mardi 30 décembre 2014

Novembre 2014










À LA CLAIREFONTAINE









Samedi 1er novembre

Sept heures dix. – La Toussaint tombant un samedi (ou un dimanche), c'est un crachat à la figure de tous les salariés de c'pays : je trouve que l'État nounou devrait se pencher sur cette spoliation et envisager, pour “les plus démunis”, des compensations à ce jour férié manqué ; d'un autre côté, Toussaint étant une fête catholique, donc honnie, nos Puissances tutélaires et socialistes risquent de se faire un peu tirer l'oreille.

– Ma journée s'est passée entièrement en lectures (et en somnolences diverses) : Nadejda Mandelstam et Ivan Bounine en alternance. Je dis ma journée, car celle de Catherine fut un peu plus agitée, dans la mesure où, après la messe ce matin (mais on me dira qu'elle n'était pas obligée de s'y rendre), il lui a fallu préparer les plats que nous servirons demain midi à ma mère, ma sœur et Olivier. Demain matin, il me reviendra de passer l'aspirateur (cela devient une sorte de coutume dont je n'ai pas lieu de me féliciter) et de descendre à Pacy chercher le pain, ainsi que le fromage que Catherine a oublié hier, lors de ses “grandes courses”.


Lundi 3 novembre

Sept heures et quart. – Ma mère, Isabelle et Olivier sont repartis, hier, vers quatre heures et demie. Très mauvaise heure : que faire ensuite ? Ayant fait honneur aux vins que je servais moi-même, je n'avais guère envie de lire ; continuer à boire eût été prendre le risque de m'envoyer au lit dès sept heures du soir, ce qui ne me paraissait guère souhaitable… J'ai donc résolu de m'octroyer une petite sieste ; mais, au lieu de m'assoupir dans mon fauteuil, comme je le fais d'ordinaire, je suis aller m'allonger dans la chambre ; dont je suis ressorti à neuf heures du soir. Là, de nouveau, l'épineuse question léniniste : que faire ? Enchaîner directement sur ma nuit aurait été prendre le risque de me trouver parfaitement éveillé et reposé entre trois et quatre heures du matin. Je n'avais donc qu'une solution : me servir quelques whisky-cocas bien tassés en écoutant de la musique au salon (ce fut d'abord le quintette avec clarinette de Mozart, puis l'Offrande musicale). Cette occupation d'honnête homme me mena en effet jusqu'aux environs d'onze heures, moment auquel je jugeai qu'il devenait raisonnable de retourner au lit. Quant à la journée d'aujourd'hui, elle s'est passée à lire Bounine et à remplir deux ou trois grilles de mots croisés, ma mère m'ayant apporté les deux derniers numéros du magazine auquel mon père était abonné.

– J'étais assez satisfait de ne voir aucun travail surgir dans ma boitamel, mais je me suis réjoui un peu vite. Il en est en effet arrivé un, à six heures, Gabriel me l'ayant envoyé ce matin… et à mon bureau de Levallois où je n'étais pas. Je vais m'en débarrasser demain aux aurores, avant de partir pour Levallois où je dois déjeuner avec Matthieu Woland.


Mardi 4 novembre

Sept heures vingt. – Pas envie.


Mercredi 5 novembre

Sept heures douze (soyons précis, bon sang!). – Me voici donc face à la perspective de ne plus avoir à sortir d'ici jusqu'à la fin du mois, laquelle me réjouirait sans mélange, si ne se profilait celle de notre arrêt conjoint du tabac, qui doit survenir mardi prochain, après que Catherine aura rencontré le Dr Bram, épouse du chirurgien qui m'a débarrassé du rognon récalcitrant. Ce n'est pas que je tenais plus que cela à cesser de fumer, mais je sais bien qu'il est quasiment impossible de le faire si l'autre continue ; c'est donc une espèce de solidarité qui m'a poussé à dire banco ; mais je commence déjà à le regretter avant même d'avoir commencé.

