ÉMERGENCE DU PHOQUE
Lundi 1er
octobre
Huit heures. –
Alors, bon, cette journée passée sur un bateau, je
l’appréhendais, il faut bien le dire : peur d’être malade, crainte de
l'ennui, circonspection face à ces gens inconnus avec qui j’allais
devoir partager ces quelques
mètres carrés flottants durant des heures. Et, finalement, excellente
journée,
agréable en tous points. Dominique, le nautonier, était fort agréable,
connaissant son affaire, ayant des
choses à dire, à nous apprendre, mais n’en abusant pas (la règle des douzièmes,
pour la marée, il faut que je note ça, mais pas ce soir…). Nous avons participé
activement au maniement de ce sardinier reconverti en promeneur de touristes
(tirer des bords, tout ça…). Je me suis retrouvé à tenir la barre au moment où
il s’est agi de se faufiler entre les îles et les bateaux à l’arrêt (à
l’ancre ?) pour aller s’immobiliser dans le but de déjeuner. La chose
était un peu stressante, au moins au début, mais finalement tout à fait
excitante : diriger ce gros machin à voiles m’a plu au-delà de ce que je
pensais.
– La promenade en
elle-même : beau cirque de rocs, superbe opposition de couleurs entre
les rochers jamais recouverts par la marée et les autres, qui donne
l’impression d’un rayon de soleil, même lorsqu’il n’y en a aucun.
– La chance : lorsque
nous étions à l’ancre, au moment du déjeuner, est soudain apparu une sorte de
tête de labrador à la surface de l’eau : c’était un phoque. Il est revenu
deux fois avant de disparaître définitivement. Pendant ce temps, les bébés
goélans se tortoraient notre gras de jambon, en poussant des cris qui
ressemblaient à ceux de Bergotte.
– Yann Savidan, homme charmant, toujours inquiet de
savoir si cette journée nous convenait, comme s’il en était responsable. Peu
parlé, forcément, à cause du vent, du bateau, de la mer, etc.
Mardi 2 octobre
Quatre heures et demie. – On le voit à l’heure de cette entrée : partis
du gîte à dix heures ce matin, nous n’avons pas abusé de notre permis de
visite. (Je le disais à Catherine en rentrant : « À l’heure qu’il est,
Renaud Camus aurait encore le temps de découvrir une petite dizaine de
châteaux, dont les trois derniers à la lueur des phares de sa voiture. »)
Néanmoins, nous avons vu beaucoup de belles choses, la côte de granit rose à
marée basse, avec ses amas de rochers déchiquetés, ses bateaux échoués sur le
sable et ses très jolies maisons.
(Maisons très jolies et fort
peu chères : Catherine et moi (mais surtout elle) avons été repris d’un
violent prurit immobilier et déménageur, en épluchant les vitrines des
agences…)
Cela étant, nous avons tout de
même joué un peu de malchance. Arrivant à Tréguier vers onze heures et demie,
nous sommes montés directement à la cathédrale. Mais, comme je voulais que nous
déjeunions à midi précise, afin d’être les premiers clients de la crêperie élue
et, donc, y passer le moins de temps possible (ce qui a bien été le cas), nous
n’avons fait qu’un rapide tour de l’édifice en nous promettant d’y revenir
sitôt notre repas terminé. Hélas, lorsque nous sommes remontés, la cathédrale
était fermée. Il nous faudra donc faire un nouvel arrêt à Tréguier, demain, en
revenant de notre déjeuner avec Lediazec, à Perros-Guirec ou dans les environs,
je ne sais pas encore, il faut que je l’appelle tout à l’heure. Quant à la
maison de Renan, elle était, elle, carrément aux abonnés absents depuis le 30
septembre et jusqu’en avril prochain.
Fermée également était la
chapelle Saint-Gonéry, à Plougrescant, avec son étrange clocher tordu. Comme il
était une heure et demie et qu’elle ne rouvrait que deux heures plus tard, nous
n’avons eu ni le courage ni la patience d’attendre – d’autant que, dans
l’intervalle, il s’était mis à pleuviner avec une insistance toute bretonne.
Il reste que la journée fut
fort agréable, bâtie sur le modèle qui a finalement notre préférence, à
Catherine et à moi : assez peu de kilomètres parcourus, à petite vitesse,
avec des haltes nombreuses et aussi variées que possible.
Neuf heures moins le quart. – Catherine vient d’aller se coucher, je ne vais sans
doute pas tarder à faire pareil. La différence est qu’elle a dîné et que,
comme tous les autres soirs depuis notre arrivée ici, je vais me dispenser de
cette corvée. Manger m’emmerde, de plus en plus. Ou alors, très vite, debout
dans la cuisine. Mais les vrais repas m’ennuient profondément. Ainsi, à midi,
dans cette crêperie où nous n’avons pas passé plus de trois quarts d’heure, eh
bien j'ai tout de même trouvé le temps long durant au moins quinze minutes : à peine
assis, affamé, je n’avais plus qu’une envie, c’est d’en sortir rassasié. Je
n’ai plus le goût d’aller dans ces restaurants “étoilés” où l’on passe deux
heures, en mangeant excellement, bien sûr, mais en ayant l’impression de
participer à une sorte de messe, de liturgie à laquelle au fond on ne comprend
pas grand-chose, et dans laquelle on se morfond un peu.
– Nous avions plus ou
moins prévu, demain, d’inviter Lediazec (et sa compagne si elle était des
nôtres) dans un restaurant de son choix. Lorsque nous nous sommes parlés au
téléphone, tout à l’heure, il m’a annoncé que nous étions attendus chez eux,
qu’il avait déjà commencé à préparer notre déjeuner de demain, etc. Bref, un
vrai Espagnol, qui sait ce que recevoir signifie. J’en ai été très heureux, par
principe, même ne sachant pas si nous allons nous entendre (mais pensant que
oui), parce que ce Rodolfo me fait remonter Juan à la surface, d’une certaine
façon, ne serait-ce que parce qu’il a grosso modo l’âge qu’avait ce dernier quand je
l’ai connu.
Là, on va me dire (je ne sais
pas qui est ce “on”, je ne fréquente pas ce genre de “on”) que ce type a une
vision de l’homme et du monde radicalement différente de la mienne. En langage
“bloguesque”, il est une saloperie
de gauchiste, et moi une ignoblerie de réac nauséabond. Bon. C’est sans doute
vrai. Mais il me semble tout de même assuré que nous avons un certain nombre
d’atomes plus ou moins crochus, un passé vaguement commun, une envie d’échanger
des mots et des phrases. Demain, nous nous soucierons assez peu, je crois, de
savoir qui est le réac et qui est le gauchiste ; en tout cas, moi, je n’en
aurai rien à foutre, j’en suis bien persuadé.
Mercredi 3 octobre
Huit heures. – Cette journée aussi fut parfaite, malgré la pluie
qui n’a guère cessé, mais a eu l’élégance de s'interrompre presque à
chaque fois que nous avons eu l’envie de mettre le nez dehors.
– Lediazec, tout d’abord. Là,
j’ai envie de replacer un couplet sur Juan Horcajo, juste pour ennuyer
Catherine qui, ce matin, dans la voiture, m’a reproché d’en avoir fait des
tartines sur lui hier soir, ici même. Je ne pouvais pas me défendre car,
évidemment un peu saoul au moment où je suis venu dans ce journal, je ne me souvenais
même plus d’avoir évoqué mon vieux maître mort. Or, que constatai-je, il y a
deux minutes, en relisant l’entrée d’hier, plein d’appréhension ? Que j’y
faisais à peine une discrète et fort brève allusion. Donc ma femme est
mesquine, la cause est entendue et jugée.
– Cela étant, ce vieux
Rodolphe et sa voix rocailleuse m’ont rappelé Juan à plus d’une reprise, durant
ces quelques quatre heures que nous avons passées ensemble, chez Martine, sa
femme (ou sa compagne ? Fuck ! j’ai déjà oublié…) et lui. C’est un putain de
bavard (« Comme toi ! », dirait Catherine, si elle n’était déjà au lit et lisait
par-dessus mon épaule), mais éminemment chaleureux. Nous n’avons évidemment pas
parlé de politique, ou fort peu, et chaque fois que nous l’avons fait cela
s’est terminé par un éclat de rire. En plus on a fort bien déjeuné et bu très
raisonnablement, ce qui était parfait pour moi, qui conduisais. (Les petits
cons fielleux et moralisateurs, du genre CSP, ne s’imaginent pas à quel point
un “alcoolique” dans mon genre n'éprouve aucune difficulté à boire peu ou pas.)
