lundi 31 octobre 2011

Septembre 2011








 Conversation au Petit Château






 

À Nefisa.






Jeudi 1er septembre

Midi. – Catherine vient de m'appeler de la maison pour me dire que les contrats relatifs au prochain BM n'étaient toujours pas arrivés, bien que je les aie réclamés trois fois par mail à  “la méchante Marie-Thérèse”, comme Catherine a surnommé Mme M., qui remplace en effet Marie-Thérèse – la “gentille”, donc – en tant qu'assistante de GdV. Et j'ai pris la décision de ne plus me manifester, de laisser la situation évoluer, c'est-à-dire pourrir, toute seule. En principe, le roman devrait être rendu le premier octobre (et déjà là il y a arnaque car je ne vois pas bien pourquoi les délais entre la remise du manuscrit et la parution pourraient être passés soudain d'un mois et demi à trois mois). Si je considère, et c'est tout proche de la réalité, qu'il me faut un mois pour mener le travail à bien, cela signifie qu'à partir d'aujourd'hui, toute journée passée à attendre ces foutus contrats impliquera une journée de retard pour la remise du BM. Si je n'ai toujours rien vers le 10 du mois, je reporterai mes vacances (prévues tout exprès pour ce travail) de la deuxième quinzaine de septembre à la deuxième d'octobre. Et la méchante Marie-Thérèse devra s'arranger de ce retard. Et si elle ne m'envoie rien, eh bien les éditions Vauvenargues manqueront une parution en janvier 2012, ce qui ne devrait pas amuser beaucoup GdV.

– Je ne crois pas avoir signalé que Catherine a repéré, hier ou avant-hier, un deuxième nid de tourterelles dans notre tilleul, à trois branches du premier. Un nid occupé, veux-je dire.

Sept heures et demie. – Mail de Nefisa pour m'annoncer que nous sommes bien attendus le dimanche 18, chez elle, ou plutôt chez sa mère, dans les Ardennes, pour y déjeuner. C'est très bien, je suis ravi de la revoir et de découvrir où elle a passé une partie de sa vie. Je vais donc pouvoir réserver une table pour mon père et nous, le samedi soir précédent, à La Gourmandière de Carignan.

– Autre mail, celui de la “méchante Marie Thérèse” (Anne M.), pour m'avertir qu'elle m'expédie les contrats du prochain BM : j'en suis presque déçu. En revanche, elle me précise qu'il est à rendre pour le premier novembre et non le premier octobre comme je croyais que l'imposaient désormais les nouvelles contraintes éditoriales. Je n'y comprends rien, mais comme je m'en fous c'est sans importance. En fait c'est même beaucoup mieux car je vais pouvoir expédier la série “acteurs du boulevard” pour FD avant de m'y mettre. Il faut néanmoins que j'aie une vague idée de l'histoire d'ici une dizaine de jours car elle me dit avoir besoin d'un argumentaire pour les “commerciaux”.

– Reçu ce matin deux autres romans de DeLillo, Les Noms et Americana, ainsi qu'un vieux guide consacré à la Lozère, chaudement recommandé par Renaud Camus dans son Département du même nom. Comme j'ai terminé Libra à midi, j'ai immédiatement enchaîné tout à l'heure avec le premier des deux nouveaux arrivants. Après ces deux-là il faudrait peut-être que je songe à une pause sous peine d'écœurement : la diversité c'est bien aussi dans les lectures, pas seulement dans les cités sensibles.


Samedi 3 septembre

Dix heures du matin. – Pas d'entrée hier : j'ai passé tellement de temps – par rapport à d"habitude – à écrire mon billet du jour, ou plutôt du soir, que je n'ai plus eu le courage, ensuite, de venir ici. Il faut dire qu'il était déjà bien tard et que mon apéritif de fin de semaine avait été généreux.

Superbe billet de Jérôme Vallet, à propos de la musique, mais pas seulement. Je me sens en total accord avec ce qu'il y dit et défend, même si, du fait de ma totale ignorance de la musique, j'aurais été incapable de le formuler de manière aussi roide. Francis Marche l'a d'ailleurs signalé sur le forum de l'In-nocence, alors même que Jérôme met en question les goûts musicaux du maître des lieux. Moins ses goûts, du reste, que ses facultés de jugement, son aptitude à la hiérarchisation, c'est-à-dire à ce qu'il ne faut surtout pas faire si l'on ne veut pas passer pour un pisse-vinaigre snob et méprisant – ce dont Jérôme doit se foutre autant que moi, voire davantage encore.

– Il faudrait pour bien faire que je sorte de ce week-end de quatre jours avec un synopsis BM à peu près bouclé et une liste de six sujets à soumettre à Philippe B. pour la série qu'il m'a confiée, concernant le théâtre de boulevard. Je ne vois pas trop pour l'instant quoi lui proposer, je dois dire. Mon incertitude est aggravée par le fait que lui-même ne m'a pas semblé savoir ce qu'il voulait, et comptant sur moi pour l'éclairer. Deux aveugles qui se cherchent dans un tunnel. De toute façon, je serais bien surpris de mener tout cela à bien, d'autant que, pour cause d'apéritif hier soir, je ne vais probablement rien faire aujourd'hui.

– Comme, assez bizarrement, Anne M. a décalé la remise de mon prochain BM du premier octobre au premier novembre – alors qu'elle l'avait avancée d'autant il y a deux ou trois mois –, je vais moi-même décaler mes vacances studieuses de la deuxième quinzaine de septembre à son homologue d'octobre. J'ai failli les conserver comme elles étaient, mais Catherine, avec beaucoup de sagesse et connaissant par cœur le bonhomme, m'a fait observer que, si je savais n'être pas au pied du mur, je risquais de ne rien faire du tout durant ces deux semaines et de me retrouver coincé ensuite : elle n'a que trop raison, bien entendu. Donc décalage vers octobre. Si bien que je me retrouve en fait avec trois semaines groupées : la première qui se passera au Mont Saint-Michel et les deux suivantes à ce bureau.

– Ai-je dit que j'avais reçu un mail d'Ygor Yanka, suite à la parution de mon journal de juillet ? Il s'y montre un peu choqué de ce que j'ai pu sembler mettre en doute son sérieux au travail et m'affirme que, ses problèmes administratifs étant réglés, il compte fermement s'y mettre. J'en suis ravi mais, quoi qu'il en soit, ce n'était pas son sérieux que je mettais en doute : plutôt son désir de faire ce boulot. Lequel est, je suis bien placé pour le savoir, tout sauf agréable. En plus, c'est long et de moins en moins lucratif…

Sept heures. – À six heures moins dix un très gros orage a éclaté – qui dure encore. D'une minute sur l'autre, des pluies niagaresques se sont abattues sur le Plessis, et probablement aussi un peu ailleurs. J'étais à ce moment-là dans le garage, occupé au repas des chiens. Lorsqu'ils en ont eu terminé, nous sommes restés tous les quatre une bonne dizaine de minutes (non, sans doute moins tout de même), bras et pattes ballants, à attendre que la pluie veuille bien se désintensifier, eux n'ayant visiblement pas plus que moi l'envie d'être rincés.

Du coup, parce que l'électricité donnait de fâcheux signes d'intermittence, Catherine a décidé de nous faire dîner sans tarder, pendant qu'elle pouvait encore faire chauffer ce qui réclamait de l'être. Et voilà pourquoi je me retrouve ici à l'heure où d'ordinaire nous nous mettons à table.

– Monsieur Van Damme, notre tailleur de haies, est passé hier afin d'établir un devis pour la coupe du tilleul. Si nous l'acceptons, ce devis, le travail devrait s'effectuer fin octobre ou courant novembre : Van Damme n'est pas un patron artisan très précis dans ses engagements, surtout lorsqu'il a affaire à des clients lymphatiques dans notre genre et quand il voit qu'il n'y a aucune urgence. À mon humble avis, il va attendre que toutes les feuilles soient tombées, de façon à n'être pas gêné par elles dans ses manœuvres d'amputation.