– Si je suis au chômage pour trois semaines (mais n'ai-je pas déjà expliqué ça ?), c'est que j'inaugure un nouveau système. Dans la mesure où nous ne partons plus nulle part, et que mes vacances se passent donc à la maison, dans la mesure aussi où l'intérêt, pour moi, des dites vacances, est de ne pas aller à Levallois, j'ai donc imaginé de prendre désormais mes congés par paquets de deux jours, ceux où je dois aller faire acte de présence, soit les mardis et mercredis, mais en travaillant normalement les trois autres, c'est-à-dire depuis la Case. J'ai patiemment et longuement expliqué à Gabriel, qui est en charge de ces questions, que tout le monde y gagnait : moi parce que je pourrai ne pas sortir de chez moi une quinzaine de semaines par an, et lui parce qu'il pourra m'envoyer des articles à écrire les jours qui l'arrangeront, même s'ils tombent un mardi ou un mercredi – j'espère que je me fais bien comprendre. Évidemment, l'idéal, celui que je ne désespère pas d'atteindre avant ma retraite, reste de pouvoir travailler tout le temps de la maison, sans plus jamais me rendre à Levallois, sauf exceptionnellement. Le problème est que, pour y parvenir, je n'ai plus guère, désormais, de monnaie d'échange.

– Rien lu, à part le dernier numéro de Causeur, en grande partie centré sur le livre de Zemmour.


Jeudi 6 novembre

Sept heures cinq. – Nous ne sommes encore qu'à cinq jours de notre arrêt prévu du tabac, et je sens déjà mon humeur s'assombrir, se morosifier. J'ai l'impression d'être sur le point de m'engager à pied dans l'immensité des steppes de l'Asie centrale, sans grand espoir d'en voir jamais le bout.


Vendredi 7 novembre

Sept heures et quart. – Je n'ai pas plus envie qu'hier, ni d'ailleurs que les jours précédents, d'écrire quoi que ce soit dans ce journal, où je viens plus par devoir moral, en quelque sorte, que pour toute autre raison qui serait à coup sûr meilleure. Comme, d'autre part, voilà à peu près une semaine (il faudrait aller vérifier) que je n'ai pas fait un vrai billet sur le blog, je me demande, mais s'en m'en préoccuper, si je ne suis pas en train de me tarir complètement ; d'autant que, est-il besoin de le dire ?, l'hypothétique roman est toujours au point mort – et je doute que ce soit l'arrêt du tabac qui m'incite à m'y mettre la semaine prochaine. Bref, il semblerait que les dernières braises soient en train de s'éteindre – éventualité qui, je le répète, me laisse tout à fait indifférent. Je deviens d'ailleurs indifférent à de plus en plus de choses ; et ne parlons pas des personnes.

(Je viens d'aller voir, c'est bien ça : mon dernier billet digne de ce nom remonte au 27 octobre, soit à dix jours.)


Samedi 8 novembre

Sept heures vingt. – Hier soir, à peine avais-je fini d'écrire mon dernier paragraphe que, tombant sur un blog mis en lien par Dame Rosa, j'y trouvai une idée de billet, lequel fut rédigé de suite. Voilà donc qui remet mes petits compteurs à zéro.

– Passé l'essentiel de la journée (dans les périodes où je parvenais à me maintenir éveillé…) à poursuivre ma lecture de Retour à Brideshead, d'Evelyn Waugh. Excellent roman, qui démarre dans une sorte de burlesque rappelant un peu Wodehouse, mais qui prend peu à peu son envol vers des contrées plus en demi-teintes ; si bien que, parvenu à moins de cent pages de la fin – le livre en compte six cents –, il me semble que c'est une sorte de mélancolie assez mal définissable qui domine. En fait, la coloration générale change à mesure que les personnages vieillissent, et c'est remarquablement fait.

– Cet après-midi, alors que nous prenions une tasse de café en silence, Catherine m'a soudain dit : « Quand Bergotte sera morte, je ne veux plus prendre d'autres chiens. » J'en ai été frappé car, même si je ne lui en ai jamais parlé, c'est une chose à laquelle j'ai déjà pensé plusieurs fois, l'après-Bergotte ; et moi non plus je n'ai guère envie de recommencer avec un autre chien. En avoir eu quatre dans ma vie, avec la place importante qu'ils occupent dans ma mémoire pour ce qui concerne les trois morts, il me semble que c'est bien suffisant.