La maison de Rodolphe lui
ressemble, et Martine y est partout présente. Je veux dire que c’est un foutoir
chaleureux avec des tableaux dans tous les coins de surface (oui, oui :
chez certaines gens, il y a bel et bien des “coins de surface”), un endroit
cerné de murs et de baies vitrées, au-delà ceinturé de végétation assez
anarchique (ce qui est bien le moins), où la vie s’éploie, sans faste ni
apprêt, tranquille d’après ce qu’en juge le visiteur impromptu, plutôt en
pantoufles ou en chaussures de marche qu’en escarpins de chez Weston. (Mais
moi, en tant que vieux réac, j’avais les miens, d’escarpins Weston ; faut
pas déconner non plus.) Il y a des
recoins, des choses qui traînent, mais prêtes à resservir, on le sent, on le
voit. Et, un peu partout, dessins et tableaux de la maîtresse de maison, que
l’on est libre d’aimer ou non, et ce n’est certainement pas moi, bœuf que je
suis en matière d’art pictural, qui me hasarderai à un jugement à leur sujet.
– Le déjeuner terminé – il
était à peu près trois heures et demie –, nous avons décidé de lever le camp,
dans la mesure où nous devions être de retour au gîte avant l’arrivée d’Élodie
et de Nicolas, qui auraient sans doute apprécié modérément de trouver porte
close et de nous attendre sous la pluie. De toute façon, le frère de Rodolphe
(qui ressemble assez étonnamment à Ygor Yanka) et sa petite famille venaient
juste de débarquer, et nous n’avions aucune raison de nous incruster dans cette
réunion. Escortés par eux (les deux hommes) jusqu’au bord de mer, nous avons donc
repris la route de Paimpol (en breton : Pempoull. Depuis cinq jours, dès qu’un panneau indicateur se
présente à mes yeux, je mets un point d’honneur à fredonner, tel un Mayol sans
houpette : “Viens Pempoull, viens Pempoull, viens…”, pour la plus grande
joie de Catherine : nous sommes restés des gens à bonheurs simples).
Cinq minutes plus tard, appel d’Élodie nous disant qu’ils ne seraient pas chez
nous avant au moins six heures. Du coup, demi-tour et direction les granits
roses de la côte du même nom, Ploumanac’h, Trégastel et autres lieux, avec
promenade à pied entre ces impressionnants amas rocheux que l’on trouve là,
Dieu et quelques géologues savent pourquoi. Ensuite retour, après un crochet
par Bréhec pour voir à quoi ressemble le restaurant “Chez Tonton”, que l’on
nous avait vanté mais dont le nom inquiétait Catherine, et où nous comptions
inviter Élodie et Nicolas demain midi. Il était encore fermé à l’heure où nous
passâmes (six heures moins le quart), mais il avait bonne allure ; et je
nous ai réservé une table un peu plus tard, entre la fin du riesling et
l’entame du chablis : voilà où nous en sommes.
Plus tard. – À présent tout le monde est couché, malgré l’heure tôtive, même le chien, et je reste seul avec cet ordinateur
dont le clavier me gonfle, et Keith Jarret qui se débrouille fort bien du sien.
Mon problème est un problème de nanti : j’ai faim et pas le courage de me
préparer à manger. Les soirs précédents, c’est la flemme qui a gagné ; on
va voir ce soir.
– Quoi qu’il en soit, je
ferais bien d’aller me coucher, mais j’ai du mal à me déprendre de la bouteille
de chablis qui est devant moi, ainsi que du piano de Jarret, à ma gauche
immédiate. D’où je suis assis, je vois le rai de lumière sous la porte de la
chambre de Catherine – et je sais qu’elle lit le journal de Julien Green. Ah,
voilà : elle vient tout juste d’éteindre, au moment où je commençais la
phrase précédente. Jarret, lui, laisse son
piano allumé encore pour un moment.
– Néanmoins, bloguer rend
stupide, la chose est désormais à peu près avérée. Elle rend stupide absolument
tous ceux qui s’y risquent, y compris moi, donc, et y compris ceux qui, comme
Jérôme-Georges, s’imaginent qu’ils bloguent seulement pour regarder les
blogueurs de haut, de “par le dessus”. On ne peut pas. Bloguer, c’est accepter
de devenir con, de descendre dans une arène qui n’existe pas ; une arène
pour jouer ; une aire pour enfants Ikéa, en quelque sorte : pendant
que les parents (une autre sorte d’imbéciles, que personne ne connaît vraiment)
font leurs courses d’adultes, les enfants bloguent. Se chamaillent, crient pour
le plaisir de crier, d’entendre leur voix résonner dans le vide. Ils renouent
avec ce plaisir disparu d’être des cowboys et des indiens et de se foutre sur
la gueule. Actuellement, chez les blogueurs “politiques”, les cowboys sont
plutôt de gauche et les indiens plutôt de droite ; ça peut s’inverser
demain matin, ça ne changera rien : le principal est de jouer, l’essentiel
est la panoplie avec les accessoires (le flingue à la ceinture et le chapeau d’un
côté, la coiffe à plumes et les flèches de l’autre). Le résultat est que,
lorsqu’on rencontre un blogueur “pour de vrai”, on a tendance à
s’extasier : « Ah, mais, c’est qu’il est très différent de ce que je
croyais ! » Ben tiens. Forcément. Et tu n’y avais pas pensé avant, qu’il
pouvait être un tout petit peu plus complexe que le type qui pond dix lignes
par jour sur son clavier ? – Ben… non… en fait… Waouh ! trop forts,
trop perspicaces, les blogueurs !
Vendredi 5 octobre
Neuf heures moins le quart. – Deux jours d'interruption dans ce journal, qui seront comblés (en principe…) demain. Nous avons eu, hier, une journée parfaite, avec Élodie (Nicolas, venant de recevoir son prochain scénario de Golden City, avait préféré rester chez lui pour commencer à bosser, ce en quoi je l'admire car bien entendu je ne l'aurais pas fait). Nous avons donc, tous les trois, passé une journée sur laquelle je reviendrai, prolongée par une soirée assez longue, joyeuse, et bien alcoolisée. Ce matin, tout le monde était plus ou moins dans les vaps, évidemment. Et, vers onze heures, Catherine m'a proposé de rentrer dès aujourd'hui plutôt que demain, dans la mesure où nous n'étions guère – et c'était vrai – disposés à visiter quoi que ce soit aujourd'hui. Je n'étais pas fort bien réveillé au moment où elle m'a fait cette proposition, mais j'y ai souscrit immédiatement. D'abord parce que, par nature, je souscris toujours immédiatement à ce que suggère Catherine (je suis un mâle fort peu dominant), et qu'en plus l'idée de me réveiller demain matin chez nous m'a immédiatement séduit.
–
Que dire de la journée d'aujourd'hui ? Pas grand-chose, forcément,
puisqu'elle s'est passée en voiture. (Très belle aire d'autoroute, aux
environs d'Avranches, où, si l'on prend la peine d'aller au bout du bout
de l'espace alloué, on découvre le mont Saint-Michel une dernière fois,
avant de plonger dans la Normandie profonde.) Nous avions d'abord
prévu d'aller ne récupérer nos deux mâles que demain au chenil. Alors
que nous approchions de notre sortie d'autoroute, Catherine m'a
(timidement) suggéré que nous pourrions aller les chercher tout de
suite. J'ai naturellement dit oui, parce que j'avais autant qu'elle
envie de les retrouver. Et, en effet, en ce moment même, Elstir dort à
mes pieds, dans la Case, pendant que les deux autres font la même chose
dans la maison.
– Et je vais me coucher.
Samedi 6 octobre
Midi et demie. –
Tâchons donc de renouer le fil de ces vacances. Jeudi, Élodie est
arrivée peu après midi, et nous avons filé presque tout de suite en
direction de Plouézec, plus exactement à la plage de Bréhec, où est sis
le restaurant “Chez tonton” que les propriétaires du gîte nous avaient
chaudement recommandé. Le nom de l'établissement, bien sûr, ne nous
disait rien qui vaille, et encore moins le commentaire du Guide du routard, qui parlait d'un accueil décontracté.
Hum… L'aspect de l'endroit, que Catherine avait tenu à aller inspecter
la veille, avant de faire notre réservation, nous avait plutôt rassurés,
ainsi que l'examen de la carte. Et, de fait, nous y avons excellemment
déjeuné, de plats simples mais rigoureusement réalisés et à base de
produits poissonneux d'une parfaite fraîcheur, ce qui est bien le moins.
