JOURNAL POUR TOUS
Jeudi 1er novembre
Huit heures moins dix. – Comme Proust est proche de Balzac ! et comme il en est éloigné ! Proche dans la mesure où À la recherche du temps perdu est bien un ensemble de Scènes de la vie mondaine, doublées de Scènes de la vie philosophique,
dans lesquelles, comme chez Balzac, tout un monde se déploie et
s'invente au fur et à mesure. Proche encore en ceci que les personnages
créés par Proust dans les premiers volumes (Swann, Guermantes…) ne sont pas, au fond, si différents de ceux de Balzac : ce sont des caractères, essentiellement.
Mais
éloignés ils sont, tout autant. Car si, chez Balzac, les caractéristiques de
chaque personnage sont posées avec soin dès le départ, dans l'exposition,
c'est pour ne plus varier ensuite. Leurs passions, leurs idées fixes
peuvent se développer dans des proportions parfois monstrueuses, jusqu'à
les tuer et répandre la ruine et la désolation autour d'eux (le baron
Hulot, Balthazar Claës…), la première image que l'on a eue d'eux restera
valable et agissante jusqu'au bout. C'est ce qui fait d'eux, cette
fixité, cette solidité, des êtres éminemment sociaux. Chez
Proust, rien de tel. Les personnages sont la proie des différents “moi”
qui se succèdent en eux et qui les rendent si étrangers à eux-mêmes – et
déconcertants pour autrui –, si fugitifs, qu'ils
sont hors d'état de poursuivre le moindre but qui ne soit pas éphémère,
incapable de tenir le moindre rôle social (en dehors de celui de pure
représentation dans laquelle on nous les montre). C'est à ce point qu'un
personnage est susceptible de subir trois ou quatre métamorphoses si violentes au fil
de l'œuvre qu'il pourra en arriver à donner l'impression que ces “moi”
successifs sont issus de la plume d'écrivains différents : dans les
premières sections de la Recherche, je l'ai dit, Swann et Charlus pourraient grosso modo faire penser à des créations balzaciennes. Mais, dès la Prisonnière,
Charlus se mue en un personnage de Dostoïevski, auquel ne manque même
pas la volonté de rédemption, l'aspiration à la sainteté ; et, dans la
fameuse scène sado-masochiste du Temps retrouvé, ce serait presque du
côté de Georges Bataille qu'il faudrait se tourner.
Cette
impossibilité à fixer une fois pour toute une identité profonde à un
personnage donne à Proust une liberté dont Balzac ne pouvait pas
disposer, et à laquelle, sans doute, il ne songeait pas. Liberté qui va
croissant, notamment lorsque le Temps entre véritablement en scène, chez
Proust, soit au stade de la Prisonnière, et que la rotation des
“moi” se fait de plus en plus rapide et anarchique, tout en restant
d'une impeccable cohérence. Cela lui permet des bizarreries de
comportement qui demeurent parfaitement lisibles et qui auraient été
interdites à Balzac. Je pense par exemple à cette incidente qui, au
moment où Mme Verdurin (dans les derniers volumes, je ne sais plus où
exactement) devient un véritable monstre de cruauté, une sorte d'ange
destructeur, nous apprend en quelques lignes que, dans le même temps, et en toute discrétion,
elle fait verser une pension régulière au malheureux Saniette
afin de lui permettre de vivre une vieillesse paisible ; Saniette que
son mari et elle avaient pris plaisir à torturer publiquement et à
humilier durant des années. Chez la plupart des romanciers classiques,
et pas seulement eux, ce trait passerait pour une étrangeté, une lubie
de l'auteur, une volonté un peu naïve de dérouter à tout prix ; chez
Proust, non : c'est un autre “moi” qui s'exprime, peut-être resurgi pour
un instant d'un passé lointain et enfoui, peut-être annonciateur de
celui de demain.
–
Commencer un mois de novembre par une journée de pluie, c'est peut-être
pousser le conformisme un peu loin. Comme je ne comptais pas mettre le
nez dehors, sauf pour aller de la maison à la case et de la case à la
maison, j'ai superbement ignoré le temps qu'il faisait. Et en ai profité
pour me débarrasser des cinq mille signes que je devais écrire pour FD,
à propos d'un livre qui vient de sortir, sur la famille royale de
Belgique.
Vendredi 2 novembre
Sept heures et demie. –
Coup de fil de Joseph Vebret, en fin de matinée, pour me dire qu'il
apprécie beaucoup les billets que je puis faire de temps à autre sur tel
ou tel livre, cet écrivain ou cet autre. Mon premier réflexe est
évidemment toujours le même : penser qu'on se fout de ma poire,
tellement je les trouve, moi, tout à fait insuffisants, ces petits
articles. Mais enfin : il me demande si j'accepterais, lorsque
d'aventure j'en écris un, de le lui réserver pour son Salon littéraire en ligne et de ne le publier sur mon blog que quatre ou cinq jours après. En somme, il me demande une sorte d'exclusivité.
Pourquoi pas ? Quelle importance ? Je lui ai dit oui. Je suppose qu'il y
a encore 20 ans, cette perspective d'être “publié” m'aurait fait faire
des sauts au plafond ; aujourd'hui, rien.
–
Ce même Vebret m'a appris que sa petite famille et lui avaient sauté le
pas : ils quitteront en début d'année prochaine la région parisienne
pour une petite ville d'Auvergne, proche de Clermont. Je l'ai vivement
félicité de cette initiative.
–
Depuis plusieurs semaines, nous n'avons plus de lumière au sous-sol :
le néon a rendu l'âme et, bien entendu, c'eût été trop simple, ce
n'était pas le tube qui était mort mais toute l'installation. Depuis le
passage à l'heure d'hiver (c'est-à-dire à l'heure “non festive”), il
devenait d'urgent de pallier cette obscurité, sous peine de ne plus
pouvoir nourrir les chiens le soir. Envisageant de nous porter
acquéreurs d'un lampadaire halogène (et si possible non allogène…),
Catherine et moi sommes allés aujourd'hui faire un petit tour au magasin
But d'Évreux. Nous y avons trouvé, et acheté, un lampadaire pas
du tout halogène et néanmoins éclairant, qui valait 7,70 €. Par quel
tour de passe-passe peut-on vendre un lampadaire à un prix aussi
ridiculement bas ? Comment les différents intervenants, dans sa
fabrication, son emballage, son transport, etc., peuvent-ils arriver à
tous gagner leur vie sur ces 7,70 € ? Mystère entier pour moi.
– Ayant prévu d'en tirer une petite chronique pour le prochain bulletin paroissial de Pacy, il serait bien que je relise les Trois contes
de Flaubert. D'un autre côté, comme l'espace qui me sera imparti ne
dépassera sans doute pas les deux mille signes, il n'est pas certain que
cette lecture soit nécessaire.
Samedi 3 novembre
Sept heures vingt. – J'ai envoyé ce matin à Vebret un vieux billet de mars 2009, que j'avais consacré à Saniette, ce touchant personnage de La Recherche
; billet totalement oublié par moi et qu'un commentateur, hier ou
avant-hier, m'a opportunément remis en mémoire. Je dis “opportunément”
car, le relisant, j'ai eu la faiblesse un peu ridicule de ne le pas
trouver trop mauvais, pour une fois. Vebret l'a publié dans son Salon littéraire et, du coup, je l'ai supprimé du blog-mère, au moins pour quelques jours.
– Reçu aujourd'hui le Flaubert
de Bardèche. Si j'en juge d'après la centaine de pages que je viens de
lire, il est assez nettement inférieur à ses livres sur Balzac et
Proust, qui ont fait mes délices ces jours derniers ; beaucoup plus
scolaire, dirais-je. Du reste, quand je dis qu'ils ont fait mes délices,
il ne faut point exagérer : pour qu'il y ait délices, jouissance, il
faudrait que Bardèche ait été un véritable écrivain. Or il n'en est rien
: son écriture est sans charme, et même entachée d'un certain nombre de
lourdeurs.
– Avec tout ça, je n'ai même pas pris connaissance de la documentation qui doit me servir à rédiger un nouvel article pour Zodiaque, alors que je l'ai dans ma boitamel depuis hier midi. On verra ça demain, je suppose.
Dimanche 4 novembre
Sept heures –Passé l'essentiel de la journée à lire le Flaubert
de Bardèche, terminé juste avant de passer à table ce soir. On y trouve
évidemment des points de vue, des éclairages intéressants sur telle ou
telle œuvre, mais dans l'ensemble c'est tout de même bien ennuyeux.
