Conversation au Petit Château
À Nefisa.
Jeudi 1er septembre
Midi. –
Catherine vient de m'appeler de la maison pour me dire que les contrats
relatifs au prochain BM n'étaient toujours pas arrivés, bien que je les
aie réclamés trois fois par mail à “la méchante Marie-Thérèse”, comme
Catherine a surnommé Mme M., qui remplace en effet Marie-Thérèse – la
“gentille”, donc – en tant qu'assistante de GdV. Et j'ai pris la
décision de ne plus me manifester, de laisser la situation évoluer,
c'est-à-dire pourrir, toute seule. En principe, le roman devrait être
rendu le premier octobre (et déjà là il y a arnaque car je ne vois pas
bien pourquoi les délais entre la remise du manuscrit et la parution
pourraient être passés soudain d'un mois et demi à trois mois). Si je
considère, et c'est tout proche de la réalité, qu'il me faut un mois
pour mener le travail à bien, cela signifie qu'à partir d'aujourd'hui,
toute journée passée à attendre ces foutus contrats impliquera une
journée de retard pour la remise du BM. Si je n'ai toujours rien vers le
10 du mois, je reporterai mes vacances (prévues tout exprès pour ce
travail) de la deuxième quinzaine de septembre à la deuxième d'octobre.
Et la méchante Marie-Thérèse devra s'arranger de ce retard. Et si elle
ne m'envoie rien, eh bien les éditions Vauvenargues manqueront une
parution en janvier 2012, ce qui ne devrait pas amuser beaucoup GdV.
–
Je ne crois pas avoir signalé que Catherine a repéré, hier ou
avant-hier, un deuxième nid de tourterelles dans notre tilleul, à trois
branches du premier. Un nid occupé, veux-je dire.
Sept heures et demie.
– Mail de Nefisa pour m'annoncer que nous sommes bien attendus le
dimanche 18, chez elle, ou plutôt chez sa mère, dans les Ardennes, pour y
déjeuner. C'est très bien, je suis ravi de la revoir et de découvrir où
elle a passé une partie de sa vie. Je vais donc pouvoir réserver une
table pour mon père et nous, le samedi soir précédent, à La Gourmandière de Carignan.
–
Autre mail, celui de la “méchante Marie Thérèse” (Anne M.), pour
m'avertir qu'elle m'expédie les contrats du prochain BM : j'en suis
presque déçu. En revanche, elle me précise qu'il est à rendre pour le
premier novembre et non le premier octobre comme je croyais que
l'imposaient désormais les nouvelles contraintes éditoriales. Je n'y
comprends rien, mais comme je m'en fous c'est sans importance. En fait
c'est même beaucoup mieux car je vais pouvoir expédier la série “acteurs
du boulevard” pour FD avant de m'y mettre. Il faut néanmoins que j'aie
une vague idée de l'histoire d'ici une dizaine de jours car elle me dit
avoir besoin d'un argumentaire pour les “commerciaux”.
– Reçu ce matin deux autres romans de DeLillo, Les Noms et Americana, ainsi qu'un vieux guide consacré à la Lozère, chaudement recommandé par Renaud Camus dans son Département du même nom. Comme j'ai terminé Libra
à midi, j'ai immédiatement enchaîné tout à l'heure avec le premier des
deux nouveaux arrivants. Après ces deux-là il faudrait peut-être que je
songe à une pause sous peine d'écœurement : la diversité c'est bien
aussi dans les lectures, pas seulement dans les cités sensibles.
Samedi 3 septembre
Dix heures du matin. –
Pas d'entrée hier : j'ai passé tellement de temps – par rapport à
d"habitude – à écrire mon billet du jour, ou plutôt du soir, que je n'ai
plus eu le courage, ensuite, de venir ici. Il faut dire qu'il était
déjà bien tard et que mon apéritif de fin de semaine avait été généreux.
– Superbe billet
de Jérôme Vallet, à propos de la musique, mais pas seulement. Je me
sens en total accord avec ce qu'il y dit et défend, même si, du fait de
ma totale ignorance de la musique, j'aurais été incapable de le formuler
de manière aussi roide. Francis Marche l'a d'ailleurs signalé sur le
forum de l'In-nocence, alors même que Jérôme met en question les goûts
musicaux du maître des lieux. Moins ses goûts, du reste, que ses
facultés de jugement, son aptitude à la hiérarchisation, c'est-à-dire à
ce qu'il ne faut surtout pas faire si l'on ne veut pas passer pour un
pisse-vinaigre snob et méprisant – ce dont Jérôme doit se foutre autant
que moi, voire davantage encore.
– Il faudrait pour
bien faire que je sorte de ce week-end de quatre jours avec un synopsis
BM à peu près bouclé et une liste de six sujets à soumettre à Philippe
B. pour la série qu'il m'a confiée, concernant le théâtre de boulevard.
Je ne vois pas trop pour l'instant quoi lui proposer, je dois dire. Mon
incertitude est aggravée par le fait que lui-même ne m'a pas semblé
savoir ce qu'il voulait, et comptant sur moi pour l'éclairer. Deux
aveugles qui se cherchent dans un tunnel. De toute façon, je serais bien
surpris de mener tout cela à bien, d'autant que, pour cause d'apéritif
hier soir, je ne vais probablement rien faire aujourd'hui.
–
Comme, assez bizarrement, Anne M. a décalé la remise de mon prochain BM
du premier octobre au premier novembre – alors qu'elle l'avait avancée
d'autant il y a deux ou trois mois –, je vais moi-même décaler mes
vacances studieuses de la deuxième quinzaine de septembre à son
homologue d'octobre. J'ai failli les conserver comme elles étaient, mais
Catherine, avec beaucoup de sagesse et connaissant par cœur le
bonhomme, m'a fait observer que, si je savais n'être pas au pied du mur,
je risquais de ne rien faire du tout durant ces deux semaines et de me
retrouver coincé ensuite : elle n'a que trop raison, bien entendu. Donc
décalage vers octobre. Si bien que je me retrouve en fait avec trois
semaines groupées : la première qui se passera au Mont Saint-Michel et
les deux suivantes à ce bureau.
– Ai-je dit que j'avais
reçu un mail d'Ygor Yanka, suite à la parution de mon journal de
juillet ? Il s'y montre un peu choqué de ce que j'ai pu sembler mettre
en doute son sérieux au travail et m'affirme que, ses problèmes
administratifs étant réglés, il compte fermement s'y mettre. J'en suis
ravi mais, quoi qu'il en soit, ce n'était pas son sérieux que je mettais
en doute : plutôt son désir de faire ce boulot. Lequel est, je suis
bien placé pour le savoir, tout sauf agréable. En plus, c'est long et de
moins en moins lucratif…
Sept heures. – À six
heures moins dix un très gros orage a éclaté – qui dure encore. D'une
minute sur l'autre, des pluies niagaresques se sont abattues sur le
Plessis, et probablement aussi un peu ailleurs. J'étais à ce moment-là
dans le garage, occupé au repas des chiens. Lorsqu'ils en ont eu
terminé, nous sommes restés tous les quatre une bonne dizaine de minutes
(non, sans doute moins tout de même), bras et pattes ballants, à
attendre que la pluie veuille bien se désintensifier, eux n'ayant visiblement pas plus que moi l'envie d'être rincés.
Du
coup, parce que l'électricité donnait de fâcheux signes
d'intermittence, Catherine a décidé de nous faire dîner sans tarder,
pendant qu'elle pouvait encore faire chauffer ce qui réclamait de
l'être. Et voilà pourquoi je me retrouve ici à l'heure où d'ordinaire
nous nous mettons à table.
– Monsieur Van Damme, notre
tailleur de haies, est passé hier afin d'établir un devis pour la coupe
du tilleul. Si nous l'acceptons, ce devis, le travail devrait
s'effectuer fin octobre ou courant novembre : Van Damme n'est pas un
patron artisan très précis dans ses engagements, surtout lorsqu'il a
affaire à des clients lymphatiques dans notre genre et quand il voit
qu'il n'y a aucune urgence. À mon humble avis, il va attendre que toutes
les feuilles soient tombées, de façon à n'être pas gêné par elles dans
ses manœuvres d'amputation.
