TERMINAL 3
Lundi 1er août
Sept heures dix. – Ça se mange très vite, une salade de pommes de terre au haddock, surtout quand tout cela a déjà été découpé en petits cubes par la cuisinière ; d'où mon arrivée ici de plus en plus tôtive, comme dirait R. Camus. J'ai, aujourd'hui, consacré un temps anormalement long à FD, pour la raison que, en plus de l'article du jour, il a fallu que je refisse presque entièrement celui d'hier, non de ma faute, mais en raison d'une mésentente entre mes Puissances, l'une voulant un papier “blanc” (mettons) et l'autre un papier “noir”. Comme le blanc m'avait été donné comme consigne dès hier par Philippe B., directeur de la rédaction, j'ai foncé bille en tête. Mais, en début d'après-midi, tout à l'heure, Françoise D., rédactrice en chef, m'a signalé, avec force excuses, que c'est le noir qui finalement devait l'emporter. Ses arguments étant sans appel, j'ai donc ressorti mes pinceaux et mes couleurs pour rebadigeonner mes six mille signes.
Entretemps,
j'avais terminé le journal 2015 de Camus, décidément bien déprimant –
mais il n'y est pas pour grand-chose, et loin de moi l'idée de vouloir
mettre à mort le messager des nouvelles sinistres qu'il apporte –, puis
j'ai repris, avec plus d'allant, L'Esprit des lettres de Jacques
Laurent, qui est un recueil de ses articles parus dans les différentes
revues (La Table ronde et La Parisienne, dans ce premier volume)
auxquelles il a participé, voire qu'il a créées. Je vais d'ailleurs
aller illico commander le tome second, malgré la promesse solennelle que
je m'étais faite de ne rien acheter en août. Mais les promesses
n'engagent que ceux bla bla bla.
– Je n'ai
toujours aucune nouvelle de mon frère qui, au départ, devait arriver ici
le 10 pour repartir le lendemain en direction de Dubaï, à qui j'ai
envoyé un himmel il y a trois jours pour lui dire que nous préférions
annuler leur passage (sa femme et leur fille sont en France avec lui),
du fait que, horaire d'avion oblige, nous devions nous lever le
lendemain vers quatre heures du matin, afin que j'emmène Catherine à
Roissy. Philippe et Dominique ont toujours cette propension, parfois un
peu irritante, à mettre sur pied un programme, en général assez
complexe, de visites aux uns et aux autres, mais en n'avertissant ces
uns et ces autres qu'une fois que tout est fixé “dans leur tête”, leurs
billets d'avion pris, etc. Passe encore quand ils font ce coup-là en
avril ou novembre, périodes où ils sont presque assurés de trouver leurs
différents gibiers au gîte, mais il ne faudra pas qu'ils s'étonnent si,
en juillet et août, leurs petits plans concoctés unilatéralement ont
tendance à faire eau de toutes parts : c'est ce qui est en train de se
produire, en tout cas avec nous. Je suis quand même toujours un peu
étonné que l'on puisse, comme ils le font généralement, avertir les gens qu'on se présentera chez eux tel jour et pour une durée de tant, plutôt que de leur demander
si la chose est envisageable ; même quand il s'agit de son propre
frère. Mais j'ai l'impression de me mettre à “faire mon Camus”, depuis
une minute…
Mardi 2 août
Sept heures et demie.
– Depuis trois ou quatre jours, dans la pâture derrière la Case, se
trouve une vache, dépendant de la ferme située à l'autre bout de ce
champ (voir, sur le blog principal, la couverture de mon journal 2011).
Depuis seize ans que nous vivons ici, on y a vu tantôt des chevaux, mais
plus aucun depuis plusieurs années, des vaches en troupeau et des
moutons, alternativement. Une vache seule, c'est la première fois et
nous en fûmes intrigués ; d'autant plus que celle-ci passe des heures
sans se lever jamais, broutant couchée, ne se déplaçant que d'un mètre
ou deux à la fois et sans jamais qu'on ait le temps de la voir sur ses
pattes. Il se dégage de cet animal pesant et immobile, comme affaissée
sur lui-même, une impression de grande tristesse. Notre très vieille
voisine étant venue nous apporter de petites pommes de terre nouvelles
de son jardin, de celles dont il n'est nul besoin d'ôter la pelure avant
de les manger, Catherine lui a parlé de notre vache solitaire et
mélancolique ; et il est apparu que “mélancolique” était en dessous de
la vérité. D'après elle, la voisine, la vache vient d'être opérée d'une
patte et, depuis, refuse obstinément de se lever : quand les fermiers
veulent la faire rentrer à l'étable, il leur faut faire donner les
chiens pour qu'elle consente à se mettre debout. Catherine a d'abord
compris que, suite à l'intervention vétérinaire, la station debout lui
était encore pénible ; mais la vieille dame a alors ajouté : « Elle se
laisse mourir. » Devant la mine dubitative de Catherine, elle a expliqué
que c'était déjà arrivé, aux mêmes fermiers, avec une vache qui avait
dû subir une césarienne et qui, à la suite de cette opération, s'était
réellement laissée mourir, avec un complet succès. Celle-ci, d'après
elle, suit le même chemin, victime de ce qu'on hésite un peu tout de
même à nommer une dépression. Mais, après tout, pourquoi les bovins ne seraient-ils pas sujets, eux aussi, aux dépressions ? D'autant qu'à force de ruminer…
–
Il a plu sans discontinuer depuis ce matin, si bien que je m'attends, à
l'aurore de demain, à découvrir un jardin bien vert, à l'herbe
vigoureusement croissante, qui m'obligera, d'ici quelques jours, à
ressortir la tondeuse, que je pensais remisée jusqu'en septembre.