Ensuite, repris La Rabouilleuse.
–
Je m'aperçois que, tout compte fait, je n'ai aucune opinion réellement
affirmée en ce qui concerne le mariage “pour tous” (quelle expression
stupide, cependant ! Pour tous, vraiment ? Pour les enfants ? Les
chevaux de labour ? Les géraniums ? Je me demande si je ne vais pas
intitulé ce journal de novembre : Journal pour tous, tiens !) et
l'adoption par les couples homosexuels ainsi constitués. C'est-à-dire
que j'ai décidé de ne plus m'en préoccuper. Au stade asilaire où en est
arrivée la société dont j'ai la malchance de faire partie, le mieux me
semble être de la laisser crever, puisque c'est ce qu'elle semble
désirer, et ne pas s'en soucier : c'est qu'on finirait par y devenir fou
soi-même, à force ! De toute façon, tout cela se réglera sans y penser,
puisque, dans le même temps, les fers de lance de l'avenir radieux sont
tout à fait d'accord pour qu'arrive chez nous ce qui a déjà commencé en
Belgique, à savoir l'apparition de partis islamiques. Lorsque la
charia, qui est inévitablement au bout de ce processus, deviendra
effective – et même avant, dès que les musulmans auront suffisamment de
poids pour exiger –, non seulement il ne sera plus question de
mariage ni d'adoption “pour tous”, mais les femmes et les homos auront
intérêt à filer doux de nouveau. Pour eux, les lendemains qui chantent,
ce sont les voiles et les catacombes.
Évidemment,
cette position de retrait que je préconise pour moi-même – et sans être
assuré de pouvoir la tenir, d'avoir le détachement nécessaire – n'est
valable que parce que j'approche de la soixantaine et n'ai pas
d'héritier : je comprends que mes jeunes amis en charge de famille
pensent autrement. Je les encourage du reste vivement à enseigner à
leurs enfants les arts martiaux et le maniement des armes à feu : ça
risque fort de leur servir dans leur âge adulte, qui a peu de chance
d'être drôle ; s'il est vivable, ce sera déjà beaucoup.
Lundi 5 novembre
Sept heures et demie. –
Renaud Camus est en train de brûler ses derniers vaisseaux, et je le
soupçonne d'éprouver une vraie jouissance, ce faisant. Il a prononcé
hier, à la convention d'Orange du Bloc Identitaire un discours superbe,
que je me laisserais volontiers aller à qualifier de définitif, à
propos du suicide désormais très visible de l'Europe en général et plus
particulièrement de la France. Pour mémoire, j'en ai reproduis le texte
sur le blog-mère.
Si c'est bien de courage qu'il s'agit de sa part, j'en suis fort
admiratif. Je disais hier que j'allais faire l'effort de me détacher de
tout cela, tenter désormais de vivre comme si rien ne se passait.
Et je précisais que cela me serait rendu plus facile par le fait de mon
âge et de ma non-descendance. Mais Camus n'a pas plus d'enfant que je
n'en ai, et il est mon aîné de dix ans ; ajoutons qu'il a beaucoup plus à
perdre que moi, et sur tous les plans, dans ce combat désormais presque
désespéré : cela ne l'empêche pas de monter sur la barricade…
Une
chose me semble certaine, nonobstant : il est désormais inutile de
perdre son temps à de petites polémiques blogueuses avec les tenants du
Désastre ; ils ne reviendront pas en arrière, c'est trop tard ; ils sont
trop enfoncés dans leurs ornières idéologiques pour pouvoir en sortir
sans se faire à eux-même le plus grand mal à l'amour-propre. Je dis ça
mais, d'un autre côté, on a vu par le passé des communistes assez
honnêtes et lucides pour abjurer, quasiment du jour au lendemain. La
différence est que, à l'époque, et durant plusieurs décennies qu'a duré
le bourrage de crâne pro-communiste, il a toujours subsisté une presse
clairement et vigoureusement opposée aux projets de dictatures de gauche
: ce n'est plus le cas aujourd'hui, où tous les journaux, sur ce sujet
au moins de la dissolution du peuple français, parlent d'une seule et
même voix léthargisante.
Mardi 6 novembre
Sept heures vingt. –
Journée sans travail et toute occupée à lire (Balzac), exactement comme
j'aimerais ne plus en avoir d'autres (je compte pour rien le fait
d'être descendu à Pacy afin d'y acheter deux baguettes “tradition”…).
Demain, en revanche, il va falloir m'y remettre un peu sérieusement :
relire plus attentivement le livre (?) de Pascal Brunner afin d'en
extraire un ou deux sujets d'articles possibles pour FD, prendre
connaissance de la nouvelle documentation que je viens de recevoir, en
vue de trousser un autre article, mais pour Zodiaque cette fois,
consacré aux elfes, trolls et autres fantômes qui peupleraient l'Islande
: la maison ne recule devant aucun sacrifice pour faire rentrer
l'argent.
–
Je suis de plus en plus décidé à cesser toute polémique, et même toute
intervention, sur les blogs, dès qu'il y sera question des sujets sensibles ; et je suis aussi de moins en moins assuré d'y parvenir.
Mercredi 7 novembre
Sept heures et quart. – Catherine et moi avons passé l'essentiel de cet après-midi à choisir et disposer les photos de mon journal 2011, avant de l'imprimer pour mes parents (c'est-à-dire pour ma mère, car je pense que mon père ne le lit pas). Rien de plus “prise de tête” que cet exercice-là, d'autant qu'on ne sait jamais vraiment ce qui va se passer dès lors qu'on modifie quoi que ce soit dans un livre qui est censé ne plus bouger, être gravé dans le marbre – et qui en fait ne l'est jamais. Du coup, on s'est offert un petit apéritif compensatoire.
–
Commençant à lire le numéro hors-série de la NRH consacré à Jeanne
d'Arc, reçu ce matin, j'ai découvert l'existence de l'épée de Fierbois.
Et me suis dit que, peut-être, on pourrait utiliser cela pour un roman
du genre du Da Vinci Code. Je vais peut-être creuser l'affaire.
Charles Martel + Jeanne d'Arc + notre gabegie contemporaine : il y a
peut-être moyen d'en tirer quelque chose qui intéresse mes
contemporains, et donc se vende. Je sais très bien que je vais laisser
tomber l'idée avant même de l'avoir examinée sérieusement, parce qu'au
fond je m'en moque, de ce roman, de l'argent accroché après, etc. Mais
l'idée que je pourrais le faire m'amuse un peu.
–
En réalité, il faut bien reconnaître que je n'ai jamais eu envie de
gagner de l'argent, et encore moins maintenant que dans ma jeunesse ;
pas assez sérieusement, en tout cas, pour me mettre vraiment au travail.
En cela, je suis semblable à 98 % de l'humanité : presque personne n'a
envie de gagner de l'argent, et c'est bien pourquoi ceux qui en sont
possédés, de cette envie, y arrivent presque automatiquement. D'abord
parce qu'ils sont très peu nombreux, ensuite parce que, n'en déplaise
aux andouilles modernes, ils sont généralement plus intelligents que la
moyenne de leurs contemporains, et doués d'une capacité de travail
supérieure, mise au service d'un objectif unique et toujours cohérent.
Les pauvres sont généralement des cons, des fainéants, des velléitaires ;
leur mentalité est celle de joueurs de loto, ce qui est toujours une
manière de s'en remettre à l'État pour s'enrichir, laquelle bien entendu
ne fonctionne jamais. Et quand un pauvre gagne au loto, il reste pauvre
parce qu'il n'a pas les moyens d'être autre chose ; il devient un
pauvre avec à sa disposition une somme d'argent tellement énorme qu'il
reste incapable de la concevoir, et encore plus de l'utiliser. Si bien
que le pauvre qui gagne au loto (et c'est toujours un pauvre qui gagne
au loto, car les riches ont autre chose à faire de leur argent que de le
jouer stupidement) devient en quelque sorte un pauvre au carré.
Généralement ils finissent assez rapidement ruinés, largués par leur
femme (qui, elle, a trouvé moyen de sauter d'un milieu social à un
autre, pour peu qu'elle ait encore la jeunesse et les rondeurs
adéquates), sans travail puisqu'ils se sont crus débarrassés de cette
contrainte-là lorsqu'ils se sont transformés en marquis de Carabas ; et,
donc, poussés plus ou moins naturellement dans la voie du suicide, à
quoi ils aboutissent de temps à autre – sous les ricanements satisfaits
de leurs héritiers qui ne les connaissent pas forcément ; et qui ne
savent pas encore qu'ils vont eux-mêmes succomber sous cette avalanche
de fortune pour laquelle ils n'étaient pas faits.
