DES ANNIE ET DES BERNARD
Dimanche 1er juin
Sept heures dix.
– C'est toujours le problème, quand on teste des recettes culinaires
inconnues : la surprise peut être excellente, et elle l'est souvent par
chez nous, elle peut également se révéler désastreuse. Ce fut le cas ce
soir : Catherine avait décidé de se lancer sur les acras de morue,
accompagnés d'une délicieuse salade de son jardin. Je n'aurai qu'un
commentaire : heureusement que la salade était là, et le pain pour
l'accompagner. Pour le reste, nous eûmes tous deux l'impression de
grignoter des boules de caoutchouc, au vague parfum de poisson. Nous
mîmes rapidement fin à l'expérience, ce qui ne va nullement nous
empêcher de traîner après nous une odeur de friture durant toute la
soirée à venir.
Pour quelqu'un qui venait de passer sa journée à lire Brillat-Savarin, on peut dire que la chute était brutale.
Lundi 2 juin
Sept heures dix.
– Cela fait plus d'un mois que j'ai pris rendez-vous avec un
“spécialiste” des questions de retraite, afin d'avoir, si c'est
possible, une vue exacte de ma situation à ce propos ; rendez-vous fixé
au 23 juin à 11 h 45. La personne qui m'avait alors attribué cette date
m'avait assuré que, courant juin, je recevrais de sa part le désormais
traditionnel mail de confirmation ; je n'y croyais qu'à moitié,
évidemment. Or, il vient bel et bien de m'arriver – mais sous cette
forme, qui me laisse perplexe :
Afin que ******* puisse
vous faire bénéficier d'un service client optimal lors de l’entretien
individuel, merci de bien vouloir imprimer le mandat ci-joint, le
compléter et le renvoyer rapidement à Madame ******* par mail.
Je
sais bien que je ne suis qu'une buse pour tout ce qui touche à
l'informatique, mais je comprends mal comment je vais pouvoir envoyer un
document imprimé par mail. Et je me demande si, plutôt qu'un pdf
sur lequel il est impossible de rien écrire, il n'aurait pas été plus
simple de m'envoyer un document Word, qui, lui, aurait pu, une fois
“renseigné”, être renvoyé par mail. Heureusement, la personne à qui je
suis censé le faire parvenir me donne aussi son adresse postale ; si
bien que, concernant ma nébuleuse retraite, tous les espoirs restent
encore permis. La seule chose certaine, pour le moment, est que mon
entrevue avec M. X, le retraitologue, se déroulera dans le bureau
431 de l'immeuble où je travaille : cette précision chiffrée a quelque
chose de rassurant, de presque doux ; on sent que des gens ont eu à cœur
de prendre de leur temps pour m'obliger et me faciliter la vie.
Mardi 3 juin
Sept heures et quart.
– Ce matin, mes chefs de FD (qui me croyaient en vacances et n'avaient
prévu aucun travail pour moi…) m'ont refilé un livre qui vient de
paraître et qui est une parodie du journal que Valérie Trierweiler
aurait pu tenir entre 2012 et 2014 ; tout en m'avertissant de ne pas y
passer trop de temps, vu qu'utiliser cette pochade pour en tirer un
article nous ferait presque à coup sûr tomber dans la diffamation. Je
l'ai donc ouvert avec l'idée de laisser mes regards ennuyés glisser le
long de ses pages. Et puis, rapidement, je me suis surpris à le lire
vraiment (et à l'avoir presque terminé à l'heure qu'il est) :
visiblement, l'auteur connaît bien les gens dont il parle, les milieux
qu'il décrit, etc. Si bien qu'il en tire 250 pages amusantes, et qui
auraient même pu être savoureuses si, en plus d'être informé, il avait
été écrivain.
J'ai aussi récupéré un article sur ce
répugnant imbécile de Noah ; mais comme il est programmé pour le
prochain numéro et non pour celui en cours, j'ai sagement décidé de ne
m'en point préoccuper avant demain. Voilà un guignol “médiatique” que
j'ai réellement du mal à supporter ; ils sont finalement assez rares, en
trente ans de FD : la grande majorité des autres me sont simplement
indifférents, n'ayant pas plus d'existence, à mes yeux, que des tags sur
un mur. Cette “tuile” m'a cependant fait ressouvenir que la mère de ce
Noah avait été à l'école primaire (ou au collège Nassau ?) avec la
mienne ; plus exactement, je crois que, un peu plus jeune, elle était
dans la classe de ma tante Évelyne. Enfin, je ne sais plus trop, il
faudrait aller puiser dans la mémoire maternelle. En tout cas, ces
femmes ont été de petites Sedanaises contemporaines. Quelques années
plus tard, le club de football de Sedan – grande équipe à cette époque –
a fait venir un joueur camerounais du nom de Noah ; lequel n'a eu qu'à
puiser dans le vivier féminin local. Si bien que s'il avait rencontré ma
mère, c'est moi qui aurais gagné Roland Garros en 1983 et ferais à
l'heure qu'il est acte de résistance en bavant des chansonnettes contre
le Front national et en arborant des coiffures ridicules.
Mercredi 4 juin
Sept heures et demie.
– En revenant vers la maison, début d'après-midi, j'ai essuyé un
ouragan de pluie comme il s'en produit rarement en Normandie : durant
cinq ou six kilomètres, sur l'autoroute, tout le monde roulait à
quarante kilomètres-heure, tous feux de détresse clignotant. Ce qui
n'empêchait nullement Nat King Cole de chanter ni de pianoter. Cole se
marie fort bien avec la pluie, même excessive.
