jeudi 28 août 2014

Juillet 2014











LA MARSEILLAISE AU JARDIN











Mercredi 2 juillet

Sept heures vingt. – Les progressistes les plus virulents, ceux chez qui la tumeur semble désormais inopérable, ceux-là sont plongés depuis quelques jours dans une affreuse tristesse, parce qu'on les a privés de leur jouet du moment : les fameux ABCD de l'égalité. Quelle terrible reculade, de la part d'un si gentil gouvernement, en principe enclin à dire amen à toutes les aberrations des officines LGBT, ces services psychiatriques en milieu ouvert ! Bien sûr, pour ne pas s'effondrer tout à fait devant ce brutal retour au Moyen Âge, il leur reste l'espoir que les punaises idéologiques du genre de la Belkacem ne vont pas s'avouer aussi facilement vaincues et qu'elles vont s'arranger pour rentrer dans les salles de classe par la fenêtre, puisqu'on vient plus ou moins de les en mettre à la porte. Mais tout de même : quelle désespérante perte de temps ! Il y a vraiment des époques de ténèbres qui n'en finissent pas de finir, je vous jure ! Du coup, parce qu'ils sont furieux et désemparés, ils se contrôlent moins bien et, par moment, laissent apparaître leur vrai visage sous le masque de clown ; les ravis de la crèche, alors, se muent brusquement en possédés de la férule. Voici par exemple ce que vient d'affirmer, en commentaire sur son blog, la toute charmante Élodie, que l'on devine incapable de penser à mal (si elle s'avisait de penser autrement qu'à bien, on se doute que son concepteur la débrancherait immédiatement) :

« Je pense qu'une ligne directrice obligatoire élaborée par le Ministère est indispensable. Que les parents soient associés au projet pédagogique est une bonne chose mais je pense qu'ils ne doivent pas interférer dans le contenu des programmes. »

Elle a entièrement raison, la toute charmante : il ferait beau voir que les parents se mêlassent de l'éducation de leurs enfants, alors que de vrais professionnels, qui savent ce qui est bon ou mauvais pour eux, sont payés pour s'en charger !

– Voilà plusieurs jours que je ne suis pas venu ici (j'ai même raté l'“ouverture”…), en raison de la présence, certes bienvenue mais néanmoins prenante, de Philippe, Dominique et Gabrielle – Gabrielle étant de fort loin la moins prenante, d'ailleurs, du haut de ses 12 ans. Naturellement, pour supporter cette atmosphère de discussion quasi permanente, il fut beaucoup bu, ce qui ne facilitait nullement la disponibilité d'esprit du diariste méritant.


Jeudi 3 juillet

Sept heures et demie. –  Reçu aujourd'hui un mail de Woland et un autre de Pluton : j'ai remis mes réponses à demain, je ne sais pourquoi car je n'ai pas fichu grand-chose, en dehors des quatre mille signes que je devais à FD, concernant Mme Royal. Je devais aussi tondre le jardin : là, c'est la chaleur (il fait encore presque 30° à l'heure où j'écris) qui m'a servi de prétexte à procrastination. Je n'ai d'ailleurs pas beaucoup lu non plus : une vingtaine de pages des mémoires de Tilly. C'est à se demander si cette journée a réellement passé ; et, si oui, comme il semblerait tout de même, elle est passée.

– Et il y a toujours ces damnés livres surnuméraires à déménager au sous-sol…


Vendredi 4 juillet

Sept heures vingt. – On a parfois de ces satisfactions minuscules ; comme celle de sortir la tondeuse à gazon dès dix heures et demie du matin, alors qu'on a envie de tout sauf d'aller transpirer au jardin, et constater à peine une heure après la tonte qu'il se met à choir des trombes d'eau, qui auraient interdit ultérieurement le dit travail. Du coup, on s'allonge confortablement sur son petit matelas de lauriers, en remettant sagement au lendemain les trois feuillets que l'on doit consacrer à Charlene de Monaco et à la réjouissante famille Pastor.

– À propos de Charlène (que j'ai écrit naturellement sans accent : déformation professionnelle), j'ai lu ce matin un article, je ne sais plus où, à propos de cette manie ridicule – et déjà plus si neuve – consistant à ne plus traduire les prénoms des étrangers. Le ridicule se mue en absurde lorsqu'il s'agit de souverains porteurs d'un numéro. On parlera désormais des rois d'Espagne Philippe IV, Philippe V… et Felipe VI ; en Angleterre, Guillaume 1er, Guillaume II, III, IV… et enfin William V, si jamais il règne un jour futur. Encore chanceux si l'on échappe à Bill V, puisque son frère Henri n'est guère connu que sous le sobriquet de Harry. Je me demande ce qu'en pense leur père, le prince Charlie

Avec tout ça, on se demande par quel miracle les derniers papes ont été nommés, chez nous, Jean-Paul, Benoît et François.

