QUITTER BALZAC
Lundi 1er janvier
Sept heures vingt. – J'ai terminé l'année dernière avec Balzac, j'ai commencé celle-ci avec Balzac : c'est ce qui s'appelle un franchissement sans à-coup (orthographe incertaine…). Je suis simplement, aux environs de six heures et demie du matin, passé d'Eugénie Grandet aux Paysans. En me levant, trois quarts d'heure plus tôt, j'ai eu une pensée consternée pour les lointaines années où, à cette même heure, je n'étais même pas encore couché, après avoir passé une nuit déprimante – déprimante surtout avec le recul du temps, d'ailleurs. En revanche, j'étais ravi de m'être, hier, couché à dix heures du soir, et d'être conséquemment en pleine forme à six heures du matin, avec l'impression d'être le seul humain vivant dans tout Le Plessis, plongé dans un silence qui paraissait ne jamais devoir finir. Mais, bien entendu, comme toutes les choses précieuses il a fini.
Mardi 2 janvier
Sept heures et demie. – Passé l'essentiel de la journée avec Honoré. Les Paysans
est vraiment un extraordinaire roman : la prolifération des
personnages, le grouillement de la vie, l'enchevêtrement des intrigues
des uns et des autres au gré de leurs intérêts, tantôt divergents, puis
convergents, avant de s'opposer à nouveau, la description précise des
combines et des montages financiers, les luttes d'influence, les
alliances, économiques, matrimoniales ou autres ; tout cela forme un
ensemble proprement hallucinant, d'où se dégage finalement, avec une
acuité inégalée je crois, le tableau de la chute inexorable non
seulement de l'aristocratie mais aussi de la grande bourgeoisie foncière
qui pensait se substituer à elle. Un maître livre, comme auraient dit mes confrères du XIXe siècle.
–
Appelé ma mère, qui a eu 85 ans ce jour. Sur un signe de Catherine, je
me suis abstenu de parler de notre déjeuner chez Isabelle et Olivier, le
11 ou le 12, j'ai oublié, puisqu'il semble que ce soit une surprise
pour elle. Normalement, Blurb m'a averti que je devrais recevoir mes
cinq exemplaires de Retour au camp de base demain. Je n'arriverai donc pas les mains vides à Ermenouville.
Mercredi 3 janvier
Sept heures et quart. – Comme ils étaient acheminés par UPS – maison sérieuse – et non par la Poste – pétaudière tiers-mondiale –, mes exemplaires de Retour au camp de base
sont arrivés comme prévu et annoncé, aujourd'hui en milieu
d'après-midi. J'ai très rapidement feuilleté le volume, qui ne semble
pas comporter de bévues majeures. Ce qui m'ennuie le plus est que, dans
le nouveau logiciel Blurb, ni Catherine ni moi n'avons trouvé comment
écrire quelque chose sur le dos du livre, alors que cela se faisait très
facilement avant. On tâchera de faire mieux pour le journal 2017, dont
je pense qu'il va s'appeler Bergotte et Charlus, et qu'il sera dédié à la mémoire de Balbec. Un journal 100 % canin, donc.
– Pas tout à fait fini Les Paysans
– mais c'est un roman assez volumineux et qui demande à être lu avec
attention, si on ne veut pas se perdre rapidement au milieu de tous les
personnages, et surtout de leurs encore plus nombreux liens, de parenté
ou autres. Quoi qu'il en soit, j'ai décidé d'en finir avec Balzac dès
que ce livre-là sera terminé. Je ferai alors un bond par-dessus
l'Atlantique nord, pour aborder soit John Updike, soit Joyce Carol
Oates, jamais lus ni l'un ni l'autre. À moins que le livre de Pierre
Manent sur Tocqueville ne me soit livré demain matin, auquel cas il
constituerait un excellent “sas de décompression” non romanesque.
Jeudi 4 janvier
Sept heures vingt. –
Comme je le disais dans le court billet que j'ai mis ce matin sur le
blog, succéder à Balzac n'est pas chose facile. Dans un premier temps,
c'est John Updike qui s'y est cassé les dents. Et, là, après environ 150
pages lues, c'est le Nous étions les Mulvaney de Joyce Carol
Oates qui va passer à la trappe ; ou tout au moins au purgatoire (avec
Updike) : je tâcherai d'y revenir lorsque se sera dissipé cet “effet
Balzac” qui les fait tous – les romanciers – paraître si pâles. Je vais
créer une sorte de sas de décompression grâce à Pierre Manent, dont j'ai
reçu deux livres ce matin : un essai sur Tocqueville et une histoire
culturelle du libéralisme. Voilà qui devrait me remettre d'aplomb.
–
J'ai fini de relire le journal de 2017 et j'ai même, “dans la foulée”,
créé le livre Blurb chargé de le matérialiser, livre pour l'instant
virtuel dans lequel j'ai enfourné les six premiers mois de l'année, ce
qui représente un peu plus de deux cents pages (mais je pense que j'ai
moins écrit durant les six derniers mois). Il va s'intituler Bergotte et Charlus,
et sera donc tout naturellement et très logiquement dédié à la mémoire
de Balbec : on n'est pas plus gâteux et satisfait de l'être. (Gâteux, je
m'en aperçois à l'instant, au point de répéter presque mot à mot ce que
j'ai déjà noté hier…)
Vendredi 5 janvier
Sept heures dix.
