisi. Et, en effet, c'est ce roman-là qui, alors, au tournant du siècle, paraissait en feuilleton dans L'Aurore, le journal de Clemenceau (et du J'accuse zolien…). C'est donc un journal de bord de sa détestation que nous donne Bloy, qui s'astreint chaque matin, avec un masochisme dont il est le premier à rire, à lire la tartine du jour et à nous rendre compte de ses énervements, écœurements, colères, éclats de rire, etc. Lecture jubilatoire, finalement, même pour quelqu'un comme moi, qui ai toujours placé Zola assez haut sur ma petite échelle personnelle.

Sept heures dix. – Mes compléments ont été emballés et expédiés (j'ai profité de ce que la présence de la femme de ménage me confinait dans la Case). À partir de demain matin, je vais tâcher de vérifier si j'ai réellement l'âge de mes artères, comme on dit.

– Le journal 2017 (Juste avant après, excellent titre) de Renaud Camus devant m'arriver demain, j'ai fait comme j'avais déjà fait l'année dernière, à savoir relire la seconde moitié de 2016, pour me remettre dans le bain.


Vendredi 18

Midi. – Quand je disais, il y a quelque temps, que la Poste ressemblait de plus en plus à une administration africaine, peut-être me montrais-je d'une trop grande sévérité envers les dites administrations. J'attendais pour ce matin le dernier volume paru du journal de Renaud Camus, Juste avant après. Il m'étais dûment annoncé par mon “suivi de colis”, mais, en réalité, je ne l'attendais qu'à moitié, et même au quart : je commence à connaître les zigotos employés par Chronopost. De fait, ça n'a pas manqué : peu après neuf heures, lorsque j'ai de nouveau consulté le suivi en question, il m'a été notifié qu'une “tentative de livraison” avait été faite et que, pour la suite, je devais me référer à l'avis de passage déposé dans ma boîte aux lettres ou encore contacter mon “transporteur”. Contacter, il n'y fallait bien sûr point songer : sans doute tout à leurs transports, ces gens ont décidé une bonne fois pour toutes d'être résolument injoignables. Quant à l'avis de passage, il ne pouvait y en avoir, ni dans ma boîte, ni ailleurs, puis que, de passage, il n'y avait pas eu non plus.

C'est une fatalité assez récente mais qui se multiplie à l'envi, ces tentatives de livraison, et je crois avoir compris ce qui se passait. Avant de livrer mon explication (hypothétique, certes), je dois préciser qu'à moins d'accomplir sa tournée avant cinq heures du matin, le livreur de Chronopost n'aurait eu aucun mal à voir sa tentative pleinement couronnée de succès : il y a une grosse cloche accrochée juste à droite du portail, et toujours l'un de nous deux – Catherine ou moi – à l'intérieur de la maison pour l'entendre et accourir.

Donc, mon avis, c'est qu'aucune tentative n'a été faite. Pourquoi ? Parce que, dans sa nonchalance et son manque de conscience professionnelle, mon livreur a dû s'apercevoir qu'il n'avait pas assez de colis à déposer au Plessis-Hébert pour que je méritasse qu'il fît un détour : il devait être bien plus agréable pour lui de terminer sa tournée avec une demi-heure d'avance, voire davantage. La dernière fois qu'un tel contretemps s'est produit, la première tentative a été suivie d'une seconde, le lendemain. Et ce n'est que le troisième jour que mon colis m'a été remis… par notre factrice habituelle lors de sa tournée quotidienne. Je serais prêt à parier une assez grosse somme que c'est encore elle qui va m'apporter le journal de Camus demain. À moins que le fantôme de chez Chronopost ne se décide à une nouvelle tentative demain, auquel cas le colis ne m'arrivera que lundi.

Pendant ce temps, lorsque Amazon a la bonne idée de faire appel à une véritable entreprise, du genre d'UPS, le colis promis m'arrive toujours, non seulement au jour, mais également à l'heure annoncés. Ce qui est évidemment très mal car c'est sans doute possible l'une des conséquences visibles de l'ultralibéralisme qui ravage notre pauvre France ; et contre lequel Chronopost lutte de plus en plus efficacement.


