DRH : LE DÉPARTEMENT
DES RETRAITES HEUREUSES
Jeudi 1er septembre
Sept heures et quart. – Journée blanche : lecture (Rebatet), rien écrit pour FD, simplement commandé, reçu et lu la documentation en vie d'un “destin brisé” concernant Ayrton Senna. Ce qui m'a considérablement rajeuni puisque, à cette époque, il y a plus de vingt ans, Catherine et moi nous intéressions beaucoup à la F1, ne manquant quasiment aucun grand prix ; sauf ceux qui, pour cause de décalage horaire, se déroulaient en pleine nuit. Et je me souviens très précisément de la journée du 1er mai 1994, celle où est morte Ayrton Senna. Luc Évrard était venu passé le week-end à la maison (notre maison d'alors, celle des bords de Loire). Après un déjeuner bien arrosé, il s'était retiré dans notre chambre afin de regarder en direct le grand prix d'Imola, que nous avions, nous, programmé sur le magnétoscope afin de le regarder le soir, après son départ. Et il a eu la force d'âme de repartir pour Paris, quelques heures plus tard, sans nous avoir dit que Senna venait de se tuer sous ses yeux.
Vendredi 2 septembre
Huit heures moins le quart.
– Il y a des jours où l'idée de continuer à vivre devient pesante :
c'était le cas aujourd'hui, et notamment ce soir. Que pourrait-il bien
se passer demain qui n'est pas advenu hier, à part les maladies
invalidantes et l'agonie au bout ? Et si chaque journée à venir doit
être strictement semblable à celle que l'on vient de passer (ce qui, en
principe, reste mon idéal), à quoi bon les vivre ? Même les livres, à
certaines heures, me semblent relever du radotage. De l'autre côté de la
fenêtre, Bergotte ronge un os sur lequel elle s'est déjà acharnée dix
fois.
Samedi 3 septembre
Sept heures et demie. – Je comptais, ce soir, dire quelques mots à propos des Deux Étendards
de Rebatet, dont j'ai tout à l'heure franchi victorieusement la
millième page (il m'en reste tout de même trois cents encore…). Et voilà
que je reçois un himmel de M. Aboucaya qui, entre autres choses, me dit
ceci, en réponse à mon précédent petit mot, à lui envoyé :
« Les Étendards,
certes, Michel et ses atermoiements ont parfois de quoi irriter, et il
faut attendre bien longtemps pour que le berlingot saute enfin. Mais,
dans l'intervalle, que de morceaux délicieux, de digressions suaves (la
musique), de fraîcheur ignorée des "ados" actuels, d'analyse
psychologique subtile... Quant à Une Histoire de la musique, régal intégral, même s'il arrive qu'on ne soit pas toujours d'accord avec l'auteur. Je ne m'aviserai pas de gloser sur Les Décombres, peu soucieux d'aggraver un cas déjà désespéré. »
Il
a raison, évidemment. Il n'empêche que, après mille pages, je commence à
m'irriter de plus en plus ouvertement contre ses trois personnages
principaux (et même à peu près uniques) ; ce qui, du reste, tendrait à
prouver qu'ils existent bel et bien. Mais Dieu qu'ils peuvent être
horripilants, chacun dans son genre ! Attachants aussi, naturellement,
mais enfin : de plus en plus horripilants à mesure qu'on les fréquente
et qu'on les voit tourner sans fin autour du pot… au propre comme au
figuré. Hier, je n'ai quasiment pas décoléré de la journée, à cause de
cette andouille raisonneuse de Michel Croz, qui se voit soudain offrir
l'occasion de quitter Lyon pour revenir à Paris et s'y faire embaucher
aux Nouvelles littéraires tout juste créées et dirigées par
Emmanuel Berl. Naturellement, il choisit de laisser passer l'occasion et
de continuer à se dessécher sur pied entre Saône et Rhône, à tourner
sans fin autour du cul de cette pucelle d'Anne-Marie, en pleine crise de
dévotion. (Du reste, un revirement soudain s'est produit ce matin, et
l'Anne-Marie en question s'est mise à prendre un relief intéressant ;
mais le gars Michel n'a toujours pas trempé son biscuit…) Je rageais
tout seul dans mon fauteuil, en me disant que ce chien nauséabond de
Rebatet nous privait sadiquement d'un tableau de la presse parisienne au
début des années trente, qui aurait été hautement réjouissant. Je me
suis un peu calmé en me rendant compte, un peu plus tard, que, ce
tableau, il l'avait déjà, et superbement, donné dans ses Décombres
de 1942, et que, donc, il y avait un risque de double emploi. Et puis,
ce retour de Michel à Paris aurait fait prendre au roman un virage si
serré qu'il aurait peut-être bien sauté hors de ses rails. Mais c'est un
risque que Balzac n'a pas hésité à prendre, lui, dans ses Illusions perdues,
et il a eu bien raison de le faire. Dans son cas, d'ailleurs,
l'embardée n'est pas tant entre la première et la deuxième partie (la
première peut être vue comme un long mais simple préambule de la suite)
qu'entre la fin des illusions parisiennes de cet imbécile de Lucien et
son retour à Angoulême ; où, en outre, Balzac l'abandonne presque
complètement pour braquer sa caméra sur David Séchard, le beau-frère
imprimeur. Enfin, bon : pour en revenir au roman de Rebatet, et conclure
provisoirement à son sujet, je trouve que 1300 pages très serrées
uniquement pour savoir si on va tirer un coup ou pas, c'est tout de même
bien long. D'un autre côté, le fait que l'on aille au bout de ces
pages, et qu'on y aille pratiquement d'une traite, prouve que l'on est
face à un livre qui compte, ou plutôt qui devrait compter si l'on était
capable de le considérer en lui-même et non par rapport aux errances de
son auteur entre 1940 et 1945. Mais, ça, c'est vraiment beaucoup
demander, je crois.
