RAOUL ME SAOULE
Samedi 1er août
Dix heures du matin. – J'ai craqué hier soir, au mitan de mon petit apéritif solitaire (mais soutenu par la septième symphonie de Bruckner et son admirable adagio) : m'avisant que Catherine ne serait sans doute pas là avant mardi, j'en ai eu soudain assez de me rationner dans mes provisions, notamment de fromage et de pain, mais aussi de Ricard, et j'ai empoigné le téléphone pour tâcher de trouver un taxi qui ne soit pas en vacances. J'en ai en effet déniché un, qui doit être ici tout à l'heure, à midi, pour me conduire au Super U de Saint-Aquilin, m'y attendre durant mes emplettes et me remonter à la maison. Voilà deux camemberts qui vont me revenir cher, mais tant pis. Le plus comique est que cet accroc dans mon emploi du temps étale suffit à me mobiliser l'esprit depuis mon réveil : la vieillesse n'est peut-être pas tout à fait un naufrage, mais enfin, certains jours, j'ai l'impression que le vaisseau amiral fait eau de toutes parts.
– Je poursuis la lecture des Corps tranquilles de Jacques Laurent, roman à la fois séduisant et irritant (mais pas forcément en même temps).
– J'ai terminé, hier soir, ma relecture de Paludes.
Les corrections ont été assez nombreuses – c'est du moins l'impression
qu'elles m'ont donnée – mais toujours de détail. Ce faisant, il m'est
venu une idée (« Pas possible ! », s'exclame le chœur…) : dans la mesure
où Pot-Bouille se déroulera lui aussi dans ma ville
semi-imaginaire de Montcosson, et presque entièrement dans un immeuble
particulier de la rue des Juifs, que connaîtront fort bien les 53
lecteurs de Paludes, je me suis dit que je pourrais, dans ce
roman-ci, déposer discrètement un petit caillou chargé d'annoncer ce
roman-là. Ce serait cinq ou six lignes, destinée à braquer, durant
quelques secondes, le projecteur sur cet immeuble particulier de la rue.
Je sais même précisément où il s'insèrerait de façon parfaitement
naturelle. Mais, avant de le faire, je veux demander son avis à
Catherine. Pas forcément parce qu'elle en aura un tranché, mais parce
que cela me poussera à lui exposer mes raisons de vouloir ce paragraphe ;
et, ce faisant, il est possible que je trouve moi-même un ou deux
arguments auxquels je ne pense pas en ce moment et qui me pousseront à
renoncer à cette idée ; ou, à l'inverse, m'y conforteront.
– À propos de Paludes,
je ne sais plus si j'ai noté, hier, que Mme Noirot, la directrice des
Belles Lettres m'a annoncé par mail un appel téléphonique, qui aura lieu
en principe lundi. (De toute façon, peu importe que je l'ai noté ou pas
: à un mois d'intervalle dans la lecture, tout le monde aura oublié.)
Cet appel me laisse supposer, peut-être bien à tort, qu'elle a lu le
manuscrit que je lui ai envoyé il y a une douzaine de jours. On verra ça
après-demain.
Cinq heures. – Je ne crois pas
avoir signalé que, voilà quelques jours, j'ai banni de mes liens trois
ou quatre abrutis dont je m'obstinais à lire régulièrement les blogs, du
genre de Rosaelle, Gauche de Combat ou encore Bembelly, l'Africain
redresseur de torts, qui, d'après ce qu'on me dit, se met à déposer des
plaintes près les tribunaux pour “racisme” : en voilà un qui a bien
senti d'où soufflait le vent et qui s'est rapidement placé pour en
profiter. Je suppose que, dans son envie du pénal, il doit avoir reçu
le chaleureux soutien des deux autres que j'ai cités. Je suis vraiment
content de ne plus aller barboter dans ces cloaques.
Mardi 4 août
Sept heures et demie. –
J'ai récupéré Catherine lundi, comme prévu, mais plus tôt que je ne
m'y attendais, vu que, finalement, c'est Élodie qui a emmené sa sœur et
son neveu à Nantes, et que Catherine est rentrée directement ici ; à
moitié malade mais vaillante néanmoins. Durant notre apéritif de
retrouvailles, hier donc, nous nous sommes mis à délirer – à mon
instigation – sur un possible déménagement au Québec, puisqu'il m'avait
semblé qu'elle supportait assez mal d'être loin de ses petits-enfants.