Sept heures. – Il m'arrive (pas tous les jours quand même…) de regretter d'avoir publié mes deux livres, de considérer cela comme une sorte de faiblesse, ou d'accès de vanité. On devrait avoir le minimum de force d'âme pour garder par-devers soi les livres médiocres que l'on s'est laissé aller à écrire : pourquoi diable en ajouter un ou deux à la masse qui se publie chaque année et disparaît aussitôt sans laisser de trace ? Mais c'est que, justement, chaque livre paru en laisse une, de trace ; minuscule, presque invisible à l'œil nu, mais tout de même elle est là. Et c'est elle que, certains jours, j'aimerais voir disparaître ; ou plutôt, faire en sorte qu'elle ne soit jamais apparue, ce qui est évidemment impossible.

Enfin, ne dramatisons pas : voilà une petite écharde qui ne m'empêchera pas de bien dormir cette nuit, ni, demain midi, d'accueillir Rémi Usseil avec les honneurs qui lui sont dus.


Dimanche 20

Dix heures du matin. – Hier, Rémi Usseil entre une heure et sept heures (à peu près). Nous avons, selon la coutume, beaucoup parlé (lui et moi), pas mal bu (moi) et bien déjeuné (lui, Catherine et moi). Lorsqu'il est parti pour Évreux où l'attendaient ses parents, je me suis retrouvé seul, Catherine étant parti assister à la messe de Pentecôte à Miserey (comme le cavalier d'Abel Hermant…), village situé entre Évreux et chez nous. Je me suis dit in petto (j'ai pris cette habitude de me parler in petto lorsque je suis seul) : « Tiens ! et pourquoi pas une petite vodka-orange, en l'attendant ? » Sitôt dit, sitôt servi, le breuvage m'a proprement assommé et, quand Catherine est rentrée, à huit heures, j'étais dans mon lit et dormais telle une marmotte alcoolique. Si bien que, quand le réveil a sonné, à cinq heures moins dix, j'étais en pleine forme. Mais pas au point de m'intéresser à mon hypertension artérielle : ce sera pour demain matin.


Cinq heures. –  À l'initiative de Catherine, nous avons pris, ce matin, une décision radicale : celle de résilier notre abonnement à Canal. Ce qui revient à dire, vu que nous n'avons nullement l'intention d'acheter l'appareil permettant de recevoir les chaînes dites TNT, que nous allons nous retrouver totalement privés de télévision ; ce dont nous nous moquons puisque nous ne la regardons pratiquement plus jamais. Du reste, c'est un “nous allons” assez lointain puisque, à Canal (ex-Canal Plus), on ne peut résilier un abonnement que lorsqu'il arrive à échéance. Or, il se trouve que, pour nous, cette échéance tombera le 28 février prochain ; ce qui veut dire que, durant les neufs mois qui viennent, tout va continuer comme avant. Cela représente une économie de plus de trente euros par mois, à quoi va bien sûr s'ajouter celle de l'abonnement au magazine de télévision, dont nous n'aurons plus l'utilité.

– Parce que je m'étais fait à l'idée de passer le week-end à lire le dernier volume du journal de Renaud Camus, je me suis trouvé si frustré de ne pas le recevoir que, depuis hier (ou avant-hier ?), j'ai repris le volume précédent, puis encore le précédent, remontant ainsi le fil de son existence. Et je continuerai tant que Juste avant après ne sera pas entre mes mains : ce n'est quand même pas Chronopost qui va faire la loi chez moi, si ?