Ensuite,
nous avons emprunté le “circuit des falaises” qui, entre Plouézec et
Paimpol, offre de nombreux points de vue impressionnants et magnifiques
sur cette mer toute sertie de rochers et d'îles aux couleurs
perpétuellement changeantes. De là, nous avons naturellement débouché
devant l'abbaye de Beauport, ruine certes moins impressionnante que
Jumièges mais tout de même d'un grand intérêt et d'une beauté prenante.
De plus, le petit guide que l'on remet à l'entrée au visiteur est fort
bien fait et point trop bavard. Enfin, nous avons terminé la journée en
poussant jusqu'à Lanleff afin d'y découvrir son “temple”, lequel est en
fait une très surprenante église romane parfaitement circulaire, édifiée
vers 1100 (mais c'est sans certitude, apparemment), en granit rose
comme il se doit.
Pour
le soir, Catherine avait prévu un “apéro dinatoire”, à base de produits
marins, de cochonnailles et de fromages divers, toutes denrées que nous
étions allés acheter à Paimpol le matin même – on a même réussi à
trouver une excellente boulangerie, ce qui n'est pas donné à tout le
monde ; mais il est vrai que nous avions nos accointances dans la
région. J'avais pour ma part prévu très large en chablis, bouteilles
auxquelles est venue s'ajouter celle apportée par Élodie, et dont je ne
parviens pas à me souvenir de quel vin il s'agissait. Eh bien, malgré
cela, nous avons réussi à tout boire, et l'on ne peut pas dire qu'Élodie
et moi nous sommes couchés à jeun. C'est du reste notre peu d'envie de
reprendre les visites vendredi matin qui a motivé celle, chez Catherine,
de “se réveiller demain à la maison”. Du coup, comme nous sommes partis
relativement tard, peu après une heure, car il nous fallait tout de
même prendre le temps de réunir et charger tout le bordel que nous
avions mis dans le gîte, nous avons “zappé” Jacques Étienne, chez qui
nous devions faire halte pour y reprendre le coussin et la gamelle de
Bergotte, oubliés le samedi matin précédent. Il en fut ainsi et nous
avons retrouvé une maison et un jardin inchangés, sauf que l'herbe en
était un peu plus haute et le for… (putain d'Adèle ! je ne saurai donc
jamais écrire ce mot ?) le forsythia sévèrement défeuillé.
Sept heures et demie. –
Pas grand-chose à dire sur la journée d'aujourd'hui, en revanche, si ce
n'est qu'elle s'est passée à lire les… (Et voilà que le titre du livre
de Michel Butor, arrivé pendant nos vacances, recommandé par P/Z,
m'échappe de nouveau, alors que j'ai passé des heures avec lui ! À
chaque fois que je veux l'écrire ou le citer c'est Considérations sur Balzac qui me vient ; puis je me dis que, non, ce doit plutôt être Impressions sur Balzac
; et après ça, je ne suis plus sûr de rien, peut-même s'agit-il encore
d'un autre mot.) Bref, j'ai lu la moitié de ce livre qui, bizarrement,
est le troisième volume de ces Impressions (décidément, ce doit
bien être ça tout de même) : je ne sais si c'est moi qui aie eu une
panne de cerveau au moment de la commande, ou bien si c'est le vendeur
qui s'est trompé. En tout cas, ça parle des femmes dans La Comédie humaine et c'est passionnant.
Dimanche 7 octobre
Midi moins le quart. – Et comme de juste, vérification faite, le livre que je viens de terminer à l'instant, de Butor, ne s'appelle ni Considérations, ni Impressions, mais bel et bien Improvisations sur Balzac.
Le mot me semble d'ailleurs un peu hasardé, dans la mesure où il s'agit
de cours donnés à l'université de Genève – qui ont bien dû être un peu
préparés tout de même –, puis entièrement récrits, de l'aveu même de
l'auteur, dans sa postface générale. La lecture de ce volume a fait
naître en moi deux envies bien prévisibles : celle de lire les autres
parties et celle de revenir à Balzac. Mais la première est momentanément
impossible puisque j'ai pris l'engagement solennel auprès de Catherine
de ne plus me livrer à la moindre commande amazonienne avant le mois
prochain au minimum, pour tenter de redresser notre barre financière :
si j'avais tenu celle d'Eulalie de la même manière que je pilote
nos actifs, nous serions allés droit sur les récifs de Bréhat, à coup
certain. Quant à la deuxième envie, celle de Balzac lui-même, rien ne
s'y oppose évidemment, sinon que j'ai une bonne dizaines de livres
jamais lus en souffrance. Mais quelle importance ?
Huit heures. –
Eh bien, finalement, je suis resté avec Balzac, en reprenant le petit
livre de Lukàcs à lui consacré. J'en ai même fait un vague billet, au
départ destiné au forum de la SLRC (afin que les foules crédules se
l'imaginent encore vivant) et que j'ai également retranscrit sur le blog-mère.
Et je crois bien que je vais, demain, remettre le nez dans le livre de
Félicien Marceau, beaucoup plus volumineux ; à moins que je ne sacrifie
aux sirènes des Illusions perdues, comme la lecture du deuxième article de Lukàcs m'y a incité fortement.
– En plus de tout ça, il faut que je descende à Pacy pour y acheter un lampadaire halogène.
Lundi 8 octobre
Une heure et demie. –
Depuis cette nuit, il fait “un temps à manger des biscottes”, comme
disait une publicité télévisée d'il y a quelques années, tellement
stupide qu'elle a fait nos délices, à Catherine et à moi, durant
plusieurs mois. Il pleut à boire debout depuis des heures, on attend
désespérément que le temps change avec la marée (j'avais d'abord écrit :
“avec la mariée”…), mais comme il n'y a pas de marée il reste égal à
lui-même. Quand je dis qu'on attend désespérément, c'est faux : nous ne
sommes nullement désespérés, plutôt légèrement vacants, et nous n'attendons rien de particulier.
–
Le monde créé par Balzac est à ce point riche, foisonnant, vivant,
qu'il n'est presque plus besoin de s'y rendre pour en tirer du plaisir,
des émotions, du dépaysement. Se replonger, par exemple, dans
l'irremplaçable essai de Félicien Marceau, Balzac et son monde,
revient à regarder un excellent documentaire sur la Toscane quand on
aime plus que tout la Toscane : cela procure évidemment des bonheurs
moindres que de retourner à Florence ou à Sienne, mais on peut le faire
de son fauteuil et, de ce fait, ne pas manquer le dîner familial. Le
danger du documentaire, évidemment, surtout s'il est admirablement fait,
c'est de vous faire vous précipiter sur le site de la première agence
de voyage venue pour y réserver hôtel et billets, sans même passer par
celui de la banque qui serait seul capable de vous dissuader.
Mardi 9 octobre
Huit heures. –
La reprise a été plus dure que je ne le pensais. En réalité, je n'y
avais pas du tout pensé, mais elle s'est fait sentir. Et c'est bien ce
qui m'a pris de court. Je me suis soudain aperçu que ma joie de n'être
plus rewriter était probablement déjà en train de s'émousser, et
que la seule chose que je souhaitais désormais était de n'être plus
rien, si c'est possible, un retraité, un souvenir d'homme, un type
n'ayant plus la moindre existence mais que la société nourrit, même
chichement. Je ne sais pas ce que pensent et sentent, à ce sujet, les
amis de ma génération, puisque je ne les vois plus ; mais j'aimerais
bien. Sont-ils devenus, comme moi, des “presque en dehors” ? N'ont-ils
plus rien à faire de l'avenir de ce monde, tout en déplorant ce qu'ils
voient ? Pire : mes amis “de trente ans” sont-ils devenus des modernœuds
ridicules, ou moi pour eux un ignoble et incompréhensible réactionnaire
? Et si on se croise demain, on se dira quoi ? Je sais que j'ai autant
d'importance dans leur vie qu'eux dans la mienne. Qu'ils pensent à moi
aussi souvent que l'inverse, et avec la même tendresse un peu
lénifiante. Néanmoins, ce silence entre nous ? Cette sorte de pudeur qui n'avait jamais existé et qui s'est développée. J'ai mis de l'italique parce que je sens bien qu'il ne s'agit nullement de pudeur.
Autre chose. Désintérêt ? Non, puisque je viens de dire qu'ils pensent à
moi, les Loiseau, les Évrard (et encore d'autres que je n'ai pas vus
depuis vingt ou trente ans) tout autant que je pense à eux. L'inertie de
la vieillesse, maquillée sans doute sous les multiples occupations de
la vie quotidienne. Je suis le mieux placé pour savoir que tout cela est
faux, n'ayant aucun enfant, aucune ambition professionnelle, etc.