Dimanche 4 septembre

Trois heures et quart. – Je ne vois absolument pas par quel bout prendre cette série de six articles que je suis censé faire pour FD, concernant les stars du boulevard – du boulevard français, il va sans dire. Comme ça, de chic, et sans même savoir si je pourrai remplir chacune de ces six cases, je me suis décidé pour deux acteurs (Sim et Jean Lefebvre, tous deux très populaires), deux actrices (Jacqueline Maillan et Maria Pacôme, pour les mêmes raisons), une pièce (La Cage aux folles) et une émission de télé (Au théâtre ce soir, bien évidemment). Je vais proposer ça demain à Philippe B., on verra bien ce qu'il en pense. En fait, je vais même lui envoyer un mail tout de suite, plutôt que d'attendre son coup de téléphone demain.

Quatre heures. – Eh bien voilà, il suffisait de le dire et de le faire. Mon mail est expédié, il ne me reste qu'à attendre les retombées directoriales demain. En attendant, je vais puiser dans mes vieux BM pour tâcher d'y trouver l'inspiration de mon futur synopsis…

Sept heures et demie. – L'antisémitisme délirant de certaines fractions de l'extrême gauche recule ses bornes un peu plus chaque jour. On va encore me reprocher de trop parler des blogs dans ce journal, mais tant pis, je ne résiste pas au plaisir morbide de reproduire ici un commentaire trouvé sur le blog intitulé Nosotros inconsolados, lequel commentaire me paraît relever de la psychiatrie lourde plutôt que de la discussion de salon, fût-il blogosphérique :


Si toute forme de revendication portant sur  « + de justice sociale » est légitime face aux accapareurs, le mouvement qui survient en Israël est des plus confus, et scandaleusement grotesque, voire insolent, nous l’avons d’ailleurs déjà dit.
Ceux là ne se battent que pour une redistribution plus équitable de ce que le gouvernement Israélien confisque aux Palestiniens: Terre, espace, ville, sources, puits, accès à l’eau comme aux terres cultivables, à la dignité d’être palestinien ou même seulement citoyen du monde aussi…
Ce mouvement « d’indignés » prétendus me laisse on ne peut plus perplexe d’autant que rien dans ses « formulations » ne remet en cause les colonies, la politique d’extension dans les territoires, la situation de Gaza, le Mur, les accès à la mer, la situation à Gaza…Ils sont indignés de quoi bordel???Pas même par l’ensemble des exaction militaire comme « plomb durci » contre leurs voisins opprimés.
Keski les emmerdes les « sionistes démocrates et faux partageux »? Certainement pas de chier insolemment tous les jours au visage des populations qui sont là confinées dans la misère et la précarité des camps, sous la menace des armes de Tsahal dans une gigantesque prison à ciel ouvert quand ce n’est pas directement dans les geôles obscures de l’armée d’occupation et de colonisation totalitaire Israélienne elle même…
- »Indignez-vous! Indignez-vous !!! » enjoignait Stéphane Hessel en oubliant que de demander à un oppresseur des améliorations pour soi-même, dans certaines conditions revenait aussi à faire peser tout le poids de celles-ci sur la tête des autres…des palestiniens en l’occurence, et autres communautés arabes de la région.
Les « indignés » d’aujourd’hui, en Israël ne demande certes pas la fin de l’État d’Israël, la libération des palestiniens, l’arrêt des discriminations et de la colonisation des territoires, bien au contraire ils en renforcent la légitimité de façade. la fasciste réalité au service de l’OTAN.
Ils ne veulent seulement que « jouir un peu » à leurs tour, des produits de la spoliation systématique des populations otages de l’OTAN. Ils exigent voracement comme le font toutes les « classes moyenne leur part de pitance, leur part de miettes ramassées sur le dos et les ventres des morts, des femmes mortes, des enfants mort, des vieillards morts, des mémoires assassinées…
L’Israélistan est une base militaire avancée en veille maintenue là en prévision d’autres assauts dans moult autres régions du monde.
Commencent à nous foutre la gerbe…
STEPH.K

On a l'impression troublante que si demain une déportation massive des Israéliens hors de leurs terres est décrétée et qu'on lance un appel aux bonnes volontés pour assurer le transfert, ce bon Steph. K ne sera pas le dernier à se porter volontaire. Avant d'être sans doute liquidé d'une balle dans la nuque, car les vainqueurs laissent rarement traîner ce genre de témoins embarrassants derrière eux. Il n'empêche : être capable de s'étonner de ce que les jeunes Israéliens n'exigent pas la disparition de leur propre État ne me semble pas donné à tout le monde : je vais avoir du mal à en trouver d'encore plus atteints à l'avenir. Même mes chers Ruminants (les Rrums, comme les appelle fort drôlement Suzanne) font pâle figure, à côté de ce zozo.


Lundi 5 septembre

Sept heures et demie. – Toujours pas reçu les contrats pour le prochain BM que Mme M. est pourtant censée m'avoir envoyés. Elle commence à me fatiguer, celle-là. Aussi, quelle idée de les confier à la Poste alors qu'elle aurait pu me les faire parvenir par mail ! À moins bien sûr qu'elle n'ait rien fait du tout, ce qui ne serait pas pour me surprendre.

– Je ne sais par quel hasard Catherine s'est retrouvée sur un site de ventes immobilières alsacien. Elle y a trouvé une maison qui, “sur catalogue”, pourrait tout à fait nous convenir, au prix étonnant de 82 000 euros. Du coup, la pulsion lozérienne se fait moins prenante, pâlissant brusquement devant l'alsacienne.

– Il me reste deux cigarettes pour ce soir. À compter de demain, je replonge dans l'abstinence : j'en suis accablé d'avance. Je suis (on est) vraiment trop stupide d'avoir repris, surtout à un moment où le manque de tabac était devenu tout à fait supportable, et même moins que cela. Catherine, elle, a déjà cessé depuis une semaine et, d'après ce qu'elle dit, le plus dur semble être surmonté. Enfin, bref, je n'ai aucune hâte d'être à demain matin. Je vais, ainsi que la première fois, il y a plus de huit mois, tenter de me servir de ce journal comme d'une “soupape” : ça va pleurnicher et déprimer dans les grandes largeurs, je le sens.

Et le simple fait d'en parler me coupe toute envie de babiller plus avant ici.


Mardi 6 septembre

Sept heures et demie. – Je viens de fermer les commentaires sur le blog-mère : Mildred et la pseudonommée Vanessa Tapendra commençaient à me taper un peu sur les nerfs avec cette façon impolie qu'elles ont de prendre possession du terrain sans se soucier si elles dérangent ou non et à parler de tout et de n'importe quoi entre elles, mais si possible jamais du sujet de mon billet. De plus, apparemment dénuée du plus élémentaire sens de la mesure, c'est des vingt à trente fois par jour que chacune revient mettre sur mon métier son petit ouvrage. Et ce n'était pas aujourd'hui qu'il fallait s'aviser de tester ma patience.

– Cette première journée sans tabac s'est passée comme il était prévu qu'elle le fasse : en étirant chacune de ses minutes comme à plaisir. J'ai lu sans intérêt, mangé sans goût, et beaucoup somnolé. En toute logique tirée de l'expérience, ce devrait être à peu près la même chose demain et commencer à s'améliorer jeudi. Le principal écueil, pour demain, est que je serai à Levallois où, contrairement à ici, le plus proche bureau tabac l'est vraiment, proche…


Mercredi 7 septembre

Sept heures vingt. – Mon arrêt complet de tabac aura donc duré vingt-quatre heures, puisque j'ai rechuté dès aujourd'hui. De peu de cigarettes, de très peu même, mais enfin rechute il y a bel et bien. Et je sens qu'il n'y a que de maigres chances pour que je me réarme de courage dans les jours qui viennent. Pour compenser, j'ai pris l'engagement ferme et solennelle de me remettre dès samedi à la marche quotidienne, et cette fois de m'y tenir quoi qu'il arrive, et aussi de perdre les quelque dix kilos que j'ai en trop – en trop par rapport à mon poids d'avant l'arrêt du tabac de décembre dernier et non dans l'absolu ; là, c'est au moins vingt kilos qu'il me faudrait éliminer, et je sais fort bien que je n'y parviendrai jamais : ils sont installés depuis bien trop longtemps pour que je puisse rêver de les déloger. Dix, en revanche, c'est faisable. Surtout si j'ajoute quatre fois une heure de marche par semaine au semblant de régime que je compte faire.

