1er avril
Huit heures moins le quart. – Bon sang de bois ! un peu plus et je ratais le premier avril ! Je ne sais pourquoi, j'étais persuadé d'avoir "fait" du journal aujourd'hui, à FD. En fait, non. Mais alors, qu'ai-je fait aujourd'hui ? Rien ou presque, manifestement. Rien pour mon employeur, rien pour moi. Et pourtant une journée où j'ai l'impression de n'avoir pas eu une minute “à moi”. (Et qu'en aurais-je fais, de cette minute ? Encore du rien, probablement.)
Depuis hier, la France est coupée en deux, du moins cette portion de trente personnes en France qui lit ou dit lire ce journal. On semble massivement d'accord pour trouver que mes commentaires et énervements à propos des blogs d'imbéciles “plombent” l'ensemble. Seules de rares voix (celle de Marine notamment) s'élèvent là contre. Comme d'habitude, suivant ma pente, j'étais tout prêt à rendre les armes sans combattre et à donner raison à qui me critique. Mais Catherine me fait observer que mes coups de griffes contre tel ou tel sont généralement prolongés par une réflexion plus personnelle (je n'ai pas dit originale, encore moins profonde : juste personnelle...) et que, si j'ampute le journal publié de mes attaques contre les blogs, ces mêmes réflexions resteront suspendues, sans objet, etc. Elle n'a évidemment pas tort non plus.
D'autre part, j'ai plusieurs fois lu, dans le journal de Renaud Camus, des réflexions sur ce sujet. En gros, dit-il, s'il devait tenir compte de ceux de ses lecteurs qui n'aiment pas le récit de ses aventures sexuelles, de ceux qui en regrettent la raréfaction, des autres qui n'apprécient pas ses descriptions de châteaux et d'églises, de ceux encore qui détestent les histoires de chiens et de Totalgaz, etc., il finirait par ne plus rien écrire du tout. Il ne conclut pas, mais on comprend bien que la morale de l'histoire est : je vais poursuivre ce journal sans changer d'un iota. Eh bien, moi de même.
Qu'un journal soit de la littérature ou non n'a en l'occurrence que peu à voir avec le sujet. Il s'agit simplement d'écrire ce qui vient, ce qui demande à être consigné. Et puis, il y a cet autre argument : au bout du compte, je passe beaucoup de temps, chaque jour, à sauter d'un blog à l'autre ; pourquoi ce journal n'en rendrait-il pas compte ? Que ce que j'en dis ne soit pas intéressant, soit inférieur au reste, c'est bien possible. Mais n'en pas parler du tout, ou bien gommer tout ce qui s'y rapporte au moment de la publication ne serait pas très “juste”, il me semble. On va donc continuer à naviguer à vue, comme on le fait depuis le commencement – et tant pis.
L'agent immobilier à qui, hier, dans la salle de réunion de FD, nous avons donné un “mandat” pour vendre le studio, a déjà deux visites demain après-midi. Catherine est très confiante, et moi pas du tout. Je suis certain, mais de manière tout à fait irrationnelle, que quelque chose va enrayer tout le processus ; il ne me semble pas possible que nous puissions nous tirer d'une opération financière quelle qu'elle soit autrement qu'en y laissant des plumes et en étant vaguement ridicules. Il va de soi que je souhaite me tromper – au moins pour cette fois. Il faut dire que crétin échaudé craint... etc. En 2000, lorsque fut vendue notre maison de l'Orne, nous avons placé 250 000 francs à la bourse – risque maximum. Cela faisait près de dix ans, si ma mémoire est bonne, que la bourse grimpait sans désemparer. Le lendemain matin de notre placement (peut-être même dans la nuit : je n'ai pas pris de notes précises), elle a commencé de s'effondrer. Bilan : environ 100 000 francs en fumée. Nous aurions, alors, acheté à Paris n'importe quel appartement à 250 000 francs, il en vaudrait aujourd'hui autant, mais en euros – j'exagère sans doute un peu, mais à peine. Cela dit, comme tout cela, au fond, me fait rire, il n'y a aucune raison que nous ne recommencions pas les mêmes conneries à la prochaine occasion.
Les histoires d'argent m'ont toujours fait l'effet d'être aussi importantes qu'une construction de Lego : ça peut être très amusant, mais je vois mal comment la prendre au sérieux. Or, l'argent réclame, exige d'être pris au sérieux – sinon, il se venge. Je me souviens toujours d'un de mes anciens patrons, à FD, à qui, jeune crétin, j'avais dit que tout le monde avait envie de gagner de l'argent. Il m'avait alors expliqué que non, pas du tout : la plupart des gens ont envie de dépenser de l'argent, mais seule une infime minorité a réellement envie d'en gagner. Et comme ils sont peu nombreux, qu'ils y consacrent en outre une énergie et une intelligence folles, ils finissent généralement par y arriver. Pas faux : je suis la preuve – a contrario – qu'il a raison.
2 avril
Neuf heures vingt. – Compte tenu de l'heure notée, les habituels douze lecteurs de ce journal vont déduire que je suis ivre mort : ils auront tort, j'ai le regret souriant de les en informer. D'abord, je suis parti plus tard (moins tôt serait plus juste, d'ailleurs) de FD. Ensuite, je suis passé rue de la Gare pour y récupérer Ludovic. Ensuite, nous sommes vendredi, premier jour d'un “long week-end” de Pâques, nous avons donc mis comme il se doit près de deux heures pour rentrer ici. Un long week-end de Pâques... On sent, on sait que, pour tout le monde ou presque désormais, le mot important est “week-end”, et que Pâques ne signifie absolument plus rien. Du reste – je prends les paris –, toute référence pascale devrait assez rapidement disparaître (entre trois et huit ans, à mon sens) parce qu'elle doit déjà choquer terriblement nos amis musulmans. Ou bien, si l'on garde tout de même Pâques, presque en douce, ce sera pour leur avoir concédé autant de jours fériés pour leurs fêtes à eux, dont nous n'avons jamais eu rien à faire. De toute façon, elles leur sont déjà concédées, dans les faits : quel patron serait assez suicidaire pour blâmer un de ses employés musulmans parce qu'il s'est absenté trois jours pour égorger son mouton (je fais exprès d'être désagréable, borné, etc. : il me vient de plus en plus des envies d'être désagréable et borné – et je sais que je ne suis pas le seul : la grenade est dégoupillée, les célestes bisounours ne tarderons pas à se la prendre en pleine poire) ?
Bref, après avoir divergé, revergeons : rentré très tardivement, je n'ai pas eu tant que ça le temps de m'imbiber. Donc, camembert.
Durant ce bref apéro, Catherine a annoncé à Ludovic que nous allions nous marier religieusement, le 23 octobre prochain. Non, je me trompe : il le savait déjà, mais elle lui a demandé de l'amener, elle, à l'autel, pour remplacer son père. Le moment était mal choisi, Ludovic ayant deux ou trois joints bien tassés dans la tête. Il a frimé un peu, mais sans y croire lui-même. Il est très amusant de constater à quel point Ludovic, lorsqu'il veut et croit se montrer iconoclaste, régresse en fait vers l'enfance et ses petites provocations bêtes et inoffensives. Mais je sais que Catherine lui en reparlera, car elle tient à cela, à ce symbole. Et que nous savons, sans en avoir parlé, que son père l'aurait adoré aussi – et qu'on aurait, lui et moi, repris un plein verre de whisky.
Autre chose. Hier, ou avant-hier, je disais à Catherine que, après avoir frôlé la catastrophe financière, tout allait se résoudre en même temps : on allait vendre le studio en 24 h, GdV allait me payer d'un coup les 10 000 € qu'il me doit et PB allait me proposer d'écrire une “série” pour FD à 3000 €. Or, à part GdV pour l'instant, le reste s'aligne impeccablement. À la deuxième visite, cet après-midi, notre agent nous a annoncé une proposition ferme et sérieuse, pour le studio, à 105 000 € (mise à prix 110 000). ce qui nous laisserait un reliquat de 25 000. Au même moment, PB m'appelait dans son bureau pour me proposer une série de six articles pour FD, à 500 € chaque, sur le thème : “les derniers secrets des pharaons” – j'ai dit oui, évidemment. Il ne manquerait plus que tombent les dix mille de GdV (mais là je n'y crois pas une seconde) et nous passerions, en quatre mois, d'un trop vide à un trop plein, pour ainsi dire.
Je reviens au mariage religieux. Tout à l'heure, lorsque Catherine tentait d'en parler à Ludovic, j'ai dit qu'elle ne me l'aurait pas proposé plus tôt, et sans doute pas du tout, si elle n'avait senti une sorte d'évolution de ma part, sur ce sujet. Elle a confirmé. Ce qui veut dire qu'elle a décelé quelque chose. Mais quoi ? Là-dessus, je débouche sur des interrogations nébuleuses. Car enfin, la seule chose dont je sois certain est que je ne crois pas plus en Dieu aujourd'hui qu'hier. Il est possible, sans doute, que je me sois mis à le regretter davantage, mais cela change quoi ? Je reste une sorte de tricheur, il me semble. Ou quelqu'un de “faux”, comme se plaît à me présenter Jérôme Vallet.
Ceci m'occupe l'esprit : je veux bien, à la rigueur, me marier devant Dieu pour des raisons frivoles, mais certainement pas pour des motifs bassement terrestres et contingents. Je ne veux pas, en clair, faire le beau devant la Croix. Si c'est cela, je préfère encore lui tourner le dos. S'il existe, il me semble que Dieu doit préférer être nié qu'utilisé. Mais naturellement, s'il existe, tout cela est destiné à me rester parfaitement opaque.
3 avril
Quatre heures. – La femme qui a fait l'offre à 105 000 € pour le studio est ambassadeur du Brésil en Irlande. Je vois mal pourquoi elle a besoin d'un pied-à-terre à Paris, mais bon. Elle semble, ce qui est le plus important, présenter toutes les garanties financières requises. Nous devons donner à l'agent une réponse d'ici mercredi et, s'il ne s'en est pas présenté de plus avantageuses d'ici mardi, nous allons dire oui : il me tarde d'être débarrassé de ce boulet que représentent les 950 € que nous déboursons chaque mois pour le crédit – sans parler des diverses charges et impôts. Tout cela pour un studio où je n'ai pas mis les pieds depuis près d'un an. C'est égal, je suis sidéré que nous puissions vendre 105 000 € un studio acheté 89 000 il y a moins de deux ans, et avec une crise financière entretemps.
Je viens de terminer Pot-Bouille et ai enchaîné sur Au bonheur des dames. Pas un seul personnage, chez Zola : rien que des types personnifiants. Et cette façon de surligner au stabilo fluo les explications qu'il veut à toute force nous faire entrer dans le crâne est gênante et puérile, gênante parce que puérile. Ceci, pris entre cent exemples du même acabit :
– Moralisons le mariage, messieurs, moralisons le mariage, répétait Duveyrier de son air rigide, avec son visage enflammé, où Octave voyait maintenant le sang âcre des vices secrets. (Je souligne.)
Et c'est constamment ainsi, sans cesse reviennent ces insistances qui, à trop vouloir démontrer, finissent parfois par ne plus rien signifier du tout. Le sang âcre des vices secrets ? Ma parole, on se croirait dans un Brigade mondaine ! Je regrette maintenant de n'en avoir pas relever d'autres, car certaines phrases, certaines psychologisations du physique en deviennent cocasses de vouloir trop dire – de même, cocasse cette tendance lourde à hypostasier les maisons, les rues, voire les villes tout entières, comme, si je me souviens bien, dans La Conquête de Plassans. Pot-Bouille – par ailleurs l'un des meilleurs romans des Rougon-Macquart, il me semble – est à ce titre exemplaire : dès le deuxième ou troisième chapitre (sur dix-huit), on a croisé tous les protagonistes, chacun est venu saluer sur le devant de la scène, et l'on sait bien qu'ils ne changeront jamais, ne bougeront plus, quoi qu'il puisse leur arriver. Tous, y compris ceux qui seront détruits, sont parfaitement inaltérables.
5 avril
Midi. – Ce n'est qu'au moment de fermer l'ordinateur, hier soir, juste avant l'heure du film à la télé, que je me suis avisé n'avoir rien écrit ici, dans ce journal. Alors que j'avais eu tout le temps pour le faire, n'ayant pas travaillé de la journée. Je ne me sens d'ailleurs guère mieux parti aujourd'hui, je dois le dire. Ce n'est pourtant pas la tâche qui me manque, puisque le BM N° 313 ne demande qu'à être commencé d'écrire et que je dois rendre vendredi le premier volet (7 à 8000 signes) de ma série de six articles sur les mystères des pharaons. Je crois que je devrais me réserver ce dernier boulot pour les jours où je suis à FD, comme je l'ai déjà fait pour des séries antérieures, et me concentrer, ici, sur le Brigade.
Si je n'ai rien écrit hier, c'est sans doute que je n'avais rien à dire dans la mesure où la journée a passé sans m'en apercevoir, comme dirait l'autre. J'ai fini de lire hâtivement Au bonheur des dames, qui est décidément un roman bien ennuyeux, et rien d'autre. Ah, si, un petit billet rapide sur le blog-mère pour signaler le mépris et le dégoût que m'inspirent ceux qui, sous couvert d'indignations vertueuses contre la pédophilie ne montrent en fait que leur haine borborygmale et impuissante de l'Église. Laquelle les ignore superbement, ce qui les rend encore plus éructants et puérilement blasphématoires : ils me font penser aux enfants qui disent très vite “caca boudin !” en présence d'adultes, suffisamment fort pour être entendus, mais trop vite pour être compris avec certitude. Et qui, ensuite, s'égaillent en pouffant derrière leurs mains jointes.
Temps superbe depuis ce matin, incitant à la promenade. Ce qui y incite moins c'est le fait que nous soyons lundi de Pâques et que de nombreux fâcheux bardés d'enfants risquent de se rencontrer par les champs et par les grèves.
6 avril
Quatre heures vingt. – Et une journée stupide, une ! Ce matin, visite approfondie des nouveaux rayonnages du Carrefour d'Évreux – où nous avons passé deux fois plus de temps qu'à l'ordinaire dans la mesure où, ces crétins malfaisants ayant bouleversé tout le hangar (je me refuse à appeler cette chose un magasin), Catherine a eu une peine infinie à trouver les denrées inscrites au préalable sur sa petite liste. Et moi, de la suivre, poussant le chariot métallique, l'air abruti et résigné de l'ouvrier aux portes matinales de l'usine. Ensuite, après un passage rapide chez Picard et une visite éclair à une para-pharmacie du centre d'Évreux, retour à la maison où, la dernière bouchée de je ne sais plus quoi avalée, nous sommes repartis pour le cabinet du vétérinaire de Saint-Aquilin, afin de lui faire examiner les yeux et les oreilles d'Elstir, et de lui laisser 80 euros pour ses œuvres. Puis, crochet par le garage Renault où nous attendaient depuis trois semaines les tapis de sol et de coffre de la voiture neuve. Sauf que j'ai oublié de vérifier ce qu'on m'a vendu et qu'il y manque le tapis de coffre, lequel nécessitera donc un deuxième passage au garage. Avec tout ça, je me demande par quel miracle j'ai tout de même réussi à lire une dizaine de pages du Château d'Udine. Si Catherine se décide à emmener Elstir à l'agility à cinq heures et demie, je crois que je n'aurai pas volé la bouteille de bière Maredsous que j'ai glissée tout à l'heure dans le chariot. Mais, la journée s'étant déroulée sous les auspices que je viens de dire, il est probable qu'elle va y renoncer, juste pour pouvoir m'en priver, de ma bière.
Tout à l'heure, nous avons appelé l'agent immobilier pour lui donner notre accord à la proposition d'achat de notre studio, faite la semaine dernière par l'ambassadeur brésilien. Ensuite, c'est le curé de Pacy qui s'est manifesté pour fixer fermement la date de notre mariage – le 23 octobre, donc.
Malgré que mes quelques lecteurs en aient, je comptais parler un peu du “scandale” qui hystérise depuis ce matin une jolie brochette parmi les blogueurs les plus atteints : une équipe de journalistes venant vanter les joies de l'islam aux portes de Saint-Nicolas-du-Chardonnet se serait fait sauvagement agresser, brutaliser par une horde de fanatiques catholiques. En réalité, la horde se composait d'un fidèle et du prêtre, et l'on n'a rien échangé de plus qu'une ou deux nasardes... Ils sont tellement cons, mes petits ânes gauchistes, tellement cadenassés dans leur foi-sans-dieu, leur mysticisme dégradé et crasseux, qu'ils en arrivent à décourager l'ironie. Autant passer à autre chose. Au fond, ils ne méritent qu'une punition : ce qui va leur arriver. Attendre suffit, par conséquent.
Je viens de recevoir un mail de Nancy, la comptable de GdV, me disant qu'ils allaient, ce mois-ci, faire de leur mieux, pour ce qui concerne le versement de ce qu'ils me doivent (9200 € à ce jour). Je lui ai répondu immédiatement que je préférerais qu'ils fasse un peu plus que leur mieux.
7 avril
Midi moins le quart. – Ce matin, Catherine est venu à Levallois avec moi, car nous devons valider, à une heure, la proposition d'achat du studio. Ou plutôt nous devions, car l'agent immobilier vient de m'appeler pour m'annoncer que notre ambassadeur brésilien renonçait à cet achat au profit d'un autre studio sis à Neuilly. D'après lui, cette dame a dû signer plusieurs propositions en se disant que, sur la quantité, il y en aurait bien une qui aboutirait. J'ai été déçu sur le coup, parce que je pensais cette affaire réglée. Mais, au fond, comme je n'ai jamais tout à fait cru que nous puissions réaliser ce qu'on appelle une bonne affaire – et même si celle-ci n'était pas absolument mirifique –, je ne suis pas autrement surpris de ce désistement. Je me rends bien compte de ce que ma réaction a d'irrationnel, mais enfin elle demeure bel et bien, solidement arrimée.
Il faudrait que je m'intéresse dès aujourd'hui à mes pharaons, pour FD, et je n'en ai pas la moindre envie. Je crois que je suis, l'âge aidant, en train de devenir un putain de fainéant. Heureusement, je n'en suis pas encore à refuser le travail. Mais ça viendra peut-être. Il faudrait apprendre à vivre avec 2000 € par mois, ce qui me permettrait de ne plus rien faire d'autre que mes trois jours hebdomadaires de rewriting à FD. Mais nous en sommes encore très loin.
