MONDE ADORÉ
Jeudi 1er
Sept heures dix.
– Mme Oates et moi nous sommes séparés tout à l'heure, plutôt
satisfaits l'un de l'autre, mais en sachant qu'il y avait peu de chances
que nous nous refréquentions un jour ; encore que, dans le domaine
romanesque, un retour de flammes est toujours possible. Normalement, je
devrais recevoir demain les deux livres commandés aujourd'hui : Intra Muros,
le journal tenu par Pierre-Antoine Cousteau durant sa captivité des
années post-1945, et un volume “Pochothèque” contenant sept ou huit
romans de Mauriac.
– Ma matinée s'est passée, dans sa
première partie au garage Volvo d'Évreux, Liselotte ayant exigé un petit
lifting de son pare-choc avant (opération qui a pris une heure et m'a
coûté 540 euros tout de même : la beauté est hors de prix, même pour les
voitures), et dans sa seconde au salon, à compulser la documentation
reçue hier sur la vitamine D. Car, je pense que je puis le dire, mon
nouveau travail, s'il se confirme, tournera autour de la santé, ou
plutôt de ses défaillances. J'ai deux articles à écrire sur ce même
sujet : un “sérieux”, à tonalité exclusivement médicale, de sept mille
signes ; un autre, deux fois plus long, rédigé de manière plus libre,
plus “punchy” ainsi qu'il m'a été comiquement spécifié. À cette
occasion, je puis constater, avec une certaine consternation teintée
d'amusement, que je suis resté exactement tel que j'étais à 25 ans,
c'est-à-dire que je me torture la cervelle depuis au moins trois ou
quatre jours avec ça, bien trop disposé à écouter la voix tonitruante
qui me clame que je ferais mieux de renoncer tout suite puisque tout le
monde sait bien que je vais me vautrer lamentablement, que je n'y
arriverai pas, etc. Mais, derrière celle-là, il y en a une autre qui
parvient à se faire entendre, sur le mode de l'ironie, et qui murmure à
peu près ceci : « Arrête un peu ton cinéma, tu veux ? Tu sais que, non
seulement tu vas très bien y arriver, mais qu'en plus tu n'en a jamais sérieusement douté
! » Ces deux babillardes font un tel raffut dans ma cervelle que je
n'aimerais vraiment pas y habiter. Enfin, je vais me débarrasser demain
du plus court des deux articles, et je suppose que ça ira déjà mieux
après (mais ce n'est pas garanti : les voix sont très rusées).
Vendredi 2
Sept heures vingt.
– L'impression d'être une machine à tomber les feuillets. Après être
allé faire quelques courses aux aurores, je me suis attelé – le moral
dans les chaussettes (peut-être dû à une carence en vitamine D – à
l'article de sept mille signes. J'en ai finalement alignés dix mille. Je
n'avais pas encore fini et m'octroyais une petite pause
“postprandiale”, comme dirait l'autre, que coup de fil de Florian, à FD ;
il était pour me demander six mille signes sur Francis Huster. Pensant
que je devais encore demain et peut-être après-demain m'appuyer quinze
mille signes sur la fucking vitamine (et dont je prévois qu'ils
vont probablement monter à vingt mille, vu comme je suis parti), j'ai
failli refuser l'obstacle ; mais je me suis dit que ce serait sans doute
d'assez mauvaise politique et, finalement, l'âne a pris le bât. Ayant
bouclé l'article “Vitamine 1” vers deux heures de l'après-midi, et
m'étant fait moi-même monter la pression dans le tube, j'ai enchaîné
directement sur le gars Huster et descendu mes six mille signes en à
peine plus d'une heure. Ensuite, j'ai enfin pu aller lire les premières
pages du livre de Pierre-Antoine Cousteau (le frère aîné de l'homme au
bonnet), reçu ce matin. Il s'appelle Intra muros, c'est le
journal qu'il a tenu durant ses années de captivité, entre 1946 et 1953 –
avec condamnation à mort en prime, prononcée par l'un des petits
Fouquier-Tinville grisâtres qui ont pullulé à la Libération, se montrant
d'autant plus empressés à envoyer des “collabos” au poteau qu'ils
avaient plus de choses à se faire pardonner par les commissaires
politiques gaullo-communistes qui tenaient alors le haut du pavé. Le
livre démarre très bien, mais je sens que ce n'est pas une lecture
propre à me faire rentrer en grâce auprès des cohortes progressistes et
vertueusement résistantes. Mais, comme dit Cousteau à propos d'une autre
engeance, s'ils courent aussi vite que je les emmerde…
J'ai
bien failli, après tout ça, m'accorder deux ou trois verres du chablis
que je tiens en réserve, et m'en suis finalement passé. Cela fera trois
semaines demain que cette modeste demeure n'a pas vu passer une goutte
d'alcool. Et ça ne manque à personne.