– Rien de plus à dire ; journée vaguement grise, comme presque toutes celles que je passe à Levallois désormais. Je ne parviens même plus à trouver de goût à mes lectures de la mi-journée. Et pourtant, Dieu sait qu'elles sont de plus en plus courtes, ces journées ! Aujourd'hui, arrivé vers onze heures moins le quart et reparti à quatre heures. Entre les deux, une demi-heure de déjeuner devant mon écran et une heure de lecture en salle de réunion. Eh bien, malgré cela…


Jeudi 8 septembre

Midi. – Je suis pour l'instant fort satisfait du nouveau système inauguré avant-hier sur le blog-mère, à savoir : fermeture complète des commentaires durant la soirée et la nuit – c'est-à-dire lorsque je ne suis pas devant l'ordinateur – et “modération” le reste du temps. Je commençais à être plus que fatigué de ces quelques commentateurs qui, en fait, ne commentaient rien du tout mais s'installaient là comme s'ils se trouvaient chez eux, pour parler de tout et de n'importe quoi, mais de préférence de sujets n'ayant rien à voir avec le billet sous lequel ils se répandaient. Quand je dis que j'en suis satisfait, ce n'est pas exact cependant : la modération est un moindre mal, un palliatif auquel je ne me suis résolu qu'à contrecœur, car je tenais à ce principe de liberté totale que j'avais instauré. Évidemment, j'aurais toujours pu, avec les trois ou quatre commères pénibles (qui ne sont pas toutes des femmes du reste), adopter la technique de Nicolas, qui consiste à les expulser manu militari ou presque. Sauf que, justement, non, je n'aurais pas pu. Ou, en tout cas, il aurait fallu pour cela que je sois bien plus exaspéré que je ne l'étais en réalité. Et même si je m'étais trouvé dans les conditions d'esprit requises, il aurait encore fallu que je me fasse violence pour signifier clairement et explicitement à toutes ces personnae qu'elles étaient devenues non gratae. De toute façon, si les indésirables comprennent qu'ils le sont et choisissent de disparaître, il sera toujours temps, d'ici quelques jours, de revenir au statu quo ante.

Americana, que Nathalie (mon initiatrice à DeLillo) m'avait annoncé comme particulièrement ardu se révèle au contraire assez facile d'accès – facile pour un roman de cet auteur, veux-je dire. Pour moi, il s'apparenterait un peu à Bruit de fond, le premier que j'ai lu, mais dès que je tente de creuser la question de leurs ressemblances elle m'échappe aussitôt et il n'en reste qu'une impression de cousinage vague. Quoi qu'il en soit, pour le moment, si je passe en revue les cinq que j'ai lus, il n'y a pas de doute qu'Outremonde se détache assez nettement du lot, Libra étant le moins intéressant et Les Noms le plus énigmatique, ou plus exactement : opaque.

– Jeudi ou vendredi dernier, Mme M. (la méchante Marie-Thérèse…) m'a assuré par mail qu'elle m'envoyait les contrats du prochain BM, en me précisant assez bizarrement que la remise du manuscrit qu'elle avait d'abord avancé au premier octobre revenait finalement au premier novembre. Sauf que, depuis une semaine, aucun contrat n'a fait son apparition, ni dans ma boitamel ni au courrier. Je suis fermement déterminé à ne rien relancer de ce côté-là. J'ai calé deux semaines de vacances entre le 15 et le 30 octobre afin de pouvoir l'écrire quoi qu'il arrive, et je suis bien décidé à camper l'arme au pied sur cette petite ligne Maginot, sans lever le moindre doigt pour attirer l'attention de l'ennemi. On verra bien comment tout cela se finit.

– Catherine vient de me signaler par téléphone qu'Elstir avait une grosse diarrhée : il faudra penser, cette nuit, à laisser la porte de la maison entrouverte afin qu'il puisse sortir si le besoin s'en fait sentir, et tant pis pour le froid que nous aurons à endurer demain matin au lever. Tout plutôt que de devoir, au saut du lit, éponger un lac Majeur de merde molle.

– Ce matin sur la balance : 108,5 kg. J'ai décidé, debout sur cet engin impavide, que je devais être repassé sous la barre du quintal (99,5 kg m'iraient fort bien…) avant la fin de l'année, quitte à la refranchir dans l'autre sens dès le premier janvier. Et – je le répète pour mieux m'y contraindre – dès samedi, reprise de la marche quotidienne. Du reste, je pense aussi aller marcher une demi-heure ou trois-quarts d'heure les jours où je suis à Levallois. Mais, évidemment, en ville, ce sera moins “sportif” que par les champs et par les grèves.


Samedi 10 septembre

Neuf heures du matin. – Hier soir, comme j'étais rentré suffisamment tôt de Levallois, Catherine a décidé d'aller à la ferme où nous nous ravitaillons en légumes divers. Elle est partie vers six heures moins le quart. Et n'est revenue que vers sept heures et demie, dans une voiture prêtée par le garage de Saint-André où la dépanneuse venait de remorquer notre voiture, dont Catherine s'était auparavant servie pour mettre à bas un poteau de téléphone, juste à la sortie du Cormier. Nous devrions la récupérer d'ici une quinzaine de jours, ce qui veut dire que nous allons devoir aller à Sedan dans la petite Clio qu'elle a récupérée. Et dans laquelle je me demande comment nous allons faire entrer les deux gros chiens pour les emmener au chenil.

Du coup, comme je m'étais servi un verre en l'attendant, j'ai largement eu le temps d'en boire plusieurs. Et comme Catherine, enfin de retour, avait bien besoin d'un whisky ou deux pour se remettre les nerfs d'aplomb, je lui ai tenu compagnie – mais pas devant un verre vide. Je suis allé me coucher extrêmement tôt, ce qui explique que je ne sois pas venu dans ce journal hier et que j'y sois de si bonne heure aujourd'hui.

– À part ça, ou plutôt à cause de ça, je sens que la journée d'aujourd'hui va être particulièrement improductive.

Quatre heure et quart. – Petit tour à Évreux en passant par la ferme de Madame Légumes, où j'ai accompagné – véhiculé serait d'ailleurs plus juste – Catherine, qui tenait à me montrer “son” poteau de téléphone. Il m'ennuie que nous devions, la semaine prochaine, aller dans les Ardennes avec cette Clio poussive, mais enfin on n'a pas trop le choix. Naturellement, comme cette voiture est dépourvue de climatisation, il s'est soudain mis à faire chaud.

– Finissant tout à l'heure Americana (excellent roman, surtout si l'on songe que c'était le premier), j'ai senti qu'il devenait nécessaire de faire une pause dans mes lectures delillesques – ce qui tombe bien puis que je n'en ai plus la moindre sous la main. Saisi d'une envie soudaine, et dont je me demande bien pourquoi et comment elle est arrivée là, dans mon cerveau, je suis allé reprendre dans la bibliothèque le volume de La Pléiade contenant Don Quichotte ainsi que les Nouvelles exemplaires. Et, pour cette fois, j'ai résisté à la tentation de reprendre da capo et suis allé directement à la seconde partie. Peut-être bien que je vais enfin arriver au bout, et à bout, de Don Quichotte.


Dimanche 11 septembre

Quatre heures. – Cette demi-folle de Carine vient de m'adresser “par erreur” un échange de mails qu'elle a eu avec Jérôme Vallet, dans lequel l'un comme l'autre me cassent un peu de sucre sur le dos, ce qui est sans importance. Mais Jérôme en profite pour taper au passage sur Catherine, ce que je vais avoir plus de mal à lui pardonner. Cela dit, celle-ci a aussitôt exercé sa petite vengeance, en envoyant à Jérôme une capture d'écran où figure l'échange en question : dans un esprit purement ludique, j'aimerais bien lire ce qui va s'ensuivre entre Carine et lui. N'importe : imaginer une jonction entre Jérôme et Carine me met en joie. Le poids des mots, le choc des paranos. Non, j'exagère pour le plaisir de la formule : je ne suis pas sûr que l'attitude de Jérôme Vallet ressortisse à la paranoïa. Et, si c'est le cas, la sienne ne prend jamais l'aspect puéril, caricatural qu'elle peut revêtir chez Carine.

– En dehors de ces sottises, c'est goulûment que je me suis replongé dans Don Quichotte, plus précisément dans cette seconde partie dont je n'ai, je crois, jamais lu plus d'une centaine de pages avant d'abandonner, pour la simple raison qu'à chaque reprise j'éprouvais le besoin de recommencer le roman da capo – un peu comme je le fais avec les Mémoires d'outre-tombe, et avec le même résultat d'abandon.