Huit heures dix. – Maredsous : on a la madeleine qu'on peut, et celle-ci me convient, même si, évidemment, elle restera stérile. Hier, poussant le chariot dans le hangar infernal derrière Catherine, et explorant seul le rayon des bières, je suis tombé sur ce flacon de 75 cl : Maredsous "Triple". Bière belge. blonde, mais pas décolorée : blonde à la mode belge, tirant sur le roux, avec une certaine opacité trouble. 10° : pas de la pisse d'âne post-moderne, du genre Carlsberg ou Heinneken, pas une bière de bisounours. Un truc qui goûte, qui mousse et qui saoule.
Maredsous est une abbaye bénédictine, planquée dans un repli des mont d'Ardennes – côté belge. Abbaye reconstruite, moderne, sans intérêt, sauf son emplacement et la bière qu'on y brasse, le fromage qu'on y mature (l'exultation du souvenir me fait inventer des verbes, comme la saute du bouchon produit de la mousse – même facilité jubilante).
J'y fus vers 1980, un week-end, avec mes amis Luc et Denis. Denis, je l'ai perdu depuis. Connu en 1972, classe de première au lycée Pothier d'Orléans, colocataire rue de Patay dans le 13ème arrondissement, entre 1976 et 1981, puis... perdu.
Luc, journaliste à Europe 1, garçon flamboyant, modèle-obstacle de ma jeunesse essoufflée, élégant comme je ne le fus jamais et presque aussi intelligent que moi (smiley). Dernière rencontre : Toussaint 2007, un restaurant de la rue François 1er ou alentour. On s'est engueulé, mais comme des amis s'engueulent – sans importance.
Or, ce week-end de 1980 (fin d'année), nous partîmes, les trois, dans ma voiture toute neuve. Première étape : Haybes-sur-Meuse, vallée du fleuve éponyme, chez les parents de Luc, déménagés depuis – je les salue. Le lendemain, journée difficile. À dix heures du matin, première halte à Maredsous, petit-déjeuner tardif à la bière et au fromage locaux. Je ne conserve aucun souvenir de notre déjeuner, mais il a bien dû être, et sans doute pas arrosé d'eau. En fin d'après-midi : abbaye d'Orval – bière et fromage de nouveau. On est ensuite rentré à Paris, Luc malade, mois somnolent et Denis au volant, ricanant et fier d'être en état.
Ce qui m'étonne est qu'on ne soit pas pas passé par Sedan, chez mes grands-parents – vivants tous deux et si incroyablement jeunes, quand j'y pense. J'ai un autre souvenir, de Sedan. Mais alors, il y avait Philippe Bernalin, et pas Luc, ni sans doute Denis – cela dit, allez savoir. Et tout se brouille. Et je me désespère un peu de ne plus être capable de démêler ces vieux écheveaux. Qui était qui ? Et où ? Et quand ? Il demeure cette tablée de trois, que je revois avec une netteté presque inquiétante, avec ce fromage, ces tranches épaisses de pain foncé et ces verres à ras bord de bière, considérablement évasés, comme des cols de femme en prévision d'accouchement.
Neuf heures vingt. – Tout à l'heure – à mi-chemin de ma Maredsous –, coup de téléphone de B. Pour m'annoncer la tentative de suicide de F., à coups de whisky et de médicaments. Que F. ait voulu se suicider ne me surprend nullement. Et, même, j'aurais été assez pour qu'on le laisse faire, aller au bout. Mais la voix de B. est brisée, lui-même semble anéanti, audiblement il se sent coupable. Car B. se sent toujours coupable. De tout. De tout ce qui se produit dans son environnement immédiat, au moins. C'est sa manière à lui de ne pas être laissé en dehors. Ce qui le terrifie. Il m'explique que, la veille de cette "TS" (comme il me dit d'abord, et je ne comprends pas, le contrains à parler français...), il a accompagné F. faire ses courses et que celui-ci, qui s'est remis à fumer en dépit de son cancer du poumon, a acheté trois bouteilles de whisky.
Et je comprends très bien qu'il se sent, F. encore vivant, déjà responsable de sa mort. Car B. se sent toujours responsable de tout, d'où sa culpabilité permanente. Et Catherine me faisait remarquer à quel point il est curieux que B. se soit adjugé ce rôle de nounou envers F. qui ne l'aime guère et ne s'en est jamais caché.
Depuis près d'un an maintenant que F. est malade, je ne l'ai pas appelé une seule fois. Raison officielle (et vraie) : je suis persuadé qu'à sa place je détesterais être poursuivi de leur sollicitude par Pierre, Paul ou Jacques – ce sont des choses dont nous avons déjà parlé, alors même que nous étions en pleine forme et bien jeunes. Autre raison, plus personnelle et moins avouable : je me fous de F. Quand il sera mort, il m'arrivera sans doute de penser à lui, et je m'y vois déjà, mais pour l'instant je m'en fous. Il est vivant et, en tant que vivant, nous ne sommes jamais vraiment intéressé l'un à l'autre. Dernière raison, la plus sombre : je me demande si je suis encore capable de m'intéresser à qui que ce soit d'autre que moi. Peut-être finalement ma mère avait-elle raison lorsque, il y quarante ans, elle me disait que j'étais fondamentalement égoïste. Il est fort probable qu'elle avait touché juste, sans trop le savoir (sinon, elle se serait certainement tue).
Il y a aussi que F. est intimement lié à ma vie professionnelle. Et rien qu'à celle-là. Or, des morts, ma vie professionnelle en est peuplée, encombrée même. Et, sans doute, si je ne vais plus à FD qu'à reculons, c'est notamment en raison de ces noms de disparus, que je pourrais citer, énumérer, mais à quoi bon ? Je les connais. Ils sont vivants pour moi. Et si ce journal doit servir à me souvenir de ma vie dans trente ans, point besoin d'écrire ces noms : je suis bien persuadé – sauf Alzheimer – de ne les oublier jamais.
On n'est jamais préparé à ce que je vis. Avoir été le dernier arrivé, le jeune crétin, et se retrouver, presque immédiatement, la "mémoire vivante" : c'est odieux ! Et ce ton déférent (pis : tremblant) qu'ont les nouveaux arrivants pour vous adresser la parole...
Il y a cette clameur, au-dedans de vous, l'envie de hurler "maldoooonne !!" Mais non, il n'y a pas maldonne : vous êtes réellement devenu vieux. Oh ! on vous aime bien quand même. Mais ce quand même, essayez donc de le supporter – essayez.
Bien entendu, on sait que les petits Schtroumpfs vont connaître exactement la même chose – il suffit d'attendre. Mais, à moins d'être foncièrement mauvais, on n'a pas très envie pour eux, de cela. Donc on se tait. Ils croient qu'on la ramène sans arrêt, mais en fait on se tait – et ils le comprendront bientôt. Mais, ma poule, pour toi ce sera trop tard. Et encore sans intérêt : tu sais très bien ce qui va leur arriver.
8 avril
Huit heures et demie. – Merde ! Je pensais bien couper à la journée de travail de demain. Malchance : Bénédicte est en vacances (ou en RTT ou je ne sais quoi) et, du coup, je me sens un peu obligé d'y aller. Aujourd'hui, j'étais tout seul : j'adore ça. Plus de travail, forcément, mais pour cette raison la journée passe très vite, je fais les choses comme je l'entends, personne ne me casse les couilles.
Dans la voiture, tout à l'heure, m'est venue l'envie d'aller passer une semaine avec Emma et Pluton dans leur maison de campagne du Vaucluse. Je voyais la chose comme si j'y étais : on prend le café du matin ensemble, on se sépare, on se retrouve le soir pour dîner. Et, bien entendu, on partage les frais "de bouche". Seulement, comment présenter la chose ? C'est tout le problème des gens "bien élevés", dont j'espère faire plus ou moins partie. Si j'envoie un mail à l'un ou à l'autre, j'aurai beau prendre toutes les précautions oratoires possibles (surtout, si vous n'avez pas envie, n'hésitez pas à...), je sais bien qu'ils se sentiront vaguement obligés de nous dire oui. Et, du coup, même s'ils disaient oui avec un réel enthousiasme, le fait de savoir que, peut-être, ils se sont sentis obligés, suffirait à me ternir le plaisir. Il vous prend parfois l'envie de devenir un soi-mêmiste décomplexé : ces gens sont des cons, mais en effet ils se simplifient l'existence.
Néanmoins, je ne tiens pas à devenir ce soi-mêmiste-là (que Jérôme Vallet voit en moi, et pas forcément à tort). Je suis peut-être ce butor qu'il dénonce à l'envi, sans doute même, mais je tiens à préserver les marges étroites qui me séparent du gros con rédhibitoire – s'il se peut encore.
Tout à l'heure, lorsqu'il faisait encore jour (là, le merle sonne l'extinction des feux), le champ de derrière accueillait des moutons à tête noire, sept adultes et cinq petits, tous frileusement serrés les uns contre les autres. J'aime beaucoup les moutons à tête noire.
9 avril
Neuf heures moins le quart. – On le voit d'après l'heure : je suis en train de rater le début du film. Je ne sais d'ailleurs plus ce que Catherine nous a sélectionné. Et je m'en fous. Je suis par contre très heureux de notre déjeuner de demain, chez des gens que je ne connais pas. Je me demande d'ailleurs (et je tâcherai de le savoir) qui nous a fait inviter. Il Sorpasso ? XP ? Roman Bernard qui, finalement, ne sera pas là ? À voir. Nous débarquerons chez nos hôtes avec Elstir et, apparemment, d'après ce que m'a dit La Crevette (nom de blogueuse de notre hôte), ses enfants sont “fous comme d'la marde” (comme dirait un Québécois) à l'idée de cette rencontre canine. Je peux évidemment me tromper, mais je suis persuadé que ces gens vont me plaire et que cette journée sera à marquer d'une pierre – de la couleur qu'il vous plaira de lui donner. Parce que, tout de même, l'idée de se retrouver entre gens dégagés de la pensée démente qui a cours est très reposante – on aura beau dire.
Je comptais plus ou moins produire quelques paragraphes concernant la réforme fiscale. Car, comme un seul homme, tous les blogueurs s'enflamment à ce sujet depuis hier. Ils tournent en rond, braillent en chœur, racontent n'importent quoi, et c'est sans importance aucune : ce qu'ils veulent, comme toujours, c'est se voir beaux dans le miroir. Ils ne s'aperçoivent pas que, au fond du fond, nous sommes d'accord : tout le monde a envie que les pauvres soient moins pauvres, que la guerre disparaisse, que les ménagères de moins de cinquante ans sourient à l'entrée des hypermarchés, etc. La vraie différence est que nous savons, nous, que c'est impossible, un rêve de bisounours. Ils peuvent foutre le monde cul par-dessus tête : dans trente ou quarante ans, il y aura, impertubables, de nouveaux riches et de nouveaux pauvres. Et le pire c'est que ce seront probablement les mêmes que dans le monde qu'ils auront mis à bas.
Ils ne se rendent même pas compte de l'envie de prison qui les possède. Ni de l'envie tout court qui les aigrit – c'est très curieux, finalement.
10 avril
Onze heures et demie (du soir...). – Je crois bien que je bas une sorte de record : jamais encore (sauf peut-être à Plieux : il faudrait que je vérifie) je n'ai écrit dans ce journal à une heure aussi avancée de la journée (qui est presque déjà la journée de demain, si l'on prend la peine d'y songer). Journée parfaitement agréable, chez Axelle et Damien T., blogueurs tous les deux, mouvance Ilys pour faire bref, et vivant à 49,6 km d'ici si l'on en croit Roselyne.
Merveilleuse famille, comme on n'ose croire qu'il en existe encore : une à peine quarantaine, huit enfants parfaitement bien élevés, éveillés, ressemblant à s'y méprendre à des enfants Fernique – ma référence absolue en la matière. Couple superbement complémentaire au premier jugé et, là aussi, plutôt semblable à celui d'André et Béa. Axelle vive, délicieuse, mince, frétillante, douce et agitée, belle, partout à la fois et jamais tout à fait nulle part. Et Damien, lent, silencieux, efficace, intensément présent, attentif – solide reposoir. Couple magnifique, en vérité.
Autour, nous, en satellites, Catherine et moi, dans le rôle des vieux (car il faudra je crois nous habituer à être systématiquement les plus vieux dans toute réunion de ce type, mais sans jouer les vieux sages, ce que ni elle ni moi, de toute façon, n'avons vocation de faire), il Sorpasso (Charles dans la vie civile) et Lounès (Mathieu) dans celui des jeunes, de ces jeunes qui me plaisent infiniment et par qui je me donne le droit d'espérer en un avenir que je ne verrai pas. Et XP (Hervé), qui ressemble étrangement à l'image que j'avais de lui, lisant ses billets sur ILYS : à la fois m'as-tu-vu et touchant, d'une belle intelligence, mais la prostituant parfois par son envie de paraître, de briller, d'accaparer l'attention – ce que je ne peux lui reprocher, ayant été pareil et, je le crains, l'étant encore parfois, quand l'alcool me dérive.
Et, justement, à propos, il ne fut point trop bu. Catherine m'a affirmé, durant le trajet du retour que, à sept (adultes), nous avions bu quatre bouteilles. Je suis quant à moi persuadé qu'on en a vidé au moins cinq, si ce n'est six, mais enfin, rien d'orgiaque, on le voit : l'ambiance n'était pas à la perte de contrôle, et dans ces conditions il est très facile de se contenir : on ne le fait même pas exprès.
Je disais tout à l'heure à Catherine que j'étais admiratif des gens (Edmond de Goncourt, La Petite Dame...) qui étaient capables, une rencontre se terminant, de noter avec précision ce qui s'était dit, comment les sujets s'étaient enchaînés, etc. Toutes choses dont je me sens parfaitement incapable. Bien sûr, ayant finalement très peu bu, je me souviens de quoi il a pu être question. Mais il me semble que l'idée même de tenter d'en reconstituer le fil suffirait à me plomber les paupières et m'engourdir les doigts sur le clavier. Bref, je ne serai jamais un diariste "performant". D'un autre côté, Léautaud non plus ne faisait cela, alors...
Quoi d'autre ? Ah oui : nous avions emmené Elstir avec nous pour que les enfants T. puissent jouer avec un chien. Mais cet abruti s'est avisé d'avoir peur d'eux et a donc finalement passé l'essentiel de ce temps dans le coffre de la voiture.
Autre chose : je viens de relire ces quelques paragraphes : ils sont constellés de fautes de frappe, que les douze lecteurs de ce journal ne verront évidemment pas, puisqu'elles seront effacées avant publication, mais qui prouvent que, malgré l'impression que j'en ai, j'ai dû boire plus qu'il n'est raisonnable. Et quelle importance ?
11 avril
Huit heures moins le quart. – Journée sans goût ni saveur, un peu morne, comme il arrive souvent les lendemains de sortie et d'excès, même si encore une fois les excès furent cette fois très modérés. Lecture de Gadda (La Connaissance de la douleur) et même pas de billet sur le blog-mère, où je me suis contenté de poser une petite vidéo de Dieudonné, découverte sur le site de l'In-nocence et trouvée drôle. Certains commentateurs se sont étonnés que je puisse afficher ce sketch de Dieudonné, compte tenu des idées qu'il défend. Mais je me fous de ses idées ! C'est-à-dire que j'arrive très bien à séparer ses idées (que j'exècre en effet), de son savoir-faire de comique professionnel, qui n'est pas mince, au moins par moments. Mais pour faire comprendre ça...
Sur son blog, le délirant et pontifiant à la fois Olivier Bonnet tance sévèrement Sarkozy et Obama (lesquels en tremblent, soyons-en sûrs) pour avoir prononcé une oraison funèbre laïque du président polonais accidentellement disparu ces derniers jours, je ne sais au juste quand. Parce qu'il était nationaliste – ce qui est en effet très choquant pour un président de la République... –, réactionnaire et... homophobe. Chaussant son nez rouge et rajustant sa perruque paille, notre journaliste déclare avec toute la solennité nécessaire qu'il s'agit, ces deux brefs hommages tout ce qu'il y a de convenu, d'une « insulte à tous les progressistes de la terre ». Je ne connaissais pas personnellement le président polonais, mais il commencerait à me devenir fort sympathique : parvenir, par son seul décès, à faire insulter d'un coup tous les progressistes de la terre, mazette !
Demain et mardi, retour en mode boulot. J'ai décidé qu'il me fallait écrire les deux premiers volets de ma série “pharaons” pour FD (Le Sphinx et la pyramide de Khéops). Et, à partir de samedi prochain, plongée dans le nouveau BM. Ce qui signifie : plus aucune sortie d'ici au 20 mai – programme parfaitement conforme à l'état de nos finances, du reste. Finances qui devraient tout de même commencer à s'assainir un peu, le programme d'austérité lancé le mois dernier commençant en principe à porter ses fruits. À condition évidemment que, cette semaine, de l'argent arrive enfin de chez GdV.
13 avril
Cinq heures et demie. – Je me demande comment je me débrouille pour être aussi bête. À chaque fois que je me retrouve avec une série d'articles à écrire pour FD (sur les pharaons, cette fois), le même phénomène se reproduit : je suis saisi d'angoisse presque comme un débutant et tourne autour durant au moins deux jours avant de m'y mettre. Deux jours durant lesquels je ne pense à peu près à rien d'autre – au point qu'hier je n'ai même pas tenu ce journal, je viens de m'en rendre compte il y a une minute en l'ouvrant. Hier et ce matin, ma première pensée en revenant à la surface du réel, avant même d'ouvrir les yeux, a été : « Ah, merde, il faut que j'écrive mes six feuillets sur le sphinx... » J'en serais volontiers resté au lit. J'ai encore fait durer le déplaisir jusqu'à trois heures cet après-midi, avant de m'y mettre enfin. Et, naturellement, comme toutes les autres fois, les 8000 signes se sont écrits sans difficulté d'aucune sorte et étaient bouclés en deux heures. Et je sais que cela va recommencer, non seulement dès la prochaine série que Philippe B. me demandera de faire, mais aussi pour chaque article de celle en cours. Il me semble qu'après trente ans de cuisine, je ne devrais plus flipper à l'idée que je vais peut-être rater ma béchamel, bon sang !
Coup de fil de l'agent immobilier hier, pour me signaler qu'il avait fait visiter le studio à un petit couple de Levalloisiens, qui s'étaient montrés très intéressés. Apparemment, ils n'ont pas bronché lorsqu'il a prétendu que, la semaine dernière, une offre à 105 000 € avait été refusée – ce qui n'est pas à proprement parler un mensonge, mais tout de même une présentation fort tendancieuse de la vérité, dans la mesure où c'est notre ambassadeur brésilien qui avait fait cette offre, avant de l'annuler elle-même. Là-dessus, il me réclame les deux derniers comptes rendus d'assemblée des colocataires, que voulaient consulter nos jeunes éventuels acheteurs. Et je suis passé une fois de plus pour le parfait branquignol quand, le rappelant, j'ai bien dû lui avouer que je ne les retrouvais nulle part et qu'ils avaient vraisemblablement été rangés dans la poubelle...
