ADIEU CORRÈZE
Jeudi 1er octobre
Cinq heures. – Visite de deux maisons à vendre, ce matin ; la première au Lonzac, la seconde à Uzerches. Les deux très bien, habitables immédiatement, avec beau paysage campagnard côté jardin. La deuxième, celle d'Uzerches était nettement plus spacieuse et plus cossue, notamment grâce aux matériaux de construction, intérieure comme extérieure, et à son salon “cathédrale” ; mais, justement, Catherine l'a décrétée trop grande : elle ne “s'y voyait pas” (elle considérait aussi la chose sous l'angle “ménage à faire”…). La première n'a qu'un grave défaut, proche d'être rédhibitoire, et c'est d'être située au Lonzac, non à cause du voisinage de Messire Étienne, mais parce qu'il s'agit d'un village dénué de tout charme, s'étirant interminablement le long de la route et pratiquement dépourvu de commerces, d'après ce que nous en avons vu en tout cas. C'est dommage car la maison aurait été parfaite pour nous. Mais enfin, de toute façon, il n'est pas question d'acheter quoi que ce soit avant que 1) je sois à la retraite et 2) que soit vendue notre maison du Plessis, ce qui doit repousser l'achat à un an et demi au strict minimum, et plutôt même deux ans – ce qui m'arrange plutôt, n'ayant pour l'instant qu'une envie fort modérée de déménager de là où nous sommes, contrairement à Catherine.
–
Demain, nous irons jeter un coup d'œil à Brive, puis rentrerons assez
tôt ici, afin de préparer ce qui peut l'être des bagages, en prévision
du retour, samedi.
– Depuis que nous sommes ici, je lis évidemment moins qu'à la maison. J'alterne les Mémoires de La Rochefoucauld et Les Célibataires
de Montherlant, auteur dont j'avoue, à ma grande honte, que je ne
l'avais jamais lu. J'ai aussi parcouru quelques dizaines de pages du
livre emporté par Catherine (en plus de l'Histoire de la Rome antique
de Jerphanion) : une étude publiée par les Belles Lettres à propos des
pèlerins de Compostelle au Moyen Âge, dont je reparlerai probablement
quand je l'aurai vraiment lu.
Vendredi 2 octobre
Quatre heures et demie. –
Hier soir, cependant que nous prenions l'apéritif, et peut-être sous
l'influence de celui-ci (toi, le sédentaire farouche, dis-toi bien que
l'alcool est ton ami !), Catherine a brusquement renoncé à toute
idée de déménagement ; ce, pour ma plus grande joie. Jusqu'à plus ample
informé, ou nouveau coup de barre imprévisible, nous allons donc rester
normands, ce qui me convient à merveille.
–
Aujourd'hui, dernière journée corrézienne, nous nous sommes tout de même
décidés à aller voir de quoi Brive a l'air. La vieille ville est
charmante, et possède l'essentielle qualité, à mes yeux, d'être fort peu
étendue. On y trouve en outre un restaurant que je recommanderais
chaleureusement à toute personne se proposant de prendre un repas dans
la ville. Il s'appelle le Bistrot Chambon ; j'y ai déjeuné
d'une salade d'encornets au chorizo, poivron confit et piment
d'Espelette, puis d'un pied de porc désossé servi avec une simple purée
de pommes de terre, deux plats parfaits ; et une gentillesse toute
corrézienne dans le service. À la suite de quoi, nous sommes allés
prendre le café au château qui vit les épousailles de Colette et d'Henri
de Jouvenel, avant d'aller visiter, un kilomètre plus loin, les curieux
Jardins de Colette ; curieux parce que composites, chaque partie
du domaine représentant, par sa végétation, l'une ou l'autre des
régions ayant compté dans la vie de l'écrivain : Puisaye, Franche-Comté,
Bretagne, etc. À la boutique, après avoir avoué à Catherine que je
n'avais jamais lu une ligne de Colette, j'ai acheté Claudine à l'école et Sido.
Demain, départ vers neuf heures pour la Normandie.
