L'HEURE DU REIN
Jeudi 1er août
Six heures moins le quart. – C'est bien pour dire que je ne manque pas le millésime… Il fait une chaleur de bête dans cette fucking Case et je ne vais sûrement pas y rester bien longtemps (d'autant que le Ricard, l'eau fraîche et les glaçons sont restés dans la maison principale).
–
J'étais plutôt fier de moi ce matin, car je me suis débarrassé de ma
“page télé” entre sept heures et demie et neuf heures, pendant qu'il
faisait encore bien frais ici. À partir d'une heure environ, c'est
devenu infernal et je ne fais plus que de rapides incursions afin de
valider les commentaires du blog.
– Sur le conseil de Michel Desgranges (qui a reçu son “exemplaire papier” ce matin par la poste), j'ai envoyé par mail En territoire ennemi
à Caroline Noirot, la directrice des Belles Lettres, afin qu'elle
puisse l'imprimer et partir demain en vacances avec – vacances que
j'espère ne pas trop sévèrement lui gâcher par cette lecture que je lui
impose. Du coup, évidemment, j'ai commencé moi-même à relire ces fichus
textes en essayant – tentative ridicule mais irrésistible – de me mettre
dans la peau et l'esprit d'un lecteur nouveau et non prévenu. Mais,
encore une fois, la chaleur étouffante a rapidement eu raison de moi, et
j'ai fui ce bureau maudit.
–
Ma période de non lecture se prolonge ; je ne m'en inquiète pas encore,
mais il ne faudrait pas qu'elle dure encore bien longtemps pour que
oui. Catherine dit que c'est à cause de mon propre livre, qui m'occupe
excessivement l'esprit ; elle a peut-être raison, les deux choses étant
en effet concomitantes.
– Ce sera tout pour le moment : je pars en eau, littéralement.
Vendredi 2 août
Cinq heures.
– Hier soir, alors que je dormais déjà, Catherine est entrée dans la
chambre pour prendre la moitié du matelas (qui n'est, on l'aura compris,
que la réunion de deux matelas d'une personne), afin de passer la nuit
sur la terrasse, pour cause de trop grosse chaleur à l'intérieur. Il en a
résulté que j'ai assez mal dormi, sans cesse réveillé par la peur
inconsciente et stupide de tomber de mon demi-matelas sur le
sommier voisin. Aujourd'hui, la chaleur est presque équivalente à celle
d'hier, mais avec un petit vent en plus, qui rend l'atmosphère moins
lourde. (Bien entendu, au moment où j'écris cela, il cesse brusquement
et totalement de souffler.)
– N'ayant à peu près rien fait de ma journée, je ne vois pas l'intérêt de m'attarder ici davantage.
Samedi 3 août
Cinq heures et demie. –
Je ne sais si c'est la baisse de température qui a agi sur moi et mon
environnement immédiat, mais cette journée fut en tous points positive.
D'abord parce que le transfert des nouvelles données GPSistes dans
l'ordinateur de bord de la voiture, au moyen de quatre DVD reçu il y a
plus d'un mois, s'est déroulé sans la moindre anicroche, contrairement à
ce que Catherine et moi tenions pour assuré. Certes, ce fut long :
environ six heures, mais enfin ce n'était pas un travail prenant pour le
propriétaire du véhicule, puisqu'il consistait à laisser tourner le
moteur et à changer de disque lorsque l'un d'eux était parvenu au bout
de sa mission.
Ensuite,
saisi d'un courage aussi inattendu que matutinal, j'ai tondu le jardin
dès neuf heures, pendant qu'il faisait à peu près frais. Enfin, après
avoir publié sur le blog un court billet consacré au hérisson, après
celui d'hier sur le merle et celui d'avant-hier dédié à la taupe, j'ai
soudain eu l'idée que je pourrais peut-être ôter d'En territoire ennemi
les quelques textes “animaliers” qui s'y trouvent, afin de les réunir
d'ici un an ou deux, c'est-à-dire quand j'en aurai écrit suffisamment,
en une sorte de petit Bestiaire. Je viens de soumettre par mail à Desgranges cette mirobolante idée.
Cerise sur le gâteau : il reste du Ricard dans la bouteille.
Dimanche 4 août
Sept heures et demie. –
Journée passée pour l'essentiel aux urgences de l'hôpital d'Évreux.
Vendredi, en milieu d'après-midi, j'ai eu la mauvaise surprise
d'expulser une urine dont la couleur rappelait davantage le vin de
bordeaux que celui d'Alsace. Mais comme, mictions suivantes, tout
semblait revenir à la normale, je n'en ai soufflé mot à Catherine, de
peur qu'elle n'exige de remplacer l'apéritif vespéral par une visite à
l'hôpital. Le problème est que le sang est revenu – mais beaucoup moins –
dès le lendemain, hier donc. Et, ce matin, c'était pis que tout : non
seulement ce qui coulait de moi avait exactement la couleur du sang,
mais en outre, j'évacuais de gros caillots en même temps. Cette fois, il
a bien fallu réagir, et nous sommes partis ensemble (pour le cas où je
serais hospitalisé : que Catherine puisse au moins disposer de la
voiture durant mon agonie), peu avant midi.
Contrairement
à nos appréhensions conjointes, il n'y avait pas foule, dans ce
service, le personnel était aimable et relativement rapide. J'ai
fièrement annoncé au médecin que je n'éprouvais pas la moindre douleur,
ni avant, ni pendant, ni après. Là-dessus, prise de sang, et
naturellement, l'attente des résultats fut ce qu'il y eut de plus long
et pénible ; d'autant plus pénible que, à peine les palpations du
médecin achevées, la douleur qu'il s'étonnait un peu de ne pas me voir
ressentir, cette douleur a pris naissance dans la région de l'aine
gauche, puis dans les reins, et s'est mise aussitôt à croître lentement
mais régulièrement. Pour finir, les résultats de l'examen sanguin n'ont
pas dû alarmer beaucoup l'homme de l'art puisqu'il m'a renvoyé chez moi,
après m'avoir pris un rendez-vous au service d'urologie de la clinique
Pasteur, toujours à Évreux, jeudi matin aux aurores. Il m'a également
donné une ordonnance pour des antidouleurs plus costauds que l'habituel
paracétamol… et un arrêt de travail d'une semaine que, contrairement à
moi, Catherine a pensé à lui demander. Il est d'autant mieux venu,
celui-là, que durant la semaine qui s'annonce, la moitié de mes autoroutes sont fermées pour travaux d'entretien, ce qui aurait rendu les trajets un tantinet pénibles.
Au
fond, la seule conséquence (pour l'instant…) vraiment fâcheuse de cette
histoire est que j'ai trouvé plus sage d'annuler le dîner organisé
mercredi soir par Rémi, chez lui, à Évreux, en l'honneur de Jacques
Étienne, monté pour quelques jours de sa Basse-Normandie d'élection. (La
phrase précédente est idiote : je n'ai évidemment pas annulé ce dîner,
mais seulement notre participation à lui.)
Tandis
que je prenais avec une admirable résignation mon mal en patience, je
me suis aperçu que, voilà dix ans, presque jour pour jour, j'avais passé
deux jours dans ce même hôpital – mais qui était encore dans ses
anciens bâtiments du centre –, pour une infection au testicule gauche,
réjouissance que je ne souhaiterais pas à mon pire ennemi, même
progressiste. On verra ce qui me tombera dessus en août 2023 ; ma pierre
tombale, par exemple.
Lundi 5 août
Sept heures et quart. –
Journée assez morne. À part la première de ce matin, vaguement rosâtre,
mes mictions de la journée avaient une apparence de bon aloi ;
néanmoins, je dois tout de même traîner un peu de fièvre car je me sens
tout mollasson et sans goût à rien. Sans compter cette douleur, au côté
gauche, pas très forte mais qui ne se laisse pas oublier pour autant.
Bref, on comprendra que j'en reste là pour ce soir.
