samedi 13 février 2016

Journal du Chef-d'œuvre












Samedi 15 novembre

Quatre heures. – J'ai décidé de tenir ce journal en parallèle de l'autre, afin d'y noter tout ce que je pourrai avoir envie de (me) dire à propos du roman en cours. Car en cours il est bel et bien, depuis hier après-midi. J'ai commencé, au matin, par aller acheter un grand cahier Clairefontaine (24 x 32 cm) de 196 pages (ainsi qu'un carnet de même marque pour les idées qui surgiraient inopinément). Puis, quelque temps après, parce qu'il fallait bien l'inaugurer, ce cahier vierge, j'ai écrit l'ouverture de la première scène du premier chapitre, c'est-à-dire la rencontre de mes deux personnages principaux, Evremont et Jonathan, à la terrasse “fumeurs” d'une brasserie, autour du premier roman de Houellebecq. Ce matin, pendant que Catherine était au presbytère, je m'y suis remis et en ai écrit toute une page. Je me suis arrêté au moment où le nom de Houellebecq est pour la première fois prononcé.

Évidemment, cette idée d'un “journal de bord romanesque” risque de sombrer dans le ridicule, si jamais le roman lui-même s'ensable au bout de quelques dizaines de pages,  ce qui, pour le moment, reste à mes yeux l'hypothèse la plus probable. Mais enfin, dans ce cas, ce sera un ridicule dont je serai seul au courant : ce journal sera détruit et voilà tout.


Dimanche 16 novembre

Sept heures et demie. – Écrit une page et demie, ce matin, pendant la messe (je veux dire : pendant que Catherine était à la messe…). Le dialogue s'est amorcé entre Evremont et Jonathan, lequel a d'ailleurs officiellement reçu son prénom. Pour l'instant, tout cela me semble assez statique, mais il est vrai qu'ouvrir une histoire avec deux personnes attablées sur une terrasse déserte ne facilite pas les mouvements de foule. Néanmoins, il va me falloir, assez rapidement je pense, créer un appel d'air afin d'introduire le monde extérieur ; cela sans rompre le dialogue qui s'amorce et en montrant davantage mes deux zouaves.

J'éprouve un étrange plaisir à écrire de nouveau à la main, après environ 25 ans : un peu comme si je m'essayais à l'écriture pour la première fois de ma vie. Et ne noircir que les pages de droite du cahier est très pratique quand je veux modifier des choses ou en noter d'autres sur celle de gauche.


Lundi 17 novembre

Huit heures. – Je me suis levé ce matin très bien reposé, mais totalement dégoûté de moi-même et de cette ridicule prétention à mener à bien quelque chose qui pourrait ressembler à un roman. De fait, je n'y ai pas touché de la journée, les deux feuillets à écrire pour FD arrivant à point nommé, vers une heure, pour me servir de mauvaise excuse.  Tout à l'heure, pourtant, en arrivant à ce bureau après le dîner, je me suis forcé à ouvrir le cahier ; pour voir… puis à décapuchonner le feutre noir. Et, finalement, j'ai écrit deux pages complètes ; dont je ne sais évidemment ce qu'elle valent, mettant jusqu'à présente un soin maniaque à ne surtout pas me relire. Petit à petit, j'en suis venu à me forger (le mot est excessif de noblesse !) cette croyance qu'il me fallait avant tout accumuler du matériel, noircir des pages sans jamais m'arrêter ; que le moindre retour sur moi-même, sur le “déjà écrit”, suffirait à bloquer définitivement la machine. Il faut se faire brute épaisse et avancer sans regarder à droite ni à gauche ; voilà.


Mardi 18 novembre

Huit heures. – Un peu moins travaillé qu'hier : une page au lieu du double.  Je crois qu'il est temps pour un “retour au thème”, à savoir le roman de Houellebecq (Extension), que j'ai délaissé depuis trois ou quatre pages, notamment pour une esquisse physique des deux bonshommes. Je commence à me dire que tout cela piétine sans doute un peu trop. Mais comme je refuse de relire ce qui est écrit…


Jeudi 20 novembre

Neuf heures et demie du matin. – Voilà trois jours de suite que je m'éveille dans les mêmes dispositions d'esprit, assez peu agréables. En fait, je crois bien que, à ce moment-là, je ne suis pas encore tout à fait éveillé ; toujours est-il que ma première pensée (si, donc, c'est bien d'une pensée qu'il s'agit) est pour l'hypothétique roman ; et il m'apparaît avec une clarté intense que je suis en train de me fourvoyer, que mes prétentions sont dérisoires, que tout cela va s'arrêter très vite, ou bien sombrer dans le ridicule, ou encore dans l'ennui le plus profond, dans la mesure où je n'ai strictement rien à raconter, ni les moyens de le faire de toute façon, que je perds mon temps de la manière la plus vaine qui soit, etc. En revanche, je n'en tire jamais (pour l'instant…) la conclusion qu'il me faut abandonner cette voie de garage dès maintenant ; et, le soir venu, je rouvre le cahier pour y faire ma petite page d'écriture (et même deux, pour ce qui concerne la soirée d'hier). C'est tout de même beau, de réussir à se faire du mal dès la reprise de conscience du matin.


Vendredi 21 novembre

Huit heures. – J'ai pris hier la décision qu'il me fallait travailler davantage, que la petite heure que je consacrais à ce roman entre dîner et télévision n'était pas suffisante. J'ai donc résolu d'y consacrer également l'avant-dîner, c'est-à-dire l'heure suivant le repas de Bergotte, qui se prend à six heures. C'est exactement ce que j'ai fait ce soir, et je suis fort content des trois pages qui ont été écrites durant ces deux heures. Enfin, non : je ne suis pas content de ces trois pages (ne les ayant pas relues) mais plus modestement de les avoir écrites. Il faut (il faudrait, restons prudent…) absolument que je me tienne à ce rythme de deux heures de travail, coupées par le quart d'heure du dîner, et que je le fasse tous les jours ; de manière à ce que le roman avance suffisamment vite pour que je n'ai pas le temps de m'en décourager. À raison de trois pages par jour, le brouillon pourrait en être terminé dans trois mois. Ensuite, évidemment, il y aura un mauvais moment à passer, ou en tout cas un moment crucial, celui de la relecture de l'ensemble. Encore ensuite, si je ne jette pas le paquet à la corbeille, il faudra probablement tout reprendre. Je n'en suis pas encore là.


Samedi 22 novembre

Six heures. – La première scène du premier chapitre est terminée, au moins dans sa version initiale : je viens de laisser Evremond au moment où il sortait de la brasserie, plus ou moins excédé par les manières de petit paon affichées par Jonathan depuis l'arrivée des deux filles à la table voisine. Il me semble, depuis deux jours, que la seconde partie devra montrer Evremond seul chez lui, lever un coin du voile sur sa vie et, surtout, dire quel rapport spécial il entretient depuis 20 ans avec le premier roman de Houellebecq.