– J'ai reçu aujourd'hui le deuxième volume de la nouvelle trilogie de François Taillandier. Il s'intitule La Croix et le Croissant, et fait suite à L'Écriture du monde,
paru l'année dernière, ou peut-être fin 2012, je ne me souviens plus
guère. Il sera commencé demain, dès que j'en aurai terminé avec
Brillat-Savarin. Taillandier est sans doute le romancier le plus
intéressant et riche de notre époque – avec Houellebecq, donc. On
comprend fort bien pourquoi il a choisi de s'intéresser à cette période
qui va de l'effondrement de l'empire romain à “l'invention de
l'Occident”, c'est-à-dire à Charlemagne, c'est-à-dire à la première des
tentatives de reconstitution de l'empire qui vont ensuite émailler toute
l'histoire ; et dont l'Union européenne n'est peut-être que l'ultime
avatar.
Bien sûr, il sera facile de se moquer : « Ah !
ah ! ah ! le vieux réac qui se voit déjà en toge, allant assister à un
lâcher de musulmans dans l'arène aux lions ! Reconstituer l'empire, au XXIe siècle
? Mais il est à enfermer ! » En guise de préliminaire, on notera que,
pour Modernœud, dire « on est tout de même en 2014 ! », ou bien : « Voir
des choses pareilles au XXIe siècle, c'est à n'y pas croire ! », cela
dispense d'explications plus approfondies : tout le monde est censé
s'apercevoir avec lui de l'énormité de la chose qu'il n'explicite pas.
Il se croit péremptoire, il n'est que ridicule. Imagine-t-on un
bourgeois de Paris, voyant un condamné à mort traîné en place de Grève,
s'écrier : « Vous n'allez pas brûler cet homme après l'avoir fait
écarteler par quatre robustes percherons, j'espère ? On est tout de même
en 1342, merde ! ». Fou rire assuré. Mais revenons à l'empire et à sa
résurgence. Je rappellerai simplement qu'à Rome la République n'a jamais
été abolie, et que les citoyens romains tenaient beaucoup à ce que ses
représentations perdurassent, et en tout premier lieu le Sénat. Ils ont
vécu ainsi durant quatre siècles, entre leur empire bien réel et leur
république d'apparence. Qui peut assurer que nous ne sommes pas en train
de connaître une situation similaire ?
Que tout cela ne nous empêche pas de lire Taillandier.
Jeudi 5 juin
Sept heures vingt. – J'ai finalement passé la journée en compagnie de Renaud Camus, ayant reçu hier le volume des Demeures de l'esprit
consacré à l'Île-de-France (désolé, Monsieur Taillandier : il vous
faudra patienter au moins jusqu'à demain…). La lecture de la première
moitié du volume m'a donné la brusque envie d'une petite excursion à la
Vallée-aux-Loups, que je n'ai jamais vue, et qui, outre Chateaubriand,
serait l'occasion d'un petit coup de galurin (on ne peut parler de chapeau,
dans son cas) à notre cher Léautaud. Comme ce serait à peu de choses
près sur notre route, nous pourrions, dans la même journée, faire escale
à Marly, chez Dumas, ce qui nous constituerait une bonne petite journée, bien remplie mais pas trop.
–
En début d'après-midi, Catherine m'a triomphalement annoncé que nous
allions, au dîner, nous régaler des premiers radis de son jardin.
Finalement, après cueillette, elle en a rapporté huit, et gros comme des
billes. Ils étaient néanmoins excellents, ce qui n'a fait qu'augmenter
mon regret qu'ils ne fussent pas plus nombreux ni plus joufflus.
– Il faudrait bien, demain, que je commence à m'intéresser au transfert des livres de cette fucking bibliothèque qui doivent être transportés au sous-sol.
Vendredi 6 juin
Cinq heures.
– Ce matin, l'été a débarqué en Normandie, ce qui était bien le moins
aujourd'hui. Il doit faire près de trente degrés à l'ombre, alors
qu'avant-hier encore, nous ne dépassions pas quinze, et sous des trombes
d'eau. Conséquence fatale mais prévisible : nous allons, tout à
l'heure, prendre notre premier apéritif extérieur de la saison.
– Terminé les Demeures de l'esprit en milieu d'après-midi et enchaîné aussitôt avec le Taillandier. Il s'ouvre sur les invasions mahométanes…
Huit heures.
– À propos du très hypothétique roman à venir, je crois qu'il me faut
m'arrêter à cette idée d'une chose à deux personnages masculins. En très
gros : moi aujourd'hui, et moi avant-hier. Le tout est que ces deux
hommes existent réellement, et indépendamment l'un de l'autre. Et aussi
qu'ils “s'articulent” autour de Houellebecq.
Samedi 7 juin
Sept heures et quart. –
Le livre de Taillandier est vraiment superbe, et je l'ai lu quasiment
d'une traite. J'en ai d'ailleurs tiré, cet après-midi, un assez copieux billet.
Sinon, on a réussi à survivre au 6 juin et à son Débarcadère, ce n'est
déjà pas si mal. Les blogueurs de gauche, eux, sont transis d'admiration
devant les exceptionnels talents de ce sublime orateur qu'est François
Hollande à leurs oreilles. Pendant un moment, je me suis demandé s'ils
se moquaient, tant le discours du personnage était à la fois convenu et
ampoulé. Mais non : ils semblaient sincères dans leur admiration.
Lundi 8 juin
Sept heures et demie. –
Je ne parviens pas à me souvenir pourquoi je ne suis pas venu dans ce
journal hier soir, alors que je n'avais même pas l'excuse d'un apéritif.
