lundi 28 janvier 2013

Décembre 2012








MARIE LA FRANÇAISE







Samedi 1er décembre

Sept heures vingt. – Après moult hésitations, j'ai finalement entrepris de relire tous les billets écrits sur le blog-mère depuis novembre 2007, afin de voir si je ne pourrais pas en tirer une sorte d'anthologie, comme me l'a suggéré Camus à deux reprises, et apparemment sérieusement (mais il peut être très pince-sans-rire, cet homme…). Après quatre jours, je ne suis parvenu qu'au début de juin 2008. Le travail est non seulement long (et d'autant plus que je résiste rarement à l'envie d'aller jeter un coup d'œil aux commentaires que tel ou tel texte avait suscités…), mais assez pénible, pour ne pas dire déprimant, dans la mesure où je me rends compte que les quatre cinquièmes, voire les neuf dixièmes, de ce que je relis est bon à mettre à la poubelle. D'un autre côté, le volume que j'en tirerai sera d'autant plus léger, ce qui est peut-être tant mieux. Il y a aussi que, chaque fois qu'un billet me semble digne de survivre à cette première sélection, il faut que j'aille noter sa date de parution dans le document créé exprès pour cela et que je la range sous l'une ou l'autre des rubriques que j'y ai créées. Car, évidemment, si l'on veut que le résultat final ressemble plus ou moins à quelque chose, il faudra organiser la matière, un minimum.

– Je viens de commander Terres de sang, de l'historien Timothy Snyder, consacré aux occupations successives nazie et communiste (ou l'inverse, ou les deux en même temps) dans les pays qui, grosso modo, s'étendent des Pays Baltes au Caucase (Pologne, Ukraine, Biélorussie…). L'envie m'en a été donnée par le dossier que lui consacre ce mois-ci Le Débat.

– Ce soir, Mort à Venise. J'en ai le souvenir, lointain, d'un film assez ennuyeux, mais je n'ai rien trouvé de mieux à nous mettre sous l'œil. Si ma première impression se confirme, je crois que ce sera ma dernière tentative de réconciliation avec Visconti.


Mardi 4 décembre

Trois heures et demie. – Deux jours sans venir faire le moindre petit tour ici : ce  journal file un mauvais coton, dirait-on. Mais en fait, non. C'est simplement que je me suis piqué au jeu de la relecture de l'intégralité des billets écrits et publiés sur le blog-mère depuis la création de celui-ci, en novembre 2007. Relecture provoquée non par une brusque avancée de gâtisme, mais dans le but, plus ou moins nébuleux encore, d'en tirer une sorte d'anthologie sur papier. Or, c'est un travail de longue haleine, dans la mesure où j'ai vraiment beaucoup écrit, depuis cinq ans ! Et l'haleine en question s'allonge encore plus puisqu'il il n'est pas rare que je cède à la curiosité d'aller relire les commentaires faisant suite à tel ou tel texte. C'est du reste une expérience intéressante, que cette plongée dans les commentaires : y resurgissent brusquement des gens dont on avait presque ou tout à fait oublié l'existence, alors que, voilà trois ou quatre ans, ce qui n'est pas si loin, ils commentaient très régulièrement et n'étaient pas parmi ceux que l'on appréciait le moins, apparemment.  D'une manière générale, on s'aperçoit qu'en ce court laps de temps, quatre années, et à l'exception de deux ou trois, le bataillon des commentateurs a entièrement renouvelé ses hommes de troupes ; comme si, à la suite d'une sortie de tranchée particulièrement meurtrière, tous les anciens étaient passés de vie à trépas.

Bref, cette nouvelle – et provisoire – activité m'amuse au point que, deux jours de suite, je lui ai consacré l'intégralité de l'heure et demie que je passe chaque soir devant l'ordinateur, entre le dîner et le commencement du film. Comme je n'en suis, de mes relectures, qu'au milieu de l'année 2009, il est à craindre que ce journal de décembre soit fort maigre, par rapport à ses devanciers. Mais qui s'en souciera ?


Vendredi 7 décembre

Six heures et demie. – Cette fois, l'affaire est bouclée, je viens de terminer la relecture de tous les billets de l'année 2009. Comme je compte m'arrêter là pour l'instant et tâcher d'organiser un peu la masse que cela représente (masse dont je n'ai encore qu'une idée fort vague : il va s'agir, maintenant, de tout transporter sous Word afin de savoir quel volume cela donne), de trouver un classement de lecture, etc. Lorsque ce travail sera fait, je compte demander à Catherine de tout relire à son tour, afin qu'elle puisse me dire quels textes, dans ceux que j'ai conservés, devraient à son avis être éliminés. D'ores et déjà je m'aperçois d'une chose : j'ai sélectionné très peu de billets consacrés aux blogs (alors que j'en ai fait beaucoup, beaucoup trop) ; et je pense de plus en plus que, finalement, j'aurais sans doute intérêt à les éliminer totalement, à déconnecter aussi complètement qu'il est possible le livre éventuel de son origine bloguesque. Lorsque la dernière sélection sera faite et que les “élus” auront été présentés en un ordre aussi satisfaisant que possible, il restera encore un long et fastidieux travail : les relire une fois de plus, un par un, afin d'en éliminer les dernières scories. Certains devront même être partiellement récrits, notamment lorsque cette origine bloguesque se fait un peu trop lourdement sentir. Sans même parler de ces petits clins d'œil se voulant drôles (et qui le sont parfois), dont je n'ai que trop tendance à abuser – c'est en tout cas une tendance que j'avais à cette époque : il me semble que, de ce point de vue, je me suis plutôt amélioré. Certains billets sont plus à récrire que d'autres : ceux que j'ai rédigés après l'apéritif. La plupart de ceux-là n'ont évidemment pas passé la barre de la première sélection. Mais il en est quelques-uns qui, pour être plutôt mal foutus, relâchés, répétitifs, etc., méritent tout de même d'être sauvés, à mon sens, à condition d'être sévèrement “toilettés”. Bref, il y en a encore pour des semaines et de semaines (si je ne me lasse pas avant et décide de tout abandonner), tout cela pour aboutir à un livre qui sera lu par cinq personnes, dix si l'on veut faire preuve d'un optimisme presque risible. Riche idée que Camus m'a refilée là…

Cette première relecture des années 2007, 2008 et 2009 a été considérablement alentie par le fait que j'ai continué à relire presque systématiquement les commentaires qui faisaient suite aux billets. Ce fut du reste une expérience intéressante, voire un peu étrange : l'impression de voir s'agiter et s'engueuler des fantômes, moi compris.

(Je viens d'aller compter : les billets pour l'instant retenus sont au nombre de 160.)


