mercredi 30 août 2017

Juillet 2017











RETOUR AU CAMP DE BASE









Samedi 1er juillet

Dix heures du matin. – J'ai toujours eu horreur, dans tout ce qui relève du commerce, de ce qu'on appelle les rabais, les ristournes, les remises, les bonnes affaires. Bien entendu, en vertu de cette détestation, jamais on ne m'a vu ni me verra marchander quoi que ce soit : si l'objet convoité est “dans mes prix” je l'achète ; s'il ne l'est pas, je passe mon chemin. On dira peut-être que c'est seulement parce que je souffre d'une infirmité mentale, que je ne sais pas discuter. Je pense que non, car mon rejet s'étend à ces rabais que les commerçants vous accordent sans que vous ayez seulement songé à les leur demander ; les vendeurs de voitures neuves pratiquent régulièrement cela : établissant votre contrat de vente, alors que tout semble parfaitement clair entre vous et lui, le voilà qui, avec un sourire à la fois bienveillant et gourmand, vous annonce qu'il vous accorde une remise de 5 %. Le pis est que, naturellement, parce que vous avez été correctement élevé, vous vous sentez tenu de le remercier, ce doucereux commercial, alors que vous auriez plutôt envie de lui demander de quel droit il s'autorise cette ristourne ; ou s'il pense vraiment que vous n'avez pas les moyens de payer la somme initialement demandée. Et qu'on ne vienne pas me dire que j'ai beau jeu d'adopter cette attitude, moi qui n'ai jamais eu de problèmes d'argent. D'abord, c'est faux : j'ai déjà eu, notamment dans ma jeunesse, des problèmes d'argent, ce n'est pas pour cela qu'il m'est venu à l'idée de discuter tel ou tel prix. Ensuite, je connais ou ai connu des gens dont le train de vie était au moins égal au mien et qui passaient pourtant leur vie à rechercher voire à susciter ces fameuses “bonnes affaires”. Je sais bien pourquoi : autant j'ai tendance à trouver presque inconvenant que l'on me propose spontanément un abattement, autant, eux, se sentiraient profondément ridicules et diminués s'ils devaient en venir à payer le prix marqué.

Ce refus du rabais agit dans les deux sens. À chaque fois que nous avons eu à vendre une maison ou une voiture – ce qui, évidemment et par chance, ne s'est pas produit trop souvent –, j'aurais vivement souhaité que, après en avoir fixé le plus juste prix, nous n'en bougeassions plus. C'est évidemment impossible : à ce que j'ai compris, personne n'achèterait aujourd'hui une maison au prix indiqué dans la vitrine de l'agent immobilier (personne sauf moi, donc). Il faut donc se livrer à cette simagrée ridicule, et pour tout dire humiliante, qui consiste à gonfler son prix de vente de dix pour cent pour, ensuite, offrir à l'acheteur la satisfaction puérile d'obtenir un rabais de dix pour cent.

Le comble du grotesque est atteint par ces gens qui, parce qu'ils sont allés trois fois passer leurs vacances dans des pays exotiques, pensent qu'ils connaissent parfaitement “la mentalité de ces gens-là” et vous assurent d'un ton docte et supérieur, qu'en payant sans discuter la petite statuette made in Germany au prix que vient de vous lancer le vendeur accroupi devant son misérable étal du grand marche d'Addis-Abeba, vous le frustrez terriblement, car ce brave homme jubilait déjà de la demi-heure qu'il allait passer avec vous en savoureuses palabres marchandes, puisque c'est dans sa culture. L'argument est évidemment de la crédibilité la plus haute ; et on imagine très bien le chagrin de ce brave autochtone, contraint de ravaler sa langue et de rentrer chez lui avec, en poche, les quarante dollars que vous lui avez donnés pour sa statuette, au lieu des huit que vous lui auriez payés après cet interminable marchandage dont il se faisait un bonheur.


Lundi 3 juillet

Sept heures vingt. Le Chef-d'œuvre de Michel Houellebecq : je pensais le mener à bien, je l'ai mis à mal.

– Je comptais bien, ce matin, briser le destin de Jacqueline Maillan, mais il m'a fallu surseoir à cet acte de vandalisme : Catherine, qui avait rendez-vous pour une échographie de la thyroïde à la clinique Pasteur d'Évreux, ne se sentait pas en état de conduire, elle qui tient une très petite forme depuis quelques jours. Il faut espérer que le glandologue, que nous verrons après-demain à Neuilly, saura faire rentrer tout cela dans l'ordre rapidement. En tout cas, nous avons agi sagement en annulant notre périple landais, qui devait en principe débuter demain matin : comme elle dort la moitié de la journée (au moins), Catherine n'en aurait guère profité ; et, par contrecoup, moi non plus.