Samedi 3 octobre
Cinq heures. – Le trajet de retour à la maison s'est fait pratiquement sans y penser, et à deux heures et demie, partis à huit heures ce matin, nous étions arrivés. Après une semaine sous un soleil imperturbable, nous avons quitté la Corrèze par la pluie, mais retrouvé le beau temps dès Limoges. Et, ici, il fait une température presque estivale – estivale pour la Normandie, s'entend. Aucune mauvaise nouvelle ne nous attendait dans la boîte aux lettres, ce qui n'est pas si fréquent lorsqu'on rentre de vacances, ai-je cru pouvoir constater. En revanche, les deux chats, qui ont passé la semaine dehors et au sous-sol, se sont précipités pour nous accueillir dès qu'ils nous ont vus ou entendus. Bref, le retour à une vie normale et souhaitable s'est effectué sans le moindre incident, et je suis bien aise d'en avoir fini avec cette pantalonnade vacancière.
J'ai publié le journal d'août et commandé deux romans : un de Montherlant, un autre d'Aragon.
Dimanche 4 octobre
Sept heures dix. –
Journée assez peu active, et même pas du tout, puisque c'est Catherine
qui, ce matin, s'est chargée des petites courses indispensables de
retour de vacances. Pour ma part, je n'ai rien fait d'autre que lire,
alternant Colette (Claudine à l'école) et Procope de Césarée (Histoire des Goths) : passer de l'un à l'autre était d'un effet curieux.
–
J'ai oublié de noter hier que Gabriel m'avait envoyé mon travail de
lundi dès vendredi : six mille signes sur Signoret, pour le trentième
anniversaire de sa mort (30 septembre : mes chefs se sont réveillés en
retard). Je ferai ça demain, puisque je ne pouvais pas obtenir
l'indispensable documentation aujourd'hui ; de toute façon, je n'avais
aucune envie de travailler.
– Nous sommes, bien évidemment, repassés en mode “eau minérale”, après cette semaine quotidiennement rieslinguée.
– Depuis quatre ou cinq jours, je pense de plus en plus fréquemment à Pot-Bouille
; les choses commencent à se dessiner un peu, des personnages émergent
du brouillard, mais encore bien flous et incertains. J'ai plus ou moins
pris la décision de me mettre au travail (mais pas forcément à
l'écriture, on verra comment les choses s'arrangent) après le retour à
l'heure d'hiver, moment de l'année qui m'est presque toujours propice,
au moins moralement.
Lundi 5 octobre
Sept heures dix. – La pluie a commencé à tomber vers midi (quand je suis sorti pour aller chercher du pain…) et n'a plus arrêté depuis : on voit que les vacances sont terminées. Elles le sont tellement que j'ai écrit aujourd'hui près de sept mille signes sur cette vieille stalinienne millionnaire de Signoret, et que je ferai mon retour demain à Levallois. Mais je risque fort de me retrouver aussi vite en “vacances” – c'est-à-dire en travail à domicile –, Philippe B. m'ayant tout à l'heure envoyé un mail pour me dire que le prochain hors-série de FD, consacré à Delon, était d'ores et déjà sur son rail, ou, si l'on préfère, sur sa rampe de lancement.
Sinon, j'ai poursuivi la lecture, fort agréable et délicieusement perverse, de Claudine à l'école. De là à commander les autres volumes de la série, j'hésite encore un peu…
Mercredi 7 octobre
Sept heures.