Dimanche 4 septembre
Trois heures et quart. –
Je ne vois absolument pas par quel bout prendre cette série de six
articles que je suis censé faire pour FD, concernant les stars du
boulevard – du boulevard français, il va sans dire. Comme ça, de chic,
et sans même savoir si je pourrai remplir chacune de ces six cases, je
me suis décidé pour deux acteurs (Sim et Jean Lefebvre, tous deux très
populaires), deux actrices (Jacqueline Maillan et Maria Pacôme, pour les
mêmes raisons), une pièce (La Cage aux folles) et une émission de télé (Au théâtre ce soir, bien
évidemment). Je vais proposer ça demain à Philippe B., on verra bien ce
qu'il en pense. En fait, je vais même lui envoyer un mail tout de
suite, plutôt que d'attendre son coup de téléphone demain.
Quatre heures.
– Eh bien voilà, il suffisait de le dire et de le faire. Mon mail est
expédié, il ne me reste qu'à attendre les retombées directoriales
demain. En attendant, je vais puiser dans mes vieux BM pour tâcher d'y
trouver l'inspiration de mon futur synopsis…
Sept heures et demie.
– L'antisémitisme délirant de certaines fractions de l'extrême gauche
recule ses bornes un peu plus chaque jour. On va encore me reprocher de
trop parler des blogs dans ce journal, mais tant pis, je ne résiste pas
au plaisir morbide de reproduire ici un commentaire trouvé sur le blog
intitulé Nosotros inconsolados, lequel commentaire me paraît relever de la psychiatrie lourde plutôt que de la discussion de salon, fût-il blogosphérique :
Si toute forme de revendication portant sur « + de justice sociale » est légitime face aux accapareurs, le mouvement qui survient en Israël est des plus confus, et scandaleusement grotesque, voire insolent, nous l’avons d’ailleurs déjà dit.
Ceux là ne se battent que pour une redistribution plus équitable de ce que le gouvernement Israélien confisque aux Palestiniens: Terre, espace, ville, sources, puits, accès à l’eau comme aux terres cultivables, à la dignité d’être palestinien ou même seulement citoyen du monde aussi…
Ce mouvement « d’indignés » prétendus me laisse on ne peut plus perplexe d’autant que rien dans ses « formulations » ne remet en cause les colonies, la politique d’extension dans les territoires, la situation de Gaza, le Mur, les accès à la mer, la situation à Gaza…Ils sont indignés de quoi bordel???Pas même par l’ensemble des exaction militaire comme « plomb durci » contre leurs voisins opprimés.
Keski les emmerdes les « sionistes démocrates et faux partageux »? Certainement pas de chier insolemment tous les jours au visage des populations qui sont là confinées dans la misère et la précarité des camps, sous la menace des armes de Tsahal dans une gigantesque prison à ciel ouvert quand ce n’est pas directement dans les geôles obscures de l’armée d’occupation et de colonisation totalitaire Israélienne elle même…
- »Indignez-vous! Indignez-vous !!! » enjoignait Stéphane Hessel en oubliant que de demander à un oppresseur des améliorations pour soi-même, dans certaines conditions revenait aussi à faire peser tout le poids de celles-ci sur la tête des autres…des palestiniens en l’occurence, et autres communautés arabes de la région.
Les « indignés » d’aujourd’hui, en Israël ne demande certes pas la fin de l’État d’Israël, la libération des palestiniens, l’arrêt des discriminations et de la colonisation des territoires, bien au contraire ils en renforcent la légitimité de façade. la fasciste réalité au service de l’OTAN.
Ils ne veulent seulement que « jouir un peu » à leurs tour, des produits de la spoliation systématique des populations otages de l’OTAN. Ils exigent voracement comme le font toutes les « classes moyenne leur part de pitance, leur part de miettes ramassées sur le dos et les ventres des morts, des femmes mortes, des enfants mort, des vieillards morts, des mémoires assassinées…
L’Israélistan est une base militaire avancée en veille maintenue là en prévision d’autres assauts dans moult autres régions du monde.
Commencent à nous foutre la gerbe…
STEPH.K
On
a l'impression troublante que si demain une déportation massive des
Israéliens hors de leurs terres est décrétée et qu'on lance un appel aux
bonnes volontés pour assurer le transfert, ce bon Steph. K ne sera pas
le dernier à se porter volontaire. Avant d'être sans doute liquidé d'une
balle dans la nuque, car les vainqueurs laissent rarement traîner ce
genre de témoins embarrassants derrière eux. Il n'empêche : être capable
de s'étonner de ce que les jeunes Israéliens n'exigent pas la
disparition de leur propre État ne me semble pas donné à tout le monde :
je vais avoir du mal à en trouver d'encore plus atteints à l'avenir.
Même mes chers Ruminants (les Rrums, comme les appelle fort drôlement Suzanne) font pâle figure, à côté de ce zozo.
Lundi 5 septembre
Sept heures et demie. –
Toujours pas reçu les contrats pour le prochain BM que Mme M. est
pourtant censée m'avoir envoyés. Elle commence à me fatiguer, celle-là.
Aussi, quelle idée de les confier à la Poste alors qu'elle aurait pu me
les faire parvenir par mail ! À moins bien sûr qu'elle n'ait rien fait
du tout, ce qui ne serait pas pour me surprendre.
– Je
ne sais par quel hasard Catherine s'est retrouvée sur un site de ventes
immobilières alsacien. Elle y a trouvé une maison qui, “sur catalogue”,
pourrait tout à fait nous convenir, au prix étonnant de 82 000 euros. Du
coup, la pulsion lozérienne se fait moins prenante, pâlissant
brusquement devant l'alsacienne.
– Il me reste deux
cigarettes pour ce soir. À compter de demain, je replonge dans
l'abstinence : j'en suis accablé d'avance. Je suis (on est) vraiment
trop stupide d'avoir repris, surtout à un moment où le manque de tabac
était devenu tout à fait supportable, et même moins que cela. Catherine,
elle, a déjà cessé depuis une semaine et, d'après ce qu'elle dit, le
plus dur semble être surmonté. Enfin, bref, je n'ai aucune hâte d'être à
demain matin. Je vais, ainsi que la première fois, il y a plus de huit
mois, tenter de me servir de ce journal comme d'une “soupape” : ça va
pleurnicher et déprimer dans les grandes largeurs, je le sens.
Et le simple fait d'en parler me coupe toute envie de babiller plus avant ici.
Mardi 6 septembre
Sept heures et demie. –
Je viens de fermer les commentaires sur le blog-mère : Mildred et la
pseudonommée Vanessa Tapendra commençaient à me taper un peu sur les
nerfs avec cette façon impolie qu'elles ont de prendre possession du
terrain sans se soucier si elles dérangent ou non et à parler de tout et
de n'importe quoi entre elles, mais si possible jamais du sujet de mon
billet. De plus, apparemment dénuée du plus élémentaire sens de la
mesure, c'est des vingt à trente fois par jour que chacune revient
mettre sur mon métier son petit ouvrage. Et ce n'était pas aujourd'hui
qu'il fallait s'aviser de tester ma patience.
– Cette
première journée sans tabac s'est passée comme il était prévu qu'elle le
fasse : en étirant chacune de ses minutes comme à plaisir. J'ai lu sans
intérêt, mangé sans goût, et beaucoup somnolé. En toute logique tirée
de l'expérience, ce devrait être à peu près la même chose demain et
commencer à s'améliorer jeudi. Le principal écueil, pour demain, est que
je serai à Levallois où, contrairement à ici, le plus proche bureau
tabac l'est vraiment, proche…
Mercredi 7 septembre
Sept heures vingt.
– Mon arrêt complet de tabac aura donc duré vingt-quatre heures,
puisque j'ai rechuté dès aujourd'hui. De peu de cigarettes, de très peu
même, mais enfin rechute il y a bel et bien. Et je sens qu'il n'y a que
de maigres chances pour que je me réarme de courage dans les jours qui
viennent. Pour compenser, j'ai pris l'engagement ferme et solennelle de
me remettre dès samedi à la marche quotidienne, et cette fois de m'y
tenir quoi qu'il arrive, et aussi de perdre les quelque dix kilos que
j'ai en trop – en trop par rapport à mon poids d'avant l'arrêt du tabac
de décembre dernier et non dans l'absolu ; là, c'est au moins vingt
kilos qu'il me faudrait éliminer, et je sais fort bien que je n'y
parviendrai jamais : ils sont installés depuis bien trop longtemps pour
que je puisse rêver de les déloger. Dix, en revanche, c'est faisable.
Surtout si j'ajoute quatre fois une heure de marche par semaine au
semblant de régime que je compte faire.