Pour revenir en Angleterre, je me souviens fort bien m'être battu comme un diable, il y a douze ou treize ans, à FD, pour que la reine Élisabeth demeurât telle, alors que ces dames du secrétariat de rédaction avaient unilatéralement décidé qu'elle devait sans retard devenir Elizabeth. Naturellement, c'est un combat que j'ai perdu – mais dans l'honneur. Il faudrait faire une petite recherche pour déterminer à quel moment ces pauvres rois Georges ont perdu leur s final.

Et je me demande comment, à mon âge et avec mon peu d'illusion sur l'avenir de notre race, je parviens encore à m'énerver pour des choses de ce genre.


Samedi 5 juillet

Sept heures vingt. – J'étais, en m'éveillant, fermement décidé à écrire ce matin l'article que je dois encore à FD, durant le temps que Catherine irait faire “bonne du curé” au presbytère ; par une manière de solidarité entre travailleurs, si l'on veut. La solidarité a volé en éclats sans même que je m'en rendisse compte : lorsque je me suis dit qu'il serait peut-être temps de m'y mettre, c'était l'heure du retour de l'épouse. Évidemment, il me restait encore tout l'après-midi. Mais travailler après le déjeuner… on n'est pas des bagnards non plus.

En place de travail, j'ai poursuivi les Mémoires du comte de Tilly, dont je vois le bout, et que je lis avec toujours autant de bonheur.

– Boulou, le chat qui nous a boudé durant sept ans et demi, a définitivement repris sa place dans la maison : il entre et sort le plus naturellement du monde, demande la porte lorsque celle-ci est fermée, va se nourrir dans la gamelle de Golo, fait de longues siestes dans le salon télé, à portée de museau de Bergotte, etc. Cependant, de manière assez curieuse, le salon (le salon-tout-court…) semble continuer d'exercer sur lui un vrai pouvoir répulsif : il n'y a pas encore hasardé une patte, ni même un œil.


Dimanche 6 juillet

Sept heures vingt. – Ces trois feuillets que je traîne derrière moi comme une bruyante casserole depuis trois jours, ces trois feuillets ont été écrits en une heure, juste avant le déjeuner, sans la moindre peine. (Je me demande d'ailleurs pourquoi je continue de noter ce genre de choses ; peut-être pour montrer et me montrer à quel point la bête est obstinée dans sa sottise.) Ils concernaient, ces 4500 signes, Charlène de Monaco et ses rapports avec le commanditaire présumé de l'assassinat d'Hélène Pastor, il y a tout juste deux mois, à Nice. Qu'on se rassure tout de suite : les rapports en question sont à peu près inexistants et ne sont le fruit que de l'un de ces tours de passe-passe dont nous sommes coutumiers, et passés maîtres dans l'art de les susciter.

– Demain sera le premier lundi où je resterai à attendre le travail chez moi plutôt que d'aller le faire à Levallois ; je suis décidément fort content de cet arrangement. Je vais en être quitte pour m'installer devant cet ordinateur environ une heure, soit en fin de matinée, soit en début d'après-midi, selon le bon vouloir de mes puissances tutélaires, et c'en sera ensuite fini de ma journée de “travail”. Et, comme l'être humain ne peut jamais être complètement satisfait de son sort, je sens poindre déjà le regret de ne pouvoir faire la même chose les mardis et mercredis…


Lundi  7 juillet

Sept heures vingt. – Mon premier lundi en mode “travail campagnard” s'est passé on ne peut mieux : j'ai reçu commande du papier à écrire vers une heure – il s'agissait de nécrologiser Benoît Duquesne, mort vendredi d'une crise cardiaque ; à deux heures, c'en était fini de mes trois pelletées de terre (feuillets, en langage journalistique) et aussi de ma journée, par voie de conséquence. J'ai pu retourner tout tranquillement à M. de Tilly ; dont l'humeur s'assombrit nettement à mesure que la Révolution s'approche, puis survient – ce qui est aisément compréhensible. Je ne sais si la catastrophe dont nous vivons les prémisses sera aussi terrifiante, mais la sienne n'a rien eu d'enviable, pour personne, à l'exception de Bonaparte.