Lundi 12 septembre


Sept heures et demie.
– Miction douloureuse, deuxième ! Comme il y a un an (environ, je n'ai pas noté), je me suis mis cet après-midi à pisser de plus en plus souvent, et avec une sensation de brûlure s'intensifiant à mesure que les heures passaient – urine mêlée de sang en début et en fin d'opération, exactement comme la dernière fois. Je vois le Dr Garrigue demain à deux heures. La dernière fois, le Dr Vanderbrugge, médecin de Catherine, m'avait débarrassé de cette infection en huit jours d'antibiotiques : espérons qu'il en sera de même ce coup-ci. Je ne note ceci que pour amuser mes Rrums, qui verront en me lisant – bien qu'ils jurent leurs grands dieux ne jamais le faire –  que je suis à peu près aussi décati qu'ils semblent l'être eux-mêmes.

À propos d'infection urinaire, je pensais tout à l'heure que pareil incident de santé ne m'étais jamais tombé dessus lorsque j'étais jeune, ou pour être plus précis avant de vivre avec Catherine, et que c'était heureux : vu qu'il m'arrivait comme à chacun de fourrer ma queue où d'autres auraient hésité à planter leur canne, j'aurais tout de suite pensé à toutes les maladies vénériennes du monde – maladies qui, curieusement, m'ont toujours été épargnées : de ce point de vue, je peux m'enorgueillir d'une bite vierge. Dieu sait pourtant si les hommes de ma génération songeaient à tout sauf à se “protéger”. Et les filles pas davantage, à l'abri qu'elles se pensaient sous leur petit parapluie contraceptif.

– Une certaine sérénité semble revenue sur le blog-mère. La fermeture nocturne des commentaires ne doit pas y être pour rien, évidemment, non plus le fait que j'ai publié hier un petit billet à propos de Don Quichotte : le genre de sujets qui calme. Tout à l'heure, à la suite de mon billet de ce matin concernant Art Spiegelman, j'ai senti qu'on se dirigeait droit vers l'un des plus redoutables et des plus récurrents ponts aux ânes : Littérature/bande dessinée, art majeur/art mineur. Je me suis promptement dérobé devant cet infranchissable obstacle.

– Demain, il faudra que je pense à demander à Garrigue si l'alcool est à proscrire pour ma pissopathie actuelle. Et que je pense aussi à n'en pas parler à Catherine en cas de réponse affirmative du praticien.


Mardi 13 septembre

Midi. – Ça devient de pis en pis : je suis arrivé ici, à Levallois, vers dix heures et demie, il est à peine midi et je bâille déjà d'ennui. M'est avis que les premières heures de l'après-midi vont être pénibles au-delà de ce que je puis m'imaginer.

– Je viens d'annuler le rendez-vous pris hier avec le Dr Garrigue pour aujourd'hui, deux heures : je ne me suis relevé que deux fois cette nuit pour aller pisser, et sans la moindre trace de sang dans l'urine. D'autre part, la sensation de brûlure est nettement moins forte qu'hier. Par conséquent, je vais laisser passer une journée ou deux, sachant que je pourrai toujours obtenir un nouveau rendez-vous d'ici vendredi. Il n'empêche que j'ai tout de même dû m'arrêter sur une aire d'autoroute, ce matin, à peu près à mi-parcours, afin de soulager ma vessie : je m'entraîne pour ma prochaine vieillesse, si tant est que je parvienne à me traîner jusqu'à elle qui m'attend.

Neuf heures moins le quart. – Me voici, depuis environ un quart d'heure, seul au salon, écoutant la suite opus 29 de Schönberg, un verre de pastis à main droite, tandis que Catherine est devant la télévision, dans le petit salon, fauteuil bloquant la porte pour que les deux plus jeunes chiens ne viennent pas l'envahir. Il y avait longtemps que cela ne m'était pas arrivé, d'écouter de la musique ici (et c'est à peu près le seul moment où les manifestations carillonneuses de René sont vraiment pénibles…). De plus, la nuit est presque tombée, ce qui signifie que nous entrons pour de bon dans l'automne, ma saison préférée, et d'assez loin.

– Tout à l'heure, alors que je me voyais déjà arrivé, au bas de la côte de la déchetterie de Saint-Aquilin, route barrée, gendarmes en alerte et en gilets fluos jaunes. Je m'enquiers de ce qui se passe : « Un poteau va s'écrouler sur la route, vous ne pouvez pas passer. » J'ai eu envie de répondre au jeune gendarme à lunettes : « Un poteau va s'écrouler ? Ah ? Ma femme est passée par là ? » Mais ça ne l'aurait pas amusé, faute de background. Il a commencé à m'expliquer ce que je devais faire et j'ai alors éprouvé une certaine fierté puérile à l'interrompre, avec un bon sourire de connivence tranquille : « Oh, je connais : je suis du Plessis-Hébert ! »

– On s'habitue très vite au confort, mais encore plus rapidement, je crois, aux innovations technologiques (mais est-ce bie le mot ?) que l'on jugeait d'abord tout à fait inutiles. Ainsi, lorsque j'ai eu pour la première fois en mains le volant de la Mégane, je me suis dit que je ne me servirais jamais, ou presque jamais, des limiteur et régulateur de vitesse. (D'ailleurs, pourquoi limiteur et régulateur ? Pourquoi pas limitateur ? Ou réguleur ? Ç'aurait été très bien, réguleur ! Après tout, nul n'a jamais traité un adepte du pinaillage d'enculateur de mouches ; or, les deux verbes sont bien proches, sinon dans leurs finalités du moins dans leur allure.) Bref, j'ai pesté, à l'aller matinal et au retour vespéral, de ce que ma Clio “de courtoisie” en soit dépourvue, car j'ai eu l'impression de passer ces deux trajets l'œil rivé au tableau de bord afin de contrôler la vitesse qu'imprimait mon pied droit à ce véhicule d'un autre âge. Je ne dois pas être si réactionnaire que ça, finalement.

– Pour revenir à ce que j'écrivais ici ce matin, la journée fut aussi pénible que je le prévoyais : je n'ai rigoureusement rien fait entre dix heures et demie et cinq heures moins le quart. Ensuite, deux heures de travail relativement intensif, qui furent de loin les plus agréables de la journée. Je ne le dirai jamais assez : ce n'est pas le travail qui fatigue, c'est son attente. À partir d'un certain point, même, il arrive comme aujourd'hui que le travail délasse de son attente.

Mais je m'interromps car on ne peut pas faire des phrases en même temps qu'on écoute La Nuit transfigurée, ce point d'aboutissement de toute la musique romantique, me semble-t-il – ça ne se discute pas. Du reste, éteindre cet ordinateur (celui de Catherine, puisque je suis dans le salon et non dans la Case) devient impératif, dans la mesure où je sens bien qu'après Schönberg je vais avoir envie d'écouter le disque de Jérôme Vallet, et que le risque sera alors grand que je me remette à blablater sur cette musique étrange tel un gosse idiot. Par prudence, je vais tout de même le garder à portée de doigts.


Mercredi 14 septembre

Six heures moins le quart. – J'ai battu une manière de record aujourd'hui : arrivé à Levallois à dix heures et quart, j'en suis reparti à une heure et demie, journée terminée. Il est vrai que j'étais tout seul dans le bureau du rewriting, que personne ne se souciait que j'y fusse ou non, et que, ayant expédié deux ou trois bricoles, du type horoscope ou courrier des lecteurs, je savais pertinemment que je n'aurais plus rien à faire avant demain matin. Dans la foulée, sachant qu'Anne sera bel et bien présente, j'ai décidé de ne pas m'y rendre du tout demain. Reprise vendredi, donc, juste avant notre départ pour les Ardennes samedi en fin de matinée ou début d'après-midi, je ne sais pas encore.

– Quand je suis arrivé à la maison, notre voisin électricien faisait un boucan d'enfer avec sa perceuse, Catherine l'ayant prié de venir installer une véritable hotte aspirante au-dessus de sa cuisinière, à la place du ridicule et inopérant ersatz qui s'y trouvait jusqu'à ce matin. Son travail s'est néanmoins rapidement arrêté, dans la mesure où les ouvriers d'EDF, occupés à remplacer le poteau qui s'est écroulé hier soir, ont alors coupé le courant pour tout le village durant près de deux heures.