Samedi 3
Sept heures dix. –
Eh bien, voilà, je m'en suis débarrassé, de cette saloperie de vitamine
D, ce n'était pas la peine de se mettre la rate au court-bouillon comme
je l'ai fait pendant au moins trois jours. J'ai écrit 16 000 signes
entre neuf heures et demie et midi et demie, mais il est vrai que, pour
une moitié du texte, il s'agissait plutôt de rewriter l'article
d'hier que d'une véritable “création”. De plus, ce n'est pas tout d'en
avoir fini : encore faut-il que cela convienne à mes nouvelles
puissances tutélaires. Je suppose qu'on verra ça lundi ou mardi.
–
Du coup j'ai assez peu lu, quelques dizaines de pages du Cousteau. Il
faut dire que le nouveau magazine de télévision est arrivé au courrier
du jour, et qu'il fallait bien que quelqu'un se dévouât pour en remplir
la grille de mots croisés et les trois de sudoku… Mais je vais pouvoir
me rattraper demain, journée “blanche”, durant laquelle, puisque c'est
dimanche, il n'y a aucune risque pour que quelqu'un téléphone en me
demandant un article.
(Encart beauf dans ce
journal en principe hautement intellectuel : si les articles “santé” se
mettent à tomber régulièrement et à une cadence assez soutenue, comme il
semble en être question, je suis presque décidé, d'ici un an, à aller
chez Mme Volvo pour lui échanger Liselotte contre un modèle plus récent,
avec moteur à essence et boîte de vitesses automatique. Je pense que
Catherine n'aura rien contre…)
Mardi 6
Sept heures. – Il neigeait quand je me suis levé, ce matin vers six heures moins dix, et il n'a pas arrêté de la journée. Si bien que Catherine a pu assouvir son incompréhensible (pour moi) besoin de cette poudre collante, glissante et froide, ce qui va me permettre d'échapper à la perspective d'un séjour en une quelconque région de montagne, dont j'avais autant envie que de voir s'intensifier les flux migratoires ou François Hollande revenir aux affaires. Charlus, pour qui c'était une découverte, a paru aimer beaucoup cela : grand bien lui fasse.
– Depuis trois jours, entre six heures et neuf heures du matin approximativement, je lis un roman de Mauriac. Successivement : Le Baiser au lépreux, Génitrix et, ce matin, Le Désert de l'amour.
Pour le dernier cité, je dois dire que j'en ai parcouru le dernier
tiers au petit trot, tant je m'y ennuyais. Les deux autres ne sont pas
mal, évidemment, on discerne facilement toutes les qualités dont
l'auteur sait faire preuve ; mais Dieu que tout cela semble venir de
loin ! On a l'impression d'apercevoir une lumière, au fin fond d'une
forêt où personne n'a eu l'idée de s'aventurer depuis des siècles. Et,
si l'on pense à l'auteur, on le voit tout naturellement assis à sa
table, penché sur sa feuille et s'appliquant à tracer de belles lettres
bien calligraphiées. Et ses personnages semblent des fantômes, parfois
séduisants, fugitivement, mais tout de même exsangues. Je suppose que
les romans de Julien Green doivent produire le même genre d'effet : il
faudrait ressayer. Les trois livres de Mauriac que je viens de citer ne
sont pourtant pas si anciens : à peine cent ans. Ils ont l'âge des
derniers volumes de La Recherche. Mais autant la vie éclate dès
que l'on ouvre un volume de Proust, autant, là, on se retiendrait
presque de respirer tellement on a l'impression que choses et gens vont
s'envoler en poussière au moindre souffle de notre part. Je vais tout de
même en lire encore deux ou trois ces jours prochains.
Mercredi 7
Sept heures vingt.
– Appel téléphonique de mes éventuels futurs patrons (évidemment,
durant l'heure où j'étais absent, parti batifoler dans la neige avec
Catherine et Charlus) : globalement, ils trouvent mon essai d'article
excellent, à deux ou trois détails près, que j'arrangerai demain. Il ne
reste plus qu'un obstacle avant une collaboration suivie et effective :
on m'a prévenu que Laurence P. devait m'appeler demain ou après-demain,
“pour régler l'aspect financier”. En clair, cela veut dire qu'elle va
essayer de marchander, à partir des 600 €, somme que j'estime
correspondre au travail nécessité par chaque article. Le hic, c'est que
je n'ai aucunement l'intention, moi, de discuter d'argent : ce sera la
somme que j'ai dite ou on se quittera bons amis : je n'ai pas assez
besoin d'argent pour accepter qu'on me paie moins. D'autant que je sais
avoir fait mon estimation au plus juste.
– Quand on
prétend tenir un journal, on devrait toujours avoir un petit carnet à
portée de main pour y consigner les idées qui passent (quand il en passe
: ce n'est pas tous les jours). Ainsi, ce matin, tandis que je
finissais de lire Thérèse Desqueyroux (sans le moindre
enthousiasme), j'ai commencé à esquisser un parallèle entre Mauriac et
Simenon (tout à l'avantage du second), en me disant qu'il faudrait noter
tout cela dans le journal, le soir venu. Or, je soir est venu, nous y
sommes, et je n'ai plus que des lambeaux de souvenirs de mon
brillantissime développement. Et aucune envie de faire l'effort de le
retrouver. Le pire, dans tout cela, c'est que, ce matin, dans mon
fauteuil du salon, j'avais effectivement un petit carnet à portée de
main.
