vendredi 28 novembre 2014

Octobre 2014











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Mercredi 1er octobre

Midi. – Une fois de plus, comme il arrive au moins quatre mercredis sur cinq, c'est tout à fait pour rien que je suis venu ce matin jusqu'à Levallois. Du coup, me voici plongé dans le neuvième livre des Confessions de Rousseau, dont le volume traîne sur ce bureau depuis plus d'un an, peut-être même deux, et que je lis ainsi, par bribes, lorsque le temps professionnel me devient long.

– Catherine m'a tout à l'heure envoyé un mail pour me dire qu'elle irait rechercher Golo à cinq heures moins le quart aujourd'hui, à la clinique vétérinaire de Saint-Aquilin ; ce qui semble signifier qu'il est sauvé et que notre bévue de dimanche soir n'aura pas d'autres conséquences. Sur ce, je retourne à Jean-Jacques.

Sept heures et demie. – Golo a été récupéré à l'heure dite : il va bien.


Jeudi 2 octobre

Sept heures et quart. – J'ai, quasiment d'un même mouvement, cet après-midi, terminé Rue des Maléfices et abandonné les Mémoires de Sakharov, lequel fut sans doute un remarquable physicien et une grande conscience de la dissidence, mais se révèle un piètre mémorialiste ou, à tout le moins, un mémorialiste ennuyeux. Pour ne pas quitter la Russie, j'ai lu les quarante premières pages des Enfants de l'Arbat qui, eux, s'annoncent fort bien ; il y a, dans la vivacité des scènes et des dialogues quelque chose qui me rappelle La Faculté de l'inutile de Dombrovski, mais il est vrai que j'ai lu ce roman il y a fort longtemps – je dirais : plus de trente ans.

En ce qui concerne Jacques Yonnet, j'avais le souvenir que le “codicille” formé par le dernier chapitre, et ajouté une douzaine d'années après le reste du livre, m'avait déçu, lors de ma première lecture. Il n'a pas manqué de le faire de nouveau cette fois-ci, et je pense qu'il faut en tenir pour responsable une écriture qui a perdu de son naturel avec les années, qui s'est inutilement tarabiscotée jusqu'à devenir un peu m'as-tu-vu.

(Et Catherine va encore me reprocher de ne plus parler que de mes lectures en ce journal…)

– Mes lectures, on y reste encore un peu puisque, en guise de travail, mes vénérés chefs m'ont demandé d'acheter et de lire le livre que publie aujourd'hui Depardieu, Ça s'est fait comme ça. Aller l'acheter à Pacy m'a pris une vingtaine de minutes, en lire les 170 pages en gros caractères et avec beaucoup de “blanc” à peine davantage. C'est absolument nul et non avenu, des lambeaux de souvenirs disjoints, assortis de considérations filandreuses sur la vie, l'amour, les vaches ; avec, en outre, lorsqu'il évoque son enfance castelroussienne, une complaisance dans le sordide assez pénible, quand ce n'est pas dans le gore. Même pour FD, il n'y a rien à tirer de cet opuscule, vite fait, mal fait.


Vendredi 3 octobre

Sept heures vingt. – Comme je ne leur ai rien celé de ce que je pensais de l'ouvrage depardivin, mes puissances ont décidé de ne pas décider, c'est-à-dire d'attendre lundi pour statuer sur le sort du livre (article ou pas ?), notamment en fonction de ce qu'aura fait Ici-Paris. N'ayant, de ce fait, rien à produire pour FD, j'en ai profité pour tondre le jardin, ce qui devait être fait de toute manière.

– Rien ou presque au chapitre des lectures : ayant reçu ce matin les derniers numéros de Valeurs actuelles et de Causeur (j'avais d'abord tapé Closer…), je me suis contenté de lire, assez paresseusement, ces deux publications – surtout la seconde, en fait, car, pour ce qui est de la première, je ne m'y intéresse quasiment plus qu'à la grille de mots croisés : il va être temps que cet abonnement prenne fin.


Samedi 4 octobre

Sept heures et demie. – Je n'ai pu résister à l'envie de suspendre ma lecture des Enfants de l'Arbat pour me plonger dans La Connaissance inutile de Revel, arrivée hier au courrier. Quel implacable réquisitoire contre la gauche et ses illusions, sa mauvaise foi, ses mensonges et ses aveuglements ! Je n'arrive pas du tout à me souvenir des réactions qu'entraînait à l'époque – le livre est de 1987 – la sortie de ses ouvrages ; ce n'est pourtant pas si ancien. Je retrouve dans celui-ci cette dualité de sentiments, de ma part, que je crois bien avoir notée à propos du précédent que j'ai lu de lui : d'une part la jubilation de le voir frapper si juste et de planter ses flèches là où ça fait mal, d'autre part la tristesse de constater que, un gros quart de siècle plus tard, rien ou presque n'a changé – et même que certaines des aberrations qu'il pointe, l'antiracisme institutionnel par exemple, n'ont fait qu'aller en empirant, jusqu'à l'absurde le plus ébouriffant.