Mercredi 9 juillet

Neuf heures. – Samedi nous arriveront Alisa et sa fille Elwyn. J'ai vu Alisa trois fois dans ma vie, ce sera la quatrième. La première c'était en 1989, lorsqu'elle est venue en France pour la première fois avec Adeline, dont elle était la correspondante “anglaise” depuis déjà quelques années. J'ai mis des guillemets à “anglaise” dans la mesure où, dans cette histoire, personne n'est anglais. Alisa est une Canadienne de Vancouver qui est devenue la correspondante d'Adeline lorsque ces deux jeunes pétasses avaient une douzaine d'années. Elles sont devenues amies et le sont toujours, trente ans après.

Donc, en 1989,  Adeline est venue en France, avec son amie Alisa. Et les deux, conduites par mon futur beau-père, mon oncle Serge, ont débarqué chez mes parents, à la Ferté-Saint-Aubin. À cette époque, je ne sais ce qu'il en est aujourd'hui, Alisa était folle de Jeanne d'Arc. J'ai donc emmené tout ce petit monde à Orléans, puis à Saint-Benoît-sur-Loire, puis à Germigny-des-Prés.

(Résumons, résumons !)

C'était, comme aujourd'hui, au mois de juillet, on avait dîné dehors…

Bon, je dois surseoir, trop de souvenirs : on verra demain.


Jeudi 10 juillet

Huit heures. – Mais qu'est-ce qui m'a pris, hier soir, de me lancer dans cette histoire, et surtout d'aller en chercher le début si loin en arrière ? Évidemment, aujourd'hui, je n'ai plus aucune envie de me replonger dans cette tartine qui aurait endormi tout le monde, y compris moi-même sans doute. Donc voilà : Alisa et sa fille arrivent samedi, et c'est tout. J'y reviendrai au fur et à mesure des événements, s'il y a des événements.

– Dans son numéro daté de demain, Paris-Match publie un long entretien entre Nicolas Sarkozy et Jean-Marie Rouart. Les deux hommes n'y parlent que de littérature, et Sarkozy dit des choses tout à fait justes sur les écrivains dont il est question entre eux, notamment sur Balzac et les personnages balzaciens. Naturellement quand je dis “des choses justes”, il faut comprendre : des choses que je pense moi-même, et des centaines de gens avec moi…


Vendredi 11 juillet

Sept heures vingt. – Je me demande à la suite de quelle avarie cérébrale j'ai parlé, dans le précédent paragraphe du numéro de Paris-Match “à paraître demain”, dans la mesure où je sais fort bien que ce vénérable hebdomadaire paraît le jeudi, c'est-à-dire hier (et donc aujourd'hui, au moment où j'écrivais).

– Ma journée a été consacrée pour une grande partie à travailler pour FD : cinq mille signes ce matin, six mille cet après-midi, et pour le reste du temps à lire environ cent cinquante page de Par le sang versé, de Bonnecarrère, arrivé ce matin par la Poste. Le livre est tout à fait conforme au souvenir que j'en ai conservé durant plus de trente ans : passionnant, drôle, bien construit, efficace et sans génie (mais n'y prétendant nullement) ; de l'excellent travail d'écrivain en bâtiment maîtrisant parfaitement son sujet. Ce qui m'énerve un peu est que la suite, La Guerre cruelle, semble n'être jamais sortie en format de poche et que, de ce fait, les occasions disponibles sont plus chères. Or, comme je suis censé ne plus acheter de livres du tout


Lundi 14 juillet

Une heure de l'après-midi. – Alisa et sa fille, Elwyn, 17 ans, sont donc arrivées ici samedi, assez tard : Catherine est allée les chercher à Vernon à neuf heures. Je ne les ai d'ailleurs pas vues (mais entendues…) : assez fiévreux depuis cinq heures de l'après-midi, je suis allé me coucher dès le départ de Catherine, vers huit heures et demie. Le lendemain, toute trace de fièvre avait disparu. Si je ne suis pas venu devant ce clavier, c'est que la jeune Elwyn s'est révélée une e-squatteresse de haut vol, et que je n'avais pas le cœur de lui arracher le clavier des mains… Là, je profite de ce que Catherine a emmené les visiteuses se promener dans la vallée de l'Eure, car leur appétit de “vieilles maisons” et de “vieux villages” semble inextinguible.