Dimanche 23 novembre

Huit heures. – Je m'étais promis de me taire, et naturellement j'ai trahi ma promesse ce soir : l'apéritif aidant, j'ai dit à Catherine que j'avais commencé le roman, et déjà écrit environ 25 feuillets, c'est-à-dire pas grand-chose. Mais je crois que j'ai bien fait, puisque, comme toujours, elle m'a “accouché” de certaines choses auxquelles je n'avais pas pensé (ou pas suffisamment pensé) moi-même. Évidemment, Catherine n'a presque rien dit, elle a fait son travail de sage-femme, et c'est moi qui ai jacté tout le temps. Notamment à propos de Sophie, cette maîtresse putative d'Evremond, que j'ai à peine eu le temps d'imaginer, et même pas du tout, mais qui devrait être liée à la Sophia de Raskolnikov dans Crime et Châtiment. En en parlant, il m'est apparu qu'elle était indispensable : il faut, dans ce roman, un rayon de lumière féminin, une sorte de personnage à la fois extérieur et agissant, notamment par rapport à Evremont. Il doit avoir, à portée de main, la possibilité d'oublier (de rayer ?) les filles de sa vie, celles qui vont ressurgir dans le chapitre de Warnaucourt.

(Il faudrait tout de même que je me décide, entre Evremont et Evremond. Graphiquement, je penche pour le premier.)

Bref, il semble intéressant de parler de cette “chose” avec Catherine : il en ressort des idées qui ne m'avaient pas effleuré avant…


Jeudi 27 novembre

Midi. – Il est nécessaire que le chapitre Warnaucourt soit “préparé” ; que, dans les chapitres précédents – dont j'ignore encore de quoi ils seront faits… –, sans doute sous l'influence de Jonathan, des choses remontent, ou commencent à remonter, de l'adolescence et de la jeunesse, peut-être sous forme de déni violent de ce que vit, endure le jeune homme, et dont il s'ouvre à Evremont.

(Mais comment “insérer” Sophie dans tout cela ? Peut-être doit-elle, d'une certaine façon, avoir toujours un peu peur de lui, de ce qu'elle devine en lui d'informulé, de tout ce qu'il a refoulé, de la manière dont il s'est barricadé.)

Sophie doit être une sorte de recluse, elle aussi, mais une recluse en paix avec elle-même et le monde, une recluse “dans la lumière”. Hier soir, j'en étais arrivé à me dire qu'elle pourrait aussi ne pas du tout exister, n'être qu'une projection du cerveau d'Evremont, la preuve, à la fin, de son espèce de folie. Mais comment goupiller cela sans sombrer dans le ridicule, le grand-guignolesque ? Peut-être en accentuant les ressemblances avec la Sophia de Crime et châtiment. Et, dans ce cas, il faudrait semer quelques petits cailloux, sous formes de références, d'allusions à ce roman, ou même plus généralement à Dostoïevski lui-même : il faudrait alors "combiner" cet écrivain à Houellebecq. Pas simple…

(Comment se sont-ils rencontrés ?)

Huit heures. –  Depuis hier, je sens que je vais avoir du mal à terminer ce premier chapitre ; et plus je m'approche de cette fin, plus je tourne à vide, comme si je n'avais pas envie, ou peur, de passer à la suite. c'est du reste assez probable, dans la mesure où je sais comment finir celui-ci  (non : pas comment, mais plutôt par quoi), alors que je n'ai pas la moindre idée de ce que je vais mettre dans le suivant. Je suppose que ce devra être la deuxième rencontre entre les deux bonshommes, mais pour faire et dire quoi ? À moins que je ne braque le projecteur sur Jonathan et l'envoie traîner ses guêtres à la manif de samedi ?


Samedi 29 novembre

Onze heures du matin. – Evremont n'est pas raciste ; il n'est pas non plus antiraciste : il est, en quelque sorte araciste. À la lettre, il ne comprend pas ce que lui dit Jonathan, par ses diatribes anti-noirs et anti-arabes ; ou plutôt, il comprend fort bien que les noirs et les Arabes lui sont un moyen commode d'expliquer et de justifier à ses propres yeux sa totale inaptitude en matière de séduction. Quant à lui, il ne voit pas du tout quels dommages pourraient causer quelques millions d'immigrés sub-méditerranéens dans un monde qui, à ses yeux, est déjà mort, ou en tout cas à l'agonie : « Quel mal pourrait répandre une armée de vandales lâchée dans un pays en ruines ? »

– Le premier chapitre doit absolument être terminé ce soir : il n'a que trop traîné. Ensuite, il faudra résister au désir de le relire. Et passer directement à la suite. J'ai la certitude – étayée par rien – que, comme à bicyclette, si je m'arrête je tombe. Le seul point agaçant est que j'ai négligé de noter à part les noms de personnes, de rues, etc., à mesure qu'ils se présentaient sous la plume. Si bien que, lorsqu'ils reviennent, quelques jours plus tard, je les ai oubliés et suis contraint de parsemer le texte de points de suspension, ce qui contribue à déréaliser ce que j'écris.

– Je travaille réellement, matériellement, environ une heure et demie par jour – sans un seul jour d'interruption jusqu'à maintenant –, mais j'y pense toute la journée, à peu près sans discontinuer ; sauf peut-être le soir, devant la télé, c'est-à-dire juste après mon heure et demie de travail effectif, qui agirait donc comme une sorte de purge, ou de grattage sur une cicatrice qui démange.


Lundi 1er décembre

Trois heures. – Le premier chapitre a bien été bouclé samedi soir : il remplit 25 “grandes” pages, ce qui doit approximativement représenter soixante mille signes. J'ai immédiatement commencé le deuxième ; mais bon sang que j'ai du mal à y entrer, dans celui-là ! Il est vrai que, deux jours plus tôt, je ne savais même pas qu'il existerait (d'ailleurs il n'existe pas encore…). C'est en faisant surgir mes deux lesbiennes porteuses de tract dans l'épicerie de Charlie que l'idée m'est venue de plonger mon très-hypothétique lecteur dans la manifestation absurde à laquelle appelait le tract en question, et d'y faire se croiser Jonathan et Charlie, tous les deux, finalement, venus là pour la même raison : la drague ; drague de frustré chez l'aîné, drague joyeuse et optimiste chez le cadet. La difficulté est d'animer tout cela, de faire entendre mes deux solistes sur le fond d'orchestre constitué par la manif elle-même. Je pense que, plus encore que le premier, ce chapitre-là devra être considérablement réécrit lors de la reprise générale du roman… si jamais je parviens un jour jusque-là.

Le troisième chapitre ne peut être, me semble-t-il, que des “retrouvailles” entre Jonathan et Evremont, afin de recentrer l'histoire sur Houellebecq. Montrer Jonathan comme ensorcelé par l'écrivain. C'est ici, il me semble, qu'Evremont expliquera pourquoi il est un “déçu du houellebecquisme”, pour parler comme Finkielkraut. Et Jonathan s'enthousiasmera à l'idée du chef-d'œuvre.

Peut-être que le quatrième chapitre pourrait être celui de la rencontre entre Jonathan et Houellebecq, à l'occasion d'une signature à la librairie de la Ruée vers lire. Qui se termine par une fin de recevoir. En fin de chapitre, Jonathan prendrait la résolution d'écrire lui-même le chef d'œuvre de M.H. Le chapitre pourrait commencer à la faculté de pharmacie, si ce que m'envoie Béa est suffisant pour faire un début de chapitre crédible et vivant. Là aussi, comme dans chaque chapitre ou presque (pas dans celui de Warnaucourt, par exemple), il faudrait montrer la modernité à l'œuvre, mais toujours sans que personne ne s'en émeuve : elle est désormais chez elle.

Le chapitre suivant serait le “pivot” du roman, à savoir le retour d'Evremont à la maison natale de Warnaucourt. Ce n'est qu'après le surgissement brutal de ses “fantômes” (Marie-Paule, Brigitte, peut-être Monique, Isabelle…) qu'il rendrait visite à Sophie ; dont je pense de plus en plus qu'elle devrait ne pas exister réellement.


