OPUS 111
Lundi 1er septembre
Sept heures vingt. – Il arrive à mes puissances tutélaires de pousser un peu le bouchon ; par exemple lorsqu'elles me réclament cinq mille signes à propos de Choupette, la chatte de Karl Lagerfeld : c'est assez nettement abuser de ma faculté à produire des textes lisibles sur à peu près n'importe quelle absence de sujet. Le pis est que je les ai écrits sans la moindre difficulté et en m'amusant plutôt à cela. Ce qui tendrait donc à prouver qu'elles – les puissances – auraient bien tort de s'en priver.
– Comme aucun film n'était décemment regardable, hier soir, nous nous sommes rabattus sur l'émission de Stéphane Bern, Secrets d'histoire,
qui était consacrée à de Gaulle. Évidemment, ni à Catherine ni à moi
elle n'a appris quoi que ce soit que nous eussions ignoré, mais elle m'a
donné envie de prolonger un peu la fréquentation du personnage ; c'est
pourquoi, à midi, après avoir réglé son compte à Choupette j'ai ressorti
le premier tome du C'était de Gaulle d'Alain Peyrefitte, lecture
passionnante à certains endroits, lorsqu'il relate ce que j'appellerais
un “monologue à bâtons rompus”, et plus ennuyeuse à d'autres, sans
qu'il y aille de la faute de l'auteur : certains faits ou décisions qui
sont longuement débattus entre ces pages nous semblent aujourd'hui
tellement secondaires, ou réglés une fois pour toutes (mais c'est le
principe de tout texte historique), que l'on peine un peu à s'y
replonger, dans le détail des questionnements et hésitations qui
préludent à telle ou telle décision. Si bien que, dans ce volume, je
vagabonde plus que ne lis.
Mardi 2 septembre
Sept heures et demie.
– Je ne sais pourquoi je me suis éveillé ce matin avec, tournant dans
la mémoire, cette chanson d'Aznavour, sur un poème d'André Salmon, qui
s'appelle Fraternité. Sur le trajet vers Levallois, j'ai tenté de
me la chanter, mais rien à faire : deux ou trois strophes m'échappaient
obstinément ; en fait, je ne me souvenais que des deux premières et,
bizarrement, de la dernière :
Et pour que ce soir sans égal
Fût perpétué, un pandore
En dressait le procès-verbal,
Parsemé d'attendus sonores
Arrivé
à mon bureau, je me suis mis à rechercher le texte du poème, que j'ai
trouvé en effet, à mon grand soulagement. Cela m'a permis de découvrir
la version qu'en donnait Marc Ogeret en 1968, en une sorte de
“paléo-clip”, tournée à Paris, dans le quartier de l'Institut (sur le
pont des Arts, probablement : je ne suis plus parisien depuis
longtemps…). Mais il y avait aussi quelques images tournées dans un
vieux café, avec gros plans sur les trognes d'hommes sans doute morts
depuis longtemps, qui m'ont serré le cœur et me le serre encore,
maintenant que je le dis.
Mercredi 3 septembre
Quatre heures et demie.
– Matinée agitée, mais finalement plutôt plus agréable à vivre que
celles des mercredis de modèle courant, où je m'ennuie à cent sous de
l'heure (non, un peu plus tout de même). Je suis arrivé à Levallois à
dix heures moins le quart (l'heure “réglementaire”, ce jour de bouclage,
est neuf heures…). J'étais encore dans le hall lorsque j'ai croisé deux
reporters de FD, qui ont eu l'air contents et presque soulagés de me
voir ; ils se sont dépêchés de me dire que j'étais attendu, de
quoi j'ai déduit qu'il allait me falloir écrire un article pour le
numéro en voie de terminaison, l'heure limite pour envoyer les papiers
au secrétariat de rédaction étant midi (mais sachant aussi que, comme
tous les secrétariats de rédaction, le nôtre s'est donné une marge de
manœuvre : midi n'est que la dead line officielle). À peine
suis-je sorti de l'ascenseur qu'un autre reporter m'accueille avec le
même empressement : les choses ont l'air sérieuse…
Dans
la salle de conférence, où sont réunies mes puissances tutélaires, je
suis reçu comme un messie ; Philippe B. me tend trois photocopies
reproduisant un assez long article de journal, d'après ce que je vois au
premier abord. Et, au deuxième abord, en effet c'est ça : le papier que
Paris Match consacre cette semaine au livre de Mme Trierweiler. «
Lis-le et reviens me voir juste après », me dit Philippe. Je prends
tout de même le temps de faire le café, lis la chose, stabilo
jaune en main, et trouve une idée d'attaque ; je reviens dans la salle
de conférence : elle est vide ; je passe dans la pièce suivante, qui est
le bureau directorial. Philippe B y est, avec Gabriel, le chef des
informations. Après nous être mis d'accord rapidement sur l'angle de
l'article (celui auquel j'avais pensé une minute plus tôt, qui a été
ratifié sans sourciller), je pose la question rituelle : « Combien ? »
La réponse de Philippe vient tout de suite : « Huit feuillets… » Je le
regarde avec attention : non, il n'a pas l'air de plaisanter. Il précise
: « On en fait trois pages… » Je regarde l'heure : dix heures dix ;
j'ai douze mille signes à écrire…
Après une heure de
claviotage intensif, je prends tout de même le temps de descendre fumer
une cigarette, avec un demi-gobelet de café ; j'en suis à sept mille
signes. Je rencontre deux autres fumeurs de FD, dont Anthony, l'adjoint
de Gabriel : tous les deux m'entourent comme si j'étais entre le dixième
et le onzième round d'un combat contre Mike Tyson. Je ne fume que la
moitié de ma Pueblo et remonte.