Jeudi 8 novembre
Sept heures et demie. –
Dix mille signes écrits, cet après-midi, sur les elfes islandais :
comment ces grand benêts peuvent-ils croire à tout cela ? Mystère. En
même temps, cependant que je creusais l'affaire, je me disais que, si
j'étais islandais, je ferais au moins semblant d'y croire aussi, et que
je pisserais à la raie des andouilles rationnelles de l'Europe
continentale. En fait, je crois que, pour peu qu'on ne m'oblige pas à
écouter les navrantes productions de Björk, j'aurais bien aimé être
islandais ; faire partie d'un petit peuple de trois cent mille
personnes, sur une île suffisamment septentrionale et lointaine pour
être inaccessible aux sapajous exotiques, revendicatifs, violents,
pleurnichards et inutiles ; parlant une langue délicieusement
incompréhensible à tout le reste de la terre : vraiment, j'aurais bien
aimé. Et je pense que je ne serais jamais sorti de ce petit périmètre,
s'il m'avait été par bonheur échu. Mais français je dois continuer
d'être, hélas, international et stupide. Quand va-t-on se décider à
importer des elfes plutôt que des trolls ?
– L'édition “Blurb” de mon journal 2011 est bouclé. La commande vient d'être passée, ainsi que celle de l'agenda Dimanche et Croix 2013
de Catherine. Du coup, à mon incitation, nous avons pris un apéritif
raisonnable, histoire de “fêter ça”. Pour ce qui concerne le journal,
nous en avons commandé deux exemplaires, un pour nous, un pour ma mère.
Du coup, crétin de base, je frétille d'impatience de le recevoir.
Faut-il être bête, quand même…
Vendredi 9 novembre
Six heures et quart. –
Heure un peu inhabituelle de ma venue ici, pour la raison que Catherine
“ a messe” et ne sera de retour que vers huit heures. Par conséquent,
si je ne veux pas être trop minable quand elle rentrera, j'ai intérêt à
ne pas commencer de boire avant au moins sept heures.
– Hier soir, feuilletant je ne sais pourquoi les premières pages de mon journal 2010 (Autel de non-retour), je suis tombé sur une entrée dans laquelle je dis que je viens de publier sur le blog-mère un billet consacré aux Tiroirs de l'inconnu,
le dernier roman de Marcel Aymé ; billet dont j'avais évidemment oublié
jusqu'à l'existence. Je suis allé le relire tout à l'heure et ne l'ai
point trouvé trop indigne (indigne de moi, ce qui n'est pas mettre la
barre à une hauteur considérable). Du coup, après avoir fait repasser ce
billet en mode “brouillon”, je l'ai proposé à Vebret pour son Salon littéraire, ainsi qu'il en a été convenu entre nous la semaine dernière. Il vient de le publier.
Samedi 10 novembre
Sept heures et demie. – Je ne sais si c'est le fait d'avoir finalisé puis commandé mon journal 2011 dans sa version livresque (J'ai oublié de noter que le titre en est : La Dernière Pirouette du Chinois fou), mais je me suis un peu bêtement mis à lire celui de 2010 (Autel de non-retour).
Je le notais déjà hier soir, mais j'ai persisté aujourd'hui.
Évidemment, je serais bien incapable de dire ce qu'il vaut ou ne vaut
pas : il est déjà bien difficile de juger de ses propres écrits, lorsque
celui que l'on relit concerne à chaque ligne des événements (ou non
événements…) de sa propre existence, cela devient mission impossible –
en tout cas pour moi.
– Cette lecture a été alternée avec celle du Cousin Pons
(relecture, donc, là aussi). Je me souviens que, la première fois,
j'avais été saisi d'une intense pitié pour le personnage principal, au
vu des mécomptes qu'il ne cessait d'encaisser jusqu'à l'ultime
conclusion. Mon sentiment est quelque peu différent cette fois-ci : Pons
est une sorte de maniaque, de possédé par une idée fixe, c'est-à-dire
de ces personnages qui, chez Balzac, ne peuvent que mal finir, même
lorsque leur passion n'est en soi pas mauvaise, et même noble :
ce n'est pas son amour des chefs-d'œuvre de l'art qui détruit Sylvain
Pons, mais le fait que cet amour l'envahisse au point de supprimer tout
le reste. En ce sens, il est une sorte de frère jumeau du père Goriot.
Chez Pons, il y a en plus cette passion assez grossière de la bonne
chère, des repas plantureux, qui le pousse à endurer sans piper mot
toutes les vilenies qu'on lui fait subir, si c'est la condition pour
continuer d'être invité à se goberger. Et, là, c'est plutôt au baron
Hulot de La Cousine Bette, qu'il ressemble. Bref, je n'ai plus si
envie que cela de le plaindre : suis-je devenu un lecteur plus lucide,
ou bien serais-je en voie d'endurcissement ?
Quoi
qu'il en soit, j'ai décidé de finir ce volume puis de remiser Balzac
sur sa double étagère afin de passer à autre chose. J'ai envie de relire
Le Docteur Jivago.
– Je me disais, il y a cinq minutes, que la journée de demain, 11 novembre, allait sûrement nous valoir quelques billets d'une modernodosité savoureuse. Eh bien, il n'y a pas eu à attendre si longtemps. Dès ce soir, Corto cite sur son blog les propos ahurissants d'un soi-disant “prof” d'histoire ; qui s'indigne, évidemment, et en ces termes :
« 11 Novembre : on rend hommage à la guerre, pas aux morts.
La presse locale en raffole : chaque année, les photos d’écoliers
rassemblés à l’occasion du 11 Novembre devant le monument aux morts de
la commune illustrent complaisamment les pages intérieures des
quotidiens. Souvent peu nombreux, souvent tout petits, leur présence est
comme une sorte de caution apportée par leur maître zélé, soucieux de
ne pas déplaire aux autorités locales, à la perpétuation d’une mémoire
officielle de commande.
Spectateurs plus ou moins obligés d’un rituel à la fois religieux et
militaire – hymne national, drapeaux, présence d’anciens combattants
dont on se garde bien de dire que les faits d’armes remontent le plus
souvent à la guerre d’Algérie –, les enfants font l’objet d’un
conditionnement guère en rapport avec la réalité historique ou la
formation morale du citoyen : ce n’est pas un hommage aux morts qu’on
rend, mais un hommage à la guerre.»
L'Éducation
nationale est vraiment devenue une fabrique de connards malfaisants
comme il doit en exister peu dans le reste du monde.
Dimanche 11 novembre
Sept heures et demie. – Écrit entre quatre heures et demie et six heure et demie ma “page animaux” pour Enquêtes.
Sur quoi, Catherine et moi avons, sur ma suggestion aimable, pris un
micro-apéro qui nous a conduits tout doucettement jusqu'à l'heure du
dîner (sauté de porc et crevettes au wok, avec légumes et accompagnement
de riz), dont je sors tout juste. Je n'ai aucune envie de me rendre à
Levallois demain, évidemment, mais, ayant relu tout mon journal de 2010,
et m'étant remémoré à quel point le rewriting m'était pénible,
dans les derniers mois de cette année-là, je trouve par comparaison ma
situation actuelle fort enviable. D'autant plus que les BM se sont
évanouies (et mes droits d'auteur avec…), alors que, visiblement, elles
m'étaient devenues vraiment insupportables, ce que j'avais déjà
largement commencé d'oublier.
– Ce soir, Bus stop, avec Marilyn, que je suis presque certain de n'avoir jamais vu.
–
Bizarrement, contrairement à ce que j'attendais, ce 11 novembre n'a pas
suscité d'accès de bêtise particulièrement notables chez mes amis
blogueurs. Mais il est vrai que nous sommes dimanche…
Lundi 12 novembre
Huit heures moins dix. –
Apparemment, ça commence à se savoir que je travaille vite, à FD. Ce
matin (façon de parler : il était une heure de l'après-midi…), on m'a
tout de même confié deux articles à écrire, un fait-divers et un article
entièrement “jus de crâne” à propos de la famille de Monaco, soit
environ douze mille signes au total – lesquels étaient terminés à cinq
heures et demie de l'après-midi, ce qui constitue un encouragement
malencontreux, pour mes chefs, à charger encore plus la mule à la
prochaine occasion. Mais enfin, au moins, je ne me suis pas ennuyé…
– Rien d'autre à dire, je crois. Ah, si, tout de même : Bus Stop
est vraiment un mauvais film, et je comprends, du coup, pourquoi je ne
l'avais jamais vu. Une preuve supplémentaire de ce qu'il ne faut
absolument pas se fier aux “critiques” du Télé-Machin-Cable, le
magazine de télévision auquel nous sommes abonnés, puisqu'y était
présenté ce film comme un chef-d'œuvre et l'occasion pour Marilyn de son
“plus grand rôle”. Or, il est tellement caricatural et stupide, son
rôle, que même elle ne parvient pas à le sauver.