Peut-être me suis-je rendu compte que je n'avais strictement rien à y
écrire. C'est du reste la même chose ce soir, à part qu'il me fallait
noter que je n'avais rien eu à écrire hier : c'est ce qui s'appelle
tourner en rond. Bien. Je pourrais évidemment signaler, pour ma petite
mortification personnelle, que je n'ai toujours pas fait mine de
déménager au sous-sol les livres qui doivent l'être, afin de réorganiser
la bibliothèque d'ici et d'en résorber l'engorgement, alors que voilà
au moins trois semaines que Catherine m'a obligeamment dégager les
placards nécessaires au transbordement.
– Tout de même : ce matin, nous avons emmené (emporté
serait d'ailleurs plus juste) Bergotte à la clinique vétérinaire.
Avant-hier, en sautant après Catherine, pour lui manifester sa joie de
la voir quitter la chambre au matin, elle s'est soudain écroulée à terre
en poussant de petits cris de douleur suraigus. Depuis, elle ne quitte
quasiment plus son panier et, quand elle se résout à le faire, elle
boîte et gémit en marchant. Donc, consultation. J'ai déposé la maîtresse
et la chienne devant la clinique, puis, comme je n'étais d'aucune
utilité durant la consultation, je suis allé chercher le pain et
quelques denrées alimentaires annexes. Lorsque je suis revenu, Catherine
m'attendait déjà dehors, Bergotte au bout de la laisse. Sortant de la
voiture, j'étais à une dizaine de mètres d'elle, et j'ai eu la certitude
de la voir en pleurs. Je me suis dit : « Et voilà, ça y est, le verdict
est mauvais, nous allons perdre notre dernier chien… » En m'approchant,
j'ai heureusement pu constater que Catherine ne pleurait nullement. Et
c'est d'une voix toute naturelle et tranquille qu'elle m'a annoncé qu'il
s'agissait d'un simple problème d'arthrose, que la cortisone allait
très probablement résoudre. Il n'empêche que, durant deux ou trois
secondes, j'ai vraiment cru à la mort imminente de Bergotte.
– Au chapitre des lectures, j'en ai terminé avec Brillat-Savarin et j'ai commencé le Sartor Resartus de Carlyle. Mais, en réalité, j'ai surtout fait des mots croisés…
Mardi 9 juin
Sept heures et demie.
– Plus le temps passe et plus, à chaque nouvelle semaine qui commence,
je rechigne à retourner à FD ; spécialement lorsque je viens de passer
dix jours sans y aller. Le pis est que, une fois sur place, le court
séjour que j'y fais ne me pèse nullement. C'est l'idée qui pèse…
–
Mes petits amis de gauche (Nicolas, et Sarkofrance entre autres) font
mine de s'inquiéter du possible éclatement de l'UMP ; peut-être sont-ils
sincères d'ailleurs, bien que j'aie du mal à y croire. Leur argument
est qu'une UMP solide est nécessaire pour, je cite leurs propos
convenus, leurs “éléments de langage” à eux, faire barrage au FN,
ou au moins à sa crue. En cela, ils sont, me semble-t-il, d'une totale
incohérence, dans la mesure où, lorsqu'un cadre de l'UMP fait seulement
mine de prendre un peu en compte les aspirations des électeurs du dit
FN, les mêmes Nicolas et Sarkomachin hurlent qu'il fait le jeu de Marine
Le Pen. Et je me demande comment un Juppé par exemple (les petits
soldats de la gauche institutionnelle adooorent Juppé…) pourrait
“faire barrage” au FN alors que, sur à peu près tous les sujets, il
ressemble à s'y méprendre à un encarté du parti socialiste.
Quant à moi, je me contrefous de savoir si l'UMP va éclater ou non ; bien que le spectacle vaudrait sûrement le détour.
Mercredi 10 juin
Sept heures vingt. –
Je reçois à l'instant un mail d'Olivier Lequeux. Il m'informe qu'il
vient de rencontrer Caroline Noirot, la directrice des Belles Lettres,
et que son livre sortira sous cette auguste bannière en janvier ou
février de l'année prochaine. J'en suis sincèrement content pour lui, et
suis ravi d'avoir fait passer son manuscrit à Michel Desgranges (sur la
suggestion de Jérôme Vallet, je ne l'oublie pas), voilà quelques mois.
– Hier, l'attachée de presse de ces mêmes Belles Lettres m'a fait parvenir le petit article que La Nef a publié ce mois-ci à propos d'En territoire ennemi. Comme je m'y attendais plus ou moins, il était signé du Père B.
Jeudi 11 juin
Sept heures et quart. –
Mon travail d'hier consistait à lire un livre de trois cents pages, les
“mémoires” de William Leymergie, un animateur-journaliste qui officie
dans une émission matinale de la télévision française depuis 72 ans
environ. Le but était d'y trouver un sujet d'article et de le proposer à
mes divinités tutélaires ; lesquelles, en retour, me confieraient le
dit article à écrire, ce qui constituerait mon travail d'aujourd'hui.
Lecture faite, voici le mail que j'ai envoyé à Levallois :
Mes bien chers chefs,
je
viens tout juste de terminer les 300 pages d'insipide bavardage
commises par le sieur Leymergie. C'est consternant. Voilà un type qui a
passé toute son enfance et son adolescence entre Madagascar, l'Algérie,
le Mali et le Sénégal, et qui est incapable d'en retirer la moindre
anecdote un peu piquante ou simplement amusante. Qu'apprend-on ? Que son
père le grondait quand il ramenait des mauvaises notes à la maison :
waouh ! Que, le dimanche, ils allaient passer la journée en famille à la
plage : re-waouh ! Qu'à 14 ans, il a commencé à s'intéresser aux filles
: re-re-waouh ! Et tout à l'avenant.