À midi moins le quart, j'expédiai 12 023 signes dans les boitamels
des gens concernés. Je dois dire que, si je n'en tirai aucune fierté,
j'étais tout de même fort content d'avoir “tombé” ces huit feuillets en
une heures et demie ; lesquels, à la relecture, ne m'ont pas paru
démériter. Je me suis souvenu que, voilà presque trente ans, mon
directeur de l'époque, Louis Gros, lorsqu'il avait à me présenter à des
visiteurs du journal, m'appelait son polygraphe tous terrains.
La
conclusion de tout cela, ajouté au fait qu'il fait un temps presque
estival, est que j'ai mis tout à l'heure deux bouteilles de riesling au
frais…
Jeudi 4 septembre
Trois heures.
– Me voilà embarqué dans une nouvelle “affaire Camus” bien malgré moi –
même si je l'ai effectivement déclenchée. Tout est parti de mon journal
de juillet, publié la semaine dernière. J'y écrivais ceci, à la date du
30 :
« Camus exagère. M'apercevant, par le plus grand des hasards, que je
disposais encore, dans sa librairie en ligne, d'un “crédit de lecture”,
j'ai fait l'acquisition de son dernier opuscule (cent mille signes
approximativement), intitulé La Civilisation des prénoms, que je
viens de finir de lire, ou plutôt de parcourir. Si je n'ai fait que le
parcourir, c'est qu'il ne m'a pas fallu bien longtemps pour constater
que, de neuf, ce livre-là n'avait guère que son titre : pratiquement
tout le reste se trouve déjà dans ses précédents ouvrages, Grande Déculturation, Décivilisation et autres Grand remplacement
(à un bien moindre degré pour celui-ci que pour les deux premiers
cités). La matière est la même, les exemples cités sont la plupart du
temps identiques, les anecdotes itou ; seul change le “coup de projo”
qui, mettant plutôt l'accent sur cet aspect-ci des choses que sur
celui-là permet de donner un titre nouveau à un livre qui ne l'est pas
du tout. Bref, Camus fait de la remballe, comme cela se pratique,
dit-on, dans les hypermarchés avec la viande qui est déjà en rayon
depuis un certain temps. Si j'ajoute à cela l'agacement provoqué par le
fait de lire un ouvrage même pas révisé, ou trop superficiellement, et
où les fautes en tous genres abondent (bon, ce verbe est sans doute
exagéré : elles n'abondent pas, tout de même…), j'ai assez nettement l'impression de m'être fait avoir ; sentiment qui me rend plus triste que furieux. »
Une
bonne âme s'est aussitôt chargée de porter ce petit “coup de patte” à
la connaissance du principal intéressé ; lequel en a donné aussitôt un
écho dans son propre journal ; écho que voici :
« Plieux, jeudi 28 août 2014, minuit et demie. Didier Goux, sur son blog, parle très sévèrement et presque violemment de La Civilisation des prénoms,
le petit livre que j’essaie de finir ces jours-ci. Sur un point il est
injuste, car il se plaint du nombre de fautes alors qu’il est très
clairement indiqué, en tête du fichier mis en ligne, à l’intention des
lecteurs qui acquièrent un “crédit de lecture”, qu’il s’agit
actuellement d’un work in progress, d’un travail en cours
d’élaboration, d’un brouillon absolument pas relu, jusqu’à présent — et
dont il n’est guère étonnant dans ces conditions que fautes de frappe et
formulations défectueuses y abondent.
Mais Goux touche
plus juste et fait plus mal, donc, quand il se plaint d’avoir affaire à
une sorte de centon (il n’utilise pas ce mot), un recyclage de divers
morceaux qui lui sont déjà familiers via La Grande Déculturation, Décivilisation et même, dit-il, Le Grand Remplacement.
Il aurait pu ajouter à cette liste ce journal-ci. Que certaines pages,
la majorité peut-être, aient été déjà publiées ailleurs, sous une forme
peu différente, c’est parfaitement exact (même si je n’ai rien copié).
Sur ce sujet secondaire, sans doute, mais qui me hante, la
généralisation de l’usage des prénoms (et la disparition concomitante
des noms), j’ai voulu réunir sous un seul titre tout ce que j’avais déjà
publié ici et là, quitte à encourir, qui n’a pas manqué, le reproche de
répétition — en grande partie fondé. Je n’ai d’autre possible ligne de
défense que celle de mon plus illustre compatriote (avec Vercingétorix) :
« La disposition des matières est nouvelle ».
Encore
l’est-elle moins qu’il ne faudrait, sans doute. Mais là où Goux devient
assez déplaisant, je trouve, c’est qu’il paraît insinuer qu’il entre de
la volonté délibérée de tromper le lecteur, de le blouser, dans ce
réaménagement de synthèse :
« j’ai assez nettement l’impression de m’être fait avoir, écrit-il ; sentiment qui me rend plus triste que furieux ».
Bigre... Je veux bien qu’on me reproche de me répéter mais trouve inélégant qu’on m’accuse, en somme, de fraude commerciale. Gâteux, bègue, radoteur, épuisé,
passe encore ; mais boutiquier indélicat, j’estime cela vexant.
L’épisode me rappelle les doléances d’un abonné près de ses sous, cet
hiver, qui se plaignait, lui, que trop d’entrées du journal 2013 eussent
été publiées en accès libre, sur les réseaux sociaux ou sur “Boulevard
Voltaire” — il avait calculé qu’un septième ou un huitième du coût de
son abonnement lui avait été extorqué abusivement. »
Voyant
que nous naviguions en plein malentendu, car jamais je n'avais
soupçonné Camus de tromper délibérément ses lecteurs, je suis allé
relire le passage qu'il incriminait ; et, en effet, je dois dire que sa
formulation était une porte ouverte à interprétations erronées (erronées
de mon point de vue), porte que Camus s'est empressé de franchir. Je
lui ai donc envoyé un mail de mise au point, ou de tentative de mise au
point :
« Cher Camus,
je découvre à
l'instant le paragraphe de votre journal que vous me consacrez, suite à
un autre paragraphe d'un autre journal, le mien, qui réagissait à l'un
de vos livres (ouf ! on va y arriver !). Que vous dire, sur le fond ?