Samedi 8 décembre

Sept heures et demie. – Journée de lendemain d'apéritif hebdomadaire, donc parfaitement improductive ; ce qui n'a dérangé personne vu que je n'avais rien d'urgent à faire. Si j'avais été réellement très consciencieux j'aurais bien pu feuilleter l'un des deux gros livres sur Piaf qui me restent à parcourir pour en tirer la matière de mon futur travail la concernant ; mais les Terres de sang de Timothy Snyder étaient autrement plus attirantes – ce qui est une façon de parler, compte tenu des horreurs et des abominations qui y sont décrites. Ce que l'historien appelle ainsi, les terres de sang (Bloodlands), c'est cette portion d'Europe orientale comprise entre les États baltes et la mer Noire, englobant, outre les trois États déjà cités, la Pologne dans sa moitié orientale, la Biélorussie et l'Ukraine : terres où les communistes et les nazis ont tués environ quatorze millions de personnes entre 1933 et 1945. Le chapitre consacré à la grande famine sciemment voulue, organisée, planifiée et réalisée par Staline dans les campagnes ukrainiennes en 1932-1933 est absolument terrifiant, avec ces scènes d'anthropophagie, souvent perpétrées au sein d'une même famille, les parents tuant et rôtissant l'un de leurs enfants pour nourrir les autres, la mère agonisante recommandant à ses enfants de la manger lorsqu'elle sera morte, etc. Et, au milieu de cette horreur déshumanisée, pourtant, certains qui refusent obstinément de se livrer au cannibalisme – et ce sont eux, bien entendu, qui meurent les premiers. Il est malaisé, apparemment, de se faire une idée précise du nombre de victimes de ce génocide ukrainien, mais les historiens semblent tomber d'accord pour dire qu'elles furent entre trois et quatre millions. Huit ans plus tard, après le déclenchement de la guerre germano-soviétique, sur cette même terre d'Ukraine, Hitler fera mourir de faim à peu près autant de prisonniers russes. À quoi bien sûr, il faut rajouter les innombrables déportations opérées par Staline dans les années trente, puis les massacres de juifs perpétrés par Hitler ; tout cela ayant eu lieu quasi exclusivement à l'intérieur du périmètre de ces terres de sang, qui fournissent à Snyder l'occasion de repenser totalement l'histoire européenne du XXe siècle, en étudiant précisément les modalités et les conséquences du choc qui y eut lieu entre les deux terreurs, nazie et communiste. De plus, ce gros livre (650 p.) est écrit dans une langue fluide, plutôt élégante, claire, ce qui ne gâte rien. Mais cela reste une lecture particulièrement éprouvante, même lorsque l'on n'a pas encore, comme c'est mon cas, atteint la 150ème page.

– J'ai reçu au courrier, ce matin, les Carnets de guerre de Vassili Grossman ainsi que le petit livre de Shmuel Trigano dont le titre est : La Nouvelle Idéologie dominante, le post-modernisme. Je n'ai pas résisté à l'envie d'interrompre un moment Snyder pour lire le premier chapitre de ce dernier ouvrage.

– Je ne sais plus si j'ai déjà noté ici – probablement pas – que, Catherine ayant une fois de plus cessé de fumer, je me suis, moi, remis à la pipe, afin de fumer moins d'une part, et pour ne pas la tenter inutilement d'autre part.

– À propos de ma série d'articles consacrés à Piaf, j'ai rendez-vous vendredi prochain avec Hugues Vassal, mais je ne sais pas encore si le lieu de rencontre sera Tours ou Blois ; il doit me dire ça d'ici lundi. En tout cas, l'un ou l'autre, la journée promet d'être fatigante : je n'aurai pas volé mon apéro au retour…


Dimanche 9 décembre

Sept heures vingt. – Journée exactement semblable à celle d'hier, passée pour l'essentiel à poursuivre la lecture des Terres de sang de Snyder, livre décidément indispensable, époustouflant par moment, et qui, me semble-t-il, s'il est vraiment lu (et prolongé par d'autres livres à venir), va sans doute modifier, pour l'élargir et l'approfondir, la vision que nous pouvions avoir jusqu'à maintenant de la destruction des juifs d'Europe. Modifier aussi en ce sens que, désormais, il ne sera plus tout à fait possible de considérer cette destruction comme l'unicité absolue qu'elle était jusqu'à maintenant, tout au moins en Europe de l'Ouest : elle devra prendre place dans un ensemble de destructions sinon similaires du moins apparentées, qui ont eu lieu à la même époque, perpétrées non plus par les seuls nazis mais par eux et les communistes. C'est notamment le cas pour l'intelligentsia polonaise qui, entre 1939 et 1941, a été systématiquement et simultanément massacrée par les deux camps, alors alliés, chacun pour ses motifs propres mais qui aboutissaient exactement au même résultat. À la même période, Staline avait déjà renoncé à la fiction de la lutte des classes, et les massacres auxquels il se livrait ne différaient pas beaucoup de – et précédaient dans le temps – ceux de Hitler : les Ukrainiens, les Polonais, les Biélorusses et même les Juifs ont été tués par les communistes en tant qu'ils étaient Ukrainiens, Polonais, Biélorusses et Juifs, et non pour leurs actes, réels ou fantasmés, ni même pour leur appartenance à une quelconque classe d'“exploiteurs”.


Lundi 10 décembre

Six heures. – Venir dans ce journal alors que je suis encore à mon bureau de Levallois, voilà qui m'arrive bien rarement, par exemple ! Cela tient à ce que, pour cause d'un mouvement de grève prévu je ne sais où, probablement à l'imprimerie qui fabrique FD, nous terminons le numéro ce soir, qui n'aurait dû l'être que demain ; je me sens donc plus ou moins obligé – bien qu'on ne m'ait rien demandé, mais j'ai, chevillée au corps, la conscience professionnelle des vieux journalistes blanchis au coin du zinc… – de rester encore ici, alors que mon travail est terminé depuis au moins une heure, pour le cas ou quelque chose surviendrait, qui demanderait à être traité immédiatement.

(De plus, un petit Didier Goux ricanant, tout rouge, cornu et nanti d'une queue en trident, me susurre à l'intérieur du cerveau que, si j'arrive en retard pour le repas du soir, cela me sera une excellente excuse pour m'offrir un petit apéritif non prévu au programme…)

– Ce matin, échographie annuelle, à Neuilly, par le Dr Jobbé Duval, mien cardiologue : tout est presque normal, et, à ce que j'ai compris, ce qui ne l'est pas n'est en aucune façon inquiétant. De plus, pas d'anévrisme mortifère à l'aorte abdominale (j'ai d'abord écrit : abdominable…), ce qui est toujours ça de pris.

– Il y a cinq minutes, Gabriel, le chef des informations, parce que je passais devant son bureau, m'a chargé d'annoncer aux autres reporters que, demain matin, pour le traditionnel “repiquage” éventuel, tout le monde devait être sur le pont à neuf heures au plus tard. Transmettant l'information, j'ai vu deux ou trois mines s'allonger, ce qui m'a amusé car j'aurais eu la même réaction dépitée qu'eux, voilà une trentaine d'années. Ils sont jeunes, célibataires, je suppose qu'ils doivent passer leurs soirées ailleurs que devant leur télé et outrepasser largement la permission de minuit. Exactement ce que je faisais à leur âge. Et je me souviens fort bien qu'il m'est plus souvent qu'à mon tour arrivé de sortir de mon dernier bar, de passer chez moi prendre une douche et enfiler des vêtements propres, avant de reprendre le métro pour venir ici accomplir ma journée de travail – le tout sans en souffrir particulièrement : j'en serais parfaitement incapable aujourd'hui, est-il besoin de le dire ?


