LES BIENFAITS DU KÄRCHER
Mercredi 1er juin
Sept heures et demie. – En me livrant, cet après-midi, à une première lecture de mon journal de mai, je me suis aperçu que, à quelques jours d'intervalle, je disais une chose et son contraire, à propos de la situation temporaire que nous crée l'invalidité (également temporaire) de Catherine. Mais c'est que, en effet, je ressens, et elle aussi, d'un jour sur l'autre ou presque, tout et son contraire ; c'est selon l'humeur, le temps qu'il fait, les accès de douleur (pour elle), etc. Ce qui est remarquable, c'est que nos humeurs conjointes ne changent jamais au cours de la journée, laquelle est comme une sonate ou une symphonie : la tonale (ou dominante ? Putain, je ne saurai donc jamais…) vaut jusqu'au soir.
– J'ai brusquement
abandonné, hier, mes romanciers anglais (provisoirement sans doute) pour
relire quelques centaines de pages de Revel, je ne sais trop pourquoi.
et c'est lui qui m'a donné l'envie de retenter Montaigne que, depuis
trente ans au moins que j'essaie (!), j'abandonne toujours au bout d'une
centaine de pages. Comme je ne parvenais pas à me décider entre du
Montaigne “pur et dur” (La Pléiade) et la version que j'ai en français
“modernisé”, j'ai sorti les deux et décidé de lire chaque chapitre deux
fois. J'ai d'abord opté pour l'ordre chronologique : Montaigne en
premier, ensuite son “traducteur” pour vérifier que j'avais bien compris
l'original. Mais, trois chapitres plus loin, je me demande si je ne
devrais pas faire l'inverse : prendre d'abord connaissance du contenu,
puis aller me colleter au texte. Comme diraient les Québécois : je ne
suis pas sorti du bois.
(Et pendant que je me posais
ces questions, je m'amusais à imaginer les cris de pucelles effarouchées
que pousseraient les In-nocents (du moins les plus snobs d'entre eux),
s'ils apprenaient que je puis seulement envisager de lire Montaigne en
français moderne… Ils y trouveraient au moins la confirmation de
ce qu'ils pensent de moi : rien que pour leur donner cette satisfaction
innocente, je devrais peut-être répandre en ces parages le bruit de ma
forfaiture.)
Jeudi 2 juin
Huit heures moins le quart. –
Conversation “mortuaire” ce soir, durant l'heure de notre mini-apéro,
en ce moment quotidien. L'accroche en était le “bilan de carrière” que
je viens de recevoir, selon lequel, s'il est juste, Catherine touchera,
après ma mort, une pension dite “de reversion” d'à peine neuf cents
euros. Après m'avoir dit qu'elle comptait fermement mourir avant moi (ce
qui n'est guère réaliste), nous avons tout de même examiné ce que sera
sa situation après ma “disparition” (je n'aurai pas disparu : je serai
simplement mort). Elle a commencé par me dire qu'elle ne pourrait pas
garder la maison, avec les frais que cela entraîne (impôts divers,
entretien, etc.) Je lui ai fait observer que, cette maison, elle aurait
tout le loisir de la vendre, puis de se louer un appartement “en ville”,
et qu'elle pourrait ensuite dilapider tranquillement son capital durant
les années qui lui resteraient (mais combien d'années lui resteront
après moi ? Eh…). Elle en a convenu, et a semblé, soudain, considérer
cette hypothèse comme probable, ou au moins envisageable.
Là-dessus,
elle a tenté une échappatoire, disant que le mieux serait encore que
l'on meure ensemble, et au jour où on l'aurait décidé. Je lui ai répondu
que j'étais d'accord avec ça, que je trouvais même cette solution
idéale, mais qu'elle présentait quelques difficultés d'exécution, vu le
degré d'obscurantisme du monde dans lequel nous vivons. Là-dessus, nous
nous sommes mis à parler d'autre chose, puis à aller préparer le dîner,
et il ne fut plus question de rien. Mais j'ai au moins, je crois,
instillé dans l'esprit de Catherine, que, de l'argent qui va nous
arriver, il faut en garder la majeure partie pour les années pénibles
qu'elle aura à vivre quand je n'y serai plus. (Pénibles surtout par
manque de moyens : pas du fait de mon absence…)
– À part ça, je n'ai guère quitté Revel depuis ce matin ; j'y reviendrai.
Vendredi 3 juin
Huit heures.
– J'ai passé ma journée à caresser la vague idée d'un billet de blog, à
propos de la tromperie que nous infligent assez constamment nos sens,
en partant du sens auditif, qui nous pousse parfois à accepter, dans
telle ou telle chanson, une écoute parfaitement erronée. Mon idée était
basée sur deux exemples, l'un me concernant, et l'autre ayant pour
“héros” mon père. Je voulais articuler cela avec la cécité et
l'aveuglement des communistes (et des socialistes) concernant l'un des
deux totalitarismes les plus terrifiants que l'homme ait engendrés, et
tous deux à notre époque, à savoir ces “miroirs jumeaux” que sont le
communisme et le national-socialisme (par ordre d'entrée en scène).
C'est l'articulation entre mes deux “thèmes” qui m'a fait reculer. Mais
je crois que j'essaierai d'y revenir demain.
– Je continue à relire Revel, ce qui n'est pas étranger à ce que je viens de dire.
