jeudi 29 octobre 2015

Septembre 2015










LES JOIES DU CÔLONIALISME









Mardi 1er septembre

Sept heures dix. – Sévère régression culinaire, au dîner dont je sors tout juste : jambon – purée. Pour remonter plus haut dans l'enfance, je ne vois guère que les petites pâtes “alphabet” ; puis, le bol de Blédine ou de Phosphatine “2ème âge” au chocolat.

– Journée FD, donc pas de lecture (à part celle des blogs, ce qui équivaut à peu près à rien), beaucoup de voiture, et quatre feuillets de sottise à propos d'Albert de Monaco qui, pris par l'irrésistible lame de fond de la repentance générale, vient de demander pardon pour la soixantaine de Juifs raflés à Monaco en 1942 et 1944. Il est vrai que son arrière-grand-père, Louis II, n'a jamais passé pour un opposant féroce au nazisme : il fallait bien redorer un peu tout cela.

– Tout à l'heure, à la télévision, une double émission Secrets d'histoire, présentée par Stéphane Bern, qui ne démérite nullement, bien au contraire. Bien sûr, on n'apprend pas grand-chose, pour peu que l'on ait déjà quelques notions du personnage traité (ce soir : Louis XIV), mais au moins on entend très peu d'énormes âneries ; et on voit de fort beaux châteaux.


Mercredi 2 septembre

Neuf heures. –  Je ne crois pas avoir perdu mon temps, aujourd'hui, en allant à Levallois pour rien, même si la phrase est a priori curieuse. J'y suis allé pour rien, dans la mesure où, comme neuf mercredis sur dix, il n'y a eu aucun “repiquage”. Je n'ai pas perdu mon temps puisque j'ai pu discuter avec Philippe B. et lui faire admettre qu'il serait tout à fait possible que je ne vienne plus à FD le mercredi. Il n'était pas très chaud au départ (il connaît mes arguments), pensant que les autres membres de la rédaction (en tout cas quelques-uns) allaient renauder face à cet avantage que l'on m'octroierait éventuellement. Mon argument, dont je suis certain qu'il est bon (mais sans rien pour l'étayer), est que tout le monde se fout de moi, à FD, que je sois là ou pas là, etc. Il m'a objecté ceci : « Mais tu es le pilier de cette rédaction ! ” Moi : “ Fort bien, je le sais plus ou moins. Je continuerai à faire le pilier, mais je le ferai de chez moi : quelle différence ? ” Alors, lui : « Mais, moi, j'aime bien quand tu es là… » J'allais dire quelque chose, quand il a ajouté : « Ça me rassure, quand tu es là. » J'ai commencé à sourire, pensant qu'il plaisantait, mais en fait non. Et je me suis souvenu que Bernard P., directeur de FD dans les années 1997 – 2000, m'avait dit exactement la même chose, un soir d'il y a quinze ans, chez lui, sauf que cela concernait un livre que nous avons fait tous les deux.

Je ne suis pas mécontent, de rassurer tous ces gens. Je ne suis pas non plus fâché d'être, si c'est vrai, le “pilier” de cette rédaction (ce qui ne veut à peu près rien dire). J'y vois surtout (mais c'est encore flou) le moyen de changer ma petite vie professionnelle. Je reviendrai sur ce sujet demain.

– En attendant, je me suis laissé aller à reprendre langue avec deux ou trois blogs “gauchistes”, à y laisser des commentaires, etc., notamment celui de cet imperturbable dispensateur de leçons qu'est Sarkofrance. J'ai mis gauchiste entre guillemets parce que, évidemment, cet homme que je ne connais pas (mais dont je sais tout de même à peu près qui il est : un gentil petit bourgeois gagnant très confortablement sa vie) est tout ce qu'on veut sauf gauchiste. Il lui arrive même d'être, sans s'en aviser, extrêmement “réactionnaire”, comme il y a deux ou trois jours quand, daignant pour une fois me répondre, il m'a affirmé d'un ton paisiblement catégorique que ses enfants seraient semblables à lui, de même que lui était semblable à ses parents : on peut difficilement être plus aveugle. Bien sûr, j'ai compris ce qu'il essayait de dire : qu'il faisait partie d'une sorte de “dynastie” de gauche, d'une lignée qui, de pères en fils, perpétueraient les mêmes sottises ne servant qu'à se voir très beau dans le miroir. C'est tout de même amusant, de voir des gens de gauche défendre à ce point l'idée de dynastie et assurer que leurs enfants penseront comme on a décidé qu'ils devraient penser.