Mardi 6 août
Sept heures vingt. – Pareil qu'hier.
Mercredi 7 août
Sept heures et demie.
– C'est sans doute une illusion, un faux répit avant l'assaut final,
mais j'ai eu l'impression, ce matin, de me réveiller tout à fait
débarrassé de mes ennuis de ces derniers jours : plus de sang dans
l'urine, pas davantage de fièvre, toute douleur disparue comme par
enchantement – et cela dure encore à l'heure qu'il est. L'urologue que
je dois consulter demain matin à 8 h 45 (prière de se présenter à
l'accueil une demi-heure avant votre rendez-vous) va pouvoir s'adosser
malignement à cette espèce de quiétude retrouvée pour m'asséner d'autant
plus violemment son coup de grâce ; je le sens assez bien venir, le
drôle.
–
Parti du “niveau 3” il y a quelques semaines, je me sens absurdement
fier d'avoir atteint, depuis hier, le niveau 6 au sudoku ; d'autant plus
que c'est à ce stade qu'était parvenue Catherine quelques jours avant moi. Je vais travailler d'arrache-pied pour accéder au septième ciel grillé avant elle…
Jeudi 8 août
Sept heures et demie. – Ah, il va être juvénile et pimpant, ce journal d'août, je le sens ! D'un côté le couple vieillissant qui, à la suite d'un probable et simultané ramollissement cérébral, a abandonné toute prétention à la littérature pour remplir comme des maniaques une grille de sudoku après l'autre ; et pour parfaire cette ambiance de dégénérescence, mes histoires d'urines et d'examens médicaux : on est parti pour s'amuser et s'éjouir…
–
Ce matin, devant être à la clinique Pasteur à huit heures et quart
(pour un rendez-vous effectif avec l'urologue de service une demi-heure
après), j'y étais bien sûr dès huit heures cinq. Ce fut pour trouver
close la porte des “Consultations”, sombres et déserts les locaux qui se
trouvaient derrière. Dix minutes plus tard, rien n'ayant bougé, je vais
risquer ma face à l'accueil des urgences, où un groupe de sept à huit
“personnels” en blouses blanches discutait avec animation ; aucun
n'atteignait la moitié de mon âge. On s'enquiert, je me nomme. La
préposée au guichet – la seule à n'être pas blousée – me lance alors
cette phrase, inquiétante dans ses conséquences entrevues : « Vous
n'avez pas eu le message de l'assistante du docteur ? » Naturellement,
non. Il était, ce message fantôme, pour me dire que mon rendez-vous
était repoussé d'une heure : la journée commençait bien. Comme les
alentours de la clinique Pasteur sont radicalement libres de bistrots,
je me résigne à la salle d'attente, ayant repéré au passage qu'elle
était déserte. Déserte mais non silencieuse : le poste de télévision
fixé au mur, bien haut pour que tout le monde puisse le voir, diffusait
l'une de ces insanités américaines sirupeuses dont, paraît-il, les
ménagères se repaissent dès le matin. Je me suis donc réfugié dans la
voiture, avec le livre que j'avais eu l'élémentaire sagesse de prendre
avec moi. Lorsque j'y suis revenu, dans cette salle d'attente, afin de
ne pas risquer de “manquer mon tour”, la télévision fonctionnait
toujours, évidemment, et s'en écoulait le même type de sanie. Eh bien,
j'ai pu constater que, sur les quinze personnes que nous étions à ce
moment-là (mais pas toujours les quinze mêmes : il y avait de
l'animation), gens de tous âges, races et milieux, pas une, à
aucun moment, ne s'est intéressée, fût-ce d'un œil distrait, aux
discordes amoureuses de Brian et Priscilla. Mais alors pour qui
fonctionnait-il, cet écran, si c'était pour laisser indifférents les
trois quarts des attendants et agacer fortement le dernier quart ?
J'ai
tout de même fini par être appelé. Après un bref entretien avec moi, le
praticien s'est décidé pour une fibroscopie : c'était son droit. Puis
il a disparu, me laissant seul avec l'infirmière, laquelle m'a fait
promptement déshabiller, allonger, avant de m'injecter une sorte de gel
anesthésiant dans ce que je crois s'appeler l'urètre. Puis, gentiment,
elle a entrepris de me rassurer quant à ce qui m'attendait dès que
l'uro-génitologiste daignerait revenir parmi nous. Elle le fit à peu
près en ces termes (elle n'a pas mis l'italique, c'est moi qui le fais) :
« La fibro ne fait pas réellement mal mais c'est une sensation peu agréable, notamment lorsque l'on traverse
la prostate [là, le patient est déjà liquéfié par une venette biblique,
sa queue a la taille et la consistance d'un petit gris des prés – ou
d'un bulot, pour les maritimes]. Ce qu'il faut, pour que ça se passe le mieux possible,
c'est respirer profondément : ça aide à penser à autre chose… » En
suite de quoi, le trans-prostatique met encore dix minutes à revenir, le
temps sans doute que, dans votre cerveau bien mis en condition, les
informations délivrées par son infirmière prenne les proportions
exactement inverses à celles de votre appareillage ; qui, en cet
instant, est tout ce qu'on veut sauf reproducteur, cet infortuné.
Finalement
il arrive, empoigne son instrument d'une main, le vôtre de l'autre,
puis procède. Et vous constatez que l'opération, non contente d'être
fort courte, est également tout à fait anodine sur le plan des
sensations peu agréables. Vous vous demandez alors si
l'infirmière vous a collé les flubes par inconscience, sottise, ou au
contraire par une diabolique connaissance de l'âme humaine, en rendant
acceptable la réalité par le fait même qu'elle l'avait au préalable
grossie aux proportions du cauchemar. Sans réponse convaincante, vous
vous rhabillez ; non sans qu'un doigt finement polymérisé ne soit
auparavant allé prendre nouvelles de votre prostate par la voie
sub-dorsale, qui est comme l'on sait, le plus court chemin d'un point à
un autre, surtout dans ces cas-là.
Il
me reste à affronter le passage dans le scanner, expérience toute
nouvelle en ce qui me concerne : ce sera pour lundi matin, toujours à la
clinique Pasteur. Et, mardi, en fin d'après-midi, ce digne homme ayant
enfin toutes les pièces en main, si je puis dire, pourra enfin
m'annoncer mon sursis ou le rejet de ma grâce. En attendant, il m'a
toujours accordé une semaine d'arrêt de travail supplémentaire : je n'ai
pas poussé la conscience professionnelle jusqu'à la refuser.
–
À un moment que nous étions seuls, et cependant qu'elle manipulait avec
dextérité mes humbles génitoires, l'infirmière se plaignit à moi de ce
que beaucoup de gens, notamment dans le milieu hospitalier, n'avaient
aucun respect pour les autres, que ce soit d'un côté ou de l'autre de la
barrière des admissions. Elle me dit alors : « Je pense de plus en plus
que je suis née une génération trop tard : j'aurais préféré vivre dans
le monde d'avant. » Comme elle m'avait dit, un instant auparavant, que
j'avais l'âge de ses parents, je lui ai répondu que j'avais le même
sentiment, alors que j'appartenais précisément à cette génération qui
semblait lui faire tellement envie. Et pendant quelques instants, elle
gantée et moi la bite à l'air, nous avons soupiré sur le destin du
monde.
Vendredi 9 août
Cinq heures et demie.
– Retour au calme. Journée nonchalante, parsemée de micro-activités
agréables pour la plupart, car imposées par rien ni personne. Lecture
paresseuse du dernier numéro de Valeurs actuelles, dont le petit
dossier sur le bonheur français des années Pompidou m'a évidemment
envoyé directement barboter dans la mare des nostalgies les plus
stériles, mais aussi les plus agréables à mon sens. C'est l'une des
douceurs de la vieillesse – ou du vieillissement : ne brûlons pas les
étapes, tout de même… –, que ce pouvoir qui vient à l'homme de réveiller
la nostalgie quand ça lui chante, sur un simple claquement de doigts ou
presque, et d'être capable de s'en déprendre dès le quart d'heure
suivant. Tous ces gens animés par une sinistre énergie d'avenir, qui
croient flatteur pour eux-mêmes d'affirmer que “la nostalgie, moi,
ch'chais pas c'que c'est”, je les regarde de plus en plus comme des personnes en situation de handicap : je les plains davantage qu'ils ne m'agacent.