Dimanche 9 novembre

Sept heures et quart. – On serine et on violonise depuis hier, voire avant-hier, sur les blogs de gauche, à propos du 9 novembre 1989 et de cette meeerveilleuse surprise que fut, à les entendre, la chute du mur de Berlin. Ils oublient un peu vite, mais c'est dans leur nature, que c'est en grande partie à cause d'eux (je veux dire de leur “famille” politique) s'il a pu être érigé et durer presque trente ans : dans les années soixante-dix encore, les communistes disposaient de toute une batterie de justifications pour ce fameux mur de “protection” ; et les socialistes eux-mêmes…

Bien entendu, aucun d'entre eux – je parle des blogueurs – ne s'est avisé que le 9 novembre était aussi l'anniversaire de la mort du général de Gaulle.

– Ayant terminé, et beaucoup aimé, le Retour à Brideshead de Waugh, je suis revenu à Dombrovski : Le Singe vient réclamer son crâne ; cependant que Catherine, de son côté, dévore littéralement La Faculté de l'inutile. J'ai commandé tout à l'heure deux autres romans de Waugh, Grandeur et décadence et Les Corps vils.

– C'est demain que Catherine, toujours elle, a rendez-vous avec le Dr Émilie Bram, tabacologue de son état. Nous avons d'ores et déjà prévu un apéritif demain soir, afin d'enterrer dignement notre vie de fumeurs (et de buveurs, au moins pour quelque temps, car chacun sait qu'il est fort périlleux de boire lorsqu'on vient de se désengluer du tabac).


Lundi 10 novembre

Neuf heures. – Les lecteurs les plus subtils de ce journal, voyant l'heure de cette entrée, auront compris que, comme je l'annonçais hier, apéritif fut pris.

– Qu'est-ce qui m'a poussé, cet après-midi, à sortir de son étagère le volume “Baudelaire” de la Pléiade, dans un premier temps pour en relire la préface ? Je ne sais plus. Je possède malheureusement le “Pléiade 1975”, avec la préface de Pichois, qui ne vaut absolument rien, n'apprend rien, etc. Je suppose, pour reprendre ce que m'en disait il y a peu Michel Desgranges, que les préfaces de cette collection, avant, étaient là pour apprendre des choses à des gens qui connaissaient déjà Baudelaire. Et, en effet, je possède un certain nombre de Pléiade des années cinquante ou soixante, dont les préfaces, introductions, etc, sont tout à fait remarquables.

Bref. J'ai eu envie, soudain, et je ne sais toujours pas pourquoi, de revenir à Baudelaire. Il m'a d'abord semblé que lire autour de Baudelaire me suffirait. Et puis non : j'ai décidé de faire ce que je n'ai finalement jamais fait : lire Les Fleurs du Mal du début à la fin, sans coupure ; se mettre sous la coupe de Charles Baudelaire, quel que soit le temps que ça prenne. C''est ce que j'ai commencé à faire, et qui, d'une certaine manière, m'a ramené à une jeunesse dont je ne saurais trop quoi dire. Baudelaire EST ma jeunesse : je tâcherai d'y revenir, si toutefois je comprends moi-même ce que je suis en train de dire.


Mardi 11 novembre

Sept heures cinq. – Avec un assez bel ensemble, les blogueurs les plus asilaires de la gauche irresponsable ont grimpé dès ce matin dans leur petit marronnier du 11 novembre, afin d'y glorifier les “mutins” de 1917, d'y fustiger bellement les “viandards” de l'état-major, traités aussi, fort traditionnellement, de “planqués” (on suppose que, dans l'esprit éternellement adolescent de ces gentils pitres, une guerre peut se gagner en envoyant tous les généraux dans les tranchées et en ne laissant plus à l'état-major que des des cantinières et des estafettes). Laissons-les faire et dire : tant qu'ils s'occupent de rejouer la guerre de 14, dont la plupart semble d'ailleurs à peu près tout ignorer, ils ne sont pas en train d'envoyer des bouteilles d'acide et des cocktail Molotov à la face des forces de l'ordre.