Mercredi 3 août
Sept heures et demie. –
Himmel de mon frère à l'instant, pour me dire qu'il comprenait très
bien qu'on ne puisse les recevoir le 10, si Catherine doit être très tôt
le lendemain à Roissy, étant lui-même un “voyageur nerveux”. De toute
façon, c'était devenu d'autant moins possible que, finalement, parce que
ce départ nocturne commençait à vraiment angoisser Catherine, nous
avons décidé (sur ma suggestion) que je la conduirais à l'aéroport dès
le 10 en fin d'après-midi, et qu'elle dormirait dans un hôtel local. Le
hasard à voulu que le plus proche de son “terminal” fût un hôtel Ibis,
chaîne pour laquelle travaille Élodie, laquelle nous a obtenu un tarif
tout à fait “préférentiel” (on ne pourra bientôt plus rien écrire sans
encadrer chaque mot de guillemets…). Celui-ci disposant d'un vrai
restaurant, nous dînerons ensemble, après quoi je rentrerai ici ; en
espérant que l'autoroute 14 ne sera pas fermée.
Finalement,
dans cette histoire, la vraie punie est ma mère, qui va devoir nourrir
une journée de plus Philippe et ses deux femmes. Mais, après tout, c'est
son fils, alors qu'il n'est que mon frère…
Jeudi 4 août
Sept heures et demie. – Terminé juste avant le dîner le second volume de L'Esprit des lettres,
le recueil des articles et chroniques de Jacques Laurent parus dans les
diverses revues qu'il a dirigées ou auxquelles il a collaboré. J'aime
beaucoup chez lui ce côté ferrailleur, mousquetaire, que l'on sent
toujours prêt à s'exprimer, contre les totems et tabous de ce temps qui –
c'est le côté un peu triste – commence à apparaître presque aussi
lointain que la Belle Époque, voire le Second Empire.
– Renaud Camus vient de publier sur Youtube une vidéo
qui, encore maintenant, plusieurs heures après sa découverte, me laisse
sans voix. On l'y découvre filmé en gros plan, devant l'un de ses
tableaux, déclamer et surtout chanter ses propres tweets politiques.
Chaque tweet est séparé du suivant par un chapelet de borborygmes, sons,
notes isolées (je ne sais trop comment qualifier ça) ; le tout donne
une atmosphère assez asilaire, dans laquelle un Ferdinand Lop voire un
Mouna Aguigui ne dépareraient nullement. Dans son journal 2015, Camus ne
cesse de déplorer le peu d'adhésion (et donc d'adhésions) que
rencontrent ses deux partis, l'In-nocence et le NON : je doute un peu
que cette nouvelle prestation soit de nature à la renforcer. D'autre
part, j'aimerais voir la tête des maires de France et des conseillers
généraux lorsque le candidat Camus va solliciter leurs parrainages pour
l'élection présidentielle, si jamais un esprit mal intentionné leur met
cette vidéo sous les yeux et dans les oreilles. À quoi peut bien
correspondre cette lubie ? Du masochisme ? De l'inconscience ? À moins
qu'il ne s'agisse, une fois encore, de brûler ses vaisseaux le plus
sûrement possible ; un aveu d'échec politique complet en forme de
pirouette ou de pied de nez. En tout cas, lui qui se plaint
régulièrement de la “désertion” de ses fidèles, voire de leur
“trahison”, on peut dire qu'il fait ce qu'il faut pour les susciter, et
qu'il est nécessaire d'avoir la fidélité solidement arrimée pour
demeurer comme je le fais un lecteur convaincu – encore que ce genre de
fantaisie vocale risque de heurter bien davantage les “militants” que
les lecteurs proprement dits. Pour le moment, sur le forum de
l'In-nocence, on observe à ce sujet un silence parfait…
Samedi 6 août
Quatre heures et demie.
– Heure un peu inhabituelle pour venir traîner par ici, j'en conviens.
Mais c'est que, tout à l'heure, profitant de ce qu'elle a lieu en
l'église du Plessis, Catherine se rendra à la messe, entre six heures et
demie et sept heures et demie ; ce qui, en toute logique interne et
conjugale, induit un apéritif, celui que je commencerai à prendre en
l'attendant et auquel elle se joindra en revenant, dûment purifiée de
ses éventuels péchés (ah, non : ça, c'est le boulot de la confession,
pas de la messe. Mais enfin, ça doit bien purifier un peu quand même).