D'abord que cette “entrée” de mon journal a été écrite juste après
lecture de votre Civilisation (est-il besoin de préciser que je
suis d'accord, et plus que pleinement, avec tout ce qui y est dit ?) :
vous savez mieux et depuis plus longtemps que moi que le journal a ce
côté réactif qui en fait le prix comme il en marque la limite : dès le
lendemain, il me semblait que vous n'aviez sans doute pas tort
d'enfoncer le clou, et j'ai déjà recommandé la lecture de ce livre
“virtuel” à plusieurs personnes, dont il me semble qu'elles sont une
terre fertile pour le recevoir. Mais venons-en à votre commentaire.
«
La disposition des matières est nouvelle », dites-vous. Elle l'est sans
l'être (mon côté “normand” d'adoption, peut-être). Il est possible que
je vous aie trop lu, et trop compris : j'ai vraiment eu l'impression
d'arpenter des allées familières, où on me proposait un défrichage.
Mais, encore une fois, je vis avec vous, c'est-à-dire votre œuvre et
votre pensée, depuis maintenant sept ou huit ans : il est possible que
je sois désormais dans la situation, toujours un peu ridicule, de ces
vieux soupirants gentiment éconduits qui supportent mal que l'idole
fasse des grâces (écrivent des livres, ne nous méprenons pas) pour
d'autres qu'eux, plus nouvellement arrivés.
Venons-en,
cependant, à ce que je trouve gros d'incompréhension ; soit cette phrase
: « Mais là où Goux devient assez déplaisant, je trouve, c’est qu’il
paraît insinuer qu’il entre de la volonté délibérée de tromper le
lecteur, de le blouser, dans ce réaménagement de synthèse »
À aucun moment je n'ai voulu insinuer cela ; si vous l'avez compris ainsi, c'est que je me suis fort mal exprimé…
(Je viens de relire le paragraphe en question : en effet, je puis comprendre que vous l'ayez pris ainsi.)
Pour
le coup, je ne sais plus trop que vous dire. Sinon, peut-être, que je
vous ai reproché, à vous, de revenir encore sur des choses que j'avais
déjà lues sous votre plume, en oubliant un peu vite que vous n'écrivez
pas que pour la petite bande d'aficionados dont je me flatte de faire
partie. La formule que j'ai employée, « j'ai assez nettement
l'impression de m'être fait avoir » était à l'évidence particulièrement
malheureuse, en ce qu'elle ne traduisait pas le sentiment que
j'éprouvais alors, qui était plutôt de l'ordre de la frustration et du
regret, ce que tentait maladroitement d'exprimer la seconde partie de la
phrase.
Néanmoins, comme ce déjà trop long message ne
peut tout de même pas être un aller simple à Canossa, je vais en
profiter pour vous dire ceci, que je ne crois pas être le seul de vos
lecteurs à penser : vos derniers livres, appelons-les “politiques”, sont
très bien ; je les lis et les relis ; ils m'exaltent (par la rigueur
que je suis incapable d'avoir) autant qu'ils me dépriment (par la vérité
de leur constat). Mais nous nous languissons de l'autre Camus (même
s'il n'est pas tout à fait autre), celui des chemins inaperçus, des
grandes clartés, des obscurités giboyeuses, que sais-je ? Vous, enfin !
Pour
conclure, car il est temps : cette escarmouche n'est rien et, mauvaise
nouvelle, vous n'êtes pas près de vous débarrasser de moi, ni de mon
encombrante admiration.
Respectueusement et tenacement,
Didier Goux »
Il
m'a très brièvement répondu hier soir tard, pour me dire qu'en somme
tout allait bien ; et me précisant qu'il ne pouvait pas s'étendre car se
trouvant à l'hôtel et ayant oublié à Plieux le cordon d'alimentation de
son ordinateur, ce qui semble être une habitude chez lui.
Sept heures dix.
– Je n'ai pas écrit une ligne des trois feuillets que les puissances
m'ont réclamés en fin de matinée, mais j'avais une mauvaise très bonne
excuse : il a fallu que je procédasse à la mise à jour des cartes
routières de Liselotte. Du temps de Roselyne, la même opération prenait
une vingtaine de minutes et se réglait par le truchement de la
mini-carte (je ne sais son nom exact) du GPS ; gros inconvénient : je
n'ai jamais, en trois ans, trouvé le moyen de ne pas perdre dans
l'opération toutes mes données personnelles, heureusement très peu
nombreuses et simples à rétablir. Pour la Volvo, me sont envoyés par
courrier quatre DVD, qu'il faut que j'entre les uns à la suite des
autres, moteur tournant pour ne pas vider la batterie : comme, en outre,
il convient de couper le contact au moins un quart d'heure entre chaque
disque, l'opération dure au total près de sept heures ; en revanche, je
ne perds rien de mes données (en tout cas la dernière fois que j'ai
effectué l'opération : on verra dans une heure et neuf minutes ce qu'il
en est aujourd'hui). J'aurais donc eu parfaitement le loisir de
distraire trois quarts d'heures de mon après-midi pour écrire mes
feuillets ; c'est pourquoi je dis que ma bonne raison était
mauvaise.
Dimanche 7 septembre
Neuf heures. –
Passé la journée à Fontaine-le-Dun, chez ma mère ; le but était,
Isabelle et Olivier étant partis en vacances dans le Gers pour deux
semaines, de lui couper un peu cette longue plage de solitude. Le temps
ayant décidé d'appuyer cette initiative filiale, nous avons passé tout
notre temps dehors. La conversation – dont j'avoue ne m'être guère mêlé,
et je n'en suis pas très fier – fut ce qu'elle est d'ordinaire, sauf
lorsque ma mère nous apprit une nouvelle qui continue de me réjouir au
moment où je la retranscris ici : Christophe et Sophie vivent désormais
ensemble.