Mardi 11 décembre

Sept heures et demie. – Dans ses Terres de sang, plus précisément au chapitre qu'il consacre à l'invasion allemande de l'Europe de l'Est et de la Russie à partir du 22 juin 1941, Timothy Snyder fait observer que, durant l'automne de cette année-là, il est mort chaque jour autant de prisonniers russes que de prisonniers américains et britanniques durant toute la Seconde Guerre mondiale… À partir d'un certain degré, les mots comme horreur, abomination, etc. se vident de tout sens, et il se fait un grand blanc dans l'esprit du lecteur, qui se met à recevoir ces informations de la manière la plus passive et la moins réagissante qui soit. Ce qui est peut-être l'effet le plus effrayant de cette lecture.


Mercredi 12 décembre

Sept heures et quart. – J'ai toujours rendez-vous vendredi à onze heures avec Hugues Vassal, l'ex-photographe de France Dimanche qui fut l'intime d'Édith Piaf de 1957 à 1963, mais à l'heure qu'il est, ni lui ni la personne que je suppose être sa femme, au prétexte qu'elle porte le même nom que lui, mais ce pourrait fort bien être sa fille, voire sa petite-fille, car l'homme est octogénaire, ni lui, disais-je, ni cette personne n'a encore été capable de me dire si notre rencontre aurait lieu à Tours ou à Blois. Et je trouve curieux que l'on puisse, dans ce cas, hésiter entre deux villes, même si peu éloignées l'une de l'autre. Enfin, partant d'ici, du Plessis, cela ne changera pas grand-chose pour moi. J'aimerais mieux Blois car la ville est de proportions plus modestes, ce qui m'agrée toujours davantage, mais enfin, je n'en ferai pas une affaire.

De toute façon, rencontre il n'y aura peut-être pas, en tout cas ce jour-là, car d'après Catherine les services météorologiques annoncent des “pluies verglaçantes” vendredi, et je ne vais pas risquer de me foutre en l'air pour un rendez-vous qui peut sans dommage être remis de quelques jours si besoin était. Je risquerai d'autant moins le coup que, voulant éviter la région parisienne, je compte emprunter un trajet transversal, par Dreux, Châteaudun et Vendôme.


Jeudi 13 décembre

Sept heures et quart. – J'ai finalement réussi à savoir où je suis censé rencontrer Hugues Vassal demain : je préférais Blois, ce sera donc Tours (T'as voulu voir Vierzon et on a vu Vesoul…). Je dis que je suis censé car, à l'heure qu'il est, le risque n'est toujours pas écarté que les routes, demain matin, se soient transformées en patinoire comme elles l'ont été quelques heures aujourd'hui ; auquel cas, bien sûr, je resterais tranquillement ici : je ne suis pas de ces andouilles qui se tuent dans leur avion pour acheminer deux ou trois sacs de courrier par-dessus l'Atlantique.

– Presque terminé Terres de sang. Me voilà rendu aux nettoyages ethniques – juifs compris – auxquels Staline s'est livré à partir de 1945 dans les territoires tombés sous sa coupe. Il est tout de même terrible d'en arriver à se dire que, par comparaison, la guerre et l'occupation ont été, pour les Français, les Belges, les Hollandais, les Danois… quelque chose qui, aux yeux des Ukrainiens, des Biélorusses ou des Polonais de l'époque, aurait fait passer ces pays pour des centres de vacances aux règles un peu strictes ; et c'est pour ne rien dire des populations juives de ces contrées, bien entendu. Voilà des gens que l'on ferait sourire de pitié condescendante avec notre petit et unique Oradour-sur-Glane, ainsi qu'avec nos rutabagas et nos topinambours arrosés d'ersatz de café. Comme disaient nos grands-mères : y a plus malheureux qu'nous.


Samedi 15 décembre

Cinq heures vingt. – Ma journée d'hier a été à la fois très pénible et fort agréable. Pénible en son commencement et sa fin, puisqu'il m'a fallu parcourir près de cinq cents kilomètres sous une pluie ininterrompue, et au milieu d'une circulation dense et bien fournie en poids lourds ; agréable en son milieu grâce aux presque quatre heures que j'ai passées en compagnie d'Hugues Vassal et de sa fille adoptive, Solène, qu'il présente comme sa “mémoire pour le futur”. Et, en effet, cette jeune femme agréable et souriante semble tout connaître de la vie et du répertoire de Piaf, qui était donc le sujet qui nous réunissait.

Je m'étais équipé de l'un de ces magnétophones modernes, de la taille d'un petit téléphone portable et qui fonctionne sans la moindre bande magnétique, ni rien d'approchant : magie, homme blanc… Il m'avait été prêté par l'un des jeunes reporters de FD, Florian, à qui j'ai demandé de m'en expliquer le fonctionnement comme s'il s'adressait à un semi-mongolien. Il a d'ailleurs dû penser que cette exigence était fondée car il ne m'a montré que la manière de s'y prendre pour enregistrer une conversation mais pas celle pour se récouter ; si bien que, aujourd'hui encore, je ne suis pas du tout assuré d'avoir enregistré quoi que ce soit.

De toute façon, ça n'a qu'une importance secondaire. Dès le premier quart d'heure de notre conversation, j'ai compris que le matériel de base de mes futurs articles se trouvait déjà tout entier, ou presque, dans les livres de Vassal que j'ai lus récemment, et qu'il valait mieux que je me concentre sur le personnage, sur sa manière de raconter Piaf – qui fut et reste, on le comprend vite, le grand amour de sa vie, même si platonique – de le laisser vagabonder en toute liberté plutôt que de constamment le couper pour tenter de le recentrer. Moyennant quoi le contact s'établit vite et bien entre nous ; d'autant plus vite et mieux qu'il comprit tout de suite que je ne m'étais pas vanté en prétendant connaître assez bien la vie et l'œuvre de la chanteuse. Au bout d'une demi-heure il proposait que nous passions au tutoiement, ce qu'il fit illico tandis que je m'en tenais au voussoiement, non par principe ni volonté de distance mais parce que c'est ce qui m'est le plus naturel, surtout dans le cas d'un homme me rendant un quart de siècle sur la balance des années.