– La campagne des primaires a commencé aux États-Unis. Espérons que les Républicains sauront se choisir le candidat le mieux placé pour virer le calamiteux Obama de la Maison Blanche. Si, de notre côté, nous parvenons à barrer la route au candidat de la gauche, l'année 2012 n'aura pas été tout à fait inutile.


Jeudi 15 septembre

Sept heures et demie. – Dans son dernier billet, Ygor Yanka raconte comment il s'est fait alpaguer sur Facebook par une femme qui s'est plus ou moins “jetée à sa tête”, ainsi que l'on ne dit plus. D'après les extraits de ses propos qu'il reproduits, cette dame semble avoir une opinion d'elle-même à la fois très haute et passablement ridicule. En bref, elle a tout le profil de la chieuse exaltée, voire demi-folle. Je lui ai, à Yanka, conseillé la fuite.

– Je me sens un peu fiévreux depuis environ une heure et il serait bon que cet état disparaisse comme il est venu : je serais très ennuyé de tomber malade et de devoir, une fois encore, annuler notre déjeuner chez Nefisa et la soirée où nous avons prévu d'inviter mon père au restaurant, qui doit – je le connais – s'en faire une joie.

– Il est dit que je ne lirai jamais Don Quichotte jusqu'au bout : j'ai, cet après-midi, jeté l'éponge (mes doigts avaient d'abord écrit : jeté les pages…) à deux cent pages de la ligne d'arrivée. Cette fois, comme je n'ai pas repris le roman du début, il ne peut s'agir d'un phénomène de lassitude, comme je le pensais lors de mes deux premières tentatives. Il me semble que cette seconde partie est moins virevoltante et plus discoureuse. Pour changer radicalement d'univers et de style, je me suis plongé dans Guignol's band. On peut s'attendre à ce qu'il m'arrive la même mésaventure qu'avec Cervantès puisque, en dehors du Voyage et de Mort à crédit, je n'ai jamais été foutu de lire un livre de Céline jusqu'à son terme. Si, tout de même, les Entretiens avec le professeur Y ainsi que Bagatelles, mais ce sont des livres assez en marge, me semble-t-il.

– J'aime assez bien avoir de la fièvre. J'aime assez bien avoir un peu de fièvre : au-delà de 38°5 ça devient tout de même assez pénible. Sinon, c'est comme une illusion d'enfance à peu de frais. Mais il se trouve que, là, si elle devait s'incruster dans le bonhomme, elle tomberait plutôt mal.

– Ma mère a été opérée ce matin, à l'hôpital de Sedan, et tout s'est officiellement bien passé, si l'on en croit mon père, qui lui-même en croit le chirurgien. Nous irons la voir samedi, si nous parvenons à être à Sedan suffisamment tôt dans l'après-midi – sinon, dimanche, en sortant de chez Nefisa. Tel que je le connais, mon père doit s'emmerder comme un rat, tout seul dans cette maison qui doit lui paraître effroyablement vide, pour ne pas dire hostile.

– J'ai reçu ce matin du propriétaire toutes les indications pour pouvoir nous installer dans son gîte du Mont Saint-Michel. D'ici notre départ, le 7 octobre, il faut absolument que j'aie rédigé les six doubles pages de la série “théâtre de boulevard” pour FD et le synopsis du BM que j'écrirai, lui, du 15 au 30 octobre. Si j'ai, d'ici là, reçu les contrats lui correspondant, ce qui est rien moins qu'assuré.


Lundi 19 septembre

Huit heures. –  Trois jours sans rien écrire ici. À la fois pas le temps et, sans doute, pas envie. Je reviendrai demain sur ce week-end ardennais, la visite chez Nefisa, etc. Là, j'ai seulement envie de prolonger la discussion que Catherine et moi venons d'avoir à propos de mon père, avec qui nous avons donc passé deux jours, sans ma mère, puisqu'elle-même est à l'hôpital.

Il a parlé de sa mort éventuelle. Plusieurs fois. Discrètement. Il semble savoir que la chose est possible (et en effet, elle l'est), il y pense visiblement. Mais il ne veut pas ennuyer qui que ce soit avec ça, et surtout pas ses enfants. Il glisse des allusions, par moment, avec un air de ne pas y toucher qui m'épate. Il semble penser que ses trois enfants ne sont pas capables d'envisager sa disparition, et il n'est pas sûr qu'il ait tort : Isabelle et Olivier, par exemple, semblent vouloir se persuader qu'il va guérir, ce dont Catherine et moi sommes tout sauf sûrs. Mais quelle que soit l'issue, il semble que mon père ne veuille pas emmerder le monde avec sa propre mort. Bref, il a lâché deux ou trois phrases à propos de la vie qu'il avait eue, du temps qu'il avait vécu, etc. Des appels, peut-être. Comment réagir ? Je ne sais pas. Quoi lui dire ? Mais non, mais, non, il n'y a aucune raison que tu meures est parfaitement stupide, et même indigne. Mais oui, en effet, tu va probablement mourir avant d'avoir atteint 80 ans serait d'une cruauté à laquelle je n'ai pas droit, bien entendu. Alors ? Alors, tu fermes ta gueule, fiston-l'aîné ! Tu es assis dans le salon de la maison de ton père, dans cette maison qui n'est rien pour toi parce que tu n'y as jamais vécu – et ta mère est à l'hôpital, et tu viens de lui faire une courte visite, et tu as cru, un moment, voir ta grand-mère, c'est-à-dire sa mère à elle, et c'est un moment que je ne souhaite à personne –, dans cette maison que tu as feint d'accepter comme la maison familiale, ce qu'elle n'est pas.

 – Là-dessus, je viend d'aller me resservir un verre, le dernier avant la nuit, et on peut parler d'autre chose. Par exemple de ce plaisir de revenir chez soi, même au bout de deux jours, et de récupérer ses quatre animaux, lesquels – les chiens notamment – vous signifient à quel point ils vous aiment. Mais le chat aussi : il est là, quand vous arrivez, il vous gueule après, mais il est aussi content que les chiens.


Mardi 20 septembre

Trois heures. – Revenons donc un peu sur ce week-end ardennais. Nous sommes partis de la maison vers onze heures et quart, samedi, après avoir fait un rapide aller-retour au chenil de Chaufour pour y déposer Swann et Elstir – je n'avais encore jamais essayé de faire entrer cent dix kilos de chiens dans une Clio - trois portes : c'est une expérience intéressante. Trajet sans incident notable, hormis un certain mal de dos chez moi, provoqué par le confort très approximatif de notre “véhicule de remplacement”. Dès l'arrivée chez mes parents, nous sommes repartis pour l'hôpital où ma mère se trouvait en “soins intensifs”. J'ai bien voulu croire mon père lorsqu'il nous a affirmé qu'elle avait une “bien meilleure mine” que la veille – elle avait été opérée jeudi –, mais enfin cette bonne mine ne m'a pas particulièrement frappé, ni Catherine. Le lendemain, en revanche, le mieux était tout à fait patent.

Le soir, nous invitions donc mon père à dîner au restaurant, ce qu'il a toujours beaucoup aimé. Nous avions choisi La Gourmandière, restaurant de Carignan installé dans une belle maison bourgeoise que je me suis laissé aller à dater du début du XIXe siècle, mais sans être plus sûr de moi que cela.  Catherine et moi avons été assez déçu par la qualité de notre repas : cuisine trop “chichiteuse”, présentée à l'esbroufe, et surtout beaucoup trop chère pour les plaisirs qu'elle nous a apportés. Mais enfin, ce n'était pas la complète déroute non plus, soyons juste. Ç'a bien failli y tourner pourtant car, près de trois quarts d'heure après notre arrivée nous n'avions toujours pas notre entrée. Et un rapide coup d'œil aux tables environnantes suffisait à montrer que l'attente était tout aussi longue pour les autres convives. Lorsque le sommelier s'est approché de notre table pour je ne sais plus quelle raison – emplir nos verres peut-être –, Catherine s'est très aimablement enquise de savoir s'il y avait des problèmes en cuisine. « Mais non Madame, pourquoi ? – Eh bien, parce que le service est vraiment très long… » Là, petit air pincé du sommelier : « Ah mais, si vous voulez, on peut accélérer, vous savez ! » Évidemment, personne n'a cru une seconde à cette rodomontade. Pourtant, en effet, à partir de là les services se sont enchaînés à une cadence parfaite… mais uniquement pour notre table : les autres ont continué de poireauter interminablement entre les plats. Et nous nous sommes demandé ce qui pouvait bien pousser le personnel à étirer ainsi ce dîner, au risque de lasser la patience et l'appétit de leurs hôtes et, accessoirement, de finir très tard leur propre journée de travail. Enfin, mon père, lui, était ravi de sa soirée et de son repas, ce qui était bien le plus important.