Jeudi 8
Quatre heures.
– En fait, je me demande si les différences qui existent entre Simenon
et Mauriac ne sont pas plus nombreuses que ce qu'ils ont en commun ; en
tout cas plus importantes, plus décisives. Ce qu'ils partagent,
c'est une certaine atmosphère confinée, étouffante, bruissante de
non-dits, de rêves mal enfouis, quelque chose comme ça. Et des
personnages dont les épaules ploient sous un fardeau qui, a priori,
reste invisible à ceux qui les côtoient, mais qui, soudain, va faire
dérailler le petit train-train morose et régulier de leur existence. Ce
qui les sépare, c'est peut-être avant tout que, dès les premiers
paragraphes de n'importe lequel de ses romans, Simenon s'efface
totalement : il est, par excellence, le romancier-qui-n'est-pas-là.
Alors que Mauriac reste sans cesse présent, interrompt les conversations
(qui, de ce fait, sonnent rarement juste), en donne le mode d'emploi,
fait des remarques à part comme au théâtre, nous explique ce
qu'il convient de comprendre, etc. Mauriac est, donc, par opposition à
Simenon, le romancier-qui-a-une-idée-derrière-la-tête et qui ne veut pas
qu'elle soit perdue. S'il est impossible de penser à Simenon quand on
le lit, on voit constamment Mauriac dans les siens ; sans cesse en
filigrane et parfois à l'avant-scène. On pourrait ajouter à cela que
Simenon couvre un très large éventail de lieux et de milieux – en quoi
il se rapproche de Balzac, mais c'est à peu près leur seul point commun –
alors que Mauriac ne sort que fort peu de la bourgeoisie terrienne de
l'Entre-deux-Mers. En outre, Simenon semble toujours écouter ses
personnages, pendant que Mauriac cède souvent à la tentation d'adresser
des prêches aux siens, ce qui a tendance à les faire rentrer dans leur
coquille et à nous les rendre moins présents. Quant au parallèle entre
Simenon et Balzac, véritable pont aux ânes littéraire, je me demande
comment il a pu naître et prospérer, tant il ne repose sur rien : autant
les personnages de Simenon, comme je viens de le dire, sont des êtres
pâles, à peine existants, écrasés par un destin qui les dépasse presque
toujours, autant ceux de Balzac débordent de vie, sont mus par des
passions dévorantes qui les poussent à sortir d'eux-mêmes et, donc,
souvent à basculer dans l'abîme, mais pas toujours (triomphe de Marsay,
de Rastignac, du père Grandet, et même de Vautrin). Et puis, tout de
même : si l'Histoire joue un rôle capital chez Balzac, elle est presque
toujours absente chez Simenon qui, de ce point de vue, se rapprocherait
donc plutôt de Mauriac. Il est tout de même amusant que la lecture
suivie de celui-ci ait eu pour effet de faire, dans mon esprit, encore
grandir celui-là. – Je crois que je vais aller pousser une pointe de
reconnaissance du côté de chez Green, puis relire trois ou quatre romans
du Belge. À moins que n'arrivent rapidement ici le Hongrois et
l'Israélien qui y sont attendus, Imre Kertesz et Aharon Appelfeld.
Vendredi 9
Deux heures. – Après avoir lu Le Nœud de vipères,
ce matin entre cinq et dix heures, je me vois tenu de réviser à la
hausse mon opinion au sujet de M. Mauriac romancier : son livre serait
excellent s'il n'était pas (plus ou moins) gâché par les dernières
pages, qui font un peu “mode d'emploi prêchi-prêcheur”. Mais, tel
qu'il est, il mérite d'être lu, je crois. La forme même du roman (la
confession par écrit d'un homme) m'a fait pensé à la Lettre à mon juge de
Simenon – que j'ai aussitôt extirpé de son rayonnage pour le rapporter
au salon et en commencer la relecture : Julien Green attendra. Quant au
Hongrois et à l'Israélien dont je parlais hier, je ne me sis même pas
donné la peine d'aller ouvrir la petite porte de la boîte aux lettres :
désormais, au premier flocon, les facteurs s'enferment résolument dans
leur bureau de poste et refusent énergiquement d'en sortir ; lettres et
colis attendront la fonte.
Dimanche 11
Sept heures vingt.
– Après avoir lu huit de ses romans d'affilée, j'ai finalement dit
adieu à François Mauriac ; un adieu probablement définitif, au moins en
ce qui concerne le romancier. Il a été remplacé par son successeur à
l'Académie française, Julien Green, dont je fus un ardent lecteur de son
journal, dans ma jeunesse, mais en qui le romancier ne m'inspirais
guère, même si, à l'époque, j'avais acheté deux volumes de ses romans en
Pléiade. J'ai décidé d'en lire trois ou quatre, pas plus, en les
couplant avec les pages de son journal correspondant aux années où il
écrit et publie les romans que je serai occupé à lire (ouf !). J'ai
assez logiquement commencé par son tout premier (1926), Mont-Cinère.
Pour l'instant, après 60 ou 70 pages, je ne peux pas dire que ce que je
découvre me fasse bondir d'enthousiasme dans mon fauteuil.