Mardi 13 novembre
Sept heures et demie. – Envie de dire quoi ? Rien. Continuer ce journal ? Peut-être. Pour quoi faire ? N'en sais rien.
Mercredi 14 novembre
Huit heures. –
Ça ne va pas être beaucoup plus long qu'hier, je le sens. Déjeuner
parfaitement agréable avec Nicolas et l'amiral Woland. M'amuse beaucoup
le fait que ni eux ni moi n'avons finalement rien à foutre d'être de
gauche, ou de droite, ou de rien. C'est d'ailleurs Nicolas qui a
protesté le premier lorsque j'ai abordé un thème, un sujet de
conversation, qui, en effet, avait des allures “politiques”. Il n'avait
pas envie d'en parler. Ça tombait bien, Woland non plus, ni moi. Pour
le reste ? Je ne peux rien dire. Sinon que l'amiral et moi avons dit
beaucoup de mal des réacs certifiés, estampillés, pendant que Nicolas
reconnaissait (du bout des lèvres, certes…) que les connards d'extrême
gauche lui valaient plus d'emmerdes que les gens de droite. On était – à
ce moment-là – occupés à fumer dehors. Et je lui ai rappelé que,
depuis la naissance du parti communiste, les sociaux-démocrates dans son
genre avaient toujours été les pires ennemis de ce parti de merde dont,
à mon avis, on devrait fusiller les derniers survivants – mais,
évidemment, c'est un peu compliqué, techniquement. Et c'est bien dommage
: fusiller des communistes, sans procès, comme ça, pour le plaisir,
doit tout de même être assez jouissif.
Jeudi 15 novembre
Sept heures et quart. –
Catherine et moi avons reçu cet après-midi nos livres “Blurb”, elle son
agenda 2013 et moi mon journal 2011. Je suis un peu déçu de la manière
dont est “sortie” la photo de couverture, beaucoup plus sombre que
l'original. Surpris aussi que le corps du texte soit si petit, mais ça
j'aurais dû et pu m'en aviser avant d'envoyer le livre à l'impression,
je n'ai qu'à m'en prendre qu'à moi. Sinon, j'ai commencé bien entendu à
le relire et, parvenu au mois d'avril, je n'ai eu à déplorer que deux ou
trois coquilles sans gravité.
– J'étais censé faire aujourd'hui du télétravail, mais tout le monde semble m'avoir oublié, à FD. Je ne me suis pas plaint.
– Il y a environ une semaine, parce que le film de David Lean passait à la télévision, j'ai eu envie de relire Le Docteur Jivago.
Impossible de remettre la main sur le volume, que j'étais pourtant
certain d'avoir, je revoyais même très nettement la photo d'Omar Sharif
sur la couverture. J'ai passé en revue trois fois les deux étages de ma
bibliothèque occupés par la littérature russe, examinant les volumes un à
un : rien. Volatilisé, Jivago. Ce matin, mais vraiment par acquit de
conscience, je renouvelle l'opération une quatrième fois, et mes yeux
tombent du premier coup sur le livre, sagement rangé à sa place, juste à
hauteur de mon regard, sans rien devant pour me le dissimuler. Comment
a-t-il pu m'échapper les trois fois précédentes ?
Vendredi 16 novembre
Sept heures et demie. – Catherine m'ayant piqué mon journal 2011, j'ai rouvert Le Docteur Jivago
; d'un strict point de vue littéraire, j'ai considérablement gagné au
change. Je trouve quand même un peu curieux que, dans l'édition que je
possède (Folio), aucun nom de traducteur ne soit mentionné.
–
J'étais tellement furieux (après moi exclusivement) d'avoir perdu deux
heures et demie devant le pitoyable film de Guillaume Canet, Les Petits Mouchoirs, que j'en ai fait ce matin, pratiquement dès mon lever, un petit billet
ironiquement vengeur. Je me demande si ce Canet n'est pas encore plus
insignifiant qu'Yvan Attal, ma référence en matière d'insignifiance
jusqu'à présent. Encore que le nommé Klapisch ait lui aussi quelque
prétention au titre.
– Demain, en début d'après-midi, Catherine ira chercher Élodie à Dreux, où Nicolas a une séance de dédicace de Cézembre,
dans une librairie dont le nom m'échappe. Elle iront visiter, je crois,
le château d'Anet, qui a le bon goût de se trouver sur le chemin du
retour, avant de revenir jusqu'ici, où Nicolas nous rejoindra pour
passer la soirée et la nuit, sitôt qu'il en aura fini avec ses
admirateurs.
Samedi 17 novembre
Quatre heures et quart.
– Seul à la maison depuis… eh bien depuis ce matin, en fait, Catherine
ayant “fait bonne du curé” jusqu'à midi, puis étant repartie dès deux
heures afin d'aller chercher Élodie à Dreux. De là, elles avaient prévu
d'aller visiter le château d'Anet, ce que ni Catherine ni moi n'avons
encore pris le temps de faire, depuis douze ans que vous vivons
quasiment au pied de ses murs. Elle ne devraient pas tarder, d'ailleurs,
à me téléphoner pour me dire que c'en est fini, de cette visite, et
qu'elle rentrent. Je les attends de pied ferme et l'âme sereine puisque
je viens de me débarrasser de la tâche qui m'incombait, savoir passer
l'aspirateur dans la maison afin d'en faire disparaître les poils de
chiens ; poils qu'ils sont en train d'y remettre car, le temps ayant
tourné à la pluie, il n'est plus question de sortir leurs paniers et
tapis sur la terrasse. Nicolas, comme je crois l'avoir dit hier, nous
rejoindra ici un peu plus tard, lorsque sera close la séance de dédicace
dont il est le héros, dans je ne sais quelle librairie de Dreux.
–
Comme je relis, mois par mois avec large pause entre deux, afin de ne
pas trop m'en écœurer, mon journal 2011, il me semble bien que j'étais
l'année dernière plus prolixe que je ne le suis cette année : il faudra
voir cela lorsque 2012 sera terminée. Il est vrai que, ayant abandonné
les BM, il y a déjà en moins mes sempiternelles jérémiades lorsqu'il
s'agissait d'en écrire un (ou une, comme on voudra). Disparues également
mes pleurnicheries à propos de ces journées d'interminable ennui que je
passais au rewriting. Supprimée enfin mes récriminations
financières concernant GdV, puisqu'il n'y a plus le moindre centime à
espérer de ce côté-là. Donc, pour résumer, journal sans doute plus
resserré mais nettement moins dolent. Et puis, il me semble aussi que
j'accorde moins d'importance, et donc de lignes, aux blogs que je
continue de lire ; ce qui est sans doute une bonne chose.
–
La relecture de mon propre journal me lassant tout de même assez vite
(de la même manière qu'un film déjà vu dont on s'imaginait avoir oublié
toutes les péripéties, qui reviennent intactes à la mémoire sitôt la
première image aperçue), j'ai alterné avec celle du Docteur Jivago, qui est vraiment un splendide roman russe.
Dimanche 18 novembre
Quatre heures et demie. –
Soirée tout à fait conforme, hier, à ce qu'on était en droit d'attendre
d'elle, avec Élodie et Nicolas, tous deux fort excités par la
perspective d'un succès pour leur album de BD, Cézembre.
Nicolas, fatigué par sa journée intensive de dédicace à Dreux est allé
se coucher relativement tôt, puis Catherine, cependant qu'Élodie et moi
poursuivions notre conversation du moment en achevant les bouteilles de
vin qui n'étaient que blessées. En écoutant parler Nicolas, j'ai mesuré
la chance qu'avaient les écrivains de pouvoir se contenter de quelques
mots et d'une signature en guise de dédicace : pour les auteurs de
bandes dessinées, il s'agit, à chaque fois, de se fendre d'un véritable
dessin. Comme le style de Nicolas est très “léché”, cela lui prend
évidemment un temps assez long pour chaque album. Les admirateurs qui
viennent à ces séances savent du reste que cela risque de durer des
heures, non seulement l'acceptent mais semblent très organisés et
courtois : chacun dépose devant la table aux dédicaces son sac à dos ou
son cartable, derrière ceux qui sont déjà là, alignés sur le sol. Puis,
en fonction du nombre de sacs avant le sien, il estime de combien de
temps il dispose et peut quitter la librairie pour vaquer à d'autres
occupations. Et personne, apparemment, ne s'aviserait de “carotter” une
place, même s'il n'a devant lui qu'une rangée de sacs…
Deux albums de Cézembre
nous furent offerts, ce qui fit bien plaisir à Catherine sur le moment.