Mercredi 3 décembre

Midi. – Hier soir, parce que, après ma journée levalloisienne, je n'avais vraiment pas envie de poursuivre le chapitre II, j'ai finalement fait ce que j'avais prévu de ne pas faire avant d'avoir totalement terminé le “premier jet” : j'ai relu le premier chapitre. Le motif officiel (et pas totalement de mauvaise foi) était qu'il me fallait m'acquitter de ce que j'aurais dû faire à mesure que j'avançais, à savoir noter à part les noms propres (rues, gens, etc.) que j'avais tendance à oublier sitôt après les avoir trouvés. Mais, bien entendu, la véritable raison est que je grillais d'envie de “me rendre compte”.

Que dire ? J'ai l'impression que ce n'est ni une catastrophe ni bien enthousiasmant. En tout cas, moi, ça ne m'enthousiasme pas le moins du monde ; mais, d'un autre côté, je m'imagine très mal prendre feu pour un texte sortant de ma propre plume. Dans le détail, il y aura du travail à faire sur ce chapitre : simplifier certaines phrases un peu surchargées, fluidifier le style çà et là, jouer davantage sur les temps verbaux, améliorer les passages entre les différents plans, etc. Mais, cela, c'est le travail que j'aime faire, donc il ne me soucie pas, en tout cas pour l'instant.

Cela étant, j'ai sans doute bien fait de procéder à cette relecture car cela m'a permis de me rendre compte d'une bévue : dans le premier chapitre, lorsque les deux gouines déposent leur tract imbécile à l'épicerie, je précise le parcours de la manifestation ; or, je ne sais pourquoi, au début du II, j'ai mis le point de rendez-vous ailleurs ; si bien que les feuillets déjà écrits sont à revoir, de ce point de vue : il me faut “remonter” le point de rendez-vous vers la gare. Du reste, là où je l'ai sottement mis, place du Général des Courtils, la manifestation serait partie bien trop près du fleuve et du pont, qui sont leur point d'arrivée.


Dimanche 7 décembre

Onze heures. – Le chapitre II avance tranquillement, trop tranquillement sans doute : je n'y travaille guère qu'une heure par soir, une heure et demie au maximum. Chaque jour ou presque, je me dis qu'il serait bon de doubler ce temps, mais il n'y a rien à faire : lorsque j'ai écrit deux grandes pages de cahier, je n'ai plus qu'une envie, c'est de fuir. Je ne puis même pas dire que j'en suis “à la moitié”, dans la mesure où je n'ai pas une idée très précise de ce que sera le chapitre, une fois terminé ; bien que, tout de même, il ait tendance à se préciser à mesure qu'il avance. Ainsi, alors qu'il ne devait être au départ qu'une silhouette croisée par Jonathan, voilà que Charlie a pris beaucoup plus d'importance que prévu – à peu près la même, pour l'instant, que celle de Jonathan. Du reste, je vois de plus en plus nettement que, pour que ce chapitre ait une signification, une raison d'être, il faut qu'il vivent tous les deux à peu près la même chose (une rencontre, un espoir, un semi-échec), mais qu'ils le ressentent de façons opposées : J. comme la confirmation de sa “malédiction” sentimentalo-sexuelle, si l'on veut, et Charlie, au contraire, comme un succès ou, à tout le moins, une promesse. Tout cela dans le cadre de ma manif ridicule qui constitue le creuset de ces deux idylles, non pas avortées mais inabouties.

Je dois en être à peu près (mon écriture manuscrite m'est difficile à calibrer : j'ai perdu l'habitude…) à 75 000 signes.


Jeudi 11 décembre

Six heures. – Cet après-midi, j'ai innové. Sortant d'une courte sieste vers trois heures, je suis venu à ce bureau et, au lieu d'aller errer sur internet, j'ai empoigné le Clairefontaine et me suis remis à mon deuxième chapitre, auquel j'ai travaillé jusqu'à cinq heures (trois grandes pages écrites, ou, pour le dire plus prudemment et modestement, noircies). J'étais assez content, et même fier, de moi, trouvant cette initiative propre à me faire accélérer le rythme de travail, comme je souhaitais plus ou moins que cela fût. Le problème est que, là, je suis occupé à remplir l'un et l'autre de mes journaux au lieu de poursuivre le roman, sans doute au prétexte que j'ai déjà mon quota d'écriture quotidien : c'est idiot et un peu ridicule.

– Tout de même, hier, alors que je bâillais d'ennui dans mon bureau de FD, j'ai noté sur mon carnet de poche le “déroulé” de la dernière partie du chapitre en cours, et notamment les modalités de passage de Jonathan à Charlie et retour. Ces deux-là vont en quelque sorte vivre une aventure parallèle (rencontre avec une fille), mais ce sera le naufrage pour J (qui va se lancer dans une furieuse diatribe raciste – sous prétexte que Valérie, la fille qu'il guigne, tombe sous le charme d'un Malien sans papiers – et se faire plus ou moins casser la gueule), alors que Charlie va vivre une expérience déterminante (tomber amoureux, en gros) d'une lycéenne d'extraction plutôt bourgeoise, et que j'ai prénommée Tosca. Pourtant, sur le strict plan des faits, ils vont tous les deux voir repoussées leurs avances sexuelles, mais le vivre très différemment. Sans doute parce que l'un (J) appartient à une France moribonde, tandis que Charlie représente lui la force et la jeunesse de cette France inconnue qui s'avance. Rien de tout cela n'est bien clair dans mon esprit. Mais c'est en quelque sorte pour dissiper les brumes, ou essayer, que j'écris ce roman.

Je me suis fixé jusqu'au 15 décembre pour boucler ce chapitre ; non parce que ma sœur aura 50 ans ce jour-là, mais parce que cela fera un mois tout juste que j'aurai écrit le premier mot du premier chapitre. Si je maintiens ce rythme de deux chapitre par mois, le premier brouillon devrait être terminé aux alentours de mon anniversaire, le 19 mars.

Le point hautement positif, à mes yeux, est que, depuis un mois, je n'ai pas dû manquer le rendez-vous de l'écriture plus de trois jours ; la dernière fois c'était avant-hier, et j'en ai ressenti après, durant toute la soirée, une forme de culpabilité larvée, voire de frustration. J'ai pris ça pour un bon signe…


Vendredi 12 décembre

Sept heures et demie. – Plus les choses se mettent en place et plus je me félicite de m'être lancé dans ce chapitre II, pas du tout prévu au départ (mais à peu près rien n'était prévu au départ…), et surtout que Charlie y ait pris une importance que je ne lui pensais pas. Il est en train de devenir, par son histoire débutante avec Tosca, le pendant positif de Jonathan, si je puis ainsi jargonner. Et je crois que c'est une bonne idée que la dernière scène avec Jonathan, qui devra être très violente, soit “encadrée” par Charlie, d'abord avec Tosca sur les berges du fleuve, puis seul rentrant chez lui, tout empli, transfiguré par cette sorte d'amour naissant, de grâce qui lui est tombée dessus et commence de l'élever au-dessus de lui-même, tandis que Jonathan va probablement finir dans le bar à putes (mais sans consommer : il lui reste un brin d'espoir…) qui se trouve en bas de chez Valérie (tout comme il y en avait un, rue Porte-Saint-Vincent, à Orléans, en bas de chez France-Hélène et Monique, et où je n'ai d'ailleurs jamais mis le pied, moitié par frousse, je suppose, moitié parce que j'étais tout à fait désargenté à cette époque (1975 – 76)).