– Il n' y a, finalement, que deux sortes d'athées : ceux qui, à mon
instar, vivent leur absence de foi comme un manque, et les autres, les
militants, qui s'en targuent comme d'une conquête, la brandissent comme
une supériorité. Nous sommes au fond comme des unijambistes : certains
reconnaissent avoir perdu une jambe, et s'efforcent de faire sans, cependant que les autres clament leur fierté de s'être débarrassé d'une jambe.
–
Après ma double expérience américaine peu heureuse (Updike et Oates),
et bien qu'ayant passé ma journée à lire le petit livre de Manent sur Tocqueville et la nature de la démocratie,
j'ai bien dû m'avouer vaincu et reconnaître qu'Honoré était plus fort
que moi : discrètement, presque piteusement, je suis venu ici extraire
de son rayonnage le troisième volume de la Comédie humaine ; puis,
retour au salon, je me suis plongé dans la lecture d'Albert Savarus.
Samedi 6 janvier
Quatre heures.Re – Journée passablement narcissique, dans la mesure où j'en ai passé la plus grande partie à relire Retour au camp de base.
Narcissique et stupide, donc, puisque les textes qui composent le
volume avaient déjà été abondamment relus et amendés au moment de la
confection blurboïde. Mais n'importe quel pseudo-écrivain vous le
confirmera : quand c'est imprimé, c'est pas pareil. Je suis assez
content de n'y avoir relevé que très peu de fautes, et une seule grosse
bévue (deux textes qui s'enchaînent au lieu que le second passe à la
page suivante). En revanche, il y a une bizarrerie : dans au moins les
trois quarts des textes, le corps du dernier paragraphe est plus petit
(je pense qu'il passe de 13 à 12), et je ne comprends pas pourquoi. D'un
autre côté, comme personne ne lira ce livre, que ma mère et Catherine,
ce n'est guère gênant. Mais tout de même…
– Je ne me suis pas occupé entièrement que de moi-même, puisque, après Albert Savarus (roman qui ne m'a pas enthousiasmé, bizarrement construit ; un Balzac de moyenne cuvée), j'ai lu quelques dizaines de page d'Une double famille. J'y retourne d'ailleurs de ce pas.
Dimanche 7 janvier
Une heure.
– C'est une chose curieuse, que ces blocages que l'on peut faire sur
certains livres. Dans mon cas, il s'agit toujours de romans ; et pas de
ceux qui m'arrivent vierges de toute réputation ou presque : ceux-là,
s'ils me rebutent, je les abandonne sans le moindre regret après
quelques dizaines de pages, parfois un peu davantage, et en général n'y
reviens plus. Non, je parle de ces ouvrages qui s'avancent tout auréolés
d'une réputation plus que flatteuse, de ces œuvres consacrées par les
siècles, etc. Quand l'un d'eux me repousse, se ferme, j'ai tendance, je
crois, à prendre cette fin de non-recevoir comme un affront ; ou une
provocation teintée d'ironie plutôt condescendante (« Allons, ne fais
pas cette tête-là : tu auras peut-être plus de chance avec moi la
prochaine fois, qui sait ? »). De fait, en général, je m'obstine. Et
c'est pour m'apercevoir que ce que j'ai nommé “blocage” se comporte en
fait plutôt comme un barrage hydraulique. Durant des années je patauge
du côté du réservoir ; trois, quatre, cinq fois, je reviens buter contre
le mur de béton convexe sans parvenir à trouver le sas qui me
permettrait, l'empruntant, d'aller ensuite descendre sans effort le
tranquille cours d'eau qui s'enfuit derrière.
Et puis,
un jour, “ça passe”. Parfois avec difficultés et sans grand agrément.
Ainsi, il y a cinq ou six ans, peut-être dix, je suis enfin venu à bout
de Sous le volcan de Malcolm Lowry ; mais ce fut sans plaisir,
par le seul jeu de la volonté, en me demandant jusqu'à la dernière page
ce que je foutais là. D'autres fois, c'est nettement plus gratifiant.
Ainsi de l'Ulysse de Joyce, abordé sept fois et six fois
abandonné avant la centième page. La septième tentative fut la bonne et
j'y pris un réel plaisir. Mais il faut dire que, peu avant, durant
l'escale qu'il fit chez nous à son retour du Québec, Ygor Yanka, par sa
persuasion enthousiaste, m'avait habilement ouvert deux ou trois vannes
de ce barrage-là, ce qui m'a évidemment facilité la nage.
Dans
certains cas, la chose est si nette et si soudaine que j'ai plutôt
l'impression que, sans que j'y aie auparavant repéré la moindre faille,
c'est le barrage tout entier qui cède d'un coup. C'est ce qui est en
train de se produire avec Moby Dick, que je tente vainement de
lire depuis trente ou quarante an (je n'essaie pas tous les matins,
évidemment…), sans jamais être parvenu à dépasser la première
cinquantaine de pages. Je ne saurais même pas dire pourquoi j'ai repiqué au truc
avant-hier en fin de journée, au sortir de Balzac. Eh bien, non
seulement, des sept cents et quelques pages du roman je m'apprête à
franchir le cap de Bonne-Espérance (le passage du premier au second
tome), mais je me demande comment j'ai pu être arrêté par ce livre
durant autant d'années. Du coup, tout fiérot de cette victoire, j'ai
ressorti de son étagère le Nostromo de Conrad (barrage
particulièrement solide aussi) ; et, si l'état de grâce se prolonge avec
lui, j'enchaînerai avec Faulkner, dont les romans, jusqu'à présent, ne
m'ont jamais été qu'un archipel de barrages, si je puis dire. Si tout se
passe bien, je devrais finir par mourir en haute mer.