Jeudi 3 septembre

Sept heures vingt. – Mail de Mme Noirot, ce matin, me confirmant que Paludes paraîtra bien en janvier (ce qui me fait songer que je n'ai toujours signé aucun contrat avec les Belles Lettres), qu'elle va lancer l'affaire à sa prochaine réunion éditoriale et que, pour ce faire, elle a besoin d'un argumentaire, celui-ci pouvant être un simple extrait du roman, ce qui est en effet la solution que j'avais spontanément retenue. Là ont commencé mes problèmes, car j'hésite depuis des semaines, lorsqu'il m'arrive d'y penser, entre deux types d'extraits (je ne dirai pas lesquels dans la mesure où ce serait un peu trop dévoiler du roman lui-même) ; disons le type A et le type B. Chacun a ses avantages et ses inconvénients, si bien que je ne fais qu'osciller de l'un à l'autre selon mon humeur du moment. Ce matin, j'ai donc repris mon livre et sélectionné quatre extraits A et quatre extraits B, que j'ai soumis à la sagacité de Catherine. Par chance, elle n'en a retenu qu'un dans chaque “camp”, et j'étais d'accord avec ses deux choix. Seulement, elle ne m'a guère aidée, pour ce qui concerne la décision finale, elle aussi trouvant du bon à A et à B. J'ai donc envoyé le tout à Michel Desgranges afin de voir si, par hasard, il ne ferait pas pencher la balance d'un côté ou de l'autre. S'il ne le fait pas, je crois que j'enverrai A et B à Mme Noirot, en lui disant de prendre celui qu'elle jugera le meilleur, et on n'en parlera plus. Comme nous devons déjeuner ensemble dans deux semaines, je suppose que nous en reparlerons à ce moment-là, puisque l'argumentaire en question doit également faire office de quatrième de couverture.

– Poursuivi la lecture du Collier de la reine.


Vendredi 4 septembre

Sept heures dix. – Michel Desgranges s'est prononcé nettement contre le type B, ce qui est parfait pour moi, dans la mesure où j'espérais justement de lui un avis tranché. Ce sera donc l'extrait A qui servira d'argumentaire ; extrait auquel le même Michel Desgranges m'a demandé d'ajouter quelques lignes non pas de résumé à proprement parler mais à propos du roman en question ; je crois que je m'en suis tiré, bien que l'exercice me soit assez pénible et qu'il se révèle en outre moins facile qu'il n'en a l'air.

– J'ai fait ce matin un court billet, à propos des réactions invraisemblables, et ravageant à peu près toute l'Europe, autour de cet enfant syrien retrouvé mort sur une plage de Turquie. Désormais tout est bon pour les tenants de ce que Camus appelle la “propagande remplaciste” : la situation n'est tellement plus camouflable qu'il importe de mettre les bouchées doubles pour nous persuader que tout cela est très bien (et que, bien sûr, c'est notre faute) et que nous devons nous réjouir d'accueillir tous ces malheureux à bras ouverts, pour nous mettre quasiment à leur service. Si ce n'était à pleurer, il serait d'ailleurs comique de mettre en rapport la doxa d'hier : « Vous rêvez, il n'y a pas plus d'étrangers en France qu'avant, nous avons besoin de ces immigrés, qui d'ailleurs repartiront un jour chez eux, etc. » avec celle d'aujourd'hui, qui est brusquement devenue, sans la moindre transition un tant soit peu crédible : « Nous vivons une situation grave, exceptionnelle et appelée à durer. » Appelée à durer, j'en suis malheureusement de plus en plus persuadé, et même appelée à s'amplifier sans mesure, jusqu'à la submersion et l'effondrement du continent européen dans la violence et la pauvreté. Car on aura du mal à me faire croire que des Proche-Orientaux et des Africains, incapables chez eux de créer la moindre prospérité, et même s'y entendant comme personne pour détruire celle qu'on leur a çà et là léguée en se retirant de leurs joyeuses contrées, on ne me fera pas croire qu'ils feront mieux ici, une fois qu'il seront assez nombreux pour détruire efficacement ce qui peut l'être – processus qui a d'ailleurs déjà commencé. Comme d'autre part nous n'aurons jamais le courage, la fierté, le désir de survie nécessaires pour les rejeter à la mer, j'en conclus que nous sommes condamnés à un déclin inexorable et probablement rapide à partir de maintenant. Très égoïstement, ayant eu la prudence de me refuser toute descendance, j'espère simplement que la France demeurera vivable durant la petite dizaine d'années qui doit me rester.