– Parce qu'il en est longuement question dans le Paris ne finit jamais de Vila-Matas, j'ai voulu lire Paris est une fête de Hemingway. J'avais déjà le doigt sur la touche “envoi” de la commande, lorsqu'une petite voix m'a ordonné d'aller vérifier dans la bibliothèque que se partagent les Russes et les Américains, si par hasard il ne s'y trouverait pas ; en effet il y était. Pourtant, je suis bien certain de ne jamais l'avoir lu. Le mystère des bibliothèques serait donc double : tandis que disparaissent des livres qu'on a aimés, souvent relus, vus en passant près d'eux des dizaines de fois, d'autres à l'inverse apparaissent sans qu'on les ait sollicités, en une sorte de génération spontanée. Sinon, puisqu'on en est aux livres, j'ai mis hier un point final à la solution du même nom, en remplissant les deux derniers cartons de promis au crématoire. il ne me reste plus qu'à répartir les survivants dans les différents baraquements.


Mardi 4 juillet

Trois heures. – Appel téléphonique d'André, de Strasbourg, pour nous dire que Béa et lui partirons dimanche de chez eux pour rallier le Mont Saint-Michel où ils doivent être lundi. Il sollicitait donc l'honneur et l'avantage de bivouaquer en notre misérable demeure, ce qui lui fut aussitôt accordé d'enthousiasme.

– Penser que nous devrions être depuis ce matin dans la voiture, en route pour cinq jours de pérégrination et de vie socialo-familiale, mais que, à la place, nous sommes ici, à la maison, tout tranquilles, voilà qui me remplit d'aise. Je n'irais pas jusqu'à bénir la thyroïde de Catherine pour s'être mise opportunément à débloquer, mais enfin je n'en suis pas loin.


Samedi 8 juillet

Quatre heures et demie. – Si la température ne se décide pas à baisser, ce journal de juillet risque d'être aussi vide qu'un discours présidentiel car, chaque soir depuis un moment, il fait beaucoup trop chaud dans la Case, à l'heure où je suis accoutumé d'y venir (dans le journal) pour que j'aie envie de m'y attarder (dans la Case). Ce qui n'est guère gênant dans la mesure où je n'ai rien à y noter (dans le journal), passant mes journées à lire ceci ou cela, au salon, toutes fenêtres closes dès neuf heures du matin, pour tenter de préserver ce qui subsiste de la relative fraîcheur nocturne. Il n'empêche que, vu les migrations insensées qui semblent avoir lieu aujourd'hui partout en France, je suis fort content d'être ici (dans la Case), derrière mon store baissé, plutôt que sur une route quelconque, entre Landes et Poitou, ainsi qu'il était initialement prévu.

– Hier, simplement parce que les volumes avaient accroché mon regard en passant, j'ai relu coup sur coup deux livres de Perec : Penser/Classer puis Espèces d'espaces. Et, dans la foulée si je puis dire,  j'en ai commandé trois autres : W ou le souvenir d'enfance, Les Choses et Je me souviens.


Mardi 11 juillet

Sept heures vingt. – La soirée de dimanche, avec André et Béa s'est fort bien passée ; il aurait d'ailleurs été surprenant qu'il en fût autrement, dans la mesure où, depuis presque 40 ans que nous nous fréquentons, je n'ai pas le souvenir d'avoir jamais passé une mauvaise soirée avec eux, ni même une soirée à demi réussie. Elle fut aussi confortablement alcoolisée, André étant arrivé avec une bouteille de riesling dans chaque main, et moi, de mon côté, l'accueillant avec trois montée de Tonnerre : le lendemain matin il n'en restait plus rien, et on ne peut pas dire que les deux femmes aient abusé de ces deux breuvages…

Hier, ils nous ont quitté pour rallier Dol-de-Bretagne, où ils avaient rendez-vous avec Kent et Freddie, ayant prévu tous les quatre une visite conférence du mont Saint-Michel. André avait pris soin de réserver avec le vrai guide, celui que nous avions eu la première fois où j'y ai emmené Catherine, pour être sûr d'éviter la misérable greluche dont nous écopâmes la fois suivante, avec Élodie.