– Sinon, Catherine avait, ce soir, mitonné un pavé de cabillaud (préalablement macéré dans le sel pour en raffermir les chairs) en croûte de chorizo, accompagné par des poireaux émincés et compotés à la perfection, qui plus est arrosés d'un jet de cette huile d'olive que nous avons achetée au monastère Sainte-Madeleine lorsque nous sommes allés chez les Pluton : « C'était péché ! », comme disent (ou disaient…) paraît-il les Québécois. À ce propos, nous n'avons pas réussi à déterminer s'il valait mieux écrire péché ou pécher, dans la locution précédente, même si nous penchions tous deux pour le participe.


Dimanche 5 octobre

Sept heures et demie. –  Journée parfaite : lecture + lecture + lecture, et lapin à la moutarde pour clore le tout.


Lundi 6 octobre

Huit heures et demie. – En dehors du fait que nous avons vingt-trois ans et demi de différence d'âge, je ne vois pas pourquoi il serait normal que mon père soit mort avant moi, ce qu'il a pourtant fait. D'un autre côté, mourir le premier m'aurait sans doute arrangé, moi, mais cela aurait probablement semé la désolation dans toute la famille, ce que jamais je n'ai souhaité. Et, même, est-ce que cela m'aurait réellement arrangé ? En d'autres termes, est-ce que la mort de mon père m'a si bouleversé que cela ? On dirait bien que non. Elle va bientôt remonter à un an, cette mort, et je n'ai toujours pas versé la moindre larme sur elle. il m'arrive pourtant d'essayer : certains soirs, je convoque l'image de Daniel Goux, je la fixe face à moi, je tente d'éliminer toute distraction autour, temporelle ou spatiale, pour voir ce qui va m'arriver. – Il ne m'arrive rien ; je demeure ainsi, regard fixe et sans doute vide, à penser à mon père, à convoquer ce mot : père… père… père, et rien ne se passe : pas de regret, pas de larmes, aucun chromo d'enfance ; rien.


Mardi 7 octobre

Sept heures vingt. – Ce qui ne se produit, croyais-je, quasiment plus jamais avec les voitures modernes m'est arrivé aujourd'hui : crevaison. Ce matin, au moment de partir, il m'avait bien semblé que mon pneu arrière gauche était un peu “affaissé”. Mais comme, durant les premiers kilomètres, Liselotte s'est comportée exactement comme d'habitude, j'ai cessé d'y penser. Jusqu'à ce que, me doublant sur l'autoroute, un homme ralentisse à ma hauteur pour me faire comprendre par gestes que j'avais effectivement un problème à cette roue. J'ai passé la matinée à me demander comment j'allais me sortir de ce guêpier, si jamais je retrouvais la voiture avec un pneu totalement à plat, au troisième sous-sol de l'immeuble Lagardère. Heureusement, à deux heures, bien que fort mou, il n'était pas plus, ou pas beaucoup plus dégonflé que quelques heures auparavant, ce qui m'a permis de rallier Pacy sans encombres ; là, j'ai filé droit au garage Renault, où j'ai mes habitudes depuis quinze ans, et où le chef d'atelier a rapidement repéré le petit clou fiché dans la gomme. Réparation fut faite en un gros quart d'heure, et me voici donc avec une voiture toute neuve. Tout cela ne m'a presque rien coûté, mais j'ai été averti qu'il me faudrait changer les deux pneus avant d'ici deux à trois mille kilomètres. Et des pneus de Liselotte, ça douille

– Les autorités d'Enquêtes ont refait surface cet après-midi pour me demander de leur écrire un papier “animaux”. Apparemment il y a eu de gros changements chez eux, puisque Rochechouart a quitté le journal, dont il était jusque-là le directeur. Je n'ai pas demandé s'il était parti pour de plus hautes destinées ou s'il avait été viré comme un malpropre : cela ne me regarde ni ne m'intéresse plus que cela. Ce que j'espère c'est que cette reprise de collaboration n'est que l'amorce de quelque chose de régulier : sept ou huit cents euros de plus chaque mois ne feraient pas de tort aux finances domestiques…


Mercredi 8 octobre

Sept heures vingt. – Il fait presque nuit, et tombe une pluie lourde et lente, tellement épaisse qu'elle ne ruisselle qu'à grand-peine sur le carreau de cette pièce donnant à l'ouest : joie profonde de l'automne.


Jeudi 9 octobre

Sept heures et demie. – J'arrivais tout juste à la conclusion d'un long paragraphe, ici même, lorsque, à la suite probable d'une manœuvre aussi hasardeuse qu'involontaire, un écran m'est apparu, me demandant de confirmer ou d'infirmer la “fermeture de cette page” ; je m'apprêtais bien entendu à la supplier de n'en rien faire, quand la dite page a disparu avant que j'aie eu le temps de cliquer sur quoi que ce fût. Naturellement, lorsque j'ai rouvert ce journal, tout avait disparu de ce que je venais d'écrire. Et je n'ai nulle envie de recommencer. De toute façon, ce n'était que de semi-pleurnicheries à caractère professionnel : sans intérêt.