Pour ce qui
concerne la “révélation” de la sœur qui n'est en fait qu'une demi-sœur,
ça occupe un tiers de page. Un jour, il a 13 ans, sa mère le prend à
part et lui déballe le truc. Ensuite, cinq lignes de commentaire dans ce
style : « Ça m'a fait un peu drôle sur le moment, et puis je n'y ai
plus pensé. » Well, well, well… Par comparaison, il prend deux
pages et demie pour expliquer comment il s'est fait gauler par le
surveillant d'internat alors qu'il s'en grillait une dans les chiottes
du lycée…
Je n'ai vraiment trouvé qu'une seule
anecdote, qui occupe exactement 11 lignes. Lorsqu'il se retrouve
pensionnaire en Vendée, il a pour condisciple Allain Bougrain-Dubourg.
Lequel, un jour, exhibe la photo de sa sœur. Celle-ci est si jolie que
Leymergie la lui subtilise, pour faire croire à ses trois ou quatre
potes que c'est sa petite copine. End of story. De quoi faire une oreillette d'un feuillet un tiers, en tirant bien.
À
la longue, cette lecture devient presque surréaliste. L'auteur a vécu à
Alger au plus fort de la guerre d'indépendance, il était inscrit à la
fac de Nanterre en 1968, et… Et rien ! Il ne voit rien, n'entend rien,
il ne lui arrive rien ! L'événement, c'est quand il parvient à embrasser
la pisseuse qu'il a entraînée voir un film minable au cinéma du coin.
Ou quand son frère aîné, militaire, se demande en 61 si c'est mieux de
suivre le quarteron de généraux en retraite ou d'obéir à de Gaulle. Papa
lui dit de fermer sa gueule et tout s'assoupit de nouveau.
Hébété,
le lecteur se dit que ça va être plus intéressant lorsque l'auteur va
devenir un personnage public, que l'on va enfin croiser des gens connus.
Sauf que le livre se termine au moment où il entre dans le métier, si
bien qu'on ne croise personne, absolument personne.
La seule façon de s'en tirer serait de faire ça sous forme de feature.
Le papier s'intitulerait quelque chose comme : « W. L. : SON PÈRE ÉTAIT
UN AFRICAIN ! » et on raconterait son enfance itinérante en essayant de
faire gonfler cette pâte molle, si tant est que ce soit possible. Mais
quel intérêt ?
J'attends le verdict et ses attendus…
Didier
Je
ne sais si le journal de la semaine prochaine s'annonce
particulièrement vide ; toujours est-il que, à ma grande surprise, il
m'a été demandé d'écrire en effet 2300 signes (un feuillet et demi) sur
l'anecdote Bougrain-Dubourg ; ce qui fut fait ce matin en une vingtaine
de minutes. Puisque nous en parlons, et parce que certains lecteurs
m'ont déjà demandé comment on faisait un article pour FD, voici celui
qui est sorti de mon clavier, à partir de l'anecdote contée plus haut :
Vous
avez soif d’horizons nouveaux, mais en même temps vous avez la flemme de sortir
de chez vous ? Vous rêvez de vous baigner dans le fleuve Niger avec les
phacochères, ou d’arpenter les ruelles de la Casbah d’Alger, sans bouger de
votre fauteuil ? J’ai ce qu’il vous faut : Les Dents du bonheur, livre qui vient de paraître aux éditions Albin
Michel. Ce sont les mémoires de William Lemeyrgie, qui a passé son enfance et
son adolescence entre l’Algérie et le Sénégal, en passant par le Mali ou
Madagascar, grâce à son père « africain » ; comprenez :
officier dans l’armée coloniale.
On y
découvre que le petit William, assez tard venu, fut un enfant à la fois choyé
et turbulent ; turbulent parce que choyé, sans doute. L’école l’ennuyait
et il ne se gênait pas pour le faire comprendre à ses instituteurs et
professeurs de façon particulièrement bruyante et perturbatrice ! Et le
fait, à l’adolescence, de se retrouver soudain pensionnaire à La Rochelle non
seulement ne l’assagit pas, mais augmente au contraire ses envies de chahut. Il
ira même, un jour, jusqu’à « kidnapper » la sœur de l’un de ses
camarades !
Il
était un peu bizarre, ce jeune pensionnaire, d’ailleurs ; un drôle de type
que William repère tout de suite : « Il m’intrigue beaucoup,
écrit-il, car il ne parle que d’animaux, d’oiseaux… Dans les revues posées sur
sa table, il y a des photos de fauves, de grands singes, et il paraît que son
casier abrite un hamster et, parfois même, des serpents ! »
Mais
voilà qu’un jour, ce garçon curieux exhibe quelque chose de bien plus
intéressant encore : la photographie de sa sœur, une véritable beauté. Et
c’est là que William va lui jouer un tour pendable. Dans son livre, il
s’adresse directement au petit camarade de cette lointaine époque :
« Elle
était tellement jolie que je t’ai subtilisé le cliché pour le montrer à des
copains en la faisant passer pour ma petite amie. Je me suis taillé un beau
succès, crois-moi, et j’en ai fait fantasmer plus d’un ! Mea culpa. »
Cet
adolescent à qui ce diable de William n’a pas hésité à « voler » sa
trop jolie sœur, il l’a revu bien des années plus tard, dans les couloirs de la
télévision.