Samedi 4 juin
Sept heures et quart.
– Catherine et moi venons de franchir un pas décisif vers le retour à
la vie normale, en supprimant l'apéritif vespéral que, sous prétexte de
nous soutenir le moral, nous prenions tous les soirs depuis son
opération. Il n'était jamais excessif, mais enfin il devenait une
habitude dont, depuis quelques jours, je me disais silencieusement qu'il
serait bon que je m'en défisse. Comme Catherine, ce matin, a annoncé
son intention de s'en passer, j'ai sauté sur l'occasion.
– Programme de la journée : tonte et Revel. Et aussi le billet de blog que j'évoquais hier soir.
Dimanche 5 juin
Sept heures et demie. –
Je me suis enfin débarrassé, ce matin, des six mille signes que je
traînais après moi comme une queue d'âne depuis jeudi et qui
concernaient l'os de seiche de Monaco – Charlène de son prénom,
princesse d'importation et de carnaval. J'ai ensuite pu me consacrer de
nouveau à la Fin du siècle des ombres, chroniques de Revel datant
des années 1981 à 1999, lecture tout à la fois passionnante (en raison
du style de l'auteur et de l'acuité de son regard sur les questions
qu'il aborde) et déprimante (dès que l'on s'aperçoit que les problèmes
et blocages qu'il pointe du doigt n'ont généralement fait que s'aggraver
depuis lors). Vers la fin de la journée, en raison d'un compte rendu
élogieux de Revel, justement, j'ai repris les Mémoires d'Andréï
Sakharov, que j'avais tenté de lire il y a quelques années et abandonnés
au bout de deux cents pages, les trouvant fort ennuyeux ; j'aurai
peut-être plus de chance cette fois-ci, ou eux avec moi.
(Je
m'aperçoit que, si l'on suit Revel, pour admettre avec lui que le XXe
siècle a en effet été celui des ombres, l'actuel semble parti pour être
celui des ténèbres ; aussi amusant à vivre que, dans un genre différent,
a pu l'être le XIVe par exemple. La différence est que l'envahisseur ne
vient plus d'Angleterre ; quant à la grande peste, nul ne peut dire
quelle forme exacte elle s'apprête sans doute à prendre. Mais enfin, si
l'on poursuit le parallèle entre les deux époques, il nous reste environ
20 ans vivables : c'est bien plus qu'il ne m'en faut, et les suivants
se démerderont comme ils le pourront, avec l'immense gabegie que nous
leur aurons laissée. Et puis, soyons optimistes quelques secondes,
peut-être le cauchemar dans lequel ils vont plonger combattra-t-il
efficacement le formidable abaissement moral et culturel qu'ils nous
devront également.)
Mardi 7 juin
Sept heures et demie. –
Les journées se suivent et se ressemblent, ce qui, malheureusement,
n'est guère à porter à leur crédit. Mais enfin, on se dit que, d'ici une
semaine, Catherine ayant retrouvé l'usage (au moins partiel) de ses
deux mains, nous ferons un grand pas vers une certaine normalité
retrouvée. Hier, en toute fin d'après-midi (c'est-à-dire à l'heure du
repas de Bergotte), me trouvant une mine anormalement morose, et il est
vrai que je l'étais en effet, mais sans cause précisément identifiable,
Catherine m'a littéralement intimé l'ordre de me servir un verre de
quelque chose ; et, bien entendu, de lui en offrir un du même élan ;
ordre auquel je me suis empressé d'obéir, comme on imagine.
– Comme je n'ai guère l'envie, ni le courage, de lectures “sérieuses” – j'avais ressorti tour à tour les Essais de Montaigne et les Mémoires de Sakharov, que je me suis empressé d'abandonner au bout de trente ou quarante pages –, j'ai repris très paresseusement Un festin de paroles,
le livre “gastronomique” de Jean-François Revel ; et, ma foi, je m'en
trouve fort bien car c'est une lecture délicieuse – ce qui est bien le
moins. Je me demande si, après ça, je ne vais pas relire, tout aussi
paresseusement, Le Voleur dans la maison vide, joli titre de ses mémoires.
–
La semaine prochaine s'annonce cependant assez pénible, puisque nous
allons voir, dès lundi matin, débarquer le peintre – celui qui nous
avait remis à neuf les plafonds il y a quelques mois –, cette fois pour
refaire tout l'extérieur de la Case. J'espère au moins que je pourrai
continuer à avoir accès à mon bureau ; sinon, je serai obligé d'écrire
mes articles FD sur l'ordinateur portatif de Catherine, ce qui ne
m'enchante guère. (Il faudra au moins que je pense, si la chose est
possible, à brancher mon clavier “non portatif” sur son engin.)
Jeudi 9 juin
Huit heures moins le quart. –
La pitié, et même la douleur, que l'on éprouve face à la souffrance
animale (qui nous valent les moqueries de ceux qui ne les ressentent
pas) dépendent de deux critères, liés l'un à l'autre, que l'on aimerait
mieux oublier, si c'était possible. L'un est la proximité de l'animal
avec nous, l'autre (beaucoup plus agissant) est la taille de l'animal.
En fonction de ces deux critères simples, et à mon avis irréfutables,
chacun devrait se demander comment il considère les animaux, si tant est
que l'on puisse englober tous les êtres vivants sous ce vocable unique :
les animaux.