– Rien de plus à
dire ; journée vaguement grise, comme presque toutes celles que je
passe à Levallois désormais. Je ne parviens même plus à trouver de goût à
mes lectures de la mi-journée. Et pourtant, Dieu sait qu'elles sont de
plus en plus courtes, ces journées ! Aujourd'hui, arrivé vers onze
heures moins le quart et reparti à quatre heures. Entre les deux, une
demi-heure de déjeuner devant mon écran et une heure de lecture en salle
de réunion. Eh bien, malgré cela…
Jeudi 8 septembre
Midi.
– Je suis pour l'instant fort satisfait du nouveau système inauguré
avant-hier sur le blog-mère, à savoir : fermeture complète des
commentaires durant la soirée et la nuit – c'est-à-dire lorsque je ne
suis pas devant l'ordinateur – et “modération” le reste du temps. Je
commençais à être plus que fatigué de ces quelques commentateurs qui, en
fait, ne commentaient rien du tout mais s'installaient là comme s'ils
se trouvaient chez eux, pour parler de tout et de n'importe quoi, mais
de préférence de sujets n'ayant rien à voir avec le billet sous lequel
ils se répandaient. Quand je dis que j'en suis satisfait, ce n'est pas
exact cependant : la modération est un moindre mal, un palliatif auquel
je ne me suis résolu qu'à contrecœur, car je tenais à ce principe de
liberté totale que j'avais instauré. Évidemment, j'aurais toujours pu,
avec les trois ou quatre commères pénibles (qui ne sont pas toutes des
femmes du reste), adopter la technique de Nicolas, qui consiste à les
expulser manu militari ou presque. Sauf que, justement, non, je
n'aurais pas pu. Ou, en tout cas, il aurait fallu pour cela que je sois
bien plus exaspéré que je ne l'étais en réalité. Et même si je m'étais
trouvé dans les conditions d'esprit requises, il aurait encore fallu que
je me fasse violence pour signifier clairement et explicitement à
toutes ces personnae qu'elles étaient devenues non gratae.
De toute façon, si les indésirables comprennent qu'ils le sont et
choisissent de disparaître, il sera toujours temps, d'ici quelques
jours, de revenir au statu quo ante.
– Americana,
que Nathalie (mon initiatrice à DeLillo) m'avait annoncé comme
particulièrement ardu se révèle au contraire assez facile d'accès –
facile pour un roman de cet auteur, veux-je dire. Pour moi, il
s'apparenterait un peu à Bruit de fond, le premier que j'ai lu,
mais dès que je tente de creuser la question de leurs ressemblances elle
m'échappe aussitôt et il n'en reste qu'une impression de cousinage
vague. Quoi qu'il en soit, pour le moment, si je passe en revue les cinq
que j'ai lus, il n'y a pas de doute qu'Outremonde se détache assez nettement du lot, Libra étant le moins intéressant et Les Noms le plus énigmatique, ou plus exactement : opaque.
–
Jeudi ou vendredi dernier, Mme M. (la méchante Marie-Thérèse…) m'a
assuré par mail qu'elle m'envoyait les contrats du prochain BM, en me
précisant assez bizarrement que la remise du manuscrit qu'elle avait
d'abord avancé au premier octobre revenait finalement au premier
novembre. Sauf que, depuis une semaine, aucun contrat n'a fait son
apparition, ni dans ma boitamel ni au courrier. Je suis fermement
déterminé à ne rien relancer de ce côté-là. J'ai calé deux semaines de
vacances entre le 15 et le 30 octobre afin de pouvoir l'écrire quoi
qu'il arrive, et je suis bien décidé à camper l'arme au pied sur cette
petite ligne Maginot, sans lever le moindre doigt pour attirer
l'attention de l'ennemi. On verra bien comment tout cela se finit.
–
Catherine vient de me signaler par téléphone qu'Elstir avait une grosse
diarrhée : il faudra penser, cette nuit, à laisser la porte de la
maison entrouverte afin qu'il puisse sortir si le besoin s'en fait
sentir, et tant pis pour le froid que nous aurons à endurer demain matin
au lever. Tout plutôt que de devoir, au saut du lit, éponger un lac
Majeur de merde molle.
– Ce matin sur la balance :
108,5 kg. J'ai décidé, debout sur cet engin impavide, que je devais être
repassé sous la barre du quintal (99,5 kg m'iraient fort bien…) avant
la fin de l'année, quitte à la refranchir dans l'autre sens dès le
premier janvier. Et – je le répète pour mieux m'y contraindre – dès
samedi, reprise de la marche quotidienne. Du reste, je pense aussi aller
marcher une demi-heure ou trois-quarts d'heure les jours où je suis à
Levallois. Mais, évidemment, en ville, ce sera moins “sportif” que par
les champs et par les grèves.
Samedi 10 septembre
Neuf heures du matin. –
Hier soir, comme j'étais rentré suffisamment tôt de Levallois,
Catherine a décidé d'aller à la ferme où nous nous ravitaillons en
légumes divers. Elle est partie vers six heures moins le quart. Et n'est
revenue que vers sept heures et demie, dans une voiture prêtée par le
garage de Saint-André où la dépanneuse venait de remorquer notre
voiture, dont Catherine s'était auparavant servie pour mettre à bas un
poteau de téléphone, juste à la sortie du Cormier. Nous devrions la
récupérer d'ici une quinzaine de jours, ce qui veut dire que nous allons
devoir aller à Sedan dans la petite Clio qu'elle a récupérée. Et dans
laquelle je me demande comment nous allons faire entrer les deux gros
chiens pour les emmener au chenil.
Du coup, comme je
m'étais servi un verre en l'attendant, j'ai largement eu le temps d'en
boire plusieurs. Et comme Catherine, enfin de retour, avait bien besoin
d'un whisky ou deux pour se remettre les nerfs d'aplomb, je lui ai tenu
compagnie – mais pas devant un verre vide. Je suis allé me coucher
extrêmement tôt, ce qui explique que je ne sois pas venu dans ce journal
hier et que j'y sois de si bonne heure aujourd'hui.
– À part ça, ou plutôt à cause de ça, je sens que la journée d'aujourd'hui va être particulièrement improductive.
Quatre heure et quart. – Petit tour à Évreux en passant par la ferme de Madame Légumes, où j'ai accompagné – véhiculé
serait d'ailleurs plus juste – Catherine, qui tenait à me montrer “son”
poteau de téléphone. Il m'ennuie que nous devions, la semaine
prochaine, aller dans les Ardennes avec cette Clio poussive, mais enfin
on n'a pas trop le choix. Naturellement, comme cette voiture est
dépourvue de climatisation, il s'est soudain mis à faire chaud.
– Finissant tout à l'heure Americana
(excellent roman, surtout si l'on songe que c'était le premier), j'ai
senti qu'il devenait nécessaire de faire une pause dans mes lectures
delillesques – ce qui tombe bien puis que je n'en ai plus la moindre
sous la main. Saisi d'une envie soudaine, et dont je me demande bien
pourquoi et comment elle est arrivée là, dans mon cerveau, je suis allé
reprendre dans la bibliothèque le volume de La Pléiade contenant Don Quichotte ainsi que les Nouvelles exemplaires. Et, pour cette fois, j'ai résisté à la tentation de reprendre da capo et suis allé directement à la seconde partie. Peut-être bien que je vais enfin arriver au bout, et à bout, de Don Quichotte.
Dimanche 11 septembre
Quatre heures.
– Cette demi-folle de Carine vient de m'adresser “par erreur” un
échange de mails qu'elle a eu avec Jérôme Vallet, dans lequel l'un comme
l'autre me cassent un peu de sucre sur le dos, ce qui est sans
importance. Mais Jérôme en profite pour taper au passage sur Catherine,
ce que je vais avoir plus de mal à lui pardonner. Cela dit, celle-ci a
aussitôt exercé sa petite vengeance, en envoyant à Jérôme une capture
d'écran où figure l'échange en question : dans un esprit purement
ludique, j'aimerais bien lire ce qui va s'ensuivre entre Carine et lui.
N'importe : imaginer une jonction entre Jérôme et Carine me met en joie.
Le poids des mots, le choc des paranos. Non, j'exagère pour le plaisir
de la formule : je ne suis pas sûr que l'attitude de Jérôme Vallet
ressortisse à la paranoïa. Et, si c'est le cas, la sienne ne prend
jamais l'aspect puéril, caricatural qu'elle peut revêtir chez Carine.
– En dehors de ces sottises, c'est goulûment que je me suis replongé dans Don Quichotte,
plus précisément dans cette seconde partie dont je n'ai, je crois,
jamais lu plus d'une centaine de pages avant d'abandonner, pour la
simple raison qu'à chaque reprise j'éprouvais le besoin de recommencer
le roman da capo – un peu comme je le fais avec les Mémoires d'outre-tombe, et avec le même résultat d'abandon.