Comme nous ne sommes pas des ivrognes compulsifs, il a été décidé que
cet apéritif-là “compterait” aussi pour celui de notre dernière soirée
avant son départ vers les Amériques septentrionales, lequel aura lieu
mercredi. Et comme, décidément, je suis aujourd'hui la raison même, j'ai
résolu ce matin que, pour mériter pleinement cette libation vespérale,
il me faudrait écrire avant les douze mille signes qui m'ont été
réclamés pour un septième hors-série “Destins brisés”, texte consacré à
l'acteur Roland Giraud et à l'assassinat de sa fille unique, Géraldine :
tout cela a été accompli entre onze heures et une heure et demie. Il ne
restait qu'à mettre le riesling au frais, ce qui fut diligemment
accompli. Pour passer agréablement le temps séparant la corvée de sa
récompense, j'ai ouvert l'ultime roman de Jacques Laurent, Ja et la fin de tout, qui m'est opportunément arrivé ce matin ; cependant que Catherine se lançait à l'assaut de La Tour,
le journal 2015 de Renaud Camus. Bref, comme disait le type tombant du
cinquantième étage au moment où il passait devant le vingt-cinquième :
jusqu'à présent, tout va bien.
Lundi 8 août
Dix heures et demie du matin.
– Quand on est agacé par le désir de se mettre à un nouveau roman, le
remède radical consiste à relire un journal d'écrivain : Léautaud, Jules
Renard, peu importe. On y croise tellement d'auteurs dont même les noms
nous sont devenus totalement inconnus, et qui pourtant semblent avoir
eu du succès à l'époque où ils sévissaient, que l'on est aussitôt saisi
par la puérile vanité de l'entreprise ; sauf si, bien sûr, on ne
souhaite être imprimé que pour tenter d'en imposer à sa belle-mère, au
voisin ou au boulanger. Mais même cette ambition minuscule reste une
vanité, car il est bien rare que l'on impressionne qui que ce soit avec
un livre, à moins qu'il ne vous pousse jusqu'aux plateaux de télévision,
et encore.
– Nous n'avons plus, Catherine et moi, que
deux jours complets à passer ensemble. Mercredi soir, nous nous
quitterons pour deux semaines, devant un quelconque hôtel Ibis de
l'aéroport de Roissy. Et j'ai déjà, comme les fois précédentes, commencé
de me dire, hier soir, que, nous quittant en effet, ce sera peut-être
la dernière fois que nous nous verrons, si jamais il arrive de mourir à
l'un de nous (et, en général, je pense plutôt que c'est à moi qu'il
incombera de me charger de cette formalité).
–
J'attends, ce matin, un appel téléphonique d'une personne de la DRH de
Lagardère, qui doit m'aider à remplir le “formulaire de demande de
départ à la retraite” qu'elle m'a adressé la semaine dernière et auquel,
à mon grand énervement, puis abattement, je n'ai rien compris, tant ces
trois ou quatre pages sont écrites en un français qui n'est pas le
mien. À l'école, pendant qu'il est encore temps, on devrait inciter les
jeunes élèves à choisir comme première langue d'étude le français administratif
: cela les aiderait plus souvent et mieux que l'anglais. De toute
façon, comme ce rendez-vous immatériel a été pris par une tierce
personne, il est probable que mon interlocutrice supposée n'appellera
pas du tout. D'autant que, si j'ai bien compris, cette dame est en
vacances et ne passera aujourd'hui à son bureau de Levallois que pour
expédier les affaires urgentes. N'ayant pas la prétention d'être une
affaire urgente…
Cinq heures. – Peu avant midi,
sentant mon impatience grandir de ce coup de fil qui n'arrivait pas,
j'ai pris l'initiative d'appeler cette Mme G., à la DRH. Elle s'est
montrée fort aimable et, surtout, très claire dans ses explications,
dont il ressort que les choses vont aller beaucoup plus vite que je ne
le pensais, à condition que ma “candidature” soit retenue (ce dont je
refuse de douter, sauf à être très déçu en cas contraire). En gros, si
je remets mon dossier au premier septembre, j'aurai une réponse dans les
dix ou quinze jours, car l'examen des candidatures va se faire à mesure
qu'elles arrivent, et non, comme je le croyais, après la date de
clôture, c'est-à-dire en mars prochain. Deuxième erreur de ma part :
comme régulariser sa situation auprès des diverses caisses de retraites
prend, de l'avis de ces caisses même, entre quatre et six mois, je
pensais ne pouvoir être effectivement en retraite que six mois après
l'acceptation de Lagardère. Or, pas du tout : si tout suit son cours, je
le serai, en retraite, dès le premier octobre ou, au plus tard le
premier novembre. Ce qui, ensuite, demande six mois c'est l'obtention du
premier versement. Mais comme il sera rétroactif, je n'y perdrai rien.
Et, entretemps, il nous aura suffi de prélever un peu de mes indemnités
de départ. Bref, tout cela prend une excellente tournure, laquelle va
justifier, tout à l'heure, un petit apéritif conjugal. Je disais à
Catherine que, vu mon mode de vie depuis environ trois ou quatre mois
(passés à ne plus travailler que de la maison), et pour peu que, comme
il en a la ferme intention, Philippe B. puisse me faire écrire pour FD
en tant que collaborateur extérieur, je n'allais voir aucune différence
entre mon état de salarié et celui de retraité. À ceci près que je vais
peut-être même gagner un peu plus d'argent.
– Il y a un moment, alors que nous regardions le sixième épisode de la première saison de True Detective,
appel du Père B., pour nous informer qu'il s'apprête à prendre ses
nouvelles fonctions en tant que prêtre d'une paroisse du centre de la
France, qui est sa région natale. Du coup, cela a relancé mon envie
d'aller voir Nohant qui, nous a-t-il dit, se trouvera à moins d'une
heure en voiture de la petite ville où il va désormais officier. Je
pense que nous irons dans le courant d'octobre, lorsque mes affaires de
retraite seront réglées (enfin : j'espère qu'elles le seront…). Entre
autres choses, il m'a chaudement recommandé la lecture d'une biographie
de Simon Leys, qui vient de sortir.