Samedi 5 septembre

Sept heures et quart. – Journée correctement remplie : ce matin, six mille et quelques signes à propos de Céline Dion et de son vieux mari agonisant ; cet après-midi, tonte du jardin, puis début de la lecture d'Ange Pitou, la suite du Collier de la reine, terminé ce matin au lever.

– Le chauffage d'appoint que nous avons dans le salon ayant, ce matin, expiré entre mes mains (avec un bref jaillissement de flammes assez impressionnant), je me suis résolu, chaleureusement encouragé par Catherine, à faire repasser la chaudière générale en mode “hiver”, et à remettre en service les radiateurs, bien que nous ne fussions qu'au début de septembre, c'est-à-dire, administrativement, en plein été. Mais le réchauffement climatique fait de tels ravages qu'on commençait à avoir l'onglée, le matin au lever.

Pot Bouille commence à prendre très vaguement forme dans mon esprit, des pièces nouvelles viennent timidement se joindre à l'ébauche de puzzle. Mais je suis encore loin, je pense, du moment où je pourrai me mettre à écrire vraiment. À vrai dire, c'est tout juste si je prends quelques notes de loin en loin.

– Demain, journée chez ma mère.


Lundi 7 septembre

Trois heures. – Journée agréable, hier, passée en partie chez ma mère, qui nous attendait avec un délicieux cassoulet (arrosé d'eau minérale, puisqu'il fallait ensuite reprendre la route). Au fond d'un tiroir, elle m'avait retrouvé quelques photos de moi, prises entre 1985 et 1989, parfaitement grotesques et dont j'avais bien entendu oublié tout à fait l'existence. Je les ai aussitôt mises sur le blog. Au retour, nous avons pris le traditionnel apéritif ; mais comme j'étais déjà fatigué avant de commencer à boire, le riesling m'a expédié au lit dès neuf heures et demie. Aujourd'hui, comme j'avais eu la sagesse de faire samedi mon travail de lundi, et aussi de tondre le jardin, je navigue mollement entre les aventures révolutionnaires d'Ange Pitou et quelques grilles de mots croisés. J'ai aussi envoyé à Caroline Noirot l'extrait de Paludes que j'ai choisi pour “argumentaire” ainsi que pour la future quatrième de couverture. Encore que, pour ce dernier usage, je ne suis pas certain de m'en contenter : peut-être tâcherai-je, dans les semaines qui viennent, de trouver mieux. Pour ce qui est des quatre ou cinq lignes de présentation du roman, je me suis, au dire de Michel Desgranges, assez mal tiré de l'exercice ; au point qu'il m'a finalement conseillé de m'en remettre au savoir-faire de Mme Noirot, ce que je me suis empressé de faire.


Mercredi 9 septembre

Huit heures et demie. – Mon bonheur est désormais dépendant de très peu de chose. Réunion ce matin, à FD, pour le troisième hors-série des “Destins brisés”, c'est à dire de tous les gens à peu près connus qui sont bêtement morts avant l'âge requis. Résultat : cinq articles à écrire, qui vont me dispenser d'aller à FD durant les deux prochaines semaines. Je ne demande rien de plus à l'existence.

– Discussion avec Catherine, à propos de notre exode en Corrèze.Apparemment, elle il songe vraiment et sérieusement. Très bien, pourquoi pas ? En réalité, je m'en fous. Rester ici, partir, partir là, plutôt ailleurs, ou encore plus loin, etc. : je m'en fous. Une maison, assez de murs pour y coller des étagères à livres, Catherine et nos bestioles : je n'ai besoin de rien d'autre, tout cela peut être dans n'importe quelle région, pour peu qu'elle soit encore à peu près française et non négro-arabe. Il semble que toutes les régions de France vont devenir négro-arabes, mais au moins certaines mettront un peu plus de temps que d'autres à connaître cet effondrement ; et, d'ici que pareil malheur ne leur arrive, je serai probablement mort, ce qui est la meilleure chose qui puisse m'arriver. Car je suis trop vieux pour supporter de voir cet abaissement qui a déjà commencé.