Lundi 12 septembre
Sept heures et demie. – Miction douloureuse, deuxième ! Comme il y a un an (environ, je n'ai pas noté), je me suis mis cet après-midi à pisser de plus en plus souvent, et avec une sensation de brûlure s'intensifiant à mesure que les heures passaient – urine mêlée de sang en début et en fin d'opération, exactement comme la dernière fois. Je vois le Dr Garrigue demain à deux heures. La dernière fois, le Dr Vanderbrugge, médecin de Catherine, m'avait débarrassé de cette infection en huit jours d'antibiotiques : espérons qu'il en sera de même ce coup-ci. Je ne note ceci que pour amuser mes Rrums, qui verront en me lisant – bien qu'ils jurent leurs grands dieux ne jamais le faire – que je suis à peu près aussi décati qu'ils semblent l'être eux-mêmes.
À propos d'infection
urinaire, je pensais tout à l'heure que pareil incident de santé ne
m'étais jamais tombé dessus lorsque j'étais jeune, ou pour être plus
précis avant de vivre avec Catherine, et que c'était heureux : vu qu'il
m'arrivait comme à chacun de fourrer ma queue où d'autres auraient
hésité à planter leur canne, j'aurais tout de suite pensé à toutes les
maladies vénériennes du monde – maladies qui, curieusement, m'ont
toujours été épargnées : de ce point de vue, je peux m'enorgueillir
d'une bite vierge. Dieu sait pourtant si les hommes de ma génération
songeaient à tout sauf à se “protéger”. Et les filles pas davantage, à
l'abri qu'elles se pensaient sous leur petit parapluie contraceptif.
–
Une certaine sérénité semble revenue sur le blog-mère. La fermeture
nocturne des commentaires ne doit pas y être pour rien, évidemment, non
plus le fait que j'ai publié hier un petit billet à propos de Don Quichotte
: le genre de sujets qui calme. Tout à l'heure, à la suite de mon
billet de ce matin concernant Art Spiegelman, j'ai senti qu'on se
dirigeait droit vers l'un des plus redoutables et des plus récurrents
ponts aux ânes : Littérature/bande dessinée, art majeur/art mineur. Je
me suis promptement dérobé devant cet infranchissable obstacle.
– Demain, il faudra que je pense à demander à Garrigue si l'alcool est à proscrire pour ma pissopathie actuelle. Et que je pense aussi à n'en pas parler à Catherine en cas de réponse affirmative du praticien.
Mardi 13 septembre
Midi.
– Ça devient de pis en pis : je suis arrivé ici, à Levallois, vers dix
heures et demie, il est à peine midi et je bâille déjà d'ennui. M'est
avis que les premières heures de l'après-midi vont être pénibles au-delà
de ce que je puis m'imaginer.
– Je viens d'annuler le
rendez-vous pris hier avec le Dr Garrigue pour aujourd'hui, deux heures :
je ne me suis relevé que deux fois cette nuit pour aller pisser, et
sans la moindre trace de sang dans l'urine. D'autre part, la sensation
de brûlure est nettement moins forte qu'hier. Par conséquent, je vais
laisser passer une journée ou deux, sachant que je pourrai toujours
obtenir un nouveau rendez-vous d'ici vendredi. Il n'empêche que j'ai
tout de même dû m'arrêter sur une aire d'autoroute, ce matin, à peu près
à mi-parcours, afin de soulager ma vessie : je m'entraîne pour ma
prochaine vieillesse, si tant est que je parvienne à me traîner jusqu'à
elle qui m'attend.
Neuf heures moins le quart. –
Me voici, depuis environ un quart d'heure, seul au salon, écoutant la
suite opus 29 de Schönberg, un verre de pastis à main droite, tandis que
Catherine est devant la télévision, dans le petit salon, fauteuil
bloquant la porte pour que les deux plus jeunes chiens ne viennent pas
l'envahir. Il y avait longtemps que cela ne m'était pas arrivé,
d'écouter de la musique ici (et c'est à peu près le seul moment où les
manifestations carillonneuses de René sont vraiment pénibles…).
De plus, la nuit est presque tombée, ce qui signifie que nous entrons
pour de bon dans l'automne, ma saison préférée, et d'assez loin.
–
Tout à l'heure, alors que je me voyais déjà arrivé, au bas de la côte
de la déchetterie de Saint-Aquilin, route barrée, gendarmes en alerte et
en gilets fluos jaunes. Je m'enquiers de ce qui se passe : « Un poteau
va s'écrouler sur la route, vous ne pouvez pas passer. » J'ai eu envie
de répondre au jeune gendarme à lunettes : « Un poteau va s'écrouler ?
Ah ? Ma femme est passée par là ? » Mais ça ne l'aurait pas amusé, faute
de background. Il a commencé à m'expliquer ce que je devais
faire et j'ai alors éprouvé une certaine fierté puérile à l'interrompre,
avec un bon sourire de connivence tranquille : « Oh, je connais : je
suis du Plessis-Hébert ! »
– On s'habitue très vite au
confort, mais encore plus rapidement, je crois, aux innovations
technologiques (mais est-ce bie le mot ?) que l'on jugeait d'abord tout à
fait inutiles. Ainsi, lorsque j'ai eu pour la première fois en mains le
volant de la Mégane, je me suis dit que je ne me servirais jamais, ou
presque jamais, des limiteur et régulateur de vitesse. (D'ailleurs,
pourquoi limiteur et régulateur ? Pourquoi pas limitateur ? Ou réguleur ? Ç'aurait été très bien, réguleur ! Après tout, nul n'a jamais traité un adepte du pinaillage d'enculateur
de mouches ; or, les deux verbes sont bien proches, sinon dans leurs
finalités du moins dans leur allure.) Bref, j'ai pesté, à l'aller
matinal et au retour vespéral, de ce que ma Clio “de courtoisie” en soit
dépourvue, car j'ai eu l'impression de passer ces deux trajets l'œil
rivé au tableau de bord afin de contrôler la vitesse qu'imprimait mon
pied droit à ce véhicule d'un autre âge. Je ne dois pas être si
réactionnaire que ça, finalement.
– Pour revenir à ce
que j'écrivais ici ce matin, la journée fut aussi pénible que je le
prévoyais : je n'ai rigoureusement rien fait entre dix heures et demie
et cinq heures moins le quart. Ensuite, deux heures de travail
relativement intensif, qui furent de loin les plus agréables de la
journée. Je ne le dirai jamais assez : ce n'est pas le travail qui
fatigue, c'est son attente. À partir d'un certain point, même, il arrive
comme aujourd'hui que le travail délasse de son attente.
Mais je m'interromps car on ne peut pas faire des phrases en même temps qu'on écoute La Nuit transfigurée,
ce point d'aboutissement de toute la musique romantique, me semble-t-il
– ça ne se discute pas. Du reste, éteindre cet ordinateur (celui de
Catherine, puisque je suis dans le salon et non dans la Case) devient
impératif, dans la mesure où je sens bien qu'après Schönberg je vais
avoir envie d'écouter le disque de Jérôme Vallet, et que le risque sera
alors grand que je me remette à blablater sur cette musique étrange tel
un gosse idiot. Par prudence, je vais tout de même le garder à portée de
doigts.
Mercredi 14 septembre
Six heures moins le quart.
– J'ai battu une manière de record aujourd'hui : arrivé à Levallois à
dix heures et quart, j'en suis reparti à une heure et demie, journée
terminée. Il est vrai que j'étais tout seul dans le bureau du rewriting,
que personne ne se souciait que j'y fusse ou non, et que, ayant expédié
deux ou trois bricoles, du type horoscope ou courrier des lecteurs, je
savais pertinemment que je n'aurais plus rien à faire avant demain
matin. Dans la foulée, sachant qu'Anne sera bel et bien présente, j'ai
décidé de ne pas m'y rendre du tout demain. Reprise vendredi, donc,
juste avant notre départ pour les Ardennes samedi en fin de matinée ou
début d'après-midi, je ne sais pas encore.
– Quand je
suis arrivé à la maison, notre voisin électricien faisait un boucan
d'enfer avec sa perceuse, Catherine l'ayant prié de venir installer une
véritable hotte aspirante au-dessus de sa cuisinière, à la place du
ridicule et inopérant ersatz qui s'y trouvait jusqu'à ce matin. Son
travail s'est néanmoins rapidement arrêté, dans la mesure où les
ouvriers d'EDF, occupés à remplacer le poteau qui s'est écroulé hier
soir, ont alors coupé le courant pour tout le village durant près de
deux heures.