Lundi 21

Midi. – Mon nom a brusquement surgi, tout à l'heure, au milieu d'une discussion qui ne me concernait nullement, sur le forum de l'In-nocence. Et voici ce qu'écrit ensuite Renaud Camus :

« Oh, Didier Goux ! Didier Goux ! J’ai connu un Didier Goux, jadis. Il avait une épouse, même, mais je ne sais plus si elle était danoise ou québecoise. Toujours est-il (rien à voir avec sa femme) qu’il est arrivé exactement ce que je lui avais annoncé à notre première rencontre, et dont il ne voulait pas croire un mot. Lui m’agaçait un peu parce qu'il s’était mis dans la tête, dur comme fer, Dieu sait pourquoi, que je détestais être comparé à Léautaud. Il revenait éternellement là-dessus, ça l’obsédait. Et évidemment, comme il arrive dans ces cas-là, plus je dénégais, plus il se convainquait. J’ai fini par me taire. D’ailleurs on finit toujours par se taire. C’est ça, l’amitié. J’aime mieux l’amour.

Dans un de ses romans il raconte de façon hilarante une soirée avec Houellebecq, dans une petite ville de province. Mais ce ne doit pas être le même. Il doit être mort, à présent. Ou alors c’est moi. Oui, plutôt. Tout cela est si loin. Mon Dieu ! Étions-nous assez jeunes ! Il y avait une espèce de moulin sur un pont, je me souviens, et un chien, qui ne s’appelait pas Clément. C’était un apérotiste des Derniers Jours. Didier Goux, je veux dire — pas le chien. Le chien aussi est peut-être mort. J’espère pas, comme on disait à l’époque. Mais l’on me dit que plusieurs des personnes que j’ai connues sont encore vivantes. Grand bien leur fasse. J’aime mieux que ce soient elles que moi. »

À quoi je viens d'ajouter ceci :

« Mon Cher Maître, les chiens que vous avez connus (Swann et Bergotte) sont bien morts… et Didier Goux ne vaut guère mieux. Mais il se doit de rester en vie pour tenir compagnie à son épouse canado-dano-picarde ainsi qu'à Charlus, un genre de cocker qui aurait le même toiletteur que Donald Trump.

(Pour le reste, vous mélangez deux ou trois rencontres successives, mais c'est sans importance.)


Mardi 22

Cinq heures. – Le Grand Allègement continue. Après avoir résilié notre abonnement à Canal – ce qui va entraîner aussi l'abandon du magazine de programmes, je me suis, hier, désabonné de L'Incorrect, le mensuel lancé il y a quelques mois par Guillebon. Déjà, depuis le début, je trouvais leurs “cahier culture” en dessous de tout, consacré qu'il était pour l'essentiel à la variété, au rock, à la BD, au théâtre de rue ou presque, etc. Mais la goutte d'eau, ce fut deux titres du dernier numéro : « Robert Ménard, l'envie de Béziers » et, quelques pages plus loin : « Philippe Bilger, toujours le barreau ». J'ai eu l'impression de tenir entre les mains une sorte de Libération mensualisé, et j'ai décidé que ça suffisait comme cela. Enfin, comme par une sorte de phénomène d'entraînement naturel, je me suis, ce matin, désabonné de Causeur : depuis quelque temps, Élisabeth Lévy ouvre ses colonnes à un certain nombre de petits m'as-tu-vu-quand-j'écris qui me déplaisent souverainement. Dont, en tout cas, je n'ai pas envie d'ouvrir ma bourse pour avoir le douteux privilège de les lire. Il ne me reste plus que Valeurs actuelles : ayant payé pour un an, je suis bien obligé de rester abonné, mais il est bien certain que l'expérience ne sera pas renouvelée.

