mardi 1 janvier 2013

Novembre 2012









 JOURNAL POUR TOUS









Jeudi 1er novembre

Huit heures moins dix. – Comme Proust est proche de Balzac ! et comme il en est éloigné ! Proche dans la mesure où À la recherche du temps perdu est bien un ensemble de Scènes de la vie mondaine, doublées de Scènes de la vie philosophique, dans lesquelles, comme chez Balzac, tout un monde se déploie et s'invente au fur et à mesure. Proche encore en ceci que les personnages créés par Proust dans les premiers volumes (Swann, Guermantes…) ne sont pas, au fond, si différents de ceux de Balzac : ce sont des caractères, essentiellement.

Mais éloignés ils sont, tout autant. Car si, chez Balzac, les caractéristiques de chaque personnage sont posées avec soin dès le départ, dans l'exposition, c'est pour ne plus varier ensuite. Leurs passions, leurs idées fixes peuvent se développer dans des proportions parfois monstrueuses, jusqu'à les tuer et répandre la ruine et la désolation autour d'eux (le baron Hulot, Balthazar Claës…), la première image que l'on a eue d'eux restera valable et agissante jusqu'au bout. C'est ce qui fait d'eux, cette fixité, cette solidité, des êtres éminemment sociaux. Chez Proust, rien de tel. Les personnages sont la proie des différents “moi” qui se succèdent en eux et qui les rendent si étrangers à eux-mêmes – et déconcertants pour autrui –, si fugitifs, qu'ils sont hors d'état de poursuivre le moindre but qui ne soit pas éphémère, incapable de tenir le moindre rôle social (en dehors de celui de pure représentation dans laquelle on nous les montre). C'est à ce point qu'un personnage est susceptible de subir trois ou quatre métamorphoses si violentes au fil de l'œuvre qu'il pourra en arriver à donner l'impression que ces “moi” successifs sont issus de la plume d'écrivains différents : dans les premières sections de la Recherche, je l'ai dit, Swann et Charlus pourraient grosso modo faire penser à des créations balzaciennes. Mais, dès la Prisonnière, Charlus se mue en un personnage de Dostoïevski, auquel ne manque même pas la volonté de rédemption, l'aspiration à la sainteté ; et, dans la fameuse scène sado-masochiste du Temps retrouvé, ce serait presque du côté de Georges Bataille qu'il faudrait se tourner.

Cette impossibilité à fixer une fois pour toute une identité profonde à un personnage donne à Proust une liberté dont Balzac ne pouvait pas disposer, et à laquelle, sans doute, il ne songeait pas. Liberté qui va croissant, notamment lorsque le Temps entre véritablement en scène, chez Proust, soit au stade de la Prisonnière, et que la rotation des “moi” se fait de plus en plus rapide et anarchique, tout en restant d'une impeccable cohérence. Cela lui permet des bizarreries de comportement qui demeurent parfaitement lisibles et qui auraient été interdites à Balzac. Je pense par exemple à cette incidente qui, au moment où Mme Verdurin (dans les derniers volumes, je ne sais plus où exactement) devient un véritable monstre de cruauté, une sorte d'ange destructeur, nous apprend en quelques lignes que, dans le même temps, et en toute discrétion, elle fait verser une pension régulière au malheureux Saniette afin de lui permettre de vivre une vieillesse paisible ; Saniette que son mari et elle avaient pris plaisir à torturer publiquement et à humilier durant des années. Chez la plupart des romanciers classiques, et pas seulement eux, ce trait passerait pour une étrangeté, une lubie de l'auteur, une volonté un peu naïve de dérouter à tout prix ; chez Proust, non : c'est un autre “moi” qui s'exprime, peut-être resurgi pour un instant d'un passé lointain et enfoui, peut-être annonciateur de celui de demain.

– Commencer un mois de novembre par une journée de pluie, c'est peut-être pousser le conformisme un peu loin. Comme je ne comptais pas mettre le nez dehors, sauf pour aller de la maison à la case et de la case à la maison, j'ai superbement ignoré le temps qu'il faisait. Et en ai profité pour me débarrasser des cinq mille signes que je devais écrire pour FD, à propos d'un livre qui vient de sortir, sur la famille royale de Belgique.


Vendredi 2 novembre

Sept heures et demie. – Coup de fil de Joseph Vebret, en fin de matinée, pour me dire qu'il apprécie beaucoup les billets que je puis faire de temps à autre sur tel ou tel livre, cet écrivain ou cet autre. Mon premier réflexe est évidemment toujours le même : penser qu'on se fout de ma poire, tellement je les trouve, moi, tout à fait insuffisants, ces petits articles. Mais enfin : il me demande si j'accepterais, lorsque d'aventure j'en écris un, de le lui réserver pour son Salon littéraire en ligne et de ne le publier sur mon blog que quatre ou cinq jours après. En somme, il me demande une sorte d'exclusivité. Pourquoi pas ? Quelle importance ? Je lui ai dit oui. Je suppose qu'il y a encore 20 ans, cette perspective d'être “publié” m'aurait fait faire des sauts au plafond ; aujourd'hui, rien.

– Ce même Vebret m'a appris que sa petite famille et lui avaient sauté le pas : ils quitteront en début d'année prochaine la région parisienne pour une petite ville d'Auvergne, proche de Clermont. Je l'ai vivement félicité de cette initiative.

– Depuis plusieurs semaines, nous n'avons plus de lumière au sous-sol : le néon a rendu l'âme et, bien entendu, c'eût été trop simple, ce n'était pas le tube qui était mort mais toute l'installation. Depuis le passage à l'heure d'hiver (c'est-à-dire à l'heure “non festive”), il devenait d'urgent de pallier cette obscurité, sous peine de ne plus pouvoir nourrir les chiens le soir. Envisageant de nous porter acquéreurs d'un lampadaire halogène (et si possible non allogène…), Catherine et moi sommes allés aujourd'hui faire un petit tour au magasin But d'Évreux. Nous y avons trouvé, et acheté, un lampadaire pas du tout halogène et néanmoins éclairant, qui valait 7,70 €. Par quel tour de passe-passe peut-on vendre un lampadaire à un prix aussi ridiculement bas ? Comment les différents intervenants, dans sa fabrication, son emballage, son transport, etc., peuvent-ils arriver à tous gagner leur vie sur ces 7,70 € ? Mystère entier pour moi.

– Ayant prévu d'en tirer une petite chronique pour le prochain bulletin paroissial de Pacy, il serait bien que je relise les Trois contes de Flaubert. D'un autre côté, comme l'espace qui me sera imparti ne dépassera sans doute pas les deux mille signes, il n'est pas certain que cette lecture soit nécessaire.


Samedi 3 novembre

Sept heures vingt. – J'ai envoyé ce matin à Vebret un vieux billet de mars 2009, que j'avais consacré à Saniette, ce touchant personnage de La Recherche ; billet totalement oublié par moi et qu'un commentateur, hier ou avant-hier, m'a opportunément remis en mémoire. Je dis “opportunément” car, le relisant, j'ai eu la faiblesse un peu ridicule de ne le pas trouver trop mauvais, pour une fois. Vebret l'a publié dans son Salon littéraire et, du coup, je l'ai supprimé du blog-mère, au moins pour quelques jours.

– Reçu aujourd'hui le Flaubert de Bardèche. Si j'en juge d'après la centaine de pages que je viens de lire, il est assez nettement inférieur à ses livres sur Balzac et Proust, qui ont fait mes délices ces jours derniers ; beaucoup plus scolaire, dirais-je. Du reste, quand je dis qu'ils ont fait mes délices, il ne faut point exagérer : pour qu'il y ait délices, jouissance, il faudrait que Bardèche ait été un véritable écrivain. Or il n'en est rien : son écriture est sans charme, et même entachée d'un certain nombre de lourdeurs.

– Avec tout ça, je n'ai même pas pris connaissance de la documentation qui doit me servir à rédiger un nouvel article pour Zodiaque, alors que je l'ai dans ma boitamel depuis hier midi. On verra ça demain, je suppose.


Dimanche 4 novembre

Sept heures –Passé l'essentiel de la journée à lire le Flaubert de Bardèche, terminé juste avant de passer à table ce soir. On y trouve évidemment des points de vue, des éclairages intéressants sur telle ou telle œuvre, mais dans l'ensemble c'est tout de même bien ennuyeux. Ensuite, repris La Rabouilleuse.