– Je poursuis mon petit voyage dans l'œuvre de Perec : après avoir lu les trois livres commandés la semaine dernière – assez courts tous les trois –, je me suis replongé dans La Vie mode d'emploi, en attendant La Disparition, commandé aujourd'hui et que je n'ai jamais lu.

– Pour ce qui est de notre prochain “échappement libre”, prévu en octobre, nous avons presque décidé, sur ma suggestion, d'abandonner l'Auvergne, que nous connaissons déjà, au profit du lac d'Annecy. Nous irions passer deux nuits à l'auberge du Père Bize. Prenant comme excuse que Talloires est à plus de sept cents kilomètres d'ici, j'ai proposé que nous scindions le trajet en deux étapes, la première se terminant, à l'aller, chez Bernard Loiseau à Saulieu, et, au retour, en ce château auvergnat de Codignat où nous devions initialement aller passer ces deux jours. La proposition, quand je l'ai faite, a évidemment été adoptée sans le moindre amendement.


Mercredi 12 juillet

Cinq heures. – On entend parfois dire – je suis sûr, en tout cas, de l'avoir lu – que c'est un vrai miracle si, avec La Vie mode d'emploi, Perec a réussi à écrire un vrai roman malgré le nombre hallucinant de contraintes, tortueuses, complexes, qu'il s'est imposées. Il me semble, à moi, que c'est précisément parce que ces contraintes sont à la fois nombreuses et complexes qu'il a pu, en effet, écrire un roman remarquable, c'est-à-dire non artificiel : en réalité, le nombre et la complexité font que ces contraintes ne se voient tout simplement pas ; qu'elles ne sont là que pour le bon plaisir de l'auteur au moment de l'élaboration, et ne conditionnent en rien la lecture du “produit fini”. Par exemple, il est tout à fait indifférent au lecteur, et cela n'influe nullement sur la qualité du roman, que l'on passe d'une pièce à l'autre de l'immeuble suivant la manière dont se meut le cavalier du jeu d'échec : si Perec avait mis les 99 pièces dans un chapeau et les avait ensuite réparties au hasard, le roman n'aurait pas été moins bon, j'en suis bien persuadé. Seulement, lui se serait moins amusé, probablement. Ajoutons que beaucoup de contraintes sont du domaine de l'infinitésimal, si je puis dire. La liste qui s'intitule “positions” par exemple : elle comprend des impératifs tels que “assis”, “allongé sur le dos”, “le bras levé”, etc. Ensuite, ces contraintes de positions se combinent à d'autres, selon un algorithme assez complexe (en tout cas pour moi). Mais est-il si difficile, dans un chapitre de plusieurs pages, de faire qu'un personnage soit assis ? D'autant que, s'il ne l'est pas, il peut se trouver que soit pendu au mur de sa chambre un tableau qui, lui, montre un personnage assis ; ou que la fenêtre ait eu autrefois un chien assis, etc. Même chose pour les citations d'écrivains, elles aussi obligatoires dans un certain nombre de chapitres : elles ne risquent pas de gêner la lecture, tant elles sont courtes et bien camouflées (je n'en ai, pour l'instant, repéré que deux ; mais il faut dire que je ne les cherche pas). Je me disais d'ailleurs qu'on pourrait pousser la logique encore plus loin, en s'imposant des contraintes tellement minuscules qu'elles en deviendraient totalement indétectables. Par exemple : écrire un roman dont chaque page contiendrait un mot utilisé par Proust dans La Recherche, un dont Flaubert se serait servi pour L'Éducation sentimentale et un troisième que l'on irait chercher dans Mort à Crédit.

(Il y a quelques années, je m'étais dit que j'allais moi aussi écrire un roman lipogrammatique, qui serait entièrement dépourvu de la lettre W. Et, à une époque encore bien antérieure, vers 1981 ou 82, probablement influencé alors par ma découverte de l'OuLiPo, j'ai, pendant deux ou trois semaines, écrit les articles qu'on me demandait sans un seul adjectif qualificatif.)

Il reste que La Vie mode d'emploi est un roman prodigieux.


Samedi 15 juillet

Sept heures dix. – Décidément, l'Italien Garlini n'est pas un écrivain pour moi. J'avais déjà abandonné Les Noirs et les Rouges après 400 pages (c'est-à-dire à la moitié…), je viens de faire pareil avec le deuxième livre que j'avais acheté de lui, alléché par son titre : Venise est une fête. Je me disais que cela pouvait constituer un intéressant triptyque, après le Paris est une fête de Hemingway et le Paris ne finit jamais de Vila-Matas : c'est raté. Pour me remettre, et en attendant que n'arrivent les Perec commandés hier ou avant-hier, je suis reparti pour l'Argentine : Adán Buenosayres de Leopoldo Marechal.