Ils sont tous les deux mes cousins.
Christophe est le fils d'Évelyne, la sœur puinée de ma mère, Sophie la
fille de Bernard, oncle maternel lui aussi, parachutiste dont j'ai déjà
parlé. D'après mes comptes approximatifs, Christophe doit avoir quelque
chose comme 48 ans, Sophie peut-être un an ou deux de moins, mais je
n'en suis pas sûr.
Ce qui m'amuse, c'est que je vis
depuis au moins trente ans avec la certitude, non fondée certes, que ces
deux-là ont fricoté gravement durant leur adolescence commune. Je ne me
souviens absolument pas comment j'en étais alors arrivé à cette
conclusion péremptoire, mais cela n'a en tout cas jamais fait le moindre
doute dans mon esprit. Je ne sais pas ce qu'ont été leurs vies
respectives jusqu'à aujourd'hui. Enfin, si, plus ou moins tout de même :
Christophe est toujours resté célibataire (“vieux garçon”, dirait sa
mère, avec son vocabulaire hors d'âge), tandis que Sophie a eu une vie
conjugale des plus chaotiques, qui l'a rendue mère de quelques enfants,
mais certainement pas plus heureuse pour autant.
Je
sais encore moins si, durant tout ce temps, ils se sont revus, se sont
écrits, etc. Si l'un, ou les deux, a toujours été amoureux de l'autre,
si leurs retrouvailles doivent tout au hasard ou à autre chose. Mais
enfin, alors qu'ils abordent aux rivages du demi-siècle, je leur
souhaite de tenir le cap, et de parvenir, ensemble, à tenir en lisière
la tristesse qui est notre lot commun.
Lundi 8 septembre
Sept heures et demie.
– J'ai passé ma journée à attendre un travail qui n'est jamais venu ;
j'ai eu bien garde de m'en plaindre. J'en ai profité pour passer du
deuxième au dernier tome de C'était de Gaulle. Demain, Levallois
et, ensuite, dix ou douze jours de vacances, durant lesquels nous irons
passer quatre jours dans le Vaucluse (chez les Pluton) et un après-midi
dans le Gard (chez Jérôme Vallet), pour une “leçon” de musique dont
j'avoue être fort curieux. Il est tout de même dommage que ces gens
n'aient pas des maisons en Bretagne ou dans l'Orléanais : les trajets en
voiture en seraient moins lourds.
Mercredi 10 septembre
Neuf heures. – Mon
père aurait eu 82 ans aujourd’hui : c’est son premier anniversaire qu’il
manque.
– Vers une heure et demie aujourd’hui, Catherine m’a
dit : « Et si, plutôt que de partir demain avant l’aurore, on prenait la
route tout de suite et faisait le voyage en deux jours ? Les bagages sont
prêts, et je sens que je ne ferai rien d’intéressant de l’après-midi… ». À deux heures et demie nous prenions la
route, après qu’une chambre eut été réservée dans un hôtel d’Avallon (Vauban, de son nom). Nous y sommes actuellement, après
avoir dîné fort agréablement dans un restaurant ouvert depuis trois jours
(avons-nous appris), non pas d’ailleurs dans le restaurant lui-même mais dans la minuscule cour
qui lui faisait suite. L’endroit s’appelle Le Patio, probablement en raison de la cour en question.
Carte fort simple, mais excellents produits.
Il est question, demain, puisque nous aurons beaucoup moins
de route à parcourir que prévu initialement, de passer par Tournus et d’aller
voir Cluny. Ensuite, nous filerons droit vers le sud, pour rejoindre la maison
de campagne des Pluton, qui nous y attendent.
Vendredi 12 septembre
Six heures du soir. –
La journée d’hier s’est déroulée à peu près comme prévu, sinon que l’abbaye de
Cluny était exceptionnellement fermée au public ce jeudi matin. Mais
l’abbatiale de Tournus a vraiment fière allure, flanquée de son charmant
cloître. Nous sommes arrivés chez Anna et Dominique vers cinq heures et
demie ; la malchance a voulu que le mistral y soufflât depuis le matin, ce
qu’il n’a également cessé de faire aujourd’hui. Mais enfin, le vin blanc était
bien frais et la daube savoureuse. L’effet conjugué de la fatigue (nous étions
debout depuis six heures et demie et j’avais plus de cinq cents kilomètres dans
les bras) m’a envoyé au lit dès la fin du repas. J’ai excellemment dormi
jusqu’à huit heures ce matin, moment auquel les ouvriers qui aménagent une
ancienne grange attenante, pour en faire une pièce ouverte sur la vigne et,
plus loin sur les Dentelles de Montmirail, sont arrivés et ont commencé leurs
bruyants divertissements. La matinée s’est déroulée tranquillement, chacun
vaquant plus ou moins à ses occupations (lecture d’un petit livre de Jacqueline
de Romilly sur la tragédie grecque, pour ce qui me concerne) ; et, cet
après-midi Dominique nous a conduits jusqu’au somment du mont Ventoux, d’où l’on
découvre un paysage d’une vastitude exceptionnelle, même s’il était, aujourd’hui,
un peu restreint par la brume dans ses lointains. Ensuite nous sommes passés par
un monastère, Sainte-Madeleine, où Catherine a acheté de l’huile d’olives et moi
un recueil de poèmes de Marie Noël. Le nom des auteurs mis en valeur là (Del
Valle, Lugan, Sevilia, Zemmour et d’autres, tout aussi nauséabonds) m’a conduit
à penser que ces bons moines ne devaient être que fort modérément
progressistes, ce qui m’a fait plaisir pour eux. Vers huit heures et demie
devrait nous arriver Nathalie, la fille de nos hôtes, surnommée par moi
L’Héritière, que nous avions déjà croisée une fois, lors de notre première visite
ici, il y a quelques années, et qui est, si ma mémoire ne m’abuse pas, une
jeune femme tout à fait charmante. Elle nous sera amenée d’Avignon par le père
de Dominique, si bien que nous aurons trois générations de Pluton pour le prix
d’une.