Mardi 9 août
Onze heures du matin. – Ce mélange d'ennui et d'hilarité qui me saisit, chaque fois que je tente d'écouter Pelléas et Mélisande ; ennui engendré par la mélodie de Debussy et hilarité par les vers de Maeterlinck.
Jeudi 11 août
Dix heures du matin. – Être de gauche, au fond, c'est vouloir que les pauvres cessent de l'être, mais que les riches le deviennent.
– Sinon, Me voilà seul,
comme gémissait Aznavour au début des années soixante-dix. J'ai déposé
Catherine à l'hôtel Ibis de Roissy, hier vers six heures, et suis rentré
directement ici. Sans encombre, à l'aller ni au retour. À l'heure qu'il
est, Catherine doit être dans l'avion, ou peu s'en faut. Quant à moi,
j'ai commencé à m'emmerder à peu près dès mon lever ; lever frisquet
puisque le thermomètre affichait 7,5° comme température extérieure (à
six heures et demie du matin) et tout juste le double dans la maison :
je suppose qu'il doit s'agit d'un effet collatéral au réchauffement
climatique. Comme je n'avais pas envie de me lancer dans un livre
inconnu (mon cerveau a tendance à tourner au ralenti dès que Catherine
s'éloigne), j'ai repris le premier volume des Exorcismes spirituels
de Muray : j'y suis pratiquement comme chez moi. Je vais tâcher, à
compter d'aujourd'hui, de supprimer l'apéritif vespéral (ou au moins le
réduire et me cantonner au vin blanc), afin de pouvoir regarder ensuite
l'une ou l'autre des séries télévisées dont j'ai fait provision en vue
de cette solitude de deux semaines. On verra ce que vaut cette
excellente résolution.
Huit heures. – Eh bien
voilà, c'est de pire en pire, à mesure de l'âge : première journée seul
et je me suis déjà ennuyé à périr, malgré les deux derniers épisodes de True Detective
regardés en début d'après-midi et les cinq mille signes écrits pour FD
ensuite. Je n'ose même pas imaginer ce que vont être les deux semaines
qui s'annoncent. Et ce n'est pas cet ennui plombant qui va m'aider à ne
pas boire, le soir venu : l'idée de regarder la télévision, et même une
série qui me tente, m'accable par le fait de la regarder seul.
Moi qui disais à Catherine, un jour où nous en parlions, que
j'accepterais de mourir après elle parce que l'expérience du veuvage et
de sa souffrance pouvait avoir son intérêt, je me trouve parfaitement
stupide, puisque je ne suis plus capable de ne pas me désagréger
complètement après vingt-quatre heures sans elle. D'un autre côté, c'est
peut-être justement cela, l'expérience du veuvage : se désagréger
complètement. En attendant, je sirote du vin blanc en écoutant Monique
Morelli chanter François Villon, et je pleurniche vaguement d'être vieux
: quelle pitié !
– Néanmoins, j'ai reçu aujourd'hui la
biographie de Simon Leys que le père B. m'a chaudement recommandée il y
a deux ou trois jours, au téléphone. Je n'en ai pas lu assez pour en
dire quoi que ce soit ce soir.
Samedi 13 août
Six heures.
– Je ne sais ce qui m'a pris, ce matin, pratiquement dès le saut du
lit, de me transformer, à mon intense stupéfaction, en véritable petite
fourmi industrieuse. J'ai commencé, dès la dernière gorgée du premier
café avalée, par aller arroser le jardin de Catherine – ses plants de
tomates pour être précis –, profitant de ce que le soleil n'y donnait
point. De là, j'ai bondi au sous-sol et me suis rué sur la machine à
laver pour y mettre une fournée de “blanc”. Après avoir sauté dans la
douche, j'ai fait la même chose dans la voiture afin de descendre à Pacy
chercher du pain. De retour, il a encore fallu aller mettre le linge
propre sur la corde, que j'irai dépendre dès que j'aurai quitté ce
journal. Comme cela ne suffisait encore pas, j'ai résolument ouvert mon
“dossier retraite” afin d'en cocher les petites cases et noircir
certaines lignes : à ma grande surprise, j'ai compris toutes les
questions qu'on me posait et j'ai même été capable d'y apporter des
réponses. Pour que l'affaire soit complète et expédiable à la Carsat, il
me faut encore quelques photocopies ou impressions de pdf, choses qui
seront accomplies jeudi, puisque je dois ce jour-là me rendre à
Levallois, où j'ai rendez-vous avec la personne de la DRH qui s'occupe
des départs volontaires.
– Le reste des heures fut
nettement plus calme, fait de lecture (alternativement la biographie de
Simon Leys et le deuxième tome des Exorcismes spirituels de Muray) et de télévision : j'ai regardé, en blu-ray, L'Aurore
de Murnau, film étonnant, et même extraordinaire, de 1927, qui démarre
comme un drame, bascule soudain vers la comédie et même le burlesque
(une scène avec un porcelet ivre mort, qui fait penser à Milou lapant le
whisky du capitaine Haddock), mais avec tout de même une tension
toujours là, en dessous, avant de se remétamorphoser en tragédie pour finir sur un happy end.