–
À part ça, j'ai terminé de finaliser (oui, et alors ? À tant faire que
de jargonner, autant y aller à fond, non ?), de finaliser, disais-je,
mon journal 2017, dont j'ai commandé trois exemplaires et que je ne
mettrai pas en vente. Du reste, je crois que je vais supprimer tous les
livres de la colonne de gauche du blog : ça ne rime à rien, cette espèce
de devanture d'épicier, quand personne n'a seulement l'idée de pousser
la porte de l'échoppe.
Lundi 8 janvier
Quatre heures. – On dirait que je me suis, hier, un peu trop pressé pour cocoriquer que j'avais enfin vaincu Moby Dick
: ce matin, entre six et sept, après en avoir terminé avec les 370
pages du premier volume, j'ai abandonné cette maudite baleine à son
sort. Je crois que, décidément, les histoires de marins m'emmerdent,
même quand elles sont prétexte à autre chose, comme c'est évidemment le
cas ici. J'ai aussitôt commencé Nostromo. À l'issue de la
première partie (110 pages), je pense être en mesure de continuer encore
un peu (on notera la prudence…). Pendant ce temps, notre nouvelle femme
de ménage (ne devrait-on pas dire plutôt : une personne de
ménage, afin de ne stigmatiser… personne ?) est en train d'essuyer les
plâtres, si je puis dire. Espérons qu'elle sera moins pénible que la
précédente.
– Demain, petit aller-retour express à
Neuilly ; il s'agit de véhiculer Catherine chez son glandologue attitré,
puis de la ramener à bon port.
Mercredi 10 janvier
Sept heures vingt. –
Aller-retour à Levallois hier, comme annoncé avant-hier ; ce fut pour
apprendre de la bouche d'or de l'endocrinologue que la thyroïde de
Catherine était venue à résipiscence et fonctionnait de nouveau tout à
fait normalement ; donc, arrêt du traitement… jusqu'à la prochaine
éventuelle récidive. Pendant ce temps, Charlus nous a gratifié, à tout
juste quatre mois et demi, de sa toute première maladie (la seconde si
l'on considère que la vie elle-même en est une) : une superbe gastro qui
l'a incité, durant près de quarante-huit heures, à vomir tout ce qu'il
mangeait et à répandre quelques flaques de diarrhée sur les parquets que
la nouvelle femme de ménage venait tout juste de remettre à neuf.
Visite chez le vétérinaire, piqûre, cachets et, le moins drôle pour la
malheureuse bête, diète presque complète tout aujourd'hui et repas
encore très réduits demain. Mais, ce jour, aucun vomissement ni diarrhée
n'a été à déplorer. J'ai tout de même vécu plus de 24 heures dans la
hantise d'une mort subite, à me mettre la rate au court-bouillon avec
des questions sans réponses, du genre : que ferons-nous s'il meurt ?
Reprendre tout de suite un nouveau chiot ? Jeter l'éponge ? Etc.
Évidemment, de son côté, Catherine était en proie aux mêmes
interrogations métaphysiques. Sa conclusion fut sans appel : « En tout
cas, si le pioupiou meurt et qu'on en reprend un autre, pas question de
l'appeler Charlus ! » J'étais arrivé à la même : on a beau ne pas être
superstitieux, il y a tout de même des limites.
– J'ai finalement abandonné Nostromo
peu après la deux-centième page, pour cause de vague ennui de
l'histoire qui m'était racontée. Je me demande si je ne serais pas,
déjà, en pleine sénescence. Pour me remettre, j'ai lu d'une traite Les Braises,
roman relativement court d'un écrivain hongrois que je ne connaissais
que de nom : Sándor Márai (et, à cause de ce Magyar, me voilà obligé de
réactiver mon clavier espagnol !).
Samedi 13 janvier
Huit heures.
– Nous avons passé la journée chez ma sœur et Olivier, ainsi, bien
entendu qu'avec ma mère, qui vit à côté. Quand je dis la journée : nous
sommes arrivés là-bas peu après onze heures et demie, et à quatre heures
nous en repartions, pour l'excellente raison que je supporte de moins
en moins bien la conduite de nuit ; à quoi il faut bien sûr ajouter les
trois heures de voiture pour aller et revenir. Le résultat est que, en
arrivant à la maison, vers cinq heures et demie, j'étais proprement
lessivé, exactement comme si j'avais conduit durant mille kilomètres,
après avoir dormi trois ou quatre heures suite à une bringue
d'anthologie ; et tout cela sans rien boire d'autre que les deux verres
de vin blanc qu'Olivier m'a servis à l'apéritif. Mais il se passe que
les conversations m'assomment de plus en plus (au sens propre : elles me
font le même effet qu'un coup de gourdin derrière la nuque, ou à peu
près). Pourtant, là, on ne peut pas dire que j'ai eu à supporter un
brouhaha infernal : Olivier a toujours été un taiseux, je parle moi-même
de moins en moins ; quant à ma mère, qui a été une grande causeuse,
elle ne dit quasiment plus rien, on ne sait même pas si elle écoute
encore ce qui se dit (il faudra bien entendu supprimer cette phrase dans
la version “papier” de ce journal, que je lui apporterai dans un ans,
tout comme aujourd'hui je lui ai donné celui de 2017…) . Donc, les
conversations en questions se ramenaient à un dialogue, souvent drôle
d'ailleurs, entre Isabelle et Catherine : pas de quoi en ressortir
lessivé ; et pourtant, lessivé je suis bel et bien.