– Petit pas de deux assez ridicule avec mes différents livreurs de
livres (pas pu faire autrement, désolé…) Ce matin, un mail de Chronopost
m'annonçant que mon colis… (là, une interminable suite de lettres et de
chiffres alternés au petit bonheur) … me serait livré entre 9 h 35 et
11 h 05. À trois heures de l'après-midi, comme aucune camionnette ne
s'était arrêtée devant le portail, je me suis décidé à tondre le jardin ;
bien m'en prit : à peine avais-je fini de ratiboiser le dernier carré
que l'ondée cheyait. (Je sais que le verbe “choir” n'admet pas
d'imparfait de l'indicatif, mais il me plaît, à moi, de lui en donner un
; au moins pour ce soir.) L'âme apaisée et les muscles endoloris, je
reviens devant cet ordinateur, et c'est alors que le téléphone sonne :
message enregistré de Chronopost m'informant que son livreur n'a pas été
en mesure de me remettre mon colis (tu parles : ni Catherine ni moi
n'avons bougé d'ici, et Bergotte aboie comme une damnée dès que quelque
véhicule s'arrête devant chez nous, ou seulement fait mine), que je dois
me rendre sur “chronopost point fr”, y entrer un code long comme le
bras, puis un mot de passe à six chiffres, afin de convenir d'un nouveau
rendez-vous. Je fixe celui-ci à demain, en maugréant car, la biographie
de Delon que j'attendais aujourd'hui, je comptais travailler dessus
demain midi, durant l'heure et demie que je vais très probablement
passer dans la salle d'attente du gastro-entérologue lovérien qui m'a
donné rendez-vous il y a trois semaines. Sur ce, je regagne le salon
afin d'y poursuivre ma lecture des Jeunes Filles de Montherlant
(terminées ce soir, juste avant le dîner). Aboi de Bergotte, déboîtement
des cervicales chez votre serviteur en direction du portail : une
camionnette blanche est garée devant. J'y cours, frétillant, et reçois
des mains du livreur, arrondi et de taille modeste, un paquet Amazon. Je
m'étonne de le voir déjà, vu que je viens de prendre rendez-vous pour
demain suite au pataquès de ce matin. Il m'informe alors que non, lui,
il “est” UPS, et que mon rendez-vous manqué ce devait être avec
Chronopost, parce que « Chronopost c'est vraiment de la merde ! »
Là-dessus, il ajoute que je pourrais peut-être voir la concurrence
arriver plus tôt que prévu, mais que je ne dois pas trop compter dessus
tout de même : « Je viens de le croiser à Pacy, le gars de Chronopost.
C'est un black, il a l'air de planer à quinze mille… » On se quitte bons
amis, unis par une complicité goguenarde. L'histoire se termine bien
puisque, dans le colis acheminé par UPS, se trouvait la biographie
delonienne, que je pourrai donc emporter demain à Louviers. Quant au
paquet chronoposté, nul ne sait quand il arrivera, ni même ce qu'il
contient.
Jeudi 8 octobre
Six heures et demie.
– Journée partiellement médicale, donc. Par chance, le médecin avec qui
j'avais rendez-vous n'avait qu'une vingtaine de minutes de retard ; et,
comme j'avais emporté la biographie de Delon ainsi qu'un stabilo jaune,
j'ai pu profiter de ce temps de latence pour travailler dans la salle
d'attente, comme prévu. Ainsi que je le pensais bien, l'homme de la
faculté m'a prescrit un examen que je nommerai trouducuscopie, ne
sachant jamais comment s'écrit son nom exact, dont j'ai d'ailleurs
toujours un certain mal à me souvenir ; bref, il va s'agir d'explorer un
peu l'agencement de mon petit intérieur arrière : ce sera fait vendredi
prochain. En attendant, nouvelle journée clinique demain, puisque,
outre mon entretien pré-opératoire avec l'anesthésiste, il faut aussi
que j'accompagne Catherine à son propre rendez-vous matinal (c'est
délicieux, la vieillesse !) et que j'aille la rechercher en milieu
d'après-midi. Sur quoi, nous prendrons un apéritif doublement de
circonstance.
– Doublement parce que, tout-à-l'heure,
coup de fil de Brice, de FD, pour m'informer que, selon toute
probabilité, la branche presse de Lagardère allait de nouveau se séparer
par la vente d'un certain nombre de ses journaux, dont FD. Excellente
nouvelle pour moi, si elle se confirme, puisqu'elle va me permettre de
faire jouer la “clause de cession” et de récupérer ainsi une assez
coquette somme, à la veille de ma retraite. Retraite qui, du reste,
s'appellera probablement chômage dans un premier temps, mais peu me chaut le nom que prendra mon inactivité.