(Je réalise avec effarement que nous sommes le 12 et que, par conséquent, il me paraît impossible que ce chapitre soit terminé le 15 comme je disais hier le vouloir. Mais, après tout, quelle importance ? ces termes que l'on se fixe n'ont aucune raison d'être, pas la moindre réalité.


Dimanche 14 décembre

Trois heures. – Évidemment, le II ne sera pas terminé demain, dans la mesure où il reste une “grande scène” à écrire, celle du pétage de plomb raciste de Jonathan, en voyant que le Noir sans papier va lui souffler Valérie, et ce sans le moindre effort, qui plus est. Je ne pense pas que la scène doive faire plus de quatre ou cinq pages, mais elles risquent d'être assez délicates à écrire, dans la mesure où elle sera à plusieurs personnages et qu'il faut qu'elle soit bien mise en scène, vivante. Surtout, il est nécessaire que Jonathan s'exprime avec une assez grande violence, mais en restant crédible. Ensuite, il faudra encore une page ou deux centrée sur Charlie et sa “métamorphose amoureuse”, afin de ne pas laisser le lecteur sur sa mauvaise impression de Jonathan. Bref, tout cela va bien demander quatre ou cinq jours, je gage. D'un autre côté, évidemment, rien ne me presse ni ne m'attend…

J'ai fini hier soir la partie concernant le tête-à-tête de Charlie et Tosca sur la berge du fleuve, pendant et après la manif, et je me demande si j'ai bien fait d'en écrire une partie en flashback, si je n'ai pas opté pour la solution de facilité. D'un autre côté, comme juste après je vais avoir une scène “en live”, celle de Jonathan chez Valérie, il n'est peut-être pas mauvais que celle qui précède marque une espèce de pause, une sorte de “temps suspendu”, entre la marche qui a occupé presque tout le chapitre et l'explosion de Jonathan. Je retombe là sur le problème auquel je me suis heurté à chaque fois que j'ai essayé d'écrire quelque chose : mon incapacité à peu près totale, et assez désespérante, à me relire avec des yeux un tant soit peu critiques, à voir ce qui ne va pas.


Mardi 16 décembre

Sept heures et demie. –  Mail envoyé il a quelques minutes à Michel Desgranges :

Mon cher Michel,

Il est temps, je crois, que je vous tienne un peu au courant. Sachez donc que, voilà tout juste un mois, j'ai commencé une espèce de roman. J'y travaille consciencieusement tous les jours (mais sans doute pas assez : au bout d'une heure et demie, deux grand maximum, je n'en peux plus et il faut que je m'arrête jusqu'au lendemain… ce qui ne m'empêche nullement d'y penser à peu près du matin au soir) et je dois en avoir écrit environ cent mille signes ; je dis "environ" car j'écris à la main, sur mon grand cahier Clairefontaine, ce qui ne m'était pas arrivé depuis un bon quart de siècle, et j'ai un peu perdu l'habitude de "calibrer" mon écriture.

Je ne saurais vous dire ce que vaut ce qui s'écrit, dans la mesure où je refuse de me relire. Je me suis mis dans l'idée qu'il en allait de ce travail comme de la bicyclette : si je m'arrête, je tombe. Traduction : si je commence à reprendre ce qui est fait, je vais rompre l'élan initial et tout va s'arrêter. Donc, je vais de l'avant, ne serait-ce que par curiosité de savoir à quoi pourra bien ressembler ce truc une fois fini – s'il est fini un jour. Car j'ai l'impression que l'histoire se construit à mesure que j'avance, mais dans un brouillard encore bien épais. Pareil pour les quelques personnages déjà mis en branle. Quand j'aurai mis le mot "fin", il sera alors temps de tout reprendre da capo, ne serait-ce que pour passer l'ensemble sur ordinateur, ce qui sera l'occasion d'un vrai travail d'écriture, à partir du brouillon dont je disposerai. Enfin, c'est comme ça que je vois les choses. Pour ce qui est du brouillon en question, je me suis fixé comme date "butoir" le 19 mars prochain, jour de mon 59ème anniversaire ; mais il va de soi que c'est plus un ordre d'idée qu'autre chose, d'autant que je serais bien incapable, au stade où j'en suis, de dire quelle longueur fera ce livre. D'ici deux ou trois jours, je bouclerai le chapitre II et aurai quelque chose comme 120 000 signes. Bien. Mais comme j'ignore totalement combien de chapitres je vais écrire ensuite, je ne suis pas plus avancé. Je sais juste qu'ils ne seront pas très nombreux : entre 8 et 10 me semble un nombre plausible, en l'état actuel des choses.

Voilà à peu près ce que je tenais à vous dire. Et j'y retourne, car c'est le soir que je travaille.

Amitiés,

Didier

– J'ai l'impression, alors que j'en approche vraiment, que je ne vais jamais voir la fin de ce deuxième chapitre. Cela dit, je sais bien pourquoi je traîne ainsi : c'est que la fin en question est bien tracée dans mon esprit, il ne reste qu'à l'écrire (ce qui est déjà beaucoup), tandis que je ne sais pas, ou à peu près pas, ce qu'il va y avoir dans le suivant. Donc, je recule le moment d'y aller, c'est aussi bête et puéril que cela.

– Cependant, des choses commencent à se préciser pour la suite. il m'a semblé tout à l'heure que Sonia, la compagne imaginaire d'Evremond (car je suis presque décidé à ce qu'elle soit imaginaire), devrait avoir un enfant (un enfant imaginaire, donc), de façon à ce qu'elle se renforce en tant que "rempart" contre les fantômes, dans l'esprit d'Evremont. Je pense qu'on devrait apprendre la grossesse juste après le voyage d'Evremont à Warnaucourt : sentant le danger plus grand, il érige une nouvelle barrière. 

D'autre part, il m'est apparu nécessaire que, à un moment, il y ait rencontre entre Jonathan et Charlie, et même sans doute un peu plus que ça. Et, dans le dernier chapitre (ou l'avant-dernier), Charlie chercherait Evremont partout où il pense pouvoir le trouver afin de lui annoncer la mort de Jonathan (dont les raisons et les modalités restent encore à déterminer…). Et c'est ainsi (mais comment ? N'en sais rien…) qu'il découvrirait l'inexistence de Sonia et de sa fille (oui : ce sera une fille).

Pendant que j'y pense : passant chez Evremond, il trouvera la porte ouverte, les fringues disparues des placards. Et, sur le bureau (ou ailleurs), un exemplaire de Crime et Châtiment ; ceci afin que le lecteur attentif puisse faire le rapprochement avec la Sonia imaginaire, créature littéraire, donc. D'ailleurs, il va falloir que je relise ce roman, car "ma" Sonia doit être un décalque de celle de Dostoïevski.

L'espèce d'angoisse qui me tient depuis deux ou trois jours, c'est que, à mesure que les choses prennent forme, le personnage de Houellebecq me semble sortir de lui-même du roman. Ce qui m'ennuie car je tiens beaucoup à mon titre !


Jeudi 18 décembre

Trois heures. – J'ai bouclé, hier, la scène de Jonathan chez Valérie et son expulsion violente par Georges-Alain. Mais il faudra, je le crains, la reprendre entièrement, ou du moins l'étoffer, car j'ai escamoté l'ensemble, pressé que j'étais de m'en débarrasser.


Vendredi 19 décembre

Huit heures. –  Je viens à l'instant de terminer le deuxième chapitre, qui fait donc 34 grandes pages de cahier (le premier en comptait 24), et qui en fera forcément plus dans sa version seconde, car je me rends bien compte que j'ai honteusement escamoté la scène de clash chez Valérie, qu'il faudra donc reprendre et développer. Mais, d'un autre côté, il est possible que je sois amené à tailler dans le reste.