– Je m'aperçois que, tout compte fait, je n'ai aucune opinion réellement affirmée en ce qui concerne le mariage “pour tous” (quelle expression stupide, cependant ! Pour tous, vraiment ? Pour les enfants ? Les chevaux de labour ? Les géraniums ? Je me demande si je ne vais pas intitulé ce journal de novembre : Journal pour tous, tiens !) et l'adoption par les couples homosexuels ainsi constitués. C'est-à-dire que j'ai décidé de ne plus m'en préoccuper. Au stade asilaire où en est arrivée la société dont j'ai la malchance de faire partie, le mieux me semble être de la laisser crever, puisque c'est ce qu'elle semble désirer, et ne pas s'en soucier : c'est qu'on finirait par y devenir fou soi-même, à force ! De toute façon, tout cela se réglera sans y penser, puisque, dans le même temps, les fers de lance de l'avenir radieux sont tout à fait d'accord pour qu'arrive chez nous ce qui a déjà commencé en Belgique, à savoir l'apparition de partis islamiques. Lorsque la charia, qui est inévitablement au bout de ce processus, deviendra effective – et même avant, dès que les musulmans auront suffisamment de poids pour exiger –, non seulement il ne sera plus question de mariage ni d'adoption “pour tous”, mais les femmes et les homos auront intérêt à filer doux de nouveau. Pour eux, les lendemains qui chantent, ce sont les voiles et les catacombes.

Évidemment, cette position de retrait que je préconise pour moi-même – et sans être assuré de pouvoir la tenir, d'avoir le détachement nécessaire – n'est valable que parce que j'approche de la soixantaine et n'ai pas d'héritier : je comprends que mes jeunes amis en charge de famille pensent autrement. Je les encourage du reste vivement à enseigner à leurs enfants les arts martiaux et le maniement des armes à feu : ça risque fort de leur servir dans leur âge adulte, qui a peu de chance d'être drôle ; s'il est vivable, ce sera déjà beaucoup.


Lundi 5 novembre

Sept heures et demie. – Renaud Camus est en train de brûler ses derniers vaisseaux, et je le soupçonne d'éprouver une vraie jouissance, ce faisant. Il a prononcé hier, à la convention d'Orange du Bloc Identitaire un discours superbe, que je me laisserais volontiers aller à qualifier de définitif, à propos du suicide désormais très visible de l'Europe en général et plus particulièrement de la France. Pour mémoire, j'en ai reproduis le texte sur le blog-mère. Si c'est bien de courage qu'il s'agit de sa part, j'en suis fort admiratif. Je disais hier que j'allais faire l'effort de me détacher de tout cela, tenter désormais de vivre comme si rien ne se passait. Et je précisais que cela me serait rendu plus facile par le fait de mon âge et de ma non-descendance. Mais Camus n'a pas plus d'enfant que je n'en ai, et il est mon aîné de dix ans ; ajoutons qu'il a beaucoup plus à perdre que moi, et sur tous les plans, dans ce combat désormais presque désespéré : cela ne l'empêche pas de monter sur la barricade…

Une chose me semble certaine, nonobstant : il est désormais inutile de perdre son temps à de petites polémiques blogueuses avec les tenants du Désastre ; ils ne reviendront pas en arrière, c'est trop tard ; ils sont trop enfoncés dans leurs ornières idéologiques pour pouvoir en sortir sans se faire à eux-même le plus grand mal à l'amour-propre. Je dis ça mais, d'un autre côté, on a vu par le passé des communistes assez honnêtes et lucides pour abjurer, quasiment du jour au lendemain. La différence est que, à l'époque, et durant plusieurs décennies qu'a duré le bourrage de crâne pro-communiste, il a toujours subsisté une presse clairement et vigoureusement opposée aux projets de dictatures de gauche : ce n'est plus le cas aujourd'hui, où tous les journaux, sur ce sujet au moins de la dissolution du peuple français, parlent d'une seule et même voix léthargisante.


Mardi 6 novembre

Sept heures vingt. – Journée sans travail et toute occupée à lire (Balzac), exactement comme j'aimerais ne plus en avoir d'autres (je compte pour rien le fait d'être descendu à Pacy afin d'y acheter deux baguettes “tradition”…). Demain, en revanche, il va falloir m'y remettre un peu sérieusement : relire plus attentivement le livre (?) de Pascal Brunner afin d'en extraire un ou deux sujets d'articles possibles pour FD, prendre connaissance de la nouvelle documentation que je viens de recevoir, en vue de trousser un autre article, mais pour Zodiaque cette fois, consacré aux elfes, trolls et autres fantômes qui peupleraient l'Islande : la maison ne recule devant aucun sacrifice pour faire rentrer l'argent.

– Je suis de plus en plus décidé à cesser toute polémique, et même toute intervention, sur les blogs, dès qu'il y sera question des sujets sensibles ; et je suis aussi de moins en moins assuré d'y parvenir.


Mercredi 7 novembre

Sept heures et quart. – Catherine et moi avons passé l'essentiel de cet après-midi à choisir et disposer les photos de mon journal 2011, avant de l'imprimer pour mes parents (c'est-à-dire pour ma mère, car je pense que mon père ne le lit pas). Rien de plus “prise de tête” que cet exercice-là, d'autant qu'on ne sait jamais vraiment ce qui va se passer dès lors qu'on modifie quoi que ce soit dans un livre qui est censé ne plus bouger, être gravé dans le marbre – et qui en fait ne l'est jamais. Du coup, on s'est offert un petit apéritif compensatoire.

– Commençant à lire le numéro hors-série de la NRH consacré à Jeanne d'Arc, reçu ce matin, j'ai découvert l'existence de l'épée de Fierbois. Et me suis dit que, peut-être, on pourrait utiliser cela pour un roman du genre du Da Vinci Code. Je vais peut-être creuser l'affaire. Charles Martel + Jeanne d'Arc + notre gabegie contemporaine : il y a peut-être moyen d'en tirer quelque chose qui intéresse mes contemporains, et donc se vende. Je sais très bien que je vais laisser tomber l'idée avant même de l'avoir examinée sérieusement, parce qu'au fond je m'en moque, de ce roman, de l'argent accroché après, etc. Mais l'idée que je pourrais le faire m'amuse un peu.

– En réalité, il faut bien reconnaître que je n'ai jamais eu envie de gagner de l'argent, et encore moins maintenant que dans ma jeunesse ; pas assez sérieusement, en tout cas, pour me mettre vraiment au travail. En cela, je suis semblable à 98 % de l'humanité : presque personne n'a envie de gagner de l'argent, et c'est bien pourquoi ceux qui en sont possédés, de cette envie, y arrivent presque automatiquement. D'abord parce qu'ils sont très peu nombreux, ensuite parce que, n'en déplaise aux andouilles modernes, ils sont généralement plus intelligents que la moyenne de leurs contemporains, et doués d'une capacité de travail supérieure, mise au service d'un objectif unique et toujours cohérent. Les pauvres sont généralement des cons, des fainéants, des velléitaires ; leur mentalité est celle de joueurs de loto, ce qui est toujours une manière de s'en remettre à l'État pour s'enrichir, laquelle bien entendu ne fonctionne jamais. Et quand un pauvre gagne au loto, il reste pauvre parce qu'il n'a pas les moyens d'être autre chose ; il devient un pauvre avec à sa disposition une somme d'argent tellement énorme qu'il reste incapable de la concevoir, et encore plus de l'utiliser. Si bien que le pauvre qui gagne au loto (et c'est toujours un pauvre qui gagne au loto, car les riches ont autre chose à faire de leur argent que de le jouer stupidement) devient en quelque sorte un pauvre au carré. Généralement ils finissent assez rapidement ruinés, largués par leur femme (qui, elle, a trouvé moyen de sauter d'un milieu social à un autre, pour peu qu'elle ait encore la jeunesse et les rondeurs adéquates), sans travail puisqu'ils se sont crus débarrassés de cette contrainte-là lorsqu'ils se sont transformés en marquis de Carabas ; et, donc, poussés plus ou moins naturellement dans la voie du suicide, à quoi ils aboutissent de temps à autre – sous les ricanements satisfaits de leurs héritiers qui ne les connaissent pas forcément ; et qui ne savent pas encore qu'ils vont eux-mêmes succomber sous cette avalanche de fortune pour laquelle ils n'étaient pas faits.


