CANCER DE L'APPAREIL CRITIQUE
Vendredi 1er août
Sept heures dix. – Si nous continuons à suivre cette pente, nous allons bientôt dîner à la même heure que des Canadiens de souche. Du reste, je m'en moque éperdument : le principal pour moi, désormais, est que le repas n'excède pas dix minutes ; au-delà, j'ai l'impression de perdre mon temps, même si, par ailleurs, je n'ai rien de particulier à faire du temps en question : c'est simplement que, en l'espace de quelques années, et fort peu, j'ai perdu tout intérêt pour la table. Désormais, un repas réussi est un repas expédié ; c'est sans doute l'une des raisons pour lesquelles Catherine et moi refusons désormais à peu près toutes les invitations à déjeuner ou à dîner : la simple idée d'un repas qui s'éternise suffit généralement à me faire renoncer à la compagnie, y compris à celle des gens que j'aime bien. Quant à Catherine, c'est la perspective de “contacts sociaux” qui la fait immanquablement se renfoncer dans la tanière. Une belle paire d'ours, en somme.
– J'ai moins lu que grappillé
aujourd'hui : quelques pages du prince de Ligne, une historiette de
Tallemant, une ou deux dizaines de fables de La Fontaine… C'est un mode
de lecture fort agréable, d'ailleurs ; mais, évidemment, il est des
livres qui s'y prêtent plus difficilement (quelques pages de Guerre et Paix, un chapitre de Hegel, une ou deux dizaines de vers d'Agrippa d'Aubigné…).
–
Je ne sais si les antibiotiques ont commencé leur effet dès hier soir
(j'en doute vraiment beaucoup), mais j'ai passé une assez bonne nuit
(quatre aller-retour aux toilettes tout de même) et, aujourd'hui, j'ai à
peu près maîtrisé les transferts de liquidités ; la brûlure, elle, est
sagement revenue au stade d'une simple et très supportable sensation de
chaleur au moment même de la miction. Tout cela ne m'a nullement empêché
(et pourquoi cela aurait-il ?) d'écrire cinq mille signes dès ce matin,
à propos de Philippe Bouvard et de sa Ferrari F 40 ; sujet sans le
moindre intérêt bien entendu mais, sans doute pour cela même, plutôt
amusant à mettre en forme.
Samedi 2 août
Sept heures dix. – J'étais occupé à poursuivre ma lecture des Mémoires
du prince de Ligne, avec toujours un grand plaisir, lorsque je me suis
dit qu'il fallait tout de même que je me remette à lire des romans, que
cette interruption avait assez duré ; et j'ai pris le premier de la
pile, à main gauche, qui s'est trouvé être Le Jeu du siècle de
Kenzaburô Ôé. J'en ai lu environ 80 pages (sur 450) d'une traite : le
moins que l'on puisse dire est que c'est assez dépaysant. Mais est-ce le
côté japonais qui produit cela ou simplement le fait de revenir à une
œuvre de fiction ? L'effet n'est pas déplaisant, du reste.
– Parce que nous sommes en plein cœur de l'été
(style FD), la blogosphère est bien tranquille ; à l'exception de
Nicolas et de Corto, ces deux frères ennemis, qui, depuis hier soir, se
lancent des mongoliens à la tête, chacun accusant l'autre de ne plus
appartenir à l'espèce humaine. Mon avis est qu'ils ont eu tort tous les
deux de se lancer dans cet échange – exemple typique de l'impasse dont
nul ne peut sortir indemne –, mais Nicolas me semble avoir un peu plus
tort que Corto, non seulement parce que c'est lui qui a porté la
première attaque totalement gratuite (affirmant que l'autre parlait des
trisomiques sans en rien savoir ; manque de chance, Corto a un frère
adoptif qui l'est…), mais surtout parce que, au lieu de se taire après
cette première bévue sans importance, il s'obstine à essayer de
démontrer que c'est son contradicteur qui a tous les torts, ce qui
l'oblige à s'enfoncer dans une mauvaise foi dont il va avoir du mal à
sortir. De son côté, Corto n'a pas résisté à la tentation de brandir ce
frère infirme comme une massue afin d'en assommer son adversaire ;
c'est-à-dire qu'il a utilisé à son profit cette “dictature de l'émotion”
qu'il est toujours prompt à flétrir quand ce sont les autres qui la
manient. Enfin, scripta volent…
– Tout à l'heure, j'ai presque décidé de me lancer demain dans l'écriture du premier chapitre de mon très hypothétique roman…
Dimanche 3 août
Sept heures et demie. –
Passé l'essentiel du temps avec Kenzaburô Ôé : il me reste, ce soir,
une petite centaine de pages à lire, de ce roman dans lequel j'ai eu un
peu de mal à entrer – comme souvent dans les romans “asiatiques” –, mais
qui, ensuite, m'a empoigné, par son climat si particulier d'angoisse
diffuse, de fin du monde, d'hommes condamnés à la répétition du même ;
et aussi par la tendresse non frelatée qui passe de l'auteur à ses
personnages. Mais enfin, je n'ai guère envie, ce soir, de m'étendre plus
avant.