Comme désormais chaque mardi ou presque, Catherine est partie à l'agility avec Elstir et ne rentrera qu'à sept heures. Je vais donc m'autoriser quelques verres de muscadet en l'attendant. À propos d'Elstir, son “maître d'agility” a dit à Catherine qu'il serait bon qu'ils aillent le promener près d'une école au moment de la sortie des enfants, afin de le familiariser avec eux, de façon à le débarrasser de cette peur inexplicable dont il a fait preuve, samedi, avec ceux d'Axelle et Damien. C'est en effet une bonne idée car, sachant qu'il en a peur, je n'oserais plus le mettre en présence d'enfants. Bien que je continue à m'étonner de cette frousse soudaine, dans la mesure où il a toujours été parfaitement à l'aise avec ceux du village qui viennent le caresser.
14 avril
Trois heures moins le quart. – Je profite du quart d'heure de calme qui me reste – avant le retour de Brice... – pour venir trainailler un peu ici. Alors que je devrais être en train de terminer l'article sur Khéops et sa putain de pyramide, dont je me fous bien. C'est d'ailleurs curieux : à part en classe de 6e, dont c'était une partie du programme d'histoire, je ne me suis jamais intéressé à l'Égypte ancienne. Et je me demande si je n'ai pas été rebuté par tout le fatras ésotérique qui la plombe, et dans lequel je suis précisément immergé depuis hier.
Toujours pas de coup de téléphone de l'agent immobilier, lequel doit pourtant passer ici, à Levallois, chercher les papiers dont il a besoin pour ses visiteurs, et que j'ai apportés ce matin afin de les lui remettre.
Côté GdV, Nancy, la comptable, m'a fait savoir, en réponse à un mail de moi, qu'elle attendait le Grand Argentier du Royaume afin de procéder aux divers paiements. L'heure est solennelle, donc.
Moi qui, finalement, étais tout content de me trouver dans l'impossibilité de remettre les pieds à La Comète, suite à mon altercation avec le patron, voilà qu'un billet de Nicolas m'apprend ce matin que le dit patron jettera l'éponge à la fin du mois de mai. Si j'y retourne à partir de juin – mais il y a somme toute peu de chances –, il faudra que j'évite de balancer mon verre à la tête du nouveau taulier : Nicolas pourrait finir par s'en agacer.
Lu le deuxième chapitre de L'Affreux Pastis de la rue des Merles, de Gadda. Un roman policier qui n'en est pas tout à fait un, tout en étant aussi davantage : impression d'étrangeté, mais moins déstabilisante que dans La Connaissance de la douleur, que j'ai abandonnée avant la fin – ce que finalement je déteste, à cause de la frustration et de l'impression d'imbécillité que cela entraîne presque immanquablement.
Pendant que je tentais d'écouter Une prière de Nicolas Bacri, les pénibles duettistes du service-courrier parlaient football comme chaque jour que Dieu fait. Ou plus exactement, ils braillaient football. Évidemment, pas moyen de rien dire, car on aurait beau jeu de me répondre que le hall de l'immeuble n'est pas une bibliothèque ni un auditorium.
15 avril
Huit heures vingt. – Soirée avec Ludovic que j'ai ramené de Levallois. Il est admis tacitement que sa présence nous autorise toujours un ou deux petits verres supplémentaires. Que nous avons pris, mais sans le moindre excès, si j'en juge par le nombre de fautes de frappe dans les trois lignes déjà écrites (bon critère, décidément). Un jour où j'écrirai ici vraiment saoul, il faudrait, comme je l'ai déjà dit, que je les laisse, ces fautes. Mais, à la relecture, il y a une sorte de force à la fois extérieure et intérieure qui m'en empêche.
Sur la suggestion de Catherine, j'ai abandonné la bière, durant ces trois jours d'apéro open, au profit du Muscadet : on n'est pas plus peuple, mégot à la lippe.
Ludovic vient de partir se promener avec Swann, son chien préféré. Swann du reste le sait : lorsque Ludovic est là, il ne s'intéresse plus qu'à lui, le suit, le guette. Et, le matin, peut passer des heures sur la terrasse, les yeux rivés sur la Case où dort son maître intermittent – sans la moindre impatience, mais avec un frémissement de la truffe et du corps très perceptible.
Cette histoire de vente du studio commence à me tarauder et il devient nécessaire que je me morigène : la considérant comme déjà derrière moi, m'étonnant et m'agaçant qu'elle ne le soit pas, je me sens prêt à brader pour en finir au plus vite – ce qui serait stupide (sauf pour les acheteurs).
Georges a repris ses quartiers sur le blog-mère. Suivant son habitude, il joue les cerbères ricanants et ironiques, les blogo-snipers. Plusieurs commentateurs habituels m'ont déjà dit, par mail, qu'ils continuaient à venir me lire, mais sans plus commenter, sachant qu'ils vont se faire descendre en plein vol. Je les comprends. Mais, dans le même temps, je n'ai nullement envie de jouer les mères poules vis-à-vis d'eux, et encore moins de faire le maître d'école avec Georges. Dont les tirs de barrage m'amusent, le plus souvent.
Ce soir – dans dix minutes – L'Âge des ténèbres de Denys Arcand, profondément noir et à demi raté, que Ludovic n'a jamais vu. Je suis curieux de voir ce qu'il va en penser.
17 avril
Sept heures et quart. – Comme, ce matin, Catherine se décourageait devant l'aspect de plus en plus montueux du linge en attente de repassage, je lui ai proposé un marché : « J'écris cet après-midi le troisième volet de ma série “pharaons” pour FD, et toi, pendant tout le temps qu'en dure la rédaction, tu repasses... » Je précise qu'au départ j'avais plutôt envisagé un après-midi de fainéant. Mais elle a dit banco. Résultat, à cinq heures nous nous retrouvâmes tous les deux satisfaits de soi-même et de l'autre, moi ayant écrit 8400 signes sur Akhénaton, Néfertiti et Moïse, elle ayant quasiment résorbé le linge de sa corbeille. Demain matin, début du BM.
Lundi aux aurores, nous conduirons Elstir à la clinique vétérinaire, afin qu'il y soit castré. Ensuite, il sera bon pour la collerette durant une quinzaine de jours. Il est curieux que beaucoup de gens ne supportent pas l'idée que l'on puisse faire castrer un chien, qu'ils sont même tout prêts à considérer cela comme un acte barbare (et les hommes encore bien plus que les femmes...), alors que tous considèrent cela comme normal pour un chat. Quelle différence peuvent-ils bien percevoir ?
Tout à l'heure, je me suis trouvé nettement ennuyé de ce que nous ne prenions pas l'apéritif. Non à cause d'un quelconque manque d'alcool, mais parce que c'est aujourd'hui la première journée de l'année où nous aurions pu le prendre dehors. Heureusement, dans le louable souci de balayer ces regrets, trois voisins ont en même temps sorti des abris tondeuses, taille-haie, tronçonneuses et autres débroussailleuses, pulvérisant aussitôt toute envie de s'asseoir dehors.
Ce matin, j'ai envoyé un mail à Nicolas pour lui rappeler que Tonnégrande et lui étaient toujours invités à venir dîner (et dormir) ici un samedi de leur choix, et qu'il ne leur restait plus qu'à choisir le samedi en question.
(À l'instant même, la dernière tondeuse s'arrête, et les oiseaux ressuscitent.)
J'ai appris hier, sur un blog, qu'Ygor Yanka et sa femme (sa compagne ? Je ne sais pas, tiens...) venaient d'acheter une maison dans un village de Gaspésie. Depuis, Catherine et moi rêvons comme deux crétins d'une retraite semblable – elle à plus juste raison que moi dans la mesure où elle connaît ce coin du Québec. Si, d'une manière ou d'une autre, je pouvais m'assurer une rente de deux ou trois mille euros, je crois que nous tenterions l'aventure. Ou bien si j'étais assuré de la pérennité des BM, ce qui est très loin d'être le cas. Je pourrais toujours proposer mes services de rewriter à la feuille de chou locale, mais je doute fort du résultat. En fait, il suffirait que la notion de télétravail soit entrée dans les mœurs : rien ne me serait plus facile que de bosser pour FD de là-bas. Mais il semble qu'il est encore trop tôt pour cela.
J'ai lâché L'Affreux Pastis de la rue des merles au tiers du parcours, comme je l'avais déjà fait pour La Connaissance de la douleur : je crains que Gadda ne soit pas fait pour moi. Pour me consoler, je me suis replongé dans Jane Austen, si je puis dire (Emma).
18 avril
Sept heures et quart. – Première journée de travail sur le nouveau BM. Bilan : pas une ligne. Levé tard, donc arrivé également tard devant cet ordinateur, petit tour des blogs... Le temps de relire attentivement le synopsis, de préparer le document Word et de griffonner un semblant de plan pour le premier chapitre, il était déjà près d'onze heures et demie, si bien qu'en toute logique de mauvaise foi j'ai considéré qu'il n'était plus temps de s'y mettre, que ça ne valait plus le coup – mais le coup de quoi ? Pour tenter d'apaiser un début de mauvaise conscience, je suis allé fouiller les entrailles de Google afin d'y constituer ma documentation sur les “Pharaons noirs”, quatrième épisode de ma série de six pour FD. Je comptais même l'écrire cet après-midi, mais voilà que Catherine et moi avons été pris d'une rage immobilière comme il nous arrive. Ygor Yanka nous ayant envoyé des photos de sa future maison en Gaspésie, une fureur d'exil nous a de nouveau empoignés et nous avons passé une grande heure à chercher des maisons en Gaspésie et à nous extasier sur la faiblesse de leurs coûts : on n'est pas plus vain.
Toujours dans le cadre de ce fantasme gaspésien, nous avons ensuite passé un bon moment à estimer, via internet, quel serait le montant de ma retraite si j'arrêtais de travailler à 60 ans. verdict : 1900 €. À quoi devrait s'ajouter une petite retraite canadienne à laquelle Catherine est persuadée d'avoir droit, de l'ordre de 400 € environ. Pas de quoi jouer les seigneurs, mais tel n'est pas le but. Et Catherine se prenait à rêver que d'ici deux ans, se profilerait une nouvelle “charrette” chez Lagardère, dans laquelle je tenterais de grimper. Indemnités et ensuite chômage durant quatre ans, afin d'assurer la jonction avec cette fameuse retraite.
Et puisqu'on en est au chapitre “branquignols actifs”, ceci : il y a quelque temps, nous avons reçu comme prévu les offres de prêt du Crédit mutuel – prêt de 5600 € destiné à rembourser notre “réserve permanente” du Crédit Lyonnais, avant de clôturer mon compte chez ce dernier –, offres que j'ai posées sur le buffet, sachant que je ne pouvais les renvoyer signées avant un certain délai – délai que j'ai naturellement omis de vérifier. Hier matin, coup de téléphone de M. H., mon chargé de compte au Crédit Mutuel, lequel s'enquiert si nous comptons donner suite à ces offres. Je l'assure que oui, bien entendu, je m'en occupe avec diligence et efficacité. Sitôt raccroché le combiné, je daigne enfin porter un œil sur les dits documents, pour m'apercevoir qu'ils étaient périmés depuis la veille et que, donc, de prêt il n'était plus question, à moins de tout reprendre à zéro. Il reste, mardi matin, à assumer notre sottise en informant M. H. de notre infantile inconséquence.
Sinon, bien avancé la lecture d'Emma, en constatant que Jane Austen me ravissait toujours autant. Cette lecture m'est si facile et agréable que, par moment, elle me donne l'impression d'être impure. Je ne l'en continue pas moins. Je voudrais même en faire un billet sur le blog-mère, dès que le roman sera terminé – après-demain sans doute.
Demain matin, Catherine conduit Elstir chez le vétérinaire afin de lui faire couper les couilles (à Elstir). J'espère qu'il sera ensuite aussi “raisonnable” que l'avait été Balbec en mêmes circonstances, ce qui permettra de ne lui mettre la collerette que la nuit et de l'en dispenser la journée. Si je me souviens bien, dans le cas de Balbec, nous avons même dû cesser de la lui mettre la nuit au bout de quelques jours.
19 avril
Onze heures. – Après diverses tentatives malheureuses auprès d'écrivains qui n'ont pas voulu de moi, je me suis replongé dans Jane Austen, si l'on veut bien me passer l'expression. Merveilleuse, cette Jane-là. Jamais tout à fait la même, d'un roman à l'autre, jamais tout à fait une autre non plus, si bien que les livres déjà lus d'elle ont tendance à se brouiller dans ma mémoire, à se fondre en un seul – confusion aggravée par la similitude de certains titres (Orgueil et Préjugés face à Raison et Sentiments) et par le fait que viennent interférer les souvenirs d'adaptation cinématographiques de romans non encore lus. Enfin, là, j'ai ouvert Emma, que j'étais bien certain de ne pas connaître encore.
Comme les autres romans d'Austen, celui-ci se meut dans un tout petit monde clos, autiste (et volontairement autiste), incroyablement réduit, mais qui se donne pour le monde dans son entier – ou plutôt comme l'expression la plus achevée et parfaite de celui-ci. Tout ce qui vient de l'extérieur représente une menace – le plus souvent sous la forme d'un homme dangereusement séduisant. Mais il peut aussi s'agir d'une jeune femme, nouvellement épousée et ramenée par son mari à l'intérieur du cercle, chaque roman – Emma en particulier – se présentant comme une tribu primitive, dont les impératifs exogamiques constituent l'un des principaux ressorts de l'intrigue : pas d'autre alternative pour les “Sabines” extérieures que l'assimilation ou le rejet dans les ténèbres. Ne quittent jamais le cercle les vieillards (en fait, les pères : les mères ont souvent eu la bonne idée de mourir avant le début du roman, chez Jane Austen), les vieilles filles et les tendrons à marier : ils ne peuvent le quitter car ils sont le cercle. Ils ne se contentent d'ailleurs pas de le constituer, ils le définissent, en redessinent sans se lasser les contours géographiques et sociaux, toujours scrupuleusement les mêmes.
Une fois posées les bornes du monde civilisé, on ne se préoccupe à peu près que d'une chose : les mariages à venir ; mélodie sans cesse reprise et à peine agrémentée de quelques contrepoints embryonnaires : le temps qu'il fait ou va faire, les maladies qui vont fondre sur les personnages s'ils s'aventurent hors des limites de leur jardin, les politesses que l'on se doit entre voisins – ce qui devrait rendre ces romans puissamment ennuyeux. Or, peu de lectures me paraissent dégager un charme aussi prenant que celle-là, aucune ne me semble plus joyeuse. C'est que Jane Austen possède comme personne l'art d'animer une conversation vide.
Je m'arrête là pour l'instant : un long “téléphonage” avec ma mère (qui m'annonçait leur visite le dimanche 16 mai) m'a complètement fait perdre le fil de ce que je voulais dire – fil déjà bien incertain au départ. Et puis, je ferais bien mieux de me mettre au travail plutôt que d'essayer de jouer au critique littéraire. De toute façon, ce billet ne “vient” pas, il est maladroit, un peu prétentieux et part dans tous les sens. C'est du reste pourquoi son ébauche se retrouve consignée (dans le sens militaire du terme) ici, au cas où.
Sept heures et quart. – Nous sommes allés récupérer Elstir à la clinique vétérinaire à quatre heures et demie. L'opération s'est parfaitement déroulée, il était très bien réveillé. Pour l'instant, on l'a dispensé de collerette, qu'on lui mettra ce soir avant de le laisser pour la nuit, par mesure de précaution. Il a aussi eu droit à une radio des hanches, car Catherine et son “maître d'agility” s'inquiétaient d'un léger et très temporaire boitillement après exercices : tout est normal de ce côté-là aussi.
J'ai finalement fait, sur le blog-mère, un billet tout en prétérition afin d'expliquer ce que j'aurais dit dans mon billet sur Jane Austen, si j'étais parvenu à le mener à bien. Je sais parfaitement, et j'ai déjà dit ici je crois, que je ferais bien mieux de m'abstenir de ces tentative de critique littéraire. Mais il se trouve que, régulièrement (pas très souvent, par chance), j'ai réellement envie d'exprimer les pensées, ou idées, ou sensations qui me viennent à la lecture de tel ou tel livre. La solution consiste peut-être, en effet, à venir m'épancher ici, où cela passera presque totalement inaperçu.
20 avril
Onze heures et demie. – On croise toute de même des gens étranges, dans la blogosphère. Ainsi cette Marianne Arnaud qui ignorait tout de mon existence il y a encore deux ou trois semaines et qui, depuis, semble littéralement obsédée par moi, au point de venir plusieurs fois par jour visiter le blog-mère. Le plus bizarre est cette obstination qu'elle met à feindre de croire (ou à croire réellement, on ne peut savoir) que je me revendique écrivain, alors que je passe mon temps à affirmer le contraire. Aussi à tenir pour acquis que mes commentateurs ne sont qu'une basse-cour de “godillots” n'ayant rien de plus pressé que de chanter mes louanges au moindre billet que je publie. Or, il me semble qu'une ou deux visites, même rapides et distraites, du blog suffisent pour constater qu'il n'en est rien, que ce serait même plutôt l'inverse. Sans même parler des amicales insultes de Nicolas dès que je me mets à “penser mal”, il n'y a pour s'en convaincre qu'à lire les commentaires de Dorham, ceux d'Henri, d'Audine, d'Olympe, etc. ; et aussi ceux de Yanka qui, pour être toujours amicaux ne sont rien moins que complaisants. Mais ça ne fait rien, pour Mme Arnaud, la cause est entendu : j'ai des prétentions d'écrivain (“prétentions” signifiant bien entendu que je ne me montre pas à la hauteur d'icelles) et je suis entouré d'une coterie de vils flatteurs qui m'empêchent de voir à quel point je surestime mes médiocres talents. Et, après tout, si ça lui fait plaisir... Mais le comble, c'est que Mme Arnaud ne m'a encore, je crois bien, jamais laissé le moindre commentaire. Au lieu de cela, elle va s'épancher à longueur de journée sur le blog de Corto, charmant garçon qui ne méritait pas ça, et qu'elle a entraîné à sa suite deux ou trois dames de son acabit. Si bien que le blog de Corto, à cette heure, ne s'occupe plus que de moi ou presque. J'ai d'ailleurs dit à ce même Corto que je trouvais la situation ridicule et que je m'abstiendrais désormais de commenter chez lui, espérant que mon silence sera un baume suffisant au soudain prurit de ces dames.