Samedi 10 août
Six heures et quart.
– J'ai beau me répéter que c'est stupide, je continue d'être horripilé
par cette paresse intermittente mais régulière dont est saisi Blogger,
qui fait que trois ou quatre heures après avoir publié un nouveau billet
sur le blog, celui-ci n'apparaît toujours dans aucune blogroll : à quoi
sert d'écrire et de publier si personne ne s'en aperçoit ? On me
rétorquera la fameuse “satisfaction personnelle”. Soit, mais enfin elle
est bien mince, lorsqu'on vient d'écrire vingt lignes consacrées au
saucisson sec…
–
Journée semblable à celle d'hier, si ce n'est qu'aujourd'hui je n'ai
vraiment rien lu du tout. Je commence d'ailleurs à me demander quand va
m'en revenir le goût, car enfin il y a maintenant des jours et des jours
qu'a disparu la “canicule” que j'ai d'abord invoquée comme prétexte à
ma paresse.
Dimanche 11 août
Sept heures vingt.
– La situation chez Blogger ne s'arrange pas, au contraire : le billet
que j'ai publié ce matin à neuf heures n'apparaît toujours dans aucune
blogoliste. De plus, mon irritation commence à se doubler de paranoïa,
car j'ai pu constater que d'autres personnes (Falconhill par exemple),
également chez Blogger, semblent n'avoir aucun problème pour que leurs
nouvelles publications soient recensées dans les mêmes délais
qu'auparavant. Comme je ne peux de toute façon rien y faire, il vaudrait
mieux que j'en prenne mon parti.
Mardi 13 août
Onze heures du matin.
– Sur le front médical, les nouvelles ne sont pas très réjouissantes.
Le scanner d'hier matin a montrer que mon rein gauche déconnait à pleins
tuyaux, qu'il était gorgé de sang (d'où les douleurs qu'il
m'occasionne) et qu'il était en outre nanti d'une sorte de “nodule” pas
du tout censé se trouver là. À la suite de quoi, la douleur m'a fait
passer une nuit plutôt exécrable et ce n'est que vers six heures du
matin, la douleur refluant, que j'ai pu réellement dormir. Je dois voir
l'urologue aujourd'hui à quatre heures : à mon avis, il y a bien trois
“chances” sur quatre pour qu'il m'hospitalise illico, n'ayant pas,
contrairement à nos anciens rois, la faculté de guérir les écrouelles ni
les reins par simple contact tactile. Bref, me voilà embringué dans une
épopée médicale dont je me serais volontiers passé, d'autant plus qu'on
ne sait pas encore ce qu'elle va révéler. Mais enfin, pour l'instant,
je me trouve assez zen face à ce désagrément.
Prévoyant
en diable, je partirai tout à l'heure pour la clinique nanti d'un sac
de voyage contenant quelques vêtements adaptés, mais surtout deux ou
trois livres et un petit magazine de sudoku ; qu'au moins je ne m'ennuie
pas pendant l'agonie. D'autre part, il est prévu que, si
hospitalisation il y a bien, Catherine m'apporte demain son ordinateur
portable, afin que je puisse continuer à tenir ce journal. Comme on
voit, rien n'a été laissé au hasard.
–
Dominique et Gabrielle sont bien arrivées hier dans l'après-midi, comme
prévu, et, nonobstant mes petits problèmes personnels, nous avons passé
une excellente soirée ; assez brève mais excellente. Il y a environ une
demi-heure, la mère et la fille sont parties en voiture pour aller
passer la journée à Paris, nous laissant la garde d'Oscar, le chien à
trois pattes ; lequel s'est fort bien entendu avec les nôtres, ce qui
est déjà ça.
Mercredi 14 août
Midi et demie. –
Eh bien, le moins que l'on puisse dire est que rien ne s'arrange sur le
front médical. Le scanner passé avant-hier a trahi la présence d'une
splendide tumeur cancéreuse au rein gauche ; laquelle va entraîner
l'ablation du pittoresque organe en question : ce sera chose faite
vendredi prochain. Entretemps, mercredi, j'aurai passé un nouveau
scanner, afin de voir s'il n'y aurait pas, par hasard, déjà des
métastases aux poumons. Catherine s'est évidemment précipitée sur
l'ordinateur afin de demander à Mme Google ce qu'elle pensait des
cancers du rein. Verdict de la dame en question : 90 % de guérison
totale. Sauf, évidemment, si l'on devait me trouver les fameuses
métastases dans l'un ou l'autre (ou les deux…) de mes poumons. Dans ce
cas, je ne parierais pas sur ma survie à cinq ans, et sans doute même
moins. Il ne me resterait plus qu'à faire la course avec mon père, dans
laquelle il aurait tout de même une sérieuse longueur d'avance. Mais,
d'un autre côté, étant plus jeune, je suppose que je dois fabriquer mes
petites cellules cancéreuses beaucoup plus vite que lui, ce qui doit
nous ramener à une saine égalité.
Hier
je disais à Catherine que ma mère se retrouvait dans une situation
assez étonnante, puisque la voici menacée de perdre à la fois son mari
et son fils aîné, alors que sa mère est toujours en vie, même si dans un
état qui fait envisager le cancer comme une bienheureuse porte de
sortie. J'ai conclu sur le ton de Robert Lamoureux : « Et le lundi,
Suzanne était toujours vivante ! »
Pour
ce qui est de moi, je prends tout cela (pour l'instant…) avec un
détachement qui m'étonne un peu moi-même. Je n'ai pas l'impression
d'être réellement concerné. Évidemment, je préférerais que le scanner de
la semaine prochaine révèle une absence de métastases pulmonaires
plutôt que l'inverse ; mais il me semble que je ne serai pas plus abattu
s'il en va différemment. Enfin, on verra à ce moment : je ne vais pas
faire le malin non plus ni me mettre à plastronner dans ce journal.
En
fait, la seule chose qui me déprime un peu, depuis hier, c'est la
perspective de devoir passer huit jours à l'hôpital sans pouvoir fumer.
Mais enfin, je l'ai déjà fait, sans trop en souffrir, je pense que je
serai capable de réitérer l'exploit. M'a amusé, hier, en quittant le
cabinet de l'urologue, que le sentiment qui dominait chez moi était une
sorte de joie guillerette à l'idée que je pouvais rentrer à la maison
plutôt que d'être incarcéré immédiatement. On aura beau dire que c'était
reculer pour mieux sauter, le recul était néanmoins fort bienvenu.
Jeudi 15 août
Neuf heures. –
Les gens sont merveilleux de sottise. Hier, je disais par mail à
Françoise D., ma rédactrice en chef, quelle était ma situation médicale,
parce que je ne voyais pas très bien comment faire autrement. Je lui
disais aussi de transmettre à Philippe B., mon patron, et,
éventuellement, à Gabriel, le chef des informations, si jamais il lui
posait des questions. Là-dessus, coup de téléphone de Nathalie C.,
inquiète de m'apprendre malade. Comment avait-elle su ? Très simplement,
on dirait : elle est allée demander au dit Gabriel pourquoi je n'étais
pas là, et ce bougre lui a répondu quelque chose comme : « Oh, Didier ?
On n'est pas près de le revoir… » Naturellement, un peu paniquée,
Nathalie s'est empressée d'appeler ici ; et ensuite Brice, qui lui-même a
appris le chose je ne sais comment. Bref, demain, tout le monde sera au
courant que je suis sub-claquant, alors que j'aurais nettement préféré
qu'on n'en sache rien, ne serait-ce que pour avoir la paix, souffrir
tranquillement dans mon coin. Il faudrait ne rien dire à personne,
mépriser parfaitement les gens que l'on connaît, leur faire comprendre
que, dans les grandes occasions, ils ne sont rien ; mais alors
absolument rien.
