vendredi 30 avril 2010

Mois de mars

1er mars

Huit heures moins le quart. – La “journée sans immigré” s'achève... exactement comme toutes les autres : il ne s'est rien passé, rien. Quelques centaines de désœuvrés devant l'Hôtel de Ville de Paris, plusieurs dizaines dans les autres villes de France, autant dire personne. Comme je le prévoyais et l'annonçais plus ou moins sur le blog-mère ce matin, les immigrés sont nettement moins cons que les ânes gauchistes le croient, eux qui aimeraient pourtant tellement les manipuler tout à leur aise, en faire les christs rédempteurs de la révolution de demain. Nique ta mère : ils sont tous allés bosser, ainsi qu'il était facile de l'imaginer. Même les casseurs ne se sont pas déplacés pour foutre en l'air les stands de merguez des Céleste et des Circé – et ça, c'est tout de même dommage. Enfin, il paraît qu'à Paris – dixit l'Express – le rassemblement était festif. Le problème est qu'ils illustrent leur articulet avec une photo prise in situ et in tempore : tout le monde a l'air de s'emmerder ferme, sur le parvis. On dirait que les idiots utiles de l'islamisation ont d'ores et déjà cessés d'être considérés comme utiles par ceux qu'ils servent avec pourtant de si beaux dévouements.

Fini tout à l'heure la tétralogie spatio-odysséenne de Clarke : ça ne vaut pas grand-chose. S'il n'y avait eu le film de Kubrick, personne il me semble ne parlerait de ce soporifique et assez pontifiant écrivain. Je prends le pari que Catherine, qui achève le premier, n'ira pas au bout des quatre tomes. Pour me remettre, je me suis plongé dans Tartarin de Tarascon : au moins, c'est drôle et ça pétille.

Ce matin, dans ma boitamel, un courrier de Joseph Vebret qui me propose de déjeuner en sa compagnie afin de faire mieux connaissance ( il se dit lecteur de mes blogs). J'ai accepté sans hésitation : on se verra le mercredi 10 mars, sauf empêchement, et à Levallois, ce qui m'arrange beaucoup – c'est du reste lui qui a spontanément proposé de se déplacer.

Phénomène très étrange, la nuit dernière. Je venais de me réveiller et, soudain, mon esprit s'est mis à passer en revue la trame d'un roman des frères Goncourt que je venais de lire ; trame complexe, avec quantité de personnages annexes, d'histoires parallèles se recoupant les unes les autres, etc. – tout cela étant parfaitement clair dans mon esprit. Là-dessus, je me suis réveillé pour de bon. Me suis souvenu, bien entendu, que je n'avais encore jamais lu de roman des frères Goncourt, et que, donc, celui dont je croyais me souvenir du scénario très fouillé, je venais en fait de l'imaginer et de le construire. Bien entendu, le temps de m'étonner de cela et toute la substance s'en était évanouie. Ce n'est pas la première fois que je vis ce genre de phénomène de “création onirique” ou semi-onirique, je ne sais. Il en résulte, au réveil véritable, un sentiment de frustration d'intensité variable, pouvant aller jusqu'à l'accablement voire une profonde tristesse teintée d'irrémédiable.


2 mars

Huit heures moins vingt. – Chaque mardi soir, après quatre jours de repos que je ne vois jamais filer, je me demande comment font les gens normaux, ceux qui ne disposent que de deux jours avant de retourner affronter la meute. Et je ne parle même pas de ceux qui ont charge d'enfants et qui, conséquemment, doivent, durant ces précieux deux jours, se livrer avec eux ou pour eux à tout un tas d'activités plus ou moins idiotes, fatigantes, etc. Et je ne dirai rien non plus des malheureux qui sont contraints, pour toutes sortes de raisons, de rester confinés tout le week-end dans un appartement pourri, à essayer d'oublier les braillements des voisins ou leurs musiques de merde... ainsi que leurs enfants.

Lorsqu'on pense à tout ça, lorsque je pense à tout ça, le mardi soir, je m'ébahis qu'il n'y ait pas davantage de suicides dans ce pays (et ailleurs), je m'émerveille de la solidité de notre vieille race ou, c'est selon, m'inquiète de ses capacités de résignation au pire.

Cet après-midi, marche de quarante minutes : descente de la Côte blanche et remontée jusqu'au Plessis par la petite route des Courtils. Bon pas, bon rythme, pas d'essoufflement : je pense n'avoir pas trop diminué de ce point de vue. Il va falloir que j'allonge et accélère tout ça à partir de la semaine prochaine.