Jeudi 8 novembre

Sept heures et demie. – Dix mille signes écrits, cet après-midi, sur les elfes islandais : comment ces grand benêts peuvent-ils croire à tout cela ? Mystère. En même temps, cependant que je creusais l'affaire, je me disais que, si j'étais islandais, je ferais au moins semblant d'y croire aussi, et que je pisserais à la raie des andouilles rationnelles de l'Europe continentale. En fait, je crois que, pour peu qu'on ne m'oblige pas à écouter les navrantes productions de Björk, j'aurais bien aimé être islandais ; faire partie d'un petit peuple de trois cent mille personnes, sur une île suffisamment septentrionale et lointaine pour être inaccessible aux sapajous exotiques, revendicatifs, violents, pleurnichards et inutiles ; parlant une langue délicieusement incompréhensible à tout le reste de la terre : vraiment, j'aurais bien aimé. Et je pense que je ne serais jamais sorti de ce petit périmètre, s'il m'avait été par bonheur échu. Mais français je dois continuer d'être, hélas, international et stupide. Quand va-t-on se décider à importer des elfes plutôt que des trolls ?

– L'édition “Blurb” de mon journal 2011 est bouclé. La commande vient d'être passée, ainsi que celle de l'agenda Dimanche et Croix 2013 de Catherine. Du coup, à mon incitation, nous avons pris un apéritif raisonnable, histoire de “fêter ça”. Pour ce qui concerne le journal, nous en avons commandé deux exemplaires, un pour nous, un pour ma mère. Du coup, crétin de base, je frétille d'impatience de le recevoir. Faut-il être bête, quand même…


Vendredi 9 novembre

Six heures et quart. – Heure un peu inhabituelle de ma venue ici, pour la raison que Catherine “ a messe” et ne sera de retour que vers huit heures. Par conséquent, si je ne veux pas être trop minable quand elle rentrera, j'ai intérêt à ne pas commencer de boire avant au moins sept heures.

– Hier soir, feuilletant je ne sais pourquoi les premières pages de mon journal 2010 (Autel de non-retour), je suis tombé sur une entrée dans laquelle je dis que je viens de publier sur le blog-mère un billet consacré aux Tiroirs de l'inconnu, le dernier roman de Marcel Aymé ; billet dont j'avais évidemment oublié jusqu'à l'existence. Je suis allé le relire tout à l'heure et ne l'ai point trouvé trop indigne (indigne de moi, ce qui n'est pas mettre la barre à une hauteur considérable). Du coup, après avoir fait repasser ce billet en mode “brouillon”, je l'ai proposé à Vebret pour son Salon littéraire, ainsi qu'il en a été convenu entre nous la semaine dernière. Il vient de le publier.


Samedi 10 novembre

Sept heures et demie. – Je ne sais si c'est le fait d'avoir finalisé puis commandé mon journal 2011 dans sa version livresque (J'ai oublié de noter que le titre en est : La Dernière Pirouette du Chinois fou), mais je me suis un peu bêtement mis à lire celui de 2010 (Autel de non-retour). Je le notais déjà hier soir, mais j'ai persisté aujourd'hui. Évidemment, je serais bien incapable de dire ce qu'il vaut ou ne vaut pas : il est déjà bien difficile de juger de ses propres écrits, lorsque celui que l'on relit concerne à chaque ligne des événements (ou non événements…) de sa propre existence, cela devient mission impossible – en tout cas pour moi.

– Cette lecture a été alternée avec celle du Cousin Pons (relecture, donc, là aussi). Je me souviens que, la première fois, j'avais été saisi d'une intense pitié pour le personnage principal, au vu des mécomptes qu'il ne cessait d'encaisser jusqu'à l'ultime conclusion. Mon sentiment est quelque peu différent cette fois-ci : Pons est une sorte de maniaque, de possédé par une idée fixe, c'est-à-dire de ces personnages qui, chez Balzac, ne peuvent que mal finir, même lorsque leur passion n'est en soi pas mauvaise, et même noble : ce n'est pas son amour des chefs-d'œuvre de l'art qui détruit Sylvain Pons, mais le fait que cet amour l'envahisse au point de supprimer tout le reste. En ce sens, il est une sorte de frère jumeau du père Goriot. Chez Pons, il y a en plus cette passion assez grossière de la bonne chère, des repas plantureux, qui le pousse à endurer sans piper mot toutes les vilenies qu'on lui fait subir, si c'est la condition pour continuer d'être invité à se goberger. Et, là, c'est plutôt au baron Hulot de La Cousine Bette, qu'il ressemble. Bref, je n'ai plus si envie que cela de le plaindre : suis-je devenu un lecteur plus lucide, ou bien serais-je en voie d'endurcissement ?

Quoi qu'il en soit, j'ai décidé de finir ce volume puis de remiser Balzac sur sa double étagère afin de passer à autre chose. J'ai envie de relire Le Docteur Jivago.

– Je me disais, il y a cinq minutes, que la journée de demain, 11 novembre, allait sûrement nous valoir quelques billets d'une modernodosité savoureuse. Eh bien, il n'y a pas eu à attendre si longtemps. Dès ce soir, Corto cite sur son blog les propos ahurissants d'un soi-disant “prof” d'histoire ; qui s'indigne, évidemment, et en ces termes :

« 11 Novembre : on rend hommage à la guerre, pas aux morts.
La presse locale en raffole : chaque année, les photos d’écoliers rassemblés à l’occasion du 11 Novembre devant le monument aux morts de la commune illustrent complaisamment les pages intérieures des quotidiens. Souvent peu nombreux, souvent tout petits, leur présence est comme une sorte de caution apportée par leur maître zélé, soucieux de ne pas déplaire aux autorités locales, à la perpétuation d’une mémoire officielle de commande.
Spectateurs plus ou moins obligés d’un rituel à la fois religieux et militaire – hymne national, drapeaux, présence d’anciens combattants dont on se garde bien de dire que les faits d’armes remontent le plus souvent à la guerre d’Algérie –, les enfants font l’objet d’un conditionnement guère en rapport avec la réalité historique ou la formation morale du citoyen : ce n’est pas un hommage aux morts qu’on rend, mais un hommage à la guerre.»

 L'Éducation nationale est vraiment devenue une fabrique de connards malfaisants comme il doit en exister peu dans le reste du monde.


Dimanche 11 novembre

Sept heures et demie. – Écrit entre quatre heures et demie et six heure et demie ma “page animaux” pour Enquêtes. Sur quoi, Catherine et moi avons, sur ma suggestion aimable, pris un micro-apéro qui nous a conduits tout doucettement jusqu'à l'heure du dîner (sauté de porc et crevettes au wok, avec légumes et accompagnement de riz), dont je sors tout juste. Je n'ai aucune envie de me rendre à Levallois demain, évidemment, mais, ayant relu tout mon journal de 2010, et m'étant remémoré à quel point le rewriting m'était pénible, dans les derniers mois de cette année-là, je trouve par comparaison ma situation actuelle fort enviable. D'autant plus que les BM se sont évanouies (et mes droits d'auteur avec…), alors que, visiblement, elles m'étaient devenues vraiment insupportables, ce que j'avais déjà largement commencé d'oublier.

– Ce soir, Bus stop, avec Marilyn, que je suis presque certain de n'avoir jamais vu.

– Bizarrement, contrairement à ce que j'attendais, ce 11 novembre n'a pas suscité d'accès de bêtise particulièrement notables chez mes amis blogueurs. Mais il est vrai que nous sommes dimanche…


Lundi 12 novembre

Huit heures moins dix. –  Apparemment, ça commence à se savoir que je travaille vite, à FD. Ce matin (façon de parler : il était une heure de l'après-midi…), on m'a tout de même confié deux articles à écrire, un fait-divers et un article entièrement “jus de crâne” à propos de la famille de Monaco, soit environ douze mille signes au total – lesquels étaient terminés à cinq heures et demie de l'après-midi, ce qui constitue un encouragement malencontreux, pour mes chefs, à charger encore plus la mule à la prochaine occasion. Mais enfin, au moins, je ne me suis pas ennuyé…

– Rien d'autre à dire, je crois. Ah, si, tout de même : Bus Stop est vraiment un mauvais film, et je comprends, du coup, pourquoi je ne l'avais jamais vu. Une preuve supplémentaire de ce qu'il ne faut absolument pas se fier aux “critiques” du Télé-Machin-Cable, le magazine de télévision auquel nous sommes abonnés, puisqu'y était présenté ce film comme un chef-d'œuvre et l'occasion pour Marilyn de son “plus grand rôle”. Or, il est tellement caricatural et stupide, son rôle, que même elle ne parvient pas à le sauver.