– J'ai regardé hier soir les trois premiers épisodes de la première saison de House of Cards : débuts fort excitants. Le couple vedette, Kevin Spacey – Robin Wright est parfait, la seconde en particulier, merveilleusement glaçante. Et, une fois de plus, je me suis demandé pourquoi les Américains étaient capables d'imaginer et de créer autant de séries de haut niveau, souvent bien supérieures aux films de Hollywood, cependant que nous autres, Français, ne parvenions à produire que de consternantes bouses audiovisuelles. Il est vrai que si, soudain, les responsables de notre télévision s'avisaient d'en proposer une bonne, de série, je n'en saurais sans doute rien, me gardant bien d'y aller voir lorsqu'une nouvelle apparaît.

– Terminé Les Enfants de l'Arbat ; j'attends la suite, intitulée La Peur, qui se déroule en 1937, au moment des grandes purges staliniennes, le précédent se terminant le 1er décembre 1934, jour de l'assassinat de Kirov, probablement sur ordre de Staline ; c'est du moins, assez nettement, l'option qui ressort du roman de Rybakov. En attendant ce deuxième volume, et pour rester “dans l'ambiance”, j'ai ouvert les mémoires de Boukovsky, Et le vent reprend ses tours.


Vendredi 10 octobre

Huit heures. – Parce que Boukovsky évoque à plusieurs reprises le quartier de l'Arbat, “cher à mon cœur”, il m'a ramené quelques jours en arrière et aux Enfant de l'Arbat de Rybakov, terminés hier ou avant-hier. Mais quand je suis arrivé à un paragraphe où il évoque les chansons de Boulat Okourdjava, c'est un saut de presque 40 ans dans le passé que j'ai fait, à cette époque où Carlos, qui étudiait le russe au lycée Pothier d'Orléans, me l'avait fait découvrir, et où j'avais acheté le seul disque de lui qui était alors disponible par chez nous. Du coup, me voici dans ce journal au son de cette langue russe que j'ai toujours aimée pour ses sonorités, sans rien y comprendre évidemment. Je ne me souvenais même pas d'avoir transféré Okoudjava dans l'iPod ; pourtant, il y est bel et bien.


Lundi 13 octobre

Sept heures et demie. – Cela fait deux semaines consécutives que les Puissances ne m'envoient de travail à faire ni le vendredi ni le lundi. Il va de soi que je ne songe nullement à m'en plaindre, me contentant de m'en étonner ; et encore : seulement ici et à voix très basse.

– Depuis deux jours que je ne suis pas venu dans ce journal, j'ai terminé les mémoires de Boukovsky, livre remarquable surtout par la personnalité qu'il dévoile : il est rare, somme toute, de rencontrer une telle force de caractère. Comme, décidément, je n'avais pas envie de quitter les Russes, j'ai rouvert ceux, de mémoires, de Nadejda Mandelstam, dont je ne gardais pas grand souvenir, à tort : là encore, il s'agit d'un livre d'une grande intelligence et d'une profonde honnêteté, qui met douloureusement à nu l'enfer que fut cette époque, 1934 – 1938, en Russie communiste. Hélas pour Nadejda, le tome deux des Enfants de l'Arbat (sous-titré La Peur) est arrivé au courrier ce matin, et je m'y suis immédiatement plongé. Je finirai Contre tout espoir ensuite (ce n'est même pas certain, puisque je viens de commander le troisième et dernier tome du livre de Rybakov, ainsi qu'un autre de Boukovsky, dont le titre m'échappe pour le moment…).


Mardi 14 octobre

Sept heures et quart. – Parce que, en vue d'un article prévu pour le prochain numéro, il me fallait m'appuyer les six cents pages serrées de la biographie de Truffaut par Toubiana et de Baecque, j'avais obtenu sans mal l'autorisation de rester chez moi demain, ce qui me convenait fort. Las ! Une rédactrice s'étant déclarée malade (qu'elle soit maudite jusqu'à la septième génération), c'est à moi qu'on refile le livre qu'elle devait lire : il me faut donc l'aller chercher demain à Levallois. Cette fausse “permission d'immobilité” m'a au moins permis d'être tout guilleret durant quatre ou cinq heures…

Elle est apparemment très bien, cette biographie de Truffaut, au vu des cent pages que j'ai parcourues cet après-midi, très complète, intelligemment construite, écrite en français, etc. Le problème est que le cinéma de Truffaut ne m'a jamais beaucoup intéressé, et que je trouve au bonhomme des côtés assez antipathiques, notamment celui d'ayatollah du septième art qu'il s'était arrogé à l'époque des Cahiers du cinéma. On la lira néanmoins… mais très vite et sans enthousiasme excessif.


Jeudi 16 octobre

Sept heures dix. – Depuis mardi après-midi, l'essentiel de mon temps a été englouti par FD, ce qui n'est pas si fréquent. D'abord, il m'a fallu lire, un peu en diagonale, certes, la biographie truffesque dont j'ai déjà parlé : elle a été terminée dans le courant de l'après-midi d'aujourd'hui. Hier, j'en avais interrompu la lecture pour me consacrer au dernier livre de Patrick Sabatier : les interviews de vingt “personnalités” sexagénaires, à qui ce zélote des zélites demande comment elles ont passé le cap de la soixantaine. C'est vertigineux d'inintérêt, bien qu'il soit amusant de voir tous ces histrions prendre prétexte du thème – comme ils auraient sauté sur n'importe quel autre, on le devine aisément – pour se glorifier eux-mêmes sous couvert de feinte modestie.