Samedi 10 octobre
Sept heures dix. – Il y a quelques semaines, parce que nous venions de revoir l'adaptation cinématographique du Jules César
de Shakespeare par Mankiewicz, j'ai suggéré à Catherine qu'elle devrait
lire le livre que René Girard a consacré à ce même Shakespeare, tout au
moins les chapitres concernant la pièce en question. Devant son
acquiescement, je suis venu ici, dans la Case, chercher le volume en
question. Évidemment, comme le veut la tradition quand on cherche un
livre précis, il avait proprement disparu ; ainsi d'ailleurs qu'un autre
Girard, Critique dans un souterrain. J'ai d'abord pensé que
j'avais pu prêter ces deux volumes à Messire Étienne, lors de son
dernier passage ici : il m'a assuré qu'il n'en était rien. Du coup, je
me demande si ce ne serait pas plutôt à Matthieu Woland et à sa
compagne, mais je n'ai pas encore pris le temps de le lui demander.
Alors, comme j'avais moi-même bien envie de relire ces chapitres
“césariens”, j'ai tout bonnement racheté le livre, qui est arrivé ce
matin et dans la lecture duquel je me suis aussitôt replongé. En
principe, la tradition dont je parlais plus haut veut que, lorsqu'un
livre est finalement racheté, le premier fasse sa réapparition dans les
jours ou semaines qui suivent : on verra.
Dimanche 11 octobre
Sept heures et quart.
– J'ai sué comme cent mille nègres pour m'arracher douze mille signes à
propos de l'enfance et la jeunesse de Delon. Et pour un résultat
évidemment correct, mais vraiment sans plus. Cela m'arrive quelquefois,
heureusement fort peu souvent. Dans ces cas-là, je le sais dès la
première phrase écrite : la seconde ne s'enchaîne pas d'elle-même, il
faut que j'y réfléchisse, que j'aille la chercher ; la troisième
pareille, puis celle d'après, et ainsi de suite jusqu'à la fin. À
l'arrivée, j'ai pondu un texte qui passera aisément la barre de la
relecture par les gradés de la Kommandantur, mais qui ne présente
vraiment aucune qualité particulière, qui n'a pas d'élan, pas vraiment
d'unité, qui se contente de suivre timidement et scolairement l'ordre
chronologique, etc. Lorsque le phénomène se produit, il me laisse
généralement d'une humeur assez maussade, que je m'efforce de dissimuler
à Catherine, sans jamais y parvenir.
– Heureusement, le livre de Girard sur Shakespeare est toujours aussi étonnant.
Mardi 13 octobre
Sept heures et quart.
– Décidément, Delon ne me porte pas chance. Je suis parti, en fin de
matinée, sur le second des trois articles que je dois écrire, celui sur
les enfants de la star, avec l'idée bien arrêtée qu'on m'en demandait
six mille signes. Dès le départ, je trouvais ça fort chiche et, malgré
tous mes efforts pour concentrer au maximum, j'ai terminé le papier à
huit mille. C'est juste après que j'ai constaté mon erreur : on en
voulait en réalité dix mille. Il m'a donc fallu faire du rapiéçage, dont
je crois, après relecture non complaisante, que les coutures ne se
voient pas. Cela dit, je ne suis guère enclin à faire des efforts
considérables, pour ce hors-série dont je reste persuadé que,
contrairement aux trois précédents, “destins brisés”, il ne se vendra
pas ; pour la raison que les gens n'aiment pas Delon, ne le trouvent pas
sympathique.
– J'ai fini ce matin le Girard sur Shakespeare, puis terminé cet après-midi Pitié pour les femmes de Montherlant, avant de commencer, mais de quelques pages seulement avant la soupe, le second volume des Claudine de Colette. Ce panachage Colette/Montherlant me convient très bien ; je me demande ce qu'en auraient pensé les intéressés.