Lundi 15 septembre
Trois heures.
– Il faut que je tente de combler les trous de ce journal, ce qui est
d'autant plus délicat que je n'ai pas transféré ici ce que j'ai pu
écrire sur l'ordinateur de Catherine, tandis que nous étions chez les
Pluton. Néanmoins, je crois que je m'étais arrêté à vendredi après-midi.
Le soir de ce vendredi, donc, est arrivée Nathalie, la fille d'Anna et
Dominique, qui nous a été amenée de la gare d'Avignon par son grand-père
et sa grand-mère, c'est-à-dire les parents de Dominique, qui vivent à
un jet de pierre de leur fils. De là, nous avons filé vers un restaurant
situé juste à côté de Gigondas, et dont, bien entendu, j'ai oublié le
nom. Nous y avons bien dîné et excellemment bu ; la conversation fut
soutenue et chaleureuse, comme elle l'est toujours avec Anna et
Dominique, que je me félicite un peu plus chaque jour d'avoir connus :
rien que pour cela, ouvrir un blog était une bonne chose, puisque c'est
par son truchement que nous nous sommes rencontrés. Et leur fille est
tout aussi chaleureuse et agréable qu'eux-mêmes. Comme, une fois rentrés
à la maison, Dominique a sorti quelques alcools de fin de soirée, il me
serait très difficile de préciser de quoi nous avons bien pu parler
avant de monter nous coucher… (Mais je me souviens qu'au restaurant, à
la fin du repas, il avait été assez longuement question de Lovecraft.)
–
Le samedi, nous étions attendus à quatre heures chez Jérôme Vallet qui,
pour nous et quelques autres personnes, dont deux de ses élèves, avait
prévu une “causerie musicale” autour de la sonate opus 111 de Beethoven,
œuvre qui m'est chère depuis déjà longtemps. Catherine, elle, avait
argué de son peu d'appétence pour la musique et avait filé vers Sauve,
chez la Mère Castor. Tout ce que Jérôme, tantôt debout, tantôt assis à
son piano, a expliqué nous a passionnés (je ne parle que pour Anna,
Dominique, Nathalie et moi), mais Jérôme, comme je crois qu'il arrive
souvent aux gens qui ne sont pas rompus à l'exercice de la conférence,
semblait désespéré de n'avoir pas dit la quart de ce qu'il avait prévu
et de, finalement, avoir beaucoup moins parlé de l'opus 111 qu'il ne
l'aurait souhaité, et nous avec. Néanmoins, même déséquilibrée dans ses
parties et écourtée, son intervention était, au moins pour moi, d'une
grande richesse, me faisant entrevoir des complexités insoupçonnées
(enfin, si : soupçonnées justement, mais pas davantage), et j'ai
passé là trois heures qui m'ont beaucoup éclairé ; même si, moi aussi,
je déprimais quelque peu, en me disant que je n'allais pas retenir plus
du dixième de tout ce que Jérôme nous révélait ou expliquait. En tout
cas, j'ai bien hâte de me retrouver seul dans le salon pour récouter
l'opus 111 avec mes “nouvelles oreilles” – ce sera pour après-demain,
lorsque Catherine sera partie chez Élodie. M'a frustré aussi le fait de
ne côtoyer Jérôme que si peu de temps, alors que cela faisait au moins
cinq ans que nous ne nous étions vus (mais il est vrai que, durant cet
intervalle, nous avons été officiellement fâchés durant de longs mois,
voire années). La prochaine fois que nous irons chez Anna et Dominique,
il faudra tâcher de le voir un peu plus longuement ; et dans une
assemblée plus restreinte.
En tout cas, au retour de
chez lui, nous étions tous (moins Catherine évidemment) ravis d'avoir pu
entendre ce qu'il avait à dire, même s'il en avait encore bien
davantage “sous le pied”.
– Nous avons quitté Anna et
Dominique hier en fin de matinée, ayant prévu, comme à l'aller, de faire
le voyage en deux jours : Catherine nous avait réservé une chambre dans
un hôtel de Semur-en-Auxois (Les Cymaises), qui s'est révélé
tout à fait satisfaisant. Comme quoi on peut très bien tenir un journal
sans le remplir de plaintes au sujet de l'hôtellerie française et des
gens qui la peuplent…
En principe, nous aurions dû
arriver à Semur vers cinq heures ; mais cette damnée autoroute du Sud
était tellement chargée, la traversée de la région lyonnaise me
paraissant soudain si lourde de menaces, que nous l'avons quittée dès
après Montélimar pour prendre la route de Saint-Étienne, puis Roanne,
Paray-le-Monial, avant de retrouver cette même autoroute A6 au-dessus de
Mâcon : trajet fort agréable, à travers de belles régions (le tout
frais lecteur de L'Astrée que je suis était ravi d'effleurer le
Forez ; et nous avons même franchi le Lignon), mais évidemment bien plus
long que l'initial, ce qui nous a fait arriver au port vers sept heures
et demie ; heureusement, la soirée fut agréable, détendue comme elle
l'est presque toujours quand Catherine et moi sommes seuls tous les deux
et que le restaurant choisi est bon (il l'était ; il s'appelle La Parenthèse).
Durant cette journée était aussi intervenu ce que nous appellerons “l'épopée croquettes” : comme je viens d'en faire un billet, je n'en dis pas plus ici.