À son retour, je vais inciter fortement Catherine à le revoir, avec peu
de chances de succès vu ses appétences très faibles pour le cinéma
muet.
Pour les quelques heures qui me séparent encore
du coucher (le mien, pas celui du soleil), je pense qu'un modeste
apéritif musical, suivi d'un sandwich hâtif et d'un ou deux épisodes d'American horror story (saison 4) sont tout à fait envisageables.
Mardi 16 août
Six heures.
– Que viendrais-je faire en ce journal, alors que, depuis le départ de
Catherine, je passe l'essentiel de chaque journée à attendre qu'elle se
termine ? Évidemment, je tâche d'emplir plus ou moins intelligemment les
heures, mais j'ai l'impression constante que ça ne marche pas ;
que je joue un rôle qui ne trompe personne, comme un acteur de théâtre
qui, face au public, fait semblant de lire un livre pour laisser le
temps au protagoniste prévu par l'auteur de la pièce d'entrer en scène.
Sauf que, mon protagoniste à moi, il n'entrera en scène que dans huit
jours révolus, et que, en attendant, je me fais l'effet d'un piteux
imbécile ; ou d'une âme en peine qui n'aurait pas de peine et pas
beaucoup d'âme non plus.
Ce matin, par exemple, j'avais vaguement dans l'idée d'écrire un billet sur le blog, à propos de 2001 L'Odyssée de l'espace,
que j'ai revu hier soir ; ou au moins d'en parler ici. Eh bien, le
temps de venir de la maison à la Case, et l'envie – déjà faiblarde au
départ – s'était envolée.
Le point positif est que mes
apéritifs du soir sont on ne peut plus raisonnables. Mais je n'y ai pas
grand mérite : je les abrège uniquement parce que je réussis désormais à
me fatiguer de ma propre personne, dans ces moments de tête à tête avec
moi-même que j'ai pourtant toujours aimés. Seulement, pour demeurer
précieux, ou simplement agréables, il faut qu'ils fassent un peu
contraste avec le reste de la journée, qu'ils s'inscrivent entre deux
parenthèses dûment tracées – quand Catherine va assister à une messe du
soir, par exemple. Là, le tête-à-tête intervient au moment où, depuis le
matin, l'unique débatteur est déjà amplement fatigué de lui-même.
Well… Au bout du compte, voilà qui me fait toujours une “entrée”.
Mercredi 17 août
Six heures. –
Il y a une semaine tout juste, je m'apprêtais à passer ma première
soirée en solitaire ; ce qui veut dire que me voici au milieu du gué.
Demain, précieuse distraction : j'ai rendez-vous à midi avec Mme
Véronique G. la personne de la DRH qui est chargée de collecter les
dossiers en vue d'un départ volontaire. Comme le dépôt officiel de ces
dossiers ne commence que le premier septembre au matin, le mien sera
donc officiellement reçu à cette date, c'est-à-dire dans les tout
premiers, si ce n'est le premier, chose importante puisque, selon les
préceptes qui nous ont été communiqués, les premiers arrivés seront les
premiers servis. Bien que, évidemment, il y ait d'autres critères pour
entrer en ligne de compte, des avoués et probablement des inavoués.
Logiquement, d'après Mme G., je devrais avoir une réponse d'acceptation
ou de refus aux alentours du 15 septembre.
– Je
profiterai d'être à FD demain pour photocopier un certain nombre de
documents (carte d'identité, livret de famille, dernier avis
d'imposition…) afin de les joindre à mon dossier de demande de retraite au régime général,
lequel dossier sera alors complet (tu rêves, mon vieil ami, tu rêves !)
et pourra être envoyé. Comme un bienheureux hasard m'a fait recevoir ce
matin l'autre dossier à remplir, celui pour demander mes retraites complémentaires
(AGIRC et ARRCO, les deux jumeaux maléfiques, plus terrifiants encore
que Fasolt et Fafner), j'en serai quitte pour faire deux fois chaque
photocopie et boucler aussi cette affaire-là. Ensuite, il n'y aura plus
qu'à attendre, espérer, prier, picoler.
– Au milieu de
ma paperasse de futur retraité, j'ai tout de même pris le temps
d'expédier cinq mille signes à propos d'un certain Élie Semoun, qui
gagne, m'a-t-on assuré, sa vie en faisant rire ses contemporains : on se
demande qui est le plus à plaindre dans cet attelage, du comique ou des
contemporains. Et j'ai poursuivi la lecture de la biographie de Simon
Leys, livre tout à fait remarquable, dont il faudrait bien que je parle
sur le blog, mais je manque un peu trop d'allant pour le faire vraiment.
On verra à partir de demain, que la température diurne est censée
redescendre assez franchement.
Vendredi 19 août
Cinq heures.