Moment
drôle toutefois : celui que Charlus et Jasmine, la levrette d'Isabelle
et Olivier, ont passé – après avoir surmonté les préventions initiales
de la femelle locale – à se courir après dans le jardin. Voir ce gros
pataud de Charlus tenter de rattraper à la course un lévrier, lequel
saute un muret d'un mètre comme s'il s'agissait d'une marche d'escalier,
valait à à soi seul le déplacement.
(Je vais
m'interrompre maintenant. Si je continuais à écrire, comme j'en ai plus
ou moins envie, c'est de ma mère que je parlerais ; ou plutôt de moi en
face d'elle, maintenant à chaque fois, en face de cette femme qui ne
parle plus, ou plus guère, dont je dois faire des efforts de plus en
plus grands pour la relier à celle qu'elle fut. Il faudrait que je
creuse, pour faire venir des mots et des phrases dont je ne dois pas
avoir très envie qu'ils apparaissent. Lâcheté peut-être.)
Lundi 15 janvier
Sept heures vingt. –
La semaine dernière, je l'ai peut-être noté ici, j'ai abandonné un
roman de Joyce Carol Oates – c'était mon premier d'elle – après une
centaine de pages, peut-être un peu plus ; il s'intitulait Nous étions les Mulvaney.
Comme, à la suite de je ne sais quelle pulsion imbécile j'avais acheté
trois romans d'elle d'un seul coup, je me suis dit que si je ne voulais
pas me sentir trop con, il fallait au moins que je tente ma chance avec
l'un des deux restants. Bonne pioche, cette fois : j'ai avalé d"un coup,
non ma soupe aux vermicelles comme l'oncle de Boris Vian, mais les 550
pages de ce livre qui s'appelle Les Chutes et qui, comme son
titre ne l'indique pas forcément, se passe à Niagara Falls. Titre non
mensonger d'ailleurs, car les chutes en question sont omniprésentes et
jouent un grand rôle dans l'histoire qui est contée ; sans même parler
du sens métaphorique du mot, qui est lui aussi fort sollicité. Du coup,
j'ai enchaîné directement avec le troisième, Blonde, qui est une assez étonnante vie imaginaire de Marilyn (oui, Monroe, évidemment
! Il y en a d'autres, des Marilyn ?), une sorte d'existence rêvée mais
tout de même basée sur la biographie de la vraie, et qui se déploie sur
plus de mille pages. Là encore, un livre étonnant, peut-être moins
prenant que Les Chutes, mais je n'en ai lu que deux cents pages, soit à peine le cinquième…
–
Je ne sais pas ce qui se passe depuis que j'ai abandonné, voilà
quelques jours, mon vieux clavier Mac pour celui sans fil que j'avais
d'abord remisé parce qu'il ne comporte pas de clavier “comptable” sur le
côté droit, mais de temps en temps, quand je lève les yeux vers
l'écran, je constate que je viens d'écrire mes deux ou trois dernières
phrases en un étrange charabia : c'est que j'ai, sans bien entendu le
vouloir ni savoir comment, sauté du clavier français à
l'espagnol. Je suppose que l'un de mes doigts enfonce par erreur une des
touches périphériques, dont la fonction est justement de me faire
passer rapidement d'un clavier à l'autre ; ce qui doit être fort
pratique quand on sait de quelle touche il s'agit, ce qui n'est pas encore mon cas. C'est un peu énervant.
Mardi 16 janvier
Sept heures.
– En début d'après-midi, aller-retour à Neuilly-Plage pour ma
consultation bisannuelle chez le Dr J.-D., mon distingué cardiologue :
électrocardiogramme puis échographie. Tout va pour le mieux, j'ai
quasiment un cœur de nourrisson… à quelques détails près évidemment.
Mais enfin, mon importante perte de poids (lorsque je suis devenu son
patient, je flirtais avec les 110 kg et me voilà rendu à 88) fait que
le précieux organe est même en meilleur état que précédemment, pour
avoir rétréci en je ne sais plus laquelle de ses parties (un ventricule
quelconque, je crois bien). Tout cela avec 14/7 de tension et un pouls à
59.
Mercredi 17 janvier
Sept heures vingt.
– Finalement, la vraie fausse Marilyn de Mme Oates a eu raison de moi :
je lui ai dit adieu aux alentours de la sept-centième page (il m'en
restait la bagatelle de quatre cents…), trouvant que l'histoire perdait
de son intérêt à mesure que l'on quittait Norma Jeane Baker pour Marilyn
Monroe, et que la romancière avait tendance à tourner un peu en rond, à
se perdre dans sa propre histoire. Comme je ne lui en voulais nullement
(à la romancière), j'ai repris Nous étions les Mulvaney à
l'endroit où je l'avais abandonné il y a quelques jours, c'est-à-dire à
peu près au tiers du roman. Mais, là encore, il s'agit d'un “pavé” de
plus de six cents pages, et il n'est pas sûr que j'aille au bout. Après
ça, je crois que je pourrai laisser Joyce Carol Oates poursuivre sa
route sans moi.
Jeudi 18 janvier
Sept heures dix.