Ma première pensée, ce matin, en m'éveillant : « Oh, putain, mais je
n'ai aucune envie d'aller vivre dans ce pays de merde ! »
Première phrase (ou presque) de Catherine après son lever : « Je te
préviens, il est hors de question qu'on aille vivre au Québec ! » Oufffff. Ce soir, c'est le Limousin qui tient la corde : ça me va déjà beaucoup mieux.
– Commencé à lire le roman le plus connu de Ramuz, La Grande Peur dans la montagne, commandé à cause d'un article de Jérôme Leroy dans Causeur.
Rien à en dire pour l'instant – écriture étrange –, sinon que, après
quarante pages, je ne vois pas bien quel rapprochement on a pu faire
entre lui et Giono (que je n'aime pas beaucoup).
– J'ai
donc eu une conversation téléphonique avec Caroline Noirot, la
directrice des Belles Lettres (j'ai la flemme de rechercher quel est son
titre exact, sa place dans l'organigramme). Elle s'est montrée très chaleureuse envers Paludes,
me disant tout le bien qu'elle pensait du roman en général, et surtout
de ses chapitres 5 (Warnaucourt) et 8 (dans le bar à putes), qualifiant
ce dernier "d'anthologie", ce qui est certainement exagéré. Michel
Desgranges, à qui j'ai rendu compte de notre entretien, m'affirme
qu'elle lui avait, avant, dit tout le bien qu'elle pensait de mon roman.
Quand j'ai dit à Catherine, hier soir, qu'il s'étaient peut-être mis
d'accord pour m'endormir de compliments, elle m'a proprement envoyé
chier en se moquant, et je lui en ai su grand gré, puisque, évidemment,
c'est ce que j'attendais qu'elle fît.
– J'ai
recommencé, hier, une nouvelle lecture du roman. D'une certaine manière,
c'est à cause de Nicolas. J'avais trouvé amusant de lui envoyer par
mail une page du chapitre 3, dans laquelle je portraiture une digital mother,
comme il s'en trouve une magnifique dans sa blogroll. Dimanche, il m'a
demandé la permission de reproduire cet extrait sur l'un de ses blogs,
que je lui ai accordée aussitôt. Naturellement, lorsque ce fut fait, je
n'ai pu m'empêcher de jeter un rapide coup d'œil à ce court texte. M'ont
alors sauté au visage deux immondes répétitions de verbe, en un seul
paragraphe, qui m'ont conduit au bord du suicide. Naturellement, je me
suis alors dit que si se rencontrait ce genre de lourdeur dans une page
prise au hasard, elles devaient continuer à pulluler dans tout le reste
du roman. J'ai donc réattelé le bœuf à la charrue dès hier. Il s'agit,
maintenant, de relire différemment. Non plus pour traquer les
discordances “longues” (par exemple, lors de la précédente relecture, le
carrelage de la pièce principale chez Evremont, au chapitre 3 (je
crois…) qui devenait lino au chapitre 7 ou 8), mais au contraire pour
porter le fer à l'intérieur de chaque paragraphe, en essayant (et c'est
vraiment difficile) de se désintéresser totalement du roman dans son
ensemble. Ce qui revient à effectuer un travail de rewriter
n'ayant rien à faire du contenu de ce qu'il doit réécrire. Le travail de
rewriter, je n'y suis pas tout à fait étranger, évidemment ; mais
m'abstraire du roman que je relis pour n'en considérer que la marche en avant,
ça, personne ne m'a appris comment m'y prendre. Pourtant, il faut bien
que j'y arrive ; tout en sachant que, en janvier ou février prochains,
quand le volume imprimé arrivera entre mes mains, je vais évidemment
l'ouvrir à n'importe quelle page, et que mes yeux tomberont directement
sur l'énorme bévue que quatre ou cinq lectures n'auront pas évitée.