Je dis “sur le moment” car, ce matin, après le départ des deux auteurs,
elle a très mal admis qu'Élodie ait pu dédier son travail à une dizaine
de personnes (dont son père et ses tantes…) mais pas à elle, sa
mère. Cela l'a plongée dans une tristesse et un désabusement dont elle
n'est pas encore sortie à l'heure qu'il est. Et je ne puis même pas la
consoler car, pour moi-même, je trouve qu'elle a tout à fait raison de
s'offusquer de cette absence tonitruante, si je puis dire. Absent
de cette liste de dédicataires, je le suis aussi, mais la différence
est que je m'en fous à peu près totalement. « Finalement, je crois
qu'Élodie ne m'aime pas », a-t-elle fini par me dire ce matin. Là, je
crois qu'elle se trompe. J'ai manqué de présence d'esprit sur le moment,
mais j'aurais dû lui faire observer que, venant pour deux jours à
Dreux, rien n'obligeait Élodie à le lui faire savoir. Et si jamais
Catherine l'avait appris par un autre moyen, Élodie pouvait fort bien
invoquer n'importe quel prétexte – le fait, par exemple, que Nicolas ait
beaucoup d'amis à voir lorsqu'il revient dans cette région où il a
passé de nombreuses années – pour ne pas venir chez nous : si elle est
venue tout de même c'est bien parce qu'elle avait envie de passer cette
soirée avec sa mère, il me semble.
–
Sinon, n'ayant rien de mieux ni de plus urgent à faire, j'ai passé la
journée, jusqu'à maintenant, à lire en alternance mon journal de 2011 et
Le Docteur Jivago ; lequel me donne envie, ensuite, de lire ou relire quelques autres Russes – peut-être bien La Garde blanche
de Boulgakov, qui m'avait été chaudement recommandée par un
commentateur – Pascal Z, je crois bien – lorsque j'avais évoqué ma
relecture du Maître et Marguerite, il y a quelque temps.
–
Demain, il va commencer à devenir urgent que j'écrive les deux ou trois
mille signes que je dois au bulletin paroissial, à propos des Trois contes de Flaubert.
–
Long téléphonage, tout à l'heure, entre Catherine et ma sœur, laquelle
vient de passer une semaine chez mes parents, à Sedan, pour aider ma
mère à préparer ses cartons en vue de leur déménagement vers la
Haute-Normandie, qui interviendra dès le milieu de la semaine prochaine.
Apparemment, d'après ce qu'en dit Isabelle, ma mère, qui était pourtant
un modèle d'efficacité et d'organisation en matière de déménagement, ma
mère a désormais tendance à brasser du vent et à se perdre dans les
détails les plus infimes. (Il s'agira de penser à virer cette phrase si,
l'année prochaine, je réalise une version “papier” de ce journal à leur
intention !) Bref, les 80 ans qu'elle aura le 2 janvier prochain
commenceraient à se faire lourdement sentir.
Lundi 19 novembre
Sept heures et demie. –
Je crois avoir noté ici que la V 70 était arrivée au garage Volvo
d'Évreux avec pratiquement deux mois d'avance. À la personne qui m'en a
averti, j'ai dit, il y a quelques jours, que j'étais tout à fait prêt à
en prendre livraison dès maintenant, à condition que leur organisme de
crédit consente à ce que je ne commence à payer les mensualités qu'en
février, ainsi qu'il était initialement prévu, dans la mesure où,
jusqu'en janvier, je dois continuer à honorer celles de la Mégane. Cette
jeune femme m'a rappelé aujourd'hui pour me dire que c'était possible,
mais que de ce fait le nombre de mensualités passerait de 60 à 58 et que
leur montant en serait donc légèrement augmenté, ce qui me paraissait
logique en effet. Ce qui l'est moins, logique, c'est qu'avec ce nouvel
arrangement, je paierais finalement la voiture trois cents euros de plus
qu'avec l'ancien. J'ai donc refusé tout net. Mon interlocutrice doit
rappeler l'organisme de crédit demain afin de voir avec ces gens s'ils
n'ont pas fait une erreur quelque part. Car, enfin, il nous paraissait
profondément illogique, à elle comme à moi, qu'un bien quelconque puisse
coûter plus cher alors même que l'on prétend en raccourcir le temps de
paiement.
– Sinon, bien avancé dans la lecture de Jivago, dans la mesure où je n'ai vraiment rien fait d'autre de la journée.
Mardi 20 novembre
Sept heures vingt.
– Tout à l'heure, dans la voiture me ramenant vers la maison, j'ai
pensé à deux ou trois petites choses sans importance que je voulais
noter ici. Sans importance elles devaient bien l'être puisque je ne
parviens à me souvenir d'aucune.
–
Comme il manquait, à mon arrivée, un petit quart d'heure avant que les
pâtes destinées à accompagner le lapin (ce qu'elles firent ensuite fort
bien) ne fussent cuites, ce qui ne laissait pas assez de temps pour se
mettre à une vraie lecture, j'ai eu la curieuse idée d'ouvrir le Elle
que je venais de rapporter pour Catherine (qui ne le lis pas, Dieu
merci, mais s'en sert comme source d'inspiration pour les vêtements, les
chapeaux, etc. qu'elle se confectionne ensuite elle-même), ce qui ne
m'était pas arrivé depuis plusieurs années. Ce magazine qui n'a certes
jamais été bien intelligent (“Le journal des pétasses”, disait Roger
Thérond, le directeur des rédactions du groupe à l'époque Filipacchi…),
mais alors là, c'est devenu un véritable cloaque à ciel ouvert. Il y
règne le politiquement correct le plus échevelé, le plus ça-va-de-soi
qu'on puisse concevoir, et même ne pas concevoir en ce qui me concerne ;
on y génuflexionne devant Sa Majesté Obama, on ne perd jamais
une occasion de flétrir tout ce qui ferait mine de ressembler à un homme
ou une femme de droite, on récite des psaumes à la louange de ce christ
rédempteur multi-fonctions qu'est l'immigré clandestin, et ainsi de
suite. Le tout dans une langue répugnante qui, à force de se truffer de
mots vaguement anglais tout droit échappés de l'enfer des pubards ou de la géhenne des modeux,
finit par devenir totalement incompréhensible à tout individu tant soit
peu normal. Et je ne dis rien des titres d'articles, qui pratiquent le
jeu de mots superfétatoire et systématique, lequel tombe absolument à
plat au moins une fois sur deux. Je ne sais pas à quoi ressemblent les
malheureuses créatures qui achètent chaque semaine cette chose gluante,
mais il est sûr que, en retour de leur argent, Elle fait beaucoup
pour leur abêtissement et leur aliénation. En revanche, travaillant
dans le même immeuble que ces dames, je sais très bien à quoi
ressemblent les folliculaires qui officient entre ses pages – et c'est
déjà un début d'explication du résultat final.
(J'ai
eu un instant la tentation de transformer le paragraphe ci-dessus en un
petit billet pour le blog-mère, quitte à l'étoffer un peu, ce que je
n'ai nulle envie de faire ici. Puis, je me suis souvenu que mon blog
était lu par quelques personnes appartenant au même groupe que moi, mais
que je ne savais, en fait, ni combien, ni surtout lesquelles. J'ai donc
prudemment renoncé : ce n'est pas qu'il me déplairait de désappartenir à cette communauté-là, mais enfin il y a la manière et les modalités, tout de même…)
–
Au chapitre, désormais récurrent : “la vieillesse est un naufrage et
j'ai oublié ma bouée sur le quai”, j'ai dû lire, après mon déjeuner,
pourtant léger, trois pages du Docteur Jivago avant de sombrer irrésistiblement dans un sommeil voisin de l'hébétude de l'idiot.
– C'est désormais officiel : en tant que service constitué, le rewriting
de FD cessera d'exister le 31 décembre prochain à minuit (même si
j'espère que, pour ce dernier jour, les filles pourront le quitter
largement avant cette heure-là). J'y suis pour ma part entré il y a
trente ans et deux mois, pour le quitter en 2011, également le 31
décembre à minuit, officiellement.