Et
non. Écrivant la phrase qui précède, je la sais fausse. Jef Loiseau n'a
jamais eu la moindre ambition professionnelle, j'en atteste. Il a eu,
c'est vrai, une femme et deux filles, mais qui ne nous ont jamais
séparés, bien au contraire : je crois bien que je n'ai jamais été si
proche de lui qu'à cette époque où il a rencontré Tica (et maintenant
que je parle d'eux, je m'aperçois que, justement parce que nous ne nous
voyons plus, je ne peux même pas savoir s'ils vivent encore ensemble),
et encore plus quand ils ont mis au monde Beatriz, leur fille aînée, en
1982 (si je me souviens bien), ma première filleule.
Ma
filleule, donc, Beatriz. Équivalent portugais de Béatrice. Toutes les
filles aînées, dans la famille de Tica, s'appellent Beatriz (y compris
elle-même, qui est l'aînée de trois filles et un garçon). A priori,
quands j'étais jeune, je ne tenais pas du tout à être le parrain de
n'importe quel enfant – d'abord, je ne connaissais aucun enfant et m'en
portais très bien.
Et
puis, un soir, dans un bar (je suis presque crucifié, à mon âge, de ne
pas me souvenir duquel), Jef et moi reprenions la douzième bière, comme
souvent. Il vivait alors, et depuis peu, avec Tica. Je devais avoir dîné
chez eux (à Saint-Mandé, à l'époque). Sous couvert, j'imagine, de me
ramener chez moi en voiture, nous avions fait halte, déjà bien chargés,
dans je ne sais quel bar afin d'y enquiller quelques bières et donc
quelques phrases.
(Jef
est un type qui a besoin de quelques bières pour quelques phrases ; et
même après quelques bières, il n'est pas du genre à dire n'importe quoi.
Moi, en revanche, oui : c'est une chose qu'il tolérait chez moi, je ne
sais pas trop pourquoi.)
En
tout cas, dans ce bar, alors que nous devions bredouiller au zinc, en
regardant passer les culs des filles, je lui ai dit, à un moment, ceci :
« En tout cas, si vous avez un jour un môme, je veux être son parrain !
» Naturellement, je m'en foutais, c'était un homme saoul qui faisait du
bruit avec sa bouche. Et Jef, le futur père aussi saoul que le futur
parrain, m'a répondu un truc du genre : « L'affaire est entendue ! »
En
effet, je devins le parrain de Beatriz Loiseau, en octobre 1982, vers
le 21 ou le 23, j'ai oublié, comme tous les parrains nuls. J'ai une
raison : deux ans plus tard, Charlotte, la sœur cadette est née
également en octobre, le 21 ou le 23 : comment veut-on qu'un type qui
n'a pas dessaoulé des années 80 ou à peu près conserve la notion précise
des jours ?
Il
n'empêche que, d'une certaine manière, parce que son père et moi, à ce
moment de notre vie, ne nous quittions guère, j'ai vu grandir ces deux
filles presque jour après jour (il m'arrivait même souvent de faire le
baby-sitter, lorsque les parents avaient envie de se croire encore
amoureux-comme-au-premier-jour – et peut-être l'étaient-ils), et que
j'ai rapidement admis de devenir une sorte de vrai “parrain”.
Je ne sais plus trop pourquoi j'en suis venu à parler de ces gens. Ma filleule va avoir trente ans d'ici deux semaines. Je refuse
que ma filleule ait trente ans. J'exige qu'elle reste cette petite
fille que j'ai vue grandir, chez qui j'allais presque tous les soirs,
dans les années 80, cette enfant qui, lorsque son père revenait seul le
soir, lui demandait : « Mais il est où, Parrain ? » Je la revois se
moquant de moi quand, vers six ou sept ans, parlant depuis son origine
aussi bien le portugais que le français, elle a saisi le processus de la
traduction. Nous étions à ce moment à l'arrière d'une voiture que son
père conduisait ; je tiens à penser que nous allions à Strasbourg, chez
André. Il y avait quelque temps que j'essayais de comprendre comment on
passait d'une langue à l'autre, et ça me fascinait que cette gamine n'y
parvienne pas. Et, soudain, à l'arrière de cette voiture que conduisait
son père, Beatriz a soudainement compris qu'elle parlait deux langues.
Et elle a éclaté de rire en se foutant de ma gueule, moi qui n'en
parlais qu'une.
Mercredi 10 octobre
Sept heures vingt. – Je ne vais pas revenir ici sur ma petite mésaventure de parking, ce matin à Levallois, puisque j'ai jugé bon d'en faire un billet
dès mon arrivée. Après cet étrange démarrage, la journée fut bonne
puisque mes bien aimés chefs ont trouvé le moyen de me confier trois
papiers à écrire, ce qui m'a non seulement permis de partir dès deux
heures et demie, mais en plus me dispense d'y retourner demain, et a
fortiori vendredi. Cela étant, je me retrouve avec quatre articles à
écrire (le quatrième est pour Enquêtes), en tenant compte du fait
qu'Isabelle et Olivier viennent ici samedi, que “j'ai dentiste”
vendredi matin, et encore une ou deux autres micro-obligations dont le
souvenir m'a déjà quitté mais que Catherine, faisons-lui confiance, se
chargera de me rappeler en temps opportun. Notons encore que, parmi les
trois papiers que je dois à FD, il y a la nécrologie (la “viande
froide”, comme on dit assez horriblement au sein des rédactions quand on
est sûr que personne d'extérieur n'écoute) de ce pauvre Frank Alamo,
qui voit s'approcher le terme logique de sa sclérose en plaque. Il
serait à la dernière extrémité dans je ne sais quelle unité de soins
palliatifs ; d'où notre prévoyance… Et puisqu'on est dans le
cynisme professionnel, précisons que c'est évidemment l'article que
j'écrirai en dernier, partant du principe que tant qu'il n'est pas
réellement mort il n'y a pas lieu de tellement se presser. Mais enfin,
je fais un bien beau métier, on se croirait dans Illusion perdues.
Je me demande parfois comment j'ai fait, après presque trente-cinq ans à
le pratiquer, pour ne pas devenir plus cynique que je ne le suis – car
je ne crois pas l'être, ou alors très peu. Par contre, je parviens très
bien à prendre une posture cynique, ça oui.
– À propos de longévité professionnelle : le rewriting de FD – le rewriting
en tant que service constitué – vit son dernier mois d'existence en ce
moment même. Or, j'y suis entré, moi, il y a très exactement trente ans,
pratiquement jour pour jour ; je l'ai donc eu à l'usure. On pourrait
aussi insinuer qu'il n'a pas survécu à mon départ, mais ce serait un peu
beaucoup s'avancer.
Jeudi 11 octobre
Huit heures. –
J'ai écrit cet après-midi le premier des trois articles pour FD : cinq
mille signes consacrés à Charlène de Monaco et à son couturier préféré :
passionnant. Je comptais faire tranquillement demain mes deux feuillets
sur Richard Chamberlain, en remettant la “nécro préventive” de Frank
Alamo à lundi, de manière à me garder le samedi pour ma sœur et le
dimanche pour la page animalière d'Enquêtes. (On voit que, pour
avoir des week-ends longs, je n'en suis pas oisif pour autant.) Or,
voici que de préventive la nécro devient assez urgente, puisque le
malheureux Alamo est mort aujourd'hui, 11 octobre, veille de son
anniversaire. Je vais donc m'y consacrer demain. Pour la suite, on
avisera.
–
J'ai aussi pris le temps de procéder à une première relecture de mon
journal de septembre. Relecture assez exaspérante pour les deux derniers
jours, alors que nous étions à Paimpol : en raison de l'ordinateur de
Catherine sur lequel je ne suis pas habitué de taper, et aussi du fait
que durant une semaine j'ai tenu le journal après avoir pris
l'apéritif, chaque entrée est littéralement constellée de fautes de
frappe, qu'ils faut éliminer une à une, ce qui prend un temps fou. Sans
même parler des redites, inévitables lorsque l'alcool commence à
produire ses effets, des considérations qu'il convient d'adoucir, voire
de supprimer carrément, etc. Cela m'a pris presque autant de temps que
les 28 jours précédents.