–
Revenons à des choses plus agréables. Durant huit jours que j'ai été
seul, je n'ai presque rien bu ; sans doute parce que je n'éprouve plus
grand plaisir à boire seul, en l'absence de Catherine. Nous avons
évidemment, hier, pour son retour, sacrifié à cette espèce de rite,
sachant que c'était une sorte de clôture, que nous allions,
aujourd'hui, revenir à notre mode de vie habituel, c'est-à-dire dénué
d'alcool. Mais, en fin d'après-midi, après avoir écrit en quelques
heures le tiers du prochain numéro de FD (on est en août : comme tous
les ans, la rédaction est à peu près vide), je me suis dit soudain que
je prendrais volontiers un dernier apéritif. Et celui-ci prenait
une vraie valeur (par rapport à ceux des jours précédents) dans la
mesure où il fallait que je le “vende” à Catherine. Je me suis alors
aperçu que ce petit jeu, facile à jouer, entrait pour beaucoup dans le
plaisir que je prenais à cette plage de temps où nous nous faisons face,
elle et moi, avec ou sans musique, c'est selon (ce soir c'était sans),
sachant que va se dérouler entre nous une conversation volontiers
languissante, mais parfois animée, qui est la preuve que nous ne
saurions plus exister l'un sans l'autre. Et cette idée, tout de même
vertigineuse, que la mort nous lie autant que la vie le fait depuis 25
ans, est une des choses les plus douces qui puissent se concevoir.
Mercredi 5 août
Sept heures vingt.
– Eh bien, nous voilà repassés en mode "eau minérale", ce qui ne fera
de tort à personne, et surtout pas à moi. Surtout que les services de la
météorologie semblent prévoir de nouveau des chaleurs moyen-orientales
pour toute la semaine prochaine. Si je veux mener à bien sans trop
souffrir mes petits travaux pour FD, il va me falloir recommencer à
mettre le réveil à six heures du matin, de façon à pouvoir écrire dans
la relative fraîcheur de la nuit et du tout début de matinée.
– J'ai laissé tomber ce pauvre Ramuz dès le troisième chapitre, pour cause d'arrivée, ce matin des Corps tranquilles
de Jacques Laurent, dont j'ai terminé la première partie il y a trois
jours. De toute façon, pour le peu que j'en ai lu, voilà un Suisse qui
ne m'emballait guère. Mais enfin, il aura sa chance dès que j'en aurai
fini avec Laurent.
Vendredi 7 août
Sept heures dix.
– Ce journal ne me voit guère assidu, depuis le début du mois. Sans
qu'il y ait, à cette demi-désaffection, de raison particulière,
d'ailleurs. Peut-être simplement parce que, le soir venu, il fait un peu
trop chaud dans la Case pour que j'aie envie de m'y attarder.
– Hier et avant-hier, ma Nième relecture de Paludes
est allée bon train : un chapitre et demi pour chacune des journées, et
de nombreuses micro-corrections effectuées. Et puis, ce matin – non, en
début d'après-midi : ce matin, j'ai célébré en 6500 signes le 70ème
anniversaire de Mme Sheila… –, quand j'ai voulu me mettre au chapitre 7,
où je m'étais arrêté hier, il n'y a pas eu moyen de dépasser les deux
premiers paragraphes : m'est venue la même sensation soudaine
d'écœurement violent qui saisit le gourmand, déterminé à finir à la
petite cuiller le bol de mayonnaise et qui, d'une bouchée sur l'autre,
se sent brusquement au bord de la nausée. Comme rien ne me presse, je
vais laisser filer une semaine ou deux, le temps de digérer les
chapitres précédents. Une interruption est d'autant plus possible que,
je le répète, je ne fais plus que des ajustements de détail, et
notamment des suppressions de répétitions.
– Poursuivi ma lecture des Corps tranquilles
: roman étonnant, séduisant par beaucoup de côtés ; mais tout de même,
900 pages (trois millions de signes environ) c'est bien long.
–
Notre vie mondaine estivale continue : samedi prochain, 15 août, nous
recevrons Rémi Usseil à déjeuner, trois jours après, c'est Woland qui se
déplacera jusqu'à Levallois, également pour déjeuner et, le vendredi
suivant, nous recevrons Koltchak, que nous ne connaissons pas encore.
Nous me faisons l'impression d'être M. et Mme Verdurin en villégiature à
La Raspelière.