Alisa (je ne suis plus sûr, soudain, qu'il ne lui faille qu'un seul s…) est toujours, à près de 42 ans, telle que je l'ai connue lorsqu'elle en avait 17 : drôle, gaie, diserte, toujours prête à s'émerveiller de tout. Ce qui, au bout du compte, pour de vieux ours comme Catherine et moi le sommes devenus, finit par rendre les journées un peu fatigantes. Mais enfin…

Avec cela, vu la petitesse de notre maison, pas question de lire sérieusement ; j'ai donc rempli, depuis hier matin, un nombre considérable de grilles de mots croisés. Demain, après être allées chercher à Évreux la voiture qu'elles ont réservée depuis Vancouver, elle iront passer la journée à Versailles ; et moi à Levallois, ce qui permettra à Catherine de souffler un peu. Et, jeudi, elles mettent le cap sur la Bretagne, afin d'aller séjourner quarante-huit heures chez Élodie. Avant cela, mercredi, elles auront passé une journée à Paris, partant avec moi le matin ; ce qui, évidemment, m'obligera à les attendre car, les déposant au métro Pont-de-Neuilly vers neuf heures, je ne peux tout de même pas exiger d'elles qu'elles me rejoignent à Levallois à l'heure du déjeuner, qui est en général celle où je rentre à la maison. Si j'ai la chance que mes puissances tutélaires me donnent d'un coup mon travail de mercredi et celui de jeudi, je profiterai de cette attente pour m'en débarrasser sur place. Pour la suite, j'ai cru comprendre qu'elles seraient encore des nôtres le week-end prochain, puis qu'elle s'embarqueront à bord de l'Eurostar. D'Angleterre, elles passeront en Écosse, et repartiront pour Vancouver de l'aéroport de Glasgow – mais c'est sous toute réserve car j'ai tendance à n'écouter tout cela que d'une demi-oreille, en mettant les choses au mieux.

– Ce matin, comme presque chaque 14 juillet, nous avons vu passer les huit avions de la Patrouille de France, à basse altitude puisqu'ils venaient de décoller d'Évreux, en route vers les Champs-Élysées ; lorsqu'ils passent au-dessus de nos têtes, ils ne sont pas encore en formation, mais par groupes de trois ; ce qui fait d'ailleurs neuf avions, alors que seulement huit forment la Patrouille proprement dite : petit mystère que je vais tâcher d'éclaircir. Sitôt après le passage des trois premiers, Catherine et Alisa, qui se trouvaient dans le jardin, près du portail, ont entonné une vibrante Marseillaise à pleins poumons, ce qui a eu l'air de légèrement surprendre la voisine d'en face, à sa fenêtre de cuisine.


Mercredi 16 juillet

Cinq heures. – Il va être empli de trous, si je puis dire, ce journal de juillet. il est vrai que, désormais, la plus petite perturbation de routine suffit à me dérouter complètement, c'en est même étrange à observer. Car enfin, elles ne sont pas bien dérangeantes, ni pénibles le moins du monde, nos deux Canadiennes. Alors quoi ? Alors rien : j'achève de me transformer en vieux con, qui supporte de moins en moins les variations d'atmosphère, aussi micro soient-elles. Enfin, à partir de demain, deux jours pour souffler, puisque Alisa et Elwyn partent pour la Bretagne, chez Élodie ; nous les récupèrerons samedi en fin de journée et les garderons ensuite jusqu'à mardi.


Vendredi 18 juillet

Sept heures vingt. – Il n'y a rien de plus fatigant que le conflit israélo-arabe, surtout quand il est en phase aiguë comme en ce moment. Non à cause du conflit lui-même, bien entendu, dont au fond tout le monde se moque plus ou moins, mais en raison des tombereaux de sottises qu'il faut subir de la part de tous les idéologues au petit pied ; en particulier, et comme de juste, des palestinolâtres qui trouvent là une chance inespérée de pouvoir exprimer sans gêne ni honte l'antisémitisme qui les taraude en silence le reste du temps. Le plus déprimant est que l'on n'est jamais tout à fait sûr de n'avoir pas, ici ou là, proféré soi-même quelques-unes de ces âneries péremptoires dont aucun “camp” n'est exempt.

– C'est donc aujourd'hui le 78ème anniversaire du débarquement du général Franco sur le sol espagnol métropolitain, à la tête de sa Légion étrangère. Je me demandais tout à l'heure si les jeunes Espagnols ont eu une pensée pour l'événement, ou bien s'ils sont devenus aussi déculturés que les jeunes Français. Je suppose qu'il devrait y avoir un peu de remue-ménage, dans deux ans, pour le 80ème.

– Mes chefs ayant eu l'excellent goût de ne point m'envoyer de travail, et la chaleur m'ayant servi de bonne excuse, je n'ai absolument rien fait depuis ce matin, sinon lire les deux numéro de la NRH reçus avant-hier : le numéro normal, dont le dossier est consacré à Bouvines, et le “hors-série” qui, lui, se penche sur le mois d'août 1914, ce qui n'est guère original mais était bien intéressant tout de même.