– Sinon, après deux tentatives de livraison infructueuses de la part de l'employé de Chronopost (employé apparemment fantôme), c'est finalement la factrice qui m'a apporté ce matin Juste avant après, le journal 2017 de Renaud Camus, que je suis occupé à lire depuis. J'ai évidemment commencé par aller voir l'index des noms de personnes à la lettre G : point n'y suis ; ce qui est sans doute préférable, vu la façon dont j'avais été accommodé l'année d'avant. J'ai sursauté dès les premières pages (je n'ai pas le volume sous la main pour préciser laquelle) en lisant un “sauf à” employé fautivement, c'est-à-dire comme l'utilisent désormais journalistes, hommes politiques, blogueurs, présentateurs de télé, etc. Si même un Camus se laisse contaminer, alors c'est que la France est vraiment foutue. Lui-même, d'ailleurs, ne dit à peu près plus rien d'autre dans son journal. Non, j'exagère, il dit beaucoup d'autres choses tout de même. Mais enfin, on constate que, d'une année sur l'autre, le cancer grand-remplaciste produit chez lui de nombreuses métastases. D'un autre côté, comme il est tout aussi proliférant dans le monde qu'on n'ose plus qu'à peine qualifier de réel, on ne peut pas trop le lui reprocher.

– Je me suis occupé de mon hypertension artérielle : la systole est désormais derrière moi, il me reste à me pencher sur la diastole. Ce sera pour demain : s'il est un domaine où il convient de ne pas se mettre la pression, c'est bien celui-là.


Mercredi 23 (saint-Didier)

Une heure. – Soulagement et frustration. Hier, le couple de mésanges charbonnières qui a établi sa nichée dans la petite cabane dite “du grand volet” a brusquement cessé d'aller et venir pour nourrir ses petits, dont on entendait fort distinctement les piaillements suraigus dès que l'un des deux adultes pointait son bec à l'intérieur. Pendant ce temps le couple de petites bleues (elles sont de taille normale, en réalité : petites seulement par rapport à leurs cousines charbonnières) continuait inlassablement ses épuisants va-et-vient nourriciers. Comment expliquer la désertion des charbonnières ? Il n'y avait que deux façons : soit les petits s'étaient tous envolés sans que j'en voie un seul le faire, ce qui me paraissait tout de même improbable ; soit, pour une cause inconnue, ils étaient brutalement morts, comme il est déjà arrivé à une nichée, l'année dernière ou peut-être celle d'avant. Pour en avoir le cœur net, ce matin, je suis allé doucement décrocher la cabane-nichoir, dont Catherine a délicatement soulevé le toit…

Le nid était vide. Soulagement, donc, de constater que 10 ou 12 petits (c'est le nombre d'oisillons dans une nichée de mésanges) avaient tous quitté le nid avec succès, et probablement sans pertes à déplorer, comme il arrive, puisque je n'ai retrouvé aucune trace de cadavre plumeux aux alentours immédiats. Mais frustration de ce que ces petits cons aient réussi à quitter la maternité sans que j'en voie un seul le faire. alors que les oiseaux sont censés faire leur premier envol tôt le matin et que, précisément, je passe beaucoup de temps, le matin, dès avant le lever du soleil, sur la terrasse, avec café et cigarette. Mais, évidemment, en y réfléchissant, je ne passe guère plus de trois minutes dehors à chaque tasse et ne ressors plus avant une demi-heure (ma vie du petit matin est assez strictement dépendante de Chronos…) ; ce qui laisse bien du temps aux mésanges pour accomplir leur baptême de l'air hors de mes regards.

Il n'empêche : ils auraient pu faire un effort, ces petits ingrats.


Vendredi 25

Dix heures du matin. –  Je ne sais plus du tout si j'ai noté dans ce journal que, au tout début du mois, Catherine avait été victime d'un vol à l'arraché (ou arrachée ?) de la part de l'URSSAF : ayant, pour le premier trimestre 2018, déclaré des gains de 5700 €, elle s'était vu ponctionner la somme de… 5700 €.  Eh bien, le remboursement du “trop perçu” (4400 €) a été effectué hier, et sans que nous ayons dû faire face à la moindre difficulté pour l'obtenir – la plus pénible de toutes (je parle des difficultés) étant toujours, désormais, celle de réussir à obtenir non pas même la bonne personne au téléphone, mais simplement, modestement, quelqu'un. Dans le cas présent, tout s'est passé comme sur des roulettes (si je puis dire, vu mon habileté légendaire à me maintenir d'aplomb sur n'importe quel engin portant roulettes).