– Ma petite virée à Levallois d'hier n'a pas été inutile, puisque me
voilà désormais très officiellement candidat au départ, dossier remis à
la DRH, etc. En principe, je devrais recevoir la semaine prochaine une
estimation chiffrée du chèque censé m'inciter au départ. J'ai également
fait toutes les photocopies qu'il fallait pour pouvoir expédier mes deux
enveloppes dûment garnies, en direction des caisses de retraite,
générale et complémentaire. Je me suis d'ailleurs peut-être un peu
précipité pour cette dernière opération : la personne qui m'a reçu, Mme
G., a trouvé que j'étais “gonflé” d'avoir fait ma demande de retraite avant
d'avoir l'accord de la DRH. Elle n'a pas tort en effet ; mais c'est que
tout ce petit monde avait l'air si pressé… Elle a d'ailleurs soulevé
une objection qui ne manque pas de pertinence. Même en cas d'accord de
la direction de L.A., si celui-ci survient aux alentours du 10
septembre, comment pourrais-je être en retraite au premier octobre,
ainsi que je l'ai officiellement demandé, alors que la loi m'oblige à un
mois de préavis ? Il y a là, certes, un semblant d'impossibilité, à
quoi je vois deux remèdes : 1) la DRH antidate son accord au premier
septembre, auquel cas le dit mois devient celui de mon préavis ; 2) je
contacte les caisses pour repousser ma retraite au premier novembre.
Cela ne m'a pas empêché, me réveillant au milieu de la nuit sans raison
particulière, d'élaborer aussitôt le scénario catastrophique suivant :
d'une part les caisses de retraite refuseront tout changement à ce que
j'ai signé, et d'autre part la DRH, sachant que j'ai déjà demandé ma
retraite, me dira tout gentiment qu'elle n'a plus aucune raison de me
verser le moindre centime, mon départ de l'entreprise étant d'ores et
déjà “acté”. J'ai tout de même réussi à me rendormir… mais il subsistait
malgré tout, au réveil véritable, un voile d'inquiétude.
–
Ce matin, sitôt mon premier café bu, j'ai décidé que j'en avais assez
de voir ces ridicules et longues fleurs jaunes proliférer insolemment
dans le jardin et, après avoir ramassé les merdes de Bergotte, j'ai
empoigné la tondeuse. Je n'ai pas mal fait car, dès onze heures il s'est
mis à pleuvoir et ça n'a guère cessé depuis. En dehors des trois quarts
d'heure passés à écrire cinq mille signes à propos d'un animateur télé
quelconque, j'ai consacré mon temps à la biographie de Simon Leys, dont
je viens d'ailleurs de tirer un billet de blog. Et, malgré son prix
assez élevé, je me suis enfin décidé à commander, d'occasion, l'épais
volume des Deux Étendards de Rebatet, roman que j'avais essayé de
lire en vain il y a 25 ou 30 ans : c'est le bien qu'en dit Simon Leys,
justement, qui m'a donné envie de retenter ma chance. Et puis, quand on
est nauséabond, il s'agit de fréquenter les bons auteurs.
–
Catherine et sa petite smala sont parties aujourd'hui pour les fins
fonds du bois canadien ; elle ne sera donc plus joignable, selon toute
vraisemblance, avant lundi. Ensuite, il ne restera plus que deux jours
avant son retour.
Lundi 22 août
Trois heures.
– Je commence à trouver le temps vraiment long, mais cela ne me
surprend nullement, dans la mesure où il s'était produit à peu près la
même chose lors des précédentes absences prolongées de Catherine : les
trois premiers jours sont pénibles (impression que chaque journée
s'étire comme de la guimauve de fête foraine et qu'on ne viendra jamais à
bout de leur total) ; puis, malgré tout, une sorte de nouvelle routine
se met en place, les heures se recontractent un peu, des semblants de
repères se laissent discerner ; enfin, l'imminence du retour fait voler
cet équilibre fragile en éclats, l'âne sentant de plus en plus proche le
picotin se remet à ruer et à braire d'impatience, ce qui a évidemment
pour conséquence de faire se rallonger les heures. Si, en plus, une
recrudescence de chaleur s'en mêle…
– Je ne sais pas si
je l'ai noté mais, fait assez étrange, depuis le départ de Catherine je
n'ai pas rempli une seule grille de mots croisés, alors que, en toute
logique, mon désœuvrement aurait dû me pousser à les multiplier (phrase
assez incertaine).
– En tout cas, je me félicite tous
les soirs d'avoir pris la précaution d'acheter ce gros coffret de
blu-ray contenant les quatre premières saisons d'American horror story,
car, sans cela, je me demande ce que j'aurais fait de mes soirées (sans
doute les aurais-je noyées dans l'alcool, alors que, là, je ne bois
quasiment rien : mes apéritifs sont plus symboliques qu'autre chose). Je
ne parviens d'ailleurs pas à comprendre pour quelle raison Catherine et
moi avions laissé tomber la première saison dès le deuxième épisode,
alors qu'elle avait tout pour nous plaire. Je n'en dirai pas autant des
trois suivantes, pour ce qui concerne Catherine, car leur côté assez
malsain ne lui plairait pas, je pense. Mais, malsaine, la première
saison ne l'est pas du tout, pas gore non plus, et c'est une
histoire somme toute classique de fantômes et de maison hantée,
originale, rythmée et avec ce qu'il faut de surprises et de
rebondissements. On ne devait pas être dans un bon soir…
Jeudi 25 août
Deux heures et demie. –
J'ai franchi les portes coulissantes du terminal 3 de Roissy, à dix
heures ce matin, au moment précis où Catherine apparaissait avec son
chariot à bagages. Le retour ici s'est passé sans encombres, malgré mes
craintes : une demi-heure plus tôt, à l'aller, j'avais pu voir
l'autoroute 86 presque entièrement bouchée, entre le stade de France et
l'autoroute 14. Une fois arrivés – il était midi –, nous nous sommes
autorisé un petit apéritif de retrouvailles, lequel a envoyé Catherine
directement au lit, vu qu'elle n'a dormi qu'une heure dans l'avion. J'ai
pour consigne de la réveiller à quatre heures et demie ; ce sera fait…
si je ne suis pas moi-même endormi d'ici là.