L'opération d'Elstir s'est sans doute déroulée au mieux, ce qui se passe moins bien c'est la cohabitation entre l'animal nouvellement castré et la collerette de plastique qu'il doit porter autour du cou. Hier soir, lorsque nous la lui avons passée, il a eu un brutal accès de panique, et il a passé le restant de la soirée couché sur mes pieds, collé contre mes jambes, à geindre doucement mais à intervalles très rapprochés, ce qui s'est rapidement révélé un peu agaçant. Ce semble aller un peu mieux ce matin, mais il continue d'avoir, pour nous regarder, ces yeux incompréhensifs que peuvent avoir les enfants quand ils ignorent la raison pour laquelle ils sont punis. À compter de demain, on va essayer de la lui ôter durant la journée, lorsque nous sommes là pour surveiller qu'il n'arrache pas son pansement, et surtout les fils chirurgicaux qui se trouvent en dessous. Quand je repense à Balbec dans les mêmes circonstances et au même âge : chaque soir, il me suffisait de lui tendre la collerette pour que de lui-même il glisse son museau puis sa tête entière à l'intérieur...
Décidément, je crois que je ne parviendrai jamais à écrire un BM en n'y travaillant que le matin. J'ai commencé hier et j'ai tout de suite compris par où le système péchait : pas assez de pression. Je me suis rendu compte que ce qui me faisait écrire jusqu'à 15 feuillets par matinée, c'était la perspective d'en avoir moins à faire l'après-midi. Privé de cette “carotte”, je ne fais plus rien du tout, ou à peu près. Je vais donc bien devoir revenir au statu quo ante, c'est-à-dire à mon unique manière de travailler depuis plus de vingt ans maintenant.
Le fantasme gaspésien ne se dissipe toujours pas.
21 avril
Huit heures et quart. – 21 avril : je me suis aperçu ce matin de cette date jouissive. Par hasard. Et j'en ai fait un petit billet, illico. Peu de réponses, et même pas du tout, chez mes petits amis de gauche, à part Dorham, qui s'est trouvé là, face à Jérôme Vallet, pénible comme souvent, mais que je tiens à laisser s'exprimer comme il le souhaite.
À propos de Dorham : je sais, de manière absolument certaine, qu'il deviendra rapidement ce que je suis. Il l'est d'ailleurs déjà plus ou moins. J'aime énormément ce garçon, parce que, droite ou gauche, peu importe, nous nous rejoindrons forcément. Il ne le sais pas encore, ce qui est normal, il est trop petit, trop jeune, trop tout ça...
Enfin, je ne peux rien dire, évidemment. Mais, on va rire, il me semble que ce Dorham, quand je serai mort, me ressemblera tout à fait.
22 avril
Huit heures et quart. – Discussion avec Ludovic, éclusant du vin blanc, Catherine s'étant réfugiée devant la télé. Il voulais m'entraîner dans une sorte de procès de Catherine, et naturellement je ne m'y suis pas laissé aller. Il me semble avoir été ferme, lui avoir dit qu'il n'avait rien à dire de sa mère. Je lui ai dit aussi ce que je pensais de sa grand-mère (la mère de Catherine), l'une des femmes les plus malfaisantes pour son entourage immédiat que j'ai connues, en fait. Mais également une des plus drôle et des plus charmantes : curieux cocktail...
Finalement, Ludovic a fui. Vraiment. Avec Swann. Il s'est sauvé. Il tient absolument à ce que sa mère soit "anormale", et lui, du coup, parfaitement normal. Or, j'étais parti pour lui démontrer l'inverse. Et, du coup, il s'est barré. Très vite.
Coup de téléphone : Elsa Fernique. Me disant qu'elle accepte d'être mon témoin pour notre mariage religieux. On a parlé un peu. Elle semblait ravie de remplacer son parrain (Bernalin), et naturellement elle a compris ce que je voulais faire. Retenue de part et d'autre, discussion forte, enfin tout ça.
Je ne sais pas trop, je ne sais toujours pas si j'ai raison de faire cela. Pourquoi me marier religieusement, moi qui ne crois pas en Dieu ? Pourquoi convoquer Bernalin, et Elsa, et André ? Je suis désolé (j'en suis vraiment désolé) mais je ne parviens toujours pas à croire, n'est-ce pas... Est-ce que je ne suis pas en train de me moquer d'eux, ces amis croyants ? – en tout cas, ce coup de téléphone d'Elsa me ravit absolument, il y avait dans sa voix quelque chose de Bernalin.
23 avril
Huit heures et demie. – Mail de Jérôme me demandant ce que je pense de Richter, dont il m'a envoyé un DVD. Il précise que nous avons eu en commun des interrogations à propos de ce pianiste (je crois lui avoir dit que je le trouvais "sec", il y a quelques mois). Mais, non, il se trompe, ou bien il essaie d'être gentil : je ne peux rien avoir en commun, musicalement, avec lui, parce que lui sait ce qu'est la musique et moi pas. Il entend et je suis sourd : comment pourrais-je avoir l'outrecuidance de parler de musique avec lui ?
De toute façon, je n'ai pas encore vu ce DVD. Il se trouve que j'ai commencé par celui qui passe en revue les grands chefs d'orchestre du XXe siècle, que je trouve magnifique et passionnant. M'a frappé notamment ceci : aucun de ces grands musiciens n'a une tête ordinaire, et en particulier lorsqu'ils dirigent. Sans doute parce que chacun à sa façon a un incendie dans le regard. Quelle que soit leur manière de diriger, ils ont ceci en commun : un regard qui brûle.
Demain, journée de repos – parfaitement imméritée car je ne suis nullement fatigué – et ensuite, plongée dans le prochain BM.
À l'heure qu'il est, je devrais être devant la télé avec Catherine pour le Casanova de Fellini. Mais d'une part je suis très bien ici et d'autre part je l'ai déjà vu deux fois, je crois bien : je dois donc pouvoir en manquer le premier quart d'heure sans dommage. Du reste, profitant de mon absence (et de la présence de Ludovic), il n'est pas impossible, même probable, qu'elle se soit rabattue sur une série américaine quelconque.
Coup de fil de ma mère, il y a trois jours, m'annonçant leur visite pour le dimanche 16 mai. Ils vont passer une semaine dans le Cotentin et elle m'annonce tout tranquillement : « Ton père a fait son plan de vol et il s'est aperçu que l'on devait passer par Pacy-sur-Eure. On s'est dit que, vraiment, on ne pouvait pas ne pas s'arrêter chez vous. » Tout cela sans se rendre compte de ce que sa présentation des faits pourrait avoir de vexant si j'étais vexable.
Les chiens : Elstir veut continuer à jouer avec les deux autres, notamment avec Swann. Mais sa collerette (son abat-jour, comme dit Ludovic) agit comme un répulsif (parce que ça fait mal, lorsqu'il nous fonce dessus) et, les deux autres s'éloignant de lui, il s'en trouve considérablement frustré.
Sinon, quoi ? Rien. J'ai lu de considérables sottises sur les blogs des uns ou des autres, notamment chez le nommé Rimbus, garçon sectaire se mêlant de parler de religion, essayant tant bien que mal de masquer sa haine du catholicisme et sa complaisance à l'égard de l'islam pratiqué par ses futurs maîtres – mais n'y parvenant pas, justement parce qu'il est sectaire. De mon côté, l'impression de devenir sage : je ne laisse plus de commentaires chez ce type de déments – mais une rechute est évidemment toujours possible.
24 avril
Neuf heures moins le quart. – Merveilleux moment que la lecture des blogs depuis hier ou avant-hier ;: la burka. Grotesque projet de loi, grotesque Sarkozy, ridicule président, tout à fait en phase avec ce que la gauche a de plus con. Et personne ne s'en rend compte évidemment. Ce personnage n'est en rien différent d'une Ségolène Royal, ils veulent tous deux éliminer ce pays, remplacer ce peuple millénaire par des hordes de pauvres Africains qui, eux-mêmes, ne savent absolument pas qui ils sont ni d'où ils viennent. Je pense que nous sommes morts, d'ores et déjà. Cette religion de la jeunesse, alors que tout le monde sait bien que les pays où la jeunesse est majoritaire (l'Algérie par exemple) sont systématiquement en proie à l'arbitraire, la violence, etc. Les jeunes doivent êtres jugulés, et fermement. La jeunesse est le contraire de la civilisation.
Là-dessus, il va de soi que ces hordes d'Africains que l'on déverse chez nous vont radicalement tuer la France, et l'Europe. Et c'est pourquoi mes amis de gauche me font sourire de pitié, avec leurs histoires de smic, de retraites, de Sécu, etc. Encore vingt ans à ce rythme et il n'y aura plus ni smic, ni retraite, ni Sécu.
Si j'avais des enfants, je tenterais de les soustraire à l'Éducation nationale qui n'enseigne plus rien (il suffit de voir comment écrivent les professeurs lorsqu'ils tiennent des blogs...), je leur transmettrais mon savoir personnel, nettement supérieur à ce qui ne s'inculque plus dans les classes, les inscrirais dans un club de self-défense et leur enseignerais le maniement des armes à feu. Pour qu'ils ne viennent pas, après ma mort, me reprocher de les avoir laissés sans ressources, face aux hordes musulmanes ou autres. Qu'ils soient capables de se défendre, quand le temps des guerriers sera revenu. S'il revient.
Le pompeux Sarkofrance suggère, aujourd'hui, que les prêtres pédophiles soient déchus de leur nationalité française. Sous prétexte que je ne sais plus quel député a demandé que ce soit le cas pour les polygames africains. Comment peut-on parler avec un type pareil ? Pourtant, ce même type fournit la plupart des blogs de gauche en sujets de billets, qui, la plupart du temps, se contentent de reprendre les sottises qu'il débite. Il est fort possible qu'il existe des blogs de droite totalement imbéciles, mais il se trouve que je n'en connais pas. Ceux que que je lis, je suis désolé, sont d'une intelligence bien supérieure à ces blogs de gauche qui, pour l'essentiel, se contentent de reprendre les articles de sites eux-mêmes pitoyables, genre Rue 89, quand ce n'est pas les petits articles du Parisien. De toute façon, ils racontent tous la même chose, à propos des mêmes sujets, et des sujets imbéciles : c'est du Gala militant, rien de plus.
(Il fait nuit, le merle est en train de sonner le tocsin. il module comme une bête.)
25 avril
Huit heures. – Rien fait de la journée ou presque (sauf un petit billet sur le blog-mère) et pas davantage de goût pour écrire ici. J'ai même abandonné lâchement Jane Austen pour relire paresseusement quelques pages de Muray, suite à l'émission que Finkielkraut et Luchini lui ont consacrée hier matin.
Pensé à Muray encore, en entendant parler sur je je sais plus quel blog du mouvement de grève des chômeurs.
Il faut absolument que je commence le prochain BM demain matin. Et j'en ai autant envie que d'une sodomie passive...
26 avril
Sept heures et demie. – ... et tout comme pour la sodomie passive, j'ai finalement reculé devant l'épreuve et n'ai encore rien foutu aujourd'hui. Je commencerai dimanche prochain et ferai le bouquin en continu durant mes douze jours de vacances. Exactement comme d'habitude, quoi. Ce qui serait bien c'est que j'aie, demain, suffisamment mauvaise conscience pour que cela me pousse à écrire mon article sur les pharaons noirs. Ce qui serait toujours ça de pris, comme disait ma grand-mère.
Cet après-midi, tout de même, relecture et correction de mon journal de mars, qui devrait être mis en ligne dans trois jours. Et l'impression qu'il est nettement meilleur que ce qu'on lira d'avril...
Catherine a depuis ce matin des vertiges à ne pas tenir debout, ce qui fait que j'ai joué au petit homme d'intérieur toute la journée. Pour m'évitez la cuisine (et sans doute pour éviter d'avoir à manger le résultat), elle a suggéré que, “pour une fois” nous dînions de hot-dogs – ce que nous avons fait, après que je fus au Super U, acheter les indispensables saucisses de Francfort. Transgresser pour transgresser, j'en ai avalé trois en moins de dix minutes et je me sens à présent considérablement ballonné. Et pas spécialement fier de moi.
Ce soir, film fantastique espagnol. Les jeunes Ibères se tirent assez bien de ce genre particulier qu'est le film d'horreur, contrairement aux Français qui y échouent piteusement, en se couvrant le plus souvent de ridicule. On verra.
Remis Muray sur son étagère et repris Jane Austen. Après avoir déserté Mansfield Park durant 48 heures, je n'étais déjà plus plus fichu de me rappeler qui était qui dans cette histoire. il m'a bien fallu dix pages pour refaire surface.
28 avril
Neuf heures moins le quart. – Rien écrit hier, je me demande bien pourquoi. Ce n'est pourtant pas le temps qui m'a manqué et, jusqu'à présent, le fait de n'avoir rien à dire n'a jamais été un barrage très sérieux.
Cette affaire nantaise du barbu polygame est pain béni. Tout le monde se montre pour ce qu'il est. Sarkozy et ses ministres pour des clowns piteux, la noix vomique musulmane pour une noix vomique musulmane et, bien entendu, nos chers petits anges progressistes pour les agents zélés de leur future disparition. Je ne devrais pas le dire, mais il m'arrive, quand l'énervement me saisit, de leur souhaiter tous les malheurs que je pressens et d'espérer être encore de ce monde pour y assister, contempler leurs têtes hébétées de crevures citoyennes, lorsqu'il n'y aura plus aucun citoyen mais justes des maîtres et des domestiques. Ou bien – autre scénario – lorsqu'ils contempleront leurs enfants, macérés au lieu d'être élevés dans l'écœurant bouillon RESF, et devenus énigmatiquement durs et cruels, retransformés en hommes et en femmes, vomissant joyeusement cette misérable génération dont j'aurai eu le malheur de faire partie – prêts à tailler dans les chairs et les cerveaux pour continuer de vivre.
29 avril
Neuf heures. – Comment dire ? Je suis bêtement euphorique depuis ce matin. Non, pas depuis ce matin ; depuis ce début d'après-midi. Depuis que j'ai écrit mes "Pharaons noirs". Bien entendu, je savais depuis le début que j'écrirais sans problème ces cinq feuillets. Il n'empêche. À chaque fois c'est la même chose ! Juste cinq feuillets à écrire, une heure et demie de boulot. Et, pourtant, la certitude de ne pas y arriver. Avec, en même temps, en arrière-plan, la certitude inverse, celle que, bien sûr, on va y arriver. Et les deux co-existent étrangement.
30 avril
Quatre heures et demie. – J'ai mis ce matin en ligne le journal de mars. Il y a quelques minutes, un commentaire de Mère Castor me disant qu'il “coule” mieux que celui de février. C'est également mon avis. Ce qu'elle ne sait pas encore, c'est qu'il coule également mieux que celui d'avril qui le suivra. C'est en tout cas l'impression que j'ai eue en relisant quelques-unes des entrées de ce mois qui s'achève. Mais je dois préciser que je n'en ai revu que trois et qui correspondaient à des soirs “avec” (avec apéritif...). On peut espérer que les pages “sobres” soient de meilleure qualité.
L'un de nos voisins, celui qui possède le verger devant notre maison (laquelle est perpendiculaire à la rue de l'Église), saisi d'une sorte de démence gazonnière, en est cette année à tondre tous les cinq ou six jours. Si le mal progresse encore, l'année prochaine il tondra la terre battue. On a eu de la chance hier soir pour notre dernier apéritif, puisqu'il a réussi à se retenir jusqu'à maintenant.
Je dis “dernier apéritif” dans la mesure où je ne retournerai pas à Levallois avant le mercredi 12 mai. Et comme le jeudi sera celui de l'Ascension, donc férié, je médite déjà de me mettre en arrêt maladie diplomatique ce mercredi-là. Donc, approximativement, ce sont deux semaines de tempérance et de BM qui s'ouvrent devant moi – perspective qui ne parvient même pas à balancer l'espèce d'euphorie dont je parlais hier soir.
Reçu ce matin L'Invention de Morel, dont j'ai lu les vingt premières pages tout à l'heure : roman étrange, assez envoûtant. Mais j'en reparlerai quand il sera entièrement lu. En tout cas, sortant de Jane Austen, la rupture est brutale.
Hier, contre toute attente, Nancy m'a annoncé un virement de 2300 euros. Ce qui n'a pas peu contribué à ma fameuse euphorie. Nos finances se redressent d'ailleurs gentiment. Je crois bien que, depuis l'achat du studio en juillet 2008, c'est la première fois que nous terminons un mois avec un solde positif sur les deux comptes. Et le virement de GdV fait que je dispose d'ores et déjà de quoi acquitter mon tiers provisionnel de 2100 euros, le mois prochain. Pourvou qué ça doure...
Je suis curieux de voir si des gens (et qui) vont me parler de notre mariage religieux, annoncé dans le journal de mars. Logiquement Dorham devrait le faire, je suppose, mais depuis qu'il a fermé son propre blog il ne semble plus très assidu à ceux des autres, ce que je comprends d'ailleurs parfaitement.
L'affaire du polygame barbu de Nantes a au moins servi à montrer l'état de panique qui s'empare des petits progressistes les plus atteints dès que l'on s'en prend un tant soit peu à leur cher islam. Le communiste irrepenti Olivier Bonnet invoque Paul Bocuse ! Quant à mon inénarrable Céleste, elle en est à produire une chanson de Sacha Distel pour tenter de justifier, ou au moins de banaliser, l'injustifiable. D'autres sont allés ramasser une déclaration de Carla Bruni concernant la polygamie, etc. C'est vraiment l'affolement dans le poulailler, la volaille gauchiste a senti le renard. De toute façon, par quelque bout qu'on la prenne, cette histoire est du plus haut comique. Et bien entendu, aussi, d'une profonde tristesse. Comme on pouvait s'y attendre, tout le monde a feint de ne pas remarquer l'assourdissant silence des introuvables – parce que largement mythiques – et néanmoins fameux musulmans modérés. Ils avaient pourtant une occasion en or, là, de montrer leur modération, d'exhiber leur amour de la France, leur respect de la loi, etc. Mais tout ceux que j'ai entendu interviewer ne songeaient qu'à pleurnicher sur leur propre stigmatisation. Ils ont très bien appris leur leçon modernante, tous ces gens.
J'ai bien hâte qu'il nous éclose d'autres “faits divers” de ce calibre, ce qui ne saurait manquer et probablement à un rythme de plus en plus rapide.