– Je n'ai pas de chance avec mes lectures, depuis quelques jours. Après l'intermède camusien, celui fourni par son journal 2017, qui m'a tout de même un peu plombé le moral, non pas à cause de son obsession grandissante envers ce qu'il nomme le Grand Remplacement (expression qui continue de me paraître fâcheuse, ou au moins maladroite), mais plutôt parce que cette obsession me paraît de plus en plus justifiée, après cet intermède plombant, donc, j'ai voulu reprendre le volume de Bloy dans lequel je m'étais plongé courageusement : je n'y ai pas tenu plus de deux ou trois cents pages. Bloy, décidément, me fait la même impression pénible qu'un orchestre symphonique qui ne saurait jouer autrement que ffff : au bout d'un moment, assez court, les tympans saturent et les nerfs lâchent. Je me suis alors tourné, plein d'allant et d'espoir, vers Selma Lagerlöf, dont je n'avais absolument rien lu jusqu'à maintenant. J'ai commencé par La Saga de Machin Chouette (pas le livre sous les yeux, et pas fichu de me souvenir de ces noms scandinaves, voire scandinavrants…) : impression positive durant les premières dizaines de pages, devant ce style fleuri assez inaccoutumé, ce côté “conte” que je ne pratique guère dans mes lectures habituelles ; et puis, rapidement, un peu comme pour Bloy, la saturation, le désintérêt croissant – et très vite croissant – pour ces histoires qu'on me racontait et leur “merveilleux” auquel je ne dois pas être très sensible (mon côté brute). J'ai tout de même conservé le volume au salon : comme il contient quatre ou cinq autres livres de la dame, je lui donnerai une seconde chance d'ici quelques semaines. Du coup, pour tenter de me raccrocher à une valeur éprouvée, éprouvée par moi en tout cas, j'ai commencé ce matin le premier roman d'Italo Svevo, Une vie. Et, là, ça va bien. (J'oublie que, dans l'intervalle, j'avais tenté de lire un roman d'un Italien, Daniele del Giudice, intitulé Le Stade de Wimbledon, au motif qu'il se passait en partie à Trieste et qu'il y était plus ou moins question de Svevo : poubelle jaune après une petite centaine de pages.)

– Ayant réglé mes problème d'hypertension hier midi, je comptais, ce matin, commencer à m'intéresser à la qualité de mon sommeil. Mais, comme nous nous sommes autorisé un petit apéritif hier soir, j'ai décidé que cette passionnante étude pourrait tout aussi bien être remise à demain. D'autant que je n'ai pas plus de problèmes de sommeil que je n'en avais avec ma tension : comprenne qui pourra.


Dimanche 27

Deux heures. – La série noire continue pour ce qui est de mes lectures. Mes rapports avec Nabokov étaient restés ténus et fort lointains, puisque j'ai dû lire Lolita aux alentours de ma vingt-cinquième année et rien d'autre depuis (je mets à part ses cours de littérature). J'en avais gardé le souvenir d'un roman éblouissant, mais qui comportait une grosse centaine de pages en trop – jugement dont je me méfiais d'ailleurs grandement, vu le nombre considérable d'années me séparant du jour où il avait été porté. Bref, il m'est apparu, il y a quelques jours de cela, qu'il serait tout de même bien d'y retourner jeter un coup d'œil, et j'ai aussitôt commandé deux romans (mais pourquoi deux ? pourquoi pas un seul, pour commencer ? ou six d'un coup ?), Ada ou l'Ardeur et Feu pâle j'ai commencé le premier nommé en fin de matinée. J'ai compris presque tout de suite que notre chemin commun n'allait pas être bien long, sauf miracle. Le miracle ne s'est évidemment pas produit (il ne se produit quasiment jamais) et j'ai abandonné Ada bien avant la centième page, les dents agacées par un style que, faute de mieux, je qualifierais de poseur. Le divorce – prononcé le jour même des noces – est si complet, si radical, si définitif, que ça ne m'intéresse même pas de savoir si Nabokov est un grand écrivain ou une valeur surestimée : je m'en fous, je le raye de ma mémoire, le renvoie à son inexistence auprès de moi. – Malgré tout, puisque j'ai commis la sottise de l'acheter, je jetterai tout de même un regard à Feu pâle. Mais le moins que je puisse écrire ici est que ce malheureux livre part avec un handicap considérable. Pour effacer cette pénible expérience, j'ai commencé aussitôt Les Buddenbrook de Thomas Mann : il est encore trop tôt pour dire si la série noire a pris fin ou si elle continue.