– Demain soir, nous récupérons nos deux Canadiennes et les garderons jusqu'à lundi inclus. Je sens que le week-end suivant leur départ définitif sera très très tranquille…


Samedi 19 juillet

Cinq heures. –  Voilà quelque jours, Rémi a sollicité le privilège de venir nous visiter, profitant de ce qu'il serait ébroïcien durant “le week-end des 26 et 27 août”. Après quelques échanges e-postaux, il fut convenu que nous l'aurions à déjeuner le dimanche. Là-dessus, mail de la Crevette, nous proposant de venir déjeuner chez elle et Damien dans le courant de ce même mois d'août. J'en parle à Catherine, qui me répond qu'elle n'a pas envie de bouger d'ici, mais qu'elle serait ravie que Damien et Axelle fassent, eux, le déplacement pour venir banqueter chez nous. Et l'idée point de leur proposer le dimanche où Rémi sera là. Je m'attelle à cette réponse ; c'est alors que, voulant vérifier la date, je m'avise que les 26 et 27 août tombent au milieu de la semaine qui leur est impartie ; suspension du mail crevettien, demande d'éclaircissement auprès de Rémi ; lequel vient de me répondre qu'il s'est trompé non de jours mais de mois et qu'il parlait en fait du dimanche 27 juillet. (Voilà ce qui arrive, quand on vit les pieds dans le XXIe siècle et la tête dans le IXe…) Du coup, je viens de tout annuler : dans la mesure où nos Vancouvériennes auront, à cette date, à peine eu le temps de franchir le coin de la rue de l'Église, il est d'ores et déjà certain que Catherine et moi n'aspirerons qu'à un week-end sans personne.

– Catherine s'est mise à la lecture de Wodehouse, le cycle des Jeeves. Par imitation, j'ai ressorti à l'instant l'autre volume du même auteur de son rayonnage, celui qui contient ce délicieux roman intitulé Pigs Have Wings, assez stupidement traduit par Le Plus Beau Cochon du monde en français. Il y est question de l'Impératrice de Blandings, la truie de concours de Lord Emsworth, deux fois lauréate du Concours agricole du Shropshire dans la catégorie des cochons gras, et que menace de détrôner cette année l'Orgueil de Matchingham, le cochon de son très antipathique rival de toujours, Sir Gregory Parsloe ; livre savoureux que je vais illico commencer de relire. Avec une petite pensée triste pour François Charlonnai, qui m'a fait découvrir Wodehouse, voilà bien vingt-cinq ans.


Lundi 21 juillet

Quatre heures. – Je profite de ce que Catherine a emmené les deux filles visiter le château d'Anet pour squatter mon ordinateur. Hier soir, au beau milieu de l'apéritif, coup de fil ; c'était André qui appelait de Strasbourg pour nous informer qu'ils partaient pour leur maison de Cabourg jeudi et qu'ils passeraient volontiers une soirée à la maison, pour peu que cela nous agrée. Non seulement cela nous agréait fort, mais Catherine a véhémentement protesté qu'ils ne pouvaient pas rester une seule soirée et que nous en exigions deux ; André s'est rendu sans combattre. Maintenant que j'y pense, je ne suis plus très sûr qu'il appelait de Strasbourg ; mais enfin, c'est sans importance : ce qui compte c'est qu'ils seront ici jeudi soir et vendredi toute la journée, ce qui me réjouit. Cela va me conduire tout droit chez le caviste de Pacy, car il ne saurait être question que je serve du riesling à des Alsaciens de souche, surtout aussi bons connaisseurs que ceux-là. Je pense que l'on va taper dans notre chablis habituel.

– Demain matin, les deux Canadiennes partiront avec moi et, arrivées à Levallois, rejoindront la gare du Nord pour y prendre le train en direction de Londres. Catherine et moi profiterons de ces deux jours de battements, entre elles et les Alsaciens, pour faire une petite cure d'eau minérale…

– J'ai reçu ce matin La Guerre cruelle, de Bonnecarrère, suite de Par le sang versé ; je vais m'y plonger dès que je me serai sorti de Blandings. Je trouve très reposant et sain de m'intéresser aux guerres d'Indochine et d'Algérie, au moment où tout le monde se croit tenu d'étaler son avis sur le conflit israélo-arabe.