–
Petite satisfaction, hier, d'avoir, en moins d'une heure, remanié mon
article sur la vitamine D afin de lui donner une forme de News Letter
(bien obligé de m'exprimer comme tout le monde, en l'occurrence…),
ainsi qu'il m'était demandé. Auparavant, j'avais eu une discussion
téléphonique avec Laurence P., visiblement chargée par ses propres
patrons d'obtenir ma collaboration à plus vil prix que ce que je
demande, à savoir six cents euros par article, ce qui ne me semble
nullement excessif, si on tient compte du fait que chacun va me prendre
deux jours. J'ai eu l'impression, à un moment, d'être un petit
producteur paysan face au représentant commercial d'une chaîne
d'hypermarchés, qui réclame une baisse du prix unitaire de la laitue
sous prétexte qu'il va les acheter par mille. Là, Laurence m'a annoncé
qu'ils comptaient sur soixante-douze articles et que, donc, “ça
représente beaucoup d'argent”. Comme je sentais mon horreur de tout ce
qui peut ressembler à une négociation financière monter en moi, j'ai
coupé court en lui disant que je restais ferme sur le prix (600) mais
que je comprendrais fort bien qu'ils aillent s'adresser ailleurs si
vraiment cela leur semble trop cher. J'ai ajouté que je n'avais pas
assez besoin d'argent pour accepter d'en gagner moins, ce qui ressemble à
un paradoxe mais n'est que la pure vérité. Elle m'a assuré qu'elle reviendrait vers moi
d'ici une quinzaine de jours au plus. J'attends très sereinement ;
d'autant plus sereinement que je serai content dans tous les cas de
figure : si mon tarif est accepté, pour des raisons de simple cupidité ;
et dans le cas contraire parce que, au fond, je n'ai aucune envie
d'écrire ces soixante-douze News Letters.
Lundi 12
Dix heures du matin. – Je suis un lecteur de bonne volonté, mais j'ai mes limites. Je viens d'abandonner Mont-Cinère
à moins de quarante pages de la fin : je m'y suis tellement ennuyé que
je me fichais bien de savoir comment ce triste huis-clos allait se
terminer. On ne m'y reprendra pas de longtemps, à lire du Green, en tout
cas l'un de ses romans : Mauriac paraîtrait presque primesautier, par
comparaison. Coup de chance, on vient tout juste de m'apporter les
livres de Kertesz et d'Appenfeld commandés la semaine dernière, ainsi
que les deux minces volumes de Cousteau, consacrés l'un à Proust,
l'autre à Hugo.
Sept heures. – Je me suis fait,
au fil des années, une si piètre image de moi-même, que je dois être, en
réalité, beaucoup plus intelligent que je ne le crois.
– Commencé L'Amour soudain, roman d'Aharon Appelfeld : ça commence plutôt très bien.
Mardi 13
Sept heures dix. – Le roman d'Aharon Appelfeld, L'Amour soudain,
est tout à fait remarquable ; suffisamment en tout cas pour que j'en ai
immédiatement commandé deux autres du même auteur. Mais, comme je viens
déjà de lui consacrer une assez épaisse tartine sur le blog, je n'ai
guère envie d'y revenir ici. J'ai enchaîné avec Être sans destin, roman du Hongrois Imre Kertész : me voilà enjuivé et shoahisé jusqu'au cou, ce qui ne va pas plaire à M. Jazzman.
Mercredi 14
Sept heures vingt.
– Le roman de Kertész est vraiment étonnant, mais je préfère attendre
de l'avoir terminé (j'en suis aux deux tiers) pour tenter de parler ; ce
qui ne sera pas facile car il se distingue non par son sujet (un jeune
Juif hongrois de 15 ans est raflé, expédié à Auschwitz puis à
Buchenwald), ni par sa construction, strictement chronologique, mais
uniquement par son écriture, par cette mise à distance que… On a dit
qu'on n'en parlerait pas ce soir, bordel ! – Ah oui, c'est vrai…
–
Notre dîner de la Saint-Valentin : coquillettes au jambon. Délicieuse
régression, il ne nous manquait plus que les bavoir autour des cous. De
plus, alors que je m'étais mis une bouteille de pouilly fuissé au frais,
j'ai soudain, et de la manière la plus brutale, été privé de cet
apéritif : vers quatre heures, Catherine qui devait aller assister à la
messe de six heures, pour cause de mercredi cendreux, y a renoncé sur un
coup de flemme ; du coup s'est envolée, en plus de son salut, cette
heure que je comptais passer en tête à tête avec moi-même, soutenu par
le divin breuvage. J'ai l'air de pleurnicher, comme ça, mais en réalité,
cela ne m'a nullement manqué. Voilà d'ailleurs tout juste un mois que
je n'ai pas bu la moindre goutte (d'alcool, s'entend : sinon, le prodige
serait encore bien plus grand) ; c'était lorsque nous sommes revenus de
notre déjeuner chez ma sœur (voir le journal du mois dernier qui doit
bien y faire au moins allusion).