Mardi 13 novembre

Sept heures et demie. – Envie de dire quoi ? Rien. Continuer ce journal ? Peut-être. Pour quoi faire ? N'en sais rien.


Mercredi 14 novembre

Huit heures. –  Ça ne va pas être beaucoup plus long qu'hier, je le sens.  Déjeuner parfaitement agréable avec Nicolas et l'amiral Woland. M'amuse beaucoup le fait que ni eux ni moi n'avons finalement rien à foutre d'être de gauche, ou de droite, ou de rien. C'est d'ailleurs Nicolas qui a protesté le premier lorsque j'ai abordé un thème, un sujet de conversation, qui, en effet, avait des allures “politiques”.  Il n'avait pas envie d'en parler. Ça tombait bien, Woland non plus, ni moi. Pour le reste ? Je ne peux rien dire. Sinon que l'amiral et moi avons dit beaucoup de mal des réacs certifiés, estampillés, pendant que Nicolas reconnaissait (du bout des lèvres, certes…) que les connards d'extrême gauche lui valaient plus d'emmerdes que les gens de droite. On était – à ce moment-là – occupés à fumer dehors. Et je lui ai rappelé  que, depuis la naissance du parti communiste, les sociaux-démocrates dans son genre avaient toujours été les pires ennemis de ce parti de merde dont, à mon avis, on devrait fusiller les derniers survivants – mais, évidemment, c'est un peu compliqué, techniquement. Et c'est bien dommage : fusiller des communistes, sans procès, comme ça, pour le plaisir, doit tout de même être assez jouissif.


Jeudi 15 novembre

Sept heures et quart. – Catherine et moi avons reçu cet après-midi nos livres “Blurb”, elle son agenda 2013 et moi mon journal 2011. Je suis un peu déçu de la manière dont est “sortie” la photo de couverture, beaucoup plus sombre que l'original. Surpris aussi que le corps du texte soit si petit, mais ça j'aurais dû et pu m'en aviser avant d'envoyer le livre à l'impression, je n'ai qu'à m'en prendre qu'à moi. Sinon, j'ai commencé bien entendu à le relire et, parvenu au mois d'avril, je n'ai eu à déplorer que deux ou trois coquilles sans gravité.

– J'étais censé faire aujourd'hui du télétravail, mais tout le monde semble m'avoir oublié, à FD. Je ne me suis pas plaint.

– Il y a environ une semaine, parce que le film de David Lean passait à la télévision, j'ai eu envie de relire Le Docteur Jivago. Impossible de remettre la main sur le volume, que j'étais pourtant certain d'avoir, je revoyais même très nettement la photo d'Omar Sharif sur la couverture. J'ai passé en revue trois fois les deux étages de ma bibliothèque occupés par la littérature russe, examinant les volumes un à un : rien. Volatilisé, Jivago. Ce matin, mais vraiment par acquit de conscience, je renouvelle l'opération une quatrième fois, et mes yeux tombent du premier coup sur le livre, sagement rangé à sa place, juste à hauteur de mon regard, sans rien devant pour me le dissimuler. Comment a-t-il pu m'échapper les trois fois précédentes ?


Vendredi 16 novembre

Sept heures et demie. – Catherine m'ayant piqué mon journal 2011, j'ai rouvert Le Docteur Jivago ; d'un strict point de vue littéraire, j'ai considérablement gagné au change. Je trouve quand même un peu curieux que, dans l'édition que je possède (Folio), aucun nom de traducteur ne soit mentionné.

– J'étais tellement furieux (après moi exclusivement) d'avoir perdu deux heures et demie devant le pitoyable film de Guillaume Canet, Les Petits Mouchoirs, que j'en ai fait ce matin, pratiquement dès mon lever, un petit billet ironiquement vengeur. Je me demande si ce Canet n'est pas encore plus insignifiant qu'Yvan Attal, ma référence en matière d'insignifiance jusqu'à présent. Encore que le nommé Klapisch ait lui aussi quelque prétention au titre.

– Demain, en début d'après-midi, Catherine ira chercher Élodie à Dreux, où Nicolas a une séance de dédicace de Cézembre, dans une librairie dont le nom m'échappe. Elle iront visiter, je crois, le château d'Anet, qui a le bon goût de se trouver sur le chemin du retour, avant de revenir jusqu'ici, où Nicolas nous rejoindra pour passer la soirée et la nuit, sitôt qu'il en aura fini avec ses admirateurs.


Samedi 17 novembre

Quatre heures et quart. –  Seul à la maison depuis… eh bien depuis ce matin, en fait, Catherine ayant “fait bonne du curé” jusqu'à midi, puis étant repartie dès deux heures afin d'aller chercher Élodie à Dreux. De là, elles avaient prévu d'aller visiter le château d'Anet, ce que ni Catherine ni moi n'avons encore pris le temps de faire, depuis douze ans que vous vivons quasiment au pied de ses murs. Elle ne devraient pas tarder, d'ailleurs, à me téléphoner pour me dire que c'en est fini, de cette visite, et qu'elle rentrent. Je les attends de pied ferme et l'âme sereine puisque je viens de me débarrasser de la tâche qui m'incombait, savoir passer l'aspirateur dans la maison afin d'en faire disparaître les poils de chiens ; poils qu'ils sont en train d'y remettre car, le temps ayant tourné à la pluie, il n'est plus question de sortir leurs paniers et tapis sur la terrasse. Nicolas, comme je crois l'avoir dit hier, nous rejoindra ici un peu plus tard, lorsque sera close la séance de dédicace dont il est le héros, dans je ne sais quelle librairie de Dreux.

– Comme je relis, mois par mois avec large pause entre deux, afin de ne pas trop m'en écœurer, mon journal 2011, il me semble bien que j'étais l'année dernière plus prolixe que je ne le suis cette année : il faudra voir cela lorsque 2012 sera terminée. Il est vrai que, ayant abandonné les BM, il y a déjà en moins mes sempiternelles jérémiades lorsqu'il s'agissait d'en écrire un (ou une, comme on voudra). Disparues également mes pleurnicheries à propos de ces journées d'interminable ennui que je passais au rewriting. Supprimée enfin mes récriminations financières concernant GdV, puisqu'il n'y a plus le moindre centime à espérer de ce côté-là. Donc, pour résumer, journal sans doute plus resserré mais nettement moins dolent. Et puis, il me semble aussi que j'accorde moins d'importance, et donc de lignes, aux blogs que je continue de lire ; ce qui est sans doute une bonne chose.

– La relecture de mon propre journal me lassant tout de même assez vite (de la même manière qu'un film déjà vu dont on s'imaginait avoir oublié toutes les péripéties, qui reviennent intactes à la mémoire sitôt la première image aperçue), j'ai alterné avec celle du Docteur Jivago, qui est vraiment un splendide roman russe.