Vendredi 12 octobre
Sept heures vingt. – Journée intensément occupée. Ce matin, rendez-vous chez le dentiste à onze heures moins le quart. Un dentiste qui est en fait une,
à Pacy, que je ne connais pas, chez qui Catherine est allée une fois il
y a quelques mois. Auparavant, je devais la déposer (pas la dentiste :
Catherine) au presbytère et aller faire quelques courses. La
praticienne inconnue me ravit, dans la mesure où elle trouve que mes
dents sont très peu entartrées (en effet, elle passe peu de temps à leur
nettoyage), me félicite sur la qualité de mon brossage et, quand je lui
demande si un détartrage tous les six mois au lieu d'une fois l'an
s'impose, me répond que non, vraiment, vu l'état satisfaisant de ma
dentition, c'est absolument inutile : exactement le genre de chose que
j'avais envie d'entendre. Là-dessus, elle m'assure que la dent (que je
suis incapable de localiser précisément) qui me titille depuis quelque
semaines est en quelque sorte un fantasme ; ou plus exactement
m'informe-t-elle que mes dents pètent de santé et que mon problème, à
peu près anodin à ce stade, concerne seulement mes gencives. Very well, vraiment ; merci Madame, à dans un an.
Là-dessus,
la journée se poursuit. Ayant récupéré Catherine au presbytère, je fais
un arrêt rapide à la clinique vétérinaire, afin d'y acheter quatorze
kilos de croquettes “pour vieux” destinées à Swann – et nous rentrons.
Catherine se met immédiatement à préparer le repas que nous servirons
(surtout elle) demain midi à Isabelle et Olivier, tandis que je me
replonge dans le Balzac et son monde de Marceau.
Mais
pas moyen de lire vraiment : toutes les trois minutes j'inspecte le
ciel, en tout cas la portion que j'en vois par la porte-fenêtre : depuis
ce matin, le ciel est dégagé et le vent souffle, c'est l'occasion ou
jamais de tondre le jardin, dont l'herbe devient dramatiquement haute,
touffue, humide, depuis quelque temps. J'ai prévu de m'y mettre vers
cinq heures, lorsque le soleil tournant aura eu le loisir d'arroser
chaque recoin de ses bienfaits asséchants.
À
deux heures, je n'y tiens plus et, ne comprenant plus rien à ce que je
lis, je vais tondre. Tout se passe sans encombre et j'en retire une
notable satisfaction. Profitant de cet élan d'enthousiasme, je décide
d'aller écrire les deux feuillets consacrés à Richard Chamberlain et
Sharon Stone, que mes vénérés patrons attendent de moi. Sur ces
entrefaites, Catherine quitte le domicile conjugal pour aller faire
provision de légumes frais – là-dessus, la pluie se met à tomber dru,
augmentant considérablement ma satisfaction d'avoir passé la tondeuse
avant ce caprice du ciel.
Vers
quatre heures moins le quart, mon article est terminé et envoyé,
Catherine revient. Nous prenons un café, et je lui annonce que je
retourne “au bureau” afin de commencer la nécro de Frank Alamo que j'ai
prévu d'écrire demain matin, avant l'arrivée d'Isabelle et d'Olivier.
Elle admire sobrement mon courage. (J'ai oublié de dire que, entre
temps, j'ai vidé le lave-vaisselle et nettoyé plus ou moins la cuisine.)
Ce qu'elle ne sait pas, c'est que, pour m'aiguillonner, j'ai passé avec
moi-même le pacte suivant : « Il n'est pas du tout prévu d'apéritif ce
soir mais, si tu écris la totalité de l'article Alamo, tu y aura droit
quand même. »
À
six heures moins le quart, les 8500 signes (1000 de trop…) sont écrits,
relus et envoyés. Mais, le message qui vient d'arriver dans ma boitamel
est un texte du Père Éric, qu'il me demande de relire et de corriger,
comme c'est désormais l'habitude. Après avoir été tenté de remettre ça à
demain matin, je décide de le faire tout de suite, trouvant que cela
légitimera d'autant ma prétention à une pause alcoolisée avant le dîner.
Lorsque
enfin tout est terminé, il est six heures dix, Catherine est au
sous-sol, attendant la fin du repas des chiens. Je lui annonce la suite
du programme tel que je l'ai défini. Elle arbore la moue pincée et prend
le ton de voix de ma mère lorsqu'elle désapprouve. Le fait que je le
lui fasse remarquer ne contribue pas à détendre l'atmosphère. durant une
minute et demie environ elle me gonfle prodigieusement, parce qu'elle
est en train de gâcher le plaisir que j'éprouvais à avoir accompli tout
ça et la perspective de m'en récompenser. Elle se déclare persuadée que
je vais m'arsouiller grave et dédaigner les endives au roquefort qu'elle
a mitonnées, sinon amoureusement, du moins avec compétence. Finalement,
elle se sert tout de même un verre de porto solidaritaire, et nous mangeons les endives de bon appétit.
En somme, la journée s'est bien terminée. et j'ai oublié de noter que, n'en trouvant pas ce matin au Bricomarché, j'ai commandé cet après-midi chez Amazon
un lampadaire halogène à 36 euros, destiné au sous-sol. – il parait
qu'il y a des gens qui font ça tous les jours : je ne les envie pas.
Dimanche 14 octobre
Huit heures. –
Voilà bien cinq minutes que je contemple d'un air probablement béant
cet écran où j'ai inscrit la date et l'heure. Et rien. Pas la moindre
envie d'écrire quoi que ce soit se rapportant à la journée d'aujourd'hui
– où je n'ai fait que lire –, ni même à celle d'hier que nous avons
passée en la compagnie d'Isabelle, Olivier et Clémence. Le vide.
Lundi 15 octobre
Sept heures et demie. –
Premier travail du blogueur de base quand arrive le soir : se
désabonner de tous les blogs auquel il a eu la stupidité (ou la vanité)
de s'abonner sous prétexte qu'il y a laissé un commentaire à un moment
ou à un autre. Sous peine, le lendemain matin, lisant l'avalanche tombée
durant son absence, de se rendre compte de ce qu'il vaut lui-même, à
parler avec ces gens.
–
Je crois avoir raison de penser qu'il n'existe pas de passerelle entre
ces deux catégories de personnes passant leur vie avec les mots et les
phrases : écrivain et écrivain en bâtiment. Néanmoins, je butte sur un
roc aux dimensions phénoménales : Balzac. Exemple unique a contrario, énorme dans les deux sens, exception qui confirme… etc.
Durant
environ quatre ans, de 1822 à 1825 approximativement, Balzac n'a été
rien d'autre que cela : un écrivain en bâtiment ; et des plus médiocres,
des plus vautrés (Vautrin ?) si je me réfère à ce que j'ai pu en lire.
Cet écrivain de second rayon, ce romancier-pour-filles, ce rejeton de
bourgeois qu'est Stefan Zweig n'a pas, dans sa biographie, par ailleurs
précieuse, de mots assez flétrisseurs pour le Balzac de ces années-là :
il réagit comme une chaisière se piquant de délicatesse et qui reproche
: « ta bite a un goût ! », au fort des Halles qui vient de lui
présenter innocemment et gaillardement la sienne. Et, en effet, les
écrits de Balzac (qui signe alors Saint-Aubin…), à cette époque, ont
indubitablement un goût. Sweig a raison : il s'enfonce. En principe, il ne devrait jamais en ressortir. Là où Zweig est innocent (au sens moderne de trisomique),
c'est qu'il garde le Balzac d'après en ligne de mire et qu'il juge le
Balzac-en-bâtiment d'après celui que, tout tranquillement, il a trouvé
relié plein cuir dans la bibliothèque de Papa. Il ne voit ni le mystère,
ni le miracle.
Le miracle m'est apparu ce matin, lorsque j'ai repris la nouvelle intitulé Adieu,
que l'on m'avait, voilà quelques jours, sommé de relire. Elle est en
effet parfaite. Et elle date de février 1830. Or, un an et demi plus
tôt, Balzac n'avait encore rien écrit de mieux que les méchants romans
d'Horace de Saint-Aubin, qui tiennent à peu près le milieu entre Harlequin et Brigade mondaine, en moins bien dans les deux cas. Entre 1829, date des Chouans,
et la fin de 1831, ce même homme va écrire près d'une vingtaine de
romans ou nouvelles qui, tous, figurent aujourd'hui en bonne place dans La Comédie Humaine.
Que s'est-il passé ? Comment Saint-Aubin est devenu Balzac sans la
moindre transition connue ? Quelle puissance a transformé le pousseur de
brouette en architecte ?