– J'ai aussi pris quelques notes sur ce qui
devrait être mes deux personnages principaux. C'est maigre, à peine
esquissé, mais enfin, symboliquement, le travail est commencé. Et puis,
ces deux hommes ont au moins un nom et un âge, ce qui n'est déjà pas si
mal, après tout. Tandis que je travaillais à cela, il m'est apparu qu'un
personnage féminin principal était indispensable : je pense l'avoir à
peu près trouvé. En tout cas, je “la” vois assez bien.
Lundi 4 août
Sept heures et demie.
– Journée en demi-teintes, mais tirant assez nettement vers le gris ;
principalement en raison de cette saloperie nichée dans ma vessie qui
semble à avoir à cœur de me narguer en m'envoyant pisser, quatre
gouttes, toutes les demi-heures, et de manière très comminatoire. De
plus, aujourd'hui, ont commencé à apparaître de vagues douleurs dans le
bas-ventre et dans les reins, ou plutôt dans le rein car,
contrairement à ce qu'on prétend des membres amputés, les reins absents
semblent avoir le bon goût de ne pas faire croire à leur ancien
propriétaire qu'ils sont toujours là. Fort heureusement, j'avais à
nouveau rendez-vous chez le médecin, cette fois muni des résultats
d'analyses, tout frais émoulus du laboratoire voisin de son cabinet. Il
s'est avéré que la saloperie évoquée plus haut, et dont je me suis
empressé d'oublier le nom, est réfractaire à la plupart des
antibiotiques. On peut donc espérer qu'avec celui (à mon âge, j'ai
encore dû saisir le dictionnaire pour vérifier le genre d'antibiotique
: misère…) que j'ai commencé à prendre ce soir les choses
s'amélioreront de façon notable dans les quarante-huit heures. Si ce
n'était pas le cas, je me verrais contraint d'annuler mon déjeuner de
samedi chez les Desgranges, car c'est le genre de journée qui réclame
tout de même une certaine autonomie vésicale.
J'ai
néanmoins fini, ce soir, juste avant de passer à table, le livre d'Ôé.
Inutile de préciser, je pense, que mon brouillon de projet d'ébauche
d'illusion de roman est resté aujourd'hui au point mort ; même si j'y ai
pensé à plusieurs reprises, tandis que je lisais le Japonais.
Mardi 5 août
Sept heures et demie. – Me voilà, dans mes lectures, devenu furieusement passéiste depuis hier soir. Tout d'abord un roman de René Boylesve, La Leçon d'amour dans un parc, puis Sous la hache d'Élémir Bourges, et enfin, voilà une couple d'heures, j'ai enfin commencé Le Mariage de Chiffon, de Gyp, qui somnole dans la pile d'attente depuis de longs mois. J'ai dit ce matin, dans un billet,
à peu près ce que je pensais du premier. Le second m'a déçu et ennuyé,
cela parce que ceci. Il m'a d'ailleurs moins déçu – je n'en attendais
rien – qu'ennuyé : durant ses 130 pages, j'ai eu l'impression de lire la
longue rédaction d'un élève de troisième plutôt doué, mais rien au-delà
; ou encore le scénario romancé d'un téléfilm français, dans lequel on
devine systématiquement vingt minutes à l'avance le “coup de théâtre”
qui s'en vient. Gyp, en revanche, pour les cent pages que j'en ai lu
avant le dîner, me semble plus intéressante ; plus légère d'abord, plus
nerveuse, virevoltante même, par endroit, avec une acidité du regard sur
le monde qu'elle décrit, avec, en effet, Michel Desgranges n'avait pas
tort de me le dire, un humour et une acuité qui peuvent la faire passer
pour une sorte de protoproust – sans le génie, il va sans dire.
–
Au milieu de tout cela, j'ai consacré une demi-heure à FD et à Marion
Cotillard ; que je verrais très bien dans un téléfilm tiré du roman de
M. Bourges, du reste ; je sais même quel rôle je lui attribuerais :
celui de l'ex-maîtresse de Charette, qui tombe sous le charme du bel
officier révolutionnaire. Avec sa façon d'en faire des tonnes, elle
serait parfaite dans la scène finale, quand elle irait récupérer la tête
de son amant dans le panier de la guillotine pour un dernier baiser,
avant de se brûler elle-même la cervelle : le 7 d'or assuré.
Mercredi 6 août
Sept heures et demie. –
Je n'ai pas noté que j'étais venu à bout, il y a deux ou trois jours,
du dernier magazine de mots croisés que mon père avait laissés en plan.
Et, malgré les nombreuses heures que j'y ai passé (accord de ce
participe ou pas ? Après hésitations et remords, je penche pour pas
d'accord), je sens d'ores et déjà qu'il s'agit d'un épisode clos et que
nulle tentation ne devrait venir m'assaillir de continuer l'exercice
“pour mon propre compte”.