Hugues Vassal est un homme intéressant. D'abord parce qu'il a une très belle “gueule”, qu'il pourrait sans problème se prétendre de dix ou douze ans plus jeune qu'il n'est, mais surtout, évidemment, parce qu'il parle de Piaf avec une grande justesse de ton, sans esbroufe, sans non plus tomber dans la sotte dévotion, souvent avec une émotion qui “sonne” parfaitement vraie. Enfin, et ce n'est le moindre de ses charmes à mes yeux, il s'exprime dans un français “d'avant”, c'est-à-dire une langue à la fois structurée et fluide, d'autant plus agréable à l'oreille et à l'entendement qu'elle se fait de plus en plus rare.

Durant le repas que nous prîmes dans un petit restaurant du vieux Tours, nous délaissâmes un moment Édith pour nous livrer sans retenue aux plaisirs coupables de la conversation “anciens combattants”. Évidemment, lui ayant quitté FD en 1966 et moi n'y étant entré qu'en 1982, le nombre de personnages que nous avions en commun était assez limité, mais enfin il s'en est trouvé quelques-uns tout de même.

Le moment le plus drôle est survenu lorsque Solène et lui m'ont appris que, l'an prochain, ils allaient probablement se rendre à Saint-Pierre-et-Miquelon, où Vassal se produira sur scène dans le spectacle qu'il a monté – toujours autour de Piaf, il va sans dire. Après que je leur eus confessé notre passion récente, à Catherine et à moi, pour ces îles, et pour leur grand écrivain, Eugène Nicole, Vassal m'a dit que, s'ils y allaient effectivement en 2013, et si leurs affaires avaient bien marché d'ici là, ils me paieraient le billet d'avion et je partirais avec eux. Le plus étrange est que je n'ai pas mis une seconde en doute le fait qu'il puisse le faire effectivement, si la chose était matériellement possible. Quand j'ai raconté ça à Catherine en rentrant, elle m'a dit qu'il n'était pas question que j'aille à Saint-Pierre sans elle et que, dût-elle emprunter le prix du billet, elle serait elle aussi du voyage.

Il me reste maintenant à relire les trois ou quatre livres dont j'ai besoin, mais cette fois en prenant des notes, puis à écrire entre quarante et cinquante mille signes d'ici la fin du mois, en plus de mes journée de travail normales à FD. Gros boulot donc, d'autant que le sujet m'intéresse vraiment et que j'aimerais bien parvenir à un résultat honorable ; en tout cas, un peu au-dessus du “minimum syndical”.


Dimanche 16 décembre

Sept heures et quart. – Grâce soit rendue à Gérard Depardieu, nom d'un évadé fiscal ! Ce n'est tout de même pas donné à tout le monde d'afficher sa liberté avec une aussi belle insolence, de décocher un bras d'honneur qui, depuis quelques jours, fait baver de fureur impuissante tout ce que la gauche compte de bas envieux hâtivement grimés en patriotes de la vingt-cinquième heure. Se faire donner des leçons de patriotisme par un ramassis de blogueurs qui passe son temps à bêler en faveur de l'universel, à couiner contre l'État-nation qui est si méchant qu'il provoque des guerres, à sangloter de tendresse pour tous ces gens qui quittent leurs pays afin de venir s'installer clandestinement dans d'autres pour de simples questions de bien-être matériel : il doit bien rire, le gros Depardieu, d'avoir provoquer le barouf à lui tout seul ; je l'espère pour lui, en tout cas. Moi, j'en profite jusqu'à satiété : quel bonheur de les voir tomber le masque les uns après les autres, sans même qu'ils s'en avisent ! Ils croient sincèrement afficher le noble visage de l'intégrité, de la solidarité, de la citoyenneté en acier chromé, alors que ce sont les pustules de l'aigreur qui éclatent sur leurs faces tordues de rictus haineux – haineux mais fort heureusement tout à fait chétifs et stériles. Et ça trépigne, ça Madame, voyez comme ça trépigne ! S'ils pouvaient le lyncher comme un pauvre nègre de l'Alabama, on sent bien qu'ils auraient du mal à résister à leurs petites pulsions purificatrices. Mais rien à faire : hors d'atteinte, le Gérard. Alors, ils lynchent dans le symbolique et l'imprécatoire ; celui-ci parle de déchoir le monstre de sa nationalité (cette nationalité qui, d'ordinaire, est l'objet de tous leurs mépris d'oiseaux sans tête) ; celui-là clame très fort un mépris que personne n'entend ; cet autre exige qu'on lui ratisse tout ce qu'il a avant qu'il ne soit définitivement hors de portée des petites mains de l'État socialiste et redistributeur.

Oui, décidément, tout cela est bien divertissant. Mais je me demande si le plus comique n'est pas justement cette expression d'évadé fiscal. Car tout de même, de quoi s'évade-t-on d'ordinaire, si ce n'est d'une prison ? D'un cul de basse fosse ? À la rigueur d'un bagne, si on a le culte du passé ? Employer le mot fait comprendre qu'ils admettent, au fond, le caractère carcéral de ce système de spoliation vertueuse. Ce qu'ils veulent, ce n'est évidemment pas la liberté, cette notion de droite, pouah ! Non, leur idéal c'est qu'on les nomme gardiens de l'établissement, avec casquette sur la tête et trousseau de clés à la ceinture : telle est leur ambition.

Et surtout, surtout, que l'on fasse tout ce qui est humainement possible pour rattraper ceux qui ont eu l'audace et l'ingéniosité de tenter la belle.


Lundi 17 décembre

Quatre heures et demie. – Irritants problèmes d'électricité, ici, depuis trois jours. Samedi en milieu d'après-midi on a pu les croire résolus – et en fait, non. Tout a commencé jeudi soir, assez tard ; Catherine étais partie se coucher, je restais seul devant la télé, lorsque soudain, un certain nombre d'ampoules se mirent à vaciller puis à s'éteindre, notamment celle de la petite lampe qui se trouve posée sur le téléviseur. Les prises semblèrent avoir suivi le même chemin de mort, puisque les deux téléphones ont commencé à biper de détresse sur leurs socles respectifs. Première bizarrerie : lorsque j'eus ôté les appareils des socles en question, au bout de quelques poignées de secondes la lumière revint, non seulement au-dessus de la télé mais aussi dans la salle de bain. Mais, dès que je remis les téléphones en place, tout se coupa de nouveau. Je veux dire : tout ce qui l'était avant. Car le téléviseur, lui, n'avait jamais cessé de fonctionner, ni la lumière de la cuisine, etc. Ni, heureusement, la chaudière installée au sous-sol.

Le lendemain, vendredi, Catherine prit la relève, puisqu'il me fallait me rendre à Tours afin d'y rencontrer Hugues Vassal. L'électricien appelé par elle et les réparateurs d'EDF se livrèrent alors à une sorte de partie de ping-pong, chacun affirmant que la panne était du ressort de l'autre. Dans un premier temps, les réparateurs officiels semblèrent l'emporter puisque, après qu'ils eurent plus ou moins démonté et remonté le compteur, tout fonctionnait de nouveau impeccablement. Mais ce fut pour mieux retomber en panne quelques quarts d'heures plus tard, et selon les même modalités que la veille au soir. Cette fois, avantage fut laissé à l'artisan, puisqu'il démontra à Catherine que, lorsqu'on tapotait le compteur avec un objet métallique, le courant revenait. De fait, tout resta normal jusqu'à l'heure du coucher.