Car
il se nommait Allain Bougrain-Dubourg.
Didier
BALBEC
– Demain, nous partons
pour la côte normande ; d'abord Étretat, où Catherine tient absolument à
retourner, je me demande bien pourquoi, et ensuite chez mes parents [note du 5 juillet : comme j'ai spontanément écrit “chez mes parents” plutôt que “chez ma mère”, je le laisse…],
où seront mes oncle et tante Annie et Bernard “de Lille” et mes oncle
et tante Annie et Bernard “de Sedan”. Nous y allons en raison d'une
cérémonie commémorative qui aura lieu samedi matin à Ermenouville – chez
ma sœur, donc – et sur laquelle je reviendrai à notre retour. Nous y
allons partie pour cette cérémonie et partie en raison du fait que ces
Annie et ces Bernard sont d'assez loin ce que je préfère dans ma
famille.
Samedi 14 juin
Dix heures. –
Retour de chez Isabelle ; cette entrée sera courte. Très content (mais
sur fond de tristesse) de revoir les deux “Annie et Bernard”, et assez
ému de cette brève et sobre cérémonie à Ermenouville. J'y reviendrai
demain. Du reste, j'avais prévu – fatigue – de ne pas venir ici ce soir.
Mais j'ai tout de même fait un billet sur le sujet, et, ensuite, éprouvé le besoin de tracer quelques mots en ce journal.
Dimanche 15 juin
Trois heures. – Nous sommes donc partis vendredi matin peu avant dix heures, pour une journée somme toute assez fatigante, dans la mesure où je n'ai guère arrêté de conduire. Notre première étape fut un complet ratage : une abbaye remontant au VIIe siècle, située aujourd'hui dans la banlieue du Havre. Le problème est que seule la fondation de l'abbaye est ancienne : pour les bâtiments, ils sont tout ce qu'il y a de plus moderne et de plus violemment restauré. Du coup, comme il n'y a rien à voir mais qu'il faut tout de même attirer le chaland, on a installé dans les salles une sorte de parcours éducatif et ludique, à base de diaporamas et de voix enregistrées, qui se déclenchent dès que les détecteurs de mouvements signalent votre arrivée à la machine infernale. Ce qui se dit est peut-être fort intéressant, mais ce n'est pas du tout ce que nous avions espéré trouver, et nous avons fui très rapidement.
Traverser Le Havre en voiture, même aux
heures dites creuses, est une épreuve pénible, tant les responsables de
l'Équipement ont mis un soin maniaque à désynchroniser les feux
tricolores qui ponctuent les immenses avenue rectilignes. Le plan de
circulation est encore compliqué par l'existence d'un tramway, qui est
bien une invention à la con, du moins du point de vue de
l'automobiliste. L'église Saint-Joseph, malgré tout, valait le détour.
Édifiée, comme la plus grande partie de la ville, par Auguste Perret
après la guerre, cet hommage au béton ne manque pas d'une certaine
grandeur, à défaut de grâce, notamment en raison de son immense clocher
creux et agrémenté du haut en bas par de petits carreaux de couleurs
laissant entrer les rayons du soleil. Évidemment, sans doute par manque
d'habitude, on a tout de même un peu de mal à se croire dans une église ;
les sièges repliables, façon fauteuils de cinéma, y sont certainement
pour beaucoup.
Nous avons déjeuné quelques kilomètres
avant Étretat, dans un petit restaurant de village qui ne mérite
nullement que son nom passe à la postérité induite par ce journal.
Ensuite, Étretat, donc. Comme la grande majorité des villes balnéaires,
celle-ci ne présente rigoureusement aucun intérêt, hormis sa fameuse
aiguille. Beau point de vue, cependant, lorsqu'on grimpe jusqu'à la
petite chapelle qui domine la baie, et dont le nom m'échappe. Après une
brève halte à Yport, nous avons rallié Fontaine-le-Dun et la maison de
ma mère, où Annie et Bernard “de Lille” se trouvaient déjà. Mon oncle
n'étant jamais en peine de sujets de conversation, nous avons passé une
heure fort agréable dans le jardin, avant de filer à Ermenouville, chez
Isabelle et Olivier, où il était prévu que nous dormissions. Enfin, à
huit heures, tout le monde (Annie et Bernard “de Sedan” étaient arrivés à
Fontaine dans l'intervalle) s'est retrouvé à Saint-Valéry-en Caux, ma
mère ayant réservé une table au restaurant du casino ; comme ni elle ni
Isabelle et Olivier n'y était jamais allé, Catherine et moi craignions
un peu le pire.
Eh bien, nous avions tort, car
l'établissement est d'excellente tenue, surtout si l'on tient compte des
tarifs qui y sont pratiqués. J'ai notamment dégotté sur la carte des
vins un chablis 1er cru à 35 € qui était digne d'éloges ; il y fut fait
honneur, en particulier vers le bout de la table où je me trouvais. En
prime, par les grandes baies donnant sur la mer, nous eûmes droit à un
superbe coucher de soleil de carte postale. Ensuite, il y eut
dislocation du groupe, les vieux rentrant dormir chez ma mère et les
jeunes chez Isabelle. (Ces réunions de famille sont désormais le seul
endroit où il me soit encore loisible de me sentir réellement jeune…)
Deux petits verres de mirabelle lorraine plus tard, tout le monde était
au lit.