Pour l'instant, mon problème est d'attaquer dès demain le chapitre suivant, sans surtout me laisser le temps de souffler, et même si je ne sais pas trop ce que je vais y mettre ; mais je pense de plus en plus à une seconde rencontre, dans une tonalité toute différente, entre Jonathan et Georges-Alain, intervenant après une conversation entre Jonathan et Évremont. Peut-être devrais-je aussi, dès maintenant, faire se rencontrer Jonathan et Charlie, par exemple chez Evremont (J. viendrait lui apporter le dernier Houellebecq (Soumission), celui que je ne pourrai lire que début janvier : ça va être commode…).


Samedi 20 décembre

Dix heures du matin. – Ébauche d'un plan (noté hier soir devant un film d'Eastwood assez ennuyeux…) pour le chapitre qui, en principe, devrait être commencé ce soir, le troisième donc :

1) Evremont tombe sur Jonathan, probablement à la brasserie du I. Il s'est passé du temps entre la fin du II et maintenant, sans doute tout l'été. Evremont avait à peu près oublié l'existence de Jonathan. Celui-ci est très excité : durant l'été il a lu tout Houellebecq et il vient juste de s'acheter Soumission, qu'il n'a pas encore ouvert. La discussion s'engage, à propos de Houellebecq, Evremont explique pourquoi ce dernier l'a déçu. Jonathan décide qu'Evremont doit lire le dernier paru avant lui et qu'il va le lui apporter. Evremont, de mauvaise grâce, consent à lui donner son adresse.

(Durant cela, ils ont quitté la brasserie pour marcher dans les rues. D'où, petites scènes de modernité festives, bouts de dialogues, notamment entre femmes, etc.)

2) Après séparation d'avec Evremont, Jonathan tombe sur Georges-Alain, dont il apprend l'escroquerie morale (pas du tout malien mais français, rôle qu'il joue vis-à-vis des filles, etc.) Georges-Alain, très sympathique, ouvert, drôle, etc. Jonathan résiste tant qu'il peut à son désir croissant de se placer sous sa protection (tout, alors, serait tellement plus facile, pense-t-il). Sorte de soumission mimétique.

3) On retrouve Evremont chez lui, en compagnie de Charlie, ils parlent de Tosca, dont Charlie vient de faire quelques photos sur son téléphone. Charlie n'a toujours pas “couché”, mais, bizarrement (à ses yeux), ça ne lui semble pas si important que ça. Evremont se fout gentiment de lui : « Elle est en train de te châtrer ! » Devant les photos, Evremont subi ses premières “remontées de passé”. Sans doute faudra-t-il, ici que soit évoquée pour la première fois l'existence de Sonia, afin de la lier dès le départ aux “filles fantômes”.

4) Arrive Jonathan avec le roman de H. Se montre d'emblée assez agressif avec Charlie, mais celui-ci, par sa bonne humeur et sa gentillesse (non mièvre) le désarme en grande partie.

Je pense conclure le chapitre sur Evremont demeuré seul chez lui (mais c'est déjà comme ça que se termine le I : peut-être ennuyeux), qui décide de se rendre chez Sonia.

Dans la foulée, j'ai également noté “en courant” (mais sans bouger du fauteuil) une ébauche de découpage pour la suite. Cela donne :

IV) Centré sur Evremont, d'abord chez Sonia, puis sa rencontre avec Tosca. Jonathan lui annonce la venue de Houellebecq à Montcosson, pour une journée de signature (ou deux jours, afin de justifier une soirée sur place de l'écrivain), à la librairie La Ruée vers Lire. En chute, Evremont apprend la mort de sa mère, deux ou trois semaines auparavant. (Il faudra trouver une raison valable pour qu'il n'en soit pas averti plus tôt.)

V) Evremont à Warnaucourt, avec son père.

VI) Jonathan à la séance de signature de Houellebecq, puis, le soir, avec lui. Si je parviens à l'écrire, il lui montre le début du “chef-d'œuvre” qu'il s'est mis en tête d'écrire en collaboration avec l'écrivain. Évidemment, Houellebecq l'envoie chier (gentiment mais tout de même).

VII) De nouveau avec Evremont à Warnaucourt, mais plus tard dans la soirée et la nuit, aux prises avec ses filles fantômes, qui resurgissent les unes après les autres (et je n'ai pas hâte d'en arriver à ce chapitre-là, qui va être horriblement difficile à faire, je le sens).
En chute, il est de retour à Montcosson et apprend que Sonia est enceinte.

VIII) De nouveau une rupture temporelle par rapport à ce qui précède.

– Sonia vient d'accoucher.
– Jonathan continue d'écrire, mais seul, le “chef-d'œuvre”, qu'il ne désespère pas de ramener dans son projet insensé. Sans doute poussé par Georges-Alain, il refait une tentative auprès de Valérie, et se vautre misérablement, tandis que Valérie, sans doute prise de regret de son refus premier, se jette littéralement à la tête du Noir.
– Charlie “grandit” (même si toujours puceau…). Je veux dire qu'il grandit par rapport aux deux autres, devient plus posé, plus adulte, à mesure qu'Evremont et Jonathan s'enfoncent chacun dans son espèce de folie.
– Evremont, d'ailleurs, évite Jonathan, qui commence à lui faire peur. (Il faut qu'Evremont paraisse parfaitement raisonnable, et même de plus en plus, mais avec de petits signes inquiétants, irréalistes ; notamment la manière dont vit Sonia.)
– En revanche, il aime de plus en plus Tosca, d'une façon certes assez trouble (en quelque sorte, vu son âge, elle est une fille fantôme matérialisée) mais pas directement sexuelle. Du reste, Charlie n'est nullement jaloux, au contraire : les attentions d'Evremont valorisent Tosca à ses yeux.

Après ce chapitre huitième, c'est encore le brouillard. Je suis presque sûr que Jonathan va se suicider et qu'Evremont va quitter la ville sans avoir appris sa mort, c'est à peu près tout. Cette fin ne devra pas occuper plus de deux chapitres et le rythme devra en être plus précipité.


Mardi 23 décembre

Cinq heures. – Finalement, non, Jonathan ne va pas se suicider. Il va en prendre la décision, sélectionner le moyen le plus théâtral. Puis, au moment où sa décision sera effectivement prise et le moyen arrêté, il va se faire écraser bêtement par une camionnette de livraison (avec slogan ridicule sur la carrosserie) en traversant la rue pour aller à la pâtisserie Charlot (ou Charleau ?) s'offrir un gâteau quelconque, en quelque sorte pour “fêter ça”.

– Catherine partie (à la clinique, pour son épaule), j'ai retrouvé mes vieilles mauvaises habitudes de l'époque BM et n'ai pas touché au roman hier. Du moins, je n'ai rien écrit dans le cahier ; mais, durant l'apéritif que je me suis offert – autre vieille mauvaise habitude –, j'ai noté trois ou quatre choses qui me serviront pour la suite, dont celle qui précède, à propos de la mort de J.