Dimanche 9 août
Sept heures vingt. – Terminé tout à l'heure la quatrième relecture de Paludes
: cette fois, je me suis fait promettre à moi-même de n'y plus mettre
le nez avant d'en recevoir les épreuves imprimées – ce qui est une façon
de parler “à l'ancienne”, puisque, la dernière fois, pour En territoire ennemi, je les avais relues sur écran.
– J'ai, d'autre part, presque fini les 900 pages des Corps tranquilles. Voilà un roman que je ne relirai certes pas (tu parles : plus de trois millions de signes ! Même Tolstoï est un faiseux d'plaquettes,
à côté. De toute façon, je ne relirai plus Tolstoï non plus), mais que
j'aurai eu beaucoup de plaisir (et quelques moments d'ennui sporadique…)
à lire. J'attends Les Bêtises d'un jour à l'autre.
–
Je ne crois pas avoir noté que nous irions passé la dernière semaine de
septembre (plus exactement celle qui commence en septembre et se
poursuit en octobre) en Corrèze, dans un village du nom de
Saint-Augustin, à une quinzaine de kilomètres de la nouvelle résidence
d'été de Messire Jacques Étienne, qui du reste y sera, avec sa compagne
Nicole, et dont l'anniversaire tombera durant notre séjour. Le moteur
initial de ces vacances impromptues est que Catherine a décidé que, dès
ma libération de Levallois, nous irions nous installer dans le Limousin ;
région qui, effectivement, nous a enchantés à chaque fois que nous
avons été amenés à la traverser. Donc, allons-y pour une semaine
corrézienne.(Et je pense soudain que ce journal d'août devra être publié
avec un peu d'avance, puisque nous serons justement en Corrèze au
moment où il aurait normalement dû paraître.)
Mercredi 12 août
Huit heures. – Je me gorge des Trois Mousquetaires, dont Jacques Laurent m'a rendu l'envie dans son Roman du roman,
lu avant-hier. Je m'amuse de certaines contradictions, quasiment d'une
page sur l'autre, que le très savant commentateur ne signale même pas
en note. Par exemple, cette bague de saphirs que Milady offre à
d'Artagnan (en le prenant pour le comte de Wardes), et que, un peu plus
tard, Athos reconnaît pour celle qu'il a offerte à son épouse (qui n'est
évidemment autre que Milady) : elle lui vient d'abord de sa mère, qui
elle-même la tenait de sa propre mère ; trente pages plus loin, elle lui
vient toujours de sa mère, mais alors celle-ci l'a reçue en cadeau de
noces de son mari. Erreur flagrante et… rien ; pas une note. Au point
que le lecteur remonte dans le texte, s'imaginant avoir mal lu. Mais non
: l'incohérence est bien là, qui a échappé au docte professeur chargé
de l'appareil critique. Du reste, il est précieux, cet appareil,
en tout cas pour moi, et chargé d'une rêverie puissante, chaque fois que
le texte indique que l'on emprunte telle rue pour se rendre à telle
autre, et qu'une note replace le trajet dans un Paris intelligible pour
un lecteur actuel.
– Il m'est venu soudain à l'esprit, hier, ceci : que venant de terminer une re-re-relecture quasi maniaque de Paludes,
je l'avais menée sans penser une seule seconde qu'il fallait que j'y
puise un extrait judicieux pour la quatrième de couverture. Ce qui
signifie qu'il faudra bien me replonger là-dedans, mais heureusement pas
dans la totalité, étant à peu près convaincu que cet extrait doit être
pris dans le premier chapitre ou à la rigueur dans le troisième. Le
problème est que, même si je le trouve là, je me demanderai s'il n'y a
pas mieux dans les suivants ; et que, forcément, j'irai y voir.
Jeudi 13 août
Quatre heures et demie.
– Gros orage, ce matin, assorti d'une pluie abondante qui semble avoir
donné un coup d'arrêt à l'augmentation, lente mais régulière depuis
quelques jours, des températures. Toutes porte et fenêtres ouvertes, il
règne dans la Case une température acceptable, grâce à la brise qui y
circule librement. Ce n'est pas pour autant que je me sens le courage
d'expédier cinq mille signes à propos de Michel Galabru, pensum que je
me conserve donc pour demain matin. À la place, je vais retourner au
salon lire Vingt ans après.