– Passé l'essentiel de la journée en compagnie de la famille Mulvaney,
que je n'ai quitté que tout à l'heure, juste à temps pour servir son
repas à Charlus. C'est un excellent roman ; et, du coup, je ne comprends
plus très bien ce qui m'avait conduit à l'abandonner après moins de
deux cents pages lors de ma première tentative. En fait, si, je crois
que je sais : c'est que tout le début du livre tourne autour du viol de
la fille de la famille, survenu à l'issue d'une fête de son lycée, du
genre “bal de promo”, ou remise des diplômes, ou autre ânerie américaine
du même genre. Et, généralement, les histoires de viol m'ennuie,
surtout lorsqu'elles sont traitées par des femmes. Je sais bien que je
vais faire hurler en disant cela (ou, du moins, je ferais hurler si ce
journal était lu), mais je n'y puis rien, c'est ainsi : les intrigues de
roman à base de viol me font généralement tomber le livre des mains,
tout comme le font les récits de rêves. Seulement, là, en reprenant le
roman où je l'avais laissé, je me suis vite rendu compte que le viol
n'était pas le sujet du livre, ce n'était que son prétexte, son élément
déclencheur ; tout comme, dans un raz-de-marée, ce n'est pas
l'effondrement de la croûte terrestre sous-marine qui compte et
intéresse mais l'énorme vague qu'il engendre. Ici, la vague, c'est la
dissolution implacable d'une famille où l'on parle énormément pour ne
rien dire, mais dont tous les membres sont soudain frappés de mutisme
dès lors qu'il y aurait vraiment de quoi parler. En fait, si l'action ne
se déroulait pas essentiellement dans les années soixante-dix, on
pourrait dire que les Mulvaney sont des “bobos” ; ou encore des
“néo-ruraux”. La mère, Corinne, est particulièrement gratinée : femme se
voulant fantasque, éprise d'antiquailleries, brassant énormément d'air
mais ne faisant à peu près rien, cependant que son mari travaille (et
réussit) du matin au soir pour entretenir la ferme de sa
Marie-Antoinette et les quatre enfants qu'il lui a faits. C'est, pour
ceux qui connaissent le spécimen, une sorte de Virginie B., mais en
nettement moins sotte tout de même. Après le viol de la fille, cette sympathique
façade va se lézarder rapidement, et les murs qui semblaient porteurs
vont montrer , en s'écroulant, qu'ils ne portaient que du vent. (Tout
cela est noté trop rapidement et de manière bien trop superficielle : le
roman vaut beaucoup mieux que l'image que j'ai peur d'en donner.)
–
J'ai tout de même pris le temps, ce matin, d'aller faire une visite de
politesse au docteur D., mon médecin “référent”, ne serait-ce que pour
qu'elle me renouvelle mon ordonnance habituelle. Ma toute relative
sveltesse a eu l'air de l'épater un peu. Et elle m'a trouvé en bonne
forme, pour autant qu'une vieille bête exténuée comme moi puisse l'être.
Je ne lui en demandais pas davantage. et nous nous sommes séparés dans
les meilleurs termes. Prochaine étape médicale (sauf imprévu) : le
scanner de contrôle de début mars.
Vendredi 19 janvier
Sept heures cinq.
– Coup de téléphone de ma mère, en milieu d'après-midi, pour
m'apprendre la mort de ma tante Martine, ce matin. Elle était née en
1949 ou peut-être 1950, je ne sais plus. D'ailleurs, il est curieux de
noter que, des cinq sœurs Jadoulle, ce sont les deux plus jeunes qui
sont mortes en premier. Danielle – née vers 1945 – a ouvert la marche,
il y a au moins douze ans, peut-être davantage, et aujourd'hui Martine,
donc. Quant aux deux frères, si je n'ai aucune nouvelle de Patrick, le
benjamin de la fratrie, mon ami d'enfance (il n'a que trois ans de plus
que moi), je sais que Bernard, dont je situerais la naissance vers 1939,
mais là ça devient bien incertain, est désormais presque totalement
aveugle. Les trois sœurs aînées, en revanche, à commencer par l'aînée de
ces aînées qui est ma mère, semblent se porter à merveille ; pour
autant qu'on puisse se porter à merveille quand on a passé quatre-vingts
ans. Martine était née un 19 mars, tout comme moi ; ou plutôt : moi
comme elle.
– Sur les instances de Catherine, qui
aimerait savoir si elle doit liquider sa “micro-entrreprise” ou la
conserver, je me suis décidé, vers midi, à expédier un himmel à Philippe
B. pour savoir si ma collaboration à FD était définitivement enterrée ;
il m'a répondu dix minutes plus tard, en m'envoyant deux destins à
briser, l'un de quinze mille et l'autre de dix mille signes : le spectre
de la misère en a reculé d'autant.
– En attendant les deux livres de Joyce Carol Oates que j'ai commandés (un roman et son journal), j'ai repris les Mémoires intérieurs de Mauriac.
–
Sinon, j'ai l'impression d'être pris dans un engrenage curieux. Le
soir, nous nous installons devant la télé de plus en plus tôt : entre
sept heures et demie et huit heures moins le quart. Ce qui fait que nous
allons également nous coucher de plus en plus tôt : rarement après neuf
heures et demie. si bien que, n'étant pas capable de dormir plus de
huit heures (contrairement à Catherine, marathonienne accomplie…), j'en
suis à me lever aux alentours de cinq heures du matin ; pour la plus
grande joie de Charlus qui est ainsi nourri de plus en plus tôt.