Mardi 18 juillet 

Sept heures dix. – À moins que je ne soit pris d'une soudaine logorrhée, ce journal de juillet va être bien court. L'une des raisons en est que je n'aime pas changer mes habitudes, et que l'une d'elles est d'arriver ici juste après le dîner, soit entre sept heures et sept heures et demie. Or, en cette période où nous sommes, il commence vraiment à faire très chaud dans la Case, à ce moment-là, et je n'ai aucune envie de m'y attarder. Une autre raison est que mon existence quotidienne étant de plus en plus constituée d'absence, je ne vois pas ce que je pourrais raconter ici : c'est, en quelque sorte, La Vie molle d'emploi. Bon, oui, aujourd'hui, par exemple, je pourrais livrer mes premières impressions à propos de La Disparition de Perec, commencée ce matin. Seulement, aussitôt, on retombe sur la première raison : il fait bien trop chaud ! Et puis, je me dis que, n'en ayant lu que le tiers, j'ai tout le temps. D'ici demain ou après-demain, ce sera bien le diable si la température ne redevient pas chrétienne.

– J'ai, depuis deux ou trois jours une gencive assez douloureuse (maxillaire supérieur gauche, vers le fond) ; j'espérais, comme cela m'est déjà arrivé, que l'affaire allait se régler d'elle-même sans faire d'histoire, mais ça n'en prend pas le chemin ; ça emprunterait même plutôt l'inverse. Du coup, je me dis que j'ai peut-être un joli abcès en train de s'installer et qu'il serait sans doute bon que j'allasse consulter Mme D., ma dentologue attitrée. Encore faudrait-il 1) qu'elle ne soit pas en vacances, 2) qu'elle puisse me recevoir assez rapidement, ce qui est beaucoup demander, je le crains. Je m'occuperai de ça demain matin… à moins que la douleur ne disparaisse dans la nuit, ce que je ne crois pas du tout.

– Hormis le dernier hors-série “Destins brisés”, voilà à peu près quatre semaines que FD ne m'a pas demandé le moindre article : il n'a pas l'air loin, le temps où nous allons remplacer les relais z'et châteaux par les auberges de vieillesse…


Mercredi 19 juillet

Sept heures vingt. – Comme de juste, non seulement la douleur dentaire, ou plutôt gingivale, ne s'est nullement atténuée durant la nuit, mais elle a même assez nettement empiré, au point de me réveiller une bonne vingtaine de fois. Après trois essais infructueux, j'ai enfin réussi à joindre le Dr D., à qui j'expose mon problème. « Venez tout de suite !, me répond aussitôt cette excellente femme, en tout cas à onze heures et quart dernier délai : après, il ne me sera plus possible de vous prendre, et demain non plus… » Sauf qu'il était déjà dix heures passées… et que Catherine venait de partir pour la piscine avec la voiture. Elle est rentrée à onze heures moins quelques minutes : inutile de dire que je me suis tranquillement assis sur les différentes limitations de vitesse entre la maison et la place des Déportés où est sis le cabinet ; dans la salle d'attente duquel je pénétrai à onze heures et dix minutes. Je suis ressorti du cabinet, après un rapide examen qui m'a conforté dans ce que je pensais, nanti d'une ordonnance pour six jours d'antibiotiques, lesquels, comme il se doit, ne commenceront à produire leurs effet que sous quarante-huit heures, ce qui veut dire que la journée de demain va encore être grisâtre de tons. Je dois aussi aller à Pasteur pour une radio “panoramique” de mes broyeuses : rendez-vous est pris pour la semaine prochaine.