Jeudi 25 décembre

Sept heures vingt. – Lorsque je me mets au travail, les choses se passent toujours de la même façon : j'ouvre le cahier, je décapuchonne le feutre, relis les trois ou quatre dernières lignes afin de savoir où j'en étais, et je me lance. Si je travaille une heure durant, le résultat est toujours identique : lorsque je m'arrête, j'ai environ six mille signes écrits. Et c'est justement cette facilité et cette rapidité qui m'inquiètent : je m'aperçois que mon rythme est presque voisin de celui que j'avais quand j'écrivais un Brigade mondaine. Le problème – et ma source d'inquiétude, donc – est que mon ambition, même si elle reste modeste, n'est tout de même pas d'écrire un Brigade mondaine ! Or, je me dis et me répète que, si “ça vient” aussi facilement, c'est que ce doit être aussi médiocre. D'un autre côté, il est vrai que je fonce sans me retourner. Lorsqu'il m'arrive de m'apercevoir, en l'écrivant, que ma phrase est pataude ou mal foutue, je m'en moque et continue d'avancer, me disant que le polissage interviendra dans un second temps, et que mon seul souci, pour le moment, doit être d'arriver au bout de mon brouillon, et que mon histoire et mes personnages tiennent suffisamment la route pour mériter, ensuite, un travail de réécriture. Il n'empêche que cette impression que j'ai chaque jour, qu'il me suffit d'ouvrir le robinet pour que les phrases s'écoulent, continue de m'inquiéter assez grandement. Mais que puis-je faire contre ? Je ne vais tout de même pas m'inventer des pannes d'inspiration, uniquement pour pouvoir me dire que je suis un vrai écrivain !


Dimanche 28 décembre

Sept heures et demie. – Dans la discussion que vont avoir Evremont et Jonathan, à propos des Noirs et des Arabes, Jonathan fera remarquer à l'autre que les gens de sa génération ont beau jeu de jouer les antiracistes, eux qui n'ont à peu près jamais été confronté au surgissement de ces populations. Evremont, alors, repensera à sa scolarité, à Warnaucourt, accomplie sans jamais en effet apercevoir le moindre élève exotique. Il lui vient que, sans doute, il aurait été très content d'en voir arriver quelques-uns, plutôt que, année après année, avoir l'assurance un peu déprimante qu'à chaque rentrée scolaire on va retrouver exactement les mêmes têtes.

Dans la même scène, sans doute plus loin, Evremont se dira que, en ce moment même, tandis que Jonathan rejette sur les Noirs (les “nègres”, comme il dit exclusivement et avec une intonation particulière qu'il faudra définir), il y a, quelque part dans Montcosson l'un de ces noirs qui, lui, accuse les blancs de tous ses échecs. Il en déduit que la société périra de cela, de ces frustrations (ce n'est pas le terme qui m'est venu tout à l'heure, à table, et qui était meilleur. Aigreur ? Ressentiment ?) multidirectionnelles.

Du coup, je me demande si cet échange doit intervenir dès le début du chapitre III (c'est-à-dire là où je suis arrêté) ou être remis à plus tard. Il me semble que ce doit être tout de suite, tandis que j'ai les deux protagonistes “sous la main”. Mais alors, le chapitre tel que je le voyait avant de m'y mettre risque d'être bien trop long : peut-être faudra-t-il le scinder.

Bon sang, comme tout cela est compliqué, incertain, pénible ! Mais pourquoi est-ce que je me suis lancé là-dedans ?


Mardi 30 décembre

Huit heures. – J'ai bien failli, aujourd'hui encore, laisser le cahier fermé. En me disant que, voilà, j'étais engagé, comme de nombreuses fois jadis, sur la pente de l'ensablement, puis de l'arrêt définitif. Puis, sans la moindre conviction, et même avec une vague sensation d'écœurement, je me suis forcé à m'attabler. Et, finalement, j'ai écrit deux pages et demie, en ayant bien amorcé le dialogue entre E et J. Je pense d'ailleurs, comme j'en évoquais la possibilité dimanche, que je vais clore ce chapitre sur ce dialogue et en ouvrir un autre pour ce qui devait en être les deuxième et troisième parties.


Vendredi 2 janvier

Huit heures. – Au fond, pris par ce roman, je me sens un peu dans la situation du type qui entreprendrait de bâtir un édifice, sans plans d'architecte, avec des connaissances plus que sommaire en maçonnerie, zinguerie, charpenterie, etc., et qui se lancerait à l'aventure simplement parce que deux ou trois personnes lui auraient affirmé qu'il ne pouvait que réussir, puisqu'il avait déjà prouvé qu'il savait monter une tente ou assembler des Lego. J'en suis au stade de l'invention du brouillon, c'est-à-dire que je gâche du ciment, empile des briques et des moellons, jointoie, dresse des murs, pose des escaliers et des fenêtres, agence la charpente, etc. sans trop me préoccuper de ce qui s'élève. Quand ce sera fini, le bâtisseur autodidacte se reculera pour prendre du champ, et découvrira s'il a bâti une cathédrale ou bricolé une masure, le plus probable étant que le résultat de ses efforts se situera entre les deux. Ensuite, voyant les béances et les aberrations les plus criantes, il s'emploiera à colmater, redresser, joindre, ajouter un petit balcon ici, un clocheton là, etc. L'épreuve décisive sera enfin la première lecture étrangère, l'œil du dehors ; elle équivaudra à ce que serait une pendaison de crémaillère, un soir où souffle une tempête de pluie et de vent. En quelques quarts d'heure, le malheureux propriétaire-bâtisseur va devoir constater que le vent a abattu le clocheton dont il était si content, que l'eau, passant sans effort à travers sa toiture, inonde le salon et les invités qui s'y pressent. L'un d'eux, d'ailleurs, vient de tomber du premier étage, à cause du petit balcon de la façade sud, insuffisamment arrimé au mur ; quant à la butte qui supportait la grande terrasse, elle vient d'être emportée par le ruissellement des eaux, en raison de soubassements non consolidés. La cave est certainement inondée, mais on ne peut pas le savoir car l'escalier qui y conduisait vient de s'effondrer, etc.

Et, malgré tout, on reprend sa truelle, une brique, et on continue son mur en sifflotant d'un petit air faraud.


Samedi 3 janvier

Huit heures. – Je suis également cet obtus laboureur nanti d'un cheval rétif, qui se casse les reins à pousser sa charrue pour tracer des sillons superficiels, et qui va s'apercevoir, à la fin, moitié mort, qu'il s'est escrimé sur une terre depuis longtemps stérile.

Sinon, je commence à entrevoir la fin du chapitre III ; Je viens de laisser Jonathan et Evremont devant l'épicerie des Al-Mansour, Evremont va rentrer chez lui et Jonathan poursuivre sa route jusqu'à la place des Courtils (ou la librairie ?) et tomber sur Georges-Alain. Il faudra que leur scène soit assez brève (bien plus courte en tout cas que celle que je viens de finir, avec Evremont). Ensuite, ce sera le chapitre IV, avec retour du couple Charlie-Tosca et, surtout, apparition de Sonia.