(Et
je viens à l'instant, par hasard, de comprendre pourquoi il m'arrive de
passer sans le vouloir du clavier français à l'espagnol, ainsi que je
le racontais il y a quelques jours : cela se produit lorsque mes petits
doigts gourds enfoncent la touche “command” en même temps que la barre
d'espacement qui lui est contiguë. Un irritant petit mystère de moins.)
Samedi 20 janvier
Sept heures vingt. – La facteure m'a gentiment apporté deux livres de Mme Oates, juste au moment où j'arrivais de mon côté à la dernière page des Mémoires intérieurs. L'un des deux est son journal, ou plutôt une coupe réalisée dans celui-ci ; l'autre un roman, Bellefleur, tout aussi volumineux que les précédents : un peu plus de sept cents pages, et même pas en format de poche.
–
Demain, si je suis très courageux, j'ai prévu de briser le destin
d'Enrico Macias, chanteur et homme que je n'ai jamais pu supporter.
Inutile de dire, donc, que quand il sortira de mes mains, le destin de
ce triste sire ne sera pas beau à contempler. La demi-journée devrait y
suffire. Pour Johnny, en revanche, cela risque d'être nettement plus
long ; d'abord parce que l'article doit faire cinq mille signes de plus,
mais surtout parce que le pdf que m'a envoyé le service de
documentation générale ne contient pas moins de 215 pages. D'un autre
côté, ce n'est pas gênant, dans la mesure où je fonctionne comme les
taxis parisiens : pendant que lis, le compteur tourne…
–
Charlus et Cosmos (le legs d'Élodie avant de partir pour Québec)
s'entendent désormais comme chien et chat, c'est-à-dire fort bien. Ils
jouent de plus en plus, et suivant un rite qui tend à devenir immuable :
ils partent en trombe du salon, Charlus coursant Cosmos ; arrivé dans
la salle à manger voire dans le salon de télévision, le chat se perche,
sur la table ou sur un fauteuil, tandis que le chien aboie plusieurs
fois ; puis, nouveau bruit de cavalcade, et je les vois réapparaître
tous les deux au salon, mais cette fois c'est le canidé qui fuit devant
le félin ; on s'octroie une courte pause et on recommence ; c'est
charmant et très gai.
Dimanche 21 janvier
Dix heures du matin.
– Je me rends compte, en lisant le journal de Joyce Carol Oates, que je
n'ai à peu près jamais eu ce qu'il est convenu d'appeler une “vie
sociale”. Je n'ai jamais participé, par exemple, à des “déjeuners
d'affaires” ou même simplement de travail. Hors réunions familiales, mes
dîners ne se sont toujours déroulés qu'en compagnie d'amis, ou au moins
de “copains” du moment. Déjà le stade suivant vers la vie sociale, les
dîners plus larges faisant intervenir les fameux “amis d'amis” (les Amidamis
: tribu indienne installée au sud du lac Ontario et aujourd'hui
complètement éteinte…), même celui-là m'ennuyait. En fait, il ne
m'ennuyait jamais très longtemps, ce stade, puisque, buvant à l'époque
comme un trou sans fond, je me trouvais rapidement hors de portée de
l'ennui, et même d'aucun sentiment humain répertoriable. Je note cela
non pour le déplorer, et non plus pour m'en féliciter : simple constat.
–
À part ça l'heure tourne, et je me sens de moins en moins disposé à
m'intéresser à M. Macias… Il faudrait au moins (mais l sera bien temps
cet après-midi, n'est-ce pas ?) dépouiller la documentation puis
ébaucher un vague plan ; ce qui est se donner à petits frais
l'impression d'avoir travaillé.
– Cela fait plusieurs
jours, au moins une dizaine en fait, que Catherine me dit que ce serait
bien que je réponde aux vœux des Pluton (Anna et Dominique), sous
prétexte que c'est moi l'écrivain de la maison. Tout à l'heure, à
peine cet ordinateur réveillé, je m'y suis mis, sans trop savoir
pourquoi ; sans doute parce qu'elle venait de me le rappeler une fois de
plus. Une fois le himmel écrit et envoyé, je lui en ai adressé une
copie, puisque j'avais écrit aussi en son nom à elle : Catherine le
reçut pile au moment où, de son côté, elle achevait de présenter nos
vœux aux mêmes Pluton ; qui aurons donc double ration cette année.
Deux heures. –
S'ils n'étaient d'un maniement aussi pratique et d'un abord aussi
agréable, il y a beau temps que j'aurais cessé d'acheter des volumes de
la Pléiade, en tout cas ceux publiés ces quarante dernières années.
Depuis deux ou trois jours que je relis François Mauriac (Mémoires et Nouveaux mémoires intérieurs),
je ne cesse de pester contre celui que j'ai entre les mains, où sont
réunis les essais autobiographiques de l'écrivain. Il date de 1990 et sa
réalisation a été confiée à un certain monsieur Durand (quelle funeste
idée il a eu d'en sortir !). Ses notes occupent trois cents pages sur
mille trois cents, ce qui est déjà une preuve de sans-gêne. Mais
surtout, pour une qui se révèle utile, informative, précisante,
les neuf autres ne sont là que pour permettre à M. Durand d'étaler sa
cuistrerie satisfaite d'universitaire au petit pied, n'étant que du
bavardage n'ayant qu'un rapport fort ténu avec le texte qu'on est occupé
à lire. Mais, pour M. Durand, la moindre idée qui traverse le casier à
fiches lui tenant lieu de cerveau vaut la peine qu'on interrompe
grossièrement le lecteur pour l'informer que “sur cette question Mauriac
n'a pas toujours été d'un avis aussi tranché” ou bien lui indiquer que
telle transition est particulièrement subtile (sous-entendu : moi,
universitaire, moi spécialiste, je te fais remarquer, épais lecteur,
humain approximatif, ce qui t'aurait immanquablement échappé sans moi).