– La campagne des primaires a commencé aux
États-Unis. Espérons que les Républicains sauront se choisir le
candidat le mieux placé pour virer le calamiteux Obama de la Maison
Blanche. Si, de notre côté, nous parvenons à barrer la route au candidat
de la gauche, l'année 2012 n'aura pas été tout à fait inutile.
Jeudi 15 septembre
Sept heures et demie. – Dans son dernier billet, Ygor Yanka raconte comment il s'est fait alpaguer
sur Facebook par une femme qui s'est plus ou moins “jetée à sa tête”,
ainsi que l'on ne dit plus. D'après les extraits de ses propos qu'il
reproduits, cette dame semble avoir une opinion d'elle-même à la fois
très haute et passablement ridicule. En bref, elle a tout le profil de
la chieuse exaltée, voire demi-folle. Je lui ai, à Yanka, conseillé la
fuite.
– Je me sens un peu fiévreux depuis environ une
heure et il serait bon que cet état disparaisse comme il est venu : je
serais très ennuyé de tomber malade et de devoir, une fois encore,
annuler notre déjeuner chez Nefisa et la soirée où nous avons prévu
d'inviter mon père au restaurant, qui doit – je le connais – s'en faire
une joie.
– Il est dit que je ne lirai jamais Don Quichotte jusqu'au bout : j'ai, cet après-midi, jeté l'éponge (mes doigts avaient d'abord écrit : jeté les pages…)
à deux cent pages de la ligne d'arrivée. Cette fois, comme je n'ai pas
repris le roman du début, il ne peut s'agir d'un phénomène de lassitude,
comme je le pensais lors de mes deux premières tentatives. Il me semble
que cette seconde partie est moins virevoltante et plus discoureuse. Pour changer radicalement d'univers et de style, je me suis plongé dans Guignol's band. On peut s'attendre à ce qu'il m'arrive la même mésaventure qu'avec Cervantès puisque, en dehors du Voyage et de Mort à crédit, je n'ai jamais été foutu de lire un livre de Céline jusqu'à son terme. Si, tout de même, les Entretiens avec le professeur Y ainsi que Bagatelles, mais ce sont des livres assez en marge, me semble-t-il.
– J'aime assez bien avoir de la fièvre. J'aime assez bien avoir un peu
de fièvre : au-delà de 38°5 ça devient tout de même assez pénible.
Sinon, c'est comme une illusion d'enfance à peu de frais. Mais il se
trouve que, là, si elle devait s'incruster dans le bonhomme, elle
tomberait plutôt mal.
– Ma mère a été opérée ce matin, à
l'hôpital de Sedan, et tout s'est officiellement bien passé, si l'on en
croit mon père, qui lui-même en croit le chirurgien. Nous irons la voir
samedi, si nous parvenons à être à Sedan suffisamment tôt dans
l'après-midi – sinon, dimanche, en sortant de chez Nefisa. Tel que je le
connais, mon père doit s'emmerder comme un rat, tout seul dans cette
maison qui doit lui paraître effroyablement vide, pour ne pas dire
hostile.
– J'ai reçu ce matin du propriétaire toutes
les indications pour pouvoir nous installer dans son gîte du Mont
Saint-Michel. D'ici notre départ, le 7 octobre, il faut absolument que
j'aie rédigé les six doubles pages de la série “théâtre de boulevard”
pour FD et le synopsis du BM que j'écrirai, lui, du 15 au 30 octobre. Si
j'ai, d'ici là, reçu les contrats lui correspondant, ce qui est rien
moins qu'assuré.
Lundi 19 septembre
Huit heures. –
Trois jours sans rien écrire ici. À la fois pas le temps et, sans
doute, pas envie. Je reviendrai demain sur ce week-end ardennais, la
visite chez Nefisa, etc. Là, j'ai seulement envie de prolonger la
discussion que Catherine et moi venons d'avoir à propos de mon père,
avec qui nous avons donc passé deux jours, sans ma mère,
puisqu'elle-même est à l'hôpital.
Il a parlé de sa mort
éventuelle. Plusieurs fois. Discrètement. Il semble savoir que la chose
est possible (et en effet, elle l'est), il y pense visiblement. Mais il
ne veut pas ennuyer qui que ce soit avec ça, et surtout pas ses
enfants. Il glisse des allusions, par moment, avec un air de ne pas y
toucher qui m'épate. Il semble penser que ses trois enfants ne sont pas
capables d'envisager sa disparition, et il n'est pas sûr qu'il ait tort :
Isabelle et Olivier, par exemple, semblent vouloir se persuader qu'il
va guérir, ce dont Catherine et moi sommes tout sauf sûrs. Mais quelle
que soit l'issue, il semble que mon père ne veuille pas emmerder le monde avec sa propre mort.
Bref, il a lâché deux ou trois phrases à propos de la vie qu'il avait
eue, du temps qu'il avait vécu, etc. Des appels, peut-être. Comment
réagir ? Je ne sais pas. Quoi lui dire ? Mais non, mais, non, il n'y a aucune raison que tu meures est parfaitement stupide, et même indigne. Mais oui, en effet, tu va probablement mourir avant d'avoir atteint 80 ans
serait d'une cruauté à laquelle je n'ai pas droit, bien entendu. Alors ?
Alors, tu fermes ta gueule, fiston-l'aîné ! Tu es assis dans le salon
de la maison de ton père, dans cette maison qui n'est rien pour toi
parce que tu n'y as jamais vécu – et ta mère est à l'hôpital, et tu
viens de lui faire une courte visite, et tu as cru, un moment, voir ta
grand-mère, c'est-à-dire sa mère à elle, et c'est un moment que je ne
souhaite à personne –, dans cette maison que tu as feint d'accepter
comme la maison familiale, ce qu'elle n'est pas.
–
Là-dessus, je viend d'aller me resservir un verre, le dernier avant la
nuit, et on peut parler d'autre chose. Par exemple de ce plaisir de
revenir chez soi, même au bout de deux jours, et de récupérer ses quatre
animaux, lesquels – les chiens notamment – vous signifient à quel point
ils vous aiment. Mais le chat aussi : il est là, quand vous arrivez, il
vous gueule après, mais il est aussi content que les chiens.
Mardi 20 septembre
Trois heures. –
Revenons donc un peu sur ce week-end ardennais. Nous sommes partis de
la maison vers onze heures et quart, samedi, après avoir fait un rapide
aller-retour au chenil de Chaufour pour y déposer Swann et Elstir – je
n'avais encore jamais essayé de faire entrer cent dix kilos de chiens
dans une Clio - trois portes : c'est une expérience intéressante. Trajet
sans incident notable, hormis un certain mal de dos chez moi, provoqué
par le confort très approximatif de notre “véhicule de remplacement”.
Dès l'arrivée chez mes parents, nous sommes repartis pour l'hôpital où
ma mère se trouvait en “soins intensifs”. J'ai bien voulu croire mon
père lorsqu'il nous a affirmé qu'elle avait une “bien meilleure mine”
que la veille – elle avait été opérée jeudi –, mais enfin cette bonne
mine ne m'a pas particulièrement frappé, ni Catherine. Le lendemain, en
revanche, le mieux était tout à fait patent.
Le soir, nous invitions donc mon père à dîner au restaurant, ce qu'il a toujours beaucoup aimé. Nous avions choisi La Gourmandière,
restaurant de Carignan installé dans une belle maison bourgeoise que je
me suis laissé aller à dater du début du XIXe siècle, mais sans être
plus sûr de moi que cela. Catherine et moi avons été assez déçu par la
qualité de notre repas : cuisine trop “chichiteuse”, présentée à
l'esbroufe, et surtout beaucoup trop chère pour les plaisirs qu'elle
nous a apportés. Mais enfin, ce n'était pas la complète déroute non
plus, soyons juste. Ç'a bien failli y tourner pourtant car, près de
trois quarts d'heure après notre arrivée nous n'avions toujours pas
notre entrée. Et un rapide coup d'œil aux tables environnantes suffisait
à montrer que l'attente était tout aussi longue pour les autres
convives. Lorsque le sommelier s'est approché de notre table pour je ne
sais plus quelle raison – emplir nos verres peut-être –, Catherine s'est
très aimablement enquise de savoir s'il y avait des problèmes en
cuisine. « Mais non Madame, pourquoi ? – Eh bien, parce que le service
est vraiment très long… » Là, petit air pincé du sommelier : « Ah mais,
si vous voulez, on peut accélérer, vous savez ! » Évidemment, personne
n'a cru une seconde à cette rodomontade. Pourtant, en effet, à partir de
là les services se sont enchaînés à une cadence parfaite… mais
uniquement pour notre table : les autres ont continué de poireauter
interminablement entre les plats. Et nous nous sommes demandé ce qui
pouvait bien pousser le personnel à étirer ainsi ce dîner, au risque de
lasser la patience et l'appétit de leurs hôtes et, accessoirement, de
finir très tard leur propre journée de travail. Enfin, mon père, lui,
était ravi de sa soirée et de son repas, ce qui était bien le plus
important.