Y
réfléchissant, et trouvant qu'il était un exemple unique, il m'a semblé
qu'on ne pourrait pas m'opposer de contradiction. Puis, évidemment, le
nom de Simenon a surgi. Balzac et Simenon sont faciles à associer, en
raison de l'abondance de leur production et aussi d'une certaine
similitude de parcours. C'est du reste ce qui permet de dire beaucoup de
sottises à leur endroit. Même Marcel Aymé a trouvé le moyen de dire
deux grosses conneries en une seule phrase, courte qui plus est : «
Simenon, c'est Balzac sans les longueurs. »
D'une part il n'y a aucune longueur chez Balzac, à moins d'admettre que l'on est tout à fait fermé à Balzac. Comment apprécier Eugénie Grandet sans la description minutieuse de Saumur qui l'ouvre ? Comprendre Beatrix
sans celle de Guérande ? Voir Lucien Chardon et Mme de Bargeton sans
Angoulême ? Ursule Mirouët si l'on ignore tout de Nemours ? Etc. D'autre
part, on peut difficilement imaginer deux romanciers plus éloignés l'un
de l'autre que Balzac et Simenon : celui-ci, de son propre aveu,
cherche à atteindre “l'homme nu”, celui-là ne conçoit l'homme que social
; Simenon cherche à atteindre l'invariant, Balzac ne s'intéresse qu'à
ce qui est mouvant, pris dans la société et les intérêts du moment.
Il
n'empêche que, vus de l'extérieur, en effet, Balzac et Simenon ont des
points communs, des similitudes de “parcours”. Et notamment le fait que
tous les deux ont commencé leur vie en se cachant derrière des
pseudonymes afin d'écrire des choses indignes de ce qu'ils allaient
devenir, dans le seul but de gagner l'argent dont ils avaient besoin (ce
qui est la définition même de l'écrivain en bâtiment).
La différence est que Simenon voulait devenir écrivain dès le commencement, et qu'il a, tout de suite, considéré son bâtimanat
comme des gammes, un entraînement en vue de ce qu'il ferait plus tard.
De la même manière, dans son esprit, l'invention de Maigret était le
simple passage à la marche supérieure, destinée à être abandonnée dès
qu'il se sentirait capable de se hisser jusqu'aux “vrais” romans. (Et,
en effet, il tente de tuer Maigret, ou au moins de le coller à la
retraite, dès le milieu des années trente, lorsqu'il pense, à juste
titre, être capable de se mesurer à autre chose : il n'y reviendra que
pendant l'Occupation, parce qu'il faut bouffer, ce qui est une manière
de redevenir “en bâtiment” mais à un niveau supérieur).
Rien
de semblable chez Balzac. Il se passe quatre ou cinq ans, entre la mort
de Horace de Saint-Aubin et la naissance d'Honoré de Balzac, durant
lesquelles Honoré Balzac ne pense à rien moins qu'à la littérature, son
objectif (qui le suivra toute sa vie) étant juste de gagner de l'argent :
il devient éditeur, puis imprimeur, puis encore autre chose, se plante
partout et, du coup, parce qu'il n'a pas mieux à sa disposition,
revient à l'écriture. Là, 1829, il devient Honoré de Balzac. On ne peut
pas imaginer plus grande distance entre lui et Horace de Saint-Aubin :
il bâclait des murs de cuisine, il pose les pinceaux ; il les reprend,
c'est la Naissance de Vénus.
Mardi 16 octobre
Sept heures et quart. –
Deux articles à écrire aujourd'hui (sept mille signes au total), arrivé
peu avant onze heures, reparti peu après quatre heures et demie : pas
eu le temps de m'ennuyer, donc. J'ai travailler en écoutant diverses
symphonies de Chostakovitch : c'est très bien, au moins de ce point de
vue, d'être seul dans un bureau.
– Je viens de recevoir le Balzac en pantoufles
de Léon Gozlan : pour dix-huit euros, on m'a envoyé une espèce de
fac-similé pourri, avec en couverture une photo d'un sommet enneigé qui
n'a évidemment pas le moindre rapport avec le sujet. J'ai été à deux
doigts de le renvoyer à l'expéditeur, mais finalement ma flemme a été
plus forte que mon sens de l'économie domestique. Le pis est que je
m'aperçois n'avoir pas tant que ça envie de lire ce truc.
–
La semaine prochaine, Catherine va aller passer quatre jours (trajets
compris) chez sa sœur en Franche-Comté. De mon côté, j'ai pris une
semaine de congés afin de ne pas laisser les chiens seuls toute la
journée. J'espère au moins que je vais avoir un travail quelconque à
faire, pour Enquêtes par exemple, ou pour Zodiaque, afin de m'occuper un peu l'esprit et les doigts. Enfin, bon : ce ne sont jamais que quatre jours…
Mercredi 17 octobre
Sept heures vingt. –
Eh bien voilà, ce à quoi je m'attendais plus ou moins vient de se
produire : ce matin, une lettre de la SCP Trucmuche m'informant (plus
exactement : informant Catherine) que les éditions Vauvenargues sont
depuis le 3 octobre en liquidation judiciaire. Par conséquent, n'étant
évidemment pas un “créancier privilégié”, je peux d'ores et déjà, à
moins d'un petit miracle, m'asseoir sur les sept mille euros que GdV me
devait encore sur les deux derniers BM écrits et publiés. Je n'y repense
que le temps de le noter ici car, ayant toujours été persuadé que le
dernier livre que j'écrirais ne me serait jamais payé, la vérification
de ce pressentiment ne m'a fait ni chaud ni froid.
–
Rien de plus à noter : une journée levalloisienne comme toutes les
autres. Ah, non, toutefois : contrairement à ce qui était prévu au
départ entre Philippe B et moi, lorsque je suis devenu rédacteur, j'ai
accepté ce matin d'aller me liver à l'exercice de l'interview. Mais
c'est qu'il s'agit d'Hugues Vassal, qui fut dans les années cinquante
photographe à FD et intime de Piaf, sur qui il a écrit plusieurs livres,
dont un que je me souviens d'avoir lu dans ma grande période de
piafolâtrie, entre 16 et 20 ans approximativement. Si on m'a demandé, à
moi, de le rencontrer, c'est parce qu'on sait que je n'ignore pas
grand-chose de la vie ni du répertoire de la chanteuse en question –
dont ce sera, l'an prochain, le cinquantenaire de la mort. Je me prends à
espérer que Vassal vive en province, de façon à pouvoir aller un peu me
balader aux frais du journal.
– Lu quelques pages du livre de Gozlan dont je parlais hier soir : je commence vraiment à regretter mes 18 euros…
Jeudi 18 octobre
Sept heures et quart. –
L'opuscule de Gozlan sur Balzac est une sous-merde dénuée du moindre
intérêt, et j'en arrive à me sentir plus frustré et furieux des dix-huit
euros que j'ai dépensés pour l'acquérir que des sept mille que GdV ne
me paiera jamais.
–
À propos de GdV, il va de soi que, compte tenu des montagnes d'argent
que je suis bien certain qu'il a, s'il avait un gramme d'honneur il s'en
ferait un point de payer de sa poche touts les gens qu'il laisse sur le
carreau par son dépôt de bilan. Je dis cela juste pour me faire rire
moi-même : imaginer de l'honneur à cet homme-là, surtout lorsqu'il est
question d'argent, n'est-ce pas…
–
Parce que Catherine avait besoin de la voiture de dix à onze heures, je
ne suis arrivé à FD qu'à midi et demie; et j'en suis reparti deux
heures plus tard, lesté d'une courte documentation (consacrée à un Émile
Allais dont j'ignorais encore l'existence en me levant ce matin) que
l'on aurait fort bien pu m'envoyer ici sous forme de pdf. Mais enfin, me
voilà tranquille jusqu'au mardi 30.
– Depuis hier, la blogosphère progresseuse
est agenouillée pieusement, une petite bougie dans la main droite, afin
de communier dans l'horreur que leur inspire le “souvenir” du 17
octobre 1961. Sous l'emprise de je ne sais quelle drogue immatérielle
mais puissante, ils croient voir la Seine charrier des monceaux de
cadavres (que pas un reporter de l'époque n'a pris en photo,
étrangement), Papon donnant l'ordre d'exterminer tout ce qui ressemble
de près ou de loin à un Arabe, et les forces de police au grand complet
massacrant des milliers d'innocents – forcément innocents, puisque
Arabes – à la mitrailleuse lourde, quelque part entre la Conciergerie et
l'Institut. Ce serait comique si ce n'était pitoyable ; ce qui reste
des dirigeants du FLN de l'époque doivent bien se marrer, en voyant à
quel point ils ont réussi, avec leurs supplétifs communistes français, à
rouler ces imbéciles dans leur farine.