Dimanche 18 novembre

Quatre heures et demie. – Soirée tout à fait conforme, hier, à ce qu'on était en droit d'attendre d'elle, avec Élodie et Nicolas, tous deux fort excités par la perspective d'un succès pour leur album de BD, Cézembre. Nicolas, fatigué par sa journée intensive de dédicace à Dreux est allé se coucher relativement tôt, puis Catherine, cependant qu'Élodie et moi poursuivions notre conversation du moment en achevant les bouteilles de vin qui n'étaient que blessées. En écoutant parler Nicolas, j'ai mesuré la chance qu'avaient les écrivains de pouvoir se contenter de quelques mots et d'une signature en guise de dédicace : pour les auteurs de bandes dessinées, il s'agit, à chaque fois, de se fendre d'un véritable dessin. Comme le style de Nicolas est très “léché”, cela lui prend évidemment un temps assez long pour chaque album. Les admirateurs qui viennent à ces séances savent du reste que cela risque de durer des heures, non seulement l'acceptent mais semblent très organisés et courtois : chacun dépose devant la table aux dédicaces son sac à dos ou son cartable, derrière ceux qui sont déjà là, alignés sur le sol. Puis, en fonction du nombre de sacs avant le sien, il estime de combien de temps il dispose et peut quitter la librairie pour vaquer à d'autres occupations. Et personne, apparemment, ne s'aviserait de “carotter” une place, même s'il n'a devant lui qu'une rangée de sacs…

Deux albums de Cézembre nous furent offerts, ce qui fit bien plaisir à Catherine sur le moment. Je dis “sur le moment” car, ce matin, après le départ des deux auteurs, elle a très mal admis qu'Élodie ait pu dédier son travail à une dizaine de personnes (dont son père et ses tantes…) mais pas à elle, sa mère. Cela l'a plongée dans une tristesse et un désabusement dont elle n'est pas encore sortie à l'heure qu'il est. Et je ne puis même pas la consoler car, pour moi-même, je trouve qu'elle a tout à fait raison de s'offusquer de cette absence tonitruante, si je puis dire. Absent de cette liste de dédicataires, je le suis aussi, mais la différence est que je m'en fous à peu près totalement. « Finalement, je crois qu'Élodie ne m'aime pas », a-t-elle fini par me dire ce matin. Là, je crois qu'elle se trompe. J'ai manqué de présence d'esprit sur le moment, mais j'aurais dû lui faire observer que, venant pour deux jours à Dreux, rien n'obligeait Élodie à le lui faire savoir. Et si jamais Catherine l'avait appris par un autre moyen, Élodie pouvait fort bien invoquer n'importe quel prétexte – le fait, par exemple, que Nicolas ait beaucoup d'amis à voir lorsqu'il revient dans cette région où il a passé de nombreuses années – pour ne pas venir chez nous : si elle est venue tout de même c'est bien parce qu'elle avait envie de passer cette soirée avec sa mère, il me semble.

– Sinon, n'ayant rien de mieux ni de plus urgent à faire, j'ai passé la journée, jusqu'à maintenant, à lire en alternance mon journal de 2011 et Le Docteur Jivago ; lequel me donne envie, ensuite, de lire ou relire quelques autres Russes – peut-être bien La Garde blanche de Boulgakov, qui m'avait été chaudement recommandée par un commentateur – Pascal Z, je crois bien – lorsque j'avais évoqué ma relecture du Maître et Marguerite, il y a quelque temps.

– Demain, il va commencer à devenir urgent que j'écrive les deux ou trois mille signes que je dois au bulletin paroissial, à propos des Trois contes de Flaubert.

– Long téléphonage, tout à l'heure, entre Catherine et ma sœur, laquelle vient de passer une semaine chez mes parents, à Sedan, pour aider ma mère à préparer ses cartons en vue de leur déménagement vers la Haute-Normandie, qui interviendra dès le milieu de la semaine prochaine. Apparemment, d'après ce qu'en dit Isabelle, ma mère, qui était pourtant un modèle d'efficacité et d'organisation en matière de déménagement, ma mère a désormais tendance à brasser du vent et à se perdre dans les détails les plus infimes. (Il s'agira de penser à virer cette phrase si, l'année prochaine, je réalise une version “papier” de ce journal à leur intention !) Bref, les 80 ans qu'elle aura le 2 janvier prochain commenceraient à se faire lourdement sentir.


Lundi 19 novembre

Sept heures et demie. – Je crois avoir noté ici que la V 70 était arrivée au garage Volvo d'Évreux avec pratiquement deux mois d'avance. À la personne qui m'en a averti, j'ai dit, il y a quelques jours, que j'étais tout à fait prêt à en prendre livraison dès maintenant, à condition que leur organisme de crédit consente à ce que je ne commence à payer les mensualités qu'en février, ainsi qu'il était initialement prévu, dans la mesure où, jusqu'en janvier, je dois continuer à honorer celles de la Mégane. Cette jeune femme m'a rappelé aujourd'hui pour me dire que c'était possible, mais que de ce fait le nombre de mensualités passerait de 60 à 58 et que leur montant en serait donc légèrement augmenté, ce qui me paraissait logique en effet. Ce qui l'est moins, logique, c'est qu'avec ce nouvel arrangement, je paierais finalement la voiture trois cents euros de plus qu'avec l'ancien. J'ai donc refusé tout net. Mon interlocutrice doit rappeler l'organisme de crédit demain afin de voir avec ces gens s'ils n'ont pas fait une erreur quelque part. Car, enfin, il nous paraissait profondément illogique, à elle comme à moi, qu'un bien quelconque puisse coûter plus cher alors même que l'on prétend en raccourcir le temps de paiement.

– Sinon, bien avancé dans la lecture de Jivago, dans la mesure où je n'ai vraiment rien fait d'autre de la journée.


Mardi 20 novembre

Sept heures vingt. – Tout à l'heure, dans la voiture me ramenant vers la maison, j'ai pensé à deux ou trois petites choses sans importance que je voulais noter ici. Sans importance elles devaient bien l'être puisque je ne parviens à me souvenir d'aucune.

– Comme il manquait, à mon arrivée, un petit quart d'heure avant que les pâtes destinées à accompagner le lapin (ce qu'elles firent ensuite fort bien) ne fussent cuites, ce qui ne laissait pas assez de temps pour se mettre à une vraie lecture, j'ai eu la curieuse idée d'ouvrir le Elle que je venais de rapporter pour Catherine (qui ne le lis pas, Dieu merci, mais s'en sert comme source d'inspiration pour les vêtements, les chapeaux, etc. qu'elle se confectionne ensuite elle-même), ce qui ne m'était pas arrivé depuis plusieurs années. Ce magazine qui n'a certes jamais été bien intelligent (“Le journal des pétasses”, disait Roger Thérond, le directeur des rédactions du groupe à l'époque Filipacchi…), mais alors là, c'est devenu un véritable cloaque à ciel ouvert. Il y règne le politiquement correct le plus échevelé, le plus ça-va-de-soi qu'on puisse concevoir, et même ne pas concevoir en ce qui me concerne ; on y génuflexionne devant Sa Majesté Obama, on ne perd jamais une occasion de flétrir tout ce qui ferait mine de ressembler à un homme ou une femme de droite, on récite des psaumes à la louange de ce christ rédempteur multi-fonctions qu'est l'immigré clandestin, et ainsi de suite. Le tout dans une langue répugnante qui, à force de se truffer de mots vaguement anglais tout droit échappés de l'enfer des pubards ou de la géhenne des modeux, finit par devenir totalement incompréhensible à tout individu tant soit peu normal. Et je ne dis rien des titres d'articles, qui pratiquent le jeu de mots superfétatoire et systématique, lequel tombe absolument à plat au moins une fois sur deux. Je ne sais pas à quoi ressemblent les malheureuses créatures qui achètent chaque semaine cette chose gluante, mais il est sûr que, en retour de leur argent, Elle fait beaucoup pour leur abêtissement et leur aliénation. En revanche, travaillant dans le même immeuble que ces dames, je sais très bien à quoi ressemblent les folliculaires qui officient entre ses pages – et c'est déjà un début d'explication du résultat final.

(J'ai eu un instant la tentation de transformer le paragraphe ci-dessus en un petit billet pour le blog-mère, quitte à l'étoffer un peu, ce que je n'ai nulle envie de faire ici. Puis, je me suis souvenu que mon blog était lu par quelques personnes appartenant au même groupe que moi, mais que je ne savais, en fait, ni combien, ni surtout lesquelles. J'ai donc prudemment renoncé : ce n'est pas qu'il me déplairait de désappartenir à cette communauté-là, mais enfin il y a la manière et les modalités, tout de même…)

– Au chapitre, désormais récurrent : “la vieillesse est un naufrage et j'ai oublié ma bouée sur le quai”, j'ai dû lire, après mon déjeuner, pourtant léger, trois pages du Docteur Jivago avant de sombrer irrésistiblement dans un sommeil voisin de l'hébétude de l'idiot.

– C'est désormais officiel : en tant que service constitué, le rewriting de FD cessera d'exister le 31 décembre prochain à minuit (même si j'espère que, pour ce dernier jour, les filles pourront le quitter largement avant cette heure-là). J'y suis pour ma part entré il y a trente ans et deux mois, pour le quitter en 2011, également le 31 décembre à minuit, officiellement.