Mardi 22 juillet

Sept heures et quart. – Retour au calme : j'ai déposé ce matin nos deux Canadiennes au métro Pont-de-Levallois, et, à l'heure qu'il est, elles sont quelque part en Angleterre, du diable si je me rappelle où. Nous sommes donc repassés en “mode eau minérale”, sagesse qui n'est guère destinée à durer, puisque André et Béa nous arriveront jeudi en fin de journée. La dernière fois que nous sommes allés chez eux, à Schiltigheim, Petros devait nous accompagner ; au dernier moment il s'était décommandé à cause d'une histoire de syndic de co-propriété, si j'ai bonne mémoire. Y repensant tout à l'heure, je lui ai lancé par mail une invitation pour vendredi soir ; il n'y a pas encore répondu, mais j'aimerais bien qu'il soit libre, afin que la réunion manquée l'année dernière (ou celle d'avant ?) puisse finalement avoir lieu.

– La guerre proche-orientale continuant, les blogueurs d'extrême gauche sont en train de devenir complètement fous, leur antisémitisme se donne désormais à voir sans le moindre maquillage.


Jeudi 24 juillet

Six heures et demie. – Catherine ne se souviens plus si André et Béa sont censés nous appeler au moment de quitter Paris (où ils avaient rendez-vous à cinq heures chez un notaire pour une signature de bail) ou bien si nous allons voir le mufle de leur voiture se pointer à notre portail sans la moindre sommation. A priori, ce n'est pas trop gênant, même si je n'aime pas tellement cette incertitude de l'attente, qui généralement m'empêche de faire quoi que ce soit requérant un minimum d'attention. Le problème est que Catherine a prévu un plat relativement long à cuire – des poivrons farcis – et qu'elle avait dans l'idée d'enfourner la chose au moment où nos petits camarades de soirée quitteraient la capitale. En un sens c'est bien fait pour elle : la prochaine fois, elle fera davantage attention à ce qu'on lui dit au téléphone (c'est un vœu pieux, naturellement).

– Comme chaque fois que nous attendons “du monde”, la journée s'est passée en activités diverses et relativement stupides. Pour commencer, dès dix heures ce matin, j'ai sauté sur ce clavier afin de me débarrasser des six mille signes que je devais à mes puissances tutélaires, lesquels devaient être imaginés – et si possible construits – par moi, à partir de six lignes publiées dans le Canard enchaîné de cette semaine : la routine. Pendant ce temps, Catherine dévalisait les rayons de comestibles du hangar consumériste voisin. Cet après-midi (je compte pour rien le fait d'avoir passé l'aspirateur malgré l'ambiance tropicale qui régnait dans la maison), à deux heures et demie, j'ai déposé la même Catherine chez le kiné avant de filer chez le caviste ; lequel n'ouvrait qu'à trois heures, comme j'aurais été bien avisé de m'en souvenir.  Je me suis donc rabattu sur le Carrefour Market voisin où j'ai non seulement trouvé quelques vins possibles, mais également eu l'excellente surprise de constater que cette échoppe vendait de la cancoillote “Reflets de France”, denrée de plus en plus difficile à trouver dans nos contrées immédiates.

(Contrairement à ce que d'aucuns prétendront, je m'aperçois fort bien de l'inintérêt complet de ce que je raconte depuis une dizaine de minutes ; mais comme je ne suis capable ni de lire ni de rien d'autre, à cause de cette fichue attente, je continue à laisser aller mes doigts, en me demandant, avec une curiosité légèrement teintée d'inquiétude, jusqu'où je vais descendre.)

Tout compte fait, il est peut-être préférable que je m'arrête ici.


Samedi 26 juillet

Sept heures. – Nous n'avons pas beaucoup vu André et Béa, hier : partis dès onze heures du matin pour aller visiter la cathédrale d'Évreux et l'église Saint-Taurin, ils ont ensuite filé directement sur Anet. Lorsque je suis partis à cinq heures et demie, pour chercher Petros à la gare de Vernon, ils n'étaient toujours pas rentrés. Mais ils l'étaient lorsque le Grec et moi (il y a bien trente ans que je n'avais pas appelé Petros le Grec, comme nous le faisons à l'époque du CFJ et dans les années suivantes…) sommes revenus, peu avant sept heures. Nous nous sommes installés sur la terrasse extérieure, puisque le temps l'autorisait, et les premières bouteilles ont fait leur apparition, cependant que Catherine apprêtait le barbecue. Si je précise que Petros et moi sommes allés au lit vers trois heures du matin, on comprendra sans peine que j'aie passé la journée d'aujourd'hui dans une semi-léthargie. J'ai tout de même repris le Décivilisation de Renaud Camus, cet après-midi. Ce matin, André et Béa sont partis pour Cabourg vers midi et demie, après un petit crochet par Vernon pour jeter Petros à la gare. Catherine et moi avons été tout à fait enchantés de notre soirée – j'espère que nos hôtes également.


