jeudi 10 mai 2018

Mars (le vrai) 2018











SORAYA







Jeudi 1er

Sept heures dix. – 


[…]

 
– À force d'enfiler les uns derrière les autres les romans d'écrivains juifs, je me suis aperçu cet après-midi (je venais de passer du Herzog de Saul Bellow au Ravelstein du même) que je n'étais pas loin de la saturation et qu'une pause serait sans doute bienvenue (c'est qu'il ne s'agirait pas de se jazzmaniser !) ; pour la meubler, cette pause, j'ai repris les différents journaux de Galtier-Boissière, publiés en un seul gros volume par Quai Voltaire. C'est à la fois intelligent et fort divertissant. Dès la première page (juillet 1940), j'y ai trouvé cette pseudo-devise du général Weygand : Veni, vidi, Vichy. Et, un peu plus loin, cette définition de Pétain : le connétable du déclin.


Vendredi 2


[…]



Samedi 3

Sept heures vingt. – […] De toute façon, après ça, je plonge dans une semaine à dominante médicale : mercredi, scanner annuel, pour voir si le cancer m'a rattrapé ou si je bénéficie d'une prolongation de sursis (le bon docteur Pluton nous dira ça dès jeudi, au vu du compte rendu) ; et vendredi, visite à Levallois chez ma dermatologue habituelle. Une visite fort bien venue car, depuis quelques jours, mes doigts présentent des micro-fissures aux jointures, très douloureuses par rapport à leur taille ridicule.

– Dans son journal, décidément fort gouleyant, Galtier-Boissière affuble la crapule Aragon d'un surnom qui lui sied à ravir : le Déroulède de la Résistance de luxe. De toute façon, ce sont tous les dirigeants du parti communiste de l'époque qui, au fil des paragraphes qu'il leur consacre, en ces années 44 à 46, apparaissent comme de fort répugnants personnages ; ce qui, du reste, n'est pas une nouveauté mais fait toujours plaisir à se voir confirmer. On se dit aussi que, pour gober sans broncher les invraisemblables et brusques revirements des Thorez, Duclos, Marty et autres Cachin, entre 1936 et 1945, il fallait que les militants d'en bas, les camarades, soient vraiment de pauvres cons soigneusement décervelés par l'appareil. Cela dit, je pense que tous les partis, d'un bout du spectre à l'autre, comptent dans leurs rangs militants un pourcentage très élevé de pauvres cons. La différence est qu'ils ne travaillent pas tous pour une cause essentiellement criminelle.

– Mon frère Philippe a eu 58 ans aujourd'hui.


Lundi 5

Sept heures dix. – 


[…]

 

Mercredi 7

Sept heures cinq. – Passé mon scanner annuel de contrôle ce matin, à la clinique Pasteur d'Évreux, et les résultats sont tombés dès midi : rien à signaler, scanner exactement superposable (c'est le mot employé) à celui de mars dernier. J'ai tout de même transmis le “rapport” au bon docteur Pluton pour plus de sûreté. Après l'avoir transformé – le rapport, pas Pluton – en billet de blog.

Il y eut tout de même, durant l'examen lui-même, quelques minutes d'incertitude. D'abord, tout s'est déroulé comme d'habitude, par un premier passage dans la machine “à vide” si je puis dire, c'est-à-dire sans que l'on m'ait encore injecté l'iode. Ensuite, toujours comme d'habitude, injection (laquelle produit une bouffée de chaleur dans la tête qui descend dans le corps pour venir se loger dans les couilles : un peu bizarre mais pas déplaisant…) suivie d'un deuxième balayage de la machine. En principe, à ce moment-là, l'affaire est faite. Sauf que, ce matin, la personne qui s'occupait de mon cas m'a alors demandé de tousser, puis de tousser encore, et encore… avant de m'infliger un troisième passage. Évidemment, comme je suppose tout le monde à ma place, j'ai immédiatement  pensé qu'il y avait quelque chose qui n'allait pas, la petite tumeur impromptue, la métastase ricanante, etc. J'ai donc posé la question dès que ma chevalière servante est revenue me délivrer. En fait, il ne s'agissait, en toussant, que de faire circuler mieux et plus vite le produit injecté. J'ai supposé qu'elle s'était un peu trop précipitée après l'injonction et que, du coup, elle avait été obligée de recommencer.

C'est dans ces moments-là qu'on peut constater que, en réalité, on va à ces examens beaucoup moins serein qu'on aimerait se le faire croire.