Non
parce que, une fois embringué, il n'est plus possible de faire
demi-tour. Quand il va de soi que, demain, après-demain, tout le monde
sera au courant du sort de votre rognon gauche, qu'est-ce que vous
voulez faire là-contre ? Vous êtes même obligé d'être aimable avec ceux
qui vous appellent, pour vous poser ces questions qui vous accablent par
avance, repartir de zéro, reraconter votre scanner, vos pissats
sanguinolents, vos attentes pénibles, les incidents cocasses, etc. Bon,
au bout d'un moment – assez bref – il y en a marre, n'est-ce pas ? Le
futur mourant a un peu envie qu'on lui lâche la grappe…
Vendredi 16 août
Sept heures et quart. –
Dominique et Gabrielle sont bien reparties ce matin pour Bristol, comme
il était prévu qu'elles fissent. Nous avons donc passé une petite
journée bien tranquille. Comme Michel Desgranges – qui semble presque
plus alarmé que moi de l'état de ma santé – m'incitait à publier de
nouveaux billets sur le blog, j'ai écrit ces quelques lignes :
« Le moment où disparaissent les
hôtes, même si leur séjour fut, comme c'est le cas, des plus agréables,
ce moment ressemble toujours plus ou moins à un retour à l'ordre ancien,
celui que l'on pensait immuable et qui fut bousculé un instant. Pour
compenser le (discret) surcroît d'agitation des derniers jours, on se
glisse dans une immobilité nonchalante, on a envie de lectures un peu
paresseuses et distraites, on se montre plus attentif au lent écoulement
du temps, on laisse la maison et son silence se refermer autour de soi
comme un cocon. – Même les chiens semblent avoir une qualité de sommeil
différente ; ils dorment plus intensément.
» Mais
en même temps, l'absence reste sensible pendant plusieurs heures après
le départ ; à chaque changement de pièce, on cherche machinalement du
regard ceux qui y étaient et n'y sont plus. Il y a un vide, de taille et
de forme indéfinissable, qui semble refuser de nous lâcher pour se
dissoudre ; et c'est un vide de poids. Un peu comme si un invisible
bistouri venait de nous retirer un organe et que les autres, autour, se
trouvaient tout désemparés de cet espace accru qui leur est offert. Il
en restera peut-être une infime cicatrice à l'âme, mais on ne peut pas
le savoir à l'avance : certains hôtes sont des praticiens fort habiles. »
Évidemment,
en dehors des quatre ou cinq personnes que j'ai mises au courant de ce
qui m'arrivait (Desgranges, Nicolas, Rémi, entre quelques autres), mes
cohortes de lecteurs vont avoir un peu de mal à saisir la pertinence de
ce bistouri invisible qui arrive comme un cheveu sur la soupe : tout
cela ne s'éclaircira que fin septembre lorsque ce journal-ci sera
publié.
(Depuis
que Gabrielle est passée par ce bureau, mon clavier est tout poisseux :
voilà ce que c'est que de clavioter tout en s'empiffrant de Nutella…)
As usual,
le retour à la vie normale s'est accompagné d'un abandon sans regret
des libations vespérales… lesquelles reprendront dès demain puisque Rémi
sera des nôtres le temps de la soirée. Mais on reviendra à l'eau claire
dès le lendemain. Je suppose que nous ne résisterons pas à la tentation
mercredi, puisque ce sera ma dernière soirée à la maison avec deux
reins. Pour l'après, je ne sais pas trop ce qu'il en sera. Hier, pensant
aux semaines que se préparent à vivre Philippe et Dominique, je me suis
demandé très sérieusement si, tout compte fait, je ne préférais pas
affronter un cancer au Plessis-Hébert plutôt que de déménager à Dubaï.
En réalité, pour le moment, la chose qui réellement m'accable, dans tout
ce foutoir, c'est la certitude que je vais, cette fois, devoir arrêter
définitivement de fumer : Catherine, après quelques recherches sur
internet, s'est montrée très ferme sur ce point. Heureusement, il y aura
déjà les huit jours d'hôpital, à l'issue desquels le plus dur de la
désintoxication sera fait ; et fait facilement puisque sans tentation
aucune.
Samedi 17 août
Cinq heures et demie. –
Je continue plus ou moins de croire que je prends l'affaire du cancer
avec une parfaite décontraction. Il n'empêche : depuis que l'annonce
m'en a été faite (Tiens, plutôt que L'Heure du rein, ce pourrait être cela le titre de ce journal d'août : L'Annonce faite au mari…),
j'ai totalement cessé de lire et passe mes journées à remplir des
grilles de sudoku, tel un obsessionnel ; ou un homme qui souhaiterait à
toute force concentrer la totalité de son esprit sur une chose sans
importance, afin de ne pas avoir à envisager ce qui se passe autour de
lui, ou plus exactement en lui. Je dois pondérer cette hypothèse, cependant : mon “retour d'affection” pour le jeu de chiffres s'est produit avant
l'annonce, et même avant le début des ennuis, comme ce journal doit
pouvoir en faire foi ; de même pour ma désaffection de toute lecture un
peu suivie. Est-ce que le développement d'une tumeur rénale peut influer
sur les capacités de l'intellect ? J'aurais bien sûr tendance à penser
que non, mais allez savoir…
– Nous attendons Rémi (El Desdichado et Matière de France…)
d'ici un petit moment, vers sept heures, pour un petit dîner dont le
prétexte est de nous apporter les livres que j'avais oubliés chez Michel
Desgranges (gentiment prêtés par lui) ainsi que la gamelle et le tapis
de Bergotte, laissés, eux, chez Jacques Étienne lors de notre séjour à
Paimpol. Catherine était encline à tout annuler, mais j'ai un peu
insisté pour que non : ce n'est déjà pas spécialement drôle d'être
malade, on ne va pas, en plus, se mettre à singer les malades
dans ce qu'ils ont de plus souffreteux et pleurnichard, bref : à adopter
leur panoplie. Je ne dis pas si, d'ordinaire, nous avions une vie
sociale intense et donc épuisante, mais là, franchement…
Dimanche 18 août
Huit heures moins le quart. –
Journée vraiment pénible, pour le coup. Catherine, dès hier, a connu
une rapide baisse de forme, qui l'a conduite à ne presque pas dîner et à
nous abandonner très tôt, Rémi et moi. Aujourd'hui, la situation n'a
fait que s'aggraver : elle a été reprise par la douleur abdominale
qu'elle a déjà connue au moment de son infection d'il y a quelques mois
(en moins intense tout de même) ; actuellement, elle grelotte sous deux
pulls et une couverture, alors que je suis en polo devant la fenêtre
ouverte. Mais, comme elle n'a aucune température anormale, bien qu'elle
en présente ce symptôme, nous hésitons à appeler une ambulance afin de
la conduire aux urgences, comme on nous a enjoints de le faire en cas de
brusque fièvre.Comme me l'a dit Catherine il y a un moment : «
J'attends que ça passe ou que ça empire… » Actuellement, ça ne fait ni
l'un ni l'autre.
Naturellement,
cet épisode ne pouvait pas plus mal tomber, puisque je dois moi-même
entrer à la clinique dans trois jours. Si jamais nous nous retrouvions
sur le flan tous les deux en même temps, il n'y aurait plus qu'à espérer
que mes parents – au moins ma mère – puissent venir ici en urgence afin
d'assurer l'intendance canine. Je sais bien que les voies de Dieu sont
impénétrables, mais enfin, s'il avait pu nous éviter cette simultanéité
fâcheuse de nos décrépitudes mutuelles, il nous aurait bien arrangés.