– Le lendemain, dimanche, nous étions donc
attendus vers midi au “Petit Château” de Lonny, où vivent la mère et le
beau-père de Nefisa. Il s'agit d'une très belle et vaste maison
ardennaise que notre hôtesse nous a dit remonter à 1572. La façade
arrière est gâchée par une hégémonique véranda, mais celle-ci se fait
amplement pardonner lorsqu'on pénètre en son intérieur, car il s'agit
d'une très grande et belle pièce, que nous n'avons d'ailleurs pas
quittée, puisqu'on nous a servi le champagne dans la partie salon et que
nous n'avons ensuite eu que quelques mètres à parcourir pour prendre
place autour de la table oblongue où trônaient les homards que le maître
de maison venait de griller à notre intention.
J'ai
très vite mieux compris pourquoi Nefisa était d'un naturel assez
silencieux : sa mère parle pour toute la famille, et aborder un sujet de
conversation particulier, soit avec Nefisa soit avec son beau-père,
s'est très vite révélé une prétention illusoire. C'est donc avec elle
que j'ai parlé la plupart du temps, prenant un malin plaisir à heurter
parfois ces convictions de gauche humaniste qui sont si fréquentes chez
les gens de nos générations. il s'est trouvé aussi que nos goûts en
matière de littérature diffèrent assez considérablement et que je me
suis plu à les souligner – quitte à les outrer même un peu – à plusieurs
reprises. Mais enfin, dans l'ensemble, ce fut un déjeuner parfaitement
réussi et agréable, dans un cadre vraiment plaisant. Nous sommes
repartis assez tôt, vers quatre heures et demie, après avoir pris le
café en compagnie d'un couple, amis de Nefisa, dont je connaissais plus
ou moins l'homme, Antoine, pour l'avoir déjà croisé sur les blogs. En
vérité, je me serais volontiers attardé un peu encore, mais il fallait
que nous repassions par l'hôpital de Sedan afin de faire notre visite à
ma mère. Ma mère qui, la veille, avait semblé beaucoup apprécier
l'agenda 2012 “Dimanche et Croix” que Catherine a réalisé et que nous
lui avons offert à mon initiative.
– Lundi, le trajet
de retour s'est effectué sans incident notable, à part un monstrueux
bouchon sur l'A 86 nord, dont nous nous sommes extraits très vite afin
d'aller prendre l'A 86 sud, où la circulation était tout à fait fluide.
Et voilà pour ce week-end, finalement assez chargé et fatigant.
–
Dans la voiture, au retour, Catherine m'a relancé sur son idée de
publier – via internet, comme elle vient de le faire pour son agenda –
un an de mon journal sur papier, illustré de photographies d'elle.
Contrairement à la première fois où elle avait évoqué cette possibilité,
j'ai dit oui. Dès que j'en aurai terminé avec le prochain BM, soit au
début de novembre, je vais donc reprendre l'année 2010 afin d'en donner
une version “digest”. Ce journal faisant 920 000 signes, il me semble
qu'il faudrait au moins le réduire de moitié. Avec une belle photo
pleine page pour marquer le début de chaque mois, cela devrait faire un
assez joli volume, que nous pourrions offrir à trois ou quatre
personnes, dont mes parents en tout premier lieu, puisque, n'ayant pas
internet, ils n'ont jamais lu mon journal. Catherine trouverait bien que
je conservasse les titres mensuels, qu'elle mettrait alors en regard de
sa photo d'ouverture. Moi, j'hésite. Ou alors, peut-être, sur une
pleine page, donner ce titre mais en l'agrémentant, le complétant par
une phrase ou deux tirées du journal et ayant un rapport direct avec ce
titre. On verra tout cela en novembre.
– Après deux
jours passés sans lire la moindre ligne – ni en écrire, bien que
Catherine ait offert le voyage à son ordinateur portable –, je me suis
replongé dans Guignol's Band. Je me rends compte que, si je veux
lire Céline, et je crois bien que je le veux, il faut absolument que je
respecte la “dose prescrite” qui, pour moi, ne doit pas dépasser une
quarantaine de pages en une seule prise. Sinon, je sens que je serais
rapidement englouti par ce flot toujours bouillonnant.
Mercredi 21 septembre
Sept heures vingt.
– Je ne sais pas ce que j'ai à être fatigué comme ça depuis le milieu
de l'après-midi. Tout à l'heure, attendant le moment du repas, je me
suis carrément endormi sur Guignol's band – et il faut le faire :
ça canardait de partout –, endormi au point de me mettre à rêver. C'est
un bruit de casserole en provenance de la cuisine qui m'en a tiré, de
ce rêve.
– J'ai voulu aujourd'hui lancer ma série de
six doubles pages pour FD, dont le sujet est quelque chose comme “les
grandes heures du théâtre de boulevard racontées par Olivier Lejeune”.
Ce qui implique, évidemment, la participation du Lejeune en question ;
lequel, de toute la journée, n'a pas répondu une seule fois aux
sollicitations de son téléphone portable et ne m'a naturellement pas
rappelé non plus, malgré l'assurance qu'en donnait son message
enregistré. Pour parer à toute mauvaise surprise, j'ai commencé par
demander au service de documentation générale (et j'avais d'abord écrit cocumentation…) de me préparer un petit dossier sur les trois premiers sujets de la série, ceux que j'ai prévu d'écrire le week-end prochain.
–
Pour ne pas être en panne de lecture lorsque mon seuil de résistance à
Céline est atteint, mais pour ne pas trop malgré tout m'éloigner de son
univers, j'ai repris le Céline de Philippe Muray, que je lis donc en alternance – ou pour mieux dire en panachage. Et je retrouve mon impression première, la même que j'avais eue en lisant son XIXème siècle à travers les âges : celle qu'il aurait pu dire la même chose en moins de mots, pour peu qu'il eût consenti à choisir entre les trois ou quatre métaphores qui lui viennent sans cesse sous les doigts.
–
Pour le prochain BM, il m'est venu à l'idée, tout à l'heure, dans mon
“véhicule de remplacement”, que je pourrais sans doute reprendre le
premier chapitre de celui qui se passe à Plieux – pas celui avec Renaud
Camus, l'autre –, en transformant mes filles scoutes en fausses bonnes
sœurs et en déplaçant l'action de Plieux à Jumièges. Ensuite, pour la
suite de l'intrigue, je devrais pouvoir – peut-être, il va falloir que
je le relise – m'appuyer sur l'intrigue d'un plus ancien numéro qui
s'intitulait Le Sauvage de la Francilienne. C'est ce qui
s'appelle faire du neuf avec du vieux. Ou encore confectionner un
patchwork avec deux vieux draps. Si je note l'idée ici c'est que je suis
encore foutu de l'avoir oubliée demain : je me connais.
– Rien d'intéressant ni de croustillant à signaler sur les blogs : je suis déjà en overdose de primaires socialistes.
Jeudi 22 septembre
Quatre heures et quart. –
Finalement, Olivier Lejeune m'a rappelé hier, à la maison, alors même
que je venais d'écrire ici qu'il ne le ferait sans doute pas. Il semble
être un homme charmant, courtois et volubile. Nous sommes convenus – lui
étant très occupé et moi assez fainéant – de mener notre collaboration à
bien par téléphone. Les six doubles pages se feront en trois
rendez-vous successifs, deux sujets traités à chaque fois, le premier
étant prévu pour onze heures du matin, dimanche. Ce qui devrait me
permettre d'écrire les deux articles que nous aurons passés en revue
lundi et mardi.
– Je ne sais ce qui m'a pris, hier
soir, après avoir fermé ce journal, d'aller relire quelques-uns des
billets publiés sur le blog-mère en 2008. et c'est ainsi que j'ai pu
réaliser que, contrairement à ce que je croyais, ce n'est pas le 8
octobre 2008 que le tribunal de Versailles m'a condamné à six mois de
retrait de permis (et à une amende de 800 €…), mais bien trente jours
plus tôt. Si bien que, croyant devoir patienter encore deux semaines
pour récupérer mes douze points de permis, je les ai en réalité
recouvrés depuis quinze jours.