– Le lendemain, dimanche, nous étions donc attendus vers midi au “Petit Château” de Lonny, où vivent la mère et le beau-père de Nefisa. Il s'agit d'une très belle et vaste maison ardennaise que notre hôtesse nous a dit remonter à 1572. La façade arrière est gâchée par une hégémonique véranda, mais celle-ci se fait amplement pardonner lorsqu'on pénètre en son intérieur, car il s'agit d'une très grande et belle pièce, que nous n'avons d'ailleurs pas quittée, puisqu'on nous a servi le champagne dans la partie salon et que nous n'avons ensuite eu que quelques mètres à parcourir pour prendre place autour de la table oblongue où trônaient les homards que le maître de maison venait de griller à notre intention.

J'ai très vite mieux compris pourquoi Nefisa était d'un naturel assez silencieux : sa mère parle pour toute la famille, et aborder un sujet de conversation particulier, soit avec Nefisa soit avec son beau-père, s'est très vite révélé une prétention illusoire. C'est donc avec elle que j'ai parlé la plupart du temps, prenant un malin plaisir à heurter parfois ces convictions de gauche humaniste qui sont si fréquentes chez les gens de nos générations. il s'est trouvé aussi que nos goûts en matière de littérature diffèrent assez considérablement et que je me suis plu à les souligner – quitte à les outrer même un peu – à plusieurs reprises. Mais enfin, dans l'ensemble, ce fut un déjeuner parfaitement réussi et agréable, dans un cadre vraiment plaisant. Nous sommes repartis assez tôt, vers quatre heures et demie, après avoir pris le café en compagnie d'un couple, amis de Nefisa, dont je connaissais plus ou moins l'homme, Antoine, pour l'avoir déjà croisé sur les blogs. En vérité, je me serais volontiers attardé un peu encore, mais il fallait que nous repassions par l'hôpital de Sedan afin de faire notre visite à ma mère. Ma mère qui, la veille, avait semblé beaucoup apprécier l'agenda 2012 “Dimanche et Croix” que Catherine a réalisé et que nous lui avons offert à mon initiative.

– Lundi, le trajet de retour s'est effectué sans incident notable, à part un monstrueux bouchon sur l'A 86 nord, dont nous nous sommes extraits très vite afin d'aller prendre l'A 86 sud, où la circulation était tout à fait fluide. Et voilà pour ce week-end, finalement assez chargé et fatigant.

– Dans la voiture, au retour, Catherine m'a relancé sur son idée de publier – via internet, comme elle vient de le faire pour son agenda – un an de mon journal sur papier, illustré de photographies d'elle. Contrairement à la première fois où elle avait évoqué cette possibilité, j'ai dit oui. Dès que j'en aurai terminé avec le prochain BM, soit au début de novembre, je vais donc reprendre l'année 2010 afin d'en donner une version “digest”. Ce journal faisant 920 000 signes, il me semble qu'il faudrait au moins le réduire de moitié. Avec une belle photo pleine page pour marquer le début de chaque mois, cela devrait faire un assez joli volume, que nous pourrions offrir à trois ou quatre personnes, dont mes parents en tout premier lieu, puisque, n'ayant pas internet, ils n'ont jamais lu mon journal. Catherine trouverait bien que je conservasse les titres mensuels, qu'elle mettrait alors en regard de sa photo d'ouverture. Moi, j'hésite. Ou alors, peut-être, sur une pleine page, donner ce titre mais en l'agrémentant, le complétant par une phrase ou deux tirées du journal et ayant un rapport direct avec ce titre. On verra tout cela en novembre.

– Après deux jours passés sans lire la moindre ligne – ni en écrire, bien que Catherine ait offert le voyage à son ordinateur portable –, je me suis replongé dans Guignol's Band. Je me rends compte que, si je veux lire Céline, et je crois bien que je le veux, il faut absolument que je respecte la “dose prescrite” qui, pour moi, ne doit pas dépasser une quarantaine de pages en une seule prise. Sinon, je sens que je serais rapidement englouti par ce flot toujours bouillonnant.


Mercredi 21 septembre

Sept heures vingt. – Je ne sais pas ce que j'ai à être fatigué comme ça depuis le milieu de l'après-midi. Tout à l'heure, attendant le moment du repas, je me suis carrément endormi sur Guignol's band – et il faut le faire : ça canardait de partout –, endormi au point de me mettre à rêver. C'est un bruit de casserole en provenance de la cuisine qui m'en a tiré, de ce rêve.

– J'ai voulu aujourd'hui lancer ma série de six doubles pages pour FD, dont le sujet est quelque chose comme “les grandes heures du théâtre de boulevard racontées par Olivier Lejeune”. Ce qui implique, évidemment, la participation du Lejeune en question ; lequel, de toute la journée, n'a pas répondu une seule fois aux sollicitations de son téléphone portable et ne m'a naturellement pas rappelé non plus, malgré l'assurance qu'en donnait son message enregistré. Pour parer à toute mauvaise surprise, j'ai commencé par demander au service de documentation générale (et j'avais d'abord écrit cocumentation…) de me préparer un petit dossier sur les trois premiers sujets de la série, ceux que j'ai prévu d'écrire le week-end prochain.

– Pour ne pas être en panne de lecture lorsque mon seuil de résistance à Céline est atteint, mais pour ne pas trop malgré tout m'éloigner de son univers, j'ai repris le Céline de Philippe Muray, que je lis donc en alternance – ou pour mieux dire en panachage. Et je retrouve mon impression première, la même que j'avais eue en lisant son XIXème siècle à travers les âges : celle qu'il aurait pu dire la même chose en moins de mots, pour peu qu'il eût consenti à choisir entre les trois ou quatre métaphores qui lui viennent sans cesse sous les doigts.

– Pour le prochain BM, il m'est venu à l'idée, tout à l'heure, dans mon “véhicule de remplacement”, que je pourrais sans doute reprendre le premier chapitre de celui qui se passe à Plieux – pas celui avec Renaud Camus, l'autre –, en transformant mes filles scoutes en fausses bonnes sœurs et en déplaçant l'action de Plieux à Jumièges. Ensuite, pour la suite de l'intrigue, je devrais pouvoir – peut-être, il va falloir que je le relise – m'appuyer sur l'intrigue d'un plus ancien numéro qui s'intitulait Le Sauvage de la Francilienne. C'est ce qui s'appelle faire du neuf avec du vieux. Ou encore confectionner un patchwork avec deux vieux draps. Si je note l'idée ici c'est que je suis encore foutu de l'avoir oubliée demain : je me connais.

– Rien d'intéressant ni de croustillant à signaler sur les blogs : je suis déjà en overdose de primaires socialistes.


Jeudi 22 septembre

Quatre heures et quart. – Finalement, Olivier Lejeune m'a rappelé hier, à la maison, alors même que je venais d'écrire ici qu'il ne le ferait sans doute pas. Il semble être un homme charmant, courtois et volubile. Nous sommes convenus – lui étant très occupé et moi assez fainéant – de mener notre collaboration à bien par téléphone. Les six doubles pages se feront en trois rendez-vous successifs, deux sujets traités à chaque fois, le premier étant prévu pour onze heures du matin, dimanche. Ce qui devrait me permettre d'écrire les deux articles que nous aurons passés en revue lundi et mardi.

– Je ne sais ce qui m'a pris, hier soir, après avoir fermé ce journal, d'aller relire quelques-uns des billets publiés sur le blog-mère en 2008. et c'est ainsi que j'ai pu réaliser que, contrairement à ce que je croyais, ce n'est pas le 8 octobre 2008 que le tribunal de Versailles m'a condamné à six mois de retrait de permis (et à une amende de 800 €…), mais bien trente jours plus tôt. Si bien que, croyant devoir patienter encore deux semaines pour récupérer mes douze points de permis, je les ai en réalité recouvrés depuis quinze jours.