Mercredi 21 novembre

Sept heures et demie. –  Il y a dix minutes, Catherine me parlait d'une commentatrice, sur je ne sais plus quel blog, qui abordait le sujet des femmes tunisiennes, désormais plus ou moins (plutôt plus que moins, apparemment) obligées de se voiler, dans la rue, à l'université, etc., c'est-à-dire exactement ce qu'on avait malheureusement prévu pour elles, au moment où ont éclos ces merveilleux “printemps arabes” de l'année dernière. Et elle me demandait, parce qu'elle ne les lit pas,  ce qu'en disaient ces blogs d'islamolâtres extrême-gauchistes qui avaient alors applaudi à tout rompre à cette merveilleuse libération.

Je lui ai répondu la vérité : rien. Si j'en juge par exemple à l'aune de mes Ruminants, ils n'en pensent rien, puisqu'ils n'en disent rien. Ils parlent d'autre chose, ça n'est plus tellement amusant, les “printemps”, qu'ils soient arabes ou non. Ils ne doivent même pas être au courant du carcan qui est en train de se refermer sur les Tunisiens, les Libyens, les Égyptiens, et notamment sur leurs composantes féminines, sinon leur silence volage serait moins assourdissant, je crois. En réalité, je pense qu'ils s'en foutent. Ils sont comme ils ont toujours été : absolument insoucieux des gens, des peuples, et de la manière dont on va leur broyer les orteils. Ce qui compte, c'est ce qui cadre plus ou moins avec leur démence idéologique, cette image qu'ils ont du monde depuis un demi-siècle au minimum et que chaque événement s'acharne à démentir. Exemple : explosion dans un pays arabe, manifestement téléguidée dès le départ ou presque par les fascislamistes locaux ; traduction gaucho-bourgeoise : merveilleuse éclosion d'une liberté inattendue et joyeuse ; réalité “sur le terrain” : poigne de fer d'une religion rétrograde se refermant sur tout un pays, et notamment ses éléments les plus faibles ; traduction gaucho-bourgeoise : rien… le silence… on passe à autre chose… comme ces gens nous ont déçus… voyons ailleurs… Attendons l'été sud-américain… l'automne asiatique… un éventuel hiver martien… Comme tous ces gens sont décevants, au fond… On leur avait pourtant expliqué…

– Changement à FD, qui n'est pas vraiment un changement : à compter de la semaine prochaine, j'y serai du lundi au jeudi (sans y aller le jeudi) au lieu du mardi au vendredi (sans y aller le vendredi), comme c'était le cas depuis presque un an. Il va de soi que ça ne change absolument rien pour moi – en dehors du fait qu'on ne m'a pas imposé ce changement mais que l'on m'a demandé si j'y consentais, ce que j'ai fait bien volontiers, dans la mesure où je m'en fous éperdument.


Jeudi 22 novembre

Sept heures vingt. – Je le note afin que cela reste à jamais gravé dans la mémoire des hommes actuels et de leurs descendants : pour ce soir, Catherine avait fait mijoter durant des heures une queue de bœuf au vin rouge accompagné de carottes qui s'est révélée absolument sublime – et je n'exagère rien.

– Moins sublime fut mon trajet de ce matin : à la suite de je ne sais quel événement ou manifestation probablement stupide, les Champs-Élysées avaient été fermés à la circulation automobile. Bien entendu, les embarras consécutifs n'ont pas tardé à se répandre alentour et, de proche en proche, à gagner le souterrain de la Défense, les quais de Seine qui bordent Neuilly et Levallois, etc. Bref, bordel innommable pour arriver jusqu'à mon bureau, où, ironie désormais bien connue, aucun travail ne m'attendait ni ne m'a ensuite rejoint. J'en ai profité pour écrire les deux mille cinq cents signes que je devais au bulletin paroissial, à propos des Trois contes de Flaubert.

– À compter de demain, lectures piafesques, en vue des cinquante mille signes que je vais devoir écrire sur la chanteuse d'ici fin décembre (en trois livraisons). À ce propos j'ai entamé un échange de mails avec Philippe B, au sujet de la façon dont j'allais être dédommagé pour ce gros travail sortant assez nettement de mon ordinaire. Dans mon esprit, il s'agissait soit d'être payé – auquel cas trois mille euros me paraissaient raisonnables –, soit de considérer que cela remplaçait mon travail habituel, et je lui suggérais de m'accorder alors trois semaines de “vacances” supplémentaires, durant lesquelles je travaillerais sur Piaf sans sortir de chez moi. Il m'a fait une première réponse pour me dire, assez bizarrement à mes yeux, que trois semaines n'étaient pas dans ses moyens. Et il me proposait dix jours, soit deux semaines. Pensant qu'il s'agissait bien de m'accorder des jours de dispense levalloisienne, je lui ai fait observer que, ma semaine n'étant officiellement que de quatre jours, c'était en réalité deux semaines et demie qu'il devait m'accorder. Or, il y a une heure, il m'a fait cette réponse : « Oui, 10 jours travaillés = 2 semaines et demie d’un mois soit 5 week-ends de permanence en rab. » Là, je n'ai d'abord rien compris à cette irruption de week-ends dans notre affaire. Puis, je me suis souvenu que, lorsque les reporters devaient travailler les week-ends, ils étaient payés en plus. Ou bien ils les récupéraient mais avec “bonus”, je ne sais plus trop. Bref, je ne suis pas plus avancé qu'au début et ne sais toujours pas ce qu'il a en tête. Les voies des patrons sont parfois peu pénétrables, en tout cas rarement rassurantes.


Vendredi 23 novembre

Six heures et quart. – Rien à noter ici, mais alors rien de rien ; et si m'y voilà tout de même, c'est bien pour dire qu'il me faut retarder au maximum le moment de mon premier verre, Catherine ne devant rentrer de messe qu'à huit heures : le drogué ruse avec sa seringue. Néanmoins, puisque nous y sommes, autant essayer d'y laisser quelques traces. Mais que dire, mon Dieu ? Devrais-je vraiment parler du numéro de clowns de l'UMPiste aux étoiles ? Du mariage pourtousse ? Des quatre feuillets écrits cet après-midi ? Des cinq qui le seront demain ou dimanche ? De la pluie qui n'a cessé de choir depuis ce matin ? Faut-il revenir sur la sublime queue de bœuf aux carottes qui fut mangée hier soir ? Est-il permis d'évoquer le silence quasi tombal de ce bureau ? La lampe suspendue qui marque le coin ouest de la maison telle une lanterne de boxon Belle Époque ? La satisfaction des chiens digérant au salon sous l'œil ennuyé du chat assis sur le radiateur ? Le fouillis de post-it et de relevés bancaires qui encombrent ce bureau ? La corbeille à papiers qui déborde, et dont je sens bien que je ne la viderai pas encore ce soir ? D'Édith Piaf ? Du docteur Jivago ? Des livres, lus ou non, qui s'entassent et se taisent ? Des symphonies comprimées dans cet ordinateur béant ? Des traces qu'ont laissées certaines gens dans des chemins immatériels, et qui s'effacent ?

Huit heures. –  J'avais à peine décidé de transformer le paragraphe précédent en billet sur le blog-mère qu'un double pinceau balayant de phares m'indiquait que Catherine était de retour, alors qu'il était à peine sept heures moins le quart : pas de messe. Du coup, nous avons pris l'apéritif ensemble (car nous l'avons pris tout de même, il ne faut pas pas mollir sur les fondamentaux). Durant cette alcoolisation douce et conjointe, elle m'a rappelé que, demain, les déménageurs allaient vider la maison de Sedan et que, dès ce soir sans doute, mes parents étaient réfugiés chez Annie et Bernard, mes oncle et tante, à Balan. Puisqu'on en parlait, Catherine a tenté de joindre ma mère : rien à faire.