– J'en ai fini avec Galtier-Boissière cet après-midi et j'ai enchaîné, pour rester dans le ton et l'époque, avec le journal “de guerre” de Maurice Garçon. Je me demande d'ailleurs ce que les Belles Lettres attendent pour en publier un second volume, puisque je m'étais laissé dire, l'année où est sorti le premier, qu'il avait très bien marché. Il faudra que je pense à “cuisiner” Michel Desgranges à ce sujet.


Vendredi 9

Sept heures vingt. – Rapide aller-retour à Levallois-Plage, en fin de matinée, pour cause de rendez-vous en double mixte chez notre doctoresse dermatologue. À cette occasion, je me suis avisé que mon mélanome malin (à malin, malin et demi), celui qui justifie cette visite de contrôle annuelle, que mon mélanome, disais-je, allait fêter ses 25 ans d'âge d'ici quelques mois. Et j'ai eu une fugitive pensée pour le bon docteur Fabre, qui l'avait détecté et anéanti dans la foulée : il avait à peu près mon âge, peut-être un peu plus mais guère, et cela fait bien une douzaine d'années qu'il est mort – je n'ai jamais su de quoi.

– Continué la lecture du “journal d'occupation” de Maurice Garçon, et j'ai déjà tiré de son étagère celui de Léon Werth que je relirai ensuite. Je prévois d'écrire un billet sur eux trois (Galtier-Boissière fera le troisième), que j'intitulerai Journaux d'Occupation ou la tentation trilogale. À moins que je ne trouve encore plus prétentieux d'ici qu'il soit écrit.


Samedi 10

Sept heures dix. – 


[…]


Mardi 13

Onze heures (du matin). – Un couple de tourterelles a commencé à bâtir son nid dans le cerisier, encore totalement nu. Personnellement, je les trouve un peu en avance, mais bien entendu c'est à elles de voir.

– Sinon, j'ai commencé hier un billet sur le blog, dans lequel je comptais mettre en regard, en perspective, les trois “journaux d'Occupation” que je viens de relire, ou que je lis actuellement, ceux de Galtier-Boissière, de Garçon et de Werth : je ne suis arrivé à rien et j'ai préféré renoncer. Du coup, le sujet continue de me trotter dans la cervelle, et ça m'agace. Afin que rien ne se perde, je viens de pondre un court billet pour annoncer à mes légions de lecteurs… qu'ils n'auraient pas de billet.


Samedi 17

Deux heures et demie. – Je deviens fainéant, on dirait. C'est sans importance, évidemment. J'ai fait, avant-hier, sur le blog, un court billet pour raconter comment, parti pour Évreux afin d'y acheter quelques oripeaux pour moi (j'ai tant minci que “je n'ai plus rien à me meeeettre !”), nous en sommes revenus, une couple d'heures après, propriétaires d'une nouvelle voiture. À l'origine, il ne s'agissait, en se rendant à ces journées “portes ouvertes” de Renault, que d'inspecter les modèles susceptibles de nous convenir, lorsque le moment serait venu.

La décision de remplacer Liselotte, après cinq années d'excellents services étaient en effet à peu près actée. Et c'est une sorte de pulsion raisonnable qui nous avait conduit à revenir à Renault après notre incartade chez Volvo : nous avions été, durant trois ans, tout à fait contents de Roselyne (Mégane) et les prix du Suédois étaient tout de même, dans la gamme qui nous convenait, assez dissuasifs. Mais le vrai déclencheur de la décision fut bien entendu la nouvelle et inattendue rentrée d'argent […]. Et Catherine avait été ferme dans sa prudence : « Pas question de se remettre un crédit sur le dos : on n'achètera rien avant que tu aies réellement gagné l'argent nécessaire ! » La veille des “portes ouvertes”, j'avais déjà lézardé un peu ce superbe mur de raison en informant Catherine que, compte tenu de l'argus de Liselotte (mais en quelle langue je parle, moi ?), la nouvelle voiture ne nous coûterait sans doute pas plus de quinze mille euros - moins de vingt mille en tout cas. Et que, donc, aucun crédit ne serait nécessaire puisque nous possédions très largement cette somme, cousue dans nos divers petits matelas.