– J'ai donc relu Les Fleurs du Mal, hier et aujourd'hui, plus une douzaine des poèmes en prose du Spleen de Paris ; ce qui, évidemment, m'a donné l'envie de reprendre l'article de Proust consacré à ce poète, et dont je me souvenais qu'il se trouve dans le volume du Contre Sainte-Beuve de la Pléiade. Et, tout aussi naturellement, j'ai rapidement fini par relire le Contre Sainte-Beuve lui-même. Comme, juste avant, j'avais rapidement parcouru d'autres articles de critique de ce même Proust, dont un consacré à Tolstoï, j'ai ressorti Anna Karénine de son rayonnage, dont je ne suis pas certain de l'avoir jamais lu jusqu'au bout. Moi qui croyais en avoir fini pour un moment avec les Russes…

– Le Dr Bram (Émilie) a dit hier à Catherine qu'il n'était pas normal qu'elle fût, depuis quelque temps, essoufflée lorsqu'elle marchait, même sur chemin plat, et qu'elle préférait, avant de s'attaquer à la question du sevrage tabagique, qu'elle aille consulter son cardiologue. C'est pourquoi nous ferons, demain midi, un saut jusqu'à Neuilly afin d'y rencontrer le Dr Jobbé-Duval. Les médecins, c'est comme les lectures : on en fréquente un en pensant sincèrement qu'on va s'en tenir là, mais voilà qu'il en entraîne trois autres, qui eux-mêmes, etc. ; tout cela probablement sans interruption jusqu'aux soins palliatifs terminaux.


Mercredi 12 novembre

Sept heures dix. – Nous avons fait, ce matin, un aller-retour à Neuilly pour rien, le Dr Jobbé Duval ayant affirmé à Catherine qu'elle aurait pu se dispenser de venir le consulter et qu'il se serait alors fait un plaisir de lui envoyer un petit mot d'introduction pour la clinique ébroïcienne où il l'envoie subir une scintigraphie. Auparavant, mes Puissances avaient trouvé le moyen d'avoir besoin de mes services, et j'ai écrit cinq mille signes à bride abattue, entre neuf heures et demie et dix heures et demie ; à propos de Nabilla…

Le reste de la journée a heureusement été plus tranquille. J'ai tout de même eu la jubilation de découvrir, sur un prospectus distribué par la mairie du Plessis-Hébert, qu'existait désormais la profession de ludothécaire ; c'est-à-dire, si j'ai bien compris, un spécialiste des jeux de société : je donnerais beaucoup pour pouvoir assister, in vivo, à la formation que l'on dispense à une classe d'aspirants ludothécaires attentifs. Je me demande si les réparateurs de jouets se nomment désormais des ludologues ou des ludologistes – si tant est que les jouets modernes soient encore réparables, ce dont à la réflexion je doute.


Jeudi 13 novembre

Sept heures et demie. – Journée assez déprimante, car perdue en des activités aussi inintéressantes les unes que les autres.  Il y a d'abord eu la perturbation, la “rupture de routine”, causée par l'électricien venu ce matin pour tenter de résoudre le problème de la télécommande de la VMC, qui ne fonctionne plus (la télécommande, pas la VMC) ; problème bien évidemment non résolu, mais il doit revenir demain…

Ensuite, sitôt notre semblant de déjeuner avalé, nous avons filé à Évreux. Il s'agissait tout d'abord d'aller m'acheter deux pantalons ; évidemment, comme 90 % des hommes et 10 % des femmes (pourcentages lancés au hasard, mais qui ne doivent pas être bien loin de la vérité, j'ai une sainte horreur de ces séances d'essayage qui ne sont que perte de temps, sans compter le ridicule consistant, dans une cabine presque toujours trop exiguë, à enlever puis remettre un pantalon trois ou quatre fois de suite, pour ensuite, au milieu de la boutique, aller subir les commentaires avisés de l'épouse et du vendeur.

Mon horreur des hypermarchés est encore plus grande, c'est pourtant là que nous fûmes ensuite. Je ne puis rien dire non plus, puisqu'il s'agissait essentiellement d'acheter pour moi les pots de cancoillotte qu'on ne trouve quasiment plus ailleurs. Après, il fallait encore se rendre à la “Coop bio” pour y faire l'emplette de je ne sais quoi ; mais, là, je suis resté dans la voiture, à écouter la musique brésilienne que diffusait alors France-Musique. Lorsque tout cela fut accompli, il était plus de quatre heures et demie, les travailleurs avaient commencé à sortir de leurs antres de labeur et c'était le bordel au moindre rond-point. Une fois rendu à la maison et à une vie normale, il me restait tout juste assez d'énergie intellectuelle pour remplir la grille de mots croisés de Valeurs actuelles. Le seul point positif de ce jour, c'est que FD n'a exigé aucun travail de ma part.