Hier matin, samedi, le rendez-vous était fixé à
neuf heures et demie, autour du monument d'Ermenouville – une grosse
pierre gravée – commémorant le combat mené par le 12ème régiment de
chasseurs à cheval, auquel appartenait notre père et grand-père ; combat
à l'issue duquel il fut fait prisonnier, lui parmi d'autres, et envoyé
en Allemagne. (J'en ai fait un billet
hier soir.) Bernard de Lille avait accroché ses décorations à sa
poitrine et coiffé son béret de parachutiste, ce qui a eu pour effet de
me rajeunir encore un peu plus.
La cérémonie fut courte
et sobre : deux allocutions, l'une par le président de l'Amicale des
anciens du 12ème chasseur, le chef d'escadron Lemaire, l'autre par le
maire d'Ermenouville. Parmi les porte-drapeaux alignés vis-à-vis le
public, on remarquait un Écossais en tenue d'Écossais, ce qui ne
manquait pas d'allure. Dans son petit discours, le maire évoqua la
personne de René Jadoulle et indiqua la présence, en ce jour, de ses
enfants et petits-enfants. Ensuite, ma mère, Annie “de Sedan” et Bernard
“de Lille” furent tous trois invités à venir participer au dépôt de
gerbes. Enfin, une Marseillaise fut entonnée ; et, ma foi, je crois bien
que c'était la première fois de ma vie que je chantais la Marseillaise
en une circonstance de ce genre. Si l'on avait prédit ça au jeune
pseudo-anarchiste que je fus…
J'ai oublié de dire qu'à
l'issue des deux speechs, Catherine était en larmes ; ce que découvrant,
Isabelle se mit à pleurer également. Heureusement, la contagion ne
s'étendit pas plus avant, bien que ma mère ne parût pas si éloignée des
larmes elle non plus. Comme il se doit, tout ce petit monde – nous
étions quelques dizaines – s'est rapatrié à la salle communale pour
l'inévitable vin d'honneur. Comme il n'y avait à boire d'alcoolisé que
du vin blanc à bulles, je n'ai eu aucune peine à y résister ; et
d'autant moins que je n'étais pas tout à fait remis du cocktail
chablis/mirabelle de la veille. Les vieux sont ensuite partis pour
Saint-Valéry, où avait lieu une autre commémoration, tandis que nous,
les jeunes, revenions chez Isabelle. Durant l'absence des trois autres,
partis chercher des victuailles diverses dans une ferme des environs, et
profitant de ce que le mince volume traînait sur la table du salon,
j'ai lu un recueil de nouvelles d'Anna Gavalda, expérience qu'il ne
m'avait pas encore été donné de faire. On ne peut même pas dire que ce
soit nul : ce n'est rien. Au sens plein du terme, ça n'existe pas.
Lorsque
tout le monde s'est de nouveau trouvé réuni dans le jardin, Catherine
et moi avons avalé quelques petits fours avant de reprendre la route, au
moment où les autres s'apprêtaient à passer à table. Et à trois heures
nous étions à la maison, fatigués mais somme toute satisfaits de ces
deux jours assez chargés en émotion, au moins de mon point de vue. Je
pense que nous y retournerons l'année prochaine, pour peu que nous
soyons encore vivants tous les deux.
– Aujourd'hui,
journée parfaitement étale : une grille de mots croisés, quelques
chapitres de Carlyle, une grille, quelques chapitres…
Lundi 16 juin
Sept heures et demie.
– J'ai bien cru, ce matin, que j'allais être dispensé d'aller à
Levallois demain, ce qui m'aurait bien arrangé. Au sortir de leur
conférence quotidienne, mes vénérés chefs m'ont donné à lire un livre
(livre en kit : un ensemble de feuilles non jointes…) de 160 pages, dont
le sujet est le fameux triangle des Bermudes : Hollande – Trierweiler –
Gayet ; en me disant que l'on ferait en fin d'après-midi le point sur
l'angle à donner à l'article que j'écrirais demain ; de là ma déduction
qu'il serait alors inutile que je me déplaçasse. Hélas, ma grande
honnêteté intellectuelle, renforcée par une conscience professionnelle
féroce, a fait que j'ai dit tout le mal que je pensais de l'ouvrage et
le peu d'enthousiasme que m'inspirait le seul sujet éventuellement
possible que j'y avais trouvé. Conséquence : Ph. B. m'a dit qu'il ne
prendrait sa décision que demain, en fonction de l'actualité ; ce qui
implique donc qu'il me faudra me rendre à la rédaction, pour le cas où
un autre sujet m'écherrait. Et, avec tout ça, les abrutis irresponsables
de Sud et de la CGT continuent de foutre le bordel dans les transports
par rail, ce qui a évidemment des conséquences néfastes sur la
circulation autoroutière.
– Un certain Bruno F. vient de me faire parvenir la recension qu'il a faite d'En territoire ennemi, dans une revue dont j'avoue tout ignorer, Réfléchir et Agir.
Comme elle n'est pas trop longue, je l'aurais bien reproduite ici, mais
j'ignore absolument comment on s'y prend pour transférer du texte d'un
pdf à un autre document, Word ou assimilé ; je ne sais d'ailleurs même
pas si la chose est possible.
Mardi 17 juin
Sept heures et demie.
– Un jeune Rom se fait tabasser très durement aux alentours d'un
hypermarché situé dans une ville potentiellement explosive de la
banlieue parisienne. Aussitôt, les ondes et les colonnes se remplissent
des cris d'indignation surjoués du président de la République, du
Premier ministre et du ministre de l'Intérieur, pas moins. Je suis
étonné qu'aucune voix progressiste ne soit encore venue se scandaliser
publiquement du silence inqualifiable du président du Sénat et de celui
de l'Assemblée nationale – sans même parler du Primat des Gaules. Tout
cela pour un fait divers, regrettable certes, moralement condamnable
re-certes, mais sans la moindre importance. Le monde devient chaque jour
un peu plus amusant.