Envie de DostoIevski depuis ce matin. Ou plus précisément, envie de lire des choses à propos de Dostoïevski. Bakhtine ? Berdaiev ? Mais le temps que je commande l'un ou l'autre et qu'on me le livre, l'envie sera probablement passée.

Joli billet de Suzanne, à propos (ou à partir) de R. Camus.

Je suis toujours surpris – et aussi un peu fiérot, malheureusement – lorsque je me découvre en lien sur un blog que je ne connaissais pas.

Je crois bien me souvenir avoir prévu de réfléchir au synopsis du prochain BM dès le début du mois de mars : il va de soi, je pense, que je n'en ai rien fait jusqu'à présent.

Demain, mon “petit” frère aura 50 ans.


3 mars

Huit heures. – Apéritif avec Ludovic, arrivé de ce matin. Et il commence à parler (comme toujours). Il nous raconte que Claire, une femme censée être une sorte de show woman comique et s'occupant de lui, explique que, dans les milieux du showbiz, dans certains milieux, tenus par les juifs, on exige, pour qu'un “acteur” soit embauché, qu'il fasse preuve non seulement de sa judéité, mais aussi de celle de ses parents et grands-parents. Les bras et les dents m'en tombent, évidemment. J'ai l'impression de me retrouver dans les Protocoles des Sages de Sion. J'essaie de lui faire comprendre que ce qu'il dit est absurde, qu'il s'agit d'un résidu antisémite tel qu'il s'en colporte depuis au moins un siècle et demi. Comme je dispose d'une certaine “aura” vis-à-vis de lui, il veut bien admettre qu'il n'y croit pas tout à fait. Mais, précise-t-il, il ne croit pas tout à fait non plus à ce que je lui dis. Et je comprends fort bien qu'il est tout disposé à accorder tout son crédit à cette Claire (qui est une une noire : je ne sais si cela joue, mais je le note – de même que je note le fait que Ludovic est plus ou moins entré dans le sillage de Dieudonné).

Là-dessus, plus pour dire quelque chose qu'autre chose, sa mère lui fait remarquer que si les Arabes (par exemple) tenaient tel ou tel secteur d'activités juteux, ils auraient sans doute tendance à se coopter de la même manière. Ludovic répond que si les Arabes faisaient la même chose, il serait contre tout pareillement. On comprend alors que, pour lui, il est évident que les juifs le font, mais pas les Arabes.

C'est intéressant : depuis 20 ans que je connais Ludovic, je ne l'ai jamais, avant ce soir, entendu proférer des propos antisémites – et des propos qui me semblent sortir directement de la bouche d'un Dieudonné. Or, comme il dit que tout cela lui vient de son amie-mentor Claire, j'ai tout lieu de penser que cette Claire grenouille dans les parages antisémites de Dieudonné. C'est l'avantage de Ludovic : il est tellement “innocent” qu'il est toujours très décryptable ; le dernier qui a parlé est toujours le plus subtil. Je le sens pris dans des filets dont il n'a même pas idée.

En fait, il n'a idée que des filets les plus grossiers : des câbles. Soit ceux qu'il pense tissés autour de lui par sa mère et, accessoirement, par moi. Mais toute personne extérieure à nous lui affirmant les choses les plus absurdes, les plus grossières devient forcément un chrysostome déversant de la vérité pure. Et, comme l'espèce d'enfant dont il a du mal à se défaire, il croira toujours le plus con des individus rencontrés davantage que moi – moi dont, pourtant, il pense que je suis le plus solide, le plus précieux des êtres humains.

Que puis-je, alors ? Faire ce que j'ai fait ce soir ? Lui dire avec un demi sourire que ce qu'il croit est absurde ? Mais tout ce que Ludovic croit est TOUJOURS absurde ! À 34 ans, on pourrait se servir de lui pour déterminer que, parfois, l'adolescence perdure et détruit celui en qui elle perdure. Dès qu'il ouvre la bouche, il défie le monde. Et, dès qu'on écoute ce qu'il dit, croit dire, on a envie de le faire taire, doucement, de lui montrer le monde. Et c'est évidemment impossible.