Dimanche 4 septembre
Sept heures vingt. – Eh bien, je suis finalement venu à bout de mes Étendards,
en fin d'après-midi. Je suis très content de l'avoir lu, c'en valait la
peine (même si, effectivement, peine il y eut, en de nombreux
endroits), mais je suis fort admiratif du Père B., qui me disait l'autre
jour avoir relu ce roman : on ne m'y prendra pas. Même si, au
bout de compte, il s'agit d'un livre assez nettement anti-catholique,
pour ne pas dire anti-chrétien, j'ai l'impression d'avoir ingurgité
davantage de bondieuseries en dix jours que durant les dix années
écoulées.
Lundi 5 septembre
Sept heures vingt.
– Ce matin, petite expédition ébroïcienne, dont le but principal était
d'acheter une imprimante, puisque je ne puis plus profiter des
facilités que m'offrait FD de ce point de vue. M. Darty nous en vendit
une promptement, fort peu onéreuse ainsi que nous le souhaitions. De
retour ici, nous nous empressâmes de la brancher et de la relier à mon
ordinateur, lequel accueillit la nouvelle arrivante avec une grande
bonhommie, allant même jusqu'à l'appeler par son petit nom, comme s'ils
avaient gardé les octets ensemble étant gamins. Il ne restait plus qu'à
lancer l'impression d'un document quelconque, pour vérifier que tout
fonctionnait parfaitement. Comme je m'y attendait plus ou moins, mais
nettement plus que moins, rien ne se passa, rien ne fut imprimé ; et,
malgré son opiniâtreté, Catherine ne parvint pas à venir à bout de cette
stupide et rétive machine. Inutile, bien sûr, d'espérer quelque secours
que ce soit du mode d'emploi, qui vous ferait douter que le français
fut bien, en des temps reculés, votre langue maternelle. Nous aurons,
mercredi soir, la visite de l'un de nos voisins, qui est une sorte de
spécialiste de ces saloperies informatiques ; et qui devrait donc nous
humilier en réglant le problème en moins de temps qu'il ne nous a fallu
pour sortir l'impavide engin de sa boîte en carton.
Mardi 6 septembre
Sept heures dix. –
Mes Puissances ont un peu abusé de la leur, aujourd'hui, me réclamant
un article de près de cinq mille signes ce matin et, à l'heure de la
sieste “post-prandiale”, comme dirait l'autre, un second de six mille,
ce dernier sur un sujet qui ne méritait pas plus de vingt lignes. Comme
de juste, le vaillant petit trousseur de contes est venu à bout de cette
double mission.
– Depuis hier, je sens monter la
pression en moi, relativement à mon prochain et toujours éventuel
départ. J'ai beau me fustiger mentalement, me moquer de moi-même de la
manière la plus acerbe, rien n'y fait : chaque heure qui passe me trouve
de plus en plus persuadé que ma demande va finalement être rejetée et
que je vais devoir continuer à FD comme à présent ; ce qui, du reste,
considéré objectivement, ne serait pas une catastrophe : il me suffirait
d'attendre la vente du journal, qui va bien finir par se faire, et, en
attendant, je mettrais le marché entre les mains de Philippe, mon vénéré
patron de la rédaction : soit il accepte que je continue à ne plus
venir du tout à Levallois, soit je prends ma retraite illico, avec ou
sans cadeau de départ. Je suis à peu près assuré de sa réponse.
– Parce que je suis tombé hier soir, au hasard d'un zapping, sur une émission que France 3 consacrait à Fernand Braudel, j'ai repris ce matin le premier tome de son Identité de la France,
livre savoureux et brillant que j'avais lu à sa sortie, en 1986 je
crois. Braudel fut peut-être le dernier historien à savoir vraiment
écrire. Ce n'est pas Michelet ou Taine, bien entendu, ni même Bainville,
mais enfin, il sait sa langue. Je me disais, avant d'ouvrir le
volume que, s'il devait publier ce livre aujourd'hui, il serait sans
doute plus ou moins contraint – éventuellement par lui-même d'ailleurs –
de lui choisir un titre sentant un peu moins le soufre que celui-là.