1) La proximité, c'est-à-dire la ressemblance, la parenté.
Qui ne versera une petite larme, en voyant un chimpanzé tomber sus les
balles de quelque chasseur, alors qu'il ne bronchera pas devant un lapin
subissant le même sort ? Et qui ne se sentira un pincement au cœur
devant la mort de n'importe quel mammifère, quand il restera de marbre
face à l'embrochement d'un thon ?
2) La taille, qui est
l'élément essentiel. Il y a une demi-heure, sur la paroi extérieure de
mon verre se trouvait un petit point noir, dont mon œil humain ne
distinguait rien. Mais je savais qu'il s'agissait d'un être vivant, une
sorte de ciron, comme disaient nos ancêtres du XVIIe siècle, pour désigner
la
plus petite chose vivante que leur œil pouvait discerner. Attrapant mon
verre, pour une gorgée distraite, j'ai évidemment pulvérisé l'existence
de cet animalcule. En ai-je éprouvé quoi que ce soit ? Non. Rien du
tout. Par sa taille à peine perceptible, cette petite chose vivante et
sans nom n'avait aucune existence à mes yeux, en tout cas pas assez pour
que je prenne la peine de penser à elle avant de l'anéantir.
On
peut du coup se poser la question, nous autres qui pleurons la mort
d'un hérisson sur la route ou d'une mésange charbonnière sous les
griffes du chat :
Vendredi 10 juin
Sept heures et demie.
–Comme chaque année, quand le temps le permet, ce qu'il fait depuis
trois ou quatre jours, nous nous disons, Catherine et moi, entre six et
sept heures du soir, lorsque nous prenons un verre, sur ce que j'appelle
la terrasse et elle la galerie (en ce moment, vodka-orange pour moi et bloody mary
pour elle), que la vie nous a vraiment favorisés en nous dirigeant vers
la campagne, et que pour rien au monde, même dans la plus luxueuse des
demeures, nous ne pourrions plus vivre en ville – ou alors une toute
petite, mais certainement pas dans ces cloaques “multiculturels” et
surtout bruyants (peut-être ceci parce que cela) que sont devenus Paris
ou Lyon (je ne parle même pas de Marseille, cloaca maxima) et,
j'en ai peur, de plus en plus de villes de moindre importance. Les
villages peuvent encore donner l'illusion que l'on vit en France, que le
silence et le savoir-vivre restent possibles. Mais c'est évidemment une
illusion fort temporaire ; on en est réduit à espérer qu'elle durera
aussi longtemps que nous.
– J'ai bien vu, en ouvrant ce
journal, ce soir, que j'avais interrompu mon entrée d'hier sur un “deux
points” appelant autre chose. Mais quoi ? Je ne sais plus ; il faudrait
que je reprenne la totalité de l'entrée. Au début du mois de juillet,
quand je relirai vraiment tout le fatras de ce mois-ci, je tenterai de
renouer le fil : on verra si j'y parviens. Si c'est le cas, je tâcherai
de le signaler, par des parenthèses, des italiques, ou je ne sais quoi. [1er juillet : eh bien non, je n'ai pas retrouvé la question que l'on aurait dû se poser…]
– Catherine porte de moins en moins son attelle, on a l'impression de foncer comme des chiens fous vers le bout du tunnel.
Samedi 11 juin
Huit heures.
– Nous venions, en terrasse, d'achever notre premier verre, lorsque le
téléphone a sonné dans le salon : ça ne pouvait être qu'une pub ;
c'était André. J'ai parlé le mois dernier (s'y reporter), sinon de lui,
du moins autour de lui, puisque j'ai participé à ce roman à multiples
mains que Béa, sa femme, voulait lui offrir pour ses 60 ans. L'offrande
fut faite, le week-end dernier si je ne m'abuse, et André appelait,
officiellement pour me remercier de la part modeste que j'y avais prise,
en réalité, supposé-je, pour parler un moment avec moi. Parler avec
André me ravit et m'apaise depuis près de 40 ans. Si je disposais, ce
soir, d'un peu plus de temps, je reviendrais volontiers sur ces soirées
du mardi, que nous passions dans son petit appartement de la rue du
Sommerard, quartier de la Mutualité, en 1978 et 1979, Philippe Bernalin,
lui et moi ; il faudra bien que je j'y vienne un jour, d'ailleurs. Des
quelques amis que je me suis faits à cette période du CFJ ou un peu
avant, il est finalement le seul avec qui le contact ne s'est jamais
rompu. Celui avec Philippe s'est brisé par la force des choses et du
cancer en 1985, celui avec les autres (Jef, Luc, Denis, Carlos…) s'est
plutôt effiloché lorsque les prémices de la vieillesse ont commencé à
devenir impérieux et visibles, il y a dix ou quinze ans, en gros. Mais
avec André (et Béa), le bonheur de se retrouver, moins souvent que dans
notre jeunesse bien sûr, il faut tenir compte des pesanteurs propres à
chacun, ce plaisir est resté intact. Je me demande même si, en changeant
peu à peu de nature, il ne s'est pas renforcé. Nous avons en tout cas
passé un cap que les autres, ceux que j'ai évoqués, n'ont pas franchi,
ni moi avec eux. Il va de soi, maintenant, qu'André et moi resterons
indissolublement liés jusqu'à la mort de l'un de nous, c'est-à-dire en
principe de la mienne : j'ai cette certitude, absolument injustifiable,
que les pères de famille, et surtout ceux d'une famille heureuse,
disposent d'une espèce de garantie de longévité relative, dont les
existences stériles comme la mienne ne peuvent en aucun cas bénéficier –
et je trouve cela assez normal, finalement. Au moins pour une raison
pratique : si, demain (façon de parler), Béa ou André, ou les deux,
deviennent de pitoyables légumes alzheimerizés, il se trouvera forcément
au moins un ou deux de leurs enfants pour leur épargner l'enfer, je
veux dire : la maison de retraite – en tout cas, je le leur souhaite
vivement. Or, il se trouve que j'ai deux hantises dans l'existence : la
cécité et la maison de retraite ; pour éviter l'une ou l'autre, et si
possible les deux, je suis tout prêt à mourir dans les quelques années
qui viennent, à condition de le faire ici, au Plessis-Hébert, et un
livre à la main.