Mais, dès le samedi matin, la panne était de nouveau là. Cette fois, comme Catherine était partie faire bonne du curé, je repris la main et réussis à persuader le service de dépannage gratuit d'EDF qu'il fallait me renvoyer une équipe, car, visiblement, mes problèmes ressortissaient à leur champ de compétence. L'équipe, cette fois, n'était composée que d'un seul homme – un des deux de la veille –, lequel nous rendit le courant et nous annonça qu'il nous avait tout bonnement posé un compteur neuf à la place de l'ancien. Nous pensions donc que les ennuis étaient désormais derrière nous ; et, de fait, aucun incident ne fut à déplorer durant toute la journée de dimanche. Petit bémol tout de même : deux des trois prises de la cuisine semblaient avoir rendu l'âme en même temps, ce qui n'était pas très bon signe – mais nous passâmes outre.

Levé le premier, force me fut de constater ce matin que nous avions, si je puis dire, opéré durant la nuit un retour à l'anormal ; un anormal même aggravé, dans la mesure où les postes défaillants étaient plutôt plus nombreux que deux jours avant, avec l'ancien compteur. Avant d'envisager un suicide collectif, je suis tout de même allé inspecter le tableau électrique au sous-sol : trois plombs avaient sauté (je ne sais si on appelle encore ces petits clapets de plastique des “plombs”, mais enfin…). Les ayant renclenchés, tout se remit à fonctionner normalement. Sauf qu'ils sautèrent de nouveau une vingtaine de minutes plus tard, entraînant cette fois dans leur naufrage le disjoncteur général. Je remis tout en service, tout refonctionna ; avant de sauter une nouvelle fois. Ce coup-ci, je décidai de ne plus toucher aux deux plombs fautifs en attendant la venue de l'électricien, lequel ne pourra pas passer avant demain matin, huit heures et demie.

Nous nous préparons donc pour une soirée avec :
– de la lumière dans la chambre et dans l'arrière-cuisine,
– du chauffage,
– la télévision,
– un fonctionnement électrique normal dans la Case, y compris la prise qui alimente cet ordinateur grâce auquel je pleurniche depuis vingt minutes sur mon sort,
– situation également normale au sous-sol, où se trouve le congélateur.
Partout ailleurs, plus rien.
On espère que tout restera en l'état jusqu'à demain matin… on s'estimerait heureux… on apprend la modestie…


Mercredi 19 décembre

Huit heures. – Tiens, pas de journal hier, découvré-je. Cette absence de prise de parole aurait-il un lien avec l'apéritif que nous prîmes hier ? Pas impossible. Apéritif qui, je m'empresse de le préciser, fut bu sur la suggestion insistante de Catherine, soulagée ô combien de voir l'électricité revenir inonder sagement notre maison, après intervention de l'homme de l'art. Et je vois mal comment j'aurais pu lui refuser cet innocent petit plaisir.

– Passé la journée à me bouffer du Piaf au kilomètre : terminé l'épais (et pesant) volume d'Emmanuel Bonnini, le spécialiste auto-proclamé des biographies de “vedettes”, qui me semble donner dans tous les ragots et, surtout, n'avoir bâti son livre que sur un seul son de cloche, celui des époux Bonel, dont Vassal, de son côté, me disait que Piaf ne pouvait se passer mais en les méprisant cordialement. Comment faire la part des choses ? Cinquante ans après sa mort, il flotte encore autour de Piaf des remugles peu appétissants. J'ai ensuite enchaîné directement sur la relecture du Piaf mon amour, de ce même Vassal, mais cette fois le stylo en main.

– En fin de journée (nous venions, Catherine et moi, de nous servir un verre), appel d'Étienne T., le responsable des pages “animaux” d'Enquêtes, pour m'informer que le sujet qu'il m'avait donné hier (ou avant-hier ? Je commence à m'y perdre un peu…) allait être remplacé par un autre, collant plus à l'actualité puisqu'il concerne des équipes de chiens envoyés en guise de “soutien psychologique” (on se demande jusqu'où nous allons dégringoler) dans cette petite ville américaine où a eu lieu la dernière tuerie écolière en date. Là-dessus, il me demande si je pourrais néanmoins écrire le sujet initialement prévu vendredi. Je lui réponds que non (je pense aux articles Piaf, qui doivent être, au moins partiellement, écrits ce week-end). Y réfléchissant ensuite, je me dis que, finalement, je pourrais bien mener tout cela de front et qu'il n'y a aucune raison que je me prive de trois cents euros ; je rappelle Étienne ; trop tard : il a déjà contacté quelqu'un d'autre. Gentiment, il me propose de décommander l'autre zouave, ce que je refuse évidemment : je n'avais qu'à être un peu plus agile de la pensarde et lui dire oui tout de suite, tant pis pour moi. Et puis, bon, il faut vraiment que je me mettre sérieusement à Piaf.

– Sinon, Catherine a appelé ma mère : ils habitent bel et bien leur nouvelle maison normande. Ma mère se plaint de toutes les démarches administratives (impôts, Sécu, etc.) qu'il lui faut accomplir pour régulariser leur nouvelle situation : il y a vingt ou trente ans, c'est une chose qui ne lui aurait pas pris plus que la journée. La bonne nouvelle, à mon sens, est que mon père est, dès le matin, dans son atelier, repris par une furie de bricolage ; ce qui est beaucoup mieux que de somnoler devant la télé allumée, comme il le faisait ces derniers mois à Sedan. J'espère, pour lui mais pas uniquement, que cette espèce d'excitation, de renouveau, va durer le plus longtemps possible, car ce doit être la meilleure garantie de survie qui lui reste.


Jeudi 20 décembre

Sept heures et demie. – J'ai passé tout le temps de notre court apéritif (oui, sous prétexte que nous sommes entrés dans la période dite “des fêtes”, nous en profitons pour prendre un verre tous les soirs, puis, devant la télévision, pour nous gaver de bouchées Mon chéri…) à parler de Piaf à Catherine, qui n'en pouvait mais – mais qui a une telle horreur de sa voix et de son chant, qu'elle préfère encore en entendre parler que de l'écouter. Je me suis aperçu qu'en raison de cette série que j'ai à écrire sur elle, j'étais en train de renouer avec la fascination qui m'a saisi entre 17 et 20 ans, approximativement, période où pratiquement rien d'autre que Piaf – en tout cas dans le domaine de la chanson – n'avait d'intérêt à mes yeux. C'est une expérience étonnante, et un peu déstabilisante, que de rajeunir d'autant et aussi brutalement. Surtout, je m'aperçois que certaines chansons qui me touchaient énormément en mon jeune âge, et pas forcément les plus célèbres, ont, pour certaines d'entre elles, conservé absolument intact ce pouvoir. c'est le cas par exemple de Jérusalem ou encore de celle qui reste l'une de mes préférées : Marie la Française.