Jeudi 15 octobre
Sept heures vingt.
– Je me demande bien pourquoi je viens de prendre la peine de manger
(légèrement, cela dit), dans la mesure où, d'ici une demi-heure environ,
je vais devoir avaler un litre de produit plus un litre d'eau claire,
lesquels – surtout le premier – vont avoir pour effet de me vider
l'estomac et tout ce qui sépare celui-ci de mon trou du cul. Disons que
c'est une sorte de ruse destinée aux zones digestives de mon cerveau :
lui faire croire qu'il n'a plus faim. Il faudra que je me livre au même
cérémonial demain matin ; ensuite, en route pour la clinique Bergouignan
d'Évreux, où m'attendra le gastro-entérologue, rebaptisé par moi : le
moniteur de la colo. Entré vers onze heures, je devrais en sortir entre
deux et trois heures de l'après-midi. Ce qui méritera bien un petit
apéritif vespéral.
– Je continue à lire Colette (Claudine en ménage), avec beaucoup de plaisir.
Vendredi 16 octobre
Trois heures et demie. –
La coloscopie est derrière nous, si je puis dire. Sur le plan pratique,
tout s'est très bien déroulé. Je devais être à la clinique à onze
heures pour un examen à midi. À midi moins cinq on est venu me chercher
dans ma chambre (individuelle, comme demandé) et, à midi pile,
l'anesthésiste plantait son aiguille dans ma veine pour m'injecter son
petit cocktail morphéique. Je me suis réveillé vingt à vingt-cinq
minutes plus tard, alors que l'examen était toujours en cours, ce qui
m'a permis, sur l'écran latéral, de faire connaissance avec mon
administration intérieure. À une heure j'étais de retour dans la
chambre et, une grosse heure plus tard, Catherine et moi reprenions la
route du Plessis.
Sur le plan médical, c'est encore
mieux, puisque je devrai subir une nouvelle “colo” de contrôle dans cinq
ans seulement, ce qui signifie que je n'avais et n'ai rien du tout,
hors deux ou trois micro-polypes que l'homme de l'art zigouilla au
passage.
Lundi 19 octobre
Sept heures vingt. – Relisant, avant publication, mon journal de septembre, je suis tombé, à la date du 24, sur ceci :
« J'ai l'impression que, sans le moindre motif soutenable par la raison,
puisqu'elle n'est pas plus médecin que moi, elle [Catherine] pense que son cas est
bénin mais que, moi, la bête immonde est déjà logée au coude de mon
sigmoïde (si le sigmoïde présente un coude : c'est une image). C'est
d'ailleurs très possible : je trouverais normal d'avoir un cancer de ces
régions, dans la mesure où, au final, c'est de ça que mon père est mort. Étant un bon fils, n'est-ce pas… »
Eh
bien, vendredi soir, lors de l'apéritif que nous prîmes, elle m'a
spontanément avoué que c'est exactement ce qu'elle pensait en effet. Et
que si, pour elle, elle était allée à l'examen tout à fait sereine, elle
était très inquiète en ce qui concerne les miens, de résultats. Elle a
donc été fort soulagée d'apprendre que je n'avais rien du tout ;
beaucoup plus que moi qui suis allé “à la colo” sans inquiétudes
particulières, ou bien avec un fatalisme de brahmane.
– Je ne sais ce qui m'a pris, hier, de rouvrir La Violence et le Sacré. C'est en tout cas un sacré livre, même si c'est loin d'être mon préféré de Girard, dans la mesure où c'est le plus ethnologisant, et que l'ethnologie ne m'a jamais beaucoup passionné.
–
En ayant terminé hier avec mes divers articles pour le hors-série
consacré à Delon, j'espérais vaguement que mes chefs, aujourd'hui,
allaient me laisser souffler un peu en attendant la reprise de demain ;
pas du tout : il m'a fallu enterrer Danièle Delorme en sept mille
signes.
Mardi 20 octobre
Sept heures. – Journée levalloisienne (enfin : d'onze heures du matin à deux de l'après-midi, as usual…).