Mercredi 21 novembre
Sept heures et demie. –
Il y a dix minutes, Catherine me parlait d'une commentatrice, sur je ne
sais plus quel blog, qui abordait le sujet des femmes tunisiennes,
désormais plus ou moins (plutôt plus que moins, apparemment) obligées de
se voiler, dans la rue, à l'université, etc., c'est-à-dire exactement
ce qu'on avait malheureusement prévu pour elles, au moment où ont éclos
ces merveilleux “printemps arabes” de l'année dernière. Et elle me
demandait, parce qu'elle ne les lit pas, ce qu'en disaient ces blogs
d'islamolâtres extrême-gauchistes qui avaient alors applaudi à tout
rompre à cette merveilleuse libération.
Je lui ai répondu la vérité : rien. Si j'en juge par exemple à l'aune de mes Ruminants,
ils n'en pensent rien, puisqu'ils n'en disent rien. Ils parlent d'autre
chose, ça n'est plus tellement amusant, les “printemps”, qu'ils soient
arabes ou non. Ils ne doivent même pas être au courant du carcan qui est
en train de se refermer sur les Tunisiens, les Libyens, les Égyptiens,
et notamment sur leurs composantes féminines, sinon leur silence volage
serait moins assourdissant, je crois. En réalité, je pense qu'ils s'en
foutent. Ils sont comme ils ont toujours été : absolument insoucieux des
gens, des peuples, et de la manière dont on va leur broyer les orteils.
Ce qui compte, c'est ce qui cadre plus ou moins avec leur démence
idéologique, cette image qu'ils ont du monde depuis un demi-siècle au
minimum et que chaque événement s'acharne à démentir. Exemple :
explosion dans un pays arabe, manifestement téléguidée dès le départ ou
presque par les fascislamistes locaux ; traduction
gaucho-bourgeoise : merveilleuse éclosion d'une liberté inattendue et
joyeuse ; réalité “sur le terrain” : poigne de fer d'une religion
rétrograde se refermant sur tout un pays, et notamment ses éléments les
plus faibles ; traduction gaucho-bourgeoise : rien… le silence… on passe
à autre chose… comme ces gens nous ont déçus… voyons ailleurs…
Attendons l'été sud-américain… l'automne asiatique… un éventuel hiver
martien… Comme tous ces gens sont décevants, au fond… On leur avait
pourtant expliqué…
–
Changement à FD, qui n'est pas vraiment un changement : à compter de la
semaine prochaine, j'y serai du lundi au jeudi (sans y aller le jeudi)
au lieu du mardi au vendredi (sans y aller le vendredi), comme c'était
le cas depuis presque un an. Il va de soi que ça ne change absolument
rien pour moi – en dehors du fait qu'on ne m'a pas imposé ce changement
mais que l'on m'a demandé si j'y consentais, ce que j'ai fait bien
volontiers, dans la mesure où je m'en fous éperdument.
Jeudi 22 novembre
Sept heures vingt. –
Je le note afin que cela reste à jamais gravé dans la mémoire des
hommes actuels et de leurs descendants : pour ce soir, Catherine avait
fait mijoter durant des heures une queue de bœuf au vin rouge accompagné
de carottes qui s'est révélée absolument sublime – et je n'exagère
rien.
–
Moins sublime fut mon trajet de ce matin : à la suite de je ne sais
quel événement ou manifestation probablement stupide, les Champs-Élysées
avaient été fermés à la circulation automobile. Bien entendu, les
embarras consécutifs n'ont pas tardé à se répandre alentour et, de
proche en proche, à gagner le souterrain de la Défense, les quais de
Seine qui bordent Neuilly et Levallois, etc. Bref, bordel innommable
pour arriver jusqu'à mon bureau, où, ironie désormais bien connue, aucun
travail ne m'attendait ni ne m'a ensuite rejoint. J'en ai profité pour
écrire les deux mille cinq cents signes que je devais au bulletin
paroissial, à propos des Trois contes de Flaubert.
–
À compter de demain, lectures piafesques, en vue des cinquante mille
signes que je vais devoir écrire sur la chanteuse d'ici fin décembre (en
trois livraisons). À ce propos j'ai entamé un échange de mails avec
Philippe B, au sujet de la façon dont j'allais être dédommagé pour ce
gros travail sortant assez nettement de mon ordinaire. Dans mon esprit,
il s'agissait soit d'être payé – auquel cas trois mille euros me
paraissaient raisonnables –, soit de considérer que cela remplaçait mon
travail habituel, et je lui suggérais de m'accorder alors trois semaines
de “vacances” supplémentaires, durant lesquelles je travaillerais sur
Piaf sans sortir de chez moi. Il m'a fait une première réponse pour me
dire, assez bizarrement à mes yeux, que trois semaines n'étaient pas
dans ses moyens. Et il me proposait dix jours, soit deux
semaines. Pensant qu'il s'agissait bien de m'accorder des jours de
dispense levalloisienne, je lui ai fait observer que, ma semaine n'étant
officiellement que de quatre jours, c'était en réalité deux semaines et
demie qu'il devait m'accorder. Or, il y a une heure, il m'a fait cette
réponse : « Oui, 10 jours travaillés = 2 semaines et demie d’un mois
soit 5 week-ends de permanence en rab. » Là, je n'ai d'abord rien
compris à cette irruption de week-ends dans notre affaire. Puis, je me
suis souvenu que, lorsque les reporters devaient travailler les
week-ends, ils étaient payés en plus. Ou bien ils les récupéraient mais
avec “bonus”, je ne sais plus trop. Bref, je ne suis pas plus avancé
qu'au début et ne sais toujours pas ce qu'il a en tête. Les voies des
patrons sont parfois peu pénétrables, en tout cas rarement rassurantes.
Vendredi 23 novembre
Six heures et quart. – Rien à noter ici, mais alors rien de rien ; et si m'y voilà tout de même, c'est bien pour dire qu'il me faut retarder au maximum le moment de mon premier verre, Catherine ne devant rentrer de messe qu'à huit heures : le drogué ruse avec sa seringue. Néanmoins, puisque nous y sommes, autant essayer d'y laisser quelques traces. Mais que dire, mon Dieu ? Devrais-je vraiment parler du numéro de clowns de l'UMPiste aux étoiles ? Du mariage pourtousse ? Des quatre feuillets écrits cet après-midi ? Des cinq qui le seront demain ou dimanche ? De la pluie qui n'a cessé de choir depuis ce matin ? Faut-il revenir sur la sublime queue de bœuf aux carottes qui fut mangée hier soir ? Est-il permis d'évoquer le silence quasi tombal de ce bureau ? La lampe suspendue qui marque le coin ouest de la maison telle une lanterne de boxon Belle Époque ? La satisfaction des chiens digérant au salon sous l'œil ennuyé du chat assis sur le radiateur ? Le fouillis de post-it et de relevés bancaires qui encombrent ce bureau ? La corbeille à papiers qui déborde, et dont je sens bien que je ne la viderai pas encore ce soir ? D'Édith Piaf ? Du docteur Jivago ? Des livres, lus ou non, qui s'entassent et se taisent ? Des symphonies comprimées dans cet ordinateur béant ? Des traces qu'ont laissées certaines gens dans des chemins immatériels, et qui s'effacent ?
Huit heures. –
J'avais à peine décidé de transformer le paragraphe précédent en billet
sur le blog-mère qu'un double pinceau balayant de phares m'indiquait
que Catherine était de retour, alors qu'il était à peine sept heures
moins le quart : pas de messe. Du coup, nous avons pris l'apéritif
ensemble (car nous l'avons pris tout de même, il ne faut pas pas mollir
sur les fondamentaux). Durant cette alcoolisation douce et conjointe,
elle m'a rappelé que, demain, les déménageurs allaient vider la maison
de Sedan et que, dès ce soir sans doute, mes parents étaient réfugiés
chez Annie et Bernard, mes oncle et tante, à Balan. Puisqu'on en
parlait, Catherine a tenté de joindre ma mère : rien à faire.