– Pour m'évader un peu
de Buchenwald, en fin d'après-midi, j'ai relu quelques dizaines de
pages du deuxième volume du journal de Muray – dont on aimerait bien que
les Belles Lettres se décidassent à nous donner le troisième,
d'ailleurs. Et que Gallimard fasse la même chose avec la correspondance
Morand – Chardonne.
Jeudi 15
Sept heures dix. –
Rien à noter, ayant passé l'essentiel de la journée dans mon fauteuil
avec Muray et son journal (volume II). Si, pourtant, ce matin, profitant
du beau temps, et du fait que le vent ne soufflait pas, ce qui devait
être une inadvertance de sa part, nous sommes allés faire une marche
dans la campagne, Catherine et moi, escortés par un Charlus bondissant.
Ce fut peut-être un tort de s'engager dans ce chemin en sous-bois que
nous n'avions encore jamais emprunté : ce cochon de chien (oui, je
sais…) y a très vite, avec cet instinct si sûr et cet odorat sans faille
qui caractérisent son espèce, y a tout de suite, disais-je, repéré une
grosse merde fraîche dans laquelle il est allé se rouler
voluptueusement, ainsi qu'il se doit. Catherine l'a repéré dans la
seconde, et néanmoins trop tard : au retour, le cochon de chien s'étant
fait putois, il a fallu le shampooiner dans le grand évier du sous-sol,
ce qu'il n'a que modérément apprécié mais c'était bien fait pour sa
truffe. Il n'empêche : c'est dans des moments comme celui-là qu'on se
félicite d'avoir renoncer aux bouviers bernois.
– Je
m'aperçois que j'ai totalement oublié de parler de FD et de mes futurs
rapports avec cette estimable publication : ce sera pour demain dans la
journée, quand j'aurai plus de temps devant moi, la chose demandant à
être traitée avec l'attention qu'elle mérite.
Samedi 17
Une heure et quart. – Intéressante et probablement judicieuse hypothèse formulée par Albert Thibaudet dans l'une de ses Réflexions sur la littérature. Il avance que si Robinson Crusoe
avait été un roman français, son auteur n'aurait pas pu s'empêcher de
faire de Vendredi une sauvagesse. D'où l'excellence des Anglais dans le
roman d'aventure, domaine qui ne fut jamais très favorable à nous
autres, car ils savaient, eux, qu'on ne peut mélanger amour et aventure
dans un même roman. On en voit d'ailleurs la preuve a contrario dans Les Trois Mousquetaires
: cette pauvre Constance Bonacieux ne parvient jamais à exister plus
qu'une épouse au foyer dans une série télé américaine, si incolore et
inodore que sa mort passe quasiment inaperçue, y compris de d'Artagnan,
censé être amoureux d'elle, qui expédie son épitaphe en trois phrases,
avant de retourner tout gaillard vider un pichet de vin de bourgogne
avec ses potes empanachés. Quant à Milady, elle existe ô combien,
certes, mais parce que c'est un démon, un diable. Et c'est tout le
malheur d'Athos d'avoir, un jour, pris ce succube pour une femme.
Lundi 19
Sept heures dix. –
J'ai commandé six ou sept livres d'écrivains juifs, principalement
israéliens, afin de rester dans la tonalité qui est la mienne depuis
quelques jours. En fait, quand je dis que les ai commandés, ce n'est pas
exact : je me suis contenté de les “mettre dans le panier” que met
gracieusement à ma disposition Mme Amazon, car ils ne pourront être
réellement achetés que demain. C'est à cause que le mois des cartes Visa
court du 20 au 19 ; je ne pouvais donc prendre le risque que cet achat
groupé me soit imputé sur cet exercice-ci, dans la mesure où j'ai déjà,
assez franchement, explosé mon “budget culture”. Si je vivais dans un
ménage socialiste, je pourrais avoir recours à la dette, ou amputer la
retraite de Catherine, rogner sur le budget croquettes des bestioles ;
mais comme nous sommes des libéraux dans l'âme, nous nous efforçons à
une certaine orthodoxie budgétaire. (Ce que je viens d'écrire est tout à
fait faux puisque le dit budget culture ayant été fixé par moi à cent
euros mensuels, il n'est pas d'exemple qu'il ne dépasse pas cette somme
du quart voire du tiers.)
– Comme j'étais, ce matin,
debout à quatre heures et demie, j'ai eu le temps de lire tout un roman
d'Appelfeld avant que Catherine n'émerge : sensation puérile mais
délicieuse de voler du temps au temps. Il est vrai que le roman en
question, Tsili, ne comptait que 150 pages en format de poche. Tout à l'heure, j'ai repris les Ombres sur l'Hudson,
d'Isaac Bashevis Singer, ce qui représente une autre paire de manches
puisqu'il en compte, lui, plus de neuf cents. Mais ce sera parfait pour
assurer la soudure avec la commande de demain.