Huit heures moins le quart. – Bon sang de bois ! un peu plus et je ratais le premier avril ! Je ne sais pourquoi, j'étais persuadé d'avoir "fait" du journal aujourd'hui, à FD. En fait, non. Mais alors, qu'ai-je fait aujourd'hui ? Rien ou presque, manifestement. Rien pour mon employeur, rien pour moi. Et pourtant une journée où j'ai l'impression de n'avoir pas eu une minute “à moi”. (Et qu'en aurais-je fais, de cette minute ? Encore du rien, probablement.)
Depuis hier, la France est coupée en deux, du moins cette portion de trente personnes en France qui lit ou dit lire ce journal. On semble massivement d'accord pour trouver que mes commentaires et énervements à propos des blogs d'imbéciles “plombent” l'ensemble. Seules de rares voix (celle de Marine notamment) s'élèvent là contre. Comme d'habitude, suivant ma pente, j'étais tout prêt à rendre les armes sans combattre et à donner raison à qui me critique. Mais Catherine me fait observer que mes coups de griffes contre tel ou tel sont généralement prolongés par une réflexion plus personnelle (je n'ai pas dit originale, encore moins profonde : juste personnelle...) et que, si j'ampute le journal publié de mes attaques contre les blogs, ces mêmes réflexions resteront suspendues, sans objet, etc. Elle n'a évidemment pas tort non plus.
D'autre part, j'ai plusieurs fois lu, dans le journal de Renaud Camus, des réflexions sur ce sujet. En gros, dit-il, s'il devait tenir compte de ceux de ses lecteurs qui n'aiment pas le récit de ses aventures sexuelles, de ceux qui en regrettent la raréfaction, des autres qui n'apprécient pas ses descriptions de châteaux et d'églises, de ceux encore qui détestent les histoires de chiens et de Totalgaz, etc., il finirait par ne plus rien écrire du tout. Il ne conclut pas, mais on comprend bien que la morale de l'histoire est : je vais poursuivre ce journal sans changer d'un iota. Eh bien, moi de même.
Qu'un journal soit de la littérature ou non n'a en l'occurrence que peu à voir avec le sujet. Il s'agit simplement d'écrire ce qui vient, ce qui demande à être consigné. Et puis, il y a cet autre argument : au bout du compte, je passe beaucoup de temps, chaque jour, à sauter d'un blog à l'autre ; pourquoi ce journal n'en rendrait-il pas compte ? Que ce que j'en dis ne soit pas intéressant, soit inférieur au reste, c'est bien possible. Mais n'en pas parler du tout, ou bien gommer tout ce qui s'y rapporte au moment de la publication ne serait pas très “juste”, il me semble. On va donc continuer à naviguer à vue, comme on le fait depuis le commencement – et tant pis.
L'agent immobilier à qui, hier, dans la salle de réunion de FD, nous avons donné un “mandat” pour vendre le studio, a déjà deux visites demain après-midi. Catherine est très confiante, et moi pas du tout. Je suis certain, mais de manière tout à fait irrationnelle, que quelque chose va enrayer tout le processus ; il ne me semble pas possible que nous puissions nous tirer d'une opération financière quelle qu'elle soit autrement qu'en y laissant des plumes et en étant vaguement ridicules. Il va de soi que je souhaite me tromper – au moins pour cette fois. Il faut dire que crétin échaudé craint... etc. En 2000, lorsque fut vendue notre maison de l'Orne, nous avons placé 250 000 francs à la bourse – risque maximum. Cela faisait près de dix ans, si ma mémoire est bonne, que la bourse grimpait sans désemparer. Le lendemain matin de notre placement (peut-être même dans la nuit : je n'ai pas pris de notes précises), elle a commencé de s'effondrer. Bilan : environ 100 000 francs en fumée. Nous aurions, alors, acheté à Paris n'importe quel appartement à 250 000 francs, il en vaudrait aujourd'hui autant, mais en euros – j'exagère sans doute un peu, mais à peine. Cela dit, comme tout cela, au fond, me fait rire, il n'y a aucune raison que nous ne recommencions pas les mêmes conneries à la prochaine occasion.
Les histoires d'argent m'ont toujours fait l'effet d'être aussi importantes qu'une construction de Lego : ça peut être très amusant, mais je vois mal comment la prendre au sérieux. Or, l'argent réclame, exige d'être pris au sérieux – sinon, il se venge. Je me souviens toujours d'un de mes anciens patrons, à FD, à qui, jeune crétin, j'avais dit que tout le monde avait envie de gagner de l'argent. Il m'avait alors expliqué que non, pas du tout : la plupart des gens ont envie de dépenser de l'argent, mais seule une infime minorité a réellement envie d'en gagner. Et comme ils sont peu nombreux, qu'ils y consacrent en outre une énergie et une intelligence folles, ils finissent généralement par y arriver. Pas faux : je suis la preuve – a contrario – qu'il a raison.
2 avril
Neuf heures vingt. – Compte tenu de l'heure notée, les habituels douze lecteurs de ce journal vont déduire que je suis ivre mort : ils auront tort, j'ai le regret souriant de les en informer. D'abord, je suis parti plus tard (moins tôt serait plus juste, d'ailleurs) de FD. Ensuite, je suis passé rue de la Gare pour y récupérer Ludovic. Ensuite, nous sommes vendredi, premier jour d'un “long week-end” de Pâques, nous avons donc mis comme il se doit près de deux heures pour rentrer ici. Un long week-end de Pâques... On sent, on sait que, pour tout le monde ou presque désormais, le mot important est “week-end”, et que Pâques ne signifie absolument plus rien. Du reste – je prends les paris –, toute référence pascale devrait assez rapidement disparaître (entre trois et huit ans, à mon sens) parce qu'elle doit déjà choquer terriblement nos amis musulmans. Ou bien, si l'on garde tout de même Pâques, presque en douce, ce sera pour leur avoir concédé autant de jours fériés pour leurs fêtes à eux, dont nous n'avons jamais eu rien à faire. De toute façon, elles leur sont déjà concédées, dans les faits : quel patron serait assez suicidaire pour blâmer un de ses employés musulmans parce qu'il s'est absenté trois jours pour égorger son mouton (je fais exprès d'être désagréable, borné, etc. : il me vient de plus en plus des envies d'être désagréable et borné – et je sais que je ne suis pas le seul : la grenade est dégoupillée, les célestes bisounours ne tarderons pas à se la prendre en pleine poire) ?
Bref, après avoir divergé, revergeons : rentré très tardivement, je n'ai pas eu tant que ça le temps de m'imbiber. Donc, camembert.
Durant ce bref apéro, Catherine a annoncé à Ludovic que nous allions nous marier religieusement, le 23 octobre prochain. Non, je me trompe : il le savait déjà, mais elle lui a demandé de l'amener, elle, à l'autel, pour remplacer son père. Le moment était mal choisi, Ludovic ayant deux ou trois joints bien tassés dans la tête. Il a frimé un peu, mais sans y croire lui-même. Il est très amusant de constater à quel point Ludovic, lorsqu'il veut et croit se montrer iconoclaste, régresse en fait vers l'enfance et ses petites provocations bêtes et inoffensives. Mais je sais que Catherine lui en reparlera, car elle tient à cela, à ce symbole. Et que nous savons, sans en avoir parlé, que son père l'aurait adoré aussi – et qu'on aurait, lui et moi, repris un plein verre de whisky.
Autre chose. Hier, ou avant-hier, je disais à Catherine que, après avoir frôlé la catastrophe financière, tout allait se résoudre en même temps : on allait vendre le studio en 24 h, GdV allait me payer d'un coup les 10 000 € qu'il me doit et PB allait me proposer d'écrire une “série” pour FD à 3000 €. Or, à part GdV pour l'instant, le reste s'aligne impeccablement. À la deuxième visite, cet après-midi, notre agent nous a annoncé une proposition ferme et sérieuse, pour le studio, à 105 000 € (mise à prix 110 000). ce qui nous laisserait un reliquat de 25 000. Au même moment, PB m'appelait dans son bureau pour me proposer une série de six articles pour FD, à 500 € chaque, sur le thème : “les derniers secrets des pharaons” – j'ai dit oui, évidemment. Il ne manquerait plus que tombent les dix mille de GdV (mais là je n'y crois pas une seconde) et nous passerions, en quatre mois, d'un trop vide à un trop plein, pour ainsi dire.
Je reviens au mariage religieux. Tout à l'heure, lorsque Catherine tentait d'en parler à Ludovic, j'ai dit qu'elle ne me l'aurait pas proposé plus tôt, et sans doute pas du tout, si elle n'avait senti une sorte d'évolution de ma part, sur ce sujet. Elle a confirmé. Ce qui veut dire qu'elle a décelé quelque chose. Mais quoi ? Là-dessus, je débouche sur des interrogations nébuleuses. Car enfin, la seule chose dont je sois certain est que je ne crois pas plus en Dieu aujourd'hui qu'hier. Il est possible, sans doute, que je me sois mis à le regretter davantage, mais cela change quoi ? Je reste une sorte de tricheur, il me semble. Ou quelqu'un de “faux”, comme se plaît à me présenter Jérôme Vallet.
Ceci m'occupe l'esprit : je veux bien, à la rigueur, me marier devant Dieu pour des raisons frivoles, mais certainement pas pour des motifs bassement terrestres et contingents. Je ne veux pas, en clair, faire le beau devant la Croix. Si c'est cela, je préfère encore lui tourner le dos. S'il existe, il me semble que Dieu doit préférer être nié qu'utilisé. Mais naturellement, s'il existe, tout cela est destiné à me rester parfaitement opaque.
3 avril
Quatre heures. – La femme qui a fait l'offre à 105 000 € pour le studio est ambassadeur du Brésil en Irlande. Je vois mal pourquoi elle a besoin d'un pied-à-terre à Paris, mais bon. Elle semble, ce qui est le plus important, présenter toutes les garanties financières requises. Nous devons donner à l'agent une réponse d'ici mercredi et, s'il ne s'en est pas présenté de plus avantageuses d'ici mardi, nous allons dire oui : il me tarde d'être débarrassé de ce boulet que représentent les 950 € que nous déboursons chaque mois pour le crédit – sans parler des diverses charges et impôts. Tout cela pour un studio où je n'ai pas mis les pieds depuis près d'un an. C'est égal, je suis sidéré que nous puissions vendre 105 000 € un studio acheté 89 000 il y a moins de deux ans, et avec une crise financière entretemps.
Je viens de terminer Pot-Bouille et ai enchaîné sur Au bonheur des dames. Pas un seul personnage, chez Zola : rien que des types personnifiants. Et cette façon de surligner au stabilo fluo les explications qu'il veut à toute force nous faire entrer dans le crâne est gênante et puérile, gênante parce que puérile. Ceci, pris entre cent exemples du même acabit :
– Moralisons le mariage, messieurs, moralisons le mariage, répétait Duveyrier de son air rigide, avec son visage enflammé, où Octave voyait maintenant le sang âcre des vices secrets. (Je souligne.)
Et c'est constamment ainsi, sans cesse reviennent ces insistances qui, à trop vouloir démontrer, finissent parfois par ne plus rien signifier du tout. Le sang âcre des vices secrets ? Ma parole, on se croirait dans un Brigade mondaine ! Je regrette maintenant de n'en avoir pas relever d'autres, car certaines phrases, certaines psychologisations du physique en deviennent cocasses de vouloir trop dire – de même, cocasse cette tendance lourde à hypostasier les maisons, les rues, voire les villes tout entières, comme, si je me souviens bien, dans La Conquête de Plassans. Pot-Bouille – par ailleurs l'un des meilleurs romans des Rougon-Macquart, il me semble – est à ce titre exemplaire : dès le deuxième ou troisième chapitre (sur dix-huit), on a croisé tous les protagonistes, chacun est venu saluer sur le devant de la scène, et l'on sait bien qu'ils ne changeront jamais, ne bougeront plus, quoi qu'il puisse leur arriver. Tous, y compris ceux qui seront détruits, sont parfaitement inaltérables.
5 avril
Midi. – Ce n'est qu'au moment de fermer l'ordinateur, hier soir, juste avant l'heure du film à la télé, que je me suis avisé n'avoir rien écrit ici, dans ce journal. Alors que j'avais eu tout le temps pour le faire, n'ayant pas travaillé de la journée. Je ne me sens d'ailleurs guère mieux parti aujourd'hui, je dois le dire. Ce n'est pourtant pas la tâche qui me manque, puisque le BM N° 313 ne demande qu'à être commencé d'écrire et que je dois rendre vendredi le premier volet (7 à 8000 signes) de ma série de six articles sur les mystères des pharaons. Je crois que je devrais me réserver ce dernier boulot pour les jours où je suis à FD, comme je l'ai déjà fait pour des séries antérieures, et me concentrer, ici, sur le Brigade.
Si je n'ai rien écrit hier, c'est sans doute que je n'avais rien à dire dans la mesure où la journée a passé sans m'en apercevoir, comme dirait l'autre. J'ai fini de lire hâtivement Au bonheur des dames, qui est décidément un roman bien ennuyeux, et rien d'autre. Ah, si, un petit billet rapide sur le blog-mère pour signaler le mépris et le dégoût que m'inspirent ceux qui, sous couvert d'indignations vertueuses contre la pédophilie ne montrent en fait que leur haine borborygmale et impuissante de l'Église. Laquelle les ignore superbement, ce qui les rend encore plus éructants et puérilement blasphématoires : ils me font penser aux enfants qui disent très vite “caca boudin !” en présence d'adultes, suffisamment fort pour être entendus, mais trop vite pour être compris avec certitude. Et qui, ensuite, s'égaillent en pouffant derrière leurs mains jointes.
Temps superbe depuis ce matin, incitant à la promenade. Ce qui y incite moins c'est le fait que nous soyons lundi de Pâques et que de nombreux fâcheux bardés d'enfants risquent de se rencontrer par les champs et par les grèves.
6 avril
Quatre heures vingt. – Et une journée stupide, une ! Ce matin, visite approfondie des nouveaux rayonnages du Carrefour d'Évreux – où nous avons passé deux fois plus de temps qu'à l'ordinaire dans la mesure où, ces crétins malfaisants ayant bouleversé tout le hangar (je me refuse à appeler cette chose un magasin), Catherine a eu une peine infinie à trouver les denrées inscrites au préalable sur sa petite liste. Et moi, de la suivre, poussant le chariot métallique, l'air abruti et résigné de l'ouvrier aux portes matinales de l'usine. Ensuite, après un passage rapide chez Picard et une visite éclair à une para-pharmacie du centre d'Évreux, retour à la maison où, la dernière bouchée de je ne sais plus quoi avalée, nous sommes repartis pour le cabinet du vétérinaire de Saint-Aquilin, afin de lui faire examiner les yeux et les oreilles d'Elstir, et de lui laisser 80 euros pour ses œuvres. Puis, crochet par le garage Renault où nous attendaient depuis trois semaines les tapis de sol et de coffre de la voiture neuve. Sauf que j'ai oublié de vérifier ce qu'on m'a vendu et qu'il y manque le tapis de coffre, lequel nécessitera donc un deuxième passage au garage. Avec tout ça, je me demande par quel miracle j'ai tout de même réussi à lire une dizaine de pages du Château d'Udine. Si Catherine se décide à emmener Elstir à l'agility à cinq heures et demie, je crois que je n'aurai pas volé la bouteille de bière Maredsous que j'ai glissée tout à l'heure dans le chariot. Mais, la journée s'étant déroulée sous les auspices que je viens de dire, il est probable qu'elle va y renoncer, juste pour pouvoir m'en priver, de ma bière.
Tout à l'heure, nous avons appelé l'agent immobilier pour lui donner notre accord à la proposition d'achat de notre studio, faite la semaine dernière par l'ambassadeur brésilien. Ensuite, c'est le curé de Pacy qui s'est manifesté pour fixer fermement la date de notre mariage – le 23 octobre, donc.
Malgré que mes quelques lecteurs en aient, je comptais parler un peu du “scandale” qui hystérise depuis ce matin une jolie brochette parmi les blogueurs les plus atteints : une équipe de journalistes venant vanter les joies de l'islam aux portes de Saint-Nicolas-du-Chardonnet se serait fait sauvagement agresser, brutaliser par une horde de fanatiques catholiques. En réalité, la horde se composait d'un fidèle et du prêtre, et l'on n'a rien échangé de plus qu'une ou deux nasardes... Ils sont tellement cons, mes petits ânes gauchistes, tellement cadenassés dans leur foi-sans-dieu, leur mysticisme dégradé et crasseux, qu'ils en arrivent à décourager l'ironie. Autant passer à autre chose. Au fond, ils ne méritent qu'une punition : ce qui va leur arriver. Attendre suffit, par conséquent.
Je viens de recevoir un mail de Nancy, la comptable de GdV, me disant qu'ils allaient, ce mois-ci, faire de leur mieux, pour ce qui concerne le versement de ce qu'ils me doivent (9200 € à ce jour). Je lui ai répondu immédiatement que je préférerais qu'ils fasse un peu plus que leur mieux.
7 avril
Midi moins le quart. – Ce matin, Catherine est venu à Levallois avec moi, car nous devons valider, à une heure, la proposition d'achat du studio. Ou plutôt nous devions, car l'agent immobilier vient de m'appeler pour m'annoncer que notre ambassadeur brésilien renonçait à cet achat au profit d'un autre studio sis à Neuilly. D'après lui, cette dame a dû signer plusieurs propositions en se disant que, sur la quantité, il y en aurait bien une qui aboutirait. J'ai été déçu sur le coup, parce que je pensais cette affaire réglée. Mais, au fond, comme je n'ai jamais tout à fait cru que nous puissions réaliser ce qu'on appelle une bonne affaire – et même si celle-ci n'était pas absolument mirifique –, je ne suis pas autrement surpris de ce désistement. Je me rends bien compte de ce que ma réaction a d'irrationnel, mais enfin elle demeure bel et bien, solidement arrimée.
Il faudrait que je m'intéresse dès aujourd'hui à mes pharaons, pour FD, et je n'en ai pas la moindre envie. Je crois que je suis, l'âge aidant, en train de devenir un putain de fainéant. Heureusement, je n'en suis pas encore à refuser le travail. Mais ça viendra peut-être. Il faudrait apprendre à vivre avec 2000 € par mois, ce qui me permettrait de ne plus rien faire d'autre que mes trois jours hebdomadaires de rewriting à FD. Mais nous en sommes encore très loin.