– Je crois n'avoir pas noté ceci que, à peine le livre Blurb (Camp retranché)
expédié et commandé, je me suis aperçu d'un superbe “mastic” dès la
page de titre. Comme personne n'achètera le volume, dont seule ma mère
profitera, ce n'est guère gênant. Mais tout de même : ça continue à
m'énerver dès que j'y pense.
Huit heures. –
Apéritif pris sur la terrasse, parce que Catherine a suggéré que l'on
pourrait. Discussion à propos de ses enfants, dont je suis bien content
qu'ils ne soient pas les miens, comme je l'ai toujours été. Et, au
moment où nous allions passer à table, la pluie se remettant à tomber,
comme pour nous chasser à l'intérieur. Il m'en reste cette satisfaction
de ne m'être jamais reproduit. L'idée que je pourrais avoir des enfants (et, après tout, qu'en sais-je ?) me terrifie. – Et il cesse de pleuvoir.
Vendredi 14 août
Cinq heures et demie. –
Sous le prétexte risiblement fallacieux que, ayant pris l'apéritif hier
soir et, recevant demain midi Rémi Usseil, nous allions fatalement
boire du vin, j'ai tout à l'heure décidé que ce serait idiot de faire,
aujourd'hui, un retour éclair à l'abstinence. Catherine n'a même pas
fait mine de protester.
– Transporté, pour mon plus vif plaisir, au temps de la Fronde par Alexandre Dumas et ses Vingt ans après, j'ai tiré de son rayonnage le premier volume des Mémoires
du cardinal de Retz ; et, d'un même mouvement, commandé ceux du duc de
La Rochefoucauld. Pour revenir à Dumas, j'avais totalement oublié que ce
jeune crétin de Raoul de Bragelonne apparaissait dès ce roman-ci ; mais
il s'y montre beaucoup moins pénible que dans la suite, quand il
roucoule avec la boiteuse durant d'interminables pages. Bref, disons-le :
Raoul me saoule.
Lundi 17 août
Sept heures et demie. – J'ai reçu aujourd'hui les trois exemplaires de Camp retranché,
mon journal 2014, que j'ai évidemment feuilleté page à page, “pour
voir” : il est comme d'habitude, c'est-à-dire qu'il présente les mêmes
imperfections irritantes, certaines de mon fait (dates qui ne sont pas
en gras, heures pas en italiques…) et d'autres pour lesquelles j'ai fini
par comprendre que je n'y pouvais rien, face à ce logiciel diabolique
qui supprime un “retour chariot” ici, en ajoute un là, etc. Nous
l'apporteront à ma mère le 6 septembre.
– J'ai passé,
samedi, une excellente journée avec Rémi, que j'apprécie un peu
davantage à chaque fois que je le revois. Je dis “j'ai passé”, car
Catherine a dû nous quitter dès le début de l'après-midi pour aller
remplir ses obligations au presbytère, et n'est revenu qu'au moment où
Rémi avait déjà la veste sur les épaules pour s'en retourner.
Ce fumier a vendu, de Berthe, deux cents exemplaires de plus que moi de mon Territoire.
J'en étais ravi pour lui, même si j'aurais aimé qu'il me batte de
manière plus nette et plus large. De toute façon, je compte que mon Chef-d'œuvre prendra une écrasante revanche sur son Charlemagne… Comme on voit, c'est entre nous une lutte acharnée dans l'infinitésimal.
– J'ai commencé Le Vicomte de Bragelonne ce matin, dans l'édition malcommode que j'en possède, n'ayant reçu que le second tome de l'édition Bouquins.
Le volume que j'ai, depuis une bonne vingtaine d'années, a été publié
par Jean-Claude Lattès. Il contient la trilogie des mousquetaires plus Le Comte de Monte-Cristo,
pèse entre trois et quatre kilos ; le texte est disposé en deux
colonnes par page, corps minuscule, encre pâlichonne. J'étais tombé
dessus, un jour que je me trouvais à la FNAC de Strasbourg en compagnie
d'André ; et, comme je m'extasiais – un peu hâtivement – devant l'idée
consistant à réunir ces quatre romans en un seul livre, il me l'avait
très gentiment offert. Dans la mesure où, ayant fini Vingt ans après
hier soir, je ne voulais pas de solution de continuité dans ma lecture,
et en attendant le tome I de chez Robert Laffont, j'ai ressorti ce
volume, qui a l'avantage, quand il est posé sur les genoux, de maintenir
ceux-ci bien en place ; et cet autre, de vérifier que, malgré l'âge, la
vue est toujours assez bonne pour déchiffrer du corps 6.