Bien sûr, on fini par ne plus y aller patauger, dans ce palus de fin de
volume, mais tout de même : le simple fait de se souvenir qu'il y est
suffit à ce qu'un léger agacement persiste.
Lundi 22 janvier
Sept heures dix.
– Moi qui pleurnichais, voilà peu, que FD m'oubliait, je frise
aujourd'hui l'engorgement. Cet après-midi, alors que j'achevais Enrico
Macias en dix mille signes, et que quinze mille autres m'attendaient
concernant M. Hallyday, on s'est avisé de m'en demander vingt-deux mille
de plus sur les amours de Claude François, ainsi que huit ou neuf mille
sur son enterrement. Ces deux commandes sont assez urgentes, ce qui
fait que Johnny devra passer son tour. Tout cela parce que quelqu'un de
la direction du journal a dû se réveiller en sursaut et s'apercevoir que
l'on approchait à grands pas du quarantième anniversaire de la mort de
l'immonde “Cloclo”, que j'abomine environ cinq fois plus que le Macias
auquel je viens de régler son compte. Je vais essayer de boucler tout ça
pour dimanche soir, afin d'avoir l'esprit tranquille la semaine
prochaine. Pourquoi avoir l'esprit tranquille la semaine prochaine ?
Comme ça, pour rien. Juste pour avoir l'esprit tranquille. Et aussi pour
la satisfaction puérile de pouvoir me dire qu'en en douzaine de jours
de travail, j'aurai payé le prochain billet d'avion de Catherine pour
Québec et rempli la cuve à fuel.
– Poursuivi le journal
de Joyce Carol Oates, qui, à mesure qu'on y avance, fait de plus en
plus penser à celui de Virginia Woolf, même si les différences entre les
deux écrivains l'emportent encore sur leurs ressemblances.
Mardi 23 janvier
Sept heures et quart.
– Quasiment rien fait aujourd'hui, alors que je m'étais enjoint, en me
levant, de venir à bout des obsèques du répugnant Claude François : je
me suis contenté d'ausculter la documentation et d'écrire paresseusement
les mille premiers signes. Et voilà que, il y a un quart d'heure, me
parvient un himmel de Laurence P., rencontrée en décembre dernier, et
dont je pensais que son désir de me faire travailler lui avait passé,
comme souvent les désirs passent aux filles. Point du tout : elle
m'assure qu'elle ne m'oublie pas et qu'elle va revenir vers moi
dès la semaine prochaine. Du coup, côté FD, il va s'agir de “cravacher”,
comme aurait dit mon père. « Mais qu'est-ce qu'ils ont tous à me
vouloir ? », gémit alors le retraité, écartelé entre son avidité
financière et son envie qu'on lui foute la paix.
Vendredi 26 janvier
Sept heures dix. –
Ce n'est pas que je boude ce distingué journal : nulle fâcherie n'est à
déplorer entre nous. Mais que pourrait-on confier à un journal, je vous
le demande, quand on passe le tiers de ses journées à écrire des
âneries sur un personnage aussi pénible que Claude François, et les deux
autres tiers à avancer dans la touffeur du même roman depuis des jours,
à savoir le très volumineux Bellefleur de Mme Oates ? Il est
d'ailleurs très bien, ce roman ; étrange, déroutant, foisonnant ;
l'histoire d'une famille très riche et d'origine française, depuis la
seconde moitié du XVIIIe siècle jusqu'à nos jours : six générations
d'hommes et de femmes, mais qui surgissent dans un complet désordre
chronologique, en de courts chapitres, apparaissant, disparaissant,
revenant cinquante pages plus loin, etc. Le tout dans une atmosphère que
l'auteur elle-même qualifie de “gothique moderne”, c'est-à-dire ne
répugnant pas à un certain surnaturel, tout cela se passant dans un
château immense édifié par Raphael, l'un des fils du fondateur de la
lignée américaine, Jean-Pierre Bellefleur, chassé de France par Louis XV
; château construit en pleine nature sauvage et lacustre, qui abrite
toutes les générations de Bellefleur ensemble bien qu'il tende de plus
en plus vers la ruine. Mais enfin, quel que soit le plaisir durable que
je prenne à cette lecture, je ne peux pas en faire des tartines ici une
fois le soir venu. Tout juste puis-je “rallonger un peu ma sauce” en
signalant que la traduction de Mme Rabinovitch ne me semble pas digne de
tous les éloges, étant particulièrement pataude en certains endroits
(mais, évidemment, sans possibilité pour moi de comparer avec
l'original), quand elle elle ne verse pas franchement dans l'absurde.