Vendredi 26 août
Six heures.
– J'ai reçu cet après-midi, par mail, de la part d'un membre de la DRH
dont j'ignorais l'existence (ce qui ne l'empêche pas de commencer son
himmel par “Cher Didier”, comme si on avait gardé les salariés ensemble
dans notre prime jeunesse), le relevé de ce que je toucherai en cas
d'acceptation de ma candidature au départ volontaire (il me semble, par
ailleurs, qu'une candidature au départ involontaire aurait été
beaucoup plus amusante). C'est à la fois encourageant et décevant.
Encourageant parce que j'avais tablé, sans compter le “petit bonus” que
l'on nous a fait miroiter, sur une somme d'environ 90 000 euros. Or,
d'après le compte reçu, nous sommes déjà à 93 500, alors que n'y sont
inclus ni le mois de préavis, ni le treizième mois ni les congés payés ;
de plus, comme je m'y attendais plus ou moins, n'a pas été prise en
compte l'année 2000, durant laquelle j'ai été pigiste à temps plein de
mars à décembre.J'ai donc répondu aussitôt pour demander des précisions
et exposer mes objections. Et surtout m'enquérir de ce fameux, mais bien
flou, “petit bonus”. Je suppose que j'aurai une réponse en début de
semaine prochaine. En tout état de cause, même si on en restait là (93
500 € à quoi s'ajouteront environ deux mois et demi de salaire brut pour
les raisons que j'ai dites, c'est-à-dire à un total d'environ 105 000
€), ce serait déjà un assez joli cadeau de départ.
– Continué la lecture des Deux Étendards de Rebatet, nauséabond d'exception, et je suis passé, avec Muray, du troisième au quatrième volume de ses Exorcismes spirituels.
Lundi 29 août
Sept heures vingt. –
Nous avons, depuis hier, retrouvé un rythme normal de vie, après les
perturbations (opération + Québec) de ces quatre derniers mois. Non
seulement nous sommes revenus à un régime strictement analcoolique,
mais, Catherine pouvant de nouveau conduire Liselotte, me voici de
nouveau dispensé des diverses corvées, ravitailleuses ou
kinésithérapeutiques.
– Après ne m'y être risqué que du bout des orteils, j'ai finalement, aujourd'hui, plongé totalement dans Les Deux Étendards
de Lucien Rebatet, roman torrentiel, souvent prodigieux, parfois
ennuyeux, mais dont l'ennui fait en quelque sorte partie du prodige. De
même que le côté profondément irritant de certains de ses personnages
(Régis notamment, mais aussi Anne-Marie par moment) participe à la vie
qui les anime. J'en ai lu près de 400 pages : arriverai-je sans me
lasser au bout des 1300 ? c'est une autre histoire. Du coup, ou plutôt
du contrecoup, j'ai tout à l'heure tiré de son étagère l'Histoire de la musique
du même Rebatet. Heureusement qu'aucun progressiste vigilant ne vient
jamais traîner ses sourcils inquisiteurs dans ce journal, car alors mon
compte serait bon, avec d'aussi méphitiques lectures.
Mardi 30 août
Sept heures vingt.
– Marco Polo a la gentillesse de me dire qu'il a trouvé mon journal de
juillet, publié ce matin, meilleur que les livraisons précédentes. Je
lui ai répondu que, fort heureusement, août rétablirait une saine
moyenne en étant plus mauvais (en tout cas largement plus vide) que les
dites livraisons ordinaires ; ce dont je suis persuadé, bien que n'ayant
encore rien relu. Mais c'est ainsi : quand Catherine est absente, ce
qu'elle a été une grosse moitié du mois, je ne suis vraiment bon à rien.
–
Reçu ce matin au courrier la confirmation écrite de la Carsat, la
caisse de retraite du “régime général”, comme quoi mon dossier était bel
et bien “dans les tuyaux” (l'expression est de moi, pas d'eux ; pas
encore…). Et un mail il y a deux heures me demandant si je pouvais
envoyer les pièces manquantes (mes bulletins de paie de l'année en
cours) par retour de mail – ce que je ne puis faire, n'ayant pas
d'imprimante pour les scanner. J'en ai profité pour expliquer à ma
correspondante que je m'étais un peu précipité pour demander ma retraite
au premier octobre (parce qu'assez mal conseillé par la DRH) et que
celle-ci ne pourrait finalement pas être effective avant le premier
novembre, voire le premier décembre. On verra bien ce qu'elle va me
répondre demain.
Cette dame, en charge de mon modeste
cas, s'appelle Claudine L. J'ignorais qu'il y eut encore des parents
pour prénommer leurs filles ainsi, ce qui est finalement une bonne
nouvelle. En tout cas, elle m'a ravi : j'ai eu l'impression de sauter à
pieds joints dans un roman de Colette et de me retrouver au cœur de la
Puisaye, vers la fin du 19e siècle.