Mais trêve d'ironie, ce Vicomte
me plaît beaucoup, en ces premières pages ; c'est parce que je sais,
n'ayant presque pas, encore, croisé ces deux niais de Raoul et Louise,
que le pire est à venir, et que, pour l'instant, je parcours la France
et l'Angleterre derrière d'Artagnan et Athos, alternativement.
Mardi 18 août
Sept heures. – À part les 6500 signes que j'ai consacrés à Carla Bruni épouse Sarkozy, je n'ai fait rien d'autre que poursuivre ma lecture du Vicomte ; et, Dieu merci, les amants maudits ne sont toujours pas apparus. Sont arrivés, en outre, les deux premiers volumes de Joseph Balsamo ainsi que les Mémoires de M. de La Rochefoucauld. Pour rester au XVIIe siècle (je ne parle pas de Joseph Balsamo, évidemment), nous avons choisi, faute d'un film possible, de regarder ce soir les Secrets d'histoire que Stéphane Bern a consacrés à Mme de Sévigné, et dont je suppose qu'il doit s'agir d'une rediffusion.
– Il est prévu que nous allions déjeuner chez ma mère le premier dimanche de septembre, afin de lui remettre son exemplaire de Camp retranché.
Samedi 22 août
Deux heures.
– Excellente demi-journée, passée hier dans la compagnie de Koltchak,
venu déjeuner ici, et que nous ne connaissions pas encore. Compte tenu
du poste d'observation privilégié qui est le sien, on se rend compte,
après discussion, que, en jugeant la France engagée “sur la mauvaise
pente”, on péchait encore par optimisme. : nous sommes, plus
vraisemblablement, à l'extrême bord du gouffre. Conséquence un peu
surprenante de tout cela : Catherine se demande sérieusement si elle ne
va pas faire l'emplette d'un fusil à pompe.
Notre hôte
nous a quittés peu après six heures et, me disant qu'il serait fort peu
raisonnable de continuer à boire seul après l'avoir fait à trois (mais
deux sur ces trois surent rester très sobres…), j'ai décidé d'aller me
coucher immédiatement. Et j'ai, sans désemparer, dormi jusqu'à sept
heures ce matin. Depuis, je consacre mon temps au vicomte de Bragelonne,
et surtout à ses célèbres acolytes.
Parlant de ça, lisant ce matin la préface que Dominique Fernandez avait donné au Vicomte
pour l'éditions Bouquins, j'ai eu la vaine satisfaction de constater
qu'il parlait des mousquetaires, et notament de d'Artagnan et de
Porthos, dans des termes presque exactement semblables à ceux que
j'employais dans mon billet d'il y a quelques jours. « Tout le monde va
penser que tu as copié », me dit aussitôt Catherine. Mais qui : “tout le
monde” ?
Dimanche 23 août
Sept heures et demie. – Je suis entré dans Joseph Balsamo
un peu à reculons (phrase étrange, j'en conviens…), comme si je faisais
une infidélité, une indélicatesse à mes mousquetaires quittés de la
veille. Et puis, après deux ou trois dizaines de pages, Dumas m'a
empoigné par le col et ne m'a plus lâché jusqu'à l'heure du dîner. Sauf
durant l'heure où j'ai enseveli Laurent Rossi, fils de, sous quatre
pelletées de terre (feuillets) bien tassées. Et je compte bien occuper
ma journée de demain exactement de la même façon.
J'ai
aussi, tout de même, traîné un peu sur les blogs. Mais enfin, c'est
dimanche, c'est le mois d'août : même les gauchistes d'ordinaire les
plus azimutés m'ont semblé un peu mous du lendemain qui chante, comme
frappés d'une sorte de nonchalance probablement révisionniste. Il va
être temps que ces francs gaillards se reprennent, sans quoi l'avenir
risque de se faire attendre.