– Plus de mots croisés
signifie d'abord davantage de lectures dans la journée : rien que pour
cela, il est bon que je laisse ce dérivatif derrière moi. Aujourd'hui,
fin du Mariage de Chiffon, quelques dizaines de pages du prince
de Ligne et quatre ou cinq contes fantastiques de Théophile Gautier ;
tout cela en “panachage”. Quant à Catherine, c'est à son tour d'aller
prendre une petite Leçon d'amour dans un parc…
Jeudi 7 août
Sept heures et demie. –
Les récits courts (de dix à trente pages) de Gautier me plaisent
beaucoup, mais dès qu'il outrepasse cette limite, disons pour atteindre
la centaine de pages, cette façon qu'il a, quand on pénètre en un lieu
inconnu, de ne nous faire grâce de la description d'aucune tenture,
aucun bahut, aucun bibelot, etc., cette façon me tape un peu sur le
système ; par ce côté, et sans doute par celui-là seulement, il pourrait
être un annonciateur des Goncourt, qui me fatiguent eux aussi pour
cette même raison, encore accentuée chez eux, il me semble.
Autre
agacement, nettement plus fort (mais le malheureux auteur n'y est pour
rien, cette fois) : les “notes de bas de pages”, dues à un universitaire
suisse mort, lesquelles sont nombreuses et d'une assez rare stupidité.
Je dis “rare” mais, à l'instant, en commentaire de ce billet,
Michel Desgranges m'assure que ce n'est rien, par rapport à celles des
volumes de La Pléiade postérieurs à 1975, et notamment des trois volumes
de Jarry qu'il est occupé à lire. Déjà, que l'on puisse parvenir à
faire trois volumes de Pléiade avec l'œuvre assez mince de Jarry, en dit
assez long sur la prolifération du cancer universitaire dans les
“appareils critiques”.
– Sinon, en début d'après-midi,
j'ai écrit environ six mille signes à propos de Sophie Davant, dont j'ai
déjà perdu à peu près toute mémoire, mais qui furent mon travail du
jour.
Dimanche 10 août
Deux heures de l'après-midi.
– Mon cher Michel,
soyez
une nouvelle fois remercié pour votre accueil d'hier, qui fut
exactement semblable à celui des fois précédentes, c'est-à-dire parfait.
Comme vous l'avez peut-être vu déjà, j'ai tenu parole et relaté sur le blog les mésaventures sexuello-guerrières des sieurs de Bassompierre et de Rossworn.
Ce
matin, je ne sais pourquoi, je me suis dit qu'il serait bon de déserter
le XVIIe siècle et de revenir, serait-ce un moment, à des lectures plus
contemporaines ; c'est pourquoi j'ai extrait Roger Nimier de ma pile
d'attente, où il somnolait depuis plusieurs mois. Mais le hasard a voulu
qu'il s'agît de son D'Artagnan amoureux ; si bien que me voilà
de nouveau chevauchant derrière Louis XIII pour aller mettre le siège
devant Perpignan, lutinant dans une embrasure la toute jeunette Marie de
Rabutin-Chantal, assistant discrètement, rue Tiquetonne, à une
conversation de huit pages entre Roger de Bussy-Rabutin, Paul de Gondi
et un Blaise Pascal tout frais débarqué d'Auvergne, et passant des
dorures vaticanes d'Urbain VIII aux antichambres de Mazarin. Je viens
même de croiser furtivement votre ami Bassompierre, tout juste extrait
de sa Bastille !
Bref, une lecture tout à fait
savoureuse pour un dimanche pluvieux, venteux et sédentaire. Je vais
d'ailleurs y retourner immédiatement.
Amitiés,
Didier
–
On a compris que j'ai passé une partie de la journée d'hier chez les
Desgranges – sans Catherine, qui devient de plus en plus rétive, dès
qu'il s'agit de franchir les limites de notre jardin. Nous avons
beaucoup parlé de littérature, d'histoire, mais aussi de séries
télévisées, et ne fûmes interrompus, vers la fin du repas, que par le
mignon petit faon venu voir, à travers la baie vitrée, à quoi pouvaient
bien ressembler des humains attablés et discourant.
Michel a eu l'air estomaqué, voire incrédule, quand je lui ai assuré tout ignorer – et jusqu'à son existence – de La Guirlande de Julie,
ce recueil de poésies composé à la gloire de Julie d'Angennes par tout
ce que l'hôtel de Rambouillet comptait alors de visiteurs célèbres,
d'Arnaud d'Andilly à Tallemant des Réaux, en passant par Chapelain,
Conrart et quelques autres. Bien entendu je savais (à peu près…) ce qu'a
représenté l'hôtel de Rambouillet dans l'histoire des Lettres
françaises, et les noms que je viens de citer m'étaient connus, à défaut
d'être familier de leurs œuvres, mais je reste bien certain que jamais
je n'avais entendu parler de cette fameuse guirlande.
–
Les récentes escarmouches entre Israël et le Hamas ont au moins eu ceci
de bien qu'elles ont vraiment fait tomber les masques des
palestinolâtres antisémites. Ainsi, ce soir, Rosaelle en arrive à
menacer Nicolas de débarquer au Kremlin-Bicêtre avec son “mec” pour que
ce dernier lui casse la gueule : la petite bourgeoise se racaillise
de façon réjouissante. De son côté, en version plus policée (parce
qu'il est sans doute moins tête-près-du-bonnet), Juan Sarkofrance perd
complètement les pédales et en arrive, en trois lignes, à dire tout et
son contraire. Comme par exemple ceci : « Mais je n’ai rien contre les
musulmans. Je déteste simplement cette religion autant que les autres –
ni plus ni moins. »
Je viens de lui laisser le commentaire suivant :
Évidemment il ne me répondra pas : je ne pense pas assez bien pour que M. Sarkofrance daigne s'adresser à moi directement (quoiqu'il le fasse parfois), ce qui m'amuse toujours beaucoup.