– Je ne sais si c'est en raison de cette douleur, supportable quoique incessante, mais j'étais aujourd'hui d'une humeur morose, et aucune lecture ne trouvait grâce à mes yeux. Il est vrai que dévorer un livre quand on peut à peine ouvrir la bouche… Bref, c'est en m'ennuyant assez ferme que j'ai lu les quatre-vingts dernière pages de La Disparition, roman tour de force, certes, mais qui aurait bien mérité d'être réduit d'un tiers, me semble-t-il. Ensuite, j'ai repris le roman de Leopoldo Marechal, un moment abandonné au profit de Perec, mais, là encore, parvenu aux alentours de la page 180, je me suis rendu compte que je n'irais jamais au bout des six cents et j'ai aussitôt abandonné. Sachant que je ne le reprendrai jamais, il est allé finir ses jours dans la poubelle jaune (phrase tout à fait anacoluthique…). Du coup, en désespoir de cause, je me suis rabattu sur une valeur sûre, un Alejo Carpentier qui patientait depuis des semaines. Mais, avec tout ça, c'était l'heure de dîner. Et la journée va se finir d'une manière probablement aussi peu excitante que son long commencement, Catherine s'étant mis en tête de regarder Tarzan, film qui doit être une nouvelle mouture de celui avec le consternant Christophe Lambert, lequel doit dater de vingt-cinq ans, voire trente, et qui était déjà bien niais. Mon seul espoir est que ce nouvel avatar soit suffisamment mauvais pour qu'elle jette l'éponge au bout d'une demi-heure.


Jeudi 20 juillet

Sept heures vingt. – Aucune amélioration notable du côté des mandibules. Il est vrai que le traitement n'a été entrepris qu'hier à midi, et qu'il faut compter avec l'habituel “effet retard” (je ne sais trop si l'expression est ici bien appropriée) des antibiotiques : patience et longueur de temps, donc.

– Après avoir abandonné mon troisième livre en moins de trois jours (La Guerre de la fin du monde, Vargas Llosa), je me suis soudain avisé que j'en avais assez, provisoirement assez, de lire des romans. J'ai donc repris, en “panachage”, les mémoires de Saint-Simon et le Journal d'un lecteur d'Alberto Manguel – dont, par parenthèse, j'avais oublié qu'il parlait, entre autres, de Machado de Assis, cet écrivain brésilien du XIXe que j'ai découvert il y a peu. Depuis, ça glisse tout seul ! Demain ou après-demain, selon le bon vouloir de la poste, je devrais recevoir Écrivains et Artistes, de Léon Daudet, volume chaudement recommandé par Michel Desgranges ; chez qui, par ailleurs, je déjeunerai jeudi prochain, si toutefois j'ai réussi à me débarrasser de mes ennuis gingivoïdaux.


Vendredi 21 juillet

Sept heures vingt. – Ce sans-gêne de Max Hilaire continue à prendre ses aises dans ma bouche, mais, me semble-t-il, avec un peu moins d'arrogance depuis ce matin : le douloureux a fait place à l'endolori.

– Le gros livre (850 pages) de Léon Daudet est bien arrivé en fin de matinée, et je ne l'ai plus quitté depuis. Ses portraits sont tous hautement réjouissants, qu'il étrille ou admire, et ses avis sur les livres bien tranchés, c'est le moins que l'on puisse dire. Si bien que, tantôt on approuve bruyamment, tantôt on sursaute : qu'est-ce que c'est que cette idée, de rabaisser Flaubert et de souffler dans le cul de Barbey, à seule fin de nous faire croire que celui-ci est nettement supérieur à celui-là ? Il y a aussi, mi-ridicule, mi-attendrissant, mi-irritant (ce sont de toutes petites “mi”…), cette manie, dès qu'il énumère quelques très grands écrivains, d'y glisser Alphonse Daudet ; ou, s'il s'agit de poètes, Frédéric Mistral, qu'il met sans rougir sur le même plan que Virgile ou Dante. Mais peut-être en va-t-il des poètes comme des maisons : ceux que l'on a connus étant soi-même enfant peuvent paraître ensuite beaucoup plus grands qu'ils ne l'étaient en réalité. C'est ce qui, sans doute, conduit Daudet à mettre le Félibrige à la même hauteur que la Pléiade. Cela dit, n'ayant pas lu les uns ni les autres depuis au moins quarante ans, je serais bien en peine de dire en quoi ce bon Daudet a tort.


Samedi 22 juillet

Sept heures vingt. – Pas grand-chose à noter ici, ayant passé la journée à lire Daudet, sur lequel je tâcherai de revenir lorsque le volume sera terminé, c'est-à-dire probablement demain ou après-demain matin : j'ai déjà corné quelques pages en vue d'un éventuel billet…

– Le mieux semble se poursuivre, côté quenottes (je déteste tous ces mots en “ote”, ne sachant jamais quel nombre de “t” ils exigent). Mais je sens encore, de la pointe de la langue, une certaine tuméfaction vers le haut de la joue (ou le bas de la gencive, allez savoir).