Maintenant, il reste encore à écrire six mille signes de Truffaut et cinq mille de Sabatier d'ici lundi soir. Or, comme un fait exprès, tout cela tombe précisément le week-end où je ne pourrai pas m'y consacrer du tout, puisque samedi après-midi nous arriverons Jacques Étienne et sa compagne, ainsi que Rémi ; ce qui implique que, le matin, j'aurai été requis par Catherine pour me livrer à diverses tâches ménagères, puisqu'elle-même sera retenue toute la matinée au presbytère. Enfin, je devrais tout de même m'en tirer sans surmenage.

Au milieu de tout cela, j'ai fait une visite au Dr Dieudonné, dentiste pacéen de son état : il y a trois jours, à l'issue d'un dîner, mon bout de langue m'a informé que je venais de perdre un éclat de molaire, en haut et à gauche : la praticienne a diagnostiqué une carie, qu'elle s'est employée illico à faire disparaître (j'ai encore, à plus de sept heures, le demi-maxillaire plus ou moins “gelé”).


Samedi 18 octobre

Trois heures. – Comme toujours lorsque nous nous apprêtons à recevoir du monde – Jacques Étienne et sa compagne devraient arriver ici dans une couple d'heures, et Rémi un petit peu plus tard –, nous venons d'employer deux jours à des activités aussi nécessaires que peu engageantes, la principale étant bien entendu de faire le ménage partout où les invités sont susceptibles de poser le pied, et surtout les regards. Catherine a aussi passé beaucoup d'heures dans la cuisine, de manière à ne presque plus rien avoir à faire lorsque sonnera l'heure de l'apéritif (son bœuf aux carottes s'annonce comme une véritable tuerie…). Et j'ai, quant à moi, profité du temps quasiment estival (“l'été indien”, diront les imbéciles) pour tondre le jardin, en caressant l'espoir que ce serait la dernière fois de la saison, ce qui n'est pas du tout assuré. Ensuite, j'ai mis diverses bouteilles au frais : crémant d'Alsace, riesling, chablis et pinot noir, après avoir passé l'aspirateur dans la maison principale. Bref, nous sommes parés.

En plus de ces occupations ménagères, j'ai écrit hier sept mille signes sur François Truffaut, et cinq mille à propos de Patrick Sabatier, juste avant de venir noter tout cela ici même. Je me demande par quelle espèce de miracle j'ai encore trouvé le temps d'avancer dans ma lecture du second volume des Enfants de l'Arbat.

Quatre heures. – J'ai oublié, tout à l'heure, une tâche essentielle, lorsqu'on est un blogueur fumeur : le nettoyage à fond du clavier de l'ordinateur, dont les touches deviennent rapidement immondes, au cas où l'un ou l'autre des invités serait pris soudainement d'une fureur de claviotage…


Lundi 20 octobre

 Sept heures dix. – Le week-end fut agréable – grâce à nos hôtes – et fatigant – à cause de l'alcool ingéré samedi soir, puis dimanche tout au long de la journée. Maître Jacques est arrivé avec, dans son coffre, tous les outils nécessaires à la fixation, près du portail, de la grosse cloche de marin dont Catherine avait fait l'acquisition quelques semaines plus tôt. Quant à Rémi, il était porteur de deux exemplaires de son livre, Berthe au grand pied, que publient demain les Belles Lettres et qu'il nous dédicaça, à Jacques et à moi (à nous plutôt, puisque Catherine figure elle aussi dans la dite dédicace) Durant ces deux jours, nous avons bénéficié d'un temps exceptionnellement clément, presque estival. 

– Aujourd'hui, la journée fut plus tranquille, bien que j'aie été réquisitionné pour creuser un trou dans le jardin, afin que Catherine puisse y installer le pied d'artichaut apporté par Jacques. Après quoi je n'ai plus guère bougé de mon fauteuil, terminant le second volume des Enfants de l'Arbat, avant de repasser à Boukovsky. Et, pour parfaire cette ambiance russe (Catherine lit le premier tome du roman de Rybakov), nous avons dîné d'un excellent borchtch.

– Demain, Levallois hélas…


Mardi 21 octobre

Sept heures et quart. – Je me sens très reconnaissant envers Jérôme Vallet, qui m'a fait parvenir voilà quelques jours une émission d'une heure consacrée au pianiste Pierre-Laurent Aimard, regardée seulement cet après-midi. Cet homme parle d'une manière passionnante et belle de son art, dans un français que l'on aimerait entendre plus souvent, pour reprendre l'expression consacrée. Les sommets de cette heure sont à mon avis les deux séances de travail, la première avec Ligeti, la seconde avec Kurtag, durant lesquelles ont découvre l'interprète en tête-à-tête avec le compositeur qu'il doit jouer ; une expérience dont on se dit, dès la première, qu'elle doit être fort éprouvante pour le pianiste, bien que sans doute infiniment précieuse ; on se dit cela en le découvrant avec Ligeti, charmant vieux monsieur qui, tout en sachant parfaitement ce qu'il veut et ne veut pas entendre, se montre dans l'ensemble fort satisfait de son interprète. Lorsque vient le tour de Kurtag, c'est une espèce de vertige qui saisit alors l'auditeur profane, tant le compositeur apparaît comme une sorte de tyran, extrêmement aimable et bien élevé, certes, mais tyrannique tout de même – ce que d'ailleurs Aimard confessera à mots à peine couverts un petit peu plus tard. Le plus étrange, j'allais écrire : effrayant, pour notre auditeur profane de tout à l'heure, est que lui-même ne saisit à peu près rien des nuances exigées par le compositeur et qui semblent pour lui d'une importance capitalissime, comme écrirait Proust. L'auditeur profane a déjà eu cette même sensation – où il l'aura de nouveau quelques minutes ensuite : je ne me souviens plus du déroulement exact de l'émission – au moment où Aimard discute avec son auteur d'une partition de Boulez. Ce qui est rassurant, c'est que le pianiste, lui, semble comprendre ce qu'on attend de lui, et l'exécuter parfaitement : même le terrible Kurtag finira par se déclarer satisfait.