Pendant ce temps, j'imaginais que ma mère, dès dimanche, allait se précipiter dans sa maison (qui, toujours d'après Catherine, ne sera officiellement vendue que mercredi) afin de la briquer du sol de la cave au plafond du grenier. Elle a 80 ans ou presque, elle risque de s'y casser les reins, mais aucune puissance au monde, je le crains, ne serait capable de la persuader de donner quelques sous à n'importe qui pour accomplir à sa place un travail de cette ampleur. Ça ne sert évidemment à rien que je l'appelle pour lui dire de se décharger de cette corvée : elle ne le fera pas. D'un coup, cette impuissance (la mienne) et cette invariance (celle de ma mère) m'ont plongé dans une sorte de tristesse grisâtre que je serais bien en peine de définir.

(Là-dessus, je viens de balancer un paquet de cigarettes vide dans ma corbeille déjà dégueulante, et naturellement il est tombé à côté, comme les trois ou quatre dernières choses que j'y ai jetées : je suis aussi obstiné que ma mère. Un jour, proche ou moins, je serai peut-être ému par ce trait commun.)

Et mon père ? Où en est-il, de ce déménagement ? Est-ce que cela l'excite encore assez pour qu'il continue de vivre ? Je veux dire : maintenant que cela se fait réellement, est-ce qu'il y pense encore ? Oui, sans doute, tant qu'ils sont toujours dans les Ardennes, mais après ? Dès qu'ils seront arrivés dans leur ultime maison ? Pendant quelques semaines, disons ; le temps de suspendre les outils dont il ne se sert plus dans le sous-sol. Je pense que ce sera rapide, dramatiquement rapide. La vie semble ne plus l'intéresser du tout, Isabelle nous a confirmé cela. Et c'est à partir de là que je ne comprends plus très bien ce qui se passe.

J'admets fort bien qu'on se détache de la vie quand on s'approche de sa propre mort. Mais pas lui. Pas mon père. Et pourquoi, pas mon père ? Pourquoi pas lui ? La réponse est pénible pour moi : parce que j'ai toujours pensé que cet homme n'était pas capable de penser sa mort. C'est-à-dire que le fils que je suis a pris son père pour un con – disons les choses brutalement. Je n'ai pas envie de remonter dans ce journal, à la date où je disais (c'était en 2011, le jour où Catherine et moi avons invité mon père au restaurant, à Carignan) qu'il – ma mère n'étant pas là – avait parlé de sa propre mort. Et il l'avait fait d'une manière si discrète, si conforme à l'image que j'ai de lui, que là, en parlant, je regrette de n'avoir pas “rebondi”.

Mais comment “rebondir” ? Surtout quand on n'est certain de rien ? Est-on sûr de quoi parlait cet homme qui, finalement, n'a jamais parlé de lui-même, ou si peu, quand, entre l'entrée et le plat, il déclare que sa vie lui a convenu ? Qu'il

(Appel téléphonique de ma mère. Ils étaient chez leurs voisins d'en face, pour une sorte d'apéritif d'adieu. Tous semble se dérouler à merveille. Elle m'a assuré que, dimanche, elle ne ferait rien de plus que de “passer un coup d'aspirateur” dans leur maison désormais vide. Signature de la vente mercredi. Puis, départ pour la Normandie, où ils passeront deux jours chez Isabelle, jusqu'à la signature d'achat de leur nouvelle maison. Voix très jeune de ma mère.)

Que disais-je avant ? Je remonte lire. J'essaie de reprendre : “Qu'il”. Qu'il quoi ? Qu'il a été heureux ? Oui, si je me souviens bien, c'est ce qu'il a dit ; en tout cas sous-entendu ; glissé entre deux phrases. Il me semble que j'ai bien fait de ne pas “rebondir”, qu'il ne le souhaitait pas. Mais qu'est-ce que j'en sais ? Est-ce que je connais mon père ? La réponse arrive toute seule, évidemment : non. Que s'est-il passé dans la tête de cet homme durant quatre-vingts ans ? Qu'est-ce que j'en sais ? Rien. Disons : à peu près rien. Est-ce que j'ai la moindre idée, par exemple, de la façon dont il pensait à sa propre mère, cette grand-mère qui me fut la plus proche, “Mémé Denise” ? Non, aucune. Et je commence à voir que, lorsqu'il sera mort, je vais pleurnicher comme un crétin, dans le genre : « Bou-ou-ouh ! j'ai jamais parlé avec mon papa ! » Pitoyable. Triste. Probablement inévitable.

Mais, aussi, lui non plus n'a jamais parlé avec moi, si l'on veut. Et c'est peut-être bien pour ça que l'idée d'avoir des enfants ne m'a jamais vraiment séduit (litote…) : les enfants, ce sont (peut-être, hein, juste peut-être…) ces personnages à qui vous ne pouvez jamais parler, parce qu'ils sont juste là, et tout le temps là. Est-ce qu'on peut parler à ses enfants ? Même, est-ce qu'on le doit ? Et pour leur dire quoi, surtout ? Ils appartiennent, dès le départ, à un monde qui ne sera pas le vôtre ; dès lors, quoi leur apprendre ?

Je ne sais pas, je m'en fous ; j'ai raté cet épisode de ma vie, apparemment. Et j'en suis plutôt satisfait : de toute façon, je les aurais certainement ratés, ces petits cons.


Samedi 24 novembre

Trois heures et demie. Je suis venu m'installer devant cet ordinateur dans le but proclamé de procéder à une ultime relecture (la troisième…) de mon journal d'octobre, avant publication la semaine prochaine. J'en ai effectivement lu quatre jours, avant de refermer le document, écœuré de ces platitudes que je connais par cœur et qui me sortent par les yeux. Deux lectures suffiront, onvadir.

Sept heures et quart. – Je viens d'écouter, sur le net, La Chanson de Lara interprétée par les Compagnons de la chanson, en 1965 ou 66, en direct dans une émission de télévision. C'est un 45tours qui doit toujours se trouver chez mes parents, et qui me ramène à nos années allemandes et à mes dix ans. J'en ai été quelque peu ému, chose que je refuserais d'avouer en public, même la tête sur le billot. Mais ici, n'est-ce pas…

– À propos de Lara, il commence à me tarder d'arriver au bout du Docteur Jivago : presque sept cents pages, c'est un peu beaucoup, il me semble. Le plus gênant est peut-être le fait que, dans cette Russie immense, où l'on voyage de Moscou à la Sibérie en passant par l'Oural, dans ce pays de surcroît dévasté par la guerre civile et le chaos communiste, Jivago ne peut faire un pas sans tomber sur une personne de sa connaissance. D'un autre côté, c'est la même chose dans Don Quichotte ; mais la Manche que parcourt le chevalier errant est évidemment une contrée mythique, alors que, là, on se trouve dans la Russie réelle.


Dimanche 25 novembre

Huit heures moins vingt. – J'avoue que je ne me souviens pas de ce que j'avais pu penser du Docteur Jivago lorsque je l'ai lu pour la première fois, il y a une dizaine d'années. Mais j'ai été, cette fois-ci, assez largement déçu, au bout du compte. Je pourrais essayer de cerner les raisons pour lesquelles je l'ai fini avec lassitude et l'esprit ailleurs, mais à quoi bon ? Autant il peut être intéressant éventuellement de démêler et d'établir ses motifs d'admiration d'un livre, autant le faire pour un qui vous a laissé à peu près de marbre me semble peine inutile. Donc, adieu Pasternak. Je suis immédiatement passé à La Garde blanche de Boulgakov qui, après une cinquantaine de pages, me semble autrement excitant. Mais attendons encore un peu.

– J'ai également travaillé une couple d'heures cet après-midi, pour Enquêtes, mais je commence également à être fatigué de répéter toujours la même chose, à savoir que l'article s'est écrit sans problème. Réservons-nous pour les jours où il en surviendra, des problèmes (ou doit-on dire des soucis, désormais ?).

– Par ailleurs, et avant le travail sus-évoqué, j'ai finalement surmonté le vague écœurement qui m'avait saisi hier et mené à bien la troisième relecture du journal d'octobre.