Lundi 11 août
Sept heures et demie. –
J'étais tout surpris, ce matin, de recevoir mon travail dès dix heures,
ce qui est très inhabituel pour un lundi. Je ne sais pourquoi, j'ai
décidé de m'y mettre séance tenante, plutôt que de le laisser mijoter
jusqu'à une ou deux heures de l'après-midi, comme c'est habituellement
le cas. Il devait être onze heures lorsque, parvenu environ à la moitié
de mes cinq mille signes, je m'avisais que vendredi – notre jour de
parution – tombant le 15 août, il était possible que ce numéro de FD
sorte avec une journée d'avance et que, donc, le bouclage
intervienne mardi midi plutôt que mercredi à la même heure. À titre
purement informatif, j'ai posé la question par mail à ma rédactrice en
chef ; laquelle m'a répondu presque aussitôt que le journal bouclait aujourd'hui à
midi, ce dont personne n'avait jugé bon de m'avertir. Je leur ai
expédié mon article terminé à midi moins dix, mais ce ne fut pas de leur
science.
– Ayant réussi ma matinée, j'ai eu à cœur de
ne pas gâcher mon après-midi, si bien que j'ai proprement tondu le
jardin quelques quarts d'heure avant que l'eau ne se mettre à choir en
trombes. Et, sur les coups de six heures, quand Catherine s'est servi un
verre de Crémant d'Alsace, j'ai stoïquement résisté à la demi-bouteille
de riesling qui traînait dans la porte du réfrigérateur. À la place,
j'ai continué de m'intéresser aux malheurs de L'Héritière de Birague, dont j'ai même fait un petit billet
que personne n'a lu, ou en tout cas commenté. Avec cela, la température
aujourd'hui n'a pas dépassé les 18° frisquettement celsius.
– Pendant ce temps, les palinodies de nos progressistes en robe de chambre continuent, à propos du conflit israélo-arabe.
Mercredi 13 août
Sept heures.
– J'ai passé une partie de mon après-midi à ensevelir Lauren Bacall
sous six mille signes de texte. La “nécro” est un exercice que j'aime en
général assez bien – mais ça dépend aussi un peu du personnage à
inhumer –, dans la mesure où, le plus souvent, on m'y accorde toute
liberté. Il m'est arrivé d'être mieux inspiré que pour ce texte
concernant Bacall, qui n'a jamais fait partie de mon petit panthéon,
mais enfin je crois ne m'en être pas trop mal sorti.
– Le deuxième roman de ce volume consacré au Balzac d'avant Balzac est plus étonnant que le premier (L'Héritière de Birague) ; il s'intitule Jean Louis, ou la fille trouvée.
Comme il se passe en 1788, c'est-à-dire à une époque presque
contemporaine de l'auteur, il permet à Balzac de pointer davantage le
bout de son nez que dans le premier, qui se déroulait sous la régence de
Marie de Médicis. Mais il ne le fait pas uniformément, plutôt par
à-coups. C'est-à-dire que les personnages principaux restent encore pris
dans les conventions du roman traditionnel de ces années 1820 (quoique
avec un humour presque omniprésent en plus), mais qu'un ou deux, et
spécialement un, sont déjà de la plume du Balzac futur. C'est le cas en
particulier de ce personnage de petit clerc (son nom m'échappe et le
livre est resté au salon…), intelligent, malin, dénué de scrupules et
dévoré d'ambition. Chaque passage le concernant nous projette
brusquement dix ans en avant, dans la Comédie humaine ; et, dès
qu'on le quitte pour revenir aux “héros”, bons ou mauvais, on repart en
arrière. Sans pousser plus loin l'analogie, il fait penser à Panurge
dans l'œuvre de Rabelais, beaucoup plus moderne, plus romanesque
au sens où nous l'entendons, que les Pantagruel, Gargantua et autres. Ce
qui est passionnant à observer, c'est que ce saute-ruisseau prend de
plus en plus d'importance et de place à mesure qu'avance le roman ; on
sent que l'auteur a hâte de revenir à lui et qu'il y prend plus de
plaisir qu'à manier ses marionnettes plus conventionnelles. Je parierais
volontiers que cette “prise de place” n'a pas été voulu dès le départ,
qu'elle ne figure pas dans le synopsis, mais qu'elle s'est en quelque
sorte imposée à Balzac. Nous qui connaissons la suite ne pouvons que le
comprendre : comment n'aurait-il pas consacré toute son attention à ce
jeune homme parti d'à peu près près rien et qui ne songe qu'à s'élever,
qui voit la société comme une échelle dont il convient de franchir les
barreaux à tout prix, et qui met à cette élévation une énergie presque
surhumaine ? Bref, à ce possédé par une idée fixe, ce qui est le propre
de la plupart des grandes figures balzaciennes.