– Week-end certes long mais fort occupé. J'ai écrit aujourd'hui un article pour Enquêtes à propos des chiens que je ne sais plus quelle association américaine amène à Newtown, afin de tenter de remettre d'aplomb les gens après la tuerie de vendredi dernier, dans l'école de Sandy Hook.  À partir de demain, ayant lu tous les livres dont je compte me servir, il me faut commencer à écrire les trois fois dix feuillets sur Piaf, pour FD. J'ai annoncé tout à l'heure à Catherine que je comptais fermement écrire un article par jour jusqu'à dimanche inclus, de façon à en avoir terminé à ce moment-là. Je lui ai même précisé que je me motiverai à la manière habituelle : si, chaque soir, un des trois articles est bouclé, j'aurai droit à un apéritif – sinon, non. Elle m'a aussitôt répondu qu'elle allait acheter demain une bouteille de Ricard et la cacher : elle ne la sortira que si le contrat moral précédemment énoncé est rempli (et alors mon verre le sera également).

D'un autre côté, si les Mayas ne sont pas les abrutis sanguinaires que j'ai tendance à voir en eux, nous serons tous morts demain soir – donc, pourquoi s'en faire ?


Vendredi 21 décembre

Cinq heures vingt. – Un peu plus de seize mille signes écrits depuis ce matin, dix heures. Sujet : Les hommes de Piaf. Travail extrêmement frustrant car, bien entendu, j'avais la matière à portée de main pour en écrire cinq ou six fois plus au minimum. Le résultat est que cet article me semble, à chaud, fort médiocre, survolé, schématique, etc. En milieu de journée, alors que je m'épouvantais de ce que je n'en étais qu'à Paul Meurisse (en 1940, donc) et que j'avais déjà écrit plus de huit mille signes, j'ai expédié un mail à Philippe B. pour savoir si on ne pourrait pas publier la série en quatre épisodes plutôt qu'en trois, ce qui m'aurait permis de dédoubler ce chapitre sur les hommes. Mais, comme je m'en doutais plus ou moins, et nettement plus que moins, il a refusé ; il a donc bien fallu que je m'arrange avec les quinze mille signes alloués au départ.

En principe, je devrais avoir moins de problèmes de cet ordre demain, avec le chapitre Édith et Thérèse, et après-demain avec la conclusion, qui parlera de Piaf et sa cour, et aussi du calvaire de la chanteuse lors des dernières années. Mais enfin, j'ai appris à me méfier de moi-même, en ce domaine.

En tout cas, on ne peut pas dire que j'ai volé mon apéritif de ce soir. Car c'est le deal passé avec Catherine : si je parviens à écrire un volet complet de la série en une journée, cela m'ouvre un crédit apéro ; dans le cas contraire, non. Le piège est bien entendu de ne pas le prendre trop massif, cet apéro; sinon, je ne serai pas, ou moins, en état d'écrire demain, donc je calerai avant la fin du deuxième chapitre et, du coup, serai moralement obligé de me priver de tout verre. On ne se rend pas compte, je crois, de ce qu'il peut y avoir de contraintes dans la vie d'un rédacteur ivrogne n'en finissant pas de ruser avec lui-même.

Mais enfin, ne boudons pas notre plaisir présent : je suis très satisfait de m'être mis au travail ce matin presque au saut du lit et d'avoir rempli le contrat moral qui me liait à moi-même. Et, si je parviens à avoir tout écrit dimanche soir, je le serai encore plus, heureux et satisfait. Enfin, au moins satisfait, n'exagérons rien non plus.


Samedi 22 décembre

Huit heures. –  Pas très envie d'écrire quoi que ce soit ici ce soir. Ce qui tombe assez bien car, si même j'avais envie de me répandre, je n'aurais à peu près rien à consigner. Sinon quoi ? J'ai passé l'essentiel de ma journée à écrire les quinze mille signes du deuxième volet de ma série sur Piaf. Bon. Et alors ? Alors, rien : je les ai écrits, c'est tout, rien à en dire.

Ah, oui, tout de même : coup de téléphone de Vassal, qui veut que je lui écrive la préface du livre qu'il prépare sur “les Sixties”. Mais qui me dit qu'il ne peut encore rien me promettre, que tout dépend de son éditeur (Signe, à Strasbourg). M'amuse le fait que, si cela se faisait (et dont je doute un peu), je serait alors le nègre du signataire de cette préface, à savoir Pascal Nègre. Je deviendrais donc une sorte de nègre au carré, ce qui me réjouit, évidemment, mais ne m'intéresse pas plus que ça, au fond.

Je suis vieux, fatigué, pas là. Je ne comprend pas comment un Vassal de 80 ans peut encore avoir envie de faire des livres, des expositions, des spectacles – à moins qu'il ait réellement besoin, financièrement, de tout cela pour vivre, ce qui est possible. Mais moi, non : FD me suffit, doit me suffire. Je ne veux plus participer aux affaires de ce monde. Si Vassal me rappelle demain pour me dire que tout est OK, que je vais faire le nègre du Nègre, bien sûr que je le ferai – au moins parce que dire “non” m'est plus pénible que d'écrire cinq mille signes sur n'importe quel sujet ; mais s'il m'appelle pour m'apprendre que l'affaire ne se fait pas, je serai évidemment bien plus content et joyeux. J'aimerais vraiment qu'on m'oublie.


Dimanche 23 décembre

Cinq heures vingt. – Eh bien voilà : je viens de terminer le troisième et dernier volet de ma série sur Piaf, de relire et corriger l'ensemble et de tout expédier à mes chefs bien aimés. Je suis moi-même stupéfait de cet exploit : je me demande si ce n'est pas la première fois que, m'étant fixé un programme de travail, je m'y tiens absolument, alors même que les deux derniers volets ne présentaient aucun caractère d'urgence – et le premier à peine davantage. Franchement, je n'en reviens pas et ne cesse de me voter les plus enthousiastes félicitations.