Vendredi 14 novembre

Sept heures et demie. – Ce matin, descendu à Pacy pour en rapporter du pain, j'ai poussé jusqu'à la maison de la presse ; j'en suis ressorti avec un carnet sans spirale de format moyen (je veux dire : pas le plus petit) et un grand cahier à carreaux “écoliers” de 196 pages ; tous deux de la marque Clairefontaine, que j'aime depuis longtemps. De retour à la maison, de manière tout à fait symbolique, j'ai noirci les deux tiers de la première page du cahier, avec l'introduction de la première scène du premier chapitre de mon futur et très hypothétique roman. Dit comme cela, on pourrait penser que le plan en est déjà tout construit dans ma tête, voire couché sur le papier ou sur l'écran : il n'en est rien. Si je sais à peu près ce que devrait être la première scène, j'ignore absolument quelle sera la deuxième, ni même s'il y en aura une ; quant aux chapitres suivants… En fait, je dispose de quelques scènes que je pense devoir faire, le plus souvent sous forme de dialogues, mais je n'ai le moindre début d'idée quant à la façon de les accorder ensemble. Je me demande si je ne devrais pas, dans un premier temps, écrire “ce qui vient” dans le désordre, sans me soucier de l'après. Entasser briques et moellons, en tas dans un coin ; et, ensuite, ensuite seulement, tâcher de voir si j'ai de quoi construire ma petite maison ; puis, tenter de la bâtir effectivement.

Quant au carnet, il est destiné à prendre place dans ma poche lorsque je quitte la maison : j'en ai un peu assez de laisser s'évaporer dans l'air des idées qui me viennent, des développements qui s'ébauchent, des pistes qui s'entrouvrent, etc. Je suis résolu, désormais, à tout noter à mesure. Un autre carnet a pris place tout-à-l'heure, près de mon fauteuil, au salon. En somme, me voilà paré et sur rail : n'ai plus qu'à.


Samedi 15 novembre

Sept heures vingt. – Que peut-on dire d'une journée agréable, mais qui le fut précisément parce qu'il ne s'y passa rien de notable, au sens propre de ce mot ? On a fait un brin de vaisselle dès potron-minet, pendant que Madame bonne-du-curisait ; on a reçu par porteur spécial Les Manants du roi de La Varende, commandés seulement hier, et on s'est ébahi de cette célérité ; on a travaillé une petite heure sur la table de la salle à manger, et les phrases venaient en bougonnant ; ; on a répondu à un lecteur du blog, à propos d'Evelyn Waugh ; on a sandwiché – rosette et chaource, mais séparément – sur le coup d'une heure, debout dans la cuisine, à regarder sans la voir la pelouse impeccable de la voisine ; on a fini de lire Grandeur et décadence, du Waugh de tout à l'heure ; on a rempli une grille ; on a dîné – et voilà. Que pourrait-on bien tirer de cela ?

– Tout à l'heure, appel téléphonique de l'Héritière, la fille des Pluton, qui viendra passer le prochain week-end ici ; elle nous arrivera samedi midi, venue directement de son hôpital de Villejuif après quarante-huit heures de garde : il y a de la sieste dans l'air…


Dimanche 16 novembre

Sept heures et demie. – J'ai momentanément délaissé Waugh pour La Varende, et bien m'en a pris : les histoires qui composent Les Manants du roi sont excellentes ; moins que des nouvelles, il s'agit en fait des différents chapitres d'une même histoire, dont certes les personnages changent de l'un sur l'autre, mais où les “fils rouges” sont suffisamment forts (la Normandie, la terre, la famille de Galart, la fidélité au roi, etc.) pour assurer la cohésion de l'ensemble et qu'il émane de lui, de cet ensemble, un parfum unique et irrésistible (irrésistible pour moi, évidemment).

– Travaillé une petite heure pendant la messe (je veux dire bien sûr : pendant que Catherine était à la messe). Ce n'est pas assez : deux heures pleines seraient nettement préférables.