Mardi 29

Onze heures du matin. – Parvenu à mi-chemin des Buddenbrook de Herr Mann, j'ai décidé de ne pas en rester là. J'ai donc commandé hier La Mort à Venise, que je n'ai jamais lu, refroidi que j'avais été par le ridicule film de Visconti (mais il est vrai que quasiment tous les films de Visconti ont sur moi ce pouvoir refroidissant), ainsi que La Montagne magique, lu il y a une vingtaine d'années, et au cours duquel (duquel roman : phrase éminemment boiteuse) j'ai le souvenir de m'être vaguement ennuyé ; mais s'ennuyer dans un sanatorium suisse paraît au fond assez logique. Dans la foulée (?), j'ai aussi commandé deux romans de Tom Wolfe, dont je n'ai jamais rien lu : Le Bûcher des vanités ainsi que Bloody Miami. (C'est curieux, chez moi, cette idiote manie de commander plusieurs livres d'un écrivain dont je ne connais rien, dont j'ignore s'il va me convenir.)

– J'ai également coupé toutes les ronces dépassant de la haie, de manière à n'avoir pas les bras lacérés la prochaine fois que je jouerai avec la tondeuse ; mais, ça, je suppose que tout le monde s'en cogne.


Mercredi 30

Dix heures vingt du matin. – Visite chez la dentiste de Pacy, hier, pour une dent déjà soignée mais qu'il fallait désormais “couronner”. Les soins ont été pratiqués et la couronne commandée. L'ennui est que j'avais accepté un rendez-vous trop tardif (trois heures et demie), si bien que, à l'heure du dîner, tout le côté gauche de ma bouche était encore “gelé” et qu'il ne pouvait être question de manger dans ces conditions, sous peine de morsures diverses : langue, joue… Je me suis donc consolé à la vodka-orange, qui m'a expédié au lit fort tôtivement, et me laisse ce matin dans une assez petite forme. La seule chose qui m'a un peu réveillé, ce fut de constater qu'un virement de 4200 € avait été effectué au profit de mon compte bancaire ; ce qui devrait nous permettre de patienter en attendant la retraite de MM. Agirc et Arrco, les joyeux duettistes qui, eux, se manifestent ponctuellement le premier de chaque mois. Contrairement à la caisse de retraite “générale” qui, elle, nous fait lanterner jusqu'au neuf.

– Presque terminé Les Buddenbrook, et reçu hier les deux autres livres de Mann dont je venais tout juste de parler. On attend Tom Wolfe d'un instant à l'autre, et c'en sera fini, pour ce mois-ci, des dépenses culturelles.


Jeudi 31 mai

Sept heures et quart. – L'un des deux romans de Wolfe est en effet arrivé hier en fin de matinée. Il s'intitule Back to Blood, ce que l'éditeur a cru bon de traduire par Bloody Miami : c'est d'une stupidité confondante. Confondante mais de moins en moins rare : cette manie de traduire un titre anglais par un titre différent mais également en anglais se répand depuis quelque temps, aussi bien au cinéma que dans les séries télévisées. Il reste que j'ai “avalé” 300 pages de ce pavé avec un grand plaisir : c'est réjouissant, brillant et délicieusement réactionnaire.

– Je termine le mois fort satisfait de moi-même, dans la mesure où j'ai bouclé dans la journée un travail que je mets normalement deux jours à accomplir, quand ce n'est pas trois. Je deviens bon, sur mes vieux jours.

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