Pendant
ce temps, j'imaginais que ma mère, dès dimanche, allait se précipiter
dans sa maison (qui, toujours d'après Catherine, ne sera officiellement
vendue que mercredi) afin de la briquer du sol de la cave au plafond du
grenier. Elle a 80 ans ou presque, elle risque de s'y casser les reins,
mais aucune puissance au monde, je le crains, ne serait capable de la
persuader de donner quelques sous à n'importe qui pour accomplir à sa
place un travail de cette ampleur. Ça ne sert évidemment à rien que je
l'appelle pour lui dire de se décharger de cette corvée : elle ne le
fera pas. D'un coup, cette impuissance (la mienne) et cette invariance
(celle de ma mère) m'ont plongé dans une sorte de tristesse grisâtre que
je serais bien en peine de définir.
(Là-dessus,
je viens de balancer un paquet de cigarettes vide dans ma corbeille
déjà dégueulante, et naturellement il est tombé à côté, comme les trois
ou quatre dernières choses que j'y ai jetées : je suis aussi obstiné que
ma mère. Un jour, proche ou moins, je serai peut-être ému par ce trait
commun.)
Et
mon père ? Où en est-il, de ce déménagement ? Est-ce que cela l'excite
encore assez pour qu'il continue de vivre ? Je veux dire : maintenant
que cela se fait réellement, est-ce qu'il y pense encore ? Oui,
sans doute, tant qu'ils sont toujours dans les Ardennes, mais après ?
Dès qu'ils seront arrivés dans leur ultime maison ? Pendant quelques
semaines, disons ; le temps de suspendre les outils dont il ne se sert
plus dans le sous-sol. Je pense que ce sera rapide, dramatiquement
rapide. La vie semble ne plus l'intéresser du tout, Isabelle nous a
confirmé cela. Et c'est à partir de là que je ne comprends plus très
bien ce qui se passe.
J'admets
fort bien qu'on se détache de la vie quand on s'approche de sa propre
mort. Mais pas lui. Pas mon père. Et pourquoi, pas mon père ? Pourquoi
pas lui ? La réponse est pénible pour moi : parce que j'ai toujours
pensé que cet homme n'était pas capable de penser sa mort.
C'est-à-dire que le fils que je suis a pris son père pour un con –
disons les choses brutalement. Je n'ai pas envie de remonter dans ce
journal, à la date où je disais (c'était en 2011, le jour où Catherine
et moi avons invité mon père au restaurant, à Carignan) qu'il – ma mère
n'étant pas là – avait parlé de sa propre mort. Et il l'avait fait d'une
manière si discrète, si conforme à l'image que j'ai de lui, que là, en
parlant, je regrette de n'avoir pas “rebondi”.
Mais
comment “rebondir” ? Surtout quand on n'est certain de rien ? Est-on
sûr de quoi parlait cet homme qui, finalement, n'a jamais parlé de
lui-même, ou si peu, quand, entre l'entrée et le plat, il déclare que sa
vie lui a convenu ? Qu'il
(Appel
téléphonique de ma mère. Ils étaient chez leurs voisins d'en face, pour
une sorte d'apéritif d'adieu. Tous semble se dérouler à merveille. Elle
m'a assuré que, dimanche, elle ne ferait rien de plus que de “passer un
coup d'aspirateur” dans leur maison désormais vide. Signature de la
vente mercredi. Puis, départ pour la Normandie, où ils passeront deux
jours chez Isabelle, jusqu'à la signature d'achat de leur nouvelle
maison. Voix très jeune de ma mère.)
Que
disais-je avant ? Je remonte lire. J'essaie de reprendre : “Qu'il”.
Qu'il quoi ? Qu'il a été heureux ? Oui, si je me souviens bien, c'est ce
qu'il a dit ; en tout cas sous-entendu ; glissé entre deux phrases. Il
me semble que j'ai bien fait de ne pas “rebondir”, qu'il ne le
souhaitait pas. Mais qu'est-ce que j'en sais ? Est-ce que je connais mon
père ? La réponse arrive toute seule, évidemment : non. Que s'est-il
passé dans la tête de cet homme durant quatre-vingts ans ? Qu'est-ce que
j'en sais ? Rien. Disons : à peu près rien. Est-ce que j'ai la moindre
idée, par exemple, de la façon dont il pensait à sa propre mère, cette
grand-mère qui me fut la plus proche, “Mémé Denise” ? Non, aucune. Et je
commence à voir que, lorsqu'il sera mort, je vais pleurnicher comme un
crétin, dans le genre : « Bou-ou-ouh ! j'ai jamais parlé avec mon papa !
» Pitoyable. Triste. Probablement inévitable.
Mais,
aussi, lui non plus n'a jamais parlé avec moi, si l'on veut. Et c'est
peut-être bien pour ça que l'idée d'avoir des enfants ne m'a jamais
vraiment séduit (litote…) : les enfants, ce sont (peut-être, hein, juste
peut-être…) ces personnages à qui vous ne pouvez jamais parler, parce
qu'ils sont juste là, et tout le temps là. Est-ce qu'on peut parler à
ses enfants ? Même, est-ce qu'on le doit ? Et pour leur dire quoi,
surtout ? Ils appartiennent, dès le départ, à un monde qui ne sera pas
le vôtre ; dès lors, quoi leur apprendre ?
Je
ne sais pas, je m'en fous ; j'ai raté cet épisode de ma vie,
apparemment. Et j'en suis plutôt satisfait : de toute façon, je les
aurais certainement ratés, ces petits cons.
Samedi 24 novembre
Trois heures et demie. – Je suis venu m'installer devant cet ordinateur dans le but proclamé de procéder à une ultime relecture (la troisième…) de mon journal d'octobre, avant publication la semaine prochaine. J'en ai effectivement lu quatre jours, avant de refermer le document, écœuré de ces platitudes que je connais par cœur et qui me sortent par les yeux. Deux lectures suffiront, onvadir.
Sept heures et quart. – Je viens d'écouter, sur le net, La Chanson de Lara
interprétée par les Compagnons de la chanson, en 1965 ou 66, en direct
dans une émission de télévision. C'est un 45tours qui doit toujours se
trouver chez mes parents, et qui me ramène à nos années allemandes et à
mes dix ans. J'en ai été quelque peu ému, chose que je refuserais
d'avouer en public, même la tête sur le billot. Mais ici, n'est-ce pas…
– À propos de Lara, il commence à me tarder d'arriver au bout du Docteur Jivago
: presque sept cents pages, c'est un peu beaucoup, il me semble. Le
plus gênant est peut-être le fait que, dans cette Russie immense, où
l'on voyage de Moscou à la Sibérie en passant par l'Oural, dans ce pays
de surcroît dévasté par la guerre civile et le chaos communiste, Jivago
ne peut faire un pas sans tomber sur une personne de sa connaissance.
D'un autre côté, c'est la même chose dans Don Quichotte ; mais la
Manche que parcourt le chevalier errant est évidemment une contrée
mythique, alors que, là, on se trouve dans la Russie réelle.
Dimanche 25 novembre
Huit heures moins vingt. – J'avoue que je ne me souviens pas de ce que j'avais pu penser du Docteur Jivago
lorsque je l'ai lu pour la première fois, il y a une dizaine d'années.
Mais j'ai été, cette fois-ci, assez largement déçu, au bout du compte.
Je pourrais essayer de cerner les raisons pour lesquelles je l'ai fini
avec lassitude et l'esprit ailleurs, mais à quoi bon ? Autant il peut
être intéressant éventuellement de démêler et d'établir ses motifs
d'admiration d'un livre, autant le faire pour un qui vous a laissé à peu
près de marbre me semble peine inutile. Donc, adieu Pasternak. Je suis
immédiatement passé à La Garde blanche de Boulgakov qui, après une cinquantaine de pages, me semble autrement excitant. Mais attendons encore un peu.
– J'ai également travaillé une couple d'heures cet après-midi, pour Enquêtes,
mais je commence également à être fatigué de répéter toujours la même
chose, à savoir que l'article s'est écrit sans problème. Réservons-nous
pour les jours où il en surviendra, des problèmes (ou doit-on dire des soucis, désormais ?).
–
Par ailleurs, et avant le travail sus-évoqué, j'ai finalement surmonté
le vague écœurement qui m'avait saisi hier et mené à bien la troisième
relecture du journal d'octobre.