Mardi 18 novembre

Onze heures du matin. – Pas de journal hier soir, pour une raison simple et nouvelle : en arrivant à ce bureau (après la soupe aux vermicelles…), j'ai ouvert le grand cahier et j'ai scribouillé durant environ une heure. Comme, en outre, j'ai créé il y a deux ou trois jours, un nouveau journal – ou une annexe à celui-ci – dans lequel je veux noter tout ce qui a un rapport direct avec mes petits travaux d'écriture actuels, c'est dans cette annexe que je suis allé ensuite, si bien qu'il ne me restait plus assez de temps pour venir ici après, sous peine de manquer le début du chef-d'œuvre qui m'attendait à la télévision (et dont j'ai déjà oublié ce qu'il fut).

De toute façon, je n'avais pas grand-chose à noter, hormis les sempiternels deux feuillets que j'ai expédiés pour FD (à propos de “Miss Orléanais”, laquelle a dû subir une greffe du cœur à quinze ans, ce qui en effet ne doit pas être si fréquent, j'imagine), et ma lecture des Manants du roi de La Varende, puis du dernier numéro du Débat, arrivé le matin même dans la boîte aux lettres.

– À propos de mon “journal annexe”, je me suis fait rire tout seul, hier, tandis que je le remplissais, en me disant que, si mon hypothétique roman décrochait un encore plus hypothétique prix Goncourt, on pourrait dans la foulée publier le journal s'y rapportant, ce qui permettrait de “gratter” quelques euros de plus. Comme quoi la soupe aux vermicelles tendrait à favoriser le délire des natures qui y sont prédisposées.


Jeudi 20 novembre

Neuf heures et demie du matin. – Voilà trois jours de suite que je m'éveille dans les mêmes dispositions d'esprit, assez peu agréables. En fait, je crois bien qu'à ce moment-là, je ne suis pas encore tout à fait éveillé ; toujours est-il que ma première pensée (si, donc, c'est bien d'une pensée qu'il s'agit) est pour mes petits travaux actuels ; et il m'apparaît avec une clarté intense que je suis en train de me fourvoyer, que mes prétentions sont ridicules, que tout cela va s'arrêter très vite, ou bien sombrer dans le ridicule, ou encore dans l'ennui le plus profond, dans la mesure où je n'ai strictement rien à raconter, ni les moyens de le faire de toute façon, que je perds mon temps de la façon la plus vaine qui soit, etc. En revanche, je n'en tire jamais (pour l'instant…) la conclusion qu'il me faut abandonner cette voie de garage dès maintenant, et, le soir venu, je rouvre le cahier pour y faire ma petite page d'écriture.

– Comme la Poste m'a apporté deux nouveaux romans de Waugh, j'en ai ouvert un hier, Ces corps vils (Vile Bodies) : pour le moment – j'en ai lu un gros tiers –, il me convainc moins que Retour à Brideshead, mais cela reste une lecture réjouissante tout de même. Cela étant, je sens bien qu'il va me falloir abandonner cet écrivain assez vite, si je ne veux pas risquer l'indigestion fatale (fatale pour lui).

(Je me suis posé une question en mettant en forme le paragraphe précédent : dans la mesure où les les titres de livre ET les mots ou expressions étrangers réclament l'italique, est-ce que le titre du roman de Waugh que j'ai indiqué en anglais n'aurait pas dû être écrit en “italique au carré”, c'est-à-dire en romain ? Léger vertige…)


Vendredi 21 novembre

Trois heures et demie. – Je viens de tondre le jardin pour la dernière fois de la saison (mon italique est d'ironie car je crois que, dans ce journal, c'est la troisième fois que je fais cette espèce de proclamation). Juste avant, probablement réveillées en sursaut par un méchant cauchemar, mes Puissances s'étaient brusquement souvenues de mon existence : me voilà avec cinq mille signes à écrire à propos de Patrick Sébastien… à condition que les dites Puissances me confirment qu'elles veulent réellement cet article, car je me suis empressé de leur signaler que, ces vingt dernières années, j'avais bien déjà dû l'écrire une demi-douzaine de fois, sans préjuger de ce qu'ont pu faire mes chers confrères.