C'est à ce genre de petites réflexions que l'on se rend compte,
concrètement, à quel point, en trente ans, nous avons fait des progrès
dans la dégradation, progressé dans la régression.
Jeudi 8 septembre
Quatre heures. –
Le sketch de l'imprimante continue, mornement prévisible. Hier soir,
notre voisin “de derrière”, M. B., est donc venu pour tenter de la
mettre en service. Il s'est rendu compte, au bout de trois minutes, que
nous nous étions fait refiler une machine merveilleusement incompatible
avec mon ordinateur. Car si le vendeur avait répondu un “oui” franc et
massif lorsque Catherine lui avait demandé si son imprimante était
compatible avec Mac, il avait omis de préciser qu'elle l'était avec certains Mac – et, bien entendu, à l'exclusion du mien.
Donc,
ce matin, retour chez Darty, où l'on n'a fait aucune difficulté pour
nous reprendre imprimante et cartouches d'encre. Ensuite, descente à
Pacy, dans la boutique du même M. B., dont nous ignorions qu'il vendait…
des imprimantes. Il nous en a donc vendu une, de même marque que la
fugitive précédente, en nous assurant que celle-ci était compatible,
mais que, pour la faire fonctionner, il faudrait sans doute se rendre
sur le site du fabricant pour y télécharger je ne sais quoi.
Naturellement, comme toujours dans ce genre de cas de figure, c'était
censé être “tout simple”. Et, tout aussi naturellement, Catherine et moi
avons coulé à pic dès notre arrive sur le site en question. M. B. doit
donc repasser par chez nous (ce sera lundi soir) afin de régler le
problème. Tout cela est si normal, si prévisible, que cela finit par
m'amuser beaucoup.
– Toujours aucune nouvelle de la DRH, à propos de mon départ. (Il est vrai que l'on m'avait dit : entre le 10 et le 15 probablement…)
J'en profite pour continuer mon auto-bourrage de mou : j'en suis déjà à
l'opinion qu'un refus n'aurait au fond aucune importance, ma situation
actuelle étant tout à fait supportable, puisqu'elle consiste à recevoir
un salaire confortable en échange d'une heure d'écriture quotidienne à
domicile. Encore un jour ou deux de “travail sur moi-même” et je devrais
en arriver à souhaiter que ma candidature soit refusée.
Vendredi 9 septembre
Sept heures et demie.
– Journée exclusivement braudélienne, en dehors d'un rapide
aller-retour à la déchetterie en fin de matinée. Le deuxième tome de L'Identité de la France s'intitule Les Hommes et les Choses
(le troisième aussi, du reste) ; Braudel y examine le déroulé de notre
histoire sous l'angle de la démographie. Le volume se termine par
quelques pages consacrées à l'immigration contemporaine. Et l'on se rend
compte dès le premier paragraphe que, écrit voilà trente ans, tout ce
qu'on va lire sur le sujet ne pourra qu'être complètement obsolète – de
fait, ce l'est –, tant il est vrai qu'encore en 1985 la situation que
nous vivons désormais était absolument inimaginable. Mais peut-être en
va-t-il de même pour toutes les grandes catastrophes.
Samedi 10 septembre
Sept heures vingt. –
J'en ai fini de mes lectures braudéliennes cet après-midi ; mais il
faut dire que j'ai plutôt survolé que lu le troisième tome : l'économie
et moi… J'ai enchaîné avec Les Lieux de mémoire, écrits par de nombreux contributeurs sous la direction de Pierre Nora. J'ai négligé le premier volume, La République, pour passer directement au second, La Nation,
lequel se subdivise en trois tomes d'environ 500 pages. J'avais acheté
l'ensemble à leur parution, c'est-à-dire il y a plus ou moins trente ans
; je crois bien me souvenir que je n'avais pas tout lu, alors : on va
voir si je serai plus endurant cette fois-ci.C'est seulement hier, en
attrapant le livre en question, que je me suis avisé de ce que je
n'avais jamais acheté le troisième volet du triptyque, Les France,
lui aussi composé de trois tomes. J'ai aussitôt voulu réparer cet oubli
stupide : pas moyen ; introuvables, même d'occasion. Pourtant,
Gallimard, l'éditeur originel, a ressorti l'ensemble en 1997, en trois
gros volumes de sa collection Quarto. Seul le premier semble accessible
et, bien entendu, c'est le troisième qui m'aurait intéressé. D'un autre
côté, il sera toujours temps de me pencher sérieusement sur la question
si je lis vraiment de bout en bout les quatre tomes qui sont en ma
possession…
– Le temps est curieux, depuis deux ou
trois jours. Quand je me lève le matin, peu avant ou après huit heures,
le thermomètre extérieur affiche chichement 7 ou 8° ; et, quelques
heures plus tard, il se retrouve à 25 ou 26°, avant de rechuter (mais
plus lentement qu'il n'a grimpé tout de même) dès que la nuit
s'installe.