Vendredi 19 octobre
Cinq heures et demie. – Coup de téléphone, à l'instant, de Catherine, pour m'annoncer qu'elle venait enfin de sortir de chez le médecin ORL qu'elle était allée consulter à Évreux ; et pour me prévenir aussitôt qu'elle n'allait peut-être pas rentrer tout de suite pour autant, car elle était incapable de retrouver la rue où elle avait garé la voiture. Au moment de son appel, elle en était à retourner au cabinet médical afin de tenter de “repartir du bon pied” si je puis dire. Avoir des difficultés à retrouver ma voiture m'est déjà arrivé, par le passé ; mais je ne sortais pas de chez un médecin…
(Elle vient de rappeler : voiture retrouvée…)
– Je me suis replongé avec délices dans La Cousine Bette ce matin. Je me demande si ce n'est pas encore plus prodigieux que dans le souvenir que j'en conservais.
Samedi 20 octobre
Huit heures moins vingt. – Journée de feignasse (comme souvent les lendemains d'apéritif, lorsque aucune tâche urgente ne me requiert). Bien avancé dans La Cousine Bette, revu le film fantastique espagnol L'Orphelinat, ainsi qu'un petit documentaire pas très intéressant sur la série des Saw,
films d'horreur qui font mes délices du soir, en ce moment que l'une
des chaînes dont je dispose les repasse tous les sept. Et c'est vraiment
tout.
Dimanche 21 octobre
Sept heures et demie.
– Mais qu'il peut m'énerver, ce Fredi Maque, avec cette façon qu'il a
de se répandre, de parler de tout et de n'importe quoi comme s'il était
chez lui, de poser ses pieds sur la table du salon ! Il est encore
capable de récriminer s'il n'y a plus de glaçon dans le congélateur ou
si le whisky servi n'est pas à son goût. Et rien ne le décourage, pas
plus mes remarques (courtoises, certes, sans doute trop) que mes
silences.
– À la troisième lecture (au moins), Le Cabinet des antiques
me reste aussi impénétrable qu'à la première, dans sa dernière partie,
celle qui détaille les démêlés judiciaires de ce petit con de
d'Esgrignons (tiens, il me fait penser à Rubempré, celui-là ! je ne le
supporte pas davantage, et je l'aurais vu sans déplaisir végéter à
jamais dans sa petite vie alençonnaise), ainsi que la “machination” mise
sur pied pour l'en tirer. Néanmoins, toute cette même partie continue à
me séduire autant, incroyablement rythmée et bruissante qu'elle est.
–
Naturellement, c'est au moment où Catherine doit prendre le train (ce
qu'elle fait une fois tous les trois ans, et encore) pour aller chez sa
sœur que ces andouilles de cheminots décident de se mettre en grève ;
pour quel motif, je n'en sais et n'en veux rien savoir. Il n'est
d'ailleurs pas certain que ce genre de mouvements d'humeur continue
longtemps de bénéficier de la mansuétude des Français, compte tenu de
l'avenir proche qui les attend – économiquement bien sûr, mais pas
seulement.
–
J'ai applaudi des deux mains à l'initiative des “Identitaires” qui sont
allés manifester pacifiquement au haut de la mosquée de Poitiers, en
construction. Naturellement, ils sont passés immédiatement pour des
suppôts de Hitler, et tout ce que la gauche compte de chiens de garde
s'est empressé de justifier leur gamelle en réclamant leur musèlement,
leur interdiction, etc. Si la déportation existait encore, ces jeunes
gens seraient déjà en route pour l'île du Diable.
Mardi 23 octobre
Six heures et demie. –
J'ai mis Catherine au train de Paris vers midi et demie. Elle va passer
trois jours en Franche-Comté chez sa sœur (elle vient d'ailleurs de
m'appeler pour me dire qu'elle était bien arrivée et qu'elle devrait
prendre le TGV plus souvent…). Je n'étais pas revenu à la maison depuis
une heure – le temps de déjeuner –, que je commençais déjà à me demander
ce que j'allais faire de ma carcasse durant tout ce temps, qui m'est
apparu interminable. C'est d'ailleurs curieux car s'il a une question
que je ne me pose jamais en temps ordinaire, c'est bien celle-là : je ne
m'ennuie jamais. Seulement, il est nécessaire que Catherine soit là,
même si l'essentiel de notre temps se passe à lire chacun de son côté.
Curieuse alchimie.
– Relu César Birotteau et une bonne partie de La Maison Nucingen.
Mercredi 24 octobre
Six heures et demie. – Je me demande si tout Balzac, son essence pour ainsi dire, ne serait pas contenu dans cette phrase tirée de Modeste Mignon : [J'ai évidemment laissé le volume au salon ! penser à venir la recopier demain ; elle est à la page 146…]
–
Vers une heure, passant la main dans l'herbe grasse et touffue, je l'ai
trouvée trempée. Lorsque je regardais cet ordinateur, il était censé
faire un soleil radieux sur mon coin de Normandie ; mais si je levais
les yeux de l'écran vers le ciel, je le trouvais imperturbablement gris
et plombé. Cependant, vers quatre heures et demie, la même herbe n'était
plus qu'humide ; j'ai donc décidé de tenter ma chance auprès de
la tondeuse, laquelle a parfaitement rempli son office, si bien que me
voici, à cette heure, particulièrement satisfait de moi-même.
– J'ai acheté hier soir le Journal 2013 de Renaud Camus qui, du fait de la honteuse défection de ses deux éditeurs, paraîtra directement en ligne et au jour le jour,
si j'ai bien compris. Je viens de lui envoyer un bref mail pour lui
demander si une parution hebdomadaire, voire mensuelle, ne serait pas
préférable, de manière à ce que le lecteur puisse continuer de sentir le
flux des jours qui se succèdent, plaisir à mon sens essentiel dans la
lecture d'un journal. Quoi qu'il en soit, je trouve assez amusant de
payer pour un livre qui, par définition, ne pourra pas commencer à
s'écrire avant dix semaines d'ici ; c'est un peu comme acheter un
appartement sur plan.
– Ce soir, j'ai prévu de regarder deux films de haute tenue intellectuelle et artistique à la télé : Land of the dead, de George Romero, puis Saw V.
Ce qui implique de me servir mon premier verre d'alcool le plus tard
possible, de manière à être encore en état au moment où les programmes
commenceront ; ce qui est loin d'être gagné d'avance, même si les deux
films en question ne requièrent que fort peu de lucidité pour être
suivis.
Jeudi 25 octobre
Six heures. – La phrase tirée de Modeste Mignon : « Une heure après, il voyageait en poste avec cette rapidité que la passion ou la spéculation impriment seules aux roues. »
– Soirée un peu curieuse, hier. J'ai tenu mon engagement de ne pas commencer à boire sitôt servi le repas des chiens. Sauf que, à sept heures et demie, je me suis aperçu que je mourais de faim (bien qu'ayant très correctement déjeuné d'un poulet à la tomate accompagné de coquillettes) ; j'ai donc mangé ; beaucoup. Et j'ai commencé mon apéritif, qui ne devrait plus s'appeler comme ça, vers huit heures, ce qui était fort raisonnable, surtout avec l'estomac presque plein. Ce qui le fut moins, raisonnable, c'est que j'ai continué de boire jusqu'à la fin du second film (Saw V : le plus mauvais de la série, jusqu'à maintenant), soit jusqu'aux environs de minuit. Si bien que je me suis couché fort saoul et réveillé ce matin quelque peu nauséeux. Ce soir, rien à la télé : je sens que je ne tiendrai pas jusqu'à huit heures avant de me servir un verre… Il va à peu près de soi que si j'étais resté célibataire, je serais mort depuis belle lurette.
– Soirée un peu curieuse, hier. J'ai tenu mon engagement de ne pas commencer à boire sitôt servi le repas des chiens. Sauf que, à sept heures et demie, je me suis aperçu que je mourais de faim (bien qu'ayant très correctement déjeuné d'un poulet à la tomate accompagné de coquillettes) ; j'ai donc mangé ; beaucoup. Et j'ai commencé mon apéritif, qui ne devrait plus s'appeler comme ça, vers huit heures, ce qui était fort raisonnable, surtout avec l'estomac presque plein. Ce qui le fut moins, raisonnable, c'est que j'ai continué de boire jusqu'à la fin du second film (Saw V : le plus mauvais de la série, jusqu'à maintenant), soit jusqu'aux environs de minuit. Si bien que je me suis couché fort saoul et réveillé ce matin quelque peu nauséeux. Ce soir, rien à la télé : je sens que je ne tiendrai pas jusqu'à huit heures avant de me servir un verre… Il va à peu près de soi que si j'étais resté célibataire, je serais mort depuis belle lurette.