Dimanche 12 juin
Sept heures et demie. – Journée paisible, semblable à ses sœurs aînées : 4500 signes pour FD, un petit billet sur Revel, puis lecture : fin du Voleur dans la maison vide. Puis, quelques pages des deux livres reçus hier, pour prendre un peu leur pouls : l'Histoire du silence de la Renaissnce à nos jours, d'Alain Corbin et La République des camarades de Robert de Jouvenel. Finalement, après hésitation, et n'étant point encore rassasié de lui, je leur ai préféré Les Plats de saison de Revel, qui est son journal de l'année 2000.
Demain
va sans doute être nettement plus agité et perturbant, ainsi que toute
la semaine d'ailleurs. À huit heures va débouler ici le peintre chargé
de remettre en état toute la protection extérieure de la Case. Et, en
même temps que lui ou à peu près, mais pour demain seulement, elle,
arrivera une nouvelle femme de ménage, l'ancienne nous ayant inopinément
claqué entre les doigts (c'est une simple image, elle va bien). Passer
la matinée dans la Case cernés par le vacarme du Kärcher risque de
n'être pas très drôle. Bien heureux encore si l'accès à la dite Case ne
nous est pas interdit par le manieur de l'engin. Il est tout de même
ironique de constater que, dans les endroits où la racaille abonde, il
semble ne pas y avoir moyen de trouver le moindre Kärcher, et que nous
qui allons en avoir un ne disposons point de la moindre racaille pour
tester sur elle l'instrument miracle.
Lundi 13 juin
Huit heures moins le quart.
– Journée assez agitée, comme prévu et annoncé. À neuf heures, quand
nous sommes revenus de chez la kiné de Pacy, le peintre était déjà là
(il connaît la maison) et déployait tous les vacarmes de son Kärcher sur
la Case. Une demi-heure après arrivait notre femme de ménage
remplaçante, une Biélorusse presque aussi grande que moi, qui vit en
France depuis 15 ans, mariée avec un Franco-Canadien : ce dernier détail
a suffi pour faire d'elle notre femme de ménage désormais attitrée ;
cela et le fait qu'elle a travaillé vraiment bien durant les trois
heures qu'elle a passées ici.
Pendant
ce temps, le peintre découvrait, lui, que l'un des trois côtés de la
Case présentait des “gondolages” assez préoccupants et en concluait
qu'il allait sans doute falloir en changer les panneaux de bois avant de
songer à repeindre : nous attendons son patron (qui porte le très beau
nom de Brisorgueil) d'une minute à l'autre, pour qu'il juge de la
situation, et accessoirement de ce que cela va nous coûter en plus.
Au
milieu de toute cette agitation pénible, j'ai trouvé en moi la
ressource, à la fois physique et mentale, de tondre le jardin et d'aller
à la déchetterie, afin de m'y débarrasser, dans le conteneur idoine,
des nombreux cadavres de bouteilles attestant de notre appétence
alcoolique. Il va de soi que tout cela a justifié les deux ou trois
vodkas que nous venons de prendre, avant de dîner. Si M. Brisorgueil
nous quitte suffisamment tôt, nous envisageons de voir (pour Catherine)
et de revoir (pour moi) Le Crabe-Tambour de Pierre Schoendoerffer, film que je me souviens d'avoir aimé lorsque je le vis, il y a plus de trente ans de cela.
–
Sinon, j'ai continué mon compagnonnage avec Revel. Et récupéré vers
cinq heures six mille signes à écrire sur sa majesté Hallyday.
Mercredi 14 juin
Huit heures.
– Si j'arrive ici bien tard, ce n'est nullement pour cause d'apéritif
prolongé (nous n'en avons pas pris le moindre, contrairement à hier où
il fut massif…), mais parce que, saisi d'un courage proprement
hallucinant, je viens de me débarrasser des trois mille signes qu'on m'a
demandés vers cinq heures, à propos d'Angelina Jolie – que
personnellement je n'ai jamais trouvée telle, mais ce n'est pas la
question. Ce qui m'épate – et m'inquièterait presque –, c'est de ne pas
avoir remis ce travail à demain matin, comme ma logique personnelle
l'aurait voulu. Il y a des jours où je me surprends.
– C'est vraiment très bien, Le Crabe-Tambour. Le film m'a donné envie de lire le roman.