– Les blogs semblent être en train de
crever doucettement de leur belle mort, et ce n'est certes pas moi qui
porterai leur deuil. L'avantage de cette agonie, se traduisant par une
nette raréfaction des billets, c'est que je n'y passe plus qu'un temps
vraiment dérisoire, ce qui est autant de gagné pour la lecture (et pour
l'écriture si je me décidais à écrire…).
Lundi 12 septembre
Sept heures dix.
– Hier, tandis que la nuit prenait résolument ses aises, et que je
naviguais à sauts et à gambades entre les différentes chaînes de
télévision, j'ai brusquement basculé dans une espèce de monde
surnaturel, qui était bien entendu le nôtre et qui rappelait par son
étrangeté mi-inquiétante, mi-comique, ce pays où les lapins ont des
montres à goussets et les sourires une complète autonomie d'existence.
C'était une émission consacrée à ces jeux que l'on nomme paralympiques, et que je serais tenté de rebaptiser plutôt guignolympiques. Au moment où je débarquai, se disputait entre le Brésil et la Turquie, la fin d'une première mi-temps de cécifoot
: en modernœud, le mot désigne une partie de football réservée aux
aveugles et se pratiquant sur un terrain beaucoup plus petit que le
vrai. Passé la première minute d'incrédulité peureuse, je me mis à
osciller assez violemment entre le fou-rire nerveux et la béance pure et
simple. Finalement, le rire l'emporta haut la main, devant ces fantômes
en shorts et maillots jetant maladroitement leurs pieds cramponnés en
avant, quand la balle était déjà à deux mètres d'eux ; rire libérateur,
rire sain, rire nostalgique aussi : qui, de nos jours, a encore
l'occasion de se foutre de la poire des aveugles ? Même celui qui se
sentirait de taille à braver l'opprobre induite par une telle
malveillance serait bien empêché de dauber, vu la raréfaction dramatique
de cette catégorie d'infirmes. Passerait-il une journée entière sur un
banc public, face à un réverbère, qu'il n'aurait pratiquement aucun
porteur de canne blanche venir s'y écraser le nez. Mais, là, soudain,
cette innocente petite joie m'était rendue pour quelques minutes. La
mi-temps se termina sur le score de 1 à 0 en faveur du Brésil. L'autre
source d'amusement et de pouffade était le décalage entre la
sarabande incertaine qui se donnait à voir et le sérieux papal dont
faisait preuve les deux commentateurs appointés.
Ensuite,
j'eus droit à un 400 mètres pour culs-de-jatte. On les pose sur des
sièges qui ne sont pas sans rappeler ceux des tracteurs de notre
enfance, monté sur un châssis équipé de trois roues : une moyenne à
l'avant et deux grandes latérales arrière ; c'est en poussant ces
dernières à la force des bras que les athlètes s'élancent sur la piste.
J'ai attendu jusqu'au premier virage, pour voir, en cas de chute, ce qui
allait se passer, mais tout ce petit monde est passé sans encombre.
J'ai
finalement découvert un sport inconnu (inconnu de moi), qui se pratique
sur un terrain de la même taille que le cécifoot et dont j'ai oublié le
nom. De chaque côté, le fond du terrain est presque entièrement occupé
par une cage de but extrêmement longue. Deux équipes de trois joueurs
s'affrontent. Ils sont à demi-assis, à demi-allongés (un mauvais esprit
dirait : vautrés) sur le sol. L'un des joueur d'une équipe se lève,
attrape le ballon et l'envoie d'un déroulé du bras vers la gigantesque
cage de ses adversaires ; lesquels, ne le voyant pas arriver, le
laissent passer ou bien le stoppent par hasard, parce qu'ils se
trouvaient sur la trajectoire : après deux ou trois minutes, cela
devient un peu monotone, malgré les paracommentaires enthousiastes des
deux parajournalistes parasportifs.
J'ai encore
patienté un peu, espérant vaguement assister à une épreuve de tir à
l'arc pour manchots ou à une course de Formule 1 pour aveugles. Je suis
finalement allé me coucher, pas tout à fait certain d'être revenu dans
le monde réel, ni même de l'existence d'une réalité quelconque.
Mardi 13 septembre
Sept heures vingt.
– Finalement, la mémoire est une chose dont il ne faut pas abuser, bien
qu'excellente en soi ; c'est pourquoi, ce matin, j'ai sagement remis à
leur place les Lieux qui lui sont consacrés. Puis, comme j'avais
envie d'un peu de flamboyance, j'ai repris Léon Daudet (pas longtemps
après Rebatet : je sens que mon dossier s'épaissit, à la Chancellerie).