Ambiance bizarre, à la rédaction de FD, en raison de la quasi certitude
où est désormais tout le monde que le journal va être incessamment
vendu ; mais, or cela, le reste n'est qu'une forêt de points
d'interrogation : à qui ? quand ? dans quelles conditions ? Etc. Et
chacun, plus ou moins, de se demander ce qu'il choisira de
l'alternative, entre rester à bord ou débarquer muni de ses indemnités
légales. Je suis peut-être bien le seul pour qui la réponse va de soi :
ce sera la clause de cession, les indemnités et le départ sans retour.
Ma seule inquiétude c'est que la vente finalement se se fasse point.
Pour les autres, évidemment, l'affaire est plus délicate. J'en parlais
avec N., dont je m'étonnais qu'elle pût hésiter, vu qu'elle n'a que
trois ans de moins que moi et grosso modo 20 ans de présence.
Mais c'est, me disait-elle, qu'elle n'a commencé à travailler, ce qui
s'appelle travailler, que très tard dans sa vie ; et que, du coup, lui
manque un certain nombre de ces fameux trimestres qui ouvrent droit à
une retraite pleine et entière. Comme, d'un autre côté, elle est à peu
près assurée de ne jamais retrouver un autre emploi…
Jeudi 22 octobre
Sept heures et demie. –
J'ai de plus en plus de mal à me mettre au travail après déjeuner, tant
mes après-midi sont désormais somnolents, ce qui me désole (je me
désole d'être somnolent, pas de ne pas pouvoir travailler…). J'y
parviens si obligation il y a, le mardi par exemple, mais cela me coûte
vraiment beaucoup. C'est ainsi que, recevant commande de cinq mille
signes à propos de cette pauvre Céline Dion peu avant deux heures, j'ai
immédiatement remis ce pensum à demain matin. Naturellement, demain, en
ouvrant les yeux, ma première occupation va être de me traiter de tous
les noms pour ne pas m'en être débarrassé aujourd'hui.
– Commencé deux nouveaux livres : Les Décombres de Rebatet, dont j'ai un peu parlé sur le blog, ainsi que Les Fous du roi,
roman de Robert Penn Warren, dont j'avoue que j'ignorais l'existence
jusqu'à ce que, à l'issue de notre déjeuner d'il y a quelques semaines,
Caroline Noirot m'offre ce roman que venaient de publier Les Belles
Lettres. J'en ai lu une grosse centaine de pages, qui sont remarquables
pour plusieurs raisons sur lesquelles je reviendrai quand le livre sera
terminé. (Je sais : je dis cela souvent et, sauf exception, je ne
reviens jamais sur les livres en question.) Je ne sais si c'est à cause
d'une bouffée de mégalomanie, mais il m'a semblé repérer quelques points
de contact entre ce roman et le mien ; je ne saurais être plus précis
pour l'instant : impression trop diffuse.
Vendredi 23 octobre
Sept heures et demie.
– Le roman de Penn Warren me séduit de plus en plus, notamment par la
façon dont il enroule le temps, imbriquant le passé dans le passé, puis
du plus-que-passé dans ce passé, revenant à un présent déjà évoqué, mais
de manière subtilement différente, etc., sans que le lecteur ne voie
nettement les “soudures”, mais sans qu'il soit jamais perdu non plus. De
plus, les récits dans le récit, le passage d'un narrateur à un autre
(puis, parfois, à plus de narrateur du tout) donnent l'impression
excitante qu'un grand puzzle est en train de se former sous nos yeux,
dont on ne connaîtra vraiment le motif qu'à la dernière page (et encore,
on n'en est pas tout à fait sûr…)
(J'ai tout de même distrait une heure de mon temps, en fin de matinée, pour “exécuter” Céline Dion.)
Samedi 24 octobre
Huit heures.