Lundi 28 juillet

Sept heures et quart. – Je suis vraiment ravi de ce nouvel arrangement, pris à mon entière initiative, qui m'a fait échanger ma présence du lundi à Levallois contre un article supplémentaire le vendredi. Aujourd'hui, par exemple, j'ai consacré une heure de mon temps à FD, entre deux et trois heures approximativement, sans bouger de ce bureau, c'est-à-dire pas davantage que si j'y étais venu après déjeuner pour un petit tour d'inspection des blogs, sites et forums habituels. Demain il va me falloir m'y rendre, évidemment ; mais ensuite, c'en sera fini jusqu'au 18 août, pour cause d'autoroute A14 fermée : je travaillerai à temps plein chez moi, si je puis dire.

– Depuis hier, je ne quitte plus Mme de La Guette et ses Mémoires. Quelle femme étonnante, que cette petite aristocrate du XVIIe siècle ! Elle serait tout à fait à sa place dans un roman de La Varende ou même chez le Balzac des Chouans. Et quel contraste avec nos pleurnicheuses revendicatrices, qui exigent tout simplement parce qu'elles sont incapables de rien prendre par elles-mêmes. (L'honnêteté oblige néanmoins à reconnaître que le contraste est tout aussi vif entre les hommes que l'on croise entre ces pages et les petits ludions raisonneurs et pleutres que nous sommes devenus…) Il faut la voir, la Fronde battant son plein, tenir tête aux hommes en armes du parti des princes surgissant en ses domaines, alors que son mari est absent, parti guerroyer en Catalogne ! Rien ne la démonte ni ne l'impressionne. Et c'est presque seul qu'elle va rouler le duc de Lorraine dans la farine, permettant ainsi à Turenne, l'homme du roi, d'éviter un choc frontal entre son armée et celle du duc, qui lui aurait probablement été fatal. On sent que c'est là le haut fait de son existence presque toute provinciale – mais d'une province point trop éloignée de Paris et de la Cour, puisque les terres de M. de La Guette sont situées quelque part entre Yerres et Villeneuve-Saint-Georges – mais les petits épisodes plus domestiques qu'elle relatent sont, en leurs genres, tout aussi savoureux. Enfin, je trouve très favorable au vagabondage imaginaire le fait que personne ne sache où ni quand Mme de La Guette a finalement rendu son âme à Dieu.


Mardi 29 juillet

Sept heures vingt. – Anniversaire de Catherine aujourd'hui. C'est, si je ne m'emmêle pas, le vingt-quatrième que nous passons ensemble, et je suis bien certain que c'est le premier dont nous n'avons pas profité pour prendre l'apéritif : action combinée de la sagesse et de l'âge, ou simple effet retardataire des deux semaines “agitées” que nous venons de vivre ?

– J'ai accompli aujourd'hui ma dernière journée de présence à Levallois (journée étant fort exagéré, puisqu'on ne m'y a vu que de onze heures à deux heures et demie). À compter de demain, et jusqu'au 14 août inclus, l'autoroute A 14 sera fermée, et, par conséquent, je travaillerai de la maison. S'ils pouvaient la condamner deux semaine par mois, cette autoroute, ce n'est pas moi qui viendrais m'en plaindre.

– J'hésite encore entre les Historiettes de M. Tallemant et les Mémoires du prince de Ligne, pour faire suite à Mme de La Guette ; on verra cela demain. Du reste, je ne vois pas ce qui pourrait s'opposer à ce que je panachasse ces deux lectures. Une chose en tout cas est certaine : nulle envie en ce moment de lire des romans.


Mercredi 30 juillet

Deux heures. – Le couvreur vient d'arriver, escorté d'un jeune apprenti (“le gamin”, dit-il en parlant de lui). Ils sont là pour refaire le ciment qui retient les tuiles faîtières de la maison principale ; si bien que, depuis un quart d'heure, des éclats de vieux ciment tombent du toit, ainsi que de nombreux nids de guêpes désertés, ce qui nous oblige à donner de la trompe lorsque nous voulons aller dans la Case ou en revenir, si l'on ne veut pas se faire assommer au passage. Je suppose que le périmètre sera de nouveau sécurisé lorsqu'ils en seront à poser le nouveau ciment.

– Pour ma première journée de travail à domicile (merci à l'A 14 pour son aide bienvenue), j'ai effectivement le domicile, mais apparemment aucun travail, puisque, le mercredi, celui-ci “tombe” en général aux alentours de midi. On verra demain, je suppose.