Huit heures dix. – Maredsous : on a la madeleine qu'on peut, et celle-ci me convient, même si, évidemment, elle restera stérile. Hier, poussant le chariot dans le hangar infernal derrière Catherine, et explorant seul le rayon des bières, je suis tombé sur ce flacon de 75 cl : Maredsous "Triple". Bière belge. blonde, mais pas décolorée : blonde à la mode belge, tirant sur le roux, avec une certaine opacité trouble. 10° : pas de la pisse d'âne post-moderne, du genre Carlsberg ou Heinneken, pas une bière de bisounours. Un truc qui goûte, qui mousse et qui saoule.
Maredsous est une abbaye bénédictine, planquée dans un repli des mont d'Ardennes – côté belge. Abbaye reconstruite, moderne, sans intérêt, sauf son emplacement et la bière qu'on y brasse, le fromage qu'on y mature (l'exultation du souvenir me fait inventer des verbes, comme la saute du bouchon produit de la mousse – même facilité jubilante).
J'y fus vers 1980, un week-end, avec mes amis Luc et Denis. Denis, je l'ai perdu depuis. Connu en 1972, classe de première au lycée Pothier d'Orléans, colocataire rue de Patay dans le 13ème arrondissement, entre 1976 et 1981, puis... perdu.
Luc, journaliste à Europe 1, garçon flamboyant, modèle-obstacle de ma jeunesse essoufflée, élégant comme je ne le fus jamais et presque aussi intelligent que moi (smiley). Dernière rencontre : Toussaint 2007, un restaurant de la rue François 1er ou alentour. On s'est engueulé, mais comme des amis s'engueulent – sans importance.
Or, ce week-end de 1980 (fin d'année), nous partîmes, les trois, dans ma voiture toute neuve. Première étape : Haybes-sur-Meuse, vallée du fleuve éponyme, chez les parents de Luc, déménagés depuis – je les salue. Le lendemain, journée difficile. À dix heures du matin, première halte à Maredsous, petit-déjeuner tardif à la bière et au fromage locaux. Je ne conserve aucun souvenir de notre déjeuner, mais il a bien dû être, et sans doute pas arrosé d'eau. En fin d'après-midi : abbaye d'Orval – bière et fromage de nouveau. On est ensuite rentré à Paris, Luc malade, mois somnolent et Denis au volant, ricanant et fier d'être en état.
Ce qui m'étonne est qu'on ne soit pas pas passé par Sedan, chez mes grands-parents – vivants tous deux et si incroyablement jeunes, quand j'y pense. J'ai un autre souvenir, de Sedan. Mais alors, il y avait Philippe Bernalin, et pas Luc, ni sans doute Denis – cela dit, allez savoir. Et tout se brouille. Et je me désespère un peu de ne plus être capable de démêler ces vieux écheveaux. Qui était qui ? Et où ? Et quand ? Il demeure cette tablée de trois, que je revois avec une netteté presque inquiétante, avec ce fromage, ces tranches épaisses de pain foncé et ces verres à ras bord de bière, considérablement évasés, comme des cols de femme en prévision d'accouchement.
Neuf heures vingt. – Tout à l'heure – à mi-chemin de ma Maredsous –, coup de téléphone de B. Pour m'annoncer la tentative de suicide de F., à coups de whisky et de médicaments. Que F. ait voulu se suicider ne me surprend nullement. Et, même, j'aurais été assez pour qu'on le laisse faire, aller au bout. Mais la voix de B. est brisée, lui-même semble anéanti, audiblement il se sent coupable. Car B. se sent toujours coupable. De tout. De tout ce qui se produit dans son environnement immédiat, au moins. C'est sa manière à lui de ne pas être laissé en dehors. Ce qui le terrifie. Il m'explique que, la veille de cette "TS" (comme il me dit d'abord, et je ne comprends pas, le contrains à parler français...), il a accompagné F. faire ses courses et que celui-ci, qui s'est remis à fumer en dépit de son cancer du poumon, a acheté trois bouteilles de whisky.
Et je comprends très bien qu'il se sent, F. encore vivant, déjà responsable de sa mort. Car B. se sent toujours responsable de tout, d'où sa culpabilité permanente. Et Catherine me faisait remarquer à quel point il est curieux que B. se soit adjugé ce rôle de nounou envers F. qui ne l'aime guère et ne s'en est jamais caché.
Depuis près d'un an maintenant que F. est malade, je ne l'ai pas appelé une seule fois. Raison officielle (et vraie) : je suis persuadé qu'à sa place je détesterais être poursuivi de leur sollicitude par Pierre, Paul ou Jacques – ce sont des choses dont nous avons déjà parlé, alors même que nous étions en pleine forme et bien jeunes. Autre raison, plus personnelle et moins avouable : je me fous de F. Quand il sera mort, il m'arrivera sans doute de penser à lui, et je m'y vois déjà, mais pour l'instant je m'en fous. Il est vivant et, en tant que vivant, nous ne sommes jamais vraiment intéressé l'un à l'autre. Dernière raison, la plus sombre : je me demande si je suis encore capable de m'intéresser à qui que ce soit d'autre que moi. Peut-être finalement ma mère avait-elle raison lorsque, il y quarante ans, elle me disait que j'étais fondamentalement égoïste. Il est fort probable qu'elle avait touché juste, sans trop le savoir (sinon, elle se serait certainement tue).
Il y a aussi que F. est intimement lié à ma vie professionnelle. Et rien qu'à celle-là. Or, des morts, ma vie professionnelle en est peuplée, encombrée même. Et, sans doute, si je ne vais plus à FD qu'à reculons, c'est notamment en raison de ces noms de disparus, que je pourrais citer, énumérer, mais à quoi bon ? Je les connais. Ils sont vivants pour moi. Et si ce journal doit servir à me souvenir de ma vie dans trente ans, point besoin d'écrire ces noms : je suis bien persuadé – sauf Alzheimer – de ne les oublier jamais.
On n'est jamais préparé à ce que je vis. Avoir été le dernier arrivé, le jeune crétin, et se retrouver, presque immédiatement, la "mémoire vivante" : c'est odieux ! Et ce ton déférent (pis : tremblant) qu'ont les nouveaux arrivants pour vous adresser la parole...
Il y a cette clameur, au-dedans de vous, l'envie de hurler "maldoooonne !!" Mais non, il n'y a pas maldonne : vous êtes réellement devenu vieux. Oh ! on vous aime bien quand même. Mais ce quand même, essayez donc de le supporter – essayez.
Bien entendu, on sait que les petits Schtroumpfs vont connaître exactement la même chose – il suffit d'attendre. Mais, à moins d'être foncièrement mauvais, on n'a pas très envie pour eux, de cela. Donc on se tait. Ils croient qu'on la ramène sans arrêt, mais en fait on se tait – et ils le comprendront bientôt. Mais, ma poule, pour toi ce sera trop tard. Et encore sans intérêt : tu sais très bien ce qui va leur arriver.
8 avril
Huit heures et demie. – Merde ! Je pensais bien couper à la journée de travail de demain. Malchance : Bénédicte est en vacances (ou en RTT ou je ne sais quoi) et, du coup, je me sens un peu obligé d'y aller. Aujourd'hui, j'étais tout seul : j'adore ça. Plus de travail, forcément, mais pour cette raison la journée passe très vite, je fais les choses comme je l'entends, personne ne me casse les couilles.
Dans la voiture, tout à l'heure, m'est venue l'envie d'aller passer une semaine avec Emma et Pluton dans leur maison de campagne du Vaucluse. Je voyais la chose comme si j'y étais : on prend le café du matin ensemble, on se sépare, on se retrouve le soir pour dîner. Et, bien entendu, on partage les frais "de bouche". Seulement, comment présenter la chose ? C'est tout le problème des gens "bien élevés", dont j'espère faire plus ou moins partie. Si j'envoie un mail à l'un ou à l'autre, j'aurai beau prendre toutes les précautions oratoires possibles (surtout, si vous n'avez pas envie, n'hésitez pas à...), je sais bien qu'ils se sentiront vaguement obligés de nous dire oui. Et, du coup, même s'ils disaient oui avec un réel enthousiasme, le fait de savoir que, peut-être, ils se sont sentis obligés, suffirait à me ternir le plaisir. Il vous prend parfois l'envie de devenir un soi-mêmiste décomplexé : ces gens sont des cons, mais en effet ils se simplifient l'existence.
Néanmoins, je ne tiens pas à devenir ce soi-mêmiste-là (que Jérôme Vallet voit en moi, et pas forcément à tort). Je suis peut-être ce butor qu'il dénonce à l'envi, sans doute même, mais je tiens à préserver les marges étroites qui me séparent du gros con rédhibitoire – s'il se peut encore.
Tout à l'heure, lorsqu'il faisait encore jour (là, le merle sonne l'extinction des feux), le champ de derrière accueillait des moutons à tête noire, sept adultes et cinq petits, tous frileusement serrés les uns contre les autres. J'aime beaucoup les moutons à tête noire.
9 avril
Neuf heures moins le quart. – On le voit d'après l'heure : je suis en train de rater le début du film. Je ne sais d'ailleurs plus ce que Catherine nous a sélectionné. Et je m'en fous. Je suis par contre très heureux de notre déjeuner de demain, chez des gens que je ne connais pas. Je me demande d'ailleurs (et je tâcherai de le savoir) qui nous a fait inviter. Il Sorpasso ? XP ? Roman Bernard qui, finalement, ne sera pas là ? À voir. Nous débarquerons chez nos hôtes avec Elstir et, apparemment, d'après ce que m'a dit La Crevette (nom de blogueuse de notre hôte), ses enfants sont “fous comme d'la marde” (comme dirait un Québécois) à l'idée de cette rencontre canine. Je peux évidemment me tromper, mais je suis persuadé que ces gens vont me plaire et que cette journée sera à marquer d'une pierre – de la couleur qu'il vous plaira de lui donner. Parce que, tout de même, l'idée de se retrouver entre gens dégagés de la pensée démente qui a cours est très reposante – on aura beau dire.
Je comptais plus ou moins produire quelques paragraphes concernant la réforme fiscale. Car, comme un seul homme, tous les blogueurs s'enflamment à ce sujet depuis hier. Ils tournent en rond, braillent en chœur, racontent n'importent quoi, et c'est sans importance aucune : ce qu'ils veulent, comme toujours, c'est se voir beaux dans le miroir. Ils ne s'aperçoivent pas que, au fond du fond, nous sommes d'accord : tout le monde a envie que les pauvres soient moins pauvres, que la guerre disparaisse, que les ménagères de moins de cinquante ans sourient à l'entrée des hypermarchés, etc. La vraie différence est que nous savons, nous, que c'est impossible, un rêve de bisounours. Ils peuvent foutre le monde cul par-dessus tête : dans trente ou quarante ans, il y aura, impertubables, de nouveaux riches et de nouveaux pauvres. Et le pire c'est que ce seront probablement les mêmes que dans le monde qu'ils auront mis à bas.
Ils ne se rendent même pas compte de l'envie de prison qui les possède. Ni de l'envie tout court qui les aigrit – c'est très curieux, finalement.
10 avril
Onze heures et demie (du soir...). – Je crois bien que je bas une sorte de record : jamais encore (sauf peut-être à Plieux : il faudrait que je vérifie) je n'ai écrit dans ce journal à une heure aussi avancée de la journée (qui est presque déjà la journée de demain, si l'on prend la peine d'y songer). Journée parfaitement agréable, chez Axelle et Damien T., blogueurs tous les deux, mouvance Ilys pour faire bref, et vivant à 49,6 km d'ici si l'on en croit Roselyne.
Merveilleuse famille, comme on n'ose croire qu'il en existe encore : une à peine quarantaine, huit enfants parfaitement bien élevés, éveillés, ressemblant à s'y méprendre à des enfants Fernique – ma référence absolue en la matière. Couple superbement complémentaire au premier jugé et, là aussi, plutôt semblable à celui d'André et Béa. Axelle vive, délicieuse, mince, frétillante, douce et agitée, belle, partout à la fois et jamais tout à fait nulle part. Et Damien, lent, silencieux, efficace, intensément présent, attentif – solide reposoir. Couple magnifique, en vérité.
Autour, nous, en satellites, Catherine et moi, dans le rôle des vieux (car il faudra je crois nous habituer à être systématiquement les plus vieux dans toute réunion de ce type, mais sans jouer les vieux sages, ce que ni elle ni moi, de toute façon, n'avons vocation de faire), il Sorpasso (Charles dans la vie civile) et Lounès (Mathieu) dans celui des jeunes, de ces jeunes qui me plaisent infiniment et par qui je me donne le droit d'espérer en un avenir que je ne verrai pas. Et XP (Hervé), qui ressemble étrangement à l'image que j'avais de lui, lisant ses billets sur ILYS : à la fois m'as-tu-vu et touchant, d'une belle intelligence, mais la prostituant parfois par son envie de paraître, de briller, d'accaparer l'attention – ce que je ne peux lui reprocher, ayant été pareil et, je le crains, l'étant encore parfois, quand l'alcool me dérive.
Et, justement, à propos, il ne fut point trop bu. Catherine m'a affirmé, durant le trajet du retour que, à sept (adultes), nous avions bu quatre bouteilles. Je suis quant à moi persuadé qu'on en a vidé au moins cinq, si ce n'est six, mais enfin, rien d'orgiaque, on le voit : l'ambiance n'était pas à la perte de contrôle, et dans ces conditions il est très facile de se contenir : on ne le fait même pas exprès.
Je disais tout à l'heure à Catherine que j'étais admiratif des gens (Edmond de Goncourt, La Petite Dame...) qui étaient capables, une rencontre se terminant, de noter avec précision ce qui s'était dit, comment les sujets s'étaient enchaînés, etc. Toutes choses dont je me sens parfaitement incapable. Bien sûr, ayant finalement très peu bu, je me souviens de quoi il a pu être question. Mais il me semble que l'idée même de tenter d'en reconstituer le fil suffirait à me plomber les paupières et m'engourdir les doigts sur le clavier. Bref, je ne serai jamais un diariste "performant". D'un autre côté, Léautaud non plus ne faisait cela, alors...
Quoi d'autre ? Ah oui : nous avions emmené Elstir avec nous pour que les enfants T. puissent jouer avec un chien. Mais cet abruti s'est avisé d'avoir peur d'eux et a donc finalement passé l'essentiel de ce temps dans le coffre de la voiture.
Autre chose : je viens de relire ces quelques paragraphes : ils sont constellés de fautes de frappe, que les douze lecteurs de ce journal ne verront évidemment pas, puisqu'elles seront effacées avant publication, mais qui prouvent que, malgré l'impression que j'en ai, j'ai dû boire plus qu'il n'est raisonnable. Et quelle importance ?
11 avril
Huit heures moins le quart. – Journée sans goût ni saveur, un peu morne, comme il arrive souvent les lendemains de sortie et d'excès, même si encore une fois les excès furent cette fois très modérés. Lecture de Gadda (La Connaissance de la douleur) et même pas de billet sur le blog-mère, où je me suis contenté de poser une petite vidéo de Dieudonné, découverte sur le site de l'In-nocence et trouvée drôle. Certains commentateurs se sont étonnés que je puisse afficher ce sketch de Dieudonné, compte tenu des idées qu'il défend. Mais je me fous de ses idées ! C'est-à-dire que j'arrive très bien à séparer ses idées (que j'exècre en effet), de son savoir-faire de comique professionnel, qui n'est pas mince, au moins par moments. Mais pour faire comprendre ça...
Sur son blog, le délirant et pontifiant à la fois Olivier Bonnet tance sévèrement Sarkozy et Obama (lesquels en tremblent, soyons-en sûrs) pour avoir prononcé une oraison funèbre laïque du président polonais accidentellement disparu ces derniers jours, je ne sais au juste quand. Parce qu'il était nationaliste – ce qui est en effet très choquant pour un président de la République... –, réactionnaire et... homophobe. Chaussant son nez rouge et rajustant sa perruque paille, notre journaliste déclare avec toute la solennité nécessaire qu'il s'agit, ces deux brefs hommages tout ce qu'il y a de convenu, d'une « insulte à tous les progressistes de la terre ». Je ne connaissais pas personnellement le président polonais, mais il commencerait à me devenir fort sympathique : parvenir, par son seul décès, à faire insulter d'un coup tous les progressistes de la terre, mazette !
Demain et mardi, retour en mode boulot. J'ai décidé qu'il me fallait écrire les deux premiers volets de ma série “pharaons” pour FD (Le Sphinx et la pyramide de Khéops). Et, à partir de samedi prochain, plongée dans le nouveau BM. Ce qui signifie : plus aucune sortie d'ici au 20 mai – programme parfaitement conforme à l'état de nos finances, du reste. Finances qui devraient tout de même commencer à s'assainir un peu, le programme d'austérité lancé le mois dernier commençant en principe à porter ses fruits. À condition évidemment que, cette semaine, de l'argent arrive enfin de chez GdV.
13 avril
Cinq heures et demie. – Je me demande comment je me débrouille pour être aussi bête. À chaque fois que je me retrouve avec une série d'articles à écrire pour FD (sur les pharaons, cette fois), le même phénomène se reproduit : je suis saisi d'angoisse presque comme un débutant et tourne autour durant au moins deux jours avant de m'y mettre. Deux jours durant lesquels je ne pense à peu près à rien d'autre – au point qu'hier je n'ai même pas tenu ce journal, je viens de m'en rendre compte il y a une minute en l'ouvrant. Hier et ce matin, ma première pensée en revenant à la surface du réel, avant même d'ouvrir les yeux, a été : « Ah, merde, il faut que j'écrive mes six feuillets sur le sphinx... » J'en serais volontiers resté au lit. J'ai encore fait durer le déplaisir jusqu'à trois heures cet après-midi, avant de m'y mettre enfin. Et, naturellement, comme toutes les autres fois, les 8000 signes se sont écrits sans difficulté d'aucune sorte et étaient bouclés en deux heures. Et je sais que cela va recommencer, non seulement dès la prochaine série que Philippe B. me demandera de faire, mais aussi pour chaque article de celle en cours. Il me semble qu'après trente ans de cuisine, je ne devrais plus flipper à l'idée que je vais peut-être rater ma béchamel, bon sang !
Coup de fil de l'agent immobilier hier, pour me signaler qu'il avait fait visiter le studio à un petit couple de Levalloisiens, qui s'étaient montrés très intéressés. Apparemment, ils n'ont pas bronché lorsqu'il a prétendu que, la semaine dernière, une offre à 105 000 € avait été refusée – ce qui n'est pas à proprement parler un mensonge, mais tout de même une présentation fort tendancieuse de la vérité, dans la mesure où c'est notre ambassadeur brésilien qui avait fait cette offre, avant de l'annuler elle-même. Là-dessus, il me réclame les deux derniers comptes rendus d'assemblée des colocataires, que voulaient consulter nos jeunes éventuels acheteurs. Et je suis passé une fois de plus pour le parfait branquignol quand, le rappelant, j'ai bien dû lui avouer que je ne les retrouvais nulle part et qu'ils avaient vraisemblablement été rangés dans la poubelle...