–
Ce matin, après avoir fait un tour de cette petite ville, qui s'est
avérée fort jolie et on ne peut plus vivable, à première vue, nous avons
couvert rapidement les 330 kilomètres qui nous séparaient du Plessis,
où nous sommes arrivés juste avant deux heures, un peu fatigués mais
bien contents, à la fois d'être partis et d'être revenus.
Mardi 16 septembre
Sept heures. –
À l'heure qu'il est Manuel Valls a prononcé son discours et le vote des
députés a sans doute eu lieu : je me moque de l'un comme de l'autre.
J'ai passé quant à moi l'essentiel de la journée avec Jean-François
Revel, grâce au volume que j'ai commencé de lire chez les Pluton et que
je leur ai emprunté : la fin de Sur Proust, Pourquoi des philosophes et la presque totalité de Pour l'Italie,
livre étonnant, datant de la fin des années cinquante, dans lequel
Revel règle ses comptes avec ce pays où il vient de vivre deux ou trois
ans : peu de choses trouvent grâce à ses yeux. Par moment, lorsqu'il
parle de la sexualité des hommes, et s'entretient avec un ami homosexuel
du statut de cette particularité sexuelle, j'avais l'impression, lisant
le discours de l'ami en question, de me retrouver dans le Journal romain de Renaud Camus.
–
Il règne sur la Normandie un temps beaucoup plus clément que ce que
nous avons eu durant trois jours dans le Midi ; c'était bien la peine…
Mercredi 17 septembre
Sept heures moins le quart. –
J'ai laissé Catherine à la gare de Vernon ce matin, vers neuf heures et
demie : me voici donc parti (mais sur place, contrairement à elle…)
pour cinq jours de solitude. Coup de fil tout-à-l'heure : Catherine est
bien arrivée chez sa fille. Quant à moi, je n'ai rien fait que de lire
Revel, sauf lorsque je me suis mitonné une assiette de steak
haché-coquillettes (phase régressive obligatoire du célibataire en CDD).
Et à présent, comme à chaque fois, ayant nourri Bergotte et sorti les
poubelles devant le portail, je traîne en ce bureau à seule fin de ne
pas me mettre trop tôt au non moins obligatoire apéritif. Comme je me
sens déjà fatigué avant même d'avoir bu la première gorgée (contre-coup
de notre embardée vauclusienne ?), je pense que cette première soirée
solitaire ne devrait pas être bien longue.
Samedi 20 septembre
Midi et demie. –
Comme je me suis passé d'apéritif hier soir – une grande première, je
crois, en l'absence de Catherine –, je me suis réveillé en grande forme
ce matin et me suis, sitôt mon lever ou presque, mis à m'agiter
comme un dément en pleine crise. J'ai commencé par passer l'aspirateur
dans la porcherie qui, depuis quelque temps, nous tenait lieu
d'automobile, afin d'y traquer toute la poussière de croquettes qui s'y
était accumulée. Ensuite, changeant d'instrument, c'est-à-dire troquant
le vieil engin habituellement remisé dans la Case pour le Dyson
ultra-moderne, j'ai fait la même chose dans toute la maison ; au grand
étonnement de Bergotte, peu habitué à me voir m'agiter en général, et
encore moins lorsque la patronne a le dos tourné. J'avais prévu de
tondre le jardin cet après-midi ; mais comme j'étais déjà tout
transpirant, et ne me souciais ni de le demeurer ni de prendre deux
douches dans la même journée, j'ai immédiatement sorti la tondeuse de
son abri et accompli sans mollir cette troisième besogne. Il ne me
reste plus qu'à aller chercher du pain à Pacy, puis passer par le Super U
de Saint-Aquilin afin d'y faire quelques provisions de bouche et de
gosier, emplir le jerrican tout neuf d'essence pour la tondeuse et
passer Liselotte dans les rouleaux nettoyeurs, car je me suis aperçu que
nous avions rapporté de notre périple vauclusien un nombre considérable
de chiures d'oiseaux.
Je pense après ça que l'apéritif de ce soir ne sera pas usurpé.
–
Après avoir terminé le volume consacré à différents livres de Revel, je
ne sais trop ce qui m'a donné l'idée et l'envie de reprendre la Rue des Maléfices
de Yonnet ; toujours est-il que je l'ai fait, et que sa lecture me
ravit toujours autant, bien qu'elle doive être la troisième, si ma
mémoire est bonne. J'en ai même, hier matin, tiré un petit billet.
Dimanche 21 septembre
Six heures et demie. – Je viens de regarder les deux premiers épisodes d'une série que j'ai ratée lors de sa sortie, Six feet under : ça s'annonce très bien.
– Je ne sais trop pourquoi, hier soir, écoutant Piaf chanter Milord,
je me suis mis à repenser à l'Éthiopie et aux deux semaines que nous
avons passées à Awasa, au mois d'août 1973, alors que mon père était en
poste à Djibouti. Nous appellerons ça les “connexions alcooliques”…
Toujours est-il que j'en ai fait un billet à chaud, que j'ai
prudemment gardé en réserve jusqu'à ce matin, me méfiant de mes
inspirations en état de semi-ébriété. Comme il m'a semblé correct au
réveil, je l'ai finalement publié.
–
À part ça, la journée m'a semblé ne plus devoir finir : il est temps
que Catherine rentre au bercail ; ce sera pour demain en fin
d'après-midi.
Mardi 23 septembre
Onze heures du matin.
– Catherine est bien rentrée hier comme prévu, et à l'heure dite. Nous
étions de retour de la gare d'Évreux aux alentours de six heures, ce qui
était une heure parfaite pour nourrir Bergotte, et non moins indiquée
pour entamer un petit apéritif de retour, ce qui explique mon absence en
ce journal.