Jeudi 14 août
Onze heures du matin. – Le petit clerc ambitieux et sans scrupules dont je parlais hier soir s'appelle Courottin ; et il ne l'a pas volé.
Sept heures.
– La série noire canine semble ne pas vouloir s'arrêter. Bergotte, qui
vomit depuis trois jours et se gratte sans arrêt, a été emmenée chez le
vétérinaire cet après-midi. Bilan : son cœur est trop gros, ce qui a
entraîné un œdème pulmonaire (je m'aperçois, en l'écrivant, que je ne
vois absolument pas le rapport avec les symptômes présentés). Donc, fini
pour elle les longues marches avec Catherine et bienvenue dans le cycle
que l'on ne connaît que trop, celui des médicaments à prendre ad vitam. Elle n'a pourtant que huit ans, ce qui, pour un chien de cette taille, n'est pas spécialement vieux.
–
Il est fortement question que nous allions passer trois ou quatre jours
dans le Vaucluse, chez “les Pluton”, ainsi que Catherine les dénomme
ordinairement. Le prétexte en est l'espèce de “cours musical” (les
guillemets sont de lui…) que Jérôme Vallet a prévu de donner à ses
élèves à propos de la sonate en général et de l'opus 111 en particulier,
lequel constituera une sorte de suite “didactique” au concert qu'ils
sont allés entendre ensemble – Jérôme, ses élèves et les Pluton – à La
Roque d'Anthéron, le mois dernier. Rien n'est encore arrêté mais ce
semble en bonne voie.
– Le ciel est “bouché de chez
bouché”, et il tombe une jolie pluie dense et régulière qui ne
déparerait pas un mois de novembre ; en quittant la maison il y a dix
minutes, j'ai consulté le thermomètre de la terrasse : 15°…
Vendredi 15 août
Sept heures et quart. –
Hormis la petite heure que j'ai consacrée à écrire trois mille signes
sur Michel Galabru et Madame, j'ai passé l'entièreté de cette journée au
XVIIe siècle, au cœur du Forez de d'Urfé d'abord, dans les alcôves de
Tallemant des Réaux ensuite ; je m'en suis fort bien porté. Pris par cet
entraînement Grand Siècle (Grand siècle prématuré néanmoins, car aussi
bien L'Astrée que les Historiettes sont antérieures au
siècle de Louis XIV proprement dit), ayant trouvé le premier volume en
Pléiade (celle de 1963) des lettres de Mme de Sévigné pour la modique
somme de dix euros, je me suis empressé de le commander ; et je résiste
fort mal à l'envie de faire pareil pour le premier volume de Tallemant,
qui, lui, en coûte le double.
– Catherine et moi avons
décidé, ce matin, que même si Jérôme ne pouvait repousser sa “causerie
musicale” au samedi 13 septembre, nous irions néanmoins passer trois
jours chez Anna et Dominique, en leurs terres vauclusiennes ; du reste,
il semble que, du côté du conférencier, les choses soient également en
passe de s'accommoder.
– Long week-end du 15 août
oblige, la blogosphère est à peu près morte ; ce qui est autant de gagné
pour l'intelligence et la sérénité des esprits.
Samedi 16 août
Sept heures et demie. – Quelle belle journée tranquille ! Passée à continuer de lire L'Astrée,
qui m'enchante, à part la demi-heure où j'ai empoigné la tondeuse pour
ratiboiser le jardin, ce qui était une autre façon d'être champêtre,
quoique plus bruyante. Après la tondeuse (et la douche subséquente),
j'ai dit à Catherine que je boirais bien un verre : c'est à peine si
j'ai vidé la bouteille de riesling offerte pour cet holocauste, et me
voici à ce clavier sans verre à portée de main, n'en ayant plus envie :
soit je deviens incompréhensiblement raisonnable, soit je suis tout près
de mourir et n'en sais encore rien. À part un engin agricole, tournant
très au loin, il règne ici une paix invraisemblable.
Dimanche 17 août
Sept heures cinq. – D'Urfé, Tallemant ; et, pour conclure, une terrine de poulet en gelée et une assiette de frites.
Lundi 18 août
Sept heures et demie.
– Court séjour à l'hôpital d'Évreux pour y subir un électromyogramme,
sous le haut-patronage d'une neurologue plutôt sympathique quoique fort
maigre. Le but était de déterminer si les fourmillements continuels, et
de plus en plus présents, qui, partis de mes pieds, ont désormais pris
possession de l'intégralité de mes mollets, en attendant mieux je
suppose, sont bien d'origine neurologique. Verdict : ils sont. Je dois
maintenant passer un scanner lombaire, pour je ne sais plus quelle
raison, et un bilan sanguin dont l'énoncé est aussi long qu'un
paragraphe proustien, afin de déterminer la cause du problème. Ensuite
de quoi seulement, on saura s'il y a possibilité de remédier plus ou
moins à l'inconvénient ou si je devrai continuer à faire avec. De tout
cela je me fiche un peu, à vrai dire.
– Pour
l'inévitable attente hospitalière – qui ne fut pas bien longue du reste
–, j'avais emporté le prince de Ligne plutôt qu'Honoré d'Urfé, les Mémoires se prêtant mieux à une lecture en milieu hostile que L'Astrée.