J'y ai trouvé cette anecdote : lorsque Émile Bergerat se présenta chez
Théophile Gautier afin de lui demander la main de sa fille, un scrupule
d'honnêteté le poussa à révéler à son futur beau-père que, dans un passé
point si éloigné, sa mère avait vécu avec un prêtre ; ce à quoi Gautier
répondit : « Mais, mon jeune ami, avec quel homme plus honorable Madame
votre mère eût-elle pu bien vivre ? »
– Il règne ici,
depuis trois jours – et encore demain si j'ai bien compris – une
température scandaleusement méditerranéenne, qui nous oblige à vivre
portes et fenêtres fermées dès neuf ou dix heures du matin ; et, en
revanche, à dormir aux quatre vents, lesquels ne sont nullement de
l'esprit. Il serait temps, à la mi-septembre, que la Normandie reprenne
le pas sur la Provence.
– La mi-septembre, c'est le
moment où, en principe, où la DRH devrait se manifester auprès de moi,
pour me dire si, oui ou non, ma demande de départ est acceptée ;
évidemment, pour le moment, règnent toujours le silence et
l'incertitude. J'ai décidé que, si rien ne s'était produit vendredi en
fin de journée, je décrocherais mon téléphone dès lundi matin pour
rappeler à tous ces braves gens que j'existe.
– Le bon
M. B. est passé hier soir pour mettre en marche l'imprimante qu'il nous
avait vendue en fin de semaine dernière et que, comme de juste, nous
avions été incapables de faire fonctionner : l'affaire lui a pris cinq
minutes, sans le moindre raté, ce qui, l'habitude aidant, n'a même pas
réussi à m'humilier le moins du monde. J'ai prévu, dès que j'aurais mon
chèque de départ de FD (si je l'ai un jour…), d'aller lui acheter un
nouvel ordinateur, de manière à ce qu'il puisse m'installer dedans tout
ce se trouve dans l'actuel, avant que celui-ci ne tombe en panne.
Du coup, nous allons devoir dire adieu à Apple, avec qui je travaille
depuis une quinzaine d'années au moins, car lui n'en vend pas. J'espère
que je pourrai me réadapter sans trop de peine à… à je ne sais même pas
quoi, tout en étant fermement persuadé du contraire.
Mercredi 14 septembre
Sept heures et demie. – Ce que je disais avant-hier, à propos des jeux gignolympiques,
je l'ai transformé en billet de blog ; si bien que j'ai eu, évidemment,
des commentaires, assez nombreux. À l'un d'eux, je répondais, hier ou
ce matin, que j'attendais avec impatience un concours de tir à l'arc
pour manchots, ce qui, dans mon esprit, était évidemment de l'humour et
avait à peu près autant de sens qu'un concours de ténors wagnériens pour
muets. Or, presque aussitôt, Matthieu Woland déposait en dessous une
vidéo où l'on voit en effet, lors d'une compétition à l'impeccable
sérieux, un homme privé de bras tirer à l'arc avec ses orteils. Ce monde
n'est pas seulement effrayant, il est décourageant, en ce sens qu'il
est devenu incaricaturable : tout ce qu'on peut imaginer de plus
stupide existe déjà, et environné du solennel le plus imperturbable. Il
va être temps de rompre, de rompre vraiment, avec cet asile gigantesque dans lequel nous sommes enfermés.
Jeudi 15 septembre
Cinq heures.
– Eh bien, ça y est : j'ai reçu, il y a une heure, un himmel de la DRH
m'apprenant que ma candidature au départ était acceptée, et que la chose
serait formalisée dans les jours qui viennent. C'est donc la fin
d'un insoutenable suspense, laquelle va évidemment entraîner tout à
l'heure un petit apéritif, non pas mérité mais tout à fait logique.
–
Dans la “chronologie” de Renaud Camus, à la date d'hier, figure cette
phrase : « Pas mal de visiteurs toute l’après-midi, Pierre s’en occupe,
en profite pour lire le livre de Didier Goux, Le Chef-d’Œuvre de Michel Houellebecq, soirée dans une ville de province avec Houellebecq. » Je ne sais si Camus est parvenu
au chapitre 8 de mon roman, ou s'il n'a fait que feuilleter le dit
chapitre ; la seconde hypothèse me paraît tout de même la plus probable.
Samedi 17 septembre
Sept heures vingt.
– Irritants problèmes avec nos deux boitamels Orange, hier toute la
journée ; notamment, le courant ne passait plus, si j'ose dire, entre FD
et moi, ce qui était un peu ennuyeux pour mon travail, surtout si les
choses se mettaient à s'éterniser en l'état. Heureusement, tout paraît
rétabli aujourd'hui. Pour plus de sécurité, Catherine m'a créé une
nouvelle boîte chez Outlook.
– Sinon rien de
particulier à noter ici, sinon qu'il pleut depuis deux jours sans
beaucoup discontinuer et que les températures ont gaillardement plongé
sous la barre des 20°, ce qui fait que les vieillards frileux que nous
sommes devenus ont ressorti les pulls de leur armoire. Et les
chaussettes de laine montantes. Continué ma lecture des Souvenirs
de Daudet fils, dont j'ai même tiré un petit billet pour le blog, que
je ne mets pas en lien ici, le trouvant tout à fait oubliable. Et j'ai
sagement remis à demain matin les cinq mille signes que je m'étais
solennellement promis d'écrire aujourd'hui.