– Il y a deux jours, m'avisant, sur le forum public de l'In-nocence, de la présence d'un M. Verwaerde, me revient le souvenir que j'en ai connu un, de Verwaerde, lorsque j'étais au Collège (devenu Lycée depuis) militaire de Saint-Cyr, entre 1967 et 1969. J'envoie donc un mail privé au premier des deux en lui demandant s'il ne serait pas parent avec le second – un second dont je crois me souvenir qu'il se prénommait Stéphane, mais, n'en étant rien moins que sûr, je m'abstiens d'en faire mention dans mon mail. Il vient de me répondre qu'il avait interrogé sa famille, réunie pour Noël, mais que la présence d'un parent à eux au dit Collège ne disait rien à personne. En revanche, dans sa réponse, il me signale l'existence d'un Stéphane Verwaerde né en 1957 (soit un an après moi), devenu amiral et, depuis 2011, quasi patron de toute la marine française. Presque sûr qu'il s'agit là du “mien”, je suis allé interroger Google. Et, tombant sur la photo de l'amiral, malgré cet énorme fossé de 45 ans, j'ai reconnu (ou cru reconnaître, restons prudent…) “mon” Verwaerde. Depuis, je me trouve absurdement flatté de compter désormais un amiral dans mes connaissances…

– Ludovic a téléphoné vers trois heures pour dire qu'il s'apprêtait à partir de Rennes (mais s'apprêter à, dans son cas, n'entraîne aucune immédiateté dans l'action de partir…) pour venir chez nous. D'après lui, il devrait être ici vers neuf heures. Catherine et moi nous demandons comment, même en évitant les autoroutes, ce qu'il fait toujours, il va s'y prendre pour mettre autant de temps à parcourir la distance qui nous sépare. De toute façon, tant qu'on n'exige pas de moi de l'attendre pour commencer l'apéro, n'est-ce pas…


Lundi 24 décembre

Cinq heures. Saloperie d'ordinateur, tiens ! Je venais d'écrire une quinzaine de lignes lorsque, probablement à la suite d'une fausse manœuvre de ma part, un panonceau est apparu pour me dire que j'allais probablement perdre mes “modifications” En dessous, deux cartouches : “Annuler” et “OK”. N'importe quel abruti sait bien qu'il faut, dans ce genre de situation, cliquer sur “annuler”. Par conséquent, quelqu'un peut-il m'expliquer pourquoi j'ai choisi l'option “OK”, ce qui a eu pour effet de supprimer la totalité de ce que je venais d'écrire ? Au fond, je mérite bien ce qui vient de m'arriver : il faut que la stupidité se paie, parfois. De toute façon, ce que j'avais écrit n'avait à peu près aucun intérêt (et, là, bien entendu, j'entends le ricanement de Jérôme Vallet…), une histoire de réveillon chez mes parents, voilà une trentaine d'années, qui avait commencé de façon cauchemardesque puisqu'il m'avait fallu environ quatre heures pour rallier La Ferté en partant de Neuilly : on s'en passera aisément.

– Comme je le pensais, Ludovic est arrivé hier soir aux environ de sept heures, et non à neuf comme il l'avait prévu assez absurdement. Jusqu'à l'heure de notre “apéritif dînatoire”, remplaçant très avantageusement un réveillon tardif, ma stratégie va consister à me tenir systématiquement dans celle des deux maisons où il ne se trouve pas, de manière à préserver mes tympans de tout décibel intempestif. Comme il est déjà plus de cinq heures, ça ne devrait pas être trop compliqué.


Mercredi 26 décembre

Sept heures et quart. – C'est curieux, je ne me souviens pas du tout n'être pas venu dans ce journal hier soir. Et cela me surprend d'autant plus que, ayant dîné vraiment très tôt (à l'heure canadienne, dirait Catherine), j'ai dû passer près de deux heures ensuite devant cet écran : qu'est-ce que j'ai bien pu y faire ? Certainement pas lire les blogs, dans la mesure où la plupart des blogueurs semblent depuis deux jours frappés d'une sorte de catatonie collective et ne savent plus écrire rien d'autre que “joyeux Noël”, avec des variantes plus ou moins originales. Bref…

– J'ai terminé tout à l'heure les Carnets de guerre de Vassili Grossman, ce qui m'a décidé à reprendre Vie et Destin dès demain matin ; tout au moins à le re-commencer : si je m'arrête au beau milieu ce ne sera pas bien grave, l'ayant déjà lu deux fois.

– Ce matin, étant “de tonneau”, je ne devais pas arriver à FD plus tard que huit heures et demie, afin de pouvoir assurer un éventuel repiquage. J'ai donc fait comme d'habitude et suis parti à sept heures, afin de ne pas me laisser mettre en retard par les inévitables bouchons de ces heures-là. Sauf que, bien entendu, pour cause de vacances scolaires qui m'étaient totalement sorties de l'esprit, la circulation était tout à fait fluide ; je suis donc arrivé à huit heures et n'ai pu rejoindre mon bureau qu'en enjambant des aspirateurs, balais, chariots d'entretien, etc., tout cela en saluant les membres exotiques du personnel chargé d'en assurer le maniement. La portion de couloir où je gîte n'avait pas encore été “aspirée” : je ne sais si c'est une consigne que l'on donne aux hommes de ménage (ne pas pénétrer dans un bureau dont l'occupant est présent), mais le nettoyeur chargé d'y procéder a consciencieusement dépoussiéré tous les bureaux de cette partie de la rédaction à l'exception du mien – ce dont, bien entendu, je me moquais éperdument.

– En principe je devrais être en vacances (ou en RTT, c'est à moi d'en décider) la semaine du 14 au 20 janvier : nous en profiterons pour aller déjeuner chez mes parents, à Fontaine-le-Dun, afin de découvrir leur nouvelle maison ; et de leur leur apporter La Dernière Pirouette du Chinois fou, mon journal 2011 papiérisé.


Jeudi 27 décembre

Sept heures vingt. Vie et Destin m'a rempoigné dès les trois ou quatre premières pages, de manière si puissante et irrésistible que je serais, pour le moment, bien empêché d'en rien dire de tant soit peu cohérent : je me contente de me laisser emporter par cette sorte de fleuve à ramifications multiples, sans chercher à résister à son flot, à ses bouillonnements. Il est vrai que je n'ai même pas encore atteint la centième page.

– Du côté de FD, la série consacrée à Piaf est sur rails : les deux premières doubles pages ont été montées cet après-midi, et j'ai écrit (à distance…) le petit texte destiné à la page d'ouverture.

– À propos de Piaf, j'ai reçu ce matin au courrier le coffret de son “intégrale” : vingt CD, que j'ai acheté d'occasion pour la modique somme de dix-neuf euros et quelques centimes. J'ai passé une partie de mon après-midi, et même le plus clair de cet après-midi, à transférer ces disques dans iTunes, puis à sélectionner les chansons que je désirais avoir dans l'iPod. Je suppose que, comme ce fut le cas pour Trenet, lorsque j'en aurai assez d'écouter toujours les mêmes, j'irai “repêcher” les autres, que j'ai d'abord dédaignées.

– Avec tout cela, il me reste encore trois ou quatre feuillets à écrire demain, à propos de Jean Rochefort, alors que je suis censé ne pas travailler le vendredi. Il est vrai que mes bons chefs ont un peu chargé la mule cette semaine, pour la raison que, les fêtes étant ce qu'elles sont en leurs conséquences, j'étais à peu près le seul membre de la rédaction à être présent. De toute façon, cela ne me dérange nullement de travailler les jours où je suis supposé être “de repos”, du moment que je puisse le faire sans sortir de chez moi. Et puis, cela renforce ma position en ce qui concerne le jeudi, où je suis payé officiellement mais sans jamais mettre les pieds à Levallois ce jour-là.