Lundi 26 novembre

Sept heures et demie. – Ce soir et demain, sur la chaîne Histoire, deux émissions de deux heures chacune, consacrées aux premiers chrétiens. Le sujet est évidemment intéressant, mais nous tremblons, Catherine et moi, de tomber sur l'un de ces “docu-fictions” ridicules auxquels il est de plus difficile d'échapper de nos jours. Si c'est pour contempler douze intermittents du spectacle vêtus sommairement de toile de jute et les cheveux hirsutes leur tombant aux épaules, tentant de nous faire croire qu'ils sont les apôtres du Christ, le tout noyé dans une musique sirupeuse et trop forte, je préfère encore revoir pour la cinquième fois le Clint Eastwood passant sur la chaîne voisine. On va quand même tenter le coup. Mais il est tout de même prodigieusement irritant et déprimant de constater qu'il n'est plus possible de se voir proposer un documentaire simple, à l'ancienne. Par exemple, dans le cas qui nous occupe ce soir, où l'on nous donnerait à voir les paysages où se déroule l'histoire qui est exposée, des témoignages architecturaux, des œuvres d'art, des manuscrits, etc. ; plus la trombine des archéologues, historiens, théologiens, dont on est allé solliciter la compétence – et rien de plus. Mais c'est demander la lune, j'en ai peur.

– Explication en “direct live” avec Philippe B, cet après-midi, à propos de la façon dont je vais être dédommagé pour mon travail sur Piaf du mois de décembre. Ce sera bien sous forme de piges et non de jours “chômés”. Ce que je ne parvenais pas à comprendre, en fait, c'était le tour de passe-passe comptable destiné à faire accepter à la direction cette petite dépense supplémentaire. Le tour en question c'est un peu moi qui en suis victime, comme de juste, puisqu'il ne me sera alloué que 2300 euros au lieu des 3000 que j'avais assez fortement suggérés comme prix de mon labeur. Le second résultat de cette affaire est que, devant donc mener ce travail à bien en plus de celui courant, et non à la place, il ne me reste plus tellement de temps que ça pour m'y mettre sérieusement.


Mardi 27 novembre

Sept heures et demie. – M'attendait ce soir dans ma boitamel un mot du Pélicastre jouisseur, blogueur que je tiens en haute estime depuis déjà un moment, par lequel il me proposait, lors de notre prochaine visite ardennaise, un “déjeuner triangulaire” avec Ygor Yanka. L'idée est évidemment séduisante. Le problème est que, demain ou après-demain, mes parents auront quitté définitivement Sedan pour la Seine-Maritime (et je m'aperçois que j'ai déjà oublié le nom de leur prochaine villégiature) et que, par conséquent, nous n'aurons plus de raison de nous y rendre. Il faudrait donc y aller spécialement pour ce déjeuner, ce qui fait tout de même un peu beaucoup de frais et de fatigue pour une entrée, un plat et un café…


Jeudi 29 novembre

Sept heures et demie. – En vrac : dernière tonte du jardin, cet après-midi, parce que le soleil brillait depuis le matin. Résultat : l'herbe était tout de même trempée, mais suffisamment courte pour se laisser tondre. Ensuite : envie d'un apéro, et recherche d'une raison de le prendre. Facile : mes parents ont, hier, vendu leur maison de Sedan, et sont désormais réfugiés normands chez Isabelle. Ils signent l'achat de leur maison de Fontaine-le-Dun demain ou après-demain (j'ai déjà oublié et cela importe peu).

– Donc, s'est produit ce à quoi je ne croyais pas : mes parents vont en effet terminer leur vie en Normandie et non dans les Ardennes. Et je repense à tous les arguments que j'ai pu développer, depuis un an ou deux, pour affirmer comme un crétin que mes parents ne quitteraient jamais Sedan. Eh bien, c'est fait. Je suis à la fois très content de ce déménagement et consterné de ma propre sottise. Que dire de plus ? Content pour mon père ? Oui, évidemment : c'est lui qui, le plus ardemment, souhaitait ce rapprochement avec Isabelle. Il y est : cela va le soutenir, l'exciter durant au moins quelques semaines, j'espère quelques mois.

Mais, comme je le disais tout à l'heure à Catherine, ce qui est le plus beau, dans cette histoire, c'est que ma mère semble en revivre, alors qu'il me semblait que tout blocage venait et viendrait d'elle. Elle a retrouvé une voix de jeune fille, ou si l'on veut : de femme, claire, venant de loin, pour moi.

Bref, je n'ai rien compris. De bout en bout de cette histoire j'ai joué le fils aîné qui domine la situation, et je n'ai rien compris. Je pense qu'il serait temps que je ferme ma gueule, que je laisse mes parents vivre doucement et tranquillement leur dernière portion, en cessant de faire semblant de comprendre quoi que ce soit à ce qui se passe.

Nous sommes censés aller découvrir leur nouvelle maison vers le 15 décembre, parce que ce sera l'anniversaire d'Isabelle, et que j'ai suggéré cette date pour cette raison.


Vendredi 30 novembre

Six heures et demie. – J'ai commencé, hier ou avant-hier à relire mes billets de blog depuis l'origine, soit depuis 2007, afin de voir s'il y aurait moyen (et intérêt quelconque) à en tirer une sorte d'anthologie qui serait ensuite imprimée, via Booksmart comme pour le journal. Travail de longue haleine car j'ai beaucoup trop écrit, heureusement pour ne pas dire grand-chose, le plus souvent, ce qui me permet de parcourir la majorité des billets suivant une diagonale très pentue. Je suis arrivé à février 2008, en ayant commencé à novembre 2007, date à laquelle j'ai supprimé mon premier blog (mais les textes sont conservés quelque part) pour ouvrir l'actuel. Et je me dis déjà que si cette anthologie ne couvrait que les années 2007, 2008 et 2009, ce serait sans doute suffisant. Quitte à faire un second volume ensuite, dans le cas d'un formidable succès mondial du premier. J'ai sélectionné déjà quelques billets dont le sujet est “les blogs” : je me demande si je ne ferais pas mieux d'éliminer tout à fait cette partie-là. On verra, on verra, ne nous précipitons pas…

– Comme chaque année à cette époque, j'ai beaucoup de mal à me persuader que les jours ont commencé à rallonger.

Neuf heures vingt. – Mais quelle andouille (comme me l'a fait remarquer il y a une minute Catherine) ! Ce n'est pas le 25 novembre que les jours se mettent à s'éployer, mais le 25 décembre, bordel ! Que rajouter, là-dessus ? Rien, évidemment.

– Bien entendu, puisque apéritif il y a eu, on pourrait parler de choses et d'autres. Par exemple, je pourrais m'étendre sur le fait que, depuis deux jours, je me relis. C'est un phénomène bizarre, que je compte prolonger. Je relis des choses terribles, tellement elles sont nulles, mal écrites, entachées de facilités qui me font honte. Et puis, de temps en temps, une quinzaine de lignes que je trouve plutôt pas mal. Mais ce n'est même pas l'important.

Ce qui est bizarre, c'est de relire non les billets, mais ses commentaires. il ne s'est pourtant pas passé beaucoup d'années, pourtant les morts jonchent le sol. Plusieurs catégories de morts. Ceux dont on se souvient très bien, mais qui ont disparu des écrans : Balmeyer, Zoridae, par exemple.

Ceux dont on se souvient qui ils étaient mais qui ont eux-mêmes disparu, plus profondément : LinaLoca, que j'aimais beaucoup.

Ceux dont on se souvient qu'on les a aimés, mais on ne sait plus qui ils étaient, mais alors plus du tout – et quand on “clique” sur leur nom, on aboutit à un blog qui n'existe plus. Par exemple, qui se souvient de qui était BBC ? Apparemment, je l'aimais beaucoup, dans ces années 2007-2008 que je parcours depuis hier : j'ai oublié.

Il y a d'autres choses, plus cocasses, évidemment, quand on balaie le spectre. Par exemple, je m'amuse de savoir à quels moments j'étais ami avec Jérôme Vallet et à quels autres je devenais une grosse merde aux yeux du même. Dans ces années que je passe en revue, ça n'arrête pas de changer, par exemple, c'est assez drôle. À tel mois de telle année, je dispose de douze commentaires de “George” par jour. En plus, par moment, il se laisse aller à une certaine admiration imbécile : il me félicite de ce que je viens de publier, il reproduit sur son blog ce que j'écris sur le mien. D'une certaine manière, il m'admire (et je me demande bien pourquoi). Puis il disparaît d'un jour sur l'autre. et je suis bien sûr que, si j'avais encore accès à son blog de l'époque, j'y trouverais aux mêmes dates de longs billets expliquant à quel point on ne peut pas faire pis que moi comme raclure du genre humain. Les hommes sont parfois un peu curieux à observer.

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