– Samedi prochain, déjeuner chez les Desgranges.
Lundi 19 septembre
Sept heures et demie.
– Rien de plus à consigner aujourd'hui qu'hier, se ce n'est que, en
ayant terminé avec Léon Daudet, et ne sachant trop quoi entamer d'autre,
j'ai repris, en attendant que l'inspiration me vienne, le Dictionnaire égoïste de la littérature française
de Charles Dantzig, dans lequel je picore çà et là un article au gré de
mon humeur : passe-temps fort agréable, et qui donne à peu de frais
l'impression d'être intelligent et cultivé.
– Pas de nouvelles nouvelles du côté de chez Lagardère.
Mardi 20 septembre
Sept heures vingt.
– N'ayant toujours reçu aucune commande de mes Puissances tutélaires à
deux heures et demie, je m'estimais sauf pour la journée, quand m'est
échue une mission particulière : préparer, sur huit mille signes, une
nécrologie de Jacques Chirac, pour le cas où il viendrait à défunter
d'ici demain, deux heures de l'après-midi. Évidemment, il ne s'agit
pas, pour FD, de retracer sa carrière politique, ce qui est une chance
car cela m'aurait atrocement ennuyé. Je crois avoir trouvé la manière
dont je vais angler mon affaire (« Titrez les premiers, Messieurs les anglés ! »), en jouant sur le côté Janus bifrons
du personnage (quitte à forcer un peu le trait) : d'un côté le
politicien professionnel, énarque, tueur au sang froid, etc. ; de
l'autre, le mec sympathique, proche des gens, buveur de bière et
bouffeur de cochonnailles, tâteur de culs bovins, und so weiter.
Le tout en m'appuyant sur sa “fiche” Wiki, dont j'ai déjà tiré tout à
l'heure le plan très sommaire qui me servira demain matin.
Jeudi 22 septembre
Sept heures dix.
– J'ai écrit, hier, mes huit mille signes sur Jacques Chirac (ma
“viande froide”, en jargon journalistique…), entre neuf et onze heures ;
ils n'ont servi à rien puisque l'Ex semble tenir bon la rampe
jusqu'ici. À l'heure qu'il est, ils doivent être au congélateur : quand
le besoin s'en fera sentir, quelques tours de micro-ondes et ils
paraîtront frais du jour.
– En ayant fini avec Dantzig et son dictionnaire, j'ai failli m'emparer du recueil de nouvelles de Jacques Aboucaya, Mûrir de désir, que son auteur a eu la gentillesse de m'envoyer il y a quelques jours. Mais comme, dans l'intervalle, était aussi arrivé Le Cabinet noir
de Max Jacob, qui se retrouvait donc au sommet de la petite pile, c'est
lui qui a eu la préférence : j'espère que M. Aboucaya ne s'en montrera
pas froissé lorsqu'il lira ça le mois prochain.
Il est
d'ailleurs fort savoureux, ce livre de Jacob, ensemble de lettres
imaginaires qui sont parfois commentées et parfois non ; quand elles le
sont, ce n'est pas par Max Jacob mais par un troisième personnage, tout
aussi imaginaire que l'expéditeur et le destinataire, et dont en général
on ne sait pratiquement rien. Les lettres sont presque toujours drôles,
mais sur un fond de tristesse tendre qui n'exclut pas une certaine
ironie parfois. Enfin, bref : un excellent petit livre. (J'ai de moins
en moins envie de parler de ce que je lis, je ne sais pourquoi.)
Vendredi 23 septembre
Sept heures dix. –
Cette fois c'est (presque) officiel : j'ai reçu un appel téléphonique
ce matin – j'étais occupé dehors, à étendre du linge sur la corde… –
d'un jeune homme de la DRH (le Département des Retraites Heureuses) de
Lagardère, pour m'informer d'un courrier qu'il m'envoyait. Je serai donc
retraité au premier novembre qui vient. Je l'ai aussitôt signalé à
Philippe B., qui m'a informé en retour que le tarif des piges tel qu'il
le pratiquait à FD était soit de 50 € le feuillet (1500 signes) soit de
300 € pour une journée de travail. Je lui ai clairement fait comprendre
que la rétribution journalière avait ma préférence. S'il pouvait avoir
besoin de mes services deux fois par semaine, ce serait idéal, puisque
je me retrouverais avec des revenus assez nettement supérieurs à ceux
d'en ce moment, sans compter le fait que je vais mettre fin dès le mois
prochain au crédit de Liselotte (il me reste normalement quinze mois à
payer), ce qui fera 750 € que je n'aurai plus à débourser chaque mois.