– Alors qu'il avait pris grand soin de souhaiter beaucoup de réussite et de bonheur à ses électeurs musulmans au moment de la fin de ces ripailles nocturnes qu'on nomme ramadan, le président de la République n'a évidemment pas eu un mot pour les chrétiens (dont certains, j'imagine, votent tout de même pour lui…) en cette période de Noël. Lorsqu'il ne sera plus à l'Élysée – car il ne faut pas insulter la fonction –, il serait bon que l'un ou l'autre d'entre nous se dévoue pour aller cracher à la gueule de M. Hollande. Mais je me demande pourquoi et comment je parviens encore à m'énerver pour de si prévisibles abaissements.

– Après quelques jours d'indécision, au sortir du journal de Green, Catherine a finalement opté pour La Modification de Butor. Elle semble s'y plaire puisqu'elle en a lu près de soixante-dix pages aujourd'hui. Il faudra que je l'aiguille de nouveau vers Sarraute, ensuite. Ou vers le Céline du Voyage.


Vendredi 28 décembre

Huit heures. – Si je suis en retard dans ce journal, ce n'est nullement pour cause d'apéritif, contrairement à ce qu'un peuple vain et malintentionné pourrait être enclin à penser, mais parce que j'ai rédigé, pour le blog-mère, un billet à propos d'un passage de Vie et Destin lu en fin d'après-midi. Mais apéritif il y aura bel et bien demain, que le vain peuple se rassure.

– Il y a deux jours, une dizaine de personnes ont été expulsées par la force d'une maison qu'ils occupaient indûment, rue du Château, dans le XIVe arrondissement de Paris. Les forces de l'ordre avaient été requises par le Parti communiste, à qui appartient l'immeuble en question : La fête bat son plein, musique et manèges…, comme chantait Piaf. Il va de soi que je ne suis nullement choqué par le fait qu'un propriétaire entende récupérer son bien. Mais je suis fort amusé de ce que ce propriétaire “sans cœur” soit justement ce groupuscule-là, qui tente désespérément de faire de tous les clandestins son fond de commerce et de clientèle.

– Cet après-midi, j'ai commencé de relire (ou de re-relire, plutôt) mes billets de blogs des années 2007, 2008 et 2009, que j'avais sélectionnés il y a déjà quelques semaines, et de les transporter dans un document Word. Ce faisant, j'en élimine à nouveau environ un sur deux, si ce n'est pas deux sur trois. Je sens qu'à l'arrivée il ne va pas me rester grand-chose…


Samedi 29 décembre

Six heures. – Ce soir, comme il arrive de loin en loin mais régulièrement, il y a messe en l'église du Plessis-Hébert ; c'est pourquoi je viens plus tôt que d'habitude dans ce journal (et l'on se contentera de ce raccourci car je ne vais pas recommencer l'explication chaque fois).

– J'ai partagé ma journée entre Vie et Destin et la relecture des billets de blogs que j'avais retenus lors de la première sélection que j'en avais faite il y a environ un mois, pour les années 2008 et 2009. Parvenu à peu près à la moitié, j'en ai encore éliminé environ un sur trois, et je suppose que d'autres succomberont encore à l'étape suivante. Ce deuxième passage en revue est nettement moins déprimant que le premier, dans la mesure où ont déjà été éliminés les billets les plus grossièrement nuls de ma production. Lorsque j'en aurai terminé – demain soir en principe –, je compte laisser reposer un mois supplémentaire avant la sélection finale. Puis, il faudra tâcher d'organiser la matière. Je commence à avoir une vague, très vague idée de la manière dont cela devra se faire, mais elle l'est tellement, vague, que je serais incapable d'en dire trois mots ici. Une chose est en tout cas certaine : j'ai décidé d'éliminer toute allusion, même lointaine, aux blogs, y compris au mien. De même ont été éliminés tous les billets que j'avais d'abord retenus sous le libellé “Dialogue d'ombres”, ceux dans lesquels je fais mine de parler à Philippe Bernalin : c'était certes l'idée de départ du premier blog, mais elle était assurément mauvaise et tout cela sonne horriblement faux – comme du reste Guillaume Cingal et Valérie Scigala me l'avaient plus ou moins dit, à peu près dès le départ. Quant à moi, il a fallu cette relecture pour que cela me saute enfin aux yeux. Mais peut-être devais-je en passer par cet artifice pour que le blog se mette à exister réellement – si tant est qu'il existe, bien entendu.

– À propos du roman de Grossman, déjà se pose la question : que lire après ça ?


Dimanche 30 décembre

Huit heures. – Passé la journée dans mon propre blog, à la relecture des billets présélectionnés le mois dernier, en vue d'un livre éventuel. Comme tout cela est de la faute de Renaud Camus, qui m'en a soufflé l'idée à deux reprises, je viens de lui envoyer un mail pour lui demander l'autorisation de lui dédier la chose : ça lui apprendra à dire n'importe quoi. Ce faisant, je suis tombé sur un petit texte que j'ai trouvé amusant et je l'ai republié sans préciser qu'il s'agissait d'un “réchauffé” : personne ne s'en est avisé, pas même Chieuvrou, pourtant redoutable dans ce domaine. Cela étant, moi-même en le relisant ne parvenais pas à me persuader que je l'avais réellement écrit. Pour ce qui concerne le livre, je crois avoir déterminé par quel texte il s'ouvrira et par quoi il se terminera, ce qui est bien l'essentiel.

J'hésite entre deux options : soit donner un titre à chaque partie du livre, soit chapeauter tous les textes d'un titre individuel, sachant qu'il serait stupide de coupler les deux. En ce moment même, je penche pour la première solution, mais je sais que je vais changer vingt fois d'avis au long des les jours qui viennent, dans la mesure où je n'ai aucun argument en faveur ni contre une solution ou l'autre.


Lundi 31 décembre

Huit heures et quart. – Fichtre ! j'ai failli oublier que nous étions le 31 de décembre, et qu'il fallait bien venir ici écrire au moins quelques mots, histoire de marquer le coup de la fin d'année. Eh bien voilà, c'est fait. Mais c'est que j'étais occupé à répondre à Renaud Camus, qui lui-même m'avait répondu, et ensuite, pis que tout, parce que que je laissais un commentaire chez cette pauvre folle de Rosaelle. Je me demande d'ailleurs bien pourquoi j'ai pris la peine de terminer l'année en parlant à cette idiote.

Si, je sais : parce que Catherine et moi avons finalement pris un apéro léger, lequel m'a suffi pour avoir envie de replonger dans ce cloaque : on ne se méfie jamais assez de l'alcool, finalement.

Il n'en demeure pas moins que cette soirée soi-disant particulière va être délicieusement semblable à toute autre. Et je repense à ces 31 décembre immondes, pénibles, invraisemblables et fortement oubliables de cette jeunesse désolée qui fut la mienne. Si l'envie m'en prend, j'en reparlerai demain – mais rien n'est moins sûr. Je suis même presque persuadé du contraire, d'ores et déjà.

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