Dimanche 4 janvier

Sept heures. – Je me suis plus ou moins décidé, ce matin, à ne pas attendre d'avoir terminé le brouillon pour commencer à retranscrire dans l'ordinateur ce qui est déjà écrit sur le premier cahier (on écrit sur ou dans un cahier ?). Plusieurs raisons à cela, la principale étant d'ordre pratique : lorsque j'aurai besoin de retrouver quelque chose (un nom de rue, l'aspect physique d'un personnage secondaire, etc.), il sera beaucoup plus facile si le début du roman est tapé, surtout si, comme j'en ai l'intention, je crée un nouveau document Word pour chaque chapitre qui commence. D'autre par, cela rendra la transcription moins fastidieuse, de se faire petit à petit. Enfin, ce sera l'occasion d'un premier polissage. Bref, j'ai commencé cet après-midi, et me suis vite rendu compte que l'opération était aussi lente que d'écrire le premier jet à partir de rien. Si bien que j'ai tout de suite senti le danger : celui de me lasser de mon travail durant la journée et de n'avoir plus assez de “jus”, le soir venu, pour avancer dans le cahier (j'ai conscience d'écrire en pur charabia…). La preuve dès ce soir, où je n'ai écrit qu'une petite page (vraiment petite…) au lieu des deux voire trois de d'habitude. La solution serait peut-être de me limiter à deux heures de transcription par jour, et de les faire le matin, de façon à pouvoir un peu oublier ce fichu roman avant de m'y remettre en fin d'après-midi. Le problème est que j'ai également commencé de mettre au point le livre Blurb du journal 2014, et que, dès demain, le travail pour FD va reprendre…

– Pour ce qui est du roman lui-même, j'ai ramené dès aujourd'hui Valérie, entrevue au chapitre II, dans l'histoire. Il m'est en effet apparu que chaque garçon devait avoir sa fille, si je puis dire : Evremont-Sonia, Charlie-Tosca et, désormais, Jonathan-Valérie ; selon des modalités fort différentes, bien entendu. Pour ce qui est de Jonathan-Valérie, il faudra que mon “nègre” joue à plein son rôle de modèle-obstacle, de troisième pilier du désir (Jonathan serait en quelque sorte le côté dostoïevskien de ce triangle, ce qui est fort bien puisque, d'autre part, c'est Dostoïevski qui a engendré Sonia).


Jeudi 8 janvier

Midi. – J'ai terminé hier mon troisième chapitre (au garage Volvo de Normanville, pendant que j'attendais la fin de la révision annuelle de la voiture…). Je l'ai fait avec une satisfaction très mitigée, car cela implique de se lancer sans surseoir dans le suivant, dont je n'ai qu'une idée très floue, ce qui est encore peu dire. Je sais comment et par quoi il doit se terminer (l'annonce de la mort de la mère d'Evremont), je sais qu'il faut que Sonia apparaissent, Tosca y réapparaître, que Jonathan et Charlie doivent s'y rencontrer, mais je n'ai aucune idée de la manière de lier tout ça pour en faire un véritable chapitre, c'est-à-dire un ensemble qui fera progresser le roman. C'est du reste peut-être à cela que je devrais réfléchir de plus près.

– J'ai eu un peu le vertige, en lisant le dernier roman de Houellebecq, hier. D'abord, son personnage a 44 ans, soit pratiquement le même âge que mon Evremont. Ensuite, le premier chapitre s'ouvre sur une évocation de Huysmans, tout comme le mien commence par une évocation de Houellebecq.  Enfin, son président de la République musulman s'appelle Mohammed et a grandi dans l'appartement situé au-dessus de l'épicerie paternelle, exactement comme mon Charlie. Je disais à Catherine, hier soir, que si je venais à bout de ce livre et qu'il était jugé digne d'être publié par Desgranges, tout le monde penserait immanquablement que je me suis inspiré de Houellebecq pour ce personnage. Elle m'a fait remarqué, fort judicieusement que j'avais les moyens de prouver la coïncidence, dans la mesure où Mohammed-Charles, alias Charlie, fils d'épicier, était déjà présent dans les dix volumes de L'Empire des sectes, d'où je n'ai fait que le tirer.


Lundi 12 janvier

Deux heures. – J'ai passé deux jours à tourner autour de mon quatrième chapitre sans oser y entrer, et en me culpabilisant de ne pas le faire. Finalement, je m'y suis mis avant-hier, puis hier, et j'en ai écrit trois pages de cahier, ce qui n'est pas énorme, mais le tout était d'enclencher la machine. Je crois que celui-ci aurait intérêt, de toute façon, à être sensiblement plus court, plus “ramassé” que les trois, ou au moins les deux, précédents. En réalité, j'ai grande hâte d'en arriver au chapitre cinquième, celui de Warnaucourt et de la rencontre entre Evremont et son père veuf, mais en même temps une trouille bleue d'y être ; si bien que je traîne dans le quatre, ce qui ne doit rien lui valoir de bon.


Vendredi 16 janvier

Huit heures. – Ceci m'est apparu alors que, revenant de la boulangerie de l'avenue de l'Europe, avec mes deux sandwichs thon-crudités, je traversais la rue Anatole-France pour rejoindre le havre Lagardère, protégé par des gendarmes armés de mitraillettes : il ne faut pas que Sonia apparaisse avant le retour de Warnaucourt. Même s'il est vaguement (le plus vaguement possible) question d'elle avant, pour montrer qu'Evremont, même avant ce "retour aux sources", est déjà un type fragile, en déséquilibre, il faut que ce soit les filles fantômes qui lui donnent corps et chair. Du coup, le chapitre IV sera sûrement plus court, c'est indubitable, mais j'ai peur aussi que, à part sa chute (l'annonce de la mort de la mère Evremont), il fasse un peu “salle d'attente”.

Il faut se remettre à l'écrire, dès demain, et on verra.


Samedi 17 janvier

Huit heures. – Pour ce qui est de se remettre à l'écriture du chapitre 4, je voulais bien entendu dire : dès après-demain…


Lundi 19 janvier

Huit heures. – Je patine dangereusement, dans ce foutu chapitre 4. Je m'y suis assez péniblement remis en fin d'après-midi, pour en écrire à peine une page, et absolument sans le moindre entrain. D'abord parce que j'ai la crainte que, amputé de l'apparition de Sonia, il ne fasse un peu “chapitre croupion”, c'est-à-dire nettement plus court que les trois précédents (et, j'espère, que les deux suivants…), mais que, en plus, l'hypothétique lecteur se demande à quoi il peut bien servir, hormis annoncer la mort de la mère d'Evremont.

Quoi qu'il en soit, j'ai décidé de changer de méthode à compter de demain, et de me mettre au roman en fin de matinée plutôt que d'après-midi – disons entre onze et une heure. Cela ne résoudra pas les problèmes posés par le chapitre en cours, mais au moins puis-je espérer être un peu plus frais qu'à cinq heures de l'après-midi.


Mardi 20 janvier

Huit heures. – Je m'y suis tenu : j'ai écrit une page et demie en fin de matinée. Non seulement ça, mais j'ai avancé le chapitre, puisque Jonathan vient d'arriver chez Evremont. Mais ce chapitre sera très court. (Et heureusement, car il reste très “flottant”, incertain.)


Vendredi 30 janvier

Huit heures. – Moment à la fois pénible et excitant, ce soir, entre six et sept heures, moi dans mon fauteuil avec un verre de mauvais porto (mais ce n'est pas là le côté pénible), Catherine à côté, dans le canapé, et lisant sur son ordinateur mon deuxième chapitre, que j'ai fini de “saisir” en milieu d'après-midi, et que je lui ai aussitôt envoyé. (J'ai oublié de noter ici – je m'y perds, entre mes journaux… – que je lui avais donné le chapitre initial à lire, il y a environ une semaine. Elle m'a dit l'avoir bien aimé, mais, évidemment, j'ai aussitôt trouvé plusieurs bonnes raisons de ne pas prendre cette déclaration pour argent comptant.) Et j'étais là, les yeux rivés sur son visage, guettant la moindre modification de ses traits, et naturellement interprétant chacune dans le sens qui m'était le plus défavorable. Et, durant les moments où elle n'exprimait rien : « Oui, c'est ça, je le savais : elle s'emmerde… » Finalement, je me suis réfugié ici pendant qu'elle lit le dernier tiers, de ce chapitre dont j'ai tout de même été étonné, une fois tapé, qu'il compte presque cent mille signes. Et le troisième, dont j'ai aussitôt commencé la frappe, est à peu près de la même longueur.