–
En dehors d'une rapide descente à Pacy sur le coup d'une heure, afin
d'y acheter du pain frais, des cigarettes et diverses bricoles au Super U
(une nouvelle bouteille de Ricard, entre autres…), j'ai passé
l'essentiel de ma journée avec Balzac (Modeste Mignon) ; on ne sera donc pas surpris de ce que je n'aie rien à raconter ici.
–
Le déjeuner que je devais avoir mardi avec l'amiral Woland et Nicolas
est repoussé d'une semaine, entièrement par ma faute. Sachant que
Catherine était disposée à venir à Paris afin d'aller voir l'exposition
Hopper au Grand Palais, mais pas un mardi puisque le dit Grand Palais
est alors fermé, j'ai proposé hier aux deux autres de décaler notre
déjeuner au lendemain, mercredi : Catherine pouvant conduire au retour,
sa présence m'aurait permis d'accompagner les deux autres dans leurs
libations. Mais c'était impossible pour Nicolas qui, sous prétexte que
jeudi sera férié, en profitera pour partir pour la Bretagne dès
mercredi, ce gros fainéant. Et c'est lui qui a proposé de remettre à
mercredi en huit.
Samedi 27 octobre
Huit heures moins le quart. –
Pas d'entrée hier, pour cause de retour de Catherine au bercail et
d'apéro consécutif, dont la générosité a fait que je suis allé
directement du salon à la chambre, sans passer par la cuisine ni par ce
journal. Aujourd'hui, retour à une vie plus saine, au moins sur le
chapitre de l'alcool, qui est resté dans les placards. Ce n'est
d'ailleurs pas pour cela que j'ai plus de chose à raconter, ayant passé
l'essentiel de la journée à lire le Balzac romancier de Maurice
Bardèche, ce que j'ai annoncé sur le blog hier et que, bien entendu, les
deux ou trois petits caniches moralisateurs me reprochent vertement
aujourd'hui, avec des suffocations de pucelle. Car il est bien entendu,
dans ce que je n'ose appeler l'esprit de ces personnages, qu'il
faut absolument s'interdire de lire ce qu'un vil collabo négationniste
peut avoir à dire sur Balzac ou sur Proust, même s'il s'agit de deux
livres également remarquables. Mais comment font-ils pour être aussi
stupides et bornés ? Et comment n'éclatent-ils pas de rire en entendant
leurs propres énormités ? Le comique de l'affaire est qu'après m'être
déjà fait traîner dans la boue en raison de mon philosémitisme affiché
et revendiqué, me voilà derechef plongé dans la sanie – et par les
mêmes, bien entendu –, mais cette fois pour sympathies négationnistes !
Là encore, comment font-ils pour être bêtes à ce point ? C'est à vous
coller le vertige…
Dimanche 28 octobre
Sept heures et demie. – Hormis l'heure et demie que j'ai consacrée cet après-midi à écrire une nouvelle page animalière pour Enquêtes
(plus un petit billet sur le blog-mère, qui ne vaut pas la peine d'être
mentionné autrement qu'entre deux parenthèses), je n'ai guère quitté
mon fauteuil ni Bardèche : ayant terminé son Balzac, j'ai repris Marcel Proust romancier…
pour m'apercevoir que je ne possédais qu'un seul tome sur les deux que
comporte le livre : à qui pourrai-je faire croire, après ça, que je lis
intelligemment, si je n'ai même pas été capable, lors de ma première
lecture, de m'aviser que je m'étais arrêté au milieu du gué ? Je viens
de commander la suite sur Price Minister, site fort pratique, ma
foi, que je me reproche aujourd'hui d'avoir ignoré durant si longtemps
et sans la moindre raison valable ; si ce n'est l'espèce de timidité
trouillarde qui me saisit chaque fois qu'il est question d'aller
explorer des terra incognita internétiques.
– Je viens aussi de mettre en ligne le journal de septembre, avec annonce programmée pour demain matin sur le blog-mère.
–
Ah mais si, qu'est-ce que je raconte ? Ce matin, j'ai passé plus d'une
heure à lire l'épais album consacré à Piaf qui vient de sortir, et dont
je crois avoir déjà parlé. Les photos, fort nombreuses, en sont d'Hugues
Vassal, ancien photographe de FD, que je dois normalement rencontrer
afin de mettre sur pied pas moins de trois sujets, qui paraîtront dans
mon digne journal pour célébrer le cinquantenaire de la mort de la
chanteuse. Le texte, parsemé d'erreurs grossières, est signé de Jacques
Pessis, mais il a évidemment été écrit et publié avec le plein accord de
Vassal. Or il me pose un problème assez épineux, dans la mesure où il
présente résolument, et presque cyniquement, une Piaf repeinte en rose à
usage des bisounours : jamais elle n'a eu le moindre problème d'alcool
ni encore moins de drogues, c'est rien que des menteries inventées par
des malfaisants ; telle est en gros la thèse. Thèse parfaitement fausse,
bien entendu. Sinon on se demande bien pourquoi Piaf serait morte à 47
ans, complètement usée, sans pratiquement plus de foie, de pancréas,
d'estomac, etc. Bref, il va falloir que j'ai une discussion sérieuse
avec mes vénérés chefs…
Lundi 29 octobre
Sept heures et demie. –
Hier soir, déjà au lit, je me suis aperçu que j'avais de moins en moins
envie de cette semaine que nous avions projeté de passer dans le Gard, à
Lussan, en mai prochain. D'une part parce que je me rends bien compte
que s'amenuise chaque jour davantage mon désir de déplacement ;
ensuite parce que j'ai réalisé que cela serait franchement déraisonnable
d'un strict point de vue financier, dans la mesure où la Volvo se
profile à l'horizon de janvier et que je ne verrai jamais la couleur des
sept mille euros que GdV me doit et sur lesquels je comptais tout de
même un peu jusqu'à son dépôt de bilan. Or, si l'on veut apprendre à
vivre avec moins (avec nettement moins…) d'argent, il faut bien
commencer par quelque chose, se mettre à tailler ici ou là. Donc autant
s'attaquer à cette semaine-là qui, de toute façon, ne me séduisait plus
tout à fait. Dès que j'en ai parlé à Catherine, ce matin, elle s'est
rangée à mon avis avec un empressement qui prouvait bien qu'elle avait
fait à peu près les mêmes réflexions de son côté. Affaire réglée, donc.
Mercredi 31 octobre
Sept heures et quart. – Pourquoi a-t-on “fait” apéro, hier soir ? Je ne sais plus. Peut-être bien sans particulière, du reste. Après, ou plus exactement : pendant mais sur la fin, je suis venu devant ce clavier afin d'y rédiger un billet de blog dont l'idée m'avait semblé bonne, entre le deuxième et le troisième Ricard. Je l'avais programmé pour ce matin, huit heures et demie ; le relisant à huit heures vingt, je me suis aperçu qu'il n'était vraiment pas fameux, ni dans son point de départ ni dans sa réalisation – je l'ai donc supprimé.
–
J'étais ce matin “de tonneau” (d'astreinte) à FD, ce qui suppose
d'arriver à huit heures et demie au lieu d'une heure plus tard, afin de
pouvoir se jeter sur le travail s'il y en a, le journal devant être
“bouclé” à midi et demie. J'ai fait comme d'habitude lorsque c'est le
cas : je suis parti de la maison à sept heures afin de tenir compte des
bouchons plus ou moins épais qui ne manquent jamais de se former à cette
heure-là. J'avais simplement oublié que nous étions non seulement en
période de vacances scolaires mais en plus dans une “semaine-à-pont” en
raison de la Toussaint de demain. Résultat : j'ai débarqué à la
rédaction à huit heures, laquelle aurait été déserte si ne s'y étaient
attardées quelque peu deux femmes de ménages exotiques, bien aimables et
souriantes, ce qui n'est pas si fréquent chez les femmes de ménages
exotiques, ai-je cru remarquer déjà.
–
Donc, demain, pas de travail, sauf que j'ai tout de même du travail :
celui que je n'ai pas fait cet après-midi, sous prétexte qu'il n'y
aurait personne pour le lire demain matin puisqu'on ne travaille pas. Je
ne suis pas tout à fait certain de bien me faire comprendre.
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