Mardi 25 août
Sept heures. –
Première journée à Levallois après quatre semaine d'absence. Je n'y
suis pas allé pour rien, certes (4500 + 3000 signes), mais j'ai la vague
impression que je n'étais pas vraiment attendu et que, si j'étais resté
à la maison sans rien dire à personne, mes Puissances m'auraient envoyé
le travail à faire par mail sans se formaliser outre mesure.
(Et
voilà que Blogger a décidé de me priver du petit curseur vertical
m'indiquant où je suis dans mon texte, si bien que j'écris plus ou moins
“à l'aveugle”.)
– Aucune lecture, à part les quatre
numéros de FD que j'avais en retard. J'arrête là : cette absence de
curseur rend l'écriture un peu pénible.
Mercredi 26 août
Huit heures. –
Assez longue discussion “apéritive” avec Catherine, portant sur
différents sujets. Celui de notre éventuelle “expatriation” prochaine,
en premier lieu : Saint-Pierre-et-Miquelon est revenu en force (je dirai
après pourquoi). En fait, Saint-Pierre semble une alternative réaliste
au Québec, dans la mesure où cela revient à ne pas sortir de France,
même s'il s'agit de s'en éloigner beaucoup et pour toujours. Catherine
me disait que cela m'obligerait à prendre deux fois l'avion, la
première étant pour aller sur place me rendre compte si l'endroit “me
plairait”. Mais je me fous que l'endroit me plaise ! Soyons réalistes ou
essayons : je suis à un stade de ma vie où ne m'importe plus que la
maison où je vis, la place dont j'y dispose pour mes livres, le calme
qui règne autour. Tout ce qui a pu faire ma vie avant, quand j'étais
jeune, ou plus jeune, a cessé de m'intéresser ; y compris ce que je
mange. D'ailleurs, j'ai brusquement, un jour qui m'échappe, cessé de
manger pour me contenter de me nourrir.
Il y a ce qu'on
appelle : les amis. Je ne voudrais pas qu'ils s'en formalisent, mais le
fait de ne plus les voir ne m'empêchera pas de dormir. D'abord parce
que je ne vois déjà plus, ou presque plus, mes amis “historiques” : je
me passerai d'autant mieux des plus récents, que j'aime beaucoup, mais
dont je sais que je puis me passer, puisque je me passe de ceux dont
j'ai longtemps pensé qu'ils me seraient toujours indispensables. Et
puis, c'est leur rendre service : dans la mesure où je mourrai avant
qu'ils aient eu le temps de dire ouf, je leur offre, en m'exilant,
l'occasion de se déshabituer de moi en douceur.
Si
Saint-Pierre est remonté à la surface, c'est que Matthieu Woland, avec
qui j'ai déjeuné aujourd'hui, m'a appris que Coach Berny (même les vieux
savent prendre des pseudonymes ridicules…), l'un de ses commentateurs
qui est passé bien près de mourir il y a un an ou deux, avait finalement
quitté la région parisienne pour le Pays basque, après avoir envisagé
sérieusement de partir pour Saint-Pierre-et-Miquelon. J'ai failli lui
dire de lui recommander chaudement de ma part la lecture de L'Œuvre des mers
d'Eugène Nicole, mais la conversation a ricoché et l'occasion s'est
perdue. Je profite donc de ce journal, où personne n'a l'outrecuidance
de m'interrompre ni de me distraire : Matthieu, si tu le vois ou lui
parle, recommande très chaudement à M. Berny la lecture de ce livre
absolument admirable, œuvre du seul véritable écrivain enfanté par cette
île perdue ; et, accessoirement, lis-le aussi.
– Puis,
nous sommes passés, Catherine et moi, à moi-même, qui est toujours le
sujet qui m'intéresse le plus. Elle est en tout cas la seule personne
avec qui je puis et ai envie de parler ; et encore, pas si fréquemment.
Le biais, cette fois, a été le suivant : quand Michel Desgranges, début
juillet, m'a dit que Paludes paraîtrait en janvier, j'ai trouvé
ça merveilleux, parce que très proche. Or, depuis, je n'irai pas jusqu'à
dire que je compte les jours, mais enfin… J'en arrive, parfois, à
penser, tellement ce putain de janvier me semble loin, que ce serait
déjà bien que je sois encore vivant au jour de la sortie du livre, c'est
dire…
Ayant expliqué cela à Catherine, elle me demande
pourquoi je ne me lance pas dans “le prochain”. Le prochain quoi ? Le
prochain roman. J'y pense, je ne pense même qu'à ça, mais j'en suis au
stade où, à part deux ou trois notes prises, rien ne bouge, rien ne
concrétise, c'est le magma. Pendant qu'on en parlait, il me semblait
que, peut-être, plonger dans un autre roman quand celui-ci n'existait
même pas encore était peut-être précipité. Et, comme je le lui disais,
m'est revenue l'idée que j'avais eue, juste après la fin de Paludes, à savoir celle d'un petit livre, d'une centaine de pages, qui s'appellerait Bref manuel de désertion.