(En même temps, je l'avoue, j'aimerais bien être une sorte de Joseph Balsamo, un être éternel qui jouirait de voir se réaliser ce qu'il devine ; suivre la vie des petits garçons et des petites filles des anges progressistes d'aujourd'hui, de ces crétins qui croient que l'homme est améliorable, et entendre les imprécations qu'ils jetteront à leurs faces de cadavres. Car il ne me semble pas qu'il puisse en aller autrement : les enfants d'aujourd'hui haïront leurs pères, ces mollusques extasiés d'eux-mêmes que je ne supporte plus, ces larves souriantes qui me disent qu'elles sont semblables à leurs parents et qui osent affirmer que leurs enfants leur ressembleront. Comment peuvent-ils être aussi aveugles et stupides?)

– À  part ça, demain matin, j'ai scanner. Pour vérifier que tout va bien dans mes intérieurs. J'ai failli oublié. Je me souviens que M. Arié, dans un billet, parlait de ces contrôle d'après cancer. Il semblait dire que l'on y allait l'estomac un peu serré, et qu'on attendait le résultat avec les couilles légèrement comprimées.

Eh bien, non. Pas moi. Je n'en tire aucune fierté, mais enfin, non, pas moi. J'étais, tout à l'heure, à la limite d'oublier que je devais y aller demain. Réellement, je m'en moque. Et je me moquais des trois ou quatre autres, qui ont eu lieu entre mon opération et aujourd'hui. Fatalisme ? Sottise ? Je ne sais pas. En tout cas, mon scanner de demain n'est rien d'autre pour moi qu'une perte de temps, mais pas vraiment désagréable.


Vendredi 11 septembre

Sept heures vingt. – Par la magie d'internet, les résultats du scanner d'hier sont apparus ce matin sur cet écran d'ordinateur : rien à signaler. Je ne comprends évidemment que fort peu de chose au jargon qui s'étale dans ces comptes rendus, je me contente de chercher les formules magiques, les deux principales étant  “pas de…” et aussi “… inchangé”. À cette aune, je puis donc affirmer que tout va bien.

Je parle pour tout ce qui concerne l'ablation du rein de 2013. Car, cette fois-ci, mon médecin “référent” m'avait ajouté un petit codicille afin que soit, par la même occasion, examinés un peu attentivement mes intestins, lesquels tendent, depuis quelques mois, à devenir paresseux dès lors qu'il s'agit d'accomplir leurs fonctions expurgatrices matutinales. Là, évidemment, je n'ai à peu près rien compris au compte rendu, si ce n'est qu'une exploration plus physique de mes arrières va être nécessaire. Je suppose que c'est ça que l'on appelle : se faire côloniser.

– Ces petites histoires médicales ont néanmoins été une excuse suffisante pour ne pas écrire les 8000 signes que j'avais prévu de consacrer aujourd'hui à cette pauvre Dalida, pour le troisième numéro de nos “Destins brisés” ; numéro qui me vaut de rester à la maison les deux prochaines semaines, afin de liquider cinq ou six de ces fameux destins. Je suis en train de devenir le plus redoutable briseurs de destins de stars à l'ouest de l'Île-de-France.

– Terminé Ange Pitou il y a une petite heure : c'est loin d'être le meilleur roman de Dumas, sans doute par le fait que le personnage éponyme ne présente pas grand intérêt, qu'il ne fait à peu près rien, et que l'histoire, la vraie (prise de la Bastille, etc.), occupe une place exagérée. On va voir ce que donne, de ce point de vue, La Comtesse de Charny.