– En principe, j'aurais dû reprendre le
travail hier et, donc, me trouver à Levallois aujourd'hui. Mais,
dimanche matin, je me suis aperçu que je n'avais nulle envie d'une
reprise aussi rapide ; j'ai donc demandé à mes puissances tutélaires de
m'accorder une semaine supplémentaire, ce qui, à mon sens, devait
pouvoir se faire sans aucune gêne, tout le monde, à la rédaction, étant
désormais revenu de ses sacro-saintes vacances d'été. Comme je n'ai reçu
aucune commande d'article à écrire, j'en ai déduit que l'affaire était
entendue, puisque aucun de mes chefs n'a pris la peine de me répondre…
–
Catherine est rentrée de chez sa fille déterminée à ne pas prendre de
nouveau chien tant que Bergotte vivra. La décision me va très bien, même
si j'ignore combien de temps elle va rester en vigueur.
Sept heures vingt. – Je viens de commander coup sur coup Les Enfants de l'Arbat de Rybakov, les Mémoires de Sakharov et l'autobiographie (Et le vent reprend ses tours)
de Boukovsky : il me semblait que mon anticommunisme avait besoin de se
raffermir un peu. Les deux derniers cités étaient, sur Price Minister,
mis à vente à 0,90 € chaque ; mais avec 4,50 € de port, ce qui m'agace
toujours un tantinet. Mais enfin, la littérature reste un plaisir peu
coûteux, Dieu merci.
Mercredi 24 septembre
Sept heures vingt. –
Courte visite, ce matin, à la clinique Pasteur, pour un entretien avec
le Dr Bram, autour du scanner que j'ai passé il y a deux semaines : rien
à signaler.
– Rien à signaler non plus pour le restant
de la journée, qui s'est passé à lire les chroniques de Revel. Au-delà
du plaisir et de l'intérêt que j'y prends, j'en retire aussi une forme
de lassitude, quand je constate que l'on peut bien poser un diagnostic
parfait sur un problème – et il le fait très souvent –, vingt ans après
le problème est toujours là, intact voire aggravé ; et les anathèmes
stupides qu'il dénonce sont toujours en fonction.
Jeudi 25 septembre
Huit heures. –
Quand des hordes musulmanes fanatiques mettent la moitié du
Proche-Orient à feu et à sang, quand ces mêmes personnages appellent
leur sympathisants de France à massacrer le maximum de Français en
représailles de la guerre voulue par le président Hollande, lorsqu'un
Français – inconscient à la limite de l'idiotie, certes – se fait
égorger par d'autres musulmans de même obédience en Algérie, quel est le
principal danger qui nous menace, le péril à quoi il faut faire face de
toute urgence ? L'is-la-mo-pho-bie, évidemment. C'est
l'inénarrable Élodie qui nous l'affirme. La cécité volontaire est un
phénomène qui me fascine de plus en plus ; il m'inquiète aussi,
évidemment : comment puis-je être certain que, sur d'autres sujets,
voire sur celui-ci, je n'en suis pas moi-même la victime ?
Plus
le temps passe, plus les signes d'écroulement généralisé s'accélèrent
en Europe, plus je pense que nous ne parviendrons pas à éviter notre
disparition complète ; je crois de moins en moins au sursaut ; peut-être
sommes-nous déjà en agonie sans bien le savoir.
Vendredi 26 septembre
Sept heure et demie.
– C'est tout de même crevant, toutes ces abyssales sottises que l'on
peut lire chez les blogueurs ; et encore me gardé-je des plus
trisomiques d'entre eux ; juste avant de venir ici, faisant un tour chez
la gentille Élodie, je tombe sur le commentaire d'un certain Mika (ou
d'une certaine, puisqu'en notre époque merveilleusement dégenrée,
les pseudonymes se doivent d'être, eux aussi, de sexe indéterminé) qui,
si on le lit correctement, montre exactement le contraire de ce qu'il
entendait prouver. Le voici :
J'ai une anecdote flippante : hier en rentrant en train entre Perpignan et Montpellier, le train était bondé, et des musulmans ont parlé un peu fort dans une ambiance un peu tendue. Une dame s'est levée pour dire que c'était la fin de la France et que ces gens sont tous des terroristes, ca a failli dégénérer en bagarre. j'ai eu des sueurs froides. Je ne comprends pas comment peut-on amalgamer une lecture du Coran réfléchie et pratiquée de manière respectueuse et la lecture radicale, qui encourage le martyre, le djihad, le rabaissement de la Femme etc...
Ce sont deux mondes différents qu'il convient de ne pas mélanger. Idem entre les dévots chrétiens qui confinent à la bigoterie et l'irrespect des autres et ceux qui sont catholiques mais qui ont une lecture plus large et respectueuse d'autrui.
Les radicaux sont ceux qui parlent le plus fort et qui inspirent terreur et désolation sur leur passage afin d'imposer leur vision des choses. C'est le contraire absolu des principes de base de ladite religion coranique.
Je lui ai à mon tour laissé le commentaire suivant :
Ah, Mika, Mika ! Si vous n'existiez pas, il faudrait vous inventer de toute urgence !
D'ailleurs, maintenant que j'y songe, je me demande si vous n'avez pas été créé de toutes pièces par une bande d'islamophobes bourrés comme des coings et d'humeur festive, histoire de rire un peu entre eux.
(J'aime particulièrement vos braves musulmans qui ont parlé "un peu fort" dans une ambiance "un peu tendue" (en français de tous les jours : qui faisaient chier le wagon entier et braillaient de façon agressive) et ce terrible monstre féminin qui a osé les défier : c'est une scène très réussie.)
D'ailleurs, maintenant que j'y songe, je me demande si vous n'avez pas été créé de toutes pièces par une bande d'islamophobes bourrés comme des coings et d'humeur festive, histoire de rire un peu entre eux.
(J'aime particulièrement vos braves musulmans qui ont parlé "un peu fort" dans une ambiance "un peu tendue" (en français de tous les jours : qui faisaient chier le wagon entier et braillaient de façon agressive) et ce terrible monstre féminin qui a osé les défier : c'est une scène très réussie.)