Avec le souvenir m'est également revenue l'envie de cela, de ce texte
bref et violent dont j'ai entrevu la possibilité. Et qui, en effet,
pourrait servir de tampon entre un roman et un autre.
[Trente lignes supprimées à la relecture.]
Jeudi 27 août
Huit heures et demie.
– Foutredieu ! Je n'ai pas eu le courage de relire tout ce que j'ai
écrit ici hier soir, sous l'influencer du dieu Ricard. On verra au
moment de la publication. Pour ce qui est d'aujourd'hui, rien à noter.
Vendredi 28 août
Sept heures et demie. –
Pas beaucoup plus à dire qu'hier, sinon que j'ai publié ce matin le
journal de juillet. Et que j'ai passé la journée à alterner la lecture
de Dumas et le remplissage de grilles de mots croisés. Alors que
j'aurais beaucoup mieux fait de tondre le jardin.
Dimanche 30 août
Sept heures vingt.
– Quand on pense à la quantité de gens qui, s'ils en avaient les
moyens, se précipiteraient dans le Sud-Est de la France pour y acheter
une maison… Moi, après deux jours à 30° (et encore : à peine), je n'ai
plus qu'une envie, c'est d'aller m'installer dans le nord de l'Écosse
voire en Islande. Ou à la rigueur, réduisons nos prétentions, à
l'extrême pointe du Cotentin, où il ne fait jamais chaud l'été ni froid
l'hiver. Le problème du Corentin est que c'est encore la France,
c'est-à-dire prochainement une annexe de l'Afrique. Or, l'Afrique, pour
quelqu'un qui prétend fuir la chaleur, on ne peut pas dire que ce soit
l'idéal. Je sais bien que, l'histoire le montre, les envahisseurs
n'arrivent généralement pas avec leur climat natal sous le bras, mais je
me méfie de ces zigotos-là. Le nord-ouest des États-Unis, près de la
frontière canadienne, là-haut, a aussi quelque chose d'attirant. Une
petite ville moche, nichée dans un environnement splendide et à peu près
intact, une population de bas-du-front armés jusqu'aux dents et prêts à
défourailler sur la première racaille pointant son mufle à moins de
trois ou quatre miles, voilà qui serait assez tentant…
Lundi 31 août
Sept heures vingt. –
C'est vraiment pour dire que je ne manque pas le dernier jour du mois,
car je n'ai vraiment rien à consigner. Sinon, peut-être, à la rigueur,
que je suis bien aise de laisser août derrière moi, et même derrière
nous, pour entrer dans septembre, ce mois qui m'a toujours été comme une
promesse d'automne, après le dur été. De fait, comme pour se conformer à
cette impression, la chaleur a brusquement reflué aux alentours de midi
et, ce soir, ciel gris d'ardoise, il ne fait plus que 20°, avec un vent
qui n'incite pas à laisser portes et fenêtres ouvertes. Tant mieux.
–
Mes journées, depuis quelque temps, me laissent une impression de vide,
pas forcément désagréable d'ailleurs, notamment grâce à Dumas et au Collier de la reine
; mais enfin, j'ai la sensation qu'il manque quelque chose pour avoir
un tant soit peu la sensation de vivre. Cela tient sans doute à ce
sentiment que j'ai, d'être dans une sorte de sas un peu morne, entre Paludes qui est désormais derrière moi – mais flottant dans l'air, non concrétisé en un livre – et Pot-Bouille
qui, bien que m'occupant l'esprit, se refuse obstinément, pour le
moment, à prendre forme et consistance, ou plutôt consistance et forme,
ce qui est plus logique. Là encore, je compte sur l'automne arrivant
pour me réveiller un peu.
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