– Journée plus “productive” que je ne l'aurais cru, ce matin, au
réveil. Non seulement j'ai déroulé les cinq mille signes que je dois
rendre lundi matin à propos de William Sheller et Barbara (interview du
premier dans le Nouvel Observateur), mais j'ai en outre eu le courage de tondre le jardin – tonte dont j'espère qu'elle sera l'avant-dernière de la saison.
En dehors de ça, j'ai lu le livre que Michel Leter vient de faire paraître aux Belles Lettres et qui s'intitule Tout est culture,
volume accompagné d'une aimable dédicace, probablement due à ce que
j'avais pu dire, sur le blog, du tome premier de son travail remarquable
sur le Capital de Marx. Il s'agit de chroniques déjà anciennes
(1989 – 1999), sur des thèmes apparemment divers, mais en fait
rigoureusement articulés entre eux. L'auteur y fait preuve d'une
érudition que mes confrères gazetiers qualifieraient automatiquement de sans faille,
s'il leur prenait l'idée d'ouvrir, et de lire, un tel livre. Leter s'en
prend à Malraux – ce qui n'est pas très difficile, je crois –, puis à
Voltaire, ce qui demande déjà plus de culture et de doigté. Voltaire lui
permet d'aborder le thème périlleux de l'islam, dont il paraît avoir
une connaissance réelle et profonde, ce qui change agréablement des
imprécations des uns et des sentences bénisseuses des autres. J'ai
failli oublier de dire que la première partie du livre, consacrée à
cette saloperie modernœuse qu'est le culturel, s'intitule Disneylang
: un homme qui peut ramasser et organiser autant d'idées en un mot si
justement trouvé mérite assurément d'être lu – et c'est ce que j'ai
fait.
Lundi 26 octobre
Sept heures dix.
– Saloperie de bouton qui, comme régulièrement, est venu se loger sous
mon aisselle gauche (c'est parfois sous la droite : il n'est pas
sectaire), qui m'a réveillé quinze fois cette nuit (chaque fois que je
bougeais, je suppose), m'a fait un mal de chien toute la journée et, ce
soir, me colle une légère fièvre. Et je m'étonne, comme à chaque
survenue, de ce génie boutonnier qui le pousse à toujours venir
s'implanter dans les endroits du corps où il sait qu'il sera le plus
pénible (car il le sait : qu'on n'essaie pas de me raconter d'histoires
!).
Cela ne m'a pas empêché de lire, d'autant plus et mieux que FD ne m'a pas envoyé le moindre travail à faire. J'ai ainsi terminé Les Fous du roi, roman remarquable, d'une grande richesse, dont j'ai tiré un billet qui m'a valu, jusqu'ici, un commentaire. Je suis ensuite passé aux Lépreuses, le dernier volet de la tétralogie consacrée aux Jeunes Filles. Au moins durant les premières dizaines de pages, Montherlant a bien souffert de la comparaison avec Warren.
–
Dieu que j'aurais fait un piètre critique littéraire ! Je m'en rends
compte chaque fois que j'essaie de parler un peu sérieusement d'un livre
que j'ai aimé, et encore à midi avec le roman de l'Américain. C'est
toujours la même chose : je commence avec des tas d'idées en tête
(enfin, des tas : disons cinq…), les paragraphes s'articulent et
s'agencent à peu près correctement. Soudain, lorsque je suis dessus
depuis une demi-heure, quarante-cinq minutes à la rigueur, j'en ai
brusquement assez et, m'arrêtant là où j'en suis, je bâcle une phrase de
chute, et passez muscade. Il m'arrive, un peu péteux, d'affirmer que je
reviendrai sur ce même livre dans les jours à venir ; en sachant
pertinemment que je n'en fais jamais rien.
– Demain, demi-journée levalloisienne.
Mardi 27 octobre
Sept heures et demie. – Je commence à discerner l'arc qui va sous-tendre Pot-Bouille.