Bref, si l'on ne tient pas compte des maladies diverses et mortelles qui
ne vont pas manquer de nous fondre dessus à la moindre distraction de
notre part, l'avenir s'annonce plutôt riant. Il serait même idyllique si
je me décidais à me mettre à l'écriture de Pot-Bouille. Mais, ça, je n'en prends guère le chemin.
– Aujourd'hui, tontine ; demain, Desgranges.
Mardi 27 septembre
Sept heures vingt.
– Trois jours sans venir dans ce journal, sans que cela ne m'ait manqué
le moins du monde, et guère envie d'y venir non plus aujourd'hui : ça sent le sapin,
comme dirait ma mère. La demi-journée que j'ai passée, samedi, chez les
Desgranges, s'est fort agréablement déroulée, mais il n'y a là rien de
nouveau, donc de notable. Michel est totalement immergé dans le cinéma
des années 20 – 50, aussi bien dans ses lectures que lors de ses soirées
cinéma. Personnellement, ça m'arrange plutôt car, même si je ne suis
pas un cinéphile averti, je fais tout de même moins pâle figure dans une
discussion ayant les grands films américains pour objet que lorsque
Michel m'entraîne du côté de Port-Royal ou des mémorialistes du XVIIe
siècle…
– À part ça, la retraite bat son plein, si je
puis dire. J'ai reçu ce matin la lettre officielle de la DRH me
signifiant que l'on se passera de mes services à compter du 31 octobre.
Du coup, il me faut relancer les différentes caisses (régime général,
AGIRC…) pour les informer de la nouvelle date, 1er novembre et non plus
1er octobre, à laquelle je me mettrai à dépendre financièrement de leur
bon vouloir. Entretemps, mon “solde de tout compte” aura été viré sur le
mien, de compte.
Mercredi 28 septembre
Sept heures dix.
– Pas mécontent du tout de cette journée. D'abord parce que, ce matin,
j'ai eu le courage d'affronter cette épreuve devant laquelle je renâcle
le plus souvent : la visite au bureau de poste. Il s'agissait
d'effectuer un envoi en recommandé avec accusé de réception (AR en
langage postier), lequel avait évidemment à voir avec ma prochaine
retraite ; sinon, je n'aurais même pas envisagé de franchir le seuil du
bureau en question. Tout s'y passa admirablement. D'abord, j'eus la
surprise d'en découvrir le nouvel agencement intérieur (preuve que je ne
fréquente cet endroit qu'en dernière extrémité, Catherine m'ayant
confirmé que les travaux d'aménagement remontaient à environ deux ans). À
un petit bureau, séparé des traditionnels guichets, qui n'avaient pas
changé de place, un homme d'un certain âge semblait n'attendre que moi.
De fait, il fut d'une bienveillance presque maternelle, et je ne
résistai qu'à grand-peine à l'envie de l'embrasser lorsqu'il ne me
réclama que six euros pour prix de sa sollicitude.
–
Cet épisode me remit du baume au cœur et du rose dans ma vie, moi qui
m'étais réveillé grisâtre, parce que pensant au travail qui m'attendait,
aujourd'hui et demain. Deux articles commandés par mes Puissances, mais
très bizarres, et dont je ne suis pas sûr, encore maintenant, d'avoir
compris grand-chose ; ce qui expliquera sans doute le côté brumeux de
l'exposé qui va suivre. Tout a commencé lundi, en milieu d'après-midi,
par un appel téléphonique de Jean-Baptiste D., l'une de mes Puissances
tutélaires subalternes. Il entreprit de m'expliquer, mais de façon fort
brumeuse, que nous avions “récupéré” SLC (comprenez : Salut les copains)
et qu'il s'agissait d'en sortir une sorte de numéro hors-série, comme
nous le faisons depuis déjà un moment pour les “Destins brisés”. Il
s'agissait pour moi, tenta-t-il de m'expliquer, d'écrire huit mille
signes sur les débuts de Johnny Hallyday, mais comme si je les rédigeais
dans les années soixante. À cela venait s'ajouter un article adventice
plus court (deux mille cinq cents), consacré au Teppaz, et écrit selon
le même principe. Je dis “oui” et raccrochai ; pour m'apercevoir au
réveil du lendemain (ce matin, donc), que je n'avais à peu près rien
compris à ce qu'on semblait attendre de moi ; une demande
d'éclaircissement par himmel me laissa tout aussi songeur. Écrire sur
Johnny comme si j'étais un rédacteur de SLC des années soixante ? Oui,
mais : quelle année soixante, précisément ? Qu'étais-je censé
savoir, et quoi ignorer ? Personne ne semblait fixé sur cette question.
L'affaire m'énervant quelque peu, me “prenant la tête”, je décidai, sur
les coups de dix heures, d'expédier le Johnny, ayant vaguement trouvé un
biais pour ce faire. L'affaire était bouclée deux heures plus tard, et
l'on eut l'indulgence, en haut lieu, de s'en déclarer satisfait.