– Juste avant de passer à table, appel d'une agente immobilière corrézienne, contactée avant-hier par Catherine, qui a envie de visiter deux maisons qu'elle a trouvées sur je ne sais quel site et qui, en effet, à en juger par leur présentation internétique, pourraient nous convenir parfaitement, et pour des prix dérisoires (entre 110 et 135 000). Le problème est que, si vraiment l'une ou l'autre nous emballait vraiment, cela risquerait d'engendrer des frustrations pénibles, puisqu'il est hors de question d'acheter quoi que ce soit avant au moins un an. Mais je dois reconnaître que l'idée de ces deux visites groupées parvient, moi aussi, à m'exciter un peu.


Dimanche 13 septembre

Sept heures vingt. – Regardé sur internet la longue interview de Houellebecq faite la semaine dernière (ou la précédente ?) dans l'émission de Ruquier. Il parvient à dire des choses intelligentes et qui “sonnent” juste, malgré la pauvreté des questions de Mme Salamé qui, probablement incapable d'autre chose, cherche constamment à l'entraîner dans les petites ornières idéologiques habituelles et convenues. À un moment, vers la fin, Houellebecq dit clairement qu'il a le fantasme d'écrire un jour un grand livre (en fait, il dit : un gros livre, en précisant : avec des passages un peu ennuyeux…), mais que, pour l'instant, ça ne s'est pas encore produit. En somme, il rêve au chef-d'œuvre de Michel Houellebecq. Il n'est pas le seul.


Lundi 14 septembre

Sept heures et quart. – Passé une bonne partie de la journée à me sortir de la tête onze mille signes à propos du “destin brisé” de Pierre Bachelet, chanteur qui n'a jamais suscité chez moi le moindre frémissement d'intérêt ; ni, d'ailleurs, la plus petite animosité : indifférence totale, exactement comme s'il n'avait jamais existé. Cela dit, c'est ce que je ressens pour la très grande majorité des chanteurs : rien. Je veux parler des chanteurs de ma jeunesse, évidemment, dans la mesure où, ceux d'aujourd'hui, je ne les connais même pas, ignorant tout de leur œuvre, leur voix, etc. Du reste, même les quelques-uns que j'ai beaucoup aimés, et exagérément dans certains cas, me sont devenus avec le temps plus ou moins indifférents, à part deux ou trois ; et j'ai toujours du mal à concevoir que l'on puisse, comme je vois un certain nombre de blogueurs le faire, continuer de s'enthousiasmer pour des groupes de rock ou d'autre chose, qu'ils écoutaient lorsqu'ils avaient 18 ou 20 ans. La nostalgie n'excuse tout de même pas tout.


Mercredi 16 septembre

Cinq heures. – Je rentre à l'instant de Paris, où j'ai déjeuné, boulevard Raspail, avec Caroline Noirot, la directrice des Belles Lettres : femme charmante, vive, intelligente, souvent drôle et, qui plus est et ne gâte rien, dotée d'un fort beau sourire. Évidemment, comme d'habitude, je me faisais une montagne de ce déjeuner ; il s'est déroulé on ne peut mieux, et quand nous nous sommes quittés, vers trois heures, je fus très surpris de constater que nous étions ensemble depuis déjà deux heures. Je suppose que les compliments qu'elle m'a réitérés à propos de Paludes n'ont pas été tout à fait étrangers au plaisir que j'ai pris à cette rencontre. La seule chose un peu assombrissante qu'elle m'a dite est qu'elle avait soumis mon titre à Jean-Claude Zylberstein, afin que, en sa qualité d'avocat, il lui dise si on pouvait le garder. D'après elle, cela ne devrait pas poser de problème, c'est une simple précaution qu'elle prend. Tout de même, ce serait bien embêtant s'il fallait y renoncer. Elle m'a dit aussi que Michel de Jaeghere, l'auteur de ce remarquable livre sur les derniers jours de l'empire romain dont j'ai rendu compte sur le blog, avait beaucoup aimé En territoire ennemi, qu'il trouvait l'écriture superbe, qu'il avait demandé qui j'étais, etc. C'est évidement flatteur ; de plus, s'il pouvait aimer autant, voire plus, Paludes et en faire une bonne critique dans le Figaro Magazine ou ailleurs, je n'aurais rien contre.