Mika, le gentil garçon qui, le jour venu, tendra sa gorge au couteau en chantant un cantique citoyen.
–
Ce matin, dès huit heures, Catherine et moi nous présentions à la
clinique Pasteur, elle pour une échographie, moi pour un scanner. Nous
devions être très mignons, tous les deux, chacun avec sa petite
ordonnance à l'arrivée, et ses petits clichés à la sortie.
S'aimer, passé un certain âge, ce n'est pas se regarder l'un l'autre, c'est se diriger ensemble vers le même hôpital.
– Du côté des lectures, panachage iinattendu du Passé d'une illusion, de Furet, avec la Rue des Maléfices d'Yonnet.
Samedi 27 septembre
Sept heures dix. – Le facteur m'a apporté ce matin – enfin, plutôt à midi et demie – deux gros volumes : le premier tome des Enfants de l'Arbat, de Rybakov, et Le Voleur dans la maison vide,
c'est-à-dire les mémoires de Revel ; c'est sur ce dernier que je me
suis rué (enfin, n'exagérons rien tout de même…), remisant illico
François Furet, ses illusions et son passé. Cette lecture m'a occupé le
restant de la journée, hormis l'heure durant laquelle Morphée est venu
exercé sur moi son droit impérieux de suzerain naturel. Et il n'est pas
très difficile de subodorer qu'il en sera exactement de même demain.
Dimanche 28 septembre
Sept heures et demie. –
Il m'aura fallu deux jours pour avaler avec gourmandise, pour ne pas
dire gloutonnerie, les presque six cents pages des mémoires de Revel,
lecture passionnante, surtout pour qui, comme moi, a vécu l'époque dont
il parle (en tout cas dans la seconde moitié du livre…) ; et le récit
est subtilement construit, avec ses incursions dans le futur proche, ses
retours au temps principal du récit, qui donnent au lecteur une
impression de houle, celle provoquée par l'histoire qui passe. Sous le
coup de cette lecture, j'ai commandé deux autres livres du même : La Connaissance inutile, qui traite, si j'ai bien compris, de la presse et du journalisme, et La Tentation totalitaire. J'ai aussi comme un vague désir de relire Raymond Aron, mais je pense que je vais y résister assez facilement.
Lundi 29 septembre
Onze heures du matin. –
État d'alerte dès les aurores. Je me suis levé au beau milieu d'une
double crise : tremblements convulsif chez Golo et culpabilité chez
Catherine ; c'est d'ailleurs elle qui m'a réveillé pour que je vienne
prendre ma part du drame. Hier soir, tandis que nous regardions Bardot
et Gabin évoluer devant la caméra d'Autant-Lara, Catherine s'est soudain
avisée que le chat, qui se prélassait en son giron, avait une ou deux
puces ; elle a aussitôt décidé d'un traitement énergique et, comme il ne
nous restait plus de “pipette” pour félins, nous lui administrâmes donc
une demi-pipette dévolue au même usage mais pour les chiens.
Terrible
erreur : ce matin, donc, la pauvre bête était agitée de spasmes
incessants de tout le corps. Une rapide recherche sur Internet apprit à
Catherine que le produit réservé aux chiens était mortel pour les chats.
D'après les renseignements glanés sur divers forums, soit l'animal
mourait à coup sûr si on ne faisait rien, soit il était bon pour rester
sous perfusion 24 heures sur 24 et durant plusieurs jours, chez le
vétérinaire, cela sans garantie de succès. En proie à une culpabilité
paralysante, Catherine m'a réveillé, afin que je décide de ce qu'il
convenait de faire, tout en répétant en boucle que c'était de sa faute,
etc. C'est pourquoi je l'ai expédiée – à dessein un peu rudement – chez
notre vétérinaire, au moins pour l'occuper et lui éviter de “se tourner
les sangs” comme aurait dit ma grand-mère Suzanne. Bonne initiative :
d'après le praticien, 48 heures sous perfusion devraient suffire à tirer
Golo de ce mauvais pas ; nous en saurons sans doute un peu plus demain
matin.
Sept heures vingt. – Après avoir lu mon
journal d'août, mis en ligne ce matin, Catherine me dit que j'y parle
presque uniquement de mes lectures ; c'est une chose qui ne m'a pas
frappé lors de mes deux ou trois relectures, mais elle a probablement
raison. Il est vrai que, durant ce mois, nous ne sommes pas sortis de la
maison et n'y avons reçu personne : cela n'aide pas à varier les sujets
de “conversation”. Je ne vais tout de même pas me mettre à commenter
l'actualité gouvernementale…
– Et puisqu'on parle de mes lectures, j'ai commencé tout à l'heure les Mémoires de Sakharov, arrivés ce matin en même temps que l'autobiographie de Boukovsky (qu'on trouve aussi orthographié Boukovski
: je ne sais laquelle vaut mieux, de ces deux versions). J'en ai lu 80
pages sur près de 800 : j'espère que l'intérêt va croître car, pour
l'instant, cette lecture ne m'emballe guère ; il est vrai que, en même
temps que je tournais les pages, je luttais contre le sommeil…
– Pas de nouvelles de Golo ; donc, a priori, il doit être toujours vivant.
Mardi 30 septembre
Sept heures vingt. –
Le premier travail de ce matin fut d'appeler la clinique vétérinaire
pour y prendre des nouvelles de Golo : il va mieux, les symptômes
neurologiques ont nettement diminué, mais il devra rester encore sous
perfusion (ou simplement en observation ?) durant quarante-huit heures.
–
Mon retour à FD après deux semaines s'est effectué comme les fois
précédentes : sans le moindre enthousiasme, mais sans peine non plus.
– Et la couleur de certains arbres et arbustes atteste que nous sommes bien entrés dans le vrai automne (le contraire aurait d'ailleurs été étonnant, à cette date).
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