Puisque, voilà un mois à peu près, j'ai écrit les dix premières lignes,
dans lesquelles on voyait un policier venant vérifier qu'un camion de
déménagement était bien stationné devant le 42 de la rue des Juifs, il
va falloir que le nouvel arrivant produise un effet d'abord délétère sur
cette petite communauté, détruisant les équilibres, révélant les faux
semblants ; puis un effet polarisant positif. Enfin, retournement et
expulsion de “l'intrus” – Retour au calme dans la communauté, mais avec
une inquiétude sourde qui subsiste : les “exilés” sentent que le
prochain exode pourrait être proche.
– Journée fort
pénible, sinon. D'abord en raison de cette douleur sous le bras gauche
qui ne me quitte pas, avec la légère fièvre qui l'accompagne, ensuite à
cause du travail le plus pénible qui soit, à FD, qui m'est aujourd'hui
tombé dessus : trois doubles pages différentes, faites uniquement de
petits textes sans le moindre intérêt, de trois à cinq cents signes
chaque, qu'il faut aligner les uns derrière les autres, sans
interruption, tel un prolo à sa chaîne de montage. Il n'est pas huit
heures et je rêve à mon lit comme un chien à son os.
Jeudi 29 octobre
Sept heures.
– Hormis les trois quarts d'heure passés, en début d'après-midi, à
écrire cinq mille signes à propos du pitre Dany Boon, ma journée a été
exclusivement consacrée aux Bêtises de Jacques Laurent, roman qui rappelle Les Corps tranquilles, par ses côtés méandreux
et nonchalants, mais très différents par d'autres aspects, notamment
par la façon dont semblent s'imbriquer les quatre parties (je dis semblent car je ne suis pas encore parvenu au bout de la deuxième…). J'y reviendrai (formule rituelle) quand je l'aurai lu entièrement.
J'ai aussi publié, ce matin, le mois de septembre du journal.
– Je sens que Catherine se retient, chaque jour ou presque, de me demander si j'ai commencé à écrire Pot-Bouille.
(Elle fait d'ailleurs bien de se retenir car la question m'agace.) Non,
je n'ai pas commencé, et je n'ai pas l'impression que je m'y mettrai
demain. Bien sûr, le canevas paraît vouloir prendre figure (voir la note
d'avant-hier), mais enfin, dans cette trame, les trous sont encore
beaucoup plus nombreux que les fils. Qui est le personnage qui emménage
au chapitre premier ? Je n'en sais rien. Quel effet va-t-il produire sur
les locataires du 42 (que je connais à peine mieux) ? Je l'ignore. Sous
quelle(s) forme(s) la crise va-t-elle se nouer ? Aucune idée. Etc. À
certains moments, je me dis que je n'ai qu'à me lancer et voir ce qui se
produit. Mais l'hypothèse la plus probable, dans ce cas, est qu'il ne
se produira rien du tout, et que cela risque de me décourager de mon
sujet. Ces derniers temps, la seule chose concrète que j'ai faite a été
d'acheter un paquet de cent fiches Bristol Exacompta afin d'en consacrer
une (ou plusieurs) à chaque locataire. C'était la semaine dernière, je
n'ai pas ouvert le paquet depuis : à ce rythme, Catherine n'est pas près
de lire le premier chapitre.
Vendredi 30 octobre
Sept heures dix. –
Tout comme mercredi, mes Puissances tutélaires ont oublié mon existence
ou, du moins, n'ont pas eu besoin qu'elle se manifestât : aucun travail
pour FD, donc, ce dont je ne me suis pas plaint, ayant passé
l'essentiel de la journée à flotter entre deux somnolences ; ma lecture
des Bêtises s'en est un peu ressentie, ce qui ne m'a pas empêché de commander Les Sous-Ensembles flous, du même Laurent.
–
Demain, vers onze heures, nous irons à la gare de Vernon pour y
accueillir l'Héritière, fille d'Emma et de Pluton, qui restera avec nous
jusqu'à dimanche soir. De Vernon, nous filerons directement sur
Jumièges, où j'ai réservé une table à l'Auberge des ruines.
Ensuite, évidemment, visite des dites ruines, puis retour ici, pour un
dîner sur lequel Catherine s'est affairée une partie de l'après-midi.
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