Là-dessus, m'installant pour lire le volume de Courteline que je venais
de recevoir, je me mis à penser au Teppaz. Furieux de l'interférence, je
finis par revenir devant cet écran pour y clavioter rageusement deux
petits feuillets, à propos de ce misérable électrophone dont je crois
bien n'avoir jamais utilisé, ni même vu en action, le moindre
exemplaire.
Tout cela pour dire que ma journée fut bien
remplie, et, le temps d'été aidant, justifia les deux ou trois verres
de riesling frappé que je pris tout à l'heure.
Jeudi 29 septembre
Sept heures.
– Je ne sais quelle inspiration m'a saisie, il y a une petite semaine ;
toujours est-il que j'ai, en deux clics, commandé un gros volume de
Courteline et un autre, encore plus gros, d'Alphonse Allais, tous deux
en collection Bouquins. Après une courte hésitation, j'ai commencé ce
matin par le premier et, depuis, je me délecte des mésaventures assez
nettement asilaires de Messieurs les ronds de cuir. Comme mes
Puissances tutélaires ont eu la délicatesse de ne point m'envoyer de
travail, je n'ai rigoureusement rien fait d'autre de la journée, à part,
ce matin, publier mon journal d'août. Ah ! si : j'ai également envoyé à
himmel à M. Aboucaya pour lui dire tout le bien que je pensais de son
recueil de nouvelles, commencé avant-hier et terminé hier.
Vendredi 30 septembre
Sept heures dix. – Jacques Aboucaya m'a envoyé l'article qu'il a fait paraître dans le numéro d'octobre de Service littéraire,
revue mensuel consacrée au roman, dont j'avoue avec un semblant de
honte que j'en ai ignoré l'existence jusqu'à ce jour, alors qu'elle
approche pourtant de son centième numéro. L'article de M. Aboucaya était
bien sûr consacré au Chef-d'œuvre, et il en disait grand bien, comme il l'avait déjà fait dans le Salon littéraire
du Père Joseph (Vebret). Je l'aurais volontiers reproduit ici, comme je
l'ai fait durant des mois pour les monceaux d'articles qui se sont
écrits à ma gloire, mais il se trouve que je n'ai pas trouvé le moyen de
“l'importer” et que je n'ai guère le courage de le recopier. Il
n'empêche : il y aurait en France une trentaine d'Aboucaya, chantant à
l'unisson mes mérites dans toutes les gazettes, que je serais assurément
le roi du pétrole, mes tirages faisant pâlir d'envie Marc Lévy
soi-même, et sangloter de reconnaissance la duchesse Caroline des Belles
Lettres.
C'est en tout cas suffisant pour finir
septembre sur une note agréable, et entamer, demain, mon mois de
préavis, dernier couloir avant ma libération inconditionnelle.
Lendemain matin (je sais que nous sommes passés cette nuit en octobre, mais tant pis).
– Je trouve dans ma boitamel l'article de M. Aboucaya, transmis
obligeamment par lui sous forme de document Word ; le voici donc :
Didier
Goux est un fieffé réac. Circonstance aggravante, un réac de talent. Son blog
le suggère, son journal en témoigne. Le présent roman en apporte la
confirmation. Il ne respecte rien de ce que notre époque porte au pinacle,
prend à rebours les valeurs de la pensée unique. En territoire ennemi (Les Belles Lettres, 2013) nous avait déjà mis la
puce à l’oreille. Il y dressait un bilan implacable de notre époque. Voilà
qu’il réitère, cette fois sous couvert de fiction. Encore que celle-ci emprunte
à la réalité, au point de se confondre avec elle. A preuve le titre, référence
à un écrivain bien vivant, lui-même fort suspect aux tenants de la doxa en vigueur. Plus ou mois marginaux, du reste, les
personnages principaux. A commencer par Evremont, qui n’est pas un saint, mais
ressemble comme deux gouttes d’eau à son auteur : misanthrope, prompt à la
raillerie, écrivant au kilomètre, mais sous pseudo, des polars érotiques.
Propriétaire d’un chien qui se nomme Charlus, ô mânes de Proust, et pose sur le
monde un regard apathique et désabusé. D’autres encore, Charlie, fils métis de
l’épicier arabe du coin, qui fera auprès de la jeune Tosca son éducation
sentimentale. Jonathan, étudiant en pharmacie, féru des romans de Houellebecq.
Et puis, parmi quelques autres, un grand Noir se disant « sans
papiers » (il en tire auprès des jeunes filles un prestige incomparable).
Tout ce petit monde se croise, s’aime ou se déchire, partage un quotidien fait
de rencontres à l’épicerie ou au bistrot. A des manifs pour de nobles causes,
la lutte contre le staphylocoque doré, la défense des droits acquis. Sous le
rire, la réflexion, parfois amère. L’observation sans concession d’une
civilisation à la dérive. Une comédie humaine prestement troussée. Bien écrite,
de surcroît. Elle exerce sur le lecteur une indéniable séduction.
J.A.
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