Trois heures et demie. –  Camus exagère. M'apercevant, par le plus grand des hasards, que je disposais encore, dans sa librairie en ligne, d'un “crédit de lecture”, j'ai fait l'acquisition de son dernier opuscule (cent mille signes approximativement), intitulé La Civilisation des prénoms, que je viens de finir de lire, ou plutôt de parcourir. Si je n'ai fait que le parcourir, c'est qu'il ne m'a pas fallu bien longtemps pour constater que, de neuf, ce livre-là n'avait guère que son titre : pratiquement tout le reste se trouve déjà dans ses précédents ouvrages, Grande Déculturation, Décivilisation et autres Grand remplacement (à un bien moindre degré pour celui-ci que pour les deux premiers cités). La matière est la même, les exemples cités sont la plupart du temps identiques, les anecdotes itou ; seul change le “coup de projo” qui, mettant plutôt l'accent sur cet aspect-ci des choses que sur celui-là permet de donner un titre nouveau à un livre qui ne l'est pas du tout. Bref, Camus fait de la remballe, comme cela se pratique, dit-on, dans les hypermarchés avec la viande qui est déjà en rayon depuis un certain temps. Si j'ajoute à cela l'agacement provoqué par le fait de lire un ouvrage même pas révisé, ou trop superficiellement, et où les fautes en tous genres abondent (bon, ce verbe est sans doute exagéré : elles n'abondent pas, tout de même…), j'ai assez nettement l'impression de m'être fait avoir ; sentiment qui me rend plus triste que furieux.


Jeudi 31 juillet

Sept heures dix. – L'année dernière, j'ai clos le mois de juillet en pissant de l'hémoglobine, ce qui m'a conduit aux urgences d'Évreux deux ou trois jours plus tard, puis dans l'engrenage néphrétique que l'on sait. Eh bien, je termine cette année exactement de la même façon : j'ai dû me relever six ou sept fois cette nuit et, aujourd'hui, je n'avais pas trop intérêt à m'éloigner des toilettes de plus de dix ou vingt mètres, tant les envies étaient soudaines et impérieuses. Mictions fortement colorées d'écarlate, donc, et provoquant des brûlures plutôt cuisantes. Rien de tout cela ne m'a affolé le moins du monde, dans la mesure où j'ai “fait” une infection urinaire voilà trois ans environ, dont les manifestations étaient exactement semblables, et qu'une semaine d'antibiotiques de modèle courant avait suffi à éradiquer. Encore fallait-il les avoir, ces antibiotiques. J'ai réussi à obtenir un rendez-vous avec un médecin qui n'était ni en vacances ni surbooké, comme ils le sont désormais presque tous, dans cette France en voie de tiers-mondisation accélérée. Évidemment, s'il était disposé à me recevoir dès deux heures de l'après-midi, c'est parce que, au vu de sa réputation plutôt désastreuse, les patients ne se bousculent pas, dans ce cabinet qui est un véritable capharnaüm, comme il ne devait déjà plus en exister au temps de Knock. Mais enfin, il m'a prescrit les bonnes analyses d'urine (par précaution j'avais appelé le Dr Garrigue juste avant pour lui exposer mon cas…) ; quant à l'antibiotique, on va voir à l'usage. N'importe comment, environ deux heures avant de l'aller consulter, j'ai brusquement cesser de perdre mon sang par la queue, et les mictions ont eu tendance à s'espacer quelque peu d'elles-mêmes. On verra dans les deux ou trois jours qui viennent. Avec cela, j'ai tout de même réussi à écrire trois mille signes pour FD – et sans faire sous moi.

– À propos du Dr Garrigue, dès qu'il m'a eu en ligne, il s'est mis tout de suite à m'envoyer des brassées de compliment, à propos d'En territoire ennemi, dont il venait de terminer la lecture ; compliments qui sonnaient fort juste et étaient très agréables pour le fat auteur du livre, dans la mesure où l'on sentait bien, à ce qu'il disait de tel ou tel texte précis, qu'il l'avait réellement lu et qu'il avait parfaitement compris ce qu'il lisait. Il m'a précisé qu'il avait fait lire un certain nombre de pages à son épouse, et que celle-ci, à un moment, lui aurait dit quelque chose comme : « Je suis jalouse de sa femme pour l'amour qu'il lui porte. » Catherine ne se tenait plus, lorsque je me suis fait un plaisir de lui répéter la sentence.

Bref, si la vessie part en lambeaux, les lanternes continuent de briller dans l'obscurité.

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