Au retour, il devait être trois heures et demie, comme mes bien-aimés
chefs – que Dieu les ait en Sa Sainte Garde – n'avaient pas cru devoir
ajouter un travail à ma corvée médicale, j'ai décidé de rouvrir Le Siècle de Louis XIV
de Voltaire, dont j'avais lu deux à trois cents pages il y a quelques
années, avant de l'abandonner pour une raison qui, aujourd'hui,
m'échappe tout à fait. Parce que son nom est cité dès les premiers
chapitres, cela m'a donné l'idée de revenir aux Mémoires du
cardinal de Retz, que j'avais tenté de lire il y a beaucoup plus
longtemps mais sans succès : je crois bien que, à l'époque, la langue
m'en avait semblé un peu trop hérissée pour moi ; comme le
français du XVIIe est en train de me devenir familier, je pense que je
devrais pouvoir en faire tout mon profit. Ensuite de quoi, je ne serais
nullement surpris si tout cela ne me ramenait pas au duc de Saint-Simon ;
ce qui serait une façon de sortir du XVIIe tout en y demeurant. En
sortir, c'est d'ailleurs ce que je ne suis sans doute pas près de faire,
puisque, après avoir acheté il y a trois jours le premier volume de La
Pléiade consacré à Mme de Sévigné, j'ai commandé ce matin celui des Historiettes
de Tallemant, car la lecture du mince volume que j'avais m'a grandement
laissé sur ma faim. Et je n'ai pas tout à fait renoncé à acquérir les Mémoires de Bassompierre.
– Demain, retour à FD, puisque cette maudite engeance autoroutière a décidé de rouvrir la A 14 à la circulation.
Mardi 19 août
Huit heures. – Comme souvent, les jours de bivouac levalloisien : rien.
Jeudi 21 août
Sept heures et quart. –
J'ai passé tout mon après-midi d'hier à lire les 350 pages d'une
autobiographie fade et lisse de Sophia Loren, j'y ai tout de même trouvé
deux sujets possibles… tout cela pour m'entendre dire (façon de parler :
c'était par mail…) il y a un instant que l'on repoussait Mme Loren à la
semaine prochaine ; ce qui, d'après mon expérience, devrait signifier
qu'on n'en fera jamais rien et que j'ai lu le livre pour la peau. D'un
autre côté, comme cette lecture a été faite chez moi et sur mon temps de
travail…
– Sinon, j'ai passé l'essentiel de la journée
avec Voltaire et Louis XIV. J'ai parcouru au galop les cent dernières
pages du premier tome, celui qui retrace la chronologie “politique” du
règne : menaçait une indigestion de guerres, de batailles gagnées ou
perdues, de villes prises, puis abandonnées, puis reprises, etc. Mais,
dès le début du second tome, plus thématique, l'intérêt est revenu,
multiplié. La conséquence de cela est que les bergères et les sylphides
de M. d'Urfé restent un peu comme des âmes en peine.
– Il nous a fallu, aujourd'hui, à Catherine et moi, une volonté d'übermenschen
pour ne pas remettre le chauffage en marche : le thermomètre extérieur,
ce matin, affichait glorieusement 8° et, de toute la journée, il n'a
pas dépassé les 18 ou 19. Nous vivons depuis quelques jours avec les
chaussettes de laine aux pieds et les vestes molletonnées sur le dos. Je
suppose qu'il doit s'agir, une fois de plus, de l'un des effets pervers
de ce diabolique réchauffement climatique.
Vendredi 22 août
Sept heures et demie.
– Le XVIIe siècle me colle décidément aux semelles : ce matin, parce
que Voltaire me parlait de lui, j'ai ressorti Bossuet de son étagère.
Mais, au lieu de relire une ou deux oraisons comme je le fais à chaque
fois qu'une telle lubie me prend, je me suis attaqué au Discours sur l'histoire universelle. Et, demain, je devrais recevoir le premier volume des Historiettes…
Samedi 23 août
Huit heures. – J'avais, aujourd'hui, six mille signes à écrire pour FD. Eh bien… je les ai toujours. À la place de les écrire, j'ai lu le Discours sur l'histoire universelle,
titre franchement abusif, notamment dans la seconde partie, la plus
longue, dans la mesure où il n'y est question que de religion. Je pense
que je vais m'en reposer un peu demain, avec les Historiettes de Tallemant, dont le premier volume en Pléiade est arrivé ce matin.
– Est-ce la pernicieuse influence de Bossuet ? Je viens d'écrire à l'instant un billet par lequel je démontre (!) que la chanson de Trenet, À la porte du garage, est en fait une parabole biblico-évangélique…
Dimanche 24 août
Sept heures et demie. – Parce que Bossuet y fait une allusion dans son Discours, je me suis souvenu que René Girard parlait quelque part d'Apollonius de Tyane, ce faux prophète et faiseux d'miracles du IIe siècle de notre ère. Le “quelque part” n'a pas été bien long à retrouver : c'est dans Je vois Satan tomber comme l'éclair,
livre de 1999. Je l'ai donc rapporté au salon et, plutôt que de lire
uniquement le chapitre consacré à Apollonius, je l'ai repris depuis le
début ; cependant que Catherine, elle, s'était à son tour plongée dans
Bossuet.