(Et je m'arrête là car Brice vient de me signifier ma levée d'écrou.)

 Sept heures et demie. – Puisqu'on était dans les histoires de voiture, restons--y. Je dois avouer avoir fait preuve d'un optimisme risible concernant le garage Renault de Saint-André qui doit se charger de remettre Roselyne sur roues, après sa trop violente embrassade avec un poteau téléphonique. L'expert étant passé (pour la seconde fois) hier, je comptais que tout serait réparé ce soir ou au plus tard demain. Pas du tout : ils ont commandé les pièces, qui n'arriveront qu'au début de la semaine prochaine. Ensuite, il faudra les mettre en place, ce qui ne sera fait qu'en fin de semaine, “au mieux”. Et c'est ce au mieux qui m'inquiète car on sent bien que c'est la porte ouverte à tous les plus tard. Cependant, je compte exercer un innocent petit chantage sur ces braves gens, en leur faisant croire que nous devons partir pour trois semaines dès les premiers jours d'octobre – alors que nous ne quitterons Le Plessis que le 7 et pour seulement huit jours. Connaissant mes talents de négociateur et mes capacités à m'imposer à autrui, le stratagème devrait en principe piteusement échouer.

– J'ai bien hâte d'en avoir terminé avec le prochain BM (pas encore commencé…) afin de me replonger dans mon journal 2010 en vue d'en tirer le digest que Catherine attend pour en faire un volume ; un tel accès de gaminerie, face au livre, à l'objet imprimé, me laisse un peu désemparé : à mon âge, tout de même…


Vendredi 23 septembre

Trois heures et demie. – Le docteur Garrigue a réussi à me glisser entre deux rendez-vous, comme je le lui avais demandé ce matin par téléphone, mes problèmes de miction douloureuse ayant brusquement réapparu hier. Il m'a envoyé faire des examens – sang et urine – dont nous aurons les résultats lundi. En attendant, me voilà parti pour dix jours d'antibiotiques.

– Depuis ce matin dix heures et demie, j'ai dû travailler un quart d'heure. L'avantage de cet aller-retour à Neuilly pour y consulter, puis de la visite au laboratoire d'analyses et enfin de mon passage à la pharmacie, est que je n'ai pas encore eu le temps de m'ennuyer – mais je sens que ça vient.

– Mon désintérêt pour les blogs s'accentue ces derniers temps ; et, comme chaque fois, il est parallèle à une désaffection pour le mien, où j'écris moins et avec moins de goût. C'est évidemment sans importance aucune. Je pense que cela va me faire beaucoup de bien, cette pause de huit jours qui se profile, lorsque nous serons au Mont Saint-Michel.


Samedi 24 septembre

Huit heures. – J'avais prévu de débroussailler un peu ma documentation concernant les deux premiers volets de la série que je dois écrire (Au théâtre ce soir et Jacqueline Maillan), afin d'être “armé” pour mon rendez-vous téléphonique de demain matin avec Olivier Lejeune. Bien évidemment je n'en ai rien fait. Je pourrais bien prétendre qu'à la place j'ai tondu la pelouse : ce serait scrupuleusement vrai, mais c'est un travail d'une demi-heure.

– Pendant ce temps, une bande de musulmans postillonnant leurs frustrations appellent ouvertement à la guerre civile et au massacre de juifs. En Palestine ? Non, rue Myrha (ou Polonceau, je ne sais plus ; de toute façon c'est le même cloaque), dans le XVIIIe arrondissement de Paris. Bien entendu, à peu près personne ne s'en émeut : les juifs ni les Français ne sont des victimes défendables, et une horde d'Arabes et de noirs vociférants ne saurait être taxée de racisme et d'incitation à la haine en aucune façon. Et, comme on se doute, les fameux musulmans modérés observent, à leur habitude, un silence… religieux. Je me demande s'il ne va pas être temps pour les Français qui ne l'ont pas encore de passer leur permis de chasse. Surtout ceux qui habitent en ville.

– Un grand roman, c'est un trou de mémoire.

– J'ai terminé la relecture que je faisais du Céline de Philippe Muray et j'ai recommencé de parcourir à grandes enjambées la biographie du même par Philippe Alméras. Tout cela entrecoupant ma lecture de Céline lui-même, Guignol's band. Si je parviens enfin à venir à bout de cette montagne-là, je devrai une fière chandelle à Hervé XP, puisque c'est en partie grâce à lui (à cause ?) que j'ai eu envie de ressayer. Catherine, quant à elle, vient d'abandonner à peu près à mi-chemin la biographie de saint Augustin pour revenir à Bernanos, Sous le soleil de Satan.

– Les petites pilules miracle du docteur Garrigue le sont vraiment, miraculeuses : alors que le traitement de dix jours n'est commencé que depuis hier midi, mes problèmes urinaires ont déjà presque totalement disparu. Le remède (dont j'ignore la nature ; je veux dire : dans quelle catégorie il se range) s'appelle Augmentin. Je le recommande à tous les pisse-goutte.

– Les voisins d'en face reçoivent – ce qui heureusement est exceptionnel –, probablement des gens de leur famille. Parmi les nouveaux venus, un gamin qui n'a cessé de hurler de toute la journée. D'excitation au jeu, certes, de joie peut-être, mais enfin les décibels étaient bien là. Heureusement que la nuit tombe de plus en plus tôt…


Dimanche 25 septembre

Quatre heures et quart. – Passé plus d'une heure, ce matin, au téléphone, avec Olivier Lejeune, homme charmant et disert, ce qui faisait bien mon affaire. En outre, on sent dès ses premiers mots que l'on a affaire à quelqu'un sachant ce que parler à la presse veut dire, qui a compris votre sujet et, de manière toute naturelle, se met de lui-même sur les rails que vous lui avez indiqués. Un nouveau rendez-vous a été pris pour mardi matin, afin de parler des deux doubles pages suivantes (Sim et La Cage aux folles). Si j'avais été tout à fait raisonnable – mais ça se saurait – j'aurais écrit le premier volet (Au théâtre ce soir) dès cet après-midi, mais le courage m'a manqué. J'ai résolu, pour excuser à mes propres yeux ce manque de volonté, d'écrire les deux premiers articles demain : un le matin, l'autre tout de suite après le déjeuner. Et, mais alors là on rêve, un troisième mardi après-midi. En réalité, si j'en ai deux faits mardi soir je serai déjà très content.

– Temps d'été depuis deux jours, sauf le matin où il fait bien froid. Également le soir dès que le soleil disparaît.

– Catherine vient de ne confectionner pas moins de douze pots de “ketchup vert”, ce condiment québécois fait d'un mélange de tomates vertes, de pommes, de poivrons, clou de girofle, de sucre et de vinaigre (je crois que c'est tout), dont on se sert généralement pour accompagner les côtelettes ou rôtis de porc, mais aussi le steak haché. On en a pour un un an.

– Ce matin, tandis que j'étais coincé dans la Case en raison de mon rendez-vous téléphonique avec Lejeune et que Catherine était à la messe, les chiens sont restés enfermés dans la maison environ une heure et demie, ce qui est tout à fait habituel. Lorsque je suis revenu j'ai découvert une considérable flaque de pisse dans le salon. Évidemment, pas moyen de savoir avec certitude lequel des trois s'est rendu coupable de ce méfait. J'aurais tendance à exclure Swann qui, dès que le jardin leur a été de nouveau accessible, est allé ostensiblement y pisser – à moins qu'il ne s'agisse de sa part d'une suprême ruse pour nous enfumer.  Mais enfin, si tout le monde se met à avoir des problèmes urinaires, dans cette maison…

– Poursuivi la lecture de la biographie de Céline par Alméras, et notamment les pages concernant l'Occupation. J'ai beau essayer de ne pas me laisser guider par le moralisme imbécile qui infeste la majorité de mes contemporains, je dois dire que la fuite ventre à terre de l'écrivain dès juin 44, faisant suite à ses appels aux meurtres et autres rodomontades, le rend rien moins que sympathique – et voilà encore un mot que l'on n'ose plus utiliser sans les pincettes des guillemets ou le verni de l'italique, même lorsque c'est lui le plus juste, tellement il a été dévoyé ces dernières décennies. La destinée de Drieu La Rochelle me semble à tout prendre plus digne que celle de Céline. Mais, évidemment, bien au confortable dans mon fauteuil, j'en parle à mon aise : je ferai peut-être moins le malin demain, en cas de charia active.