Jeudi 15 juin
Huit heures moins le quart. – Mme de Ribas (Dany des-Belles-Lettres pour les intimes) m'a fait parvenir cet après-midi le mail suivant, à elle envoyé :
Bonjour,
C'est
avec plaisir que je vous informe que le premier roman de Didier Goux,
Le chef-d'oeuvre de Michel Houellebecq, a retenu l'attention du comité
de présélection, et a donc passé la première étape. Pouvez-nous envoyer
10 services de presse du roman, afin que nous le donnions en lecture à
notre réseau de lecteurs ?
Je vous remercie,
Bien à vous,
Elodie
L'Élodie
en question s'occupe du “Festival du premier roman” de Chambéry. Je
trouve qu'on les sent bien, là, les prémisses d'une gloire planétaire.
Dimanche 19 juin
Cinq heures.
– Élodie a été des nôtres de vendredi après-midi à aujourd'hui (la
fille aînée de Catherine, pas l'Élodie du festival de Chambéry…) ; c'est
ce qui explique que je ne sois pas venu dans ce journal depuis jeudi :
la dite Élodie ne refusant jamais un apéritif, celui-ci a été pris
vendredi et samedi soirs, et relativement prolongé à chaque fois. Si
bien qu'ensuite l'envie de revenir à ce clavier me faisait défaut. Du
reste, je ne vois pas ce que j'aurais pu noter dans ce journal, vu que
ces deux journées ont été assez considérablement légumineuses. En
outre, je ne pouvais guère lire, en tout cas pas de manière suivie, en
raison du babillage quasi incessant des deux femmes ; mais, d'un autre
côté, quel intérêt pour une mère et sa fille de se réunir si c'était
pour ne rien se dire ?
– J'ai remis Jean-François Revel sur son étagère pour m'intéresser à Marc Fumaroli et à son État culturel,
livre tout à fait remarquable – comme tous les livres de cet auteur que
j'ai pu lire, notamment ceux qu'il a consacrés à Chateaubriand et à La
Fontaine – et qui reste tout à fait d'actualité malgré ses 25 ans de
bouteille. Fumaroli y fait preuve d'un humour d'autant plus efficace
qu'il est la discrétion même.
– Catherine a recommencé à se servir de son bras droit, mais avec des prudences de chat.
Mardi 21 juin
Dix heures du matin. –
Je ne crois pas avoir dit ici que, voilà deux ou trois semaines, nous
avons changé de femme de ménage, la précédente nous ayant fait faux bond
deux fois de suite et au dernier moment. [1er juillet : eh si, tu l'avais dit ! Tu radotes, mon p'tit gars, tu radotes…]
L'information n'a que peu d'intérêt en soi ; ce qui en a un, mesuré
certes, c'est que la nouvelle est biélorusse, qu'elle vit en France
depuis une douzaine d'années et qu'elle était mariée à un
Franco-Canadien, ce qui bien sûr a tout de suite plu à Catherine. Je dis
“était”, car ils ne vivaient plus ensemble depuis déjà un petit moment,
malgré leurs quatre enfants, et parce que, en outre, l'ex-mari en
question est mort la semaine dernière, des suites de la traditionnelle
et toujours efficace “longue maladie”. C'est une femme qui doit avoir
une quarantaine d'années, mince et très grande (elle ne doit pas être
loin de ma propre taille), efficace, plutôt sympathique a priori et
surtout silencieuse, ce qui nous permet de demeurer dans la maison
principale quand elle s'y trouve – ce qui est précisément le cas en ce
moment – sans être abrutis par un flot verbal incessant et stupide,
comme nous l'étions par la précédente. Cela ne m'a pas empêché,
néanmoins, de m'être tout de même réfugié ici, dans la Case : j'éprouve
toujours une réelle gêne, que je sais par ailleurs être assez idiote, à
me trouver dans mon fauteuil, lisant, tandis qu'une personne étrangère
s'active autour de moi
… J'ai dû m'interrompre au
milieu de ma phrase en raison de l'irruption ici des deux femmes (celle
de ménage et la mienne), pour cause de repassage. Ce qui est sans
importance puisque je n'avais plus rien à dire.
Sept heures et demie.
– Je suis toujours un peu surpris par ces blogueurs que je ne connais
ni d'Ève ni d'Adam (ni même d'Abel ou de Caïn), qui éprouvent néanmoins
l'envie ou le besoin de me rentrer dans le chou sans raison discernable
et qui, en outre, le font de la manière la plus maladroite et la plus
inefficace possible.
Je me trouvais tout à l'heure passer chez l'inénarrable Cui-cui fit l'oiseau (je ne sais toujours pas, à ce propos, si son nom est Fit l'oiseau, auquel cas ses parents l'auraient gentiment baptisé Cui-Cui, ou si, à l'inverse, M. et Mme Cui-cui ont décidé de prénommer leur fils Fit l'oiseau
: il y a là un petit mystère qu'il faudra bien éclaircir un jour), pour
y lire son dernier billet, assez insignifiant. Mais, comme il vient
régulièrement sur mon blog pour “me régler mon compte” sans jamais y
parvenir, je lui lançai une petite pique, à propos d'une phrase, ou
plutôt d'un tronçon de phrase particulièrement acrobatique. Il disait
ceci (mon commentaire fait suite) :
comme si la mixité ethnique n'était pas inhérente à la caractéristique immémoriale de notre pays.