(Et je m'arrête là car Brice vient de me signifier ma levée d'écrou.)
Sept heures et demie. –
Puisqu'on était dans les histoires de voiture, restons--y. Je dois
avouer avoir fait preuve d'un optimisme risible concernant le garage
Renault de Saint-André qui doit se charger de remettre Roselyne sur
roues, après sa trop violente embrassade avec un poteau téléphonique.
L'expert étant passé (pour la seconde fois) hier, je comptais que tout
serait réparé ce soir ou au plus tard demain. Pas du tout : ils ont
commandé les pièces, qui n'arriveront qu'au début de la semaine
prochaine. Ensuite, il faudra les mettre en place, ce qui ne sera fait
qu'en fin de semaine, “au mieux”. Et c'est ce au mieux qui m'inquiète car on sent bien que c'est la porte ouverte à tous les plus tard. Cependant, je compte exercer un innocent petit chantage sur ces braves gens, en leur faisant croire que nous devons partir pour trois semaines
dès les premiers jours d'octobre – alors que nous ne quitterons Le
Plessis que le 7 et pour seulement huit jours. Connaissant mes talents
de négociateur et mes capacités à m'imposer à autrui, le stratagème
devrait en principe piteusement échouer.
– J'ai bien
hâte d'en avoir terminé avec le prochain BM (pas encore commencé…) afin
de me replonger dans mon journal 2010 en vue d'en tirer le digest
que Catherine attend pour en faire un volume ; un tel accès de
gaminerie, face au livre, à l'objet imprimé, me laisse un peu désemparé :
à mon âge, tout de même…
Vendredi 23 septembre
Trois heures et demie. –
Le docteur Garrigue a réussi à me glisser entre deux rendez-vous, comme
je le lui avais demandé ce matin par téléphone, mes problèmes de
miction douloureuse ayant brusquement réapparu hier. Il m'a envoyé faire
des examens – sang et urine – dont nous aurons les résultats lundi. En
attendant, me voilà parti pour dix jours d'antibiotiques.
–
Depuis ce matin dix heures et demie, j'ai dû travailler un quart
d'heure. L'avantage de cet aller-retour à Neuilly pour y consulter, puis
de la visite au laboratoire d'analyses et enfin de mon passage à la
pharmacie, est que je n'ai pas encore eu le temps de m'ennuyer – mais je
sens que ça vient.
– Mon désintérêt pour les blogs
s'accentue ces derniers temps ; et, comme chaque fois, il est parallèle à
une désaffection pour le mien, où j'écris moins et avec moins de goût.
C'est évidemment sans importance aucune. Je pense que cela va me faire
beaucoup de bien, cette pause de huit jours qui se profile, lorsque nous
serons au Mont Saint-Michel.
Samedi 24 septembre
Huit heures. – J'avais prévu de débroussailler un peu ma documentation concernant les deux premiers volets de la série que je dois écrire (Au théâtre ce soir
et Jacqueline Maillan), afin d'être “armé” pour mon rendez-vous
téléphonique de demain matin avec Olivier Lejeune. Bien évidemment je
n'en ai rien fait. Je pourrais bien prétendre qu'à la place j'ai tondu
la pelouse : ce serait scrupuleusement vrai, mais c'est un travail d'une
demi-heure.
– Pendant ce temps, une bande de musulmans
postillonnant leurs frustrations appellent ouvertement à la guerre
civile et au massacre de juifs. En Palestine ? Non, rue Myrha (ou
Polonceau, je ne sais plus ; de toute façon c'est le même cloaque), dans
le XVIIIe arrondissement de Paris. Bien entendu, à peu près personne ne
s'en émeut : les juifs ni les Français ne sont des victimes
défendables, et une horde d'Arabes et de noirs vociférants ne saurait
être taxée de racisme et d'incitation à la haine en aucune façon. Et,
comme on se doute, les fameux musulmans modérés observent, à leur
habitude, un silence… religieux. Je me demande s'il ne va pas être
temps pour les Français qui ne l'ont pas encore de passer leur permis de
chasse. Surtout ceux qui habitent en ville.
– Un grand roman, c'est un trou de mémoire.
– J'ai terminé la relecture que je faisais du Céline
de Philippe Muray et j'ai recommencé de parcourir à grandes enjambées
la biographie du même par Philippe Alméras. Tout cela entrecoupant ma
lecture de Céline lui-même, Guignol's band. Si je parviens enfin à
venir à bout de cette montagne-là, je devrai une fière chandelle à
Hervé XP, puisque c'est en partie grâce à lui (à cause ?) que j'ai eu
envie de ressayer. Catherine, quant à elle, vient d'abandonner à peu
près à mi-chemin la biographie de saint Augustin pour revenir à
Bernanos, Sous le soleil de Satan.
– Les petites
pilules miracle du docteur Garrigue le sont vraiment, miraculeuses :
alors que le traitement de dix jours n'est commencé que depuis hier
midi, mes problèmes urinaires ont déjà presque totalement disparu. Le
remède (dont j'ignore la nature ; je veux dire : dans quelle catégorie
il se range) s'appelle Augmentin. Je le recommande à tous les pisse-goutte.
–
Les voisins d'en face reçoivent – ce qui heureusement est exceptionnel
–, probablement des gens de leur famille. Parmi les nouveaux venus, un
gamin qui n'a cessé de hurler de toute la journée. D'excitation au jeu,
certes, de joie peut-être, mais enfin les décibels étaient bien là.
Heureusement que la nuit tombe de plus en plus tôt…
Dimanche 25 septembre
Quatre heures et quart.
– Passé plus d'une heure, ce matin, au téléphone, avec Olivier Lejeune,
homme charmant et disert, ce qui faisait bien mon affaire. En outre, on
sent dès ses premiers mots que l'on a affaire à quelqu'un sachant ce
que parler à la presse veut dire, qui a compris votre sujet et, de
manière toute naturelle, se met de lui-même sur les rails que vous lui
avez indiqués. Un nouveau rendez-vous a été pris pour mardi matin, afin
de parler des deux doubles pages suivantes (Sim et La Cage aux folles). Si j'avais été tout à fait raisonnable – mais ça se saurait – j'aurais écrit le premier volet (Au théâtre ce soir)
dès cet après-midi, mais le courage m'a manqué. J'ai résolu, pour
excuser à mes propres yeux ce manque de volonté, d'écrire les deux
premiers articles demain : un le matin, l'autre tout de suite après le
déjeuner. Et, mais alors là on rêve, un troisième mardi après-midi. En
réalité, si j'en ai deux faits mardi soir je serai déjà très content.
– Temps d'été depuis deux jours, sauf le matin où il fait bien froid. Également le soir dès que le soleil disparaît.
–
Catherine vient de ne confectionner pas moins de douze pots de “ketchup
vert”, ce condiment québécois fait d'un mélange de tomates vertes, de
pommes, de poivrons, clou de girofle, de sucre et de vinaigre (je crois
que c'est tout), dont on se sert généralement pour accompagner les
côtelettes ou rôtis de porc, mais aussi le steak haché. On en a pour un
un an.
– Ce matin, tandis que j'étais coincé dans la
Case en raison de mon rendez-vous téléphonique avec Lejeune et que
Catherine était à la messe, les chiens sont restés enfermés dans la
maison environ une heure et demie, ce qui est tout à fait habituel.
Lorsque je suis revenu j'ai découvert une considérable flaque de pisse
dans le salon. Évidemment, pas moyen de savoir avec certitude lequel des
trois s'est rendu coupable de ce méfait. J'aurais tendance à exclure
Swann qui, dès que le jardin leur a été de nouveau accessible, est allé
ostensiblement y pisser – à moins qu'il ne s'agisse de sa part d'une
suprême ruse pour nous enfumer. Mais enfin, si tout le monde se met à
avoir des problèmes urinaires, dans cette maison…
–
Poursuivi la lecture de la biographie de Céline par Alméras, et
notamment les pages concernant l'Occupation. J'ai beau essayer de ne pas
me laisser guider par le moralisme imbécile qui infeste la majorité de
mes contemporains, je dois dire que la fuite ventre à terre de
l'écrivain dès juin 44, faisant suite à ses appels aux meurtres et
autres rodomontades, le rend rien moins que sympathique – et
voilà encore un mot que l'on n'ose plus utiliser sans les pincettes des
guillemets ou le verni de l'italique, même lorsque c'est lui le plus
juste, tellement il a été dévoyé ces dernières décennies. La destinée de
Drieu La Rochelle me semble à tout prendre plus digne que celle de
Céline. Mais, évidemment, bien au confortable dans mon fauteuil, j'en
parle à mon aise : je ferai peut-être moins le malin demain, en cas de charia active.