Mardi 20
Midi et demie. – Revenons donc à ma longue histoire d'amour avec FD, qui est en train de s'acheminer vers la rupture à la vitesse de la marée dans la baie du mont Saint-Michel. Comme on s'en souvient peut-être, les dirigeants du groupe L. avaient décidé qu'il serait hors de question que les bénéficiaires du plan de départ volontaire puissent continuer à travailler pour eux. C'est pourquoi Philippe B. et moi avions mis sur pied la fiction – assez translucide, il faut bien le dire – de l'embauche soudaine de Catherine comme pigiste. Cela ne trompait personne, pas même les superpuissances tutélaires, mais l'important pour tout le monde était que les apparences fussent sauves.
Pour tout le monde, excepté pour Mme D. Mme D. fait partie depuis quelques décennies de la rédaction de FD, je la connais donc de longue date. Elle a toujours été d'une nullité professionnelle presque réjouissante, tant elle semblait mettre d'application à ne surtout jamais en sortir. (Tous ses articles, sans aucune exception, ont toujours dû être complètement récrits avant parution, et le rewriter sur qui tombait ce pensum pouvait chaque fois sentir une sueur glacée couler le long de son dos.) Sous des dehors placides, et même parfois affables, Mme D. était en outre une personne passablement aigrie et méchante. Son impéritie finit par se voir tellement que, vers la fin des années 90, la directrice de la rédaction de FD trouva enfin le moyen de s'en débarrasser (je ne sais plus si c'était pas un renvoi ou l'enfermement dans un placard dûment cadenassé), si qui était en soi un exploit, quand on sait qu'il est pratiquement impossible, en France de se débarrasser d'un employé nul, sauf si l'on parvient à le convaincre de l'une des tares fantaisistes à la mode : attouchements sexuels, racisme, consultation sur son ordinateur d'images à caractère pédophile, etc. Donc, nous allions être débarrassé de Mme D., ce qui ne fit sangloter personne.
Elle trouva la parade, en se faisant in extremis élire comme déléguée syndicale. À l'instant même elle devenait invirable, et elle est toujours là, bien qu'ayant allègrement atteint l'âge de la retraire. Comme quoi les vieilles rosses ne détellent jamais. En tant que déléguée, elle fut à la hauteur de ce que tout le monde attendait plus ou moins d'elle, se démonétisant avec une rapidité digne d'éloges, tant auprès des salariés que de la direction, et même de ses camarades syndicalistes, y compris ceux qui croupissaient dans la même centrale qu'elle. Mais, si personne ne la prenait au sérieux, elle gardait tout de même en réserve son pouvoir de nuisance, dont elle se servait à l'occasion.
Je fus donc, récemment, cette occasion. Mme D., qui bien que peu intelligente avait tout de même compris qui se cachait derrière Catherine Goux, décida d'avoir ma peau (elle s'en vanta même). Elle utilisa sa méthode habituelle : les lettres de dénonciation, adressées à qui de droit : direction, inspection du travail, etc. Tout cela sous le couvert de la plus irréprochable vertu syndicale, bien entendu : j'étais l'ignoble retraité qui, pour continuer à pouvoir payer ses orgies sardanapalesques, privait de son emploi un jeune et désespéré jeune journaliste au chômage.
Il y a quelques jours, j'ai donc reçu un coup de téléphone de Philippe B., m'informant qu'il venait d'être convoqué à la direction, où, très gentiment, on lui avait fait comprendre qu'on savait fort bien que j'émargeais, par épouse interposée, aux finances de FD, mais que, vu le foin déclenché par Mme D., on était obligé d'exiger de lui qu'il se séparât de moi, dans un délai d'environ trois mois. Nous supposâmes, Philippe et moi que, ce délai épuisé, nous serions presque au début de l'été et qu'il serait sans doute possible de jouer les prolongations jusqu'à l'automne, compte tenu du dégarnissement problématique de la rédaction en juillet et surtout en août.
Donc, pour l'instant, je continue à travailler pour FD (ou au moins pour ses hors-série), mais me voilà devenu dangereusement sursitaire.
Mercredi 21
Dix heures du matin.
– Depuis trois jours, mon réveil sonne une heure plus tôt que ces
derniers mois : Cinq heures moins dix au lieu de six heures moins dix.
Il y a déjà un petit moment que j'avais pris conscience du plaisir que
je prenais à ces deux heures volées à la nuit, heures de calme total
(personne, pas même Catherine n'est réveillé au Plessis-Hébert),
uniquement ponctué par les grognements sporadiques de Charlus jouant
avec Cosmos ou Golo. Mais, bien sûr, au fl des semaines, elles
subissaient le sort de la peau de chagrin de Balzac, le soleil se levant
de plus en plus tôt, ce con. D'où l'idée “lumineuse” : pourquoi ne pas
avancer le réveil d'une heure ? L'opération était facilitée par le fait
que nous nous couchons de plus en plus tôt (nous en sommes à neuf heures
et demie…) : me levant à cinq heures, j'avais encore mon compte de
sommeil. Et ce n'était pas Charlus qui allait se plaindre de voir
arriver en avance ses croquettes du matin : manger en pleine nuit ou
presque n'a jamais perturbé aucun chien, à ma connaissance. Évidemment,
mes petites ruses n'auront qu'un temps : je me vois assez mal, en juin
ou juillet, décréter le réveil à trois heures du matin, sous prétexte
qu'il fera jour à cinq. Mais l'été, comme toute chose désagréable,
n'aura qu'un temps.