Ainsi de ce personnage dont le lecteur apprend dès les premiers
chapitres qu'il a trouvé la mort dans un “accident de toboggan”, ce qui
ne laisse pas de surprendre un peu le lecteur en question. Il lui faut
arriver aux environs de la page cinq cents pour que, l'accident se
produisant enfin, il comprenne que Mme Rabinovitch aurait été mieux
inspirée de traduire le toboggan original par “traîneau” ou
éventuellement “luge”. Le lecteur, du coup, en conçoit une suspicion
rongeuse : si la dame traductrice a pu sans sourciller laisser passer
une bourde pareille, combien d'autres dans le texte que le lecteur
n'aura pas repérées ?
– Charlus a eu cinq mois
aujourd'hui ; un âge avancé qui ne l'empêche pas de continuer à pisser
et à déféquer dans la maison lorsque la lubie lui en prend. Mais enfin,
ce n'est guère plus qu'une fois par jour, et encore pas tous les jours,
et presque plus jamais la nuit, ce qui me semble tout à fait étrange :
je me serais plutôt attendu à ce qu'il devienne propre la journée –
durant laquelle il sort au jardin régulièrement – avant de l'être durant
les quelque huit heures qui séparent mon coucher de mon lever.
Samedi 27 janvier
Sept heures vingt. –
Eh bien, autant l'avouer d'entrée (de jeu et de journal) : je ne suis
pas du tout mécontent de moi ; pour être venu à bout de mes vingt-cinq
mille signes consacrés aux amours de ce triste et répulsif personnage
que fut Claude François (dont j'ai toujours trouvé qu'il méritait
largement la mort ridicule qui fut la sienne : il ne faudrait pas trop
me pousser pour que j'y voie une preuve de l'existence d'un dieu
justicier et impartial). J'ai construit l'article comme une pièce du
répertoire classique français : cinq actes, précédés d'un prologue et
augmentés d'un interlude entre le troisième et le quatrième : ç'a de
l'allure, crénom ! Il ne me reste plus à faire que la partie la plus
rapide et la plus agréable du travail : la facture.
Du
coup, Mme Oates a trouvé que je la délaissais, ce qui n'est pas faux.
D'abord, j'ai disposé de moins de temps que d'ordinaire, et il faut bien
reconnaître que, à l'orée de la cinquième et dernière partie de son Bellefleur,
je commence à percevoir chez moi quelques menus signes d'essoufflement.
Mais enfin, cela reste suffisamment dense et intéressant pour que
j'aille au bout.
– Tout à l'heure, parce que mes yeux sont tombés dessus, j'ai remporté au salon le Dictionnaire de la bêtise concocté par Jean-Claude Carrière et un co-auteur dont le nom m'échappe ; en me disant que, quand je serai venu à bout des greguerías
de Gómez de la Serna, ce qui risque d'advenir d'ici un à deux
dimanches, je pourrai, sur le blog, proposer ensuite quelques sentences
réjouissantes tirées de ce volume-là ; j'ai commencé à en cocher
quelques-unes ; non pas forcément les meilleures, mais c'est que je me
sens tenu par des impératifs de longueur : il me faut des sentences
brèves, pas plus de deux ou trois phrases courtes. Enfin, on verra.
Dimanche 28 janvier
Sept heures et demie. –
Passé l'après-midi à éplucher une documentation monstrueuse consacrée à
M. Hallyday, plus exactement aux divers pépins de santé qui ont émaillé
sa chaotique existence (surtout vers la fin) : le pdf à moi transmis ne
fait pas moins de 215 pages ! Certes, dans le lot, il y en a d'inutiles
(photo pleine page et courte légende…), mais tout de même. Demain, je
tâcherai de réfléchir à un vague plan et, mardi, je me débarrasserai des
quinze mille signes qu'on attend de moi sur le sujet. Je m'y serais
bien mis dès demain, mais il se trouve que, vers dix heures, j'ai un
rendez-vous téléphonique avec Laurence P., ma future éventuelle patronne
pour mon nouveau travail de pisse-copie ; avec, en vue, m'a-t-on
prévenu, un travail à faire dès cette semaine. encore faudrait-il que
l'on tombe préalablement d'accord à propos des sommes qui me seront
allouées en échange des dits travaux. On verra cela demain matin, donc.
– Terminé Bellefleur et entamé aussitôt un autre roman de Mme Oates, presque aussi volumineux : Eux (Them,
en patois d'origine). Qui, après deux dizaines de pages lues, semble
d'un genre fort différent du précédent, plus “réaliste” disons.
Lundi 29 janvier
Sept heures vingt.
– Mon rendez-vous téléphonique s'est très bien passé : je devrais
recevoir mon premier travail à faire entre demain et jeudi (tout
dépendra de cette administration du tiers-monde qui fut jadis, et même
encore naguère, la Poste).
Mardi 30 janvier
Sept heures dix. – Comme je l'avais annoncé (mais je suis tout surpris de l'avoir réellement
fait), j'ai écrit mes dix-sept mille signes sur le sieur Hallyday entre
ce matin neuf heures et demie et cet après-midi trois heures. Il n'y
avait plus, ensuite, qu'à relire le tout et à en trouver titre, chapeau
et une petite farandole de sous-titres ; enfin, à expédier l'enfant à
qui de droit – ce qui fut fait. Après tout ça, je suis allé m'endormir
sur Eux, roman de Mme Oates que je trouve assez nettement
inférieur à ceux lus précédemment (personnages peu intéressants,
sensation de tourner en rond…). Je pense qu'elle (la romancière) va
finir le mois en ma compagnie, mais que notre idylle n'ira guère
au-delà.
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