Du
coup, je suis en train de m'autoriser un petit “remontant” (qui prend
aujourd'hui tout son sens, car je puis pas dire que, depuis ce matin,
mon moral soit bien flambard), dans la mesure où Catherine souffrant
beaucoup de rester assise, il est hors de question que je la conduise
moi-même à l'hôpital en cas de besoin : si besoin est, on appellera une
ambulance ; d'autant que, aux urgences hospitalières, les prétendants
arrivant par ce moyen sont pris en charge avec plus de zèle que les
visiteurs simples.
–
Sinon, la soirée avec Rémi fut fort agréable, au moins pour moi, mais
j'ai l'esprit trop ailleurs pour en dire quoi que ce soit maintenant.
–
En milieu de journée, trouvant que j'étais décidément pitoyable à
enchaîner comme je le faisais les grilles de sudoku, j'ai commencer La Fosse aux chiens,
de John Cowper Powys, roman recommandé dernièrement par je ne sais plus
quel blogueur (qu'il me pardonne : ma cervelle tourne au quart de ses
capacités, et encore…). J'en ai lu le premier chapitre (une quinzaine de
pages tout au plus), mais sans goût ni intérêt ; et je suis revenu,
résigné, au sudoku. Je ne parviens plus à lire, il faut se faire une
raison ; on verra après l'opération, lorsque je serai censé “aller vers
le mieux”.
Dix heures moins dix.
– Le pire, dont on prétend qu'il est toujours certain, a eu à cœur, ce
soir, de confirmer cette réputation qu'on lui fait . À partir de huit
heures et demie, la fièvre de Catherine a rapidement monté, jusqu'à
atteindre 38°6 ; j'ai donc appelé le SAMU, qui nous a expédié une
ambulance, laquelle est arrivée environ une demi-heure plus tard et,
sans atermoiement excessif, vient d'embarquer Catherine aux urgences de
l'hôpital d'Évreux. L'ambulancière, si l'on dit bien comme cela, m'a
conseillé d'appeler d'ici une heure ou une heure et demie, afin de
savoir si l'hôpital la gardait ou non – ce que je vais évidemment faire.
Au moment de partir, Catherine n'a pu retenir quelques larmes, et je
sais que c'était de me laisser seul dans la situation que je traverse
moi-même, ce qui m'a profondément ennuyé : je déteste déjà voir
Catherine pleurer, mais encore bien davantage lorsque j'y suis pour
quelque chose, même si à mon corps défendant (défendant mal,
apparemment).
Assez
bizarrement, ce nouveau développement m'a donné une sorte de coup de
fouet, et je me sens presque curieux (en tout cas au moment où j'écris
ces lignes…) de voir s'il est possible de nous pourrir encore un peu
plus la vie. Si jamais le cas de Catherine s'avérait plus grave que
prévu (mais prévu par qui ?) et qu'elle doive rester à l'hôpital, il me
faudrait, demain, tirer la sonnette d'alarme du côté de mes parents,
afin qu'ils viennent ici plus tôt que prévu, pour s'occuper des chiens
essentiellement. Car, bien sûr, comme nous sommes en août, il serait
fort déraisonnable d'imaginer pouvoir trouver trois places pour eux à
notre chenil habituel. Bref, et pour résumer brutalement, tout se
combine pour nous faire chier un maximum.
D'un autre côté, et pour une fois, les lecteurs de ce journal ne pourront pas se plaindre de sa monotonie ni de sa routine.
Lundi 19 août
Sept heures et demie. – Le moral, qui n'était pas ben ben
haut hier soir, n'a cessé de remonter à partir de la mi-journée.
D'abord parce que j'ai eu le plaisir de trouver, à l'hôpital d'Évreux,
une Catherine ne souffrant (presque) plus ; ensuite parce que mon
entretien avec le chirurgien qui doit me subtiliser un rognon (ce sera
finalement le 3 septembre) est venu distraire de son poids de concret
mon esprit de ses fantasmes tournant en circuit fermé. Entendre parler
d'opération lourde, de douleur éventuelle, de risques de complications,
etc., tout cela s'est finalement révélé plutôt rassérénant.
Cela
étant, Catherine ne sait toujours pas si elle sera opérée le 2
septembre comme prévu (ce qui paraît assez compromis) ni, si
l'intervention est reportée, de combien elle le sera. Ces incertitudes
viennent de donner lieu à une conversation téléphonique homérique et
épuisante avec ma mère qui, désormais, éprouve le besoin de répéter
trois quatre, cinq fois, les plus petites choses qu'elle est censée
retenir, alors même qu'elle vient de les noter sur son calendrier. Il va
de soi que nous ferons tout pour éviter leur venue, à mon père et à
elle. Car, évidemment, au lieu du repos que leur présence serait censé
nous apporter, parce qu'ils nous déchargeraient d'un certain nombre de
tâches, ce ne pourrait être qu'un surcroît de fatigue et d'énervement
qu'ils occasionneraient – bien involontairement, cela va sans dire. Mes
parents parviennent déjà, en un week-end, à me mettre sur le flan
lorsque je suis en bonne santé, je n'ose imaginer ce qu'il en serait
relevant d'opération. Et je connais Catherine : la patience, lorsqu'elle
n'est pas “dans son assiette” (expression favorite de ma mère), est
rien moins qu'à toute épreuve. Ce serait des coups à ce qu'elle se fâche
avec ma mère : jolie cerise sur ce gâteau.
Mardi 20 août
Midi. –
Depuis deux ou trois jours, lorsqu'ils s'adressent à des gens au
courant de mes aventures médicales, je signe les mails que je leur
envoie Didier Goux-Rénal. On se divertit comme on peu.
Sept heures et quart. –
J'ai trouvé Catherine en bonne forme, en début après-midi. Il n'est
d'ailleurs pas impossible qu'elle sorte demain, même s'il y a plus de
chances pour que ce soit jeudi (dit-il avec assurance, alors qu'il n'en
sait strictement rien). J'ai passé une heure et demie avec elle puis, à
trois heures, je suis rentré. Comme voilà quatre ou cinq jours que je ne
mange que fort peu, je me suis souvenu, en arrivant à proximité du Carrefour d'Évreux, qu'il y avait là, dans cette innommable “zone commerciale” un “restaurant” (navré de tous ces guillemets…) Quick ; je suis allé y engloutir deux hamburgers giants
accompagnés d'une montagne de frites bien grasses et salées par moi à
l'excès, comme il se doit – le tout arrosé d'eau minéral afin de
sauvegarder une bribe de bonne conscience diététique. Ce quart d'heure
de goinfrerie pure m'a fait un bien fou, au moral comme au physique.
Soudain, par la grâce improbable de ces quatre steaks hachés empilés, la
vie redevenait envisageable.
–
Je ne crois pas avoir dit, hier, que j'avais commencé de lire le
dernier roman de François Taillandier (qui sera en fait une trilogie), L'Écriture du monde.
L'histoire se situe dans l'Italie des années 500 après Jésus-Christ et
elle commence fort bien, pour les quarante ou cinquante pages que j'en
ai lues. Elle le furent dans la salle d'attente de l'anesthésiste avec
qui j'avais rendez-vous, faisant suite à celui de l'urologue. Le
problème est que la secrétaire de ce dernier avait prévu large,
escomptant que le premier des deux aurait probablement du retard. Mais
il n'en avait pas la moindre minute et, du coup, c'est chez
l'anesthésiste que j'ai passé cette heure avec Taillandier.
–
Demain matin, je suis attendu à neuf heures moins le quart dans le
poste de commandement du très intimidant baron von Scanner, afin qu'il
soumette mes poumons à la question circulaire. Résultats jeudi
après-midi. Dès que je les aurai, Catherine et moi téléphonerons à ma
sœur afin de les lui lire et qu'elle nous dise si je vais mourir ou pas
(ou pas tout de suite, veux-je dire). Ces clinique et hôpital d'Évreux,
je vais finir par m'y sentir comme chez moi ; bientôt, je le sens,
infirmières et brancardiers me salueront comme un des leurs.