Dimanche 20 septembre

Huit heures. – Pas de journal depuis quatre jours, pour cause de relecture à bride abattue, et inopinée, de la totalité de Paludes. La raison en est que, mercredi, à l'issue de notre déjeuner, Caroline Noirot m'a rendu le manuscrit du roman, sur lequel elle avait, me dit-elle, porté quelques corrections au fil de sa lecture (il y en avait très exactement sept). Moi, très sûr de mon fait : « Il y a de grandes chances pour que je les ai vues et corrigées de moi-même, mais je vais vérifier, bien sûr… » Or, des sept, je n'en avais repéré aucune. Après la minute d'abattement qui s'en est suivie, j'ai donc décidé de tout relire pour la quatrième voire cinquième fois. Et, en effet, j'ai encore corrigé une bonne vingtaine de fautes, supprimés six ou sept répétitions, etc. ; travail qui occupait une partie de mes journées, ainsi que les débuts de soirée, moment que, d'ordinaire, je consacre au journal. Mais, cette fois, c'en est bien fini, puisque, dès demain, je vais expédier ce foutu livre aux Belles Lettres pour impression. Et je suis fermement décidé, quand je recevrai les épreuves, à ne revoir que les passages jugés litigieux par la correctrice (ou le correcteur : je ne sais pourquoi, je n'arrive pas à concevoir que ce métier puisse être aussi masculin ; peut-être parce que je vois les correctrices un peu comme des infirmières…).

Au milieu de tout cela, pour le prochain “hors-série” de FD, il me fallait m'arracher périodiquement douze ou treize mille signes sur le destin brisé de telle ou telle vedette morte. On ne s'étonnera pas, dans ces conditions, que le blog ait sombré dans une semi-léthargie, dont j'envisage d'ailleurs, et très sereinement, de ne pas le tirer : près de dix ans de blog, il me semble que cela suffit bien.


Mercredi 23 septembre

Sept heures vingt. –  La perspective d'aller perdre une heure ou deux, demain matin, dans la salle d'attente d'un gastro-entérologue, avant qu'il daigne nous recevoir, Catherine et moi, ne me sourit guère. Mais enfin, il faut bien en passer par là, si l'on veut avoir droit aux examens qui vont logiquement suivre cette première visite, ainsi qu'au cancer probablement déjà tapi en bout de piste. Dumas et son Chevalier de Maison-Rouge m'aideront, je l'espère, à passer ce temps mort.

Samedi matin, ce sera le départ pour la Corrèze, où nous passerons une semaine ; perspective qui, pour l'instant, me sourit à peine plus que celle de demain. Je m'encourage en me disant qu'une semaine, c'est vraiment vite passé, et que nous aurons tôt fait d'être revenus ici. Il reste que, chez moi, l'envie d'aller voir ailleurs, qui n'a jamais été bien forte, a désormais totalement disparu : à trois jours du départ, je n'ai toujours aucune (mais alors, là, tu vois : aucune) curiosité de ce pays où nous allons nous rendre. Et je ne dis nullement ça sous l'effet de je ne sais quelle corrézophobie : il en irait exactement de même pour n'importe quel département ou pays.


Jeudi 24 septembre

Huit heures. – Le cancer est remis à une date ultérieure. J'ai accompagné pour rien Catherine à son rendez-vous avec le gastro-entérologue de Louviers (40 km de la maison, tout de même…). L'idée était que, étant tous deux sous la menace d'une boyauterie rebelle, et par ailleurs mari et femme, je pourrais m'engouffrer dans sa consultation pour en arracher une, clandestine en quelque sorte : il n'en a rien été, l'homme de l'art étant, officiellement, pris par le temps. Tout ce qu'il a consenti à faire fut de me fixer un rendez-vous pour la semaine suivant notre retour de Corrèze. Catherine, en revanche, mais c'est la moindre des choses, est désormais nantie de toutes les prescriptions possibles et imaginables.