Comme désormais chaque mardi ou presque, Catherine est partie à l'agility avec Elstir et ne rentrera qu'à sept heures. Je vais donc m'autoriser quelques verres de muscadet en l'attendant. À propos d'Elstir, son “maître d'agility” a dit à Catherine qu'il serait bon qu'ils aillent le promener près d'une école au moment de la sortie des enfants, afin de le familiariser avec eux, de façon à le débarrasser de cette peur inexplicable dont il a fait preuve, samedi, avec ceux d'Axelle et Damien. C'est en effet une bonne idée car, sachant qu'il en a peur, je n'oserais plus le mettre en présence d'enfants. Bien que je continue à m'étonner de cette frousse soudaine, dans la mesure où il a toujours été parfaitement à l'aise avec ceux du village qui viennent le caresser.
14 avril
Trois heures moins le quart. – Je profite du quart d'heure de calme qui me reste – avant le retour de Brice... – pour venir trainailler un peu ici. Alors que je devrais être en train de terminer l'article sur Khéops et sa putain de pyramide, dont je me fous bien. C'est d'ailleurs curieux : à part en classe de 6e, dont c'était une partie du programme d'histoire, je ne me suis jamais intéressé à l'Égypte ancienne. Et je me demande si je n'ai pas été rebuté par tout le fatras ésotérique qui la plombe, et dans lequel je suis précisément immergé depuis hier.
Toujours pas de coup de téléphone de l'agent immobilier, lequel doit pourtant passer ici, à Levallois, chercher les papiers dont il a besoin pour ses visiteurs, et que j'ai apportés ce matin afin de les lui remettre.
Côté GdV, Nancy, la comptable, m'a fait savoir, en réponse à un mail de moi, qu'elle attendait le Grand Argentier du Royaume afin de procéder aux divers paiements. L'heure est solennelle, donc.
Moi qui, finalement, étais tout content de me trouver dans l'impossibilité de remettre les pieds à La Comète, suite à mon altercation avec le patron, voilà qu'un billet de Nicolas m'apprend ce matin que le dit patron jettera l'éponge à la fin du mois de mai. Si j'y retourne à partir de juin – mais il y a somme toute peu de chances –, il faudra que j'évite de balancer mon verre à la tête du nouveau taulier : Nicolas pourrait finir par s'en agacer.
Lu le deuxième chapitre de L'Affreux Pastis de la rue des Merles, de Gadda. Un roman policier qui n'en est pas tout à fait un, tout en étant aussi davantage : impression d'étrangeté, mais moins déstabilisante que dans La Connaissance de la douleur, que j'ai abandonnée avant la fin – ce que finalement je déteste, à cause de la frustration et de l'impression d'imbécillité que cela entraîne presque immanquablement.
Pendant que je tentais d'écouter Une prière de Nicolas Bacri, les pénibles duettistes du service-courrier parlaient football comme chaque jour que Dieu fait. Ou plus exactement, ils braillaient football. Évidemment, pas moyen de rien dire, car on aurait beau jeu de me répondre que le hall de l'immeuble n'est pas une bibliothèque ni un auditorium.
15 avril
Huit heures vingt. – Soirée avec Ludovic que j'ai ramené de Levallois. Il est admis tacitement que sa présence nous autorise toujours un ou deux petits verres supplémentaires. Que nous avons pris, mais sans le moindre excès, si j'en juge par le nombre de fautes de frappe dans les trois lignes déjà écrites (bon critère, décidément). Un jour où j'écrirai ici vraiment saoul, il faudrait, comme je l'ai déjà dit, que je les laisse, ces fautes. Mais, à la relecture, il y a une sorte de force à la fois extérieure et intérieure qui m'en empêche.
Sur la suggestion de Catherine, j'ai abandonné la bière, durant ces trois jours d'apéro open, au profit du Muscadet : on n'est pas plus peuple, mégot à la lippe.
Ludovic vient de partir se promener avec Swann, son chien préféré. Swann du reste le sait : lorsque Ludovic est là, il ne s'intéresse plus qu'à lui, le suit, le guette. Et, le matin, peut passer des heures sur la terrasse, les yeux rivés sur la Case où dort son maître intermittent – sans la moindre impatience, mais avec un frémissement de la truffe et du corps très perceptible.
Cette histoire de vente du studio commence à me tarauder et il devient nécessaire que je me morigène : la considérant comme déjà derrière moi, m'étonnant et m'agaçant qu'elle ne le soit pas, je me sens prêt à brader pour en finir au plus vite – ce qui serait stupide (sauf pour les acheteurs).
Georges a repris ses quartiers sur le blog-mère. Suivant son habitude, il joue les cerbères ricanants et ironiques, les blogo-snipers. Plusieurs commentateurs habituels m'ont déjà dit, par mail, qu'ils continuaient à venir me lire, mais sans plus commenter, sachant qu'ils vont se faire descendre en plein vol. Je les comprends. Mais, dans le même temps, je n'ai nullement envie de jouer les mères poules vis-à-vis d'eux, et encore moins de faire le maître d'école avec Georges. Dont les tirs de barrage m'amusent, le plus souvent.
Ce soir – dans dix minutes – L'Âge des ténèbres de Denys Arcand, profondément noir et à demi raté, que Ludovic n'a jamais vu. Je suis curieux de voir ce qu'il va en penser.
17 avril
Sept heures et quart. – Comme, ce matin, Catherine se décourageait devant l'aspect de plus en plus montueux du linge en attente de repassage, je lui ai proposé un marché : « J'écris cet après-midi le troisième volet de ma série “pharaons” pour FD, et toi, pendant tout le temps qu'en dure la rédaction, tu repasses... » Je précise qu'au départ j'avais plutôt envisagé un après-midi de fainéant. Mais elle a dit banco. Résultat, à cinq heures nous nous retrouvâmes tous les deux satisfaits de soi-même et de l'autre, moi ayant écrit 8400 signes sur Akhénaton, Néfertiti et Moïse, elle ayant quasiment résorbé le linge de sa corbeille. Demain matin, début du BM.
Lundi aux aurores, nous conduirons Elstir à la clinique vétérinaire, afin qu'il y soit castré. Ensuite, il sera bon pour la collerette durant une quinzaine de jours. Il est curieux que beaucoup de gens ne supportent pas l'idée que l'on puisse faire castrer un chien, qu'ils sont même tout prêts à considérer cela comme un acte barbare (et les hommes encore bien plus que les femmes...), alors que tous considèrent cela comme normal pour un chat. Quelle différence peuvent-ils bien percevoir ?
Tout à l'heure, je me suis trouvé nettement ennuyé de ce que nous ne prenions pas l'apéritif. Non à cause d'un quelconque manque d'alcool, mais parce que c'est aujourd'hui la première journée de l'année où nous aurions pu le prendre dehors. Heureusement, dans le louable souci de balayer ces regrets, trois voisins ont en même temps sorti des abris tondeuses, taille-haie, tronçonneuses et autres débroussailleuses, pulvérisant aussitôt toute envie de s'asseoir dehors.
Ce matin, j'ai envoyé un mail à Nicolas pour lui rappeler que Tonnégrande et lui étaient toujours invités à venir dîner (et dormir) ici un samedi de leur choix, et qu'il ne leur restait plus qu'à choisir le samedi en question.
(À l'instant même, la dernière tondeuse s'arrête, et les oiseaux ressuscitent.)
J'ai appris hier, sur un blog, qu'Ygor Yanka et sa femme (sa compagne ? Je ne sais pas, tiens...) venaient d'acheter une maison dans un village de Gaspésie. Depuis, Catherine et moi rêvons comme deux crétins d'une retraite semblable – elle à plus juste raison que moi dans la mesure où elle connaît ce coin du Québec. Si, d'une manière ou d'une autre, je pouvais m'assurer une rente de deux ou trois mille euros, je crois que nous tenterions l'aventure. Ou bien si j'étais assuré de la pérennité des BM, ce qui est très loin d'être le cas. Je pourrais toujours proposer mes services de rewriter à la feuille de chou locale, mais je doute fort du résultat. En fait, il suffirait que la notion de télétravail soit entrée dans les mœurs : rien ne me serait plus facile que de bosser pour FD de là-bas. Mais il semble qu'il est encore trop tôt pour cela.
J'ai lâché L'Affreux Pastis de la rue des merles au tiers du parcours, comme je l'avais déjà fait pour La Connaissance de la douleur : je crains que Gadda ne soit pas fait pour moi. Pour me consoler, je me suis replongé dans Jane Austen, si je puis dire (Emma).
18 avril
Sept heures et quart. – Première journée de travail sur le nouveau BM. Bilan : pas une ligne. Levé tard, donc arrivé également tard devant cet ordinateur, petit tour des blogs... Le temps de relire attentivement le synopsis, de préparer le document Word et de griffonner un semblant de plan pour le premier chapitre, il était déjà près d'onze heures et demie, si bien qu'en toute logique de mauvaise foi j'ai considéré qu'il n'était plus temps de s'y mettre, que ça ne valait plus le coup – mais le coup de quoi ? Pour tenter d'apaiser un début de mauvaise conscience, je suis allé fouiller les entrailles de Google afin d'y constituer ma documentation sur les “Pharaons noirs”, quatrième épisode de ma série de six pour FD. Je comptais même l'écrire cet après-midi, mais voilà que Catherine et moi avons été pris d'une rage immobilière comme il nous arrive. Ygor Yanka nous ayant envoyé des photos de sa future maison en Gaspésie, une fureur d'exil nous a de nouveau empoignés et nous avons passé une grande heure à chercher des maisons en Gaspésie et à nous extasier sur la faiblesse de leurs coûts : on n'est pas plus vain.
Toujours dans le cadre de ce fantasme gaspésien, nous avons ensuite passé un bon moment à estimer, via internet, quel serait le montant de ma retraite si j'arrêtais de travailler à 60 ans. verdict : 1900 €. À quoi devrait s'ajouter une petite retraite canadienne à laquelle Catherine est persuadée d'avoir droit, de l'ordre de 400 € environ. Pas de quoi jouer les seigneurs, mais tel n'est pas le but. Et Catherine se prenait à rêver que d'ici deux ans, se profilerait une nouvelle “charrette” chez Lagardère, dans laquelle je tenterais de grimper. Indemnités et ensuite chômage durant quatre ans, afin d'assurer la jonction avec cette fameuse retraite.
Et puisqu'on en est au chapitre “branquignols actifs”, ceci : il y a quelque temps, nous avons reçu comme prévu les offres de prêt du Crédit mutuel – prêt de 5600 € destiné à rembourser notre “réserve permanente” du Crédit Lyonnais, avant de clôturer mon compte chez ce dernier –, offres que j'ai posées sur le buffet, sachant que je ne pouvais les renvoyer signées avant un certain délai – délai que j'ai naturellement omis de vérifier. Hier matin, coup de téléphone de M. H., mon chargé de compte au Crédit Mutuel, lequel s'enquiert si nous comptons donner suite à ces offres. Je l'assure que oui, bien entendu, je m'en occupe avec diligence et efficacité. Sitôt raccroché le combiné, je daigne enfin porter un œil sur les dits documents, pour m'apercevoir qu'ils étaient périmés depuis la veille et que, donc, de prêt il n'était plus question, à moins de tout reprendre à zéro. Il reste, mardi matin, à assumer notre sottise en informant M. H. de notre infantile inconséquence.
Sinon, bien avancé la lecture d'Emma, en constatant que Jane Austen me ravissait toujours autant. Cette lecture m'est si facile et agréable que, par moment, elle me donne l'impression d'être impure. Je ne l'en continue pas moins. Je voudrais même en faire un billet sur le blog-mère, dès que le roman sera terminé – après-demain sans doute.
Demain matin, Catherine conduit Elstir chez le vétérinaire afin de lui faire couper les couilles (à Elstir). J'espère qu'il sera ensuite aussi “raisonnable” que l'avait été Balbec en mêmes circonstances, ce qui permettra de ne lui mettre la collerette que la nuit et de l'en dispenser la journée. Si je me souviens bien, dans le cas de Balbec, nous avons même dû cesser de la lui mettre la nuit au bout de quelques jours.
19 avril
Onze heures. – Après diverses tentatives malheureuses auprès d'écrivains qui n'ont pas voulu de moi, je me suis replongé dans Jane Austen, si l'on veut bien me passer l'expression. Merveilleuse, cette Jane-là. Jamais tout à fait la même, d'un roman à l'autre, jamais tout à fait une autre non plus, si bien que les livres déjà lus d'elle ont tendance à se brouiller dans ma mémoire, à se fondre en un seul – confusion aggravée par la similitude de certains titres (Orgueil et Préjugés face à Raison et Sentiments) et par le fait que viennent interférer les souvenirs d'adaptation cinématographiques de romans non encore lus. Enfin, là, j'ai ouvert Emma, que j'étais bien certain de ne pas connaître encore.
Comme les autres romans d'Austen, celui-ci se meut dans un tout petit monde clos, autiste (et volontairement autiste), incroyablement réduit, mais qui se donne pour le monde dans son entier – ou plutôt comme l'expression la plus achevée et parfaite de celui-ci. Tout ce qui vient de l'extérieur représente une menace – le plus souvent sous la forme d'un homme dangereusement séduisant. Mais il peut aussi s'agir d'une jeune femme, nouvellement épousée et ramenée par son mari à l'intérieur du cercle, chaque roman – Emma en particulier – se présentant comme une tribu primitive, dont les impératifs exogamiques constituent l'un des principaux ressorts de l'intrigue : pas d'autre alternative pour les “Sabines” extérieures que l'assimilation ou le rejet dans les ténèbres. Ne quittent jamais le cercle les vieillards (en fait, les pères : les mères ont souvent eu la bonne idée de mourir avant le début du roman, chez Jane Austen), les vieilles filles et les tendrons à marier : ils ne peuvent le quitter car ils sont le cercle. Ils ne se contentent d'ailleurs pas de le constituer, ils le définissent, en redessinent sans se lasser les contours géographiques et sociaux, toujours scrupuleusement les mêmes.
Une fois posées les bornes du monde civilisé, on ne se préoccupe à peu près que d'une chose : les mariages à venir ; mélodie sans cesse reprise et à peine agrémentée de quelques contrepoints embryonnaires : le temps qu'il fait ou va faire, les maladies qui vont fondre sur les personnages s'ils s'aventurent hors des limites de leur jardin, les politesses que l'on se doit entre voisins – ce qui devrait rendre ces romans puissamment ennuyeux. Or, peu de lectures me paraissent dégager un charme aussi prenant que celle-là, aucune ne me semble plus joyeuse. C'est que Jane Austen possède comme personne l'art d'animer une conversation vide.
Je m'arrête là pour l'instant : un long “téléphonage” avec ma mère (qui m'annonçait leur visite le dimanche 16 mai) m'a complètement fait perdre le fil de ce que je voulais dire – fil déjà bien incertain au départ. Et puis, je ferais bien mieux de me mettre au travail plutôt que d'essayer de jouer au critique littéraire. De toute façon, ce billet ne “vient” pas, il est maladroit, un peu prétentieux et part dans tous les sens. C'est du reste pourquoi son ébauche se retrouve consignée (dans le sens militaire du terme) ici, au cas où.
Sept heures et quart. – Nous sommes allés récupérer Elstir à la clinique vétérinaire à quatre heures et demie. L'opération s'est parfaitement déroulée, il était très bien réveillé. Pour l'instant, on l'a dispensé de collerette, qu'on lui mettra ce soir avant de le laisser pour la nuit, par mesure de précaution. Il a aussi eu droit à une radio des hanches, car Catherine et son “maître d'agility” s'inquiétaient d'un léger et très temporaire boitillement après exercices : tout est normal de ce côté-là aussi.
J'ai finalement fait, sur le blog-mère, un billet tout en prétérition afin d'expliquer ce que j'aurais dit dans mon billet sur Jane Austen, si j'étais parvenu à le mener à bien. Je sais parfaitement, et j'ai déjà dit ici je crois, que je ferais bien mieux de m'abstenir de ces tentative de critique littéraire. Mais il se trouve que, régulièrement (pas très souvent, par chance), j'ai réellement envie d'exprimer les pensées, ou idées, ou sensations qui me viennent à la lecture de tel ou tel livre. La solution consiste peut-être, en effet, à venir m'épancher ici, où cela passera presque totalement inaperçu.
20 avril
Onze heures et demie. – On croise toute de même des gens étranges, dans la blogosphère. Ainsi cette Marianne Arnaud qui ignorait tout de mon existence il y a encore deux ou trois semaines et qui, depuis, semble littéralement obsédée par moi, au point de venir plusieurs fois par jour visiter le blog-mère. Le plus bizarre est cette obstination qu'elle met à feindre de croire (ou à croire réellement, on ne peut savoir) que je me revendique écrivain, alors que je passe mon temps à affirmer le contraire. Aussi à tenir pour acquis que mes commentateurs ne sont qu'une basse-cour de “godillots” n'ayant rien de plus pressé que de chanter mes louanges au moindre billet que je publie. Or, il me semble qu'une ou deux visites, même rapides et distraites, du blog suffisent pour constater qu'il n'en est rien, que ce serait même plutôt l'inverse. Sans même parler des amicales insultes de Nicolas dès que je me mets à “penser mal”, il n'y a pour s'en convaincre qu'à lire les commentaires de Dorham, ceux d'Henri, d'Audine, d'Olympe, etc. ; et aussi ceux de Yanka qui, pour être toujours amicaux ne sont rien moins que complaisants. Mais ça ne fait rien, pour Mme Arnaud, la cause est entendu : j'ai des prétentions d'écrivain (“prétentions” signifiant bien entendu que je ne me montre pas à la hauteur d'icelles) et je suis entouré d'une coterie de vils flatteurs qui m'empêchent de voir à quel point je surestime mes médiocres talents. Et, après tout, si ça lui fait plaisir... Mais le comble, c'est que Mme Arnaud ne m'a encore, je crois bien, jamais laissé le moindre commentaire. Au lieu de cela, elle va s'épancher à longueur de journée sur le blog de Corto, charmant garçon qui ne méritait pas ça, et qu'elle a entraîné à sa suite deux ou trois dames de son acabit. Si bien que le blog de Corto, à cette heure, ne s'occupe plus que de moi ou presque. J'ai d'ailleurs dit à ce même Corto que je trouvais la situation ridicule et que je m'abstiendrais désormais de commenter chez lui, espérant que mon silence sera un baume suffisant au soudain prurit de ces dames.