Mercredi 22 octobre

Sept heures dix. – Commençant un peu à me fatiguer de Rybakov et de ses Enfants de l'Arbat, j'ai saisi tout à l'heure le livre de Rémi Usseil, Berthe au grand pied. Après une soixantaine de pages, je sais déjà que son pari est gagné ; sa langue est fort belle, très harmonieuse, délicatement émaillée d'archaïsmes, lesquels sont dosés avec une précision d'alchimiste : ni trop – ils obscurciraient –, ni trop peu – ils sonneraient comme des incongruités. Le narrateur – qui n'est pas, nous avertit-on en préambule, l'auteur : on se croirait chez Proust — cède régulièrement la place à ses personnages pour des invocations, lamentations, prières ou chansons, lesquelles prennent alors quelques-unes des formes de la poésie médiévale : j'ai repéré à coup sûr des ballades, sans doute un ou deux virelais, un rondeau peut-être. Quant aux autres, il serait bon que je dépoussiérasse mes connaissances en la matière, qui sont à peu près nulles. On sait gré à l'auteur de n'avoir pas contourné la difficulté mais, au contraire, de s'être colleté avec elle. Il y réussi d'ailleurs fort bien : ses poèmes se lisent très agréablement, et il y a une élégance presque villonesque (les références à Villon ne manquent pas, du reste) dans sa façon de couper à 4/6 les décasyllabes de ses ballades. Et c'est bien parce que l'exercice aurait pu être pleinement réussi qu'on a envie de botter le fondement de l'auteur, pour avoir laissé passer un certain nombre de vers “boiteux” (en général, ils ont une syllabe de trop parce qu'il s'est laissé piéger par un e “muet” placé à la césure juste avant un mot commençant par une consonne. En tout cas, et n'ayant pas encore tout à fait atteint la moitié du texte, le lecteur comprend que l'auteur a déjà réussi à refermer sur lui son piège. Dans son introduction, Usseil précise qu'il a pris des libertés avec la légende, ajoutant ici, supprimant là, modifiant ailleurs. Et l'on se dit qu'on n'aura plus l'esprit tranquille tant que l'on ne sera pas allé confronter son texte à l'un ou l'autre des originaux, pour voir, comme on dit au poker. Diable d'homme ! Si on m'avait dit que l'envie me prendrait un jour de retourner aux chansons de geste…

Il faudrait aussi parler de certains des thèmes abordés : la forêt, à la fois maléfique mais aussi lieu d'initiation, et d'une manière toute “moderne” d'introduire les événements possiblement miraculeux. Et puis, l'ours (le roi), l'ermite et le voyer bienveillant. Mais je vais laisser cela pour quand j'aurai achevé ma lecture.

Je pense que j'aurai fini le livre demain. après, il me restera à tenter dans faire une critique pas trop sotte sur le blog, ce qui va encore m'occasionner quelques suées froides, je le sens.


Jeudi 23 octobre

Cinq heures. –  Je viens juste de terminer la chanson de Rémi et j'en sors tout émerveillé. Je peux bien le reconnaître maintenant : je craignais de ne pouvoir faire cette lecture que par devoir d'amitié, en quelque sorte, tant je suis peu attiré par l'univers dans lequel lui se meut avec délices et passion. Et voilà qu'il me vient déjà des frémissements d'impatience de ce Charlemagne dont il m'a fait, le week-end dernier, miroiter la possible parution prochaine ; de même, alors que la minceur de son volume m'avait rassuré lorsque Rémi me l'a donné, je me suis trouvé presque frustré, et de plus en plus nettement à mesure que j'avançais, de ce que son récit ne soit pas plus long, plus touffu, développant d'autres épopées adventices, faisant surgir de nouveaux personnages, etc.

Mais enfin, telle qu'elle est, cette Berthe au grand pied est une superbe réussite, parfaitement maîtrisée et d'un grand agrément de lecture.  J'ai fait allusion, hier, au thème de la forêt ; mais je n'étais pas encore assez avancé dans l'histoire pour en prendre la pleine mesure. Le thème – ô combien médiéval, si mes souvenirs ne m'abusent pas – contribue à structurer tout le récit, formant une sorte d'arche qui le soutient et l'ordonne : c'est au deuxième chapitre que Berthe s'enfonce pour s'y perdre dans la forêt du Mans, c'est à l'avant-dernier que Pépin à son tour y pénètre, mais lui pour s'y retrouver, en quelque sorte, pour y renaître. De fait, ce sont bien deux forêts différentes, ou plutôt deux visages de la même : celle de Berthe est froide, nocturne, annonciatrice du long hiver qui attend la malheureuse héroïne, peuplée de cris effrayants et de bêtes dangereuses (la rencontre avec l'ourse, qui est elle aussi une reine ; et peut-être est-ce pour cela qu'elle épargne Berthe) ; puis voici la forêt de Pépin, printanière, lumineuse, emplie du pépiement des oiseaux, dans laquelle on ne se perd plus mais qui, au contraire, vous mène tout droit à la bien-aimée en prière au pied du calvaire.