– Je sais bien qu'il est un peu prétentieux et
souvent ridicule de toujours tout ramener à soi, mais le début du
billet qu'a publié ce matin Jérôme sur son blog m'a donné l'impression
de me découvrir soudain dans un miroir, même pas déformant. Le voici, ce
début :
« Il y a ceux qui ont de la répartie, et
puis il y a ceux qui répondent à côté, ou ne trouvent rien à répondre,
sur le moment. Je ferais plutôt partie de la deuxième catégorie.
« Je connais un type, c'est tout le contraire. Vous lui demandez par
exemple d'écrire quelque chose pour le mois prochain, mais alors quelque
chose d'original, une œuvre d'imagination, en quelque sorte. Il
est cuit. Vous pouvez lui laisser deux ans de rab, il ne commencera même
pas. En revanche, vous lui lancez une phrase, à peu près n'importe
quoi, et deux heures après il vous a écrit 15 000 signes à l'aise, et
c'est brillant, presque parfait. »
Dois-je,
après cela, noter que, bien qu'y pensant tous les jours, je n'ai pas
encore écrit le moindre mot de ce futur roman de plus en plus
hypothétique, alors qu'il devrait pourtant me rapporter gloire et argent
?
Lundi 25 août
Huit heures.
– Bergotte continuant à se gratter le ventre comme une perdue,
Catherine a pris rendez-vous chez le vétérinaire, lequel fut fixé à six
heures moins le quart. Compte tenu de ses récents problèmes de cœur, de
poumons, etc., nous nous attendions au pire. Verdict : des puces ! Pas
beaucoup, mais de simples puces. Il n'empêche que, la perspective de
perdre notre dernier chien ayant été “actée” (langage
administrativo-modernœud), nous avons, ce soir, commencé à parler de
l'éventualité d'en accueillir un nouveau. Je pense que, pour ce qui
concerne Catherine, la décision est déjà aux trois quarts prise, dans la
mesure où elle a mis en mémoire, dans son ordinateur, je ne sais quel
site de la SPA, où elle a établi ses préférences de chiens, etc. Je
serais très surpris que l'on termine le mois de septembre sans nous être
rendus à Rouen, au chenil en question. Je n'ai dit ni oui ni non, pour
la bonne raison que je ne dis presque jamais ni oui ni non ; et que,
comme d'habitude, ce n'est pas moi qui m'occuperai de ce nouveau venu,
s'il arrive.
– Je me suis levé ce matin peu avant neuf
heures : il pleuvait. Le jour décroît tant qu'il peut et il n'a pas
cessé de pleuvoir de la journée, ce qui m'a ravi : je déteste
suffisamment l'été pour me réjouir lorsqu'il ressemble à ce qu'il a été
cette année. Je précise que les gens qui aiment l'été, qui l'aiment
beaucoup voire excessivement, n'ont aucune chance de devenir mes amis.
Et j'ai été ravi, hier ou avant-hier, lorsque Dominique (Pluton), dans
un mail où il me parlait d'autre chose, a glissé qu'il se réjouissait de
l'approche de l'automne : je m'en réjouis chaque année depuis au moins
quarante ans, et cela m'a rapproché de lui sans qu'il le sache.
Mardi 26 août
Sept heures et demie.
– Ayant terminé tout à l'heure le livre de Girard, je suis venu à ce
clavier dans la ferme intention d'écrire un billet à propos du processus
victimaire, vu à la lumière de cette lecture et m'appuyant sur elle,
dont a été l'objet Nicolas Sarkozy, depuis l'insignifiant prétexte de
départ (le Fouquet's, le yacht de Bolloré) jusqu'à son “expulsion” de
mai 2012 ; je l'aurais intitulé Portrait de Sarkozy en bouc, ou
quelque chose d'approchant. Mais Tallemant des Réaux est venu me
court-circuiter l'entendement, avec sa longue historiette consacré à
Richelieu, et je me suis retrouvé à écrire un mini-texte parlant de
grosses mouches et de Marie de Médicis. Je pense que je vais emporter le
Girard demain matin à Levallois où, en principe, je devrais disposer de
tout le temps nécessaire pour écrire le billet prévu.
Mercredi 27 août
Sept heures et demie. –
Journée à la fois agitée (je suis allé à Levallois) et nonchalante (on
ne m'a donné aucun travail à faire). De retour vers deux heures et
demie, j'ai paresseusement lu quelques Historiettes, puis cinq ou six courts textes d'Albert Caraco, dans son Bréviaire du chaos.
–
René Girard n'a décidément pas de chance avec moi. Je suis parti ce
matin avec son livre et la ferme intention d'écrire et de publier le
billet que je méditais hier ; je l'ai d'ailleurs commencé, en ai rédigé
une vingtaine de lignes, avant de m'arrêter et de tout mettre à la
poubelle, me rendant compte que si je voulais être compréhensible par
des gens n'étant pas vraiment au fait des théories girardiennes, il
allait falloir que je sois très long et très explicatif, beaucoup trop
en tout cas pour ne pas tuer la mince drôlerie qu'il y avait dans l'idée
originelle ; laquelle drôlerie, pour subsister, devait se loger dans un
texte rapide.