– Avec tout cela (tout quoi ?), le synopsis du prochain BM est toujours au point mort. Je vois le moment que je vais être contraint d'y travailler alors que nous serons déjà au Mont Saint-Michel et que j'aurai la tête à tout sauf à cela. D'un autre côté, je n'ai plus jamais la tête à cela, alors…


Lundi 26 septembre

Huit heures. – Je serai bref. Pour la simple raison – et c'est une raison sans raison – que, comme il m'arrive certains soirs, je n'ai aucun goût pour venir écrire dans ce journal. D'ordinaire, quand une telle chose m'arrive, je me contente de laisser la date en blanc et d'attendre le lendemain. Aujourd'hui, je viens pour dire que je ne viens pas. Mon cas s'aggrave, l'ombre gagne.

– Bon, cela dit, maintenant que je suis là… Comme subodoré, je n'ai pas écrit les deux articles que j'avais inscrits hier à mon programme mais seulement le premier d'entre eux, ce qui à tout prendre n'est déjà pas si mal. Demain, après mon second rendez-vous téléphonique avec Lejeune, je vais m'efforcer de mener le deuxième à bien. Et bien heureux si je ne finis pas par tout mélanger.

– Rien d'autre à signaler, hormis un rapide aller-retour au Super U de Pacy afin d'y faire provision de quatre packs d'eau minérale “qui pique” : la vie trépidante du polygraphe tous terrains.


Mardi 27 septembre

Sept heures et quart. – Catherine a voulu tenter une recette de pâtes aux sardines – sardines en boîte – et le résultat s'est avéré fort décevant : les morceaux de poisson ont atterri dans la gamelle d'Elstir et les pâtes à la poubelle. Ce sont des choses qui arrivent (mais rarement, somme toute) lorsqu'on se lance dans l'inconnu, qu'on se risque sur le bizarre.

– J'aurais dû cet après-midi écrire le deuxième volet de ma série (Jacqueline Maillan), j'en ai à peine rédigé les deux mille premiers signes, ce qui va m'obliger à terminer demain à Levallois. D'un autre côté, comme je passe mon temps à pleurnicher que je m'emmerde à FD, ç'aura au moins le mérite de m"occuper un peu.

– Mon second rendez-vous téléphonique avec Lejeune s'est aussi bien déroulé que le premier, mais il a été plus court. Cela tient pour une part à ce qu'il avait peut-être moins de choses à dire sur Sim, le héros du jour, que sur nos sujets précédents, mais surtout au fait que je suis décidément un piètre interviewer, toujours pressé d'avoir fini alors qu'il vient à peine de commencer.  S'ajoute à cela que je me suis aperçu une fois de plus, rédigeant le papier Au théâtre ce soir, hier, que je disposais de deux à trois fois trop de matière pour l'espace qui m'était alloué : dans ces conditions, à quoi bon presser le citron à l'interviewé ? Mais, évidemment, un vrai journaliste me rétorquerait que, justement, il est nécessaire d'avoir dix fois trop de choses si l'on veut espérer en sortir deux ou trois vraiment intéressantes.

– J'ai ensuite appelé le laboratoire de Neuilly où je suis allé vendredi dernier pour mes analyses, de sang et d'urine. J'ai scrupuleusement noté sans rien y comprendre les données qu'une femme charmante m'a communiquées, puis je les ai transmises, toujours par téléphone, au docteur Garrigue. Verdict : tout va bien. J'ai en effet une petite infection urinaire, mais de modèle banal et parfaitement éliminable par les antibiotiques qu'il m'a prescrites. En outre, j'ai une prostate de jeune homme. D'après l'analyse de sang en tout cas, et pour ce qu'elle en peut dire.

– Comme j'avais encore le téléphone en main, j'ai appelé le garage de Saint-André afin de savoir où en étaient les réparations de Roselyne. Une première personne a commencé à me dire qu'elle ne serait pas prête avant le début voire le milieu de la semaine prochaine. Comme nous partons vendredi matin pour le Mont Saint-Michel, j'ai vu venir le moment où, si je me montrais excessivement accommodant, tous les clients râleurs et exigeants allaient me passer devant et que nous nous retrouverions sans voiture – sans la nôtre en tout cas – pour ces vacances. J'ai donc déclaré à cette dame que, quoi qu'il arrive, je devrais partir pour trois semaines dès mardi matin et que, si ma voiture n'était pas prête, je partirais avec la leur. L'argument a eu l'air de porter car elle m'a demandé mon numéro de téléphone et m'a assuré qu'elle allait me rappeler d'ici un quart d'heure – ce à quoi je n'ai pas cru une seconde. J'ai pourtant été rappelé moins de dix minutes après, mais par une autre femme, qui semblait plus “gradée”. Je lui ai redébobiné ma petite menterie et, pour finir, elle m'a assuré que Roselyne serait pimpante et amoureuse comme au premier jour lundi soir sans faute. Nous nous sommes quittés excellents amis. Et d'autant plus que, s'il y a un os de dernière minute, il me restera trois jours de délai avant notre départ pour le Mont.


Mercredi 28 septembre

Trois heures et demie. – En principe, je devrais être occupé à finir d'écrire ce deuxième volet de la série “théâtre de boulevard” dont je parlais hier. Les conditions sont idéales : je n'ai rien d'autre à faire, je suis seul dans le bureau du rewriting, où règne une agréable fraîcheur. Pourtant, rien à faire. Et je sais déjà que je ne ferai plus rien avant demain, par une sorte d'épuisement ontologique qui, désormais, me tombe dessus dès que que je suis ici, à Levallois, depuis plus de trois heures. Si je veux pouvoir être productif demain, il faut absolument que j'arrive avant dix heures et demie et que je m'attelle tout de suite à mes travaux personnels : après le déjeuner j'en suis désormais incapable. Ou alors, il y faudrait une urgence implacable, qui n'est pas encore de mise dans l'état actuel des choses. Pour me donner l'illusion de faire tout de même quelque chose, je viens de passer commande auprès de la documentation générale d'un dossier sur La Cage aux folles et d'un autre sur Marthe Mercadier. J'évite de penser que, il y a encore sept ou huit ans, j'aurais probablement écrit ces six doubles pages en un seul week-end de quatre jours, et on n'en aurait plus parlé. La vieillesse n'est peut-être pas automatiquement un naufrage, mais enfin le rafiot commence à prendre l'eau de manière considérable. 


Jeudi 29 septembre

Quatre heures. – Après maint atermoiement j'ai fini par m'atteler à Jacqueline Maillan, si j'ose, et même à en venir à bout. Il me reste donc quatre double pages à écrire pour en avoir terminé de cette série. L'idéal – on ne rit pas – serait que j'écrive la troisième dès demain et les trois autres ce week-end, ce qui me laisserait l'esprit libre pour partir en vacances. Enfin, pas tout à fait libre car il faudra bien, une fois au Mont Saint-Michel, que je mette sur pied le synopsis du BM.

– Hier, par pur désœuvrement, j'ai mis en ligne mon journal d'août avec deux jours d'avance. Mais je m'aperçois que je dis cela pratiquement chaque mois, si bien que ce “deux jours d'avance” est en passe de devenir la norme.

– Renaud Camus ne publie pas moins de quatre livres en novembre : cet homme finira par nous ruiner.

– Hier soir, sous le prétexte qu'il faisait un temps quasi provençal, j'ai eu envie de prendre quelques pastis sur la terrasse, à la maison. Et je crois bien que nous allons recommencer ce soir, puisqu'il fait exactement le même temps qu'hier.


Vendredi 30 septembre

Quatre heures. – J'ai profité de la pause déjeuner des deux autres rewriters présents pour expédier Sim, troisième volet de ma glorieuse série. Il m'en reste donc trois à faire durant ce week-end qui devrait commencer d'ici une demi-heure. Je dois récupérer Catherine au bas de l'immeuble et la conduire à Neuilly où c'est son tour d'avoir rendez-vous avec le docteur Garrigue. Ensuite, retour au Plessis en droite ligne – et apéritif dans la ligne de mire.

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