Tout cela pourrait être emprunté, artificiel, forcé. C'est au contraire avec une aisance souveraine que Rémi Usseil développe son récit ; au point que le lecteur a de plus en plus de mal, à mesure qu'il avance, à se persuader qu'il ne lit nullement une histoire tirée du néant, mais bien une subtile, et parfois malicieuse, variation d'un récit ayant déjà cent visages et vieux de presque mille ans. Chapeau.


Vendredi 24 octobre

Sept heures. – Après mon intermède gestuel de ces deux derniers jours, je suis finalement venu à bout des mille cinq cents pages des Enfants de l'Arbat en milieu d'après-midi. J'aurais pu passer à Evelyn Waugh, que je n'ai jamais lu, et dont un roman n'attend depuis quelque jours que mon bon vouloir. Mais je me suis aperçu, refermant Rybakov, que je n'étais pas encore rassasié de Russie et de Russes ; aussi ai-je ressorti de son étagère La Faculté de l'inutile, de Iouri Dombrovski, découvert il y a sans doute trente-cinq ans, et que je crois bien avoir déjà relu il y a une quinzaine d'années. Après lui, néanmoins, il sera sans doute temps de passer autre chose.

– Me voilà presque décidé à retenter l'arrêt complet du tabac à la mi-novembre, lorsque Catherine aura eu sa consultation avec le Dr Bram, tabacologue de son état et épouse de mon chirurgien-urologue à la ville. Dans cette optique, j'ai commencé, aujourd'hui, par faire disparaître le cendrier et les cigarettes qui se trouvaient sur ce bureau, de façon à ne plus fumer lorsque je suis dans la Case. Mardi, avant d'aller à Levallois, je ferai la même chose avec le paquet de la voiture et, dans la foulée, nous cesserons, Catherine et moi, de fumer devant la télévision. Je me demandais aussi si je n'allais pas supprimer totalement le café, sachant que chaque “pause café” fait immanquablement naître l'envie d'une cigarette accompagnatrice ; mais c'est peut-être une position un peu maximaliste.

– Ce matin, après m'être débarrassé des cinq mille signes que je devais à FD, j'en ai écrit deux mille de plus, sur le livre de Rémi, pour le prochain bulletin paroissial de Pacy. Si avec ça ses ventes ne s'envolent pas…


Samedi 25 octobre

Sept heures vingt. –Je suis époustouflé par la puissance du roman de Dombrovski, à quoi j'ai consacré l'essentiel de ma journée. Comme ma mémoire me le laissait soupçonner, c'est très nettement supérieur à la “saga” de Rybakov. La troisième partie (sur cinq) notamment est remarquable, qui est une sorte de méditation sur la Cène et la Passion, mais vues, si je puis dire, comme un procès stalinien : cela aurait pu être ridicule et c'est d'une force incroyable. Je vais attendre d'être parvenu au bout du roman, demain sans doute, pour tenter d'en dire un peu plus à son sujet.

–  Je m'accommode déjà fort bien de ne plus fumer dans la Case ; il est vrai que je n'y passe pas des heures d'affilée non plus, comme je le faisais à l'époque des BM. Ce matin, descendant à Pacy chercher le pain, j'ai également vidé le cendrier de la voiture et éliminé le paquet de cigarettes qui s'y trouve en permanence : importance des actes symboliques…


Dimanche 26 octobre

Sept heures vingt. – Je suis chaque année abasourdi de constater que l'on puisse accorder la moindre attention d'oreille à tous ces gens, pédopsychiatres ou simples parents, qui viennent pleurnicher, au moment du changement d'heure, à propos de la “violence” que l'on inflige aux pauvres enfants, ce faisant. Ça ne tient pas debout une seconde. D'abord parce que ces mêmes parents, s'ils doivent aller faire la foire chez des amis et sont contraints d'y emmener leurs enfants, ne seront nullement gênés de leur imposer le déplacement, le bruit sur place, puis de les faire se coucher à plus de minuit, une fois rentrés. Et, si la nouba a lieu chez eux, ils les laisseront pareillement devant la télévision jusqu'à des heures indues, trop heureux d'avoir ainsi la paix. Et puis quoi ? En admettant même qu'une heure de plus ou de moins pût perturber l'horloge chronobiologique des chérubins, en tout cas de ceux dont l'emploi du temps est effectivement régulier voire immuable : serait-ce si difficile de leur annoncer, le samedi du passage à l'heure d'hiver, qu'exceptionnellement, ce soir, youpi ! ils ont droit à une heure de télévision en plus ? Le lendemain matin, on pourrait ainsi les réveiller à l'heure habituelle et le tour serait joué. Quant au décalage des repas, et là encore ça ne vaut que pour les familles déjeunant et dînant à heures fixes, ils pourraient s'inspirer de ce que nous faisons pour nos chiens depuis des années : “amortir” le changement en trois jours, à raison de vingt minutes de décalage par vingt-quatre heures. Mais c'est tellement plus agréable et valorisant de se plaindre, d'être victime, de souffrir…