J'ai l'impression que, sans le moindre motif soutenable par la raison, puisqu'elle n'est pas plus médecin que moi, elle pense que son cas est bénin mais que, moi, la bête immonde est déjà logée au coude de mon sigmoïde (si le sigmoïde présente un coude : c'est une image). C'est d'ailleurs très possible : je trouverais normal d'avoir un cancer de ces régions, dans la mesure où, au final, c'est de ça que mon père est mort. Étant un bon fils, n'est-ce pas…

La réalité des choses est que, au moins pour l'instant, je m'en fous. Ma théorie, ma position, est que l'on n'a pas de cancer tant qu'un médecin ne vous a pas dit que vous l'avez. Quant à savoir ce qui se passera après, quels seront mes sentiments et réactions si on me l'annonce, eh bien, on verra. La vérité, j'en atteste, est que je ne parviens pas vraiment à m'intéresser à tout cela. Mais il n'est pas impossible que j'aie déjà commencé à m'auto-intoxiquer. Alors que, si ça se trouve, je n'ai même pas de cancer. Tout cela commence à prendre un aspect comique assez prononcé.

– Reçu ce matin mes contrats Belles Lettres pour Paludes. Comme le titre qui y est indiqué est celui que j'ai choisi, j'en ai déduit, peut-être imprudemment, que M. Zylberstein n'y a vu aucune contre-indication juridique grave. J'ai pu aussi constater que mon “avance” était toujours de mille euros, comme elle l'avait été pour En territoire ennemi : Les Belles Lettres sont une maison austère. Mais, n'ayant pas besoin d'argent, je m'en fous : ça paiera notre semaine en Corrèze et c'est très bien ainsi.


Vendredi 25 septembre

Sept heures et demie. – Les bagages sont prêts (ce ne fut pas de mon fait…), il n'y a plus qu'à les charger dans la voiture demain matin, et en route. Départ prévu : neuf heures. Itinéraire par Dreux, Chartres, Orléans, puis l'A71 pratiquement jusqu'à notre point d'arrivée. Aujourd'hui, six mille signes à propos des prostituées strauss-kahniennes ; ou carltoniennes si l'on préfère. Je suis ravi à la perspective de passer huit jours sans blogs, ni internet, ni rien.


Dimanche 27 septembre

Cinq heures. – Notre voyage d'hier s'est déroulé sans incident notable et nous sommes arrivés à Saint-Augustin, lieu-dit Sarlat, peu après quatre heures. Le gîte est parfait, fort calme, et disposant d'une belle vue campagnarde et vallonnée sur ses arrières. Malgré tout, le voyage avait dû nous fatiguer excessivement, car quelques verres de riesling (crémant pour Catherine) suffirent à nous envoyer au lit dès avant huit heures…

– Aujourd'hui, promenade dans les environs les plus immédiats, qui a duré de dix heures à quatre heures à peu près. Nous avons commencé par le marché de Seilhac, qui a la bonne idée de se tenir le dimanche. À côté du marchand de fruits et légumes de modèle courant se tenait une dame dont l'âge doit être compris entre soixante-cinq et soixante-dix ans, mais je ne suis guère expert en ces matières. Elle tenait un minuscule étal, lequel ne comportait que deux cagettes de pommes de terre, quatre petites tomates et trois genre de laitues minuscules ; Catherine a raflé tout ce qui restait de ces deux derniers articles. À côté, derrière un étal encore plus petit, trônait une autre dame du même âge sensiblement, prénommée Lili, ainsi que nous l'apprit la personne qui, en face, vendait des plats cuisinés (la gentillesse et l'amabilité des gens d'ici ne cesse de stupéfier Catherine, trop habituée qu'elle est à nos Normands taciturnes et souvent mal élevés) ; cette Lili ne proposait rien d'autre que des crêpes, dont nous la délestâmes d'une demi-douzaine. Après quoi, et une halte à la boulangerie, nous reprîmes la route. Je ne détaillerai pas les lieux que nous avons vus, dans la mesure où ce genre de "rapport touristique" m'ennuie prodigieusement quand je les lis dans le journal des autres, y compris dans celui de Camus, bien qu'il soit sans doute l'un des plus intéressants dans ce domaine (et dans celui des portes d'hôtel qui claquent…). Tout ce que je puis dire est que, comme nombre de régions avoisinantes, la Corrèze semble toujours attendre l'invention des routes droites et plates, laquelle fera probablement faire un grand bond en avant à l'humanité locale.

– Demain, nous irons explorer un peu le plateau de Millevaches : que cette région soit aride et austère donne très envie de pousser par là nos investigations immobilières. Il est certain que ce n'est pas demain matin qu'on la verra infestée de … ni de …, encore moins de … Compte rendu demain soir.