– J'ai reçu et commencé à lire le
livre que Ghislain de Diesbach consacre au savoir-vivre ; j'y retrouve
cet “humour imperturbable” qui s'exerçait déjà dans son excellente
biographie de Proust, mais qui, ici, vu le sujet, trouve à se déployer
d'une manière absolument irrésistible. C'est une sorte de frère d'armes
de Renaud Camus, et, sur certains sujets (le chapitre sur les hôtels
notamment…), j'en arrivais à me demander si je lisais l'un ou l'autre.
Mercredi 18 juin
Huit heures.
– Un Ghislain chasse l'autre : j'ai eu à écrire six mille signes
aujourd'hui, à propos d'un malheureux homme – occupant un poste
important chez Lafarge –, dont la femme et deux de leurs trois enfants
se trouvaient à bord du Boeing des Malaysia Airlines dont on est
toujours sans nouvelles. Il s'appelle Ghislain Wattrelos, et est
persuadé qu'il s'agit non d'un accident mais d'un détournement. Les
arguments qu'il donnent sont plausibles, mais les arguments des tenants
du complot, de la conspiration du silence, etc., ont presque toujours
des arguments qui, à première vue (et je n'en ai pas d'autres), semblent
plausibles. Ce qui est surprenant, c'est que les coupures de journaux
que j'ai eues en main orthographient son prénom ainsi que je viens de le
faire, et qui est celle courante, alors que la plupart des sites
internet écrivent Ghyslain, y compris les sites des deux journaux (Figaro et Journal du dimanche) qui suppriment le “y” dans leur version papier. Curieux…
– J'ai terminé tout à l'heure le Nouveau savoir-vivre
de Diesbach, pour en revenir à lui, et je puis confirmer que c'est une
lecture savoureuse, l'auteur semblant s'amuser au moins autant que nous,
ses lecteurs. Ce que j'appelais hier son humour imperturbable atteint
parfois à l'hénaurme, comme lorsqu'il conseille, avec un sérieux
parfait, quand on n'est pas très au fait de la cynégétique, de décliner
prudemment toute invitation à une chasse à courre qui pourrait nous
parvenir.
Jeudi 19 juin
Sept heures. – Mes chefs attigent un peu ! Il était plus de midi et demie lorsqu'ils m'ont envoyé par mail deux
articles à écrire, de 4000 signes chaque. Le premier était du genre
pénible, puisque m'obligeant, pour savoir de quoi il retourne, à
m'appuyer une vingtaine de minutes d'une émission du pitre nommé Cyrille
(évidemment orthographié Cyril…) Hanouna, dont je ne supporte ni les
stupidités en rafales ni même la trogne. Quant au second, c'était encore
mieux : une simple phrase de cinq lignes émanant de Pierre Perret –
autre individu insupportable à mes yeux et oreilles –, sans la moindre
indication d'angle, de thème, etc. Angle et thème qui, malgré ma demande
réitérée, ne me sont toujours pas parvenus. Du coup, par mauvaise
humeur, je n'ai strictement rien fait aujourd'hui.
–
J'ai reçu ce matin le premier numéro de cette revue de géopolitique à
laquelle je me suis abonné sur un coup de tête, et qui s'appelle Conflits.
Comme elle a été créée et qu'elle est dirigée par Pascal Gauchon,
ancien militant d'extrême droite, je suppose que l'on va s'empresser de
me démontrer combien j'ai eu tort de m'abonner à ce torchon – torchon
très agréablement présenté néanmoins et, pour ce que j'en ai lu, écrit
en français.
J'ai reçu également Lourdes, lentes…,
roman d'André Hardellet, un écrivain dont le nom m'était très vaguement
familier mais dont j'ignore absolument tout. Je ne sais déjà plus qui
et dans quel journal m'a donné envie d'aller y voir d'un peu plus près.
Un article de Causeur, peut-être ?
Vendredi 20 juin
Sept heures et demie. –
Lu entièrement le livre d'Hardellet (96 pages : bel exploit…), et j'en
demeure enchanté ; j'en ai d'ailleurs fait un petit billet vite troussé,
et pas assez intéressant pour que je le remette en lien ici. Comme
j'avais commandé deux livres du même auteur, j'ai assez hâte de recevoir
le second ; dont j'ai déjà oublié le titre.
– Je me
demande si le fait d'apprécier le silence, ou d'être importuné par le
bruit même quand il est assez léger, ne serait pas dépendant d'un
certain niveau de culture, ou d'éducation : je ne sais trop comment
appeler cela. J'y repensais tout à l'heure, alors que Catherine et moi
étions sur la terrasse, à regarder dorer les côtelettes de porc
allongées sur la grille du barbecue. Le voisin d'en face venait
d'arriver dans sa voiture. Quand il en descend pour ouvrir son portail,
comme d'habitude les voix et “musiques” sortant de son autoradio nous
parviennent. Au moment où il remonte dans la voiture, un de ses amis
arrive et entame la conversation ; eh bien, durant tout le temps qu'a
duré celle-ci – un gros quart d'heure –, à aucun moment il n'a songé à
coupé le son, lequel devait pourtant bien les gêner, ou aurait dû, de
mon point de vue. Cela me rappelle, quand nous vivions dans un hameau
des bords de Loire, ce paysan qui passait devant chez nous sur son
tracteur, pour rejoindre les champs s'étendant entre le canal de Briare
et le fleuve. Quand il s'arrêtait pour se faire offrir le café par la
voisine d'en face, il laissait tourner son engin durant tout le temps de
sa visite, qui pouvait aussi bien dépasser la demi-heure, sans que ni
lui ni la dite voisine, pourtant tout proches du moteur pétaradant, n'en
fussent incommodés, contrairement à nous. C'est également à ce genre de
détails que l'on prend la mesure de la haute conscience écologiste des
gens de la campagne : ils se moquent des pollutions diverses comme de
leur première fosse à purin.