– Je suis encore sous le choc (langage de journal télévisé) de ma lecture de La Faculté de l'inutile, terminée en début d'après-midi. J'en avais déjà tiré un billet hier, alors que je n'étais parvenu qu'à l'orée de la troisième partie ; j'en ai refait un aujourd'hui, que je ne pourrai mettre en lien que demain car il n'est pour l'instant que programmé, dans le cas où cela intéresserait les lecteurs de ce journal, dans un peu plus d'un mois. Billet est du reste un terme exagéré : comme je n'avais précisément pas envie de rédiger un texte construit, une véritable critique, je me suis contenté d'appeler cela Notes additionnelles, ce qui m'a permis de jeter un peu en vrac les quelques idées qui m'étaient venues en cours de lecture. [Ajout du 21 novembre : le billet en question…]

– Demain, j'accompagne à Rouen Catherine, qui a décidé qu'elle ne voulait plus conduire “aussi loin” (nous sommes à 60 km de la dite ville…). Elle doit y rencontrer le chirurgien qui est censé l'opérer de l'épaule gauche. Le rendez-vous étant à midi, j'espère que ce digne praticien sera plus ou moins à l'heure, car je n'oublie pas que je suis tout de même tenu d'être disponible pour FD tous les lundis. Je crois, à présent que j'y songe, que je vais envoyer dès à présent un mail à mes Puissances afin de leur exposer ma situation : avec un peu de chance, elles trouveront moyen de se passer complètement de mes services…


Lundi 27 octobre

Huit heures. – Quelle parfaite journée de merde ! Je devais donc, comme indiqué hier, emmener Catherine à la clinique de l'Europe, boulevard de l'Europe (imagination et poésie des modernes), à Rouen ; le rendez-vous était à midi. Comme elle tenait à passer chez Ikéa avant, nous avions prévu large, et fûmes donc à quai dès onze heures et demie. La dame derrière le guichet nous indiqua fort amènement que, si nous avions quelque chose d'intéressant à faire, nous pouvions, le docteur Machin – l'épaulologue de Catherine – ayant déjà une heure de retard dans ses rendez-vous ; ce qui nous laissait donc une heure et demie, vu notre propre avance. La petite salle d'attente garnie de sièges en plastique moulé et agrémentée d'un téléviseur à écran plat diffusant de la musique pour mongoliens, nous nous rabattîmes alors sur les fauteuils installés à l'accueil général de la clinique, endroit étrangement silencieux. Je lus là, comme on dit au Brésil, une cinquantaine de pages du Conservateur des antiquités de Dombrovski.

Vers midi et demie, mus par l'espoir insensé que le docteur Machin aurait pu regratter une partie de son retard, nous réintégrâmes la petite salle d'attente, toujours bondée. La secrétaire, auprès de qui je vins, m'informa, tout sourire bienveillant, que non, au contraire, le retard en question, telle une faille géologique en des temps très anciens, n'avait fait que prendre de l'importance. En effet, le docteur Machin, épaulologue, nous reçut finalement à deux heures moins le quart, pour notre rendez-vous de midi. Dans le monde ancien, il se serait peut-être excusé de ce scandaleux retard ; nous comprîmes qu'il s'agissait d'un médecin moderne à ceci qu'il n'en fit rien ; comme il prit illico en charge la femme qui partage ma vie, je me retins de lui dire ce que je pensais de lui et de sa manière d'être.

Entre temps, sentant poindre l'énervement stérile, j'avais abandonné Catherine dans la salle d'attente pour aller boire un gobelet d'eau chaude marron à la cafétéria, ainsi que l'on nomme le réduit où étaient branchées les deux machines à boissons. Je programmai un expresso sans sucre, il m'en tomba un sucré qui partit directement à la poubelle. Brave devant l'adversité, je sortis de la clinique, pour aller fumer une cigarette sur le trottoir du boulevard de l'Europe ; où j'écrasai ma semelle droite dans une merde de chien. Je revins dans la salle d'attente, tout heureux qu'aucun pigeon malade ne m'ait fienté sur la tête.

Et je me remis à attendre.


Mardi 28 octobre

Sept heures vingt. – Je me suis interrompu assez brutalement, hier, parce que c'était l'heure de House of Cards sur la chaîne Jimmy. On a fini par être reçu, évidemment, mais il était tout de même deux heures moins le quart : deux heures d'attente pour une consultation d'un quart d'heure. Juste avant de passer dans le cabinet du Dr Machin, Catherine m'a murmuré une brève supplique: « Ne lui fais pas de remarque désagréable, sinon il risque de me rater exprès ! » J'ai donc été d'une courtoisie et d'un savoir-vivre sans faille, malgré que j'en eus. Après avoir tordu le bras gauche de Catherine en tous sens, pour constater que ça lui faisait effectivement mal, le praticien a décidé qu'il lui charcuterait l'épaule le 23 décembre : entrée la veille, sortie le lendemain. Finalement, ce qui m'a le plus frustré dans cette première partie de journée, c'est que le chirurgien a annoncé à son futur cobaye que ce type d'intervention entraînait en principe un arrêt de travail de trois mois ; et j'ai trouvé hautement injuste que ce ne soit pas moi qui aie une épaule en vrac, dans la mesure où ces trois mois vont être honteusement jetés aux chiens, Catherine n'en ayant que faire ne que soudre.