Lundi 26 novembre
Sept heures et demie. – Ce soir et demain, sur la chaîne Histoire,
deux émissions de deux heures chacune, consacrées aux premiers
chrétiens. Le sujet est évidemment intéressant, mais nous tremblons,
Catherine et moi, de tomber sur l'un de ces “docu-fictions” ridicules
auxquels il est de plus difficile d'échapper de nos jours. Si c'est pour
contempler douze intermittents du spectacle vêtus sommairement de toile
de jute et les cheveux hirsutes leur tombant aux épaules, tentant de
nous faire croire qu'ils sont les apôtres du Christ, le tout noyé dans
une musique sirupeuse et trop forte, je préfère encore revoir pour la
cinquième fois le Clint Eastwood passant sur la chaîne voisine. On va
quand même tenter le coup. Mais il est tout de même prodigieusement
irritant et déprimant de constater qu'il n'est plus possible de se voir
proposer un documentaire simple, à l'ancienne. Par exemple, dans le cas
qui nous occupe ce soir, où l'on nous donnerait à voir les paysages où
se déroule l'histoire qui est exposée, des témoignages architecturaux,
des œuvres d'art, des manuscrits, etc. ; plus la trombine des
archéologues, historiens, théologiens, dont on est allé solliciter la
compétence – et rien de plus. Mais c'est demander la lune, j'en ai peur.
–
Explication en “direct live” avec Philippe B, cet après-midi, à propos
de la façon dont je vais être dédommagé pour mon travail sur Piaf du
mois de décembre. Ce sera bien sous forme de piges et non de jours
“chômés”. Ce que je ne parvenais pas à comprendre, en fait, c'était le
tour de passe-passe comptable destiné à faire accepter à la direction
cette petite dépense supplémentaire. Le tour en question c'est un peu
moi qui en suis victime, comme de juste, puisqu'il ne me sera alloué que
2300 euros au lieu des 3000 que j'avais assez fortement suggérés comme
prix de mon labeur. Le second résultat de cette affaire est que, devant
donc mener ce travail à bien en plus de celui courant, et non à la place, il ne me reste plus tellement de temps que ça pour m'y mettre sérieusement.
Mardi 27 novembre
Sept heures et demie.
– M'attendait ce soir dans ma boitamel un mot du Pélicastre jouisseur,
blogueur que je tiens en haute estime depuis déjà un moment, par lequel
il me proposait, lors de notre prochaine visite ardennaise, un “déjeuner
triangulaire” avec Ygor Yanka. L'idée est évidemment séduisante. Le
problème est que, demain ou après-demain, mes parents auront quitté
définitivement Sedan pour la Seine-Maritime (et je m'aperçois que j'ai
déjà oublié le nom de leur prochaine villégiature) et que, par
conséquent, nous n'aurons plus de raison de nous y rendre. Il faudrait
donc y aller spécialement pour ce déjeuner, ce qui fait tout de même un
peu beaucoup de frais et de fatigue pour une entrée, un plat et un café…
Jeudi 29 novembre
Sept heures et demie. –
En vrac : dernière tonte du jardin, cet après-midi, parce que le soleil
brillait depuis le matin. Résultat : l'herbe était tout de même
trempée, mais suffisamment courte pour se laisser tondre. Ensuite :
envie d'un apéro, et recherche d'une raison de le prendre. Facile : mes
parents ont, hier, vendu leur maison de Sedan, et sont désormais
réfugiés normands chez Isabelle. Ils signent l'achat de leur maison de
Fontaine-le-Dun demain ou après-demain (j'ai déjà oublié et cela importe
peu).
–
Donc, s'est produit ce à quoi je ne croyais pas : mes parents vont en
effet terminer leur vie en Normandie et non dans les Ardennes. Et je
repense à tous les arguments que j'ai pu développer, depuis un an ou
deux, pour affirmer comme un crétin que mes parents ne quitteraient
jamais Sedan. Eh bien, c'est fait. Je suis à la fois très content de ce
déménagement et consterné de ma propre sottise. Que dire de plus ?
Content pour mon père ? Oui, évidemment : c'est lui qui, le plus
ardemment, souhaitait ce rapprochement avec Isabelle. Il y est : cela va
le soutenir, l'exciter durant au moins quelques semaines, j'espère
quelques mois.
Mais,
comme je le disais tout à l'heure à Catherine, ce qui est le plus beau,
dans cette histoire, c'est que ma mère semble en revivre, alors qu'il
me semblait que tout blocage venait et viendrait d'elle. Elle a retrouvé
une voix de jeune fille, ou si l'on veut : de femme, claire, venant de
loin, pour moi.
Bref,
je n'ai rien compris. De bout en bout de cette histoire j'ai joué le
fils aîné qui domine la situation, et je n'ai rien compris. Je pense
qu'il serait temps que je ferme ma gueule, que je laisse mes parents
vivre doucement et tranquillement leur dernière portion, en cessant de
faire semblant de comprendre quoi que ce soit à ce qui se passe.
Nous
sommes censés aller découvrir leur nouvelle maison vers le 15 décembre,
parce que ce sera l'anniversaire d'Isabelle, et que j'ai suggéré cette
date pour cette raison.
Vendredi 30 novembre
Six heures et demie. – J'ai commencé, hier ou avant-hier à relire mes billets de blog depuis l'origine, soit depuis 2007, afin de voir s'il y aurait moyen (et intérêt quelconque) à en tirer une sorte d'anthologie qui serait ensuite imprimée, via Booksmart comme pour le journal. Travail de longue haleine car j'ai beaucoup trop écrit, heureusement pour ne pas dire grand-chose, le plus souvent, ce qui me permet de parcourir la majorité des billets suivant une diagonale très pentue. Je suis arrivé à février 2008, en ayant commencé à novembre 2007, date à laquelle j'ai supprimé mon premier blog (mais les textes sont conservés quelque part) pour ouvrir l'actuel. Et je me dis déjà que si cette anthologie ne couvrait que les années 2007, 2008 et 2009, ce serait sans doute suffisant. Quitte à faire un second volume ensuite, dans le cas d'un formidable succès mondial du premier. J'ai sélectionné déjà quelques billets dont le sujet est “les blogs” : je me demande si je ne ferais pas mieux d'éliminer tout à fait cette partie-là. On verra, on verra, ne nous précipitons pas…
– Comme chaque année à cette époque, j'ai beaucoup de mal à me persuader que les jours ont commencé à rallonger.
Neuf heures vingt. –
Mais quelle andouille (comme me l'a fait remarquer il y a une minute
Catherine) ! Ce n'est pas le 25 novembre que les jours se mettent à
s'éployer, mais le 25 décembre, bordel ! Que rajouter, là-dessus ? Rien, évidemment.
–
Bien entendu, puisque apéritif il y a eu, on pourrait parler de choses
et d'autres. Par exemple, je pourrais m'étendre sur le fait que, depuis
deux jours, je me relis. C'est un phénomène bizarre, que je compte
prolonger. Je relis des choses terribles, tellement elles sont nulles,
mal écrites, entachées de facilités qui me font honte. Et puis, de temps
en temps, une quinzaine de lignes que je trouve plutôt pas mal. Mais ce
n'est même pas l'important.
Ce
qui est bizarre, c'est de relire non les billets, mais ses
commentaires. il ne s'est pourtant pas passé beaucoup d'années, pourtant
les morts jonchent le sol. Plusieurs catégories de morts. Ceux dont on
se souvient très bien, mais qui ont disparu des écrans : Balmeyer,
Zoridae, par exemple.
Ceux dont on se souvient qui ils étaient mais qui ont eux-mêmes disparu, plus profondément : LinaLoca, que j'aimais beaucoup.
Ceux
dont on se souvient qu'on les a aimés, mais on ne sait plus qui ils
étaient, mais alors plus du tout – et quand on “clique” sur leur nom, on
aboutit à un blog qui n'existe plus. Par exemple, qui se souvient de
qui était BBC ? Apparemment, je l'aimais beaucoup, dans ces années
2007-2008 que je parcours depuis hier : j'ai oublié.
Il
y a d'autres choses, plus cocasses, évidemment, quand on balaie le
spectre. Par exemple, je m'amuse de savoir à quels moments j'étais ami
avec Jérôme Vallet et à quels autres je devenais une grosse merde aux
yeux du même. Dans ces années que je passe en revue, ça n'arrête pas de
changer, par exemple, c'est assez drôle. À tel mois de telle année, je
dispose de douze commentaires de “George” par jour. En plus, par moment,
il se laisse aller à une certaine admiration imbécile : il me félicite
de ce que je viens de publier, il reproduit sur son blog ce que j'écris
sur le mien. D'une certaine manière, il m'admire (et je me demande bien
pourquoi). Puis il disparaît d'un jour sur l'autre. et je suis bien sûr
que, si j'avais encore accès à son blog de l'époque, j'y trouverais aux
mêmes dates de longs billets expliquant à quel point on ne peut pas
faire pis que moi comme raclure du genre humain. Les hommes sont parfois
un peu curieux à observer.
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