L'opération d'Elstir s'est sans doute déroulée au mieux, ce qui se passe moins bien c'est la cohabitation entre l'animal nouvellement castré et la collerette de plastique qu'il doit porter autour du cou. Hier soir, lorsque nous la lui avons passée, il a eu un brutal accès de panique, et il a passé le restant de la soirée couché sur mes pieds, collé contre mes jambes, à geindre doucement mais à intervalles très rapprochés, ce qui s'est rapidement révélé un peu agaçant. Ce semble aller un peu mieux ce matin, mais il continue d'avoir, pour nous regarder, ces yeux incompréhensifs que peuvent avoir les enfants quand ils ignorent la raison pour laquelle ils sont punis. À compter de demain, on va essayer de la lui ôter durant la journée, lorsque nous sommes là pour surveiller qu'il n'arrache pas son pansement, et surtout les fils chirurgicaux qui se trouvent en dessous. Quand je repense à Balbec dans les mêmes circonstances et au même âge : chaque soir, il me suffisait de lui tendre la collerette pour que de lui-même il glisse son museau puis sa tête entière à l'intérieur...
Décidément, je crois que je ne parviendrai jamais à écrire un BM en n'y travaillant que le matin. J'ai commencé hier et j'ai tout de suite compris par où le système péchait : pas assez de pression. Je me suis rendu compte que ce qui me faisait écrire jusqu'à 15 feuillets par matinée, c'était la perspective d'en avoir moins à faire l'après-midi. Privé de cette “carotte”, je ne fais plus rien du tout, ou à peu près. Je vais donc bien devoir revenir au statu quo ante, c'est-à-dire à mon unique manière de travailler depuis plus de vingt ans maintenant.
Le fantasme gaspésien ne se dissipe toujours pas.
21 avril
Huit heures et quart. – 21 avril : je me suis aperçu ce matin de cette date jouissive. Par hasard. Et j'en ai fait un petit billet, illico. Peu de réponses, et même pas du tout, chez mes petits amis de gauche, à part Dorham, qui s'est trouvé là, face à Jérôme Vallet, pénible comme souvent, mais que je tiens à laisser s'exprimer comme il le souhaite.
À propos de Dorham : je sais, de manière absolument certaine, qu'il deviendra rapidement ce que je suis. Il l'est d'ailleurs déjà plus ou moins. J'aime énormément ce garçon, parce que, droite ou gauche, peu importe, nous nous rejoindrons forcément. Il ne le sais pas encore, ce qui est normal, il est trop petit, trop jeune, trop tout ça...
Enfin, je ne peux rien dire, évidemment. Mais, on va rire, il me semble que ce Dorham, quand je serai mort, me ressemblera tout à fait.
22 avril
Huit heures et quart. – Discussion avec Ludovic, éclusant du vin blanc, Catherine s'étant réfugiée devant la télé. Il voulais m'entraîner dans une sorte de procès de Catherine, et naturellement je ne m'y suis pas laissé aller. Il me semble avoir été ferme, lui avoir dit qu'il n'avait rien à dire de sa mère. Je lui ai dit aussi ce que je pensais de sa grand-mère (la mère de Catherine), l'une des femmes les plus malfaisantes pour son entourage immédiat que j'ai connues, en fait. Mais également une des plus drôle et des plus charmantes : curieux cocktail...
Finalement, Ludovic a fui. Vraiment. Avec Swann. Il s'est sauvé. Il tient absolument à ce que sa mère soit "anormale", et lui, du coup, parfaitement normal. Or, j'étais parti pour lui démontrer l'inverse. Et, du coup, il s'est barré. Très vite.
Coup de téléphone : Elsa Fernique. Me disant qu'elle accepte d'être mon témoin pour notre mariage religieux. On a parlé un peu. Elle semblait ravie de remplacer son parrain (Bernalin), et naturellement elle a compris ce que je voulais faire. Retenue de part et d'autre, discussion forte, enfin tout ça.
Je ne sais pas trop, je ne sais toujours pas si j'ai raison de faire cela. Pourquoi me marier religieusement, moi qui ne crois pas en Dieu ? Pourquoi convoquer Bernalin, et Elsa, et André ? Je suis désolé (j'en suis vraiment désolé) mais je ne parviens toujours pas à croire, n'est-ce pas... Est-ce que je ne suis pas en train de me moquer d'eux, ces amis croyants ? – en tout cas, ce coup de téléphone d'Elsa me ravit absolument, il y avait dans sa voix quelque chose de Bernalin.
23 avril
Huit heures et demie. – Mail de Jérôme me demandant ce que je pense de Richter, dont il m'a envoyé un DVD. Il précise que nous avons eu en commun des interrogations à propos de ce pianiste (je crois lui avoir dit que je le trouvais "sec", il y a quelques mois). Mais, non, il se trompe, ou bien il essaie d'être gentil : je ne peux rien avoir en commun, musicalement, avec lui, parce que lui sait ce qu'est la musique et moi pas. Il entend et je suis sourd : comment pourrais-je avoir l'outrecuidance de parler de musique avec lui ?
De toute façon, je n'ai pas encore vu ce DVD. Il se trouve que j'ai commencé par celui qui passe en revue les grands chefs d'orchestre du XXe siècle, que je trouve magnifique et passionnant. M'a frappé notamment ceci : aucun de ces grands musiciens n'a une tête ordinaire, et en particulier lorsqu'ils dirigent. Sans doute parce que chacun à sa façon a un incendie dans le regard. Quelle que soit leur manière de diriger, ils ont ceci en commun : un regard qui brûle.
Demain, journée de repos – parfaitement imméritée car je ne suis nullement fatigué – et ensuite, plongée dans le prochain BM.
À l'heure qu'il est, je devrais être devant la télé avec Catherine pour le Casanova de Fellini. Mais d'une part je suis très bien ici et d'autre part je l'ai déjà vu deux fois, je crois bien : je dois donc pouvoir en manquer le premier quart d'heure sans dommage. Du reste, profitant de mon absence (et de la présence de Ludovic), il n'est pas impossible, même probable, qu'elle se soit rabattue sur une série américaine quelconque.
Coup de fil de ma mère, il y a trois jours, m'annonçant leur visite pour le dimanche 16 mai. Ils vont passer une semaine dans le Cotentin et elle m'annonce tout tranquillement : « Ton père a fait son plan de vol et il s'est aperçu que l'on devait passer par Pacy-sur-Eure. On s'est dit que, vraiment, on ne pouvait pas ne pas s'arrêter chez vous. » Tout cela sans se rendre compte de ce que sa présentation des faits pourrait avoir de vexant si j'étais vexable.
Les chiens : Elstir veut continuer à jouer avec les deux autres, notamment avec Swann. Mais sa collerette (son abat-jour, comme dit Ludovic) agit comme un répulsif (parce que ça fait mal, lorsqu'il nous fonce dessus) et, les deux autres s'éloignant de lui, il s'en trouve considérablement frustré.
Sinon, quoi ? Rien. J'ai lu de considérables sottises sur les blogs des uns ou des autres, notamment chez le nommé Rimbus, garçon sectaire se mêlant de parler de religion, essayant tant bien que mal de masquer sa haine du catholicisme et sa complaisance à l'égard de l'islam pratiqué par ses futurs maîtres – mais n'y parvenant pas, justement parce qu'il est sectaire. De mon côté, l'impression de devenir sage : je ne laisse plus de commentaires chez ce type de déments – mais une rechute est évidemment toujours possible.
24 avril
Neuf heures moins le quart. – Merveilleux moment que la lecture des blogs depuis hier ou avant-hier ;: la burka. Grotesque projet de loi, grotesque Sarkozy, ridicule président, tout à fait en phase avec ce que la gauche a de plus con. Et personne ne s'en rend compte évidemment. Ce personnage n'est en rien différent d'une Ségolène Royal, ils veulent tous deux éliminer ce pays, remplacer ce peuple millénaire par des hordes de pauvres Africains qui, eux-mêmes, ne savent absolument pas qui ils sont ni d'où ils viennent. Je pense que nous sommes morts, d'ores et déjà. Cette religion de la jeunesse, alors que tout le monde sait bien que les pays où la jeunesse est majoritaire (l'Algérie par exemple) sont systématiquement en proie à l'arbitraire, la violence, etc. Les jeunes doivent êtres jugulés, et fermement. La jeunesse est le contraire de la civilisation.
Là-dessus, il va de soi que ces hordes d'Africains que l'on déverse chez nous vont radicalement tuer la France, et l'Europe. Et c'est pourquoi mes amis de gauche me font sourire de pitié, avec leurs histoires de smic, de retraites, de Sécu, etc. Encore vingt ans à ce rythme et il n'y aura plus ni smic, ni retraite, ni Sécu.
Si j'avais des enfants, je tenterais de les soustraire à l'Éducation nationale qui n'enseigne plus rien (il suffit de voir comment écrivent les professeurs lorsqu'ils tiennent des blogs...), je leur transmettrais mon savoir personnel, nettement supérieur à ce qui ne s'inculque plus dans les classes, les inscrirais dans un club de self-défense et leur enseignerais le maniement des armes à feu. Pour qu'ils ne viennent pas, après ma mort, me reprocher de les avoir laissés sans ressources, face aux hordes musulmanes ou autres. Qu'ils soient capables de se défendre, quand le temps des guerriers sera revenu. S'il revient.
Le pompeux Sarkofrance suggère, aujourd'hui, que les prêtres pédophiles soient déchus de leur nationalité française. Sous prétexte que je ne sais plus quel député a demandé que ce soit le cas pour les polygames africains. Comment peut-on parler avec un type pareil ? Pourtant, ce même type fournit la plupart des blogs de gauche en sujets de billets, qui, la plupart du temps, se contentent de reprendre les sottises qu'il débite. Il est fort possible qu'il existe des blogs de droite totalement imbéciles, mais il se trouve que je n'en connais pas. Ceux que que je lis, je suis désolé, sont d'une intelligence bien supérieure à ces blogs de gauche qui, pour l'essentiel, se contentent de reprendre les articles de sites eux-mêmes pitoyables, genre Rue 89, quand ce n'est pas les petits articles du Parisien. De toute façon, ils racontent tous la même chose, à propos des mêmes sujets, et des sujets imbéciles : c'est du Gala militant, rien de plus.
(Il fait nuit, le merle est en train de sonner le tocsin. il module comme une bête.)
25 avril
Huit heures. – Rien fait de la journée ou presque (sauf un petit billet sur le blog-mère) et pas davantage de goût pour écrire ici. J'ai même abandonné lâchement Jane Austen pour relire paresseusement quelques pages de Muray, suite à l'émission que Finkielkraut et Luchini lui ont consacrée hier matin.
Pensé à Muray encore, en entendant parler sur je je sais plus quel blog du mouvement de grève des chômeurs.
Il faut absolument que je commence le prochain BM demain matin. Et j'en ai autant envie que d'une sodomie passive...
26 avril
Sept heures et demie. – ... et tout comme pour la sodomie passive, j'ai finalement reculé devant l'épreuve et n'ai encore rien foutu aujourd'hui. Je commencerai dimanche prochain et ferai le bouquin en continu durant mes douze jours de vacances. Exactement comme d'habitude, quoi. Ce qui serait bien c'est que j'aie, demain, suffisamment mauvaise conscience pour que cela me pousse à écrire mon article sur les pharaons noirs. Ce qui serait toujours ça de pris, comme disait ma grand-mère.
Cet après-midi, tout de même, relecture et correction de mon journal de mars, qui devrait être mis en ligne dans trois jours. Et l'impression qu'il est nettement meilleur que ce qu'on lira d'avril...
Catherine a depuis ce matin des vertiges à ne pas tenir debout, ce qui fait que j'ai joué au petit homme d'intérieur toute la journée. Pour m'évitez la cuisine (et sans doute pour éviter d'avoir à manger le résultat), elle a suggéré que, “pour une fois” nous dînions de hot-dogs – ce que nous avons fait, après que je fus au Super U, acheter les indispensables saucisses de Francfort. Transgresser pour transgresser, j'en ai avalé trois en moins de dix minutes et je me sens à présent considérablement ballonné. Et pas spécialement fier de moi.
Ce soir, film fantastique espagnol. Les jeunes Ibères se tirent assez bien de ce genre particulier qu'est le film d'horreur, contrairement aux Français qui y échouent piteusement, en se couvrant le plus souvent de ridicule. On verra.
Remis Muray sur son étagère et repris Jane Austen. Après avoir déserté Mansfield Park durant 48 heures, je n'étais déjà plus plus fichu de me rappeler qui était qui dans cette histoire. il m'a bien fallu dix pages pour refaire surface.
28 avril
Neuf heures moins le quart. – Rien écrit hier, je me demande bien pourquoi. Ce n'est pourtant pas le temps qui m'a manqué et, jusqu'à présent, le fait de n'avoir rien à dire n'a jamais été un barrage très sérieux.
Cette affaire nantaise du barbu polygame est pain béni. Tout le monde se montre pour ce qu'il est. Sarkozy et ses ministres pour des clowns piteux, la noix vomique musulmane pour une noix vomique musulmane et, bien entendu, nos chers petits anges progressistes pour les agents zélés de leur future disparition. Je ne devrais pas le dire, mais il m'arrive, quand l'énervement me saisit, de leur souhaiter tous les malheurs que je pressens et d'espérer être encore de ce monde pour y assister, contempler leurs têtes hébétées de crevures citoyennes, lorsqu'il n'y aura plus aucun citoyen mais justes des maîtres et des domestiques. Ou bien – autre scénario – lorsqu'ils contempleront leurs enfants, macérés au lieu d'être élevés dans l'écœurant bouillon RESF, et devenus énigmatiquement durs et cruels, retransformés en hommes et en femmes, vomissant joyeusement cette misérable génération dont j'aurai eu le malheur de faire partie – prêts à tailler dans les chairs et les cerveaux pour continuer de vivre.
29 avril
Neuf heures. – Comment dire ? Je suis bêtement euphorique depuis ce matin. Non, pas depuis ce matin ; depuis ce début d'après-midi. Depuis que j'ai écrit mes "Pharaons noirs". Bien entendu, je savais depuis le début que j'écrirais sans problème ces cinq feuillets. Il n'empêche. À chaque fois c'est la même chose ! Juste cinq feuillets à écrire, une heure et demie de boulot. Et, pourtant, la certitude de ne pas y arriver. Avec, en même temps, en arrière-plan, la certitude inverse, celle que, bien sûr, on va y arriver. Et les deux co-existent étrangement.
30 avril
Quatre heures et demie. – J'ai mis ce matin en ligne le journal de mars. Il y a quelques minutes, un commentaire de Mère Castor me disant qu'il “coule” mieux que celui de février. C'est également mon avis. Ce qu'elle ne sait pas encore, c'est qu'il coule également mieux que celui d'avril qui le suivra. C'est en tout cas l'impression que j'ai eue en relisant quelques-unes des entrées de ce mois qui s'achève. Mais je dois préciser que je n'en ai revu que trois et qui correspondaient à des soirs “avec” (avec apéritif...). On peut espérer que les pages “sobres” soient de meilleure qualité.
L'un de nos voisins, celui qui possède le verger devant notre maison (laquelle est perpendiculaire à la rue de l'Église), saisi d'une sorte de démence gazonnière, en est cette année à tondre tous les cinq ou six jours. Si le mal progresse encore, l'année prochaine il tondra la terre battue. On a eu de la chance hier soir pour notre dernier apéritif, puisqu'il a réussi à se retenir jusqu'à maintenant.
Je dis “dernier apéritif” dans la mesure où je ne retournerai pas à Levallois avant le mercredi 12 mai. Et comme le jeudi sera celui de l'Ascension, donc férié, je médite déjà de me mettre en arrêt maladie diplomatique ce mercredi-là. Donc, approximativement, ce sont deux semaines de tempérance et de BM qui s'ouvrent devant moi – perspective qui ne parvient même pas à balancer l'espèce d'euphorie dont je parlais hier soir.
Reçu ce matin L'Invention de Morel, dont j'ai lu les vingt premières pages tout à l'heure : roman étrange, assez envoûtant. Mais j'en reparlerai quand il sera entièrement lu. En tout cas, sortant de Jane Austen, la rupture est brutale.
Hier, contre toute attente, Nancy m'a annoncé un virement de 2300 euros. Ce qui n'a pas peu contribué à ma fameuse euphorie. Nos finances se redressent d'ailleurs gentiment. Je crois bien que, depuis l'achat du studio en juillet 2008, c'est la première fois que nous terminons un mois avec un solde positif sur les deux comptes. Et le virement de GdV fait que je dispose d'ores et déjà de quoi acquitter mon tiers provisionnel de 2100 euros, le mois prochain. Pourvou qué ça doure...
Je suis curieux de voir si des gens (et qui) vont me parler de notre mariage religieux, annoncé dans le journal de mars. Logiquement Dorham devrait le faire, je suppose, mais depuis qu'il a fermé son propre blog il ne semble plus très assidu à ceux des autres, ce que je comprends d'ailleurs parfaitement.
L'affaire du polygame barbu de Nantes a au moins servi à montrer l'état de panique qui s'empare des petits progressistes les plus atteints dès que l'on s'en prend un tant soit peu à leur cher islam. Le communiste irrepenti Olivier Bonnet invoque Paul Bocuse ! Quant à mon inénarrable Céleste, elle en est à produire une chanson de Sacha Distel pour tenter de justifier, ou au moins de banaliser, l'injustifiable. D'autres sont allés ramasser une déclaration de Carla Bruni concernant la polygamie, etc. C'est vraiment l'affolement dans le poulailler, la volaille gauchiste a senti le renard. De toute façon, par quelque bout qu'on la prenne, cette histoire est du plus haut comique. Et bien entendu, aussi, d'une profonde tristesse. Comme on pouvait s'y attendre, tout le monde a feint de ne pas remarquer l'assourdissant silence des introuvables – parce que largement mythiques – et néanmoins fameux musulmans modérés. Ils avaient pourtant une occasion en or, là, de montrer leur modération, d'exhiber leur amour de la France, leur respect de la loi, etc. Mais tout ceux que j'ai entendu interviewer ne songeaient qu'à pleurnicher sur leur propre stigmatisation. Ils ont très bien appris leur leçon modernante, tous ces gens.
J'ai bien hâte qu'il nous éclose d'autres “faits divers” de ce calibre, ce qui ne saurait manquer et probablement à un rythme de plus en plus rapide.