Tout cela nous mit de retour à la maison peu avant trois heures et demie. Durant le trajet, je m'arrêtai à la position suivante : si les puissances m'ont envoyé un travail à faire, je décréterai  la maison open bar dès que j'en aurai fini avec lui ; dans le cas contraire je m'abstiendrai héroïquement. Aucun article ne m'attendait, mais c'est Catherine qui, Dieu sait pourquoi, a suggéré que nous pourrions peut-être nous autoriser un petit apéritif. Naturellement – je ne suis pas un saint –, nous nous autorisâmes.

Quant à la journée d'aujourd'hui, s'étant passée à Levallois et dans la voiture, il n'y a vraiment rien à en dire.


Mercredi 29 octobre

Sept heures vingt. – Catherine et moi nous sommes mariés, à Beaulieu-sur-Loire, charmant petite cité avec vue imprenable sur la centrale nucléaire voisine, il y a exactement vingt ans ; j'en avais quant à moi trente-huit, ce qui ne me laisse pas sans un léger vertige. J'ai publié sur le blog (Catherine aussi, sur le sien) la photo “officielle” de ce jour mémorable et, aussi objectivement qu'il est possible, je crois que les commentateurs qui se sont exclamés ont raison : nous n'avons guère changé, au cours de ces deux décennies. Je parle de notre apparence physique extérieure, bien entendu ; pour le reste…


Jeudi 30 octobre

Sept heures vingt. – J'ai mis ce matin en ligne le journal de septembre, qui s'intitule Opus 111, par allusion à la conférence musicale de Jérôme Vallet, dont j'ai bénéficié lors de notre court séjour chez les Pluton. (Cela me fait penser que Catherine, le lisant, m'a signalé une phrase totalement bancale, que je devrais bien aller rectifier, avant de subir les rituelles moqueries de Mildred.)

– Le roman d'Evelyn Waugh – Le Cher Disparu – que j'ai terminé aujourd'hui m'a bien amusé : j'avais l'impression d'un épisode de Six feet under écrit par P. G. Wodehouse. Mais enfin, je ne suis pas certain d'avoir envie d'en lire d'autres. De plus, il m'agace un peu de ne pas savoir comment on doit prononcer le fucking name de ce garçon (mais je suppose que, quand ce journal paraîtra, d'ici un mois, l'un ou l'autre de ses lecteurs se fera une joie de me renseigner à ce sujet : c'était un appel du pied).

– Avant-hier, recevant ma feuille de paie, et allant directement au nombre inscrit en bas et à droite, j'ai eu la surprise de constater qu'allaient m'être versés 5400 € au lieu des 3400 habituels (oublions les “poussières”). J'ai eu beau détailler toute la colonne, je n'ai rien trouvé justifiant une telle soudaine augmentation. Ce matin, accédant à mon compte bancaire par voie électronique, j'ai vu que c'est bien 5400 qui m'avaient été transférés. Depuis, je me demande combien temps il va falloir aux manieurs de calculette lagardériens pour s'apercevoir de leur bévue. En fait, cela va certainement dépendre de l'ampleur de la bévue en question : si elle concerne de nombreux salariés, cela devrait se voir assez vite ; mais si je suis le seul bénéficiaire de ce bug, il se pourrait que ça prenne un peu plus de temps. Quoi qu'il en soit, j'ai aussitôt transféré le surplus sur le compte épargne de Catherine, afin que nous ne soyons pas tentés d'y plonger nos grosses mains avides.


Vendredi 31 octobre

Sept heure vingt. – Ce mois a commencé russe, avec Rybakov et Boukovsky, il se termine russe avec Ivan Bounine, dont j'ai, ce matin, ressorti La Vie d'Arseniev de l'étagère où il se trouvait depuis trois ou quatre ans, sans jamais avoir été ouvert (mais alors, pourquoi donc l'avoir acheté ?). Les quelque cent pages que j'en ai lu m'ont donné envie de continuer : très beaux “zooms” sur la Russie d'avant la catastrophe, sens de la mélancolie, attention portée à ce qui meurt, etc. Et superbe langue, à la fois descriptive et musicale, du moins d'après la traduction sur laquelle je suis bien obligé de m'appuyer pour en juger.

– Si je signale que j'ai écrit près de six feuillets sur Nicolas Sarkozy, Carla Bruni et Valérie Trierweiler, avant de tondre le jardin – j'espère pour la dernière fois de l'année –, c'est à seule fin que Catherine et Jacques Étienne, lorsqu'ils parcourront ceci, ne restent pas sur une impression fâcheusement littéraire, ce qui les conduirait, une fois de plus, à me reprocher de ne parler que de mes lectures en ce journal. Ce serait d'ailleurs faux : je parle également de mes écritures – la preuve.

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