–
Avec tout cela (tout quoi ?), le synopsis du prochain BM est toujours
au point mort. Je vois le moment que je vais être contraint d'y
travailler alors que nous serons déjà au Mont Saint-Michel et que
j'aurai la tête à tout sauf à cela. D'un autre côté, je n'ai plus jamais
la tête à cela, alors…
Lundi 26 septembre
Huit heures. –
Je serai bref. Pour la simple raison – et c'est une raison sans raison –
que, comme il m'arrive certains soirs, je n'ai aucun goût pour venir
écrire dans ce journal. D'ordinaire, quand une telle chose m'arrive, je
me contente de laisser la date en blanc et d'attendre le lendemain.
Aujourd'hui, je viens pour dire que je ne viens pas. Mon cas s'aggrave,
l'ombre gagne.
– Bon, cela dit, maintenant que je suis
là… Comme subodoré, je n'ai pas écrit les deux articles que j'avais
inscrits hier à mon programme mais seulement le premier d'entre eux, ce
qui à tout prendre n'est déjà pas si mal. Demain, après mon second
rendez-vous téléphonique avec Lejeune, je vais m'efforcer de mener le
deuxième à bien. Et bien heureux si je ne finis pas par tout mélanger.
–
Rien d'autre à signaler, hormis un rapide aller-retour au Super U de
Pacy afin d'y faire provision de quatre packs d'eau minérale “qui pique”
: la vie trépidante du polygraphe tous terrains.
Mardi 27 septembre
Sept heures et quart.
– Catherine a voulu tenter une recette de pâtes aux sardines – sardines
en boîte – et le résultat s'est avéré fort décevant : les morceaux de
poisson ont atterri dans la gamelle d'Elstir et les pâtes à la poubelle.
Ce sont des choses qui arrivent (mais rarement, somme toute) lorsqu'on
se lance dans l'inconnu, qu'on se risque sur le bizarre.
–
J'aurais dû cet après-midi écrire le deuxième volet de ma série
(Jacqueline Maillan), j'en ai à peine rédigé les deux mille premiers
signes, ce qui va m'obliger à terminer demain à Levallois. D'un autre
côté, comme je passe mon temps à pleurnicher que je m'emmerde à FD,
ç'aura au moins le mérite de m"occuper un peu.
– Mon
second rendez-vous téléphonique avec Lejeune s'est aussi bien déroulé
que le premier, mais il a été plus court. Cela tient pour une part à ce
qu'il avait peut-être moins de choses à dire sur Sim, le héros du jour,
que sur nos sujets précédents, mais surtout au fait que je suis
décidément un piètre interviewer, toujours pressé d'avoir fini alors
qu'il vient à peine de commencer. S'ajoute à cela que je me suis aperçu
une fois de plus, rédigeant le papier Au théâtre ce soir, hier,
que je disposais de deux à trois fois trop de matière pour l'espace qui
m'était alloué : dans ces conditions, à quoi bon presser le citron à
l'interviewé ? Mais, évidemment, un vrai journaliste me
rétorquerait que, justement, il est nécessaire d'avoir dix fois trop de
choses si l'on veut espérer en sortir deux ou trois vraiment
intéressantes.
– J'ai ensuite appelé le laboratoire de
Neuilly où je suis allé vendredi dernier pour mes analyses, de sang et
d'urine. J'ai scrupuleusement noté sans rien y comprendre les données
qu'une femme charmante m'a communiquées, puis je les ai transmises,
toujours par téléphone, au docteur Garrigue. Verdict : tout va bien.
J'ai en effet une petite infection urinaire, mais de modèle banal et
parfaitement éliminable par les antibiotiques qu'il m'a prescrites. En
outre, j'ai une prostate de jeune homme. D'après l'analyse de sang en
tout cas, et pour ce qu'elle en peut dire.
– Comme
j'avais encore le téléphone en main, j'ai appelé le garage de
Saint-André afin de savoir où en étaient les réparations de Roselyne.
Une première personne a commencé à me dire qu'elle ne serait pas prête
avant le début voire le milieu de la semaine prochaine. Comme nous
partons vendredi matin pour le Mont Saint-Michel, j'ai vu venir le
moment où, si je me montrais excessivement accommodant, tous les clients
râleurs et exigeants allaient me passer devant et que nous nous
retrouverions sans voiture – sans la nôtre en tout cas – pour ces
vacances. J'ai donc déclaré à cette dame que, quoi qu'il arrive, je
devrais partir pour trois semaines dès mardi matin et que, si ma voiture
n'était pas prête, je partirais avec la leur. L'argument a eu l'air de
porter car elle m'a demandé mon numéro de téléphone et m'a assuré
qu'elle allait me rappeler d'ici un quart d'heure – ce à quoi je n'ai
pas cru une seconde. J'ai pourtant été rappelé moins de dix minutes
après, mais par une autre femme, qui semblait plus “gradée”. Je lui ai
redébobiné ma petite menterie et, pour finir, elle m'a assuré que
Roselyne serait pimpante et amoureuse comme au premier jour lundi soir
sans faute. Nous nous sommes quittés excellents amis. Et d'autant plus
que, s'il y a un os de dernière minute, il me restera trois jours de
délai avant notre départ pour le Mont.
Mercredi 28 septembre
Trois heures et demie. –
En principe, je devrais être occupé à finir d'écrire ce deuxième volet
de la série “théâtre de boulevard” dont je parlais hier. Les conditions
sont idéales : je n'ai rien d'autre à faire, je suis seul dans le bureau
du rewriting, où règne une agréable fraîcheur. Pourtant, rien à faire.
Et je sais déjà que je ne ferai plus rien avant demain, par une sorte d'épuisement ontologique
qui, désormais, me tombe dessus dès que que je suis ici, à Levallois,
depuis plus de trois heures. Si je veux pouvoir être productif demain,
il faut absolument que j'arrive avant dix heures et demie et que je
m'attelle tout de suite à mes travaux personnels : après le déjeuner
j'en suis désormais incapable. Ou alors, il y faudrait une urgence
implacable, qui n'est pas encore de mise dans l'état actuel des choses.
Pour me donner l'illusion de faire tout de même quelque chose, je viens de passer commande auprès de la documentation générale d'un dossier sur La Cage aux folles
et d'un autre sur Marthe Mercadier. J'évite de penser que, il y a
encore sept ou huit ans, j'aurais probablement écrit ces six doubles
pages en un seul week-end de quatre jours, et on n'en aurait plus parlé.
La vieillesse n'est peut-être pas automatiquement un naufrage, mais
enfin le rafiot commence à prendre l'eau de manière considérable.
Jeudi 29 septembre
Quatre heures. –
Après maint atermoiement j'ai fini par m'atteler à Jacqueline Maillan,
si j'ose, et même à en venir à bout. Il me reste donc quatre double
pages à écrire pour en avoir terminé de cette série. L'idéal – on ne rit
pas – serait que j'écrive la troisième dès demain et les trois autres
ce week-end, ce qui me laisserait l'esprit libre pour partir en
vacances. Enfin, pas tout à fait libre car il faudra bien, une fois au
Mont Saint-Michel, que je mette sur pied le synopsis du BM.
–
Hier, par pur désœuvrement, j'ai mis en ligne mon journal d'août avec
deux jours d'avance. Mais je m'aperçois que je dis cela pratiquement
chaque mois, si bien que ce “deux jours d'avance” est en passe de
devenir la norme.
– Renaud Camus ne publie pas moins de quatre livres en novembre : cet homme finira par nous ruiner.
–
Hier soir, sous le prétexte qu'il faisait un temps quasi provençal,
j'ai eu envie de prendre quelques pastis sur la terrasse, à la maison.
Et je crois bien que nous allons recommencer ce soir, puisqu'il fait
exactement le même temps qu'hier.
Vendredi 30 septembre
Quatre heures.
– J'ai profité de la pause déjeuner des deux autres rewriters présents
pour expédier Sim, troisième volet de ma glorieuse série. Il m'en reste
donc trois à faire durant ce week-end qui devrait commencer d'ici une
demi-heure. Je dois récupérer Catherine au bas de l'immeuble et la
conduire à Neuilly où c'est son tour d'avoir rendez-vous avec le docteur
Garrigue. Ensuite, retour au Plessis en droite ligne – et apéritif dans
la ligne de mire.
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