Mercredi 21 août
Sept heures moins le quart.
– Puisque j'en faisais le pronostic, Catherine n'est évidemment pas
sortie aujourd'hui ; en revanche, les chances pour que ce soit demain
sont assez fortes. Quant à moi, mon scanner matinal s'est passé on ne
peut plus rapidement : c'est à peine si je suis resté plus d'une
demi-heure à la clinique en tout. Pour ce qu'il a donné, ça c'est autre
chose : à chaque jour suffit son sujet de préoccupation. Le reste de la
journée (en dehors de ma visite à Catherine et d'une lessive qui
devenait nécessaire…), je l'ai passé à alterner les grilles de sudoku et
le roman de Taillandier.
Pour
mémoire (!), notons que, ce matin, devant être à Évreux pour dix heures
moins le quart, j'ai mis sonner le réveil à sept heures, alors que huit
aurait très largement suffi. J'aurais déjà quelques paquets de
métastases au cerveau que je n'en serais pas autrement surpris.
Vendredi 23 août
Huit heures moins le quart. –
Je ne suis pas venu ici hier parce que la journée a été mouvementée et
que, le soir venant, nous avions des choses à “arroser” dignement. En
réalité, parce que Catherine est à haute dose d'antibiotiques, elle a à
peine trempé ses lèvres dans le champagne que j'avais acheté et mis au
frais pour elle, et c'est moi qui me suis montré vraiment digne.
La
première, dans l'ordre strictement chronologique, bonne nouvelle fut
que Catherine est sortie de l'hôpital et que j'ai pu la ramener à la
maison. La seconde a été que, de l'avis conjoint et successif de ma sœur
et de Pluton, les deux misérables nodules qui sont logés dans mon
poumon droit ne sont significatifs de rien du tout et qu'il convient de
les traiter, jusqu'à plus ample informé, par le mépris le plus
souverain, ce que je fais depuis hier.
Donc,
a priori, lorsque j'aurai été débarrassé du rognon malfaisant, dans dix
jours exactement, je devrais pouvoir me remettre à penser que mon futur
a de l'avenir. Disons plutôt dans douze ou treize jours, car quelque
chose me dit que les quarante-huit heures suivant l'ablation ne vont pas
être une partie de plaisir.
Samedi 24 août
Neuf heures. – Demi-journée fort agréable chez les Desgranges, en compagnie de Rémi, alias El Desdichado, re-alias Matière de France.
Au départ je ne savais pas que Rémi était invité précisément
aujourd'hui, mais cela a augmenté mon plaisir de cette mini-équipée,
dans la mesure où je pressentais que le trajet aller-retour en sa
compagnie serait des plus agréables (je suis passé ce matin le prendre à
Évreux avant de filer vers la Basse-Normandie), et de fait il l'a été.
Comme les autres fois, je suis revenu à la maison très fatigué : ne
fréquentant, depuis des années, que des journalistes et des blogueurs,
je dois manquer d'entraînement pour les conversations soutenues que
Michel Desgranges instaure systématiquement, avec une aisance qui
continue de faire mon admiration trente ans après : preuve, peut-être,
qu'on ne “grandit” jamais vraiment vis-à-vis des gens que l'on s'est, un
jour, plus ou moins choisi pour maîtres. Mais enfin, c'est une fatigue
hautement saine, de mon point de vue, et j'en redemande.
– Cela étant, Desgranges a été, est et reste un vrai éditeur. Nous n'avons passé que peu de temps à parler d'En territoire ennemi,
mais il s'y est pris fort habilement. Alors que nous nous rendions à la
salle à manger, et passant par son bureau (sa maison présente une
disposition assez déconcertante des pièces), il me dit quelque chose
comme : “ Tenez, parlons un peu de votre manuscrit ; il y en a pour deux
minutes… » De fait, sur la page de titre, il avait noté au crayon deux
ou trois brèves choses, de son indescriptible écriture, illisible y
compris pour lui-même. Il me fait trois remarques, précises :
1) Telle page, les trois mots de conclusion sont à mon avis de trop.
2) Ce texte relatif au cinéma est trop long par rapport à son intérêt, je serais d'avis de l'enlever.
3) Il y a trop de texte consacrés à tel écrivain.
Il
avait pointé des questions que je m'étais moi-même posées sans parvenir
à prendre un parti ; elles furent donc tranchées dans la seconde. Mais
ce n'était que le premier étage de sa fusée.
Nous
passons donc à table et, cependant que la maîtresse de maison
s'affairait, il lance le second : « Alors, pour ce qui est de l'ordre
des textes… » Peu importe ce qu'il m'a dit après, le résultat est que je
suis plutôt enthousiaste à l'idée de refondre assez radicalement les
parties de ce livres, non dans leurs détails mais entre elles, les unes
par rapport aux autres. Le plus étonnant est que ce qui m'a vraiment
fait entrevoir ce qu'il y avait à faire, à remanier, fut une phrase de
Rémi, qui pourtant n'a pas eu connaissance du manuscrit : « Peut-être
vaut-il mieux, m'a-t-il suggéré, aller du monde à vous que de vous au
monde. » Il avait très exactement raison.
Là-dessus,
la conversation a dévié vers les épopées médiévales et les chroniques
de Saint-Denis : j'ai pu me taire et me nourrir tranquillement. Dans la
voiture, lorsque nous sommes repartis, Rémi m'a dit en substance : «
Quand on s'est mis à parler de cinéma, heureusement que vous étiez là,
parce que, moi, je n'aurais jamais été à la hauteur. » Je n'ai nullement
eu l'impression de l'être, à la hauteur, mais je lui ai répondu que
Desgranges étaient comme ces grands maîtres des échecs qui, s'il veulent
parfois être battus, doivent mener cinq ou six parties simultanées
contre les meilleurs de leurs disciples. Sauf que Michel Desgranges se
fera hacher sur place plutôt que d'admettre une défaite – en tout cas
face à de jeunes godelureaux de notre acabit.
Dimanche 25 août
Sept heures vingt. –
Le moins que l'on puisse dire est que cette journée fut plus calme que
la précédente : ayant préféré renoncer au pain plutôt que d'avoir à
sortir, je ne me suis même pas habillé de la journée, gardant jusqu'à
maintenant, l'informe machin que j'enfile au saut du lit et ne garde en
principe sur le dos que jusqu'à la douche ; du reste, je n'ai pas pris
de douche non plus. Catherine m'a scrupuleusement imité, bien qu'elle
ait choisi, elle, l'option avec douche. Comme, demain matin, je dois la
conduire à Évreux pour son rendez-vous avec l'anesthésiste, nous allons
bien devoir revenir un tant soit peu à la civilisation, ou à ce qui en
tient lieu désormais. Inutile de dire, je pense, que je n'ai rien fait
d'autre qu'alterner assez paresseusement Taillandier et sudoku.
Lundi 26 août
Trois heures.
– Il a bien fallu, ce matin, décrasser la bête et la vêtir, puisque je
devais servir de chauffeur à Catherine et l'emmener à l'hôpital d'Évreux
(je pourrai bientôt m'y rendre les yeux fermés…) où elle avait
rendez-vous avec l'anesthésiste. Mais, jusqu'à maintenant, la journée
n'est pas plus active que celle d'hier, si l'on excepte cette petite
pérégrination hospitalière.
–
Je vais donc, à l'instigation de Michel Desgranges, je l'ai dit,
refondre l'anthologie de manière assez radicale ; et je crois savoir
comment. De deux parties (Mémoire d'en France / En territoire ennemi), le livre va passer à trois (les titres sont provisoires) :
– Ce qui était
– Ce qui s'abîme
– Ce qui reste
La
première partie regroupera les textes généraux non directement
“politiques” : critiques de livres, propos sur les écrivains, sur le
cinéma, etc., ainsi que les textes d'ordre plus général, moins
facilement classables.