Pour ce qui concerne le quatrième, il est, non pas en panne mais suspendu. Il va être, lui, nettement plus court (le tiers, sans doute).

Je me suis rendu compte, aujourd'hui que, s'il va à son terme, ce roman sera découpé (ou découpable) comme une pièce de théâtre en trois actes : exposition (de 1 à 4) – drame (5, 6 et probablement 7 : Jonathan avec Houellebecq) – Résolution (la fin, soit deux, peut-être trois chapitres ; deux serait mieux, je pense, sur le plan du découpage).


Samedi 31 janvier

Huit heures. – Quelle bonne idée nous avons eu, Catherine et moi, apéritif prenant, de parler du Chef-d'œuvre ! Sans dire un mot ou presque, elle m'a débarrassé d'un coup du personnage de Sonia, sorte de boulet onirico-fantastique que je m'obstinais à vouloir attacher au pied d'Evremont. J'ai commencé par lui dire ce qui, d'après la fumeuse idée que j'en ai, devait faire suite aux deux chapitres Warnaucourt et nous amener à la fin du roman. Dans un premier temps – signe intéressant –, j'ai oublié que je devais parler de Sonia. Puis, j'ai commencé à lui expliquer, à tenter de lui expliquer, quel était son rôle. À mesure que je parlais, je me rendais compte que chaque phrase, ou presque, soulevait un problème non envisagé, et pour lequel je ne trouverais probablement, très probablement, que des solutions artificielles et plaquées. Catherine, dont il est peu de dire que son visage ne reflétait pas le moindre enthousiasme, a fini par me dire, avec tous les ménagements qu'elle sait prendre à chaque fois que l'on aborde ce foutu livre, qu'elle ne la “sentait” pas, ma Sonia. Comme j'étais plus ou moins en train de me dire la même chose, l'évidence m'est apparue : en effet, elle n'existe pas, n'a rien à faire dans ce roman, et surtout sous la forme que je lui avais donné, de femme“rêvée”, imaginée ; de symptôme de folie, en fait. Et, maintenant que je le note ici, je me demande comment j'ai pu avoir une idée aussi absurde, et m'y entêter, alors qu'elle est résolument contraire à tout le reste, et notamment à ce qui est déjà écrit. Mais, évidemment, il n'est pas totalement exclu que ce soit la partie déjà écrite qui soit frappée d'absurdité.


Jeudi 5 février

Neuf heures. – Je n'ai plus d'excuse. Les trois chapitres écrits ont été “saisis” (je suis moi-même assez saisi, pour d'autres raisons), Catherine les a lus. Il faut maintenant reprendre le quatrième, demain, après-demain au plus tard. Mais je ne le sens pas, ce chapitre. À quoi sert-il ? À mettre en présence Jonathan et Charlie, bon. Et, à la toute fin, à annoncer la mort de la mère d'Evremont, re-bon. Mais sinon ? Je vois bien qu'il peut être très court, ou plus long, ou très long: il suffit de “faire parler” mes trois hommes. il faut surtout qu'ils trouvent quoi se dire. Evremont n'est pas très important ici, et d'autant moins qu'il va être “hégémonique” dans les deux chapitres suivants. Les personnages devant être sur le devant sont Jonathan et Charlie. Mais voilà : je ne sais pas comment ils peuvent se rencontrer, ni ce qui peut se produire entre eux. De plus, il est nécessaire que Tosca apparaisse, tout en n'étant pas là. Elle doit devenir, ici, importante, “chien dans un jeu de quilles”, pour Evremont et pour Jonathan. Mais je ne vois pas comment.


Dimanche 8 février

Sept heures. – De retour de Warnaucourt, il doit y avoir “aggravation” de la réclusion volontaire d'Evremont : il ne sort plus du tout de chez lui (cf Maurice Goux). C'est ce qui va opérer un rapprochement entre Jonathan et Charlie : ils sont tous les deux inquiets pour lui. Peut-être même – j'y songe à l'instant – serait-il bien qu'il refuse de voir qui que ce soit de l'extérieur, à l'exception de Tosca. Ce serait elle qui, désormais, assurerait la liaison entre lui et le monde réel, d'une part, et qui servirait plus ou moins de barrage entre lui et les filles fantômes : à voir. Mais alors, si je m'arrête à cette idée, cela implique deux choses. D'une part que les deux (Evremont et Tosca) aient été au moins une fois en présence l'un de l'autre, qu'ils se connaissent. Donc, Evremont étant absent de Montcosson durant les chapitres 5 et 6, ce serait nécessairement dans la seconde partie du 4, c'est-à-dire là où je me suis arrêté. Oui, oui, c'est sans doute une bonne idée. Il faut que Tosca apparaisse, sans doute pour, par sa seule présence, chambouler un peu les rapports qui s'établissent entre les trois autres, et notamment entre J et Ch. Comme cela s'est déjà plus ou moins produit avec G.-A., Jonathan va se mettre plus ou moins sous la coupe de Charlie, s'efforcer d'entrer en tiers dans le couple qu'il forme avec Tosca et qu'il envie. Tout cela à creuser un peu, mais je crois la piste féconde. Du point de vue Evremont, l'apparition de l'adolescente peut aussi servir à expliquer la résurrection des filles fantômes, deux chapitres plus loin.

D'autre part, si je poursuis dans cette voie, il devient nécessaire qu'il y ait une large coupure temporelle entre la fin du 6 (Warnaucourt) et le début du 7 (Montcosson). Je l'avais déjà envisagée, mais, là, il faut qu'elle soit nettement marquée : au minimum plusieurs mois, voire un an.


Mercredi 18 février

Huit heures. – Je suis passé, tout à l'heure, de la dernière page du premier cahier à la première du second. J'approche de la fin du chapitre 4 et je pense avoir réussi à introduire Tosca dans le jeu. Sans toutefois l'avoir relue, je suis bêtement content de la scène en question : Charlie descendant à l'épicerie pour y chercher à boire et, surprenant son père et Tosca en grande conversation, depuis la rue, rêvant sur sa vie de couple future. J'espère que ce n'est pas trop niais.


Vendredi 27 février.

Quatre heures. – Terminé hier le chapitre IV, que je vais tout à l'heure donner à lire à Catherine. Ce matin, levé dès six heures, j'ai établi le plan (assez lâche tout de même) du suivant, celui qui se passe à Warnaucourt, dans la maison natale et familiale, face au père veuf de fraîche date. Le fait d'avoir noirci ces quatre ou cinq pages de calepin me rassure un peu. Mais, en réalité, c'est le suivant, le VI, également situé dans la maison de Warnaucourt, qui m'inquiète le plus, et ce depuis le début, parce qu'il me semble qu'il doit exister mais que, au fond, je ne sais pas quoi mettre dedans, sinon dans les très grandes lignes, et encore. J'en arrive à me dire que, peut-être, je me fais de complètes illusions à propos de ce chapitre qui, non seulement n'est pas indispensable, mais même n'a rien à faire du tout dans ce roman. Je ne crois pas, pourtant.

Mais Dieu que c'est parfois pénible, d'avancer ainsi en aveugle ! En même temps, c'est aussi ce qui fait l'intérêt de la chose : écrire pour tâcher de savoir ce qu'on pourrait bien avoir à dire.

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