– Je poursuis ma lecture du gros roman de Singer : j'approche de la moitié.
Vendredi 23
Sept heures dix. – Mon nouveau travail pour le groupe Mondadori (illico rebaptisé par mes soins Monde adoré)
semble assuré. D'une part parce que mes bien aimés nouveaux chefs, à la
suite de mon “ballon d'essai” de début de mois, viennent de m'envoyer
trois nouveaux articles à écrire ; et que, d'autre part, Laurence P. a
fait accepter au Grand Argentier de ce royaume le tarif demandé par moi,
à savoir six cents euros par article (il est prévu que j'en fasse
soixante-douze !). Du coup, je contemple d'un œil tout à fait serein les
difficultés qui s'amoncellent du côté de FD.
– Fini hier le gros roman de Singer. Lu ce matin À la fleur de l'âge,
court roman ou grosse nouvelle de Samuel Joseph Agnon, Nobel israélien
(lecture qui ne m'a pas bouleversé, je dois dire). Et j'ai commencé cet
après-midi un nouveau pavé de 850 pages : Une histoire d'amour et de ténèbres,
d'Amos Oz, Israélien pas encore nobélisé, lui ; roman dont l'une des
figures se trouve être ce même Agnon que je venais tout juste de
quitter.
Samedi 24
Onze heures.
– Au fond, les antisémites n'ont pas vraiment changé avec le temps ;
ils se sont contentés de renverser ce qu'ils disaient avant, comme une
image le fait dans le miroir. Ceux des années trente, très souvent de
droite, braillaient : « Youpins, retournez en Palestine ! » ; ceux
d'aujourd'hui, très souvent de gauche, s'égosillent : « Sionistes,
dégagez de Palestine ! » À force d'exiger des Juifs qu'ils soient
toujours ailleurs de l'endroit où ils sont, on devine que leur idéal
commun, à ces fantômes du passé et à nos bien vivants progressistes,
serait que, ici ou là-bas, ils ne soient pas.
Sept heures vingt.
– Passé l'essentiel de la journée avec Amos Oz, le livre dont je
parlais hier, qui est une sorte de “roman autobiographique”, si l'on me
permet d'accoler ces deux mots, tout à fait remarquable dans son
ensemble et un peu ennuyeux par endroits ; mais l'ennui faisant partie
de la vie… J'ai aussi transformé illico en billet de blog les six ou
sept lignes écrites ici ce matin ; histoire d'occuper le terrain et de
faire croire à mes commentateurs fidèles que le dit blog est toujours
vivant. Enfin, j'ai ouvert l'épaisse enveloppe arrivée ce matin du Monde
adoré ; je ne suis tout de même pas allé jusqu'à prendre connaissance
de la documentation qu'elle contenait : il sera bien temps de s'y mettre
demain (Procrastin 1er est de retour…). Ah oui : j'ai aussi préparé les
Inscriptions dominicales de demain, pour le plus grand déplaisir de la
plupart de mes distingués lecteurs, auprès de qui ce pauvre Scutenaire
ne fait guère recette – mais je m'en fous : « C'est moi qui commande, je
suis votre chef ! », ainsi que dirait le petit Emmanuel, notre
bien-aimé syndic de faillite.
Dimanche 25
Sept heures dix. –
J'ai terminé les 850 pages du livre d'Oz peu de temps avant de passer à
table, ce soir. Auparavant, j'en avais tiré un billet de blog,
programmé pour demain matin, que j'ai modestement intitulé De la vie après la mort et de l'immortalité de l'âme
: on n'hésite plus à balancer du lourd. Je ne sais pas encore quel
écrivain juif va tomber entre mes griffes après celui-là : on verra ça
vers cinq heures demain matin. Pour ce qui est du roman qui vient de
s'achever, il est d'une construction remarquable, tout en retours,
redites, hésitations, brusques échappées en avant par rapport au temps
du récit, qui va en gros de 1940 (Oz a un an) au suicide de la mère, le 5
janvier 1952, lequel n'est raconté que dans les toutes dernières
lignes, mais après avoir été approché, puis fui, de nombreuses fois tout
au long des trente et quelques chapitres. Il n'y a qu'un seul “trou
d'air” véritable – et encore : peut-être seulement pour moi – ; il est
constitué par les pages consacrées aux années 1947-48, durant lesquelles
l'histoire prend le pas sur la chronique. Je devrais peut-être plutôt
dire la politique que l'histoire, mais j'ai l'impression que, dans le
cas d'Israël, les deux ne peuvent pas encore être vraiment dissociées.
Mais cela ne représente guère qu'une cinquantaine de pages sur
l'ensemble. Je crois que, demain, pour “faire contraste”, je vais
commencer le plus court des romans en attente : on ne peut quand même
pas passer ses journées à avaler des pavés.
De toute
façon, mon temps de lecture sera relativement bref, dans la mesure où
j'ai quinze mille signes à écrire et que je me suis promis à moi-même
qu'ils le seraient demain ; mais l est vrai que je suis très facilement
parjure.
Lundi 26
Sept heures vingt.