« En
dehors même de l'incohérence syntaxique de ce morceau de phrase, l
s'agit là d'une contre-vérité totale, comme n'importe quel étudiant
démographe pourrait vous le dire. »
Rien de bien
méchant, on le voit. À quelque temps de là surgit un autre commentateur,
inconnu de nos services, qui s'adresse directement à moi en ces termes :
« @ Didier Goux : Avec le nombre de fautes de français que vous commettez
régulièrement, vous pouvez vous dispenser de donner des leçons. J'ai été
correcteur professionnel pour la presse et l'édition, c'est dire si
vous m'êtes une source inépuisable de tranches de rire. Sur le plan de
la syntaxe, la phrase que vous citez est parfaitement correcte, et
cohérente. N'essayez pas de péter plus haut que votre cul en ayant la
prétention, risible venant de vous, de corriger les autres. Laissez cela
à ceux qui savent. »
Bien entendu, je serais aussi fat que stupide si je prétendais ne jamais
faire de fautes, d'orthographe, de syntaxe, etc. Mais comment un
individu qui, j'imagine, avait au départ l'intention de me blesser, ou
au moins de m'agacer, peut-il choisir cet angle-là pour porter son
attaque ? On dirait un Poilu de 14 qui, tournant le dos à la tranchée
allemande, se mettrait à mitrailler la “roulante” venue tout exprès pour
lui apporter la soupe et le courrier. Et puis, mon Dieu, se targuer
d'être un correcteur de presse, quand on voit dans quel sabir les
journaux sont écrits : il y aurait bien un fond de masochisme,
là-dessous.
Mercredi 22 juin
Sept heures et demie. – L'été est arrivé sans prévenir : 28 ou 29° cet après-midi, au Plessis. Et, déjà, je me prends à penser avec nostalgie à ce cher printemps “pourri” que nous venons d'avoir. Heureusement, il semblerait que les températures dussent rechuter à compter de vendredi.
– En ayant terminé avec La Tentation totalitaire
de Revel, je me suis plongé dans le court livre de Robert de Jouvenel
(le petit frère d'Henry, époux de Colette), paru en 1914 : La République des camarades.
Selon la formule consacrée : nous y reviendrons. Mais, d'ores et déjà,
c'est un livre aussi drôle que pertinent ; pertinence d'ailleurs assez
étonnante : même si certaines parties sont évidemment démodées, les
trois quarts au moins de ce que j'ai lu aujourd'hui pourrait avoir été
écrit la semaine dernière (la première partie traite des députés et du
Palais Bourbon).
– Vendredi et samedi, le peintre qui a
refait la Case sera de nouveau là pour repeindre les volets de la dite.
Ce devait en principe être son fils qui se chargeait de ce travail,
mais il ne peut finalement pas venir car “il vient de trouver du
boulot”. Je ne sais pourquoi, j'ai un doute. Enfin, au moins, avec le
père, on sait que le travail sera vite, bien et proprement fait. Et le
jeudi suivant, ce sera au tour du jardinier de venir nous tirer du lit à
huit heures, par le vacarme qu'il fera en taillant nos haies. C'est
effréné, la vie de campagne.
Vendredi 24 juin
Sept heures et demie. – Des jours où l'on est vaguement content de soi, contrairement à la pente
(terme assez camusien) que l'on croit être la sienne – mais peut-être
se trompe-t-on là-dessus comme sur nombre d'autres choses. Il n'y a
pourtant guère de raisons : une virée à Pacy (kiné + courses) le matin
assez tôt ; six mille signes consacrés à Olivia de Havilland, qui sera
centenaire vendredi prochain ; un billet assez paresseux consacré au Crabe-Tambour
; tonte au plus chaud de l'après-midi, mais qui le fut nettement moins,
chaud, qu'hier et avant-hier ; et… et c'est tout. Mais il ressort de
ces pauvres petites activités une sorte de satisfaction vague,
l'impression d'avoir fait son devoir. Et, du coup, d'avoir mérité
les deux ou trois vodkas-orange prises ensuite, sur ce que j'appelle la
terrasse (qui n'en est pas une) et que Catherine nomme la galerie (qui
n'en est pas une non plus). En plus de tout cela, une température idéale
pour nous (22° gentiment celsius), un ciel amical, et Boulou qui, vu
d'ici, semble dormir profondément sur la terrasse (ou la galerie).
Pendant ce temps, le blogomonde s'agite parce que les Royaume-Uniens
viennent de décider de quitter l'Union soviétique – je veux dire l'UE
(cette chose ne mérite en effet pas mieux qu'un sigle). Catherine, tout à
l'heure, me demandait ce que cela allait changer concrètement
pour nous. Sans hésiter, je lui ai répondu : « Rien ! », ce qui me
semble logique dans la mesure où ce sont les Britanniques qui viennent
de s'évader et de reprendre le large et non nous : quand Edmond Dantès
plonge dans la Méditerranée, enfermé dans son suaire, cela ne modifie en
rien le sort des autres engeolés du Château d'If.
Néanmoins,
tout le monde s'affole, y compris les raisonneurs pontifiants, du genre
Authueil, qui osent ce genre de sentence : « L'idée de ne plus avoir
d'Union européenne est également à exclure, car le retour en arrière
n'est pas possible. »
Comment peut-on être à ce point
tremblotant et dénué d'imagination ? Et sot au point de croire que
l'histoire des hommes est une sorte de train circulant sur une voie
unique ? Comment leur expliquer qu'il n'y a pas de “marche en avant” et
que, par conséquent, la notion de “retour en arrière” est simplement
dénuée de sens ?