La deuxième correspondra à tous les textes justifiant le titre général (qui semble finalement devoir rester En territoire ennemi, du moins pour l'instant), c'est-à-dire ceux plus directement polémiques, ou plus “nauséabonds” si l'on préfère.
La
troisième sera la plus personnelle, intimiste, mélancolique, etc. Mais
se terminera tout de même comme l'anthologie actuelle par les cinq
textes de “l'adresse aux kékés”, parce que ces textes sont à la fois une
conclusion et une ouverture, un appel (comme il y a des appels d'air)
vers l'avenir, une manière de ne pas désespérer tout à fait.
Pour
schématiser, on partira donc du monde tel qu'il fut, on passera par son
effondrement et l'on finira en voyant les conséquences de cet
effondrement, de ce passage d'un monde au suivant, sur l'âme et le corps
de l'auteur, pour parler un peu pompeusement.
Les
trois parties n'apparaîtront pas dans le corps du livre mais seront
indiquées à la fin, en table des matières. Il est possible que
Desgranges la trouve un peu étique, cette table ; auquel cas il me sera
toujours loisible de la subdiviser. Du reste, je vais peut-être le faire
sans attendre qu'il me le demande, je ne sais pas.
Ce
travail-là, que je n'attaquerai probablement qu'à mon retour de la
clinique, après le 10 ou 11 septembre (si tout va bien…), est une
perspective plutôt excitante, en vérité. Ce qui l'est beaucoup moins,
c'est de devoir rédiger l'argumentaire que me réclament les
Belles Lettres. Il s'agit, m'a expliqué Michel Desgranges d'un court
texte (de l'ordre du demi-feuillet) destiné aux représentants qui s'en
serviront pour convaincre les libraires que Didier Goux est bien le
phare que le monde attendait, et que s'il commandent suffisamment
d'exemplaires de son génial ouvrage leur fortune est faite et leur
notoriété assurée. Autrement dit, il s'agit d'un exercice
d'auto-glorification qui m'accable d'avance, tellement je me sais peu
fait pour sa pratique et sensible au ridicule de son principe. Je
trouverais nettement plus amusant, par exemple, de rédiger un
“anti-argumentaire”, dans lequel, en vingt ou trente lignes,
j'expliquerais aux libraires pourquoi ils ne doivent absolument pas
commander ce livre, tout le temps, l'argent et l'espace qu'ils vont
économiser en ne le stockant pas dans leur échoppe. D'ailleurs, je le
ferai peut-être, sous forme de billet de blog, un de ces jours. En
attendant, il va bien falloir m'atteler au véritable argumentaire, et ce
serait bien que je m'en débarrasse dès cette semaine, afin de n'avoir
plus à y penser lorsque je serai à la clinique.
Mardi 27 août
Sept heures vingt. – Ce matin, rendez-vous avec le chirurgien (celui de Catherine, pas le mien : on va finir par s'y perdre) : l'opération est remise au 14 octobre, ce qui, d'un strict point de vue “logistique”, est parfait : lorsque Catherine entrera à l'hôpital, ma propre opération aurait déjà quarante jours d'existence, et l'on peut supposer que j'aurai recouvré toutes mes capacités, afin d'expédier seul les affaires courantes. Évidemment, il ne faudrait pas qu'elle nous refasse un petit abcès d'ici là, et notamment pas durant ma semaine de complète absence.
– J'ai commencé à lire en alternance l'Histoire symbolique du Moyen Âge de Pastoureau, récemment prêtée par Rémi, et Nos vices de sont pas des crimes,
de Lysander Spooner, offert à peine moins récemment par Michel
Desgranges. C'est un peu idiot de ma part, dans la mesure où ces deux
volumes font partie de ceux que j'avais prévu d'emporter à la clinique.
Heureusement, j'ai de la réserve.
–
Il y a eu un court moment, une dizaine de minutes, cet après-midi, où
deux ou trois dizaines d'hirondelles sont venues tournoyer dans le petit
jardin de la voisine, volant en tout sens et très bas, fonçant droit
sur nous puis bifurquant au dernier moment, à ras de la fenêtre et du
mur, exactement comme l'auraient fait des chauve-souris diurnes. Puis, à
un instant précis, elles ont toutes pris de la hauteur, avant de
disparaître. Prendre de la hauteur et disparaître : beau programme.
–
Philippe, Dominique Gabrielle et leurs divers animaux sont finalement
bien arrivés à Dubaï et disposent d'un appartement provisoire qui semble
à peu près leur convenir. Je dis finalement car, jusqu'à la
dernière seconde ou presque, ils ont bien cru que les papiers des
bestioles ne seraient pas prêts à temps et que Dominique devrait
demeurer en Angleterre jusqu'à ce qu'ils le fussent. J'en suis bien
content pour eux, évidemment. il n'empêche que, je le répète, même au vu
des circonstances présentes, je préfère être à ma place qu'à la leur.
Mercredi 28 août
Sept heures et quart. – Ma première pensée, au réveil, a été que je n'avais toujours pas écrit ce fucking
argumentaire que me réclament les Belles Lettres, et qu'il allait
falloir songer à s'y mettre. Une heure plus tard, sous prétexte que
j'avais deux ou trois autres bricoles à accomplir avant le soir, j'ai
repoussé la corvée à demain. Puis, sur les coups de midi, constatant que
je ne pensais plus à rien d'autre qu'à ces quelques lignes, une sorte
de rage silencieuse m'a empoignée. Je suis venu à ce bureau, ai créé un
document Word que j'ai intitulé “argumentaire”, et me suis mis à aligner
les phrases. Une petite demi-heure plus tard, j'ai expédié le résultat à
Michel Desgranges, bien assuré qu'il allait me demander gentiment de le
refaire entièrement. Eh bien, pas du tout. Il l'a jugé “quasiment
parfait”, à l'exception d'un tronçon de phrase qu'il m'a conseillé
d'enlever purement et simplement, ce que j'ai fait d'autant plus
volontiers que sa demande était parfaitement fondée. Dans la foulée,
j'ai signé et paraphé les contrats, avant de mettre le tout sous
enveloppe : voilà au moins une chose à laquelle il n'est plus nécessaire
de penser.
–
Alors que, il y a encore quelques jours, je trouvais très bien que
l'opération ait été repoussée, je commence à avoir hâte qu'elle
advienne, afin de l'envisager derrière moi et non plus devant. Et je ne
peux m'empêcher de me dire, même si la réflexion est tout à fait
stérile, que si on avait tout maintenu en l'état primitif, c'est-à-dire
si j'étais passé sur le billard le 23, je commencerais à aller nettement
mieux (peut-on supposer) et pourrais envisager une sortie dans les deux
ou trois prochains jours. D'autre part, j'aurais déjà six jours sans
tabac à mon actif, j'aurais donc passé le cap le plus pénible. Alors
que, là, tout reste à faire, et j'ai la sensation idiote que ça n'en
finira jamais d'arriver.
–
Tout à l'heure, pendant notre dîner, Catherine avons été pris d'un
commencement de fou rire en imaginant la tête consternée de nos médecins
traitants respectifs, s'ils avaient pu nous voir engloutir chacun un
énorme hamburger maison, accompagné de chips tout à fait industrielles.
– Reçu, et commencé, La Ferme africaine
de Karen Blixen. Le goût de la lecture semble me revenir peu à peu.
C'est heureux car, sinon, comment occuperais-je les interminables
journées d'hôpital qui m'attendent ? L'homme ne peut pas vivre que de
sudoku, tout de même !
Jeudi 29 août
Quatre heures.
– La presque dernière phrase du journal de juillet, mis en ligne ce
matin, est : « On verra ce qu'août va donner. » Ça, pour voir ce qu'il
donne, on voit !