– Continué la lecture des Deux Étendard
de Rebatet (page 400 et quelques). Il y a tout de même des moments où
on a envie de le secouer un peu, ce Michel Croz, personnage principal,
et de le sommer d'aller une bonne fois pour toutes dépuceler son
Anne-Marie sans faire autant d'histoire. (J'ai l'air de me moquer, comme
ça, mais c'est vraiment un roman étonnant et riche, même si, parfois,
durant une dizaine de pages, on s'y ennuie un peu. Comme dans la vie, en
somme.)
– J'ai reçu, toujours au courrier de ce matin,
un recueil de nouvelles de Lu Xun, écrivain chinois du début du XXe
siècle, dont Simon Leys dit le plus grand bien. Pas ouvert encore.
Mercredi 31 août
Sept heures dix. – Cet après-midi, sous le billet par lequel j'annonçais la mise en ligne de mon journal de juillet, M. Arié m'a laissé le commentaire suivant :
« Il y a quand même quelque chose de tout à fait remarquable (je n'en
serais personnellement pas capable), mais aussi de mystérieux, dans le
fait de publier votre journal et de le mettre en ligne pour qu'il soit
lu par des inconnus.
J'aimerais bien savoir pourquoi vous le
faites; car, si vous ne nous dites évidemment pas tout ( par exemple :
de quoi rêvez-vous ?), tout ce que vous nous dites semble vrai - ou, en
tous cas, vraisemblable; du moins, assez vraisemblable pour que nous
soyons nombreux à le lire et à y prendre plaisir, alors que nous ne vous
connaissons pas vraiment.
Vous-même: savez-vous pourquoi vous le faites ? »
Il
n'a pas tort : pourquoi fait-on cela ? Pourquoi est-ce que, moi, je le
fais ? Le besoin, ou plus simplement l'envie, de tenir un journal m'a
occupé dès ma vingtième année, environ. Depuis cette époque, j'en ai
commencé un certain nombre (notamment lorsque s'est produite la
révélation, en 1984, que Philippe Bernalin allait mourir rapidement de
son cancer) : ils se sont tous ensablés, au bout de quelques semaines, à
la rigueur quelques mois. Ce qui semblerait prouver que mon envie
n'était pas bien forte et le besoin à peu près inexistant. Si je m'y
suis remis à la fin de juillet 2009, c'est parce que nous allions passer
un mois à Plieux, et que je trouvais amusant, piquant, de tenir un
journal – moi, le châtelain intérimaire –, en ce lieu où le légitime
propriétaire en écrivait un, tout à fait imposant à mon sens. J'ai
d'ailleurs arrêté dès que nous sommes rentrés chez nous, à la fin
d'août. Pourquoi m'y suis-je remis vers la mi-octobre ? Je ne saurais
pas le dire avec certitude. Là encore, ce fut de l'ordre de l'envie
vague. Non,pas tout à fait : il y avait aussi que je voulais cesser de
raconter certaines choses sous forme de billets de blog, que j'éprouvais
la nécessité d'avoir à ma disposition deux formes d'écriture
différentes. Et, cette fois-ci, contrairement à toutes les précédentes,
j'ai senti que “ça accrochait” ; que je prenais intérêt et plaisir à ce
rendez-vous d'après-dîner. Néanmoins, il me manquait quelque chose : un
lecteur. C'est pourquoi j'ai commencé, après quelque temps, je ne sais
plus combien, à le faire lire à Catherine. Et, bientôt, l'idée d'élargir
le cercle s'est imposée, très naturellement, sans que j'aie eu à y
réfléchir beaucoup. Sans doute parce que, de par le blog, je m'étais
accoutumé à avoir un public, aussi restreint fût-il, et que je ne voyais
pas de raison de ne pas continuer dans cette voie avec le journal. J'ai
été tout de suite conscient de ce que la publication allait forcément
me contraindre à certaine autocensure, pour des raisons évidentes de
discrétion vis-à-vis des personnes, ou du moins de certaines d'entre
elles. Mais, le journal quotidien étant rédigé sur un blog où nul n'a
accès que moi, rien ne m'empêchait d'écrire tout ce que je voulais, puis
d'élaguer au moment de passer en mode “blog public”. Je crois
d'ailleurs que Julien Green, par exemple, a toujours procédé de cette
manière (moins les blogs…).
Cela dit, je me rends bien
compte que ce qui précède laisse à peu près entière la question de M.
Arié : « Savez-vous pourquoi vous le faites ? » Eh bien, non, au fond,
je n'en sais rien. Et je ne suis pas très disposé à me chercher à toute
force des raisons profondes, craignant, si je le faisais, de tuer
la poule aux œufs d'or – même si ma poule à moi ne pond que des œufs
ordinaires, et parfois à la limite du consommable.
–
Sinon, c'est avec le même plaisir que toutes les années précédentes que
j'accueille la perspective de quitter août pour septembre. Peut-être
parce que, enfant, j'ai toujours aimé la rentrée des classes, et cette
amorce des jours déclinants qui conduit vers l'hiver. De plus, cette
année, d'une manière ou d'une autre, ce mois de septembre devrait
susciter des changements dans notre existence. Car on aura beau dire et
faire le malin : passer du stade d'actif (si peu, si peu ! comme chantait Marcel Amont sur un 45 tours de mon enfance) à celui de retraité, ce n'est pas tout à fait rien.
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