Dès que nous les eûmes franchies, ces fameuses portes, en effet largement ouvertes, un vendeur (je suppose qu'ils ont un titre nettement  plus ronflant) nous fondit dessus et, après s'être enquis de nos désir les plus ardents, commença à nous engluer de son miel tentateur : c'était un beau spectacle à voir, j'en jouissais comme si je n'avais pas été concerné. Du reste, je l'étais assez peu car, dès que nous eûmes posé nos fesses dans la Kadjar (j'ai vraiment du mal à me faire à ce nom assez ridicule), j'ai su que nous ne ressortirions pas de ce garage les mains vides, pour parler métaphoriquement. Et c'est ce qui arriva, inutile d'entrer dans les détails d'une négociations qui n'eut pas lieu, dans la mesure où, Catherine aussi facilement que moi, nous rendîmes sans avoir opposé la moindre velléité de résistance aux entreprises séductrices de notre vendeur. Lequel a tout de même montré une légère et fugitive déception lorsque je l'ai informé que nous avions l'intention de payer cash la future Soraya (ainsi l'avons-nous ensuite baptisée, eu égard aux origines de son nom) et, donc, de nous passer des services de l'organisme de crédit dont il escomptait une commission.

Nous sommes tout de même allés, ensuite, jusqu'au centre d'Évreux, afin d'y essayer et acheter deux pantalons. Par contre, nous n'avons pas trouvé de veste convenable. Cette équipée nous a paru, au retour, mériter la prise d'un apéritif, chose qui ne nous était pas arrivée depuis plus de deux mois. Ainsi fut-il fait. Soraya devrait nous être livrée vers le 15 du mois prochain.


Mardi 20 mars

Cinq heures. –  Tenté pour la seconde fois (la première a eu lieu il y a quelques années) de lire le Berlin Alexanderplatz de Döblin : pas réussi à aller plus loin que la première partie (60 pages à tout casser). Ce roman m'est radicalement fermé. Du coup (?), j'ai ressorti – parce qu'ils étaient voisins de rayonnage – La Promenade de Robert Walser.

– Hier, journée d'anniversaire (62). Nous avons profiter de l'occasion pour aller essayer le restaurant de l'hôtel tout neuf situé au bord de l'Eure, à Pacy, et qui s'appelle un peu curieusement Bel Ami. Il y avait déjà un hôtel-restaurant à cet endroit avant : nous y avons couché par deux fois, lorsque nous sommes arrivés de l'Orne en 2000 ou 2001, puis quand nous avons quitté la location de Houlbec-Cocherel pour venir ici, au Plessis, en 2002. C'est là aussi que nous logeâmes nos invités, en 2010, lors de nos épousailles religieuses. Mais tout a été cassé puis refait (les travaux ont duré un an et demi) et la table y a assez nettement gagné. Le soir, nous avons étrenné (assez largement en ce qui me concerne) une bouteille de single malt qui nous a rapidement envoyés au lit. Prochaine beuverie prévue : le 6 avril prochain, avec Béa et André, à l'hôtel Le Parc d'Obernai.


[…]


Jeudi 22

Sept heures dix. 


[…]

 
– Je suis plongé depuis hier dans le livre de Lucien Febvre, Le problème de l'incroyance au XVIe siècle, sous-titré La religion de Rabelais. Lecture fort intéressante, mais forcément un peu aride, voire vaine, pour un inculte de mon espèce, au moins dans ce domaine philosophico-religieux qui en forme la toile de fond. De plus, je ne trouve pas que la langue de M. Febvre soit d'une élégance irréprochable. Je devrais essayer de lire l'un ou l'autre des livres de Marc Bloch, pour demeurer encore un peu au “stade Annales”, si j'ose.


Samedi 24

Sept heures dix. – J'ai commencé ce matin La boîte noire d'Amos Oz, curieux de voir ce que pouvait donner de nos jours un roman par lettres, genre abandonné, à ma connaissance, depuis Balzac. Je fus d'abord agréablement surpris : l'Israélien maîtrisait tout à fait les règles du genre, imprimant à ses échanges un rythme vif, donnant à chacun de ses protagonistes son propre langage, en faisant transparaître le caractère, etc. Tout alla fort bien jusqu'aux environs de la deux-centième page, c'est-à-dire durant la première moitié du roman. Mais, soudain, sans que rien ne me l'ait laissé prévoir (peut-être faudrait-il relire avec plus d'attention les parages du “point de bascule”), la mécanique s'est enrayée, le livre a échappé à son auteur, et pas pour le meilleur. En l'espace de quelques dizaines de pages, le lecteur – moi – a soudain refusé de croire qu'il lisait vraiment une correspondance, il ne marchait plus. Parce que les lettres – du moins certaines – s'allongeaient démesurément, qu'elles se farcissaient de dialogues s'étalant parfois sur plusieurs pages, les rendant tout à fait incrédibles. L'auteur, du reste, semblait désormais plus embarrassé qu'autre chose par ce genre particulier qu'il avait choisi et se mettait à commettre d'étranges maladresses ; comme par exemple de faire longuement raconter à son héroïne les circonstances de sa rencontre avec son ex-mari… dans une lettre adressée à son ex-mari. Bref, j'ai lu les cent dernières pages au triple galop, survolées plutôt que lues, et je pense que j'en resterai là avec M. Oz. Pour changer, j'ai lu les premiers chapitres de L'Histoire de la France de Jean-Christian Petitfils. Là, au moins, je connais déjà l'intrigue…