–
À cinq heures, nous avons rendez-vous à Pacy avec le père Éric, qui va,
à la demande de Catherine (évidemment…), nous administrer à tous les
deux le sacrement des malades : ça risque de n'être pas du luxe. À
propos de maladie, il me tarde de plus en plus d'être à mardi pour
qu'enfin l'opération soit passée. En réalité, j'aimerais même être déjà
au samedi ou au dimanche suivants, afin que le plus pénible soit
derrière moi. Ce que je veux dire est que je commence à me lasser
sérieusement de ne rien faire d'autre, ou à peu près, que d'attendre
cette intervention. M'amuse un peu le fait que la date (3 septembre) en
a été parfaitement choisie, par rapport à l'intérêt de ce journal. Car
mes douze lecteurs vont devoir patienter un mois de plus avant de savoir
comment s'est déroulée la suite de cette épopée hospitalière.
Huit heures
– Comme il le fait chaque mois, à parution de ce journal, Nicolas est
allé directement au passage où je parlais de lui. Lequel disait ceci :
Dimanche 14 juillet
Huit heures.
– Nouvelle poussée d'herpès chez mes amis progressistes, à propos du
déraillement de train en gare de Brétigny, hier. Il paraît à peu près
certain, si l'on se base sur les premiers témoignages et qu'on les
croise, en les “décryptant”, avec les dénégations embarrassées des
responsables de la propagande, qu'il y a bien eu agressions diverses de
la part de jeunes-à-guillemets, contre les voyageurs, blessés ou morts,
d'abord, puis contre les secouristes.Les premières informations ont bien
entendu été reprises (et peut-être amplifiées, c'est vrai) dans la
“réacosphère”, qui est, depuis ce matin, accusée de complot, de
désinformation répugnante et autres amabilités du même style. En tête de
ce mauvais combat, malheureusement : Nicolas ; qui me semble être en
train de perdre pied, depuis l'arrivée de Hollande à l'Élysée. On a
vraiment l'impression que, refusant obstinément d'abdiquer son soutien à
un président qui est d'ores et déjà dans le caniveau, il “surcompense”
en se précipitant tête baissée dans des combats “antifascistes”
d'arrière-garde, à peine digne des abrutis d'extrême-gauche qui le
traînent régulièrement dans la sanie, du genre “Gauche de combat”. Il
n'est pas impossible que, inconsciemment, il cherche à se refaire une
virginité de gauche à chaque fait divers : tout étant d'ores et déjà
perdu sur les plans économique et social, il se rabattrait alors (valeur
refuge) sur les postures gauchistes de sa jeunesse, qui n'engagent
strictement à rien mais doivent lui permettre de supporter l'errance
pitoyable du gouvernement qu'il a choisi, assez crânement, de soutenir
contre vents et marées. Il n'est d'ailleurs pas sûr qu'il soit
totalement inconscient de ce que je viens de dire.
(Il
va de soi que je m'étends sur le cas de Nicolas parce que je le sais
intelligent et d'une grande honnêteté intellectuelle. Les autres sont
des andouilles bornées pour la plupart et ne méritent pas une ligne.)
Nicolas s'est empressé d'en faire un billet sur l'un de ses blogs annexes (comment ça, je n'ai pas droit au blog principal ?), qui dit ceci :
– Août 1993 : cancer de la peau, suivi d'une greffe d'icelle ;
Je n'ai pas hâte qu'arrive le mois d'août de 2023.
Nicolas s'est empressé d'en faire un billet sur l'un de ses blogs annexes (comment ça, je n'ai pas droit au blog principal ?), qui dit ceci :
Dites, Pépère, j'espère que vous vous rendez compte que je pourrais écrire des choses aussi crétines à votre sujet.
Didier
Goux perd pied depuis que Adolf Hitler a quitté le pouvoir en boudant.
Il est persuadé que des hordes de Musulmans habitent nos banlieues et
provoques des catastrophes ferroviaires pour pouvoir voler dix valises
et un téléphone portable.
Rendez-vous
donc compte à quel point vos amis reacs ont été ridicules en imaginant
le forces de l'ordre organiser une opération de contre communication de
l'ampleur qu'ils ont décrites.
Surtout,
quand on connait la capacité du gouvernement à organiser sa com. Tiens
! Ils ont annoncé une augmentation de la durée de cotisation le jour de
l'annonce d'une hausse du chômage...
Arrêtez
donc de penser que je deviens taré quand vous n'êtes pas d'accord avec
moi et lisez les billets et commentaires des réactionnaires avec du
recul... C'est bien rigolo.
"Machin
m'a dit que le fils de son concierge a parlé à la belle sœur d'un
policier : les violences sont bien réelles. Des centaines de jeunes sont
descendus la moitié pour empêcher les policiers d'intervenir et l'autre
pour faire les poches des centaines de cadavres".
Ce
billet n'a aucun sens, puisqu'il part dans tous les sens, comme on peut
le voir. Que des hordes de musulmans habitent (j'aurais plutôt dit :
annexent) nos banlieues, c'est l'évidence même. Mais qui a dit qu'ils
(ou plutôt elles) provoquaient des catastrophes
ferroviaires ? Moi ? À l'inverse, qui a établi qu'il ne s'agissait pas
d'un attentat ? Personne encore, à ma connaissance. Qu'est-ce que c'est
que cette histoire d'une “opération de contre communication”, là où il
ne s'est agi, comme d'habitude, que de nier tranquillement les faits ?
Que viennent faire les retraites et le chômage dans cette histoire ? Qui
a dit que Nicolas était “taré” ? Le comble de la diversion est tout de
même atteint lorsqu'il m'invite à “prendre du recul”, alors que je n'ai
écrit aucun billet (si ma mémoire ne flanche pas…) sur ce sujet, dans
lequel, lui, a foncé tête baissée et sans rien savoir, quasiment dans la
minute qui a suivi l'annonce de l'événement, volant au secours de son
cher gouvernement et de ses diverses pravdas. Et la pression ne semble
pas être retombée, puisque, à l'instant, l'un de ses commentateurs, qui
lui faisait observer calmement que plusieurs syndicats de police ont
reconnu la véracité des attaques du train sinistré et de ses passagers,
s'est fait traiter de “psychopathe”, rien de moins. Tout cela est bien
curieux à observer, au fond.
(Et
je me demande si, à l'avenir, je ne vais pas écrire Nic*las plutôt que
Nicolas, afin de le contraindre à lire tout mon journal pour savoir ce
que je dis de lui.)
Vendredi 30 août
Cinq heures et quart.
– C'est curieux, j'aurais pourtant juré que j'étais venu m'asseoir
devant ce clavier en ayant quelque chose de précis en tête à noter dans
ce journal. Non, vraiment, je l'aurais juré…
Samedi 31 août
Sept heures vingt. –
Eh bien, on s'en souviendra, de ce mois d'août 2013 ! Si tant est que
sa chance soit laissée au souvenir, évidemment. Demain sera ma dernière
journée complète à la maison : lundi, je devrai me présenter aux
admissions de la clinique Pasteur à cinq heures, afin d'être embastillé
pour une grosse semaine (le document que l'on m'a remis lors de ma
dernière visite à la clinique, indique une durée d'hospitalisation de quatre à dix jours,
ce qui me paraît une fourchette étonnamment large). Je table sur huit
jours, a priori, sauf s'il se présente d'inopportunes complications,
bien entendu.
À propos du document dont je viens de parler, il détaille la manière dont la rognonectomie
se déroule ; en fait, non, il ne détaille pas, il donne simplement les
grandes lignes. Ce qui l'est, en revanche, détaillé, ce sont toutes les
avanies fâcheuses qui peuvent survenir pendant et après l'opération :
lorsqu'on a fini de lire ce truc, on se sent déjà presque mort.
Quoi
qu'il en soit, je suis bien content de passer à septembre, tant les
mois d'août des années se terminant par trois me sont néfastes :
–
août 2003 : infection du testicule gauche (un truc particulièrement
jouissif…) et pose d'un premier stent dans l'artère coronaire
circonflexe ;
– août 2013 : cancer du rein.
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