– Après-demain, nous sommes attendus pour dîner chez Messire Étienne du Lonzac. Comme il habite à dix kilomètres d'ici et qu'il a insisté pour que nous restions dormir chez lui, je me demande s'il n'aurait pas vaguement l'idée de nous faire boire des choses alcoolisées : il s'agira d'être méfiant.


Mardi 29 septembre

Quatre heures et demie. – À peine étions-nous rentrés de notre journée de promenade – qui fut presque aussi radieuse que celle d'hier, d'un point de vue météorologique – que des trombes d'eau se sont abattues sur nos têtes, déclenchant, en tombant sur le toit de ce gîte, un bruit assez semblable à celui d'un avion de chasse passant à moyenne altitude. Si bien que, pour rentrer de chez Jacques Étienne ce soir, non seulement Catherine devra conduire de nuit sur une route qui n'est qu'une succession de virages, mais peut-être devra-t-elle le faire sous la pluie. Car, pour l'instant, ça continue à choir dru.

Tout-à-l'heure, entre Égletons et Sarran, nous nous sommes soudain trouvé face à un troupeau d'une quinzaine de vaches, qui galopait dans notre direction en occupant toute la largeur de la route. Je me suis évidemment arrêté, mais pas moyen de se ranger. Nous avons donc paisiblement attendu ce qui allait se produire. C'est très gros, une vache limousine, quand elle se trouve à cinq mètres de vous et qu'elle court dans la direction de votre calandre. Par chance, toutes ces dames en goguette ont habilement, et même élégamment évité Liselotte, l'une d'elle se contentant d'effleurer mon rétroviseur de son roux pelage. Sinon, Beaulieu-sur-Dordogne est une petite ville (ou un gros bourg, comme on voudra) qui nous a beaucoup plu, le long de la rivière dont elle arbore le nom. Et puis, je me disais qu'il serait amusant de venir solder nos jours là, alors que notre toute première maison, en 1992, était sise à Beaulieu-sur-Loire. Peut-être existe-t-il, dans l'hypothétique au-delà, un Beaulieu-sur-Géhenne qui nous attend déjà.

Collonges-la-Rouge, en revanche, est décidément un lieu à fuir, malgré l'attrait que cette petite cité a dû avoir par le passé, je veux dire avant de devenir une sorte de musée festif et malbouffesque à ciel ouvert. Tout ce que l'on peut y voir, à part les inévitables pseudo-artistes tenant boutiques et les divers vendeurs faisant de même, ce sont des grappes de touristes hébétés, à l'image de ce que nous devions être nous-mêmes. Nous n'y avons guère passé plus d'une vingtaine de minutes.


Mercredi 30 septembre

Six heures. – Soirée fort agréable, hier, dans la maison que Jacques Étienne a décidé de transformer en un palace, de ses industrieuses mains ; si ce n'est la crainte vague qui me saisissait, à chaque déplacement intra muros de me voir passer à travers le plancher vermoulu pour aller m'abîmer à la cave. Nous fûmes, je trouve, très raisonnables quant à notre consommation d'alcool, et la soirée se termina vers onze heures, moment où Catherine, qui avait charge de ramener Liselotte, a donné le signal du départ.

– Aujourd'hui, petite journée tranquille. Ce matin, quelques emplettes au village et, cet après-midi, grimpette automobile au sommet du Suc au May (je ne saurai jamais comment écrire ce nom étrange), mont d'un peu moins de mille mètres et pourvu d'une table d'orientation, l'une des grandes passions de ma mère. Malheureusement, le temps, bien qu'impavidement ensoleillé, restreignait le panorama par une légère brume dans les lointains. Repassés ensuite par Treignac, petite ville construite sur les deux pentes de la Vézère, unies par un charmant et modeste pont du XIIe siècle, dans laquelle on envisagerait bien de venir terminer ses jours.

– Demain, nous allons visiter deux maisons, la première au Lonzac, fief de Messire Étienne, la seconde à Uzerches, que nous profiterons pour visiter et nous y restaurer (phrase hautement bancale). Je pense que nous terminerons notre séjour, vendredi, par une visite de ce qui se peut encore admirer à Brive, en essayant de ne pas voir le reste tout autour.

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