– Eh bien voilà : des quinze mille signes que je m'étais promis
d'écrire aujourd'hui, je n'ai pas jeté le premier sur l'écran ; même si
j'ai eu la navrante puérilité de faire croire à Catherine que j'avais
rédigé le demi-feuillet d'introduction. D'un autre côté, c'est un peu de
sa faute : lorsqu'elle m'a annoncé, ce matin, qu'elle comptait regarder
un film cet après-midi, à la télévision, je me suis aussitôt dit que je
profiterais de ces deux heures pour, de mon côté, aller me livrer dans
la Case à mes activités rémunératrices ; et que, donc, je pouvais
consacrer ma matinée tout entière à la lecture du roman de Chaïm Potok
commencé ce matin au saut du lit. Or, il faut bien que j'admette
l'évidence : je ne suis plus capable de travailler l'après-midi. Enfin,
petite correction : je suis à la rigueur en mesure de finir un article commencé le matin, mais en aucun cas d'en entreprendre un, surtout s'il doit être aussi long que celui-là. Conclusion : tout est à recommencer demain matin.
Mardi 27
Sept heures vingt. –
Pari à demi gagné : je me suis bien mis au travail à dix heures et
demie, comme j'en avais l'intention ; mais, à une heure, quand j'ai
décidé que ça suffisait comme ça, j'avais à peine huit mille signes
écrits sur les quinze mille demandés. Il faudra donc que je consacre
encore ma matinée de demain à ce nouveau boulot, qui s'avère plus
compliqué à faire que mes articles pour FD, et donc plus lents. Et
également nettement plus “prise de tête”.
Heureusement,
pendant que je ramais sur mes feuillets virtuels, j'ai reçu un bel
encouragement : allant faire un tour sur le site de ma banque pour y
consulter nos comptes, je me suis aperçu que le Grand Argentier du Monde
adoré, sans que j'aie rien à lui demander, m'avait gentiment viré les
674,08 euros correspondant à mes deux premiers articles, ceux dont je
pensais – au moins l'un des deux – qu'ils m'étaient donnés à titre de
simple essai, ou de test. J'en étais presque inquiet : je n'ai pas été
habitué aux gens qui paient aussi facilement.
– Je ne sais si c'est à cause de ce paiement presque inopiné mais, pris d'une inspiration soudain, j'ai soudain rédigé un himmel à l'intention de Philippe B. pour lui dire que, vu la situation assez pénible dans laquelle je me trouvais vis-à-vis de FD, je préférais mettre fin dès aujourd'hui à ma collaboration. Il m'a répondu presque aussitôt qu'il allait me regretter beaucoup (?), mais qu'il comprenait très bien ma position. Position qui, on l'aura compris, consiste à croquer une pastille de cyanure pour éviter la guillotine.
– Je ne sais si c'est à cause de ce paiement presque inopiné mais, pris d'une inspiration soudain, j'ai soudain rédigé un himmel à l'intention de Philippe B. pour lui dire que, vu la situation assez pénible dans laquelle je me trouvais vis-à-vis de FD, je préférais mettre fin dès aujourd'hui à ma collaboration. Il m'a répondu presque aussitôt qu'il allait me regretter beaucoup (?), mais qu'il comprenait très bien ma position. Position qui, on l'aura compris, consiste à croquer une pastille de cyanure pour éviter la guillotine.
Mercredi 28
Sept heures dix.
– Eh bien, j'en suis tout de même venu à bout, de cet article pour le
Monde adoré ! Ce qui, somme toute, est une façon plutôt satisfaisante de
finir le mois. Naturellement, là où on attendait quinze mille signes,
j'en ai aligné près de vingt mille, mais enfin, ça, c'est en quelque
sorte ma signature. Ce qui m'empêche de me réjouir tout à fait, c'est
que j'en ai deux autres du même acabit qui n'attendent que mon bon
vouloir. Et que, ensuite, si tout se passe comme prévu, ils seront
exactement soixante-huit à venir réclamer que je les écrive. Je me rends
compte à l'instant que, si je ponds vingt mille signes à chaque fois,
j'aurai, à la fin de l'aventure, écrit environ cent quarante mille
signes, soit la moitié d'un Brigade mondaine (qui reste mon critère de longueur : on ne se refait jamais totalement). Et cela va me prendre environ un an, quand un demi-BM
était écrit en trois jours. D'un autre côté, un demi-BM représentait
environ 4200 euros, alors que ces cent quarante mille signes-là vont
(devraient…) m'en rapporter pas loin de 35 000 : il est donc
parfaitement moral qu'ils soient beaucoup plus longs et pénibles à
écrire. Par conséquent, je
Non, mais, alors là, n'importe quoi, mon pauvre ami ! Vingt mille que multiplient soixante-douze, cela fait cent quarante mille chez toi ? Non : un million quatre cent mille signes ! Du coup, voilà un travail nettement moins bien payé que la BM,
et mes histoires de morale et de pénibilité tombent à l'eau. En outre,
ce million et demi de signes à écrire me colle un de ces vertiges, tout
soudain…
Je crois qu'on va en rester là jusqu'au mois prochain, tiens.
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