– Je viens de lire, sur le forum
de l'In-nocence, une phrase hautement savoureuse, que Laurent Fabius
aurait publié sur son compte Twitter. La voici : « Ce califat de la
terreur et de la haine doit être neutralisé, les femmes violées, les
journalistes décapités ». “Vaste programme”, aurait répondu le Général.
Jeudi 28 août
Sept heures et demie.
– Journée inverse à celle d'hier : parfaitement sédentaire mais
intensément besogneuse. J'ai commencé, ce matin, par écrire les 7500
signes tirés de l'autobiographie de Sophia Loren que l'on m'a commandés
hier (en réalité on ne m'en a demandé que 6000 mais je me suis laissé un
peu aller…). Je pensais être tranquille pour le reste de la journée,
mais pas du tout : à l'heure du déjeuner me sont tombés dessus 3000
signes supplémentaires, consacrés cette fois au guignol nommé Pagny
Florent. Enfin, vers cinq heures, coup de téléphone de Brice : il
voudrait savoir si je pourrais lire un petit livre qui n'est pas
encore sorti et est consacré à Johnny. Bien que la perspective de lire
tout un volume ou son équivalent sur l'écran ne me séduise guère, je
réponds par l'affirmative, tout en précisant que cela suppose qu'on ne
m'envoie point d'autre travail demain. Le “paquet” est arrivé il y a une
heure environ : il compte 600 pages serrées, soit 1 500 000 signes.
J'ai donc renvoyé un mail à mes puissances tutélaires, envolées dans la
nature jusqu'à demain, que c'étaient deux jours qui me seraient
nécessaires et non un. Et même s'ils me les accordent, ces deux jours,
et même-au-carré s'ils avaient l'idée de me payer une journée
supplémentaire samedi, la perspective de devoir avaler 600 pages sur
écran ne me sourit pas plus que cela ; surtout pour me voir ressasser
des choses que je sais déjà sur un personnage qui ne m'intéresse
aucunement ; avec, en plus, bien entendu, la charge de trouver dans ce
fatras un sujet d'article qui tienne debout.
– Sinon,
moment agréable dans cette mer de grisaille, j'ai reçu le premier volume
de Mme de Sévigné en Pléiade, dont j'ai lu les 80 pages d'introduction,
absolument parfaites, pas m'as-t-vu-quand-je-pense pour un sou,
claires, bien écrites, ayant des choses à apprendre au lecteur et ne lui
disant rien de plus. Bref, un travail d'édition comme on en faisait
encore dans les années cinquante (ce volume est paru en 1953) et
soixante, avant que les jargonneurs modernes ne prennent le pouvoir et
n'étalent leurs universitaires fatuités.
Samedi 30 août
Sept heures vingt.
– L'essentiel de la journée, je l'ai passé devant cet écran, à lire
environ six cent mille signes de la biographie du sieur Hallyday. J'ai
arrêté vers quatre heures et demie, lorsque mes yeux se sont mis à
scintiller comme deux arbres de Noël, que ma tête a fait donner le gros
bourdon et que même mon estomac a montré quelques velléités de regimber.
J'ai donc rejoint la maison, en celle-ci le salon et en lui mon
fauteuil, avec l'intention de revenir à Mme de Sévigné. Mais je me suis
endormi comme un quartier de viande abruti de fatigue et n'ai rouvert
l'œil qu'à six heures moins le quart, juste à temps pour ne point
manquer le petit souper de Dame Bergotte, notre Grande Mademoiselle à
nous. Bref, une journée d'autant plus stupide que je me suis escrimé sur
Johnny en pure perte et le sachant : il n'y a rigoureusement rien à
tirer de ce futur livre ; à part pour celui qui tiendrait absolument à
vérifier si, lors de son concert de Montauban, le 21 février 1969,
l'artiste a bien chanté Les Portes du pénitencier, vêtu d'un
smoking violet et d'une chemise à jabot : celui-là trouvera
immanquablement sa réponse, quelque part entre ces huit cents et
quelques pages. – Le pis est qu'il m'en reste encore plus de deux cent
cinquante pour demain ; mais il est possible que je jette l'éponge avant
terme.
Dimanche 31 août
Huit heures.
– Journée exactement semblable à la précédente, dans ses activités mais
non dans ses proportions : davantage de lectures intelligentes
(Sévigné, Tallemant) et beaucoup moins de Hallyday. Avec, en prime,
comme chaque année, la grande satisfaction de voir crever ce mois
pénible, bien qu'auguste.
« J’y vois une raison de me réjouir : vous (ce “vous” est collectif) êtes en train de comprendre, mais évidemment la mue est difficile, elle sera longue et douloureuse pour vous. Vous êtes exactement dans la situation de ces imbéciles de communistes "sincères" après 1956 ou 1968 : vous avez plus ou moins saisi que, des années durant, vous avez défendu l’indéfendable, mais votre petit amour propre vous interdit encore de le dire. Vous y viendrez, c’est écrit, comme diraient vos anciens amis… »