Samedi 25 juin
Sept heures et demie. – J'en ai fini avec mon Crabe-Tambour
en début d'après-midi. Dans les dernières pages, celles qui racontent
l'escale à Saint-Pierre-et-Miquelon, est relatée l'histoire du condamné à
mort de l'île, de la guillotine que l'on fait venir de la Martinique,
du recrutement d'un bourreau “amateur”, etc., exactement comme on la
trouve dans le livre d'Eugène Nicole, alors qu'elle n'apparaît pas dans
le film (ou alors j'ai déjà oublié, ce qui est malheureusement
envisageable).
Pour suivre, j'ai d'abord eu la vague
idée de retenter ma chance auprès de Joseph Conrad, mais y ai finalement
renoncé : cet Anglo-Polonais et moi n'avons jamais entretenu que des
rapports fort distants et empreints d'une sorte de méfiance mutuelle. À
la place, j'ai ouvert les Sous-Ensembles flous de Jacques Laurent
qui, sur la table du salon, attendaient mon bon vouloir depuis au moins
un an ; j'en ai lu cent pages d'affilée avec beaucoup de plaisir. Je
n'ose pas dire que j'y reviendrai, car j'ai déjà constaté, après avoir lu Les Corps tranquilles puis Les Bêtises,
que j'avais un certain mal à parler des romans de Laurent ; et, même,
que je n'y parvenais pas du tout, bien qu'ils me plussent beaucoup.
(Vérification faite, j'ai tout de même un peu parlé des Corps tranquilles sur le blog. Mais de manière fort superficielle et à l'aide d'un biais particulièrement hasardeux.)
Dimanche 26 juin
Sept heures et quart.
– Passé l'essentiel de la journée en compagnie de Jacques Laurent, si
bien que je n'ai rien de particulier à noter ici, d'autant moins que,
sur les blogs, la trêve dominicale semble inciter la sottise péremptoire
à relâcher quelque peu son emprise habituelle. Néanmoins ceci : que le
roman de Laurent, en approchant de sa fin, me plonge dans une sorte de
mélancolie assez voisine de la tristesse. J'en ai commandé deux autres
de lui, Les Dimanches de Mademoiselle Beaunon et le second dont le titre m'échappe déjà (il y a miroirs dedans ; ou tiroirs ; peut-être même les deux…). En outre, à l'instant, je viens aussi d'acheter son pamphlet anti-Sartre, Paul et Jean-Paul, dans lequel il le compare à Paul Bourget, ce mauvais romancier à succès de la fin du XIXe siècle et du début du suivant.
À
propos de Bourget, cette anecdote qui m'est revenue tout à l'heure.
Alors que l'écrivain avait présenté sa candidature au Jockey Club et
qu'il venait de s'y faire blackbouler, un membre du club (peut-être même
son président, je ne sais plus) s'était écrié : « C'est très bien !
Cela apprendra à ce monsieur qu'il existe encore des lieux où le talent
ne compte pour rien ! » Ce qui est une définition presque “chimiquement
pure” du snobisme ; et une preuve d'absence de jugement littéraire
puisque, de talent, Bourget était fort dépourvu.
–
Demain, nous allons passer l'après-midi à Rouen, plus précisément à la
clinique de l'Europe où, à force, j'ai presque l'impression que nous
sommes chez nous. Premier rendez-vous à deux heures et demie, avec le pouçologue,
celui de Catherine, de pouce, commençant à renâcler sérieusement à
accomplir ce pour quoi il est au bout de sa main. Une heure plus tard,
second rendez-vous, avec l'épaulologue cette fois, pour que ce digne praticien constate à quel point il a bien réparé sa patiente et puisse s'adresser un satisfecit
amplement mérité. Après quoi, rentrés ici, nous n'aurons pas volé la
solide vodka-orange que nous prendrons sur la terrasse, si le temps veut
bien se faire le complice de la soif.
Lundi 27 juin
Cinq heures vingt. –
Eh bien, ma foi, cet après-midi, qui devait en principe osciller entre
le pénible et le cauchemardesque, s'est finalement plutôt bien passé ;
en tout cas, il n'aurait pu se passer mieux. Nous sommes arrivés à la
clinique (comme d'habitude, avec ma fichue hantise du retard) à deux
heures pour notre premier rendez-vous, celui de deux heures et demie.