– Bonne surprise ce matin, lorsque Catherine a constaté en ouvrant sa boitamel que FD lui avait payé deux factures d'un coup, hier soir à minuit. La seconde, de 1300 €, était parfaitement dans les temps, puisque émise le 19 mai, mais la première, de 750, traînait depuis la fin de mars, et nous finissions par craindre qu'elle ne fût vraiment perdue, ce qui aurait contraint à la renvoyer dans le circuit et, donc, à l'attendre encore deux mois – au moins. Bref, nous avons, durant toute la matinée, nagé dans une bienheureuse opulence ; ensuite ça s'est tassé, notamment lorsque je me suis avisé que cette manne serait entièrement engloutie, d'ici une semaine, lorsque seraient présentées les cartes bleues du mois écoulé. Il n'empêche : nous aurons eu deux à trois heures de félicité financière, et ce n'est nullement à négliger.

– Notre vieille voisine, Mme  G., a dit à Catherine, hier, que nos voisins “de gauche”, songeraient à vendre la moitié du verger qui jouxte notre jardin, afin de le transformer en terrain à bâtir. Nous avons aussitôt décidé de leur dire que, si vraiment ils faisaient cela, nous nous nous porterions acquéreurs ; non pas pour y faire construire quoi que ce soit, mais au contraire pour empêcher un fâcheux quelconque de venir le faire. Évidemment nous n'avons pas le premier sou pour une telle transaction : il faudra alors voir avec ma mère si 1) elle dispose de la somme qui sera requise ; 2) elle accepte de nous la prêter. Si elle acceptait, il me semble évident que je n'aurais jamais de quoi la rembourser et que, en fait, cela reviendrait à dépenser par avance mon hypothétique part d'héritage. (Je dis “hypothétique” car, ma grand-mère ayant vécu jusqu'à 103 ans, je ne considère pas déraisonnable l'idée que je puisse mourir avant ma mère.) En tout état de cause, le plus simple serait évidemment que les voisins ne vendent rien du tout : cela nous éviterait un endettement pour acheter un terrain dont nous n'avons nul besoin.


Lundi 24 juillet

Sept heures. – Rendez-vous était pris à la clinique Pasteur d'Évreux pour trois heures et quart cet après-midi : radio “panoramique” de mes distinguées mandibules. J'avais bien entendu emporté un livre, Une histoire de la lecture, d'Alberto Manguel : j'ai à peine eu le temps d'en lire une demi-page. Arrivé à trois heures cinq, j'étais ressorti à trois heures vingt, radio en main ; laquelle radio a ensuite été déposée au cabinet dentaire du Dr D., qui est censée me téléphoner s'il y a un problème quelconque nécessitant sa prompte intervention : jusqu'à présent, elle ne s'est pas manifestée.

– Toujours aucun travail à faire pour FD ; cela fait au moins quatre semaines que cela dure, alors que, en principe, en ce temps de vacances, je devrais crouler sous les articles à écrire. Tout cela ne sent pas très bon, j'vous l'dis. D'un autre côté, comme je m'en fous…

– J'en ai fini avec Daudet, dont la lecture est décidément bien pourléchante. Je suis donc, comme indiqué plus haut, revenu à Manguel. Ensuite, je m'attaquerai probablement à l'Histoire de la Révolution française de Gaxotte, arrivée ce matin en même temps que le roman d'un vieil Argentin (fin du XIXe), qui m'était tellement inconnu que je me suis empressé d'oublier son nom ; mais ça me reviendra. Après quoi, si mon appétit de roman est réactivé, je plongerai sans doute dans un mini-cycle nord-américain, avec Philip Roth, dont j'attends quatre ou cinq romans (en un seul volume) dans les jours prochains, ainsi que Thomas Pynchon, abordé sans grand succès il y a une quinzaine d'années (Mason et Dixon, abandonné à  moins de la moitié) ; et peut-être un timide retour à Faulkner, si les deux précédents ne m'ont pas trop désabusé de la littérature yankee.