[…]



Dimanche 25

Onze heures. – Les petites bizarreries de la langue : Pourquoi, alors que s'en ficher et s'en foutre sont rigoureusement synonymes, un ficheur et un fouteur exercent-ils des activités si différentes ? (J'ai l'impression que le passage à l'heure d'été ne m'a que moyennement réussi…)

Deux heures. – Comme j'en faisais le projet il y a deux ou trois jours, je viens de commander deux livres de Marc Bloch, ses deux plus connus : Les Rois thaumaturges et bien entendu L'Étrange Défaite. Du coup, alors que le “mois Visa” n'est commencé que depuis cinq jours, mon budget culture est déjà bouclé. À partir de demain, on va commencer à sombrer dans le déficit systémique…

– Il y a quelque chose de curieux – et de gênant – dans l"histoire de France de Petitfils, que je lis depuis hier : d'un côté l'auteur s'exprime dans un français clair et même assez élégant ; mais d'un autre côté, il semble perméable à toutes les scies langagières de l'époque (non, pas toutes, évidemment) : “initier” (un événement), “impacter”, “au final”. J'attends avec impatience l'arrivée du redoutable “éponyme”, qui ne devrait  plus tarder…


Jeudi 29

Cinq heures. – Décidément, ce journal rétrécit de mois en mois ! Bientôt il réussira à être moins long que le résumé que Mildred a l'étrange habitude d'en faire chaque mois en commentaire, une fois qu'il est publié. Je pense que je le saborderai avant cette cruelle extrémité.

Mais y venir tous les jours pour y noter quoi ? […] Que j'ai commencé/poursuivi/terminé un livre de plus ? Que je suis allé promené le chien ? Que j'ai regardé deux épisodes de la série en cours à la télévision ? Franchement !

D'un autre côté, le fait qu'il subisse le même rétrécissement inexorable que l'existence quotidienne de son auteur pourra être perçu comme une preuve de sa fidélité. On va dire ça comme ça…

– Mais enfin, puisque j'ai fait l'effort de venir jusque-là… J'ai en effet ouvert un nouveau livre ce matin : Les Rois thaumaturges. Passionnant et aride. […] Et ce soir : Dexter, saison 6. J'essaierai de faire mieux demain…


Vendredi 30

Sept heures et demie. – J'ai abandonné mes Rois thaumaturges après une petite centaine de pages (sur quatre cents). Marc Bloch n'y est pour rien : son livre est probablement un genre de chef-d'œuvre, mais je crois que j'ai perdu le goût que j'ai toujours eu pour les livres d'histoire, même si je conserve (pour l'instant…) celui des biographies. Pourquoi donc consacrer une douzaine d'heures de ce qui reste de vie à la question de savoir depuis quand, pourquoi et comment les rois de France et d'Angleterre guérissaient les écrouelles ? Je ne me le serais pas demandé il y a encore dix ans. Mais, aujourd'hui, ça ne me semble vraiment plus valoir la peine. Reste à savoir si c'est un effet de sagesse ou celui d'un indubitable racornissement cérébral. Mais même ça, je m'en fous.


Samedi 31

Trois heures. – Au fond, arrivé à un certain âge, si on jette un coup d'œil par-dessus l'épaule, on s'aperçoit que la vie ressemble davantage à une production télévisuelle française qu'à une série américaine : même scénario plan-plan, même absence de rythme, même pauvreté des dialogues, même mise en scène à la fois primaire et prétentieuse, même inconsistance de la plupart des protagonistes ; et jusqu'au dénouement que tout le monde a évidemment prévu au moins trois épisodes avant qu'il ne survienne. D'un autre côté, je me demande s'il y a lieu de s'en plaindre. En tout cas, moi, j'aurais mauvaise grâce à le faire, tellement je me sens peu adapté à la série américaine : je serais ce genre de personnages qui se prend une balle dans le buffet dès le milieu du premier épisode ; et encore : par erreur ; une victime collatérale.

– Première tontine de l'année.

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