– Me livrer à mes petits travaux de broderie une heure le soir (de sept à huit, en gros) est vraiment trop peu : j'ai décidé qu'à compter d'aujourd'hui, j'y consacrerai également l'heure qui sépare le repas de Bergotte du nôtre : ça va y aller du napperon et du mouchoir de batiste…

Huit heures. –  À ma propre satisfaction, je me suis dès ce soir, tenu à ce nouveau rythme ; et, ma foi, je n'en suis pas peu fier. Évidemment, il y aura une première entorse dès demain, puisque nous recevons Nathalie, dite l'Héritière, la fille des Pluton, qui vient passer le week-end ici pour se reposer un peu de sa vie trépidante d'interne des hôpitaux parisiens (est-elle bien interne, au fait ? Penser à lui demander demain). Mais je compte fermement reprendre le rythme dès lundi.


Samedi 22 novembre

Six heures. – L'Héritière est arrivée comme prévu à midi et demie, à Évreux. Comme elle sortait d'une longue garde hospitalière, elle n'a pas tardé, après le déjeuner, à aller s'allonger pour une petite sieste, qui ne fut pas si petite que cela. Lorsqu'elle a réapparu, Catherine et elle (et Bergotte) sont allées faire le tour du village à pied ; j'ai mis ce temps à profit pour venir ici, m'occuper de mes diverses pages d'écriture imposée.


Dimanche 23 novembre

Midi. – Catherine et l'Héritière sont descendues à Pacy, notamment pour en rapporter du pain, mais aussi, un peu, pour se dégourdir les jambes. La soirée d'hier a été très agréable, notamment grâce à Nathalie, jeune femme charmante, intelligente et volontiers rieuse ; même si Catherine s'est désolée de ce que sa tatin d'endives au fromage de chèvre fût “ratée”, qualificatif d'ailleurs très exagéré : elle était simplement moins réussie que ce qu'elle a déjà été. Mais c'est une règle quasiment intransgressible : les plats que Catherine mitonne lorsque nous avons des hôtes sont toujours moins réussis que lorsqu'ils n'ont qu'elle et moi pour témoins de leur perfection. Qu'importe : l'âme du vin chantait dans les bouteilles…


Mardi 25 novembre (Sainte-Catherine)

Dix heures du matin. – La conséquence de mon changement d'emploi du temps, le fait que je consacre désormais l'après-dîner à autre chose entraîne une sorte de désaffection de ce journal-ci, que j'ai tendance à oublier. Il y a peut-être aussi le fait que je n'ai à peu près rien à y consigner ; sinon le fait, minuscule, que j'ai momentanément abandonné Waugh pour revenir à Tallemant des Réaux.

– Bon, tout de même : Catherine a arrêté de fumer ce matin (je ne sais si elle s'est avisée de ce qu'elle choisissait le jour de sa fête pour cela). Je suis censé faire la même chose dès que j'en aurai fini avec les trois ou quatre paquets de cigarettes qui nous restent (faut pas laisser perdre !). En attendant, je ne fume qu'en cachette d'elle et, bien entendu, surtout pas dans la maison. Cela ne vaudra d'ailleurs qu'à partir de cet après-midi puisque, ce matin, elle avait rendez-vous à neuf heures et demie à la clinique Bergouignan d'Évreux, afin d'y subir une scintigraphie, examen pénible dans la mesure où il dure cinq heures en tout et que, sur elles, on en passe facilement trois et demie à attendre sans que rien ne se passe. Mais enfin, ce que je voulais dire était que, durant ce temps, je puis continuer à fumer comme bon me semble.


Jeudi 27 novembre

Midi vingt. – Catherine “tient” et, contrairement aux fois précédentes, la privation de tabac ne semble pas (trop) lui mettre les nerfs en pelote : peut-être est-ce par la vertu des extraits de plantes que lui fait ingurgiter la tabacologue depuis deux ou trois semaines. Quant à moi, je suis donc passé de fumeur à crypto-fumeur ou, si l'on préfère, à fumeur-en-cachette. Le résultat me convient pour l'instant puisque, de près d'un paquet par jour, je suis descendu à environ huit cigarettes. Mais va forcément arriver un moment où j'en aurai assez de ce petit jeu : il devrait logiquement être celui où je déciderai à mon tour d'arrêter complètement, plutôt que de devoir continuer mes petites ruses – ruses dont Catherine n'est évidemment pas dupe une seconde ; mais ce qui lui importe, en tout cas pour l'instant, c'est de n'avoir pas de tabac sous les yeux et de ne pas me voir fumer : je pense que cette partie du contrat est respectée.

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