Mardi 25 juillet

Sept heures vingt. – Je ne sais déjà plus qui (mais je le retiens, celui-là) en disait grand bien, de ce livre, au point que je l'ai illico commandé. Reçu ce matin et lu cet après-midi, j'en suis fort désappointé. D'abord parce qu'il y a nette tromperie sur la marchandise : intitulé Comment parler des livres que l'on n'a pas lus ? il ne traite à peu près pas de la question. D'autre part, je m'attendais à un petit ouvrage piquant, drôle, inventif, voire sarcastique tout en étant pertinent ; je me suis retrouvé à ingérer de pesantes tartines, façon explications de textes pour étudiants en grande difficulté, dans lesquelles la légèreté et le second degré attendus ont été remplacés par un imperturbable sérieux. Et, en plus, sans le moindre attrait de style : poubelle jaune. Wikipédia nous assure que l'auteur fait preuve d'un “certain sens de l'humour absurde” : c'est un certain sens que je ne dois pas posséder, à l'évidence. Toujours sur Wiki, j'apprends aussi que Pierre Bayard, l'auteur donc, est professeur de littérature à l'université et psychanalyste. Je me disais aussi…

Du coup, j'ai commencé la Révolution française de Gaxotte.


Mercredi 26 juillet

Sept heures dix. – «  Si si, Alphonse Daudet est un très grand écrivain, et un romancier bien supérieur à Flaubert. » Voilà ce que m'assénait, hier ou avant-hier, Michel Desgranges, en post-scriptum d'un himmel, et sans doute en réaction à ce que j'écrivais dans mon billet de blog précédent. J'ai fait un saut, comme dirait Catherine. Daudet supérieur, et même bien supérieur, à Flaubert ? Allons donc ! Il est loin d'être mauvais, Alphonse, j'en conviens, et Tartarin sur les Alpes reste d'une lecture réjouissante… mais tout de même ! Pour ne pas en rester là, j'ai ressorti ce matin le volume “Omnibus” que je possède, et qui contient entre autres Sapho, roman que je n'ai jamais lu et que, à plusieurs reprises dans ses articles, Léon Daudet élève au pinacle, ou pas très loin. Ce n'est pas mal, en effet ; sans doute un peu mieux que pas mal même ; mais grand écrivain ? Bien supérieur à Flaubert, dont on sent par ailleurs l'influence en de nombreux paragraphes ? Non et non ! Je ne le trouve même pas supérieur à Zola, à vrai dire, auquel il fait souvent penser également. Daudet est un peu trop sage, un peu trop appliqué à lécher les “scènes à faire”. Et ses personnages manquent cruellement de relief, de contours nets. Supérieur à Goncourt ou à Vallès, d'accord. Mais pas à Flaubert, ça non !  Il va falloir que Michel, chez qui je déjeune demain, s'explique un peu là-dessus…


Vendredi 28 juillet

Sept heures dix. – Excellente demi-journée, hier, chez les Desgranges, comme chaque fois que je vais chez eux. J'ai eu la surprise de découvrir un Michel barbu, si bien que ses allures habituelles de vieil aristocrate normand, façon La Varende, prenaient tout à coup des reflets dostoïevskiens. Il m'a offert l'Histoire naturelle de Pline l'Ancien (celui qui a trouvé la mort lors de l'éruption du Vésuve de 81), dans une très élégante édition, en deux volumes cartonnés présentés sous coffret, que les Belles Lettres ont publiée l'année dernière. Les deux tiers de chaque page sont occupés par la traduction de Littré, et le tiers du bas, en plus petits caractères et en rouge, par le texte latin. Du coup, depuis ce matin, je suis plongé dans la lecture de la cosmogonie de Pline, qui est parfois assez ébouriffante. Pour cette fois – je reviens à ma visite desgrangienne –, nous n'avons qu'assez peu parlé de littérature, mais surtout de séries télévisées et de musique, Michel ayant depuis peu replongé dans la musique classique. Dès ce matin, j'ai commandé les Mémoires de Berlioz et le Monsieur Croche de Debussy. Côté télé, ont été également commandées la troisième saison de Penny Dreadful, série horrifique anglaise, ainsi que les deux premières saisons d'une autre série d'horreur, américaine celle-là : The Strain, dont j'ignorais tout à fait l'existence. Les deux occuperont mes soirées en septembre, lorsque Catherine m'abandonnera lâchement pour aller festoyer durant une semaine avec ses filles et sa petite-fille, à Saint-Malo.

– Depuis ce matin, le cercle de famille s'est agrandi de deux poules, une rousse et une grise, que Catherine est allée acheter à la jardinerie des hauts de Pacy. Pour l'instant on ne les voit pas, le vendeur ayant expressément recommandé de les enfermer dans leur poulailler (monté par Catherine hier) jusqu'à demain afin de leur laisser le temps de se “déstresser”. À compter de demain matin, elles auront droit au petit enclos grillagé qui prolonge le poulailler ; et ce n'est qu'après-demain qu'elles pourront librement vaquer dans le jardin. Comme il s'agit de poules de demi-luxe, nous les avons baptisées Odette et Nana ; celle-ci étant bien entendu la rousse.