Samedi 21 juin
Six heures et demie. – Une petite devinette, pour saluer l'été. Sachant que :
1) j'ai écrit dès ce matin l'article que je devais encore à FD ;
2) j'ai tout à l'heure tondu le jardin qui exigeait de l'être ;
3) Catherine est à la messe et ne rentrera que vers huit heures moins le quart ;
à quelle activité déconseillée par la Faculté vais-je me livrer, sitôt ce journal refermé ?
Jeudi 26 juin
Sept heures et demie.
– Hier, mes chefs n'avaient trouvé aucun travail à me confier ; ils en
eurent l'air désolé, moi pas. Je leur ai dit, en prenant congé, que ce
n'était que partie remise et qu'ils m'en enverraient un demain. Sauf
que, aujourd'hui, la partie n'a nullement été remise, ou plutôt elle l'a
été une nouvelle fois, puisque je n'ai toujours rien reçu. Du coup,
j'en arrive à me demander s'il n'y aurait pas eu un problème de
transmission mailique. Il serait tout de même un peu stupide que
j'aie passé la journée à attendre un travail, dont eux-mêmes, à l'autre
bout, espèrent encore le résultat. Je crois que je vais bien être obligé
de me manifester, de façon à en avoir le cœur net.
–
Je me réjouissais, depuis hier, de voir l'herbe du jardin commencer de
jaunir quelque peu ; je me voyais déjà ne plus ressortir la tondeuse de
son abri avant septembre… Raté : il vient de pleuvoir dru pendant près
d'une heure ; demain, tout sera d'un beau vert fluo et d'attaque pour de
nouvelles crises de croissance irraisonnée.
Vendredi 27 juin
Sept heures vingt. –
Irritants problèmes avec internet depuis hier : la connexion est si
incertaine que, une fois sur deux, lorsque je veux aller sur un site,
une page, etc., il me faut aller cliquer en haut et à droite sur
“Airport” pour que cela cesse de mouliner et que j'obtienne ce
que je voulais – et encore, ça ne marche pas à tous les coups.
Évidemment, cela s'est mis à ne plus fonctionner du tout au moment où
j'attendais de chez Lagardère la documentation qui devait me permettre
d'écrire les 6000 signes que FD m'a réclamés. Du coup, tout est arrivé
trop tard, il faudra donc que j'écrive mon papier demain ; seulement,
demain matin, mon frère, sa femme et leur fille débarquent de Roissy.
Bref, le week-end ne va pas être de tout repos, je le sens.
–
Après une longue interruption, j'ai repris les mémoires du comte de
Tilly où je les avais abandonnés, c'est-à-dire peu avant la moitié. Et
je me demande bien pourquoi cet abandon de ma part, car ils sont d'une
lecture extrêmement savoureuse.
– Vu l'état préoccupant
de nos finances (nous fonctionnons comme des socialistes de
gouvernement : chaque mois nous dépensons un peu plus que ce que je
gagne), Catherine et moi avons décidé de quelques restrictions jusqu'à
ce que nous ayons trouvé un point d'équilibre satisfaisant ; pour ma
part, j'ai pris le solennel engagement de ne plus acheter le moindre
livre d'ici à la rentrée de septembre. Heureusement, ma pile d'attente
est suffisamment haute pour que je ne souffre d'aucun manque ; sans
parler des volumes qui sont rangés dans la bibliothèque, et qui n'ont
été que très partiellement lus, voire pas du tout ; et de ceux qui
mériteraient d'être relus. Il n'est d'ailleurs pas impossible qu'un de
ces jours, tout comme j'ai pris récemment la décision de ne plus aller
nulle part, je décide de ne plus acheter un seul livre de ma vie et de
me contenter de ceux que j'ai déjà.
Dimanche 29 juin
Trois heures.
– Philippe, Dominique et leur fille Gabrielle sont arrivés de Dubaï
hier, vers onze heures du matin. Journée évidemment fatigante, dans la
mesure où Catherine et moi sommes de moins en moins habitués à parler et
entendre parler à jet continu. Elle le fut d'autant plus que la soirée
fut assez longue et généreusement alcoolisée, au moins pour ce qui
concerne mon frère et moi.
D'après ce qu'il a pu nous
en dire, si Dominique semble se plaire bien dans leur désert, il n'en va
pas tout à fait de même pour Gabrielle et lui. On sent qu'il commence à
regretter son emballement, d'autant que leur situation financière n'est
pas plus brillante que ça, ce qui constitue pourtant, à mes yeux en
tout cas, la seule et unique raison valable pour s'exiler dans ce genre
de pays absurde – je parle de l'opulence monétaire.
Il y
a cinq minutes, profitant du soleil revenu (hier, il a plus toute la
journée sans interruption), Catherine les a entraînés pour une promenade
en forêt. Me connaissant, elle ne m'a même pas proposé de me joindre…
Je savoure le silence…
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