Léger effarement, en voyant surgir le pouçologue dans la salle
d'attente, venu chercher le patient nous précédant : « Mais il a seize
ans ou quoi ? », me murmura Catherine, qui a la curieuse habitude de
repérer des “faux docteurs” un peu partout. Le fait est qu'il paraissait
vraiment très jeune, effet accentué bien entendu par notre propre
décrépitude en marche. Mais enfin, il était à l'heure ; il fut statué
que, pour les mois qui viennent, une simple infiltration serait
suffisante. Après consultation du GLRV (Grand Livre des Rendez-Vous), il
fut même décidé qu'elle aurait lieu séance tenante : à cette fin, on
m'expédia sans ménagement à la pharmacie d'en face pour y faire emplette
du produit à injecter. Quand j'en revins, Catherine m'apprit, avec des
airs de conspiratrice honteuse, que la secrétaire (pardon :
l'assistante) de l'épaulologue venait de faire passer son dossier sur le
dessus de la pile, « pour pas que vous perdiez toute votre après-midi
ici ». C'était fort aimable à elle, mais Catherine en concevait une
certaine gêne, vis-à-vis des patients qui allaient, à cause d'elle,
devoir l'être encore davantage, patients. En mon for intérieur, et avec
une mauvaise foi que j'admirai moi-même, je parvins de mon côté à me
persuader que, habitués aux retards homériques de l'épaulologue, ces
braves gens ne s'apercevraient même pas qu'une personne leur était
subrepticement passée devant. De fait, il n'y eut aucune vague de
révolte lorsque, à trois heures vingt-cinq, le Dr D. nous manda dans son
enclos de consultation. Il y trouva, après lui avoir agité le bras dans
tous les sens permis par son articulation, que l'épaule de Catherine
allait fort bien : nous ne lui en demandions pas davantage ; et, à
quatre heures moins dix, nous récupérions Liselotte dans son parking
souterrain pour rentrer ici sans le moindre encombre. De plus, dans
l'intervalle, il s'était mis à faire beau.
Mardi 28 juin
Cinq heures. – Fini tout à l'heure Les Sous-Ensembles flous
et j'ai bien regretté de n'avoir pas encore reçu les autres livres de
Laurent que j'ai commandés il y a quelques jours : quand un auteur me
séduit, et c'est le cas, j'aime bien prolonger le temps que je passe en
sa compagnie, et le faire sans solution de continuité. Il y a une heure,
parce que je venais de rencontrer son nom dans le roman de Jacques
Laurent, précisément, j'ai commandé un livre de VS Naipaul, L'Énigme de l'arrivée.
J'ai déjà lu un roman de lui, il y a très longtemps : c'était à
l'époque où je co-animais une émission “littéraire” hebdomadaire sur la
défunte Radio 7 (émission d'une demi-heure qu'en réalité
j'écrivais tout seul, mais pour deux voix, mon compère, Luc Évrard,
ayant été entretemps nommé rédacteur en chef de ladite radio et n'ayant
plus le loisir de s'en occuper). Bref, c'était en 1981. Je ne m'en
rappelle rien, pas même le titre, sinon que je l'avais aimé. On verra
avec celui qui va arriver.
– Ma sœur et son mari sont
dans les affres depuis deux jours. Alors qu'ils promenaient leur chien
(de nature à la fois craintive et fuyarde) dans les rues d'Ermenouville
où ils habitent, celui-ci s'est fait sauvagement attaqué par un
dalmatien (un chien, pas un habitant de la Dalmatie…) du village. Sa
cuisse sévèrement blessée ne l'a pas empêché de disparaître dans la
nature (et ça court très vite, un lévrier…). Depuis, ils le cherchent en
vain, recherche compliquée par le fait que l'animal ne répond ni ne
revient quand ses maîtres l'appellent. Le dalmatien appartenant au fils
du maire, qu'Isabelle et Olivier connaissent bien, l'édile, se sentant
peut-être un peu morveux, a lancé l'alerte auprès des maires de toutes
les communes alentour ; de plus, un fermier a fait la même chose pour
les fermes environnantes, tandis qu'un villageois nanti d'un chien
“renifleur” fait un tour avec lui plusieurs fois par jour, par les voies
et les chemins. Malgré ce branle-bas de combat, toujours aucune trace
de la bête.
Jeudi 30 juin
Sept heures et quart.
– La journée fut à la fois agitée et calme. Agitée en raison du vacarme
produit par le jardinier armé de son taille-haie ; et calme parce que,
mes Puissances tutélaires m''ayant oublié, je n'ai eu aucun travail à
fournir et ai pu me consacrer entièrement à la lecture : Baudouin de
Bodinat et François Taillandier alternativement – j'ai d'ailleurs
terminé les deux. Ah ! et j'ai failli oublier le mince Paul et Jean-Paul,
de Jaques Laurent, reçu ce matin : court texte (une cinquantaine de
pages), dans lequel il établit de réjouissants parallèles entre Paul
Bourget et Jean-Paul Sartre, dans le but évident de “flinguer” le
second, qui le mérite amplement.
Sinon, je me suis
également fait traiter d'ordure fasciste par une carne communiste quasi
centenaire (je suppose), sur le blog de Sarkofrance, qui est fréquenté
quotidiennement par une jolie brochette de staliniens momifiés, parce
que j'avais osé dire que je trouvais Jean Ferrat “puant”, pour son
disque de 1967, à la gloire de la dictature castriste. Voilà donc des
gens qui trouvent “nauséabond” tout ce qui s'écarte un tant soit peu de
ce qu'ils ont décrété qu'il fallait penser sur les hommes et le monde,
et qui s'offusquent pour un pauvre petit “puant” ; lequel, il est vrai,
venant de moi, émanait donc du camp du Mal, du côté obscur de la force…
Demain
après-midi, notre peintre viendra raccrocher les volets de la Case,
qu'il a fini tout à l'heure de repeindre (dans un assez joli vert foncé,
choisi par Catherine). Nous allons donc commencer le mois prochain
avec, sous les yeux, une petite maison tout ce qu'il y aura de pimpant.
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