Samedi 29 juillet (anniversaire de Catherine)

Cinq heures. – Normalement, suivant les recommandations du poulologue patenté, Odette et Nana auraient dû passer cette seconde journée chez nous sans encore sortir de l'enclos grillagé qui fait office de narthex à leur asile de nuit (et de ponte, espère-t-on). Seulement, ce matin, lorsque Catherine a ouvert le petit abattant de bois du dit poulailler (je dormais encore), Golo s'est précipité sur l'enclos. Du coup, les deux malheureuses se sont agitées inconsidérément, et, on ne sait trop pourquoi (je suppose, comme chantait Brassens, qu'on avait dû la fermer mal), la petite porte de l'enclos s'est ouverte ; voilà Odette et Nana dans le jardin. Contrairement aux craintes de Catherine, elles ont par la suite, après un petit tour d'inspection, très bien retrouvé le chemin de leur home, où se trouvaient eau et nourriture, auxquelles elles ont fait largement honneur. Depuis, le chat s'est complètement désintéressé d'elles et elles semblent tout à fait acclimatées à ce qui sera leur résidence jusqu'à ce qu'elles meurent de vieillesse (ou de maladie), car il ne saurait bien entendu être question que nous les zigouillassions pour les manger.

– Jeudi, Michel Desgranges et moi-même nous demandions s'il ne vaudrait pas la peine de lire (pour moi) ou de relire (pour lui) quelques romans de Pierre Benoit, dont nous avions pu constater tous les deux que Léon Daudet disait grand bien. Pour le savoir, j'ai commandé, reçu et lu Mademoiselle de La Ferté : c'est un roman très bien construit, fort honnêtement écrit mais tout à fait dispensable. J'ai eu l'impression de me trouver face à une sorte de sous-Mauriac, ou d'infra-Green. La seule chose qui y retient un tant soit peu l'attention, c'est la manière fort subtile dont l'auteur suggère l'attirance homosexuelle qui naît entre Anne de La Ferté et la jeune veuve anglaise de l'homme qu'elle aurait dû épouser ; c'est bien peu. Je crois bien que mes amours avec Pierre Benoit ne dureront pas plus que cette journée.


Lundi 31 juillet

Sept heures et demie. – Philip Roth m'emmerde. Voilà deux jours qu'il m'occupe, et il m'emmerde : trop verbeux. Et son fameux humour me laisse assez froid. La prochaine fois que j'aurai envie de lire un Roth, je reviendrai à Josef. Poubelle jaune. Du coup, je suis passé à Debussy et à son Monsieur Croche, reçu ce matin.

– Il y avait donc un mois que je n'avais rien écrit pour FD, et je pensais vraiment que c'en était fini de cette collaboration. Or, aujourd'hui, six feuillet pour enterrer Jeanne Moreau, et, demain matin, quatre feuillets supplémentaires pour également enterrer un comédien de télévision dont je n'ai que très vaguement entendu parler, et en tout cas jamais vu jouer : Jean-Claude Bouillon. Les affaires reprennent, donc.

– Hier, comme je m'étais mis, Dieu sait pourquoi, à relire quelques vieux billets de mon blog, je me suis dit que, ma mère n'ayant pas internet, mais “aimant beaucoup ce que je fais”, je pourrais procéder pour la période 2013 – 2017 comme je l'ai fait pour 2008 – 2013, c'est-à-dire à une sélection des moins mauvaises de mes petites productions, que je tâcherais ensuite d'ordonner de façon à en faire un livre à peu près cohérent. Comme le premier s'appelait En territoire ennemi, ce second volet du diptyque pourrait s'intituler Retour au camp de base, un titre qui implique d'éliminer la plupart de mes textes “polémiques”, évidemment. Je pourrais toutefois en conserver quelques-uns, que je regrouperais sous un sous-titre du genre : Escarmouches d'arrière-garde, ou quelque chose d'approchant.

Évidemment, si je m'obstine dans cette idée, il n'est pas question que je présente le produit fini aux Belles Lettres, à qui j'ai assez fait perdre d'argent comme cela, avec mes deux précédentes et malheureuses tentatives. Je me contenterai d'une ordinaire blurberie, que je ferai tirer à trois quatre exemplaires sans même mettre le livre en vente publique, et ça ira très bien comme cela.

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