Je viens de relire ce qui précède : j'ai tout à coup l'impression que les parents, ces parents que je ne comprends pas, et que je n'aime pas du fait peut-être que je ne les comprends pas, n'ont pas d'autre problème que celui que je viens de dire. Non, vraiment, je n'aurais pas pu avoir d'enfants – j'aurais été trop nul, trop en dessous de la barre.



4 mars


Trois heures. – C'est en serrant un peu les fesses que je viens d'aller relire ce que j'ai écrit ici hier soir après l'apéritif évoqué, m'attendant à un consternant charabia. Et finalement, non. Une expression peut-être un peu plus tarabiscotée que d'ordinaire, mais qui reste compréhensible – en tout cas, il me semble.

Je ne sais pourquoi je baigne depuis ce matin dans une sorte d'euphorie douce. Et je sais encore moins pourquoi est sorti de cette humeur un billet plutôt mélancolique à propos de Pablo Neruda, auquel, comme dirait l'autre, je ne pense pas tous les jours – billet que j'ai programmé pour six heures ce soir, afin de ne pas effacer trop vite celui que j'ai fait ce matin en arrivant ici, et dont j'ai la fatuité d'être plutôt content.

Bien sûr, il y a aussi, en ligne de mire, la perspective d'une soirée tranquille, avec Catherine seule, et précédée par le rituel apéritif. Je dis rituel car si je parviens fort bien à rester sobre du samedi au mardi j'ai nettement plus de mal à me passer de ces deux ou trois verres que nous prenons, les trois autres jours, avant de passer à table. Du reste, ils ont une vertu inattendue : la perspective de ces libations vespérales m'aide considérablement à tenir ma résolution de ne plus aller à L'Ambiance d'à côté à midi. Si bien que cet apéritif tri-hebdomadaire me fait non seulement économiser des sommes considérables – considérables à mon niveau –, mais en outre me fait réduire ma consommation d'alcool. “Boire pour picoler moins” : étrange devise...

Je ne parviens pas à me remettre à lire des romans, cela fait plusieurs mois que ça dure, maintenant. Et ce n'est pas mon expérience malheureuse avec 2001 : l'odyssée de l'espace qui risque de me servir de tremplin.

J'ai sottement annoncé à Brice que je prendrai mes RTT la semaine prochaine, avant que Catherine ne me rappelle que, mercredi, je suis censé déjeuner avec Joseph Vebret, ici même, à Levallois. Je pense que je vais maintenir ce déjeuner, qui me fait envie, mais repartir aussitôt. À moins que Catherine (qui m'accompagnera ce jour-là) n'accède à mon idée : aller de Levallois au treizième arrondissement pour y faire provision de chinoiseries comestibles chez les frères Tang, puis de là pousser une pointe jusqu'au Kremlin-Bicêtre en vue d'y boire quelques bières avec les deux gros, Nicolas et Tonnégrande.


5 mars

Neuf heures et demie. – Robert de Niro a réalisé un film. Les journaux télé trouvent que de Niro est un génie. Moi, j'ai regardé un quart d'heure de son film (Raison d'état, je crois) et j'ai compris que j'étais face à une merde prétentieuse de 2 h 45 : j'ai replié les gaules pour venir me réinstaller devant ce clavier. C'est un des grands plaisirs du vieillissement : on comprend tout de suite ce qu'on est en train de voir (lire, entendre...), on ne perd plus de temps. Là, par exemple, il ne faut pas plus de dix minutes à un cinéphile très moyen (moi, donc) pour savoir que De Niro est un nul (comme cinéaste), qu'il frime, parade, etc. Bref : on gagne deux heures, et on revient ici pour dire à quel point De Niro n'est pas cinéaste.

Mais personne n'en dira rien. Je me souviens d'une indignation que j'avais eue lorsque ce consternant imbécile de Guillaume Durand, alors sur Canal +, avait présenté à ce De Niro, dans son émission vomitive, les excuses DE LA FRANCE. Je l'aurais eu sous la main, alors, ce petit Durand, que je lui aurais très volontiers exploser sa tête de crétin satisfait. Vous vous rendez compte ? Guillaume Durand, LE Guillaume Durand, demandant pardon EN MON NOM à ce petit clown de Robert De Niro ? Je m'en souviens comme d'une de mes grandes soirées d'énervement. Et je prie encore aujourd'hui pour que le cancer ronge ce malfaisant guignol, et si possible un cancer pénible – du genre rectum. Enfin, on verra.

Je sais que c'est idiot, mais je suis content du billet que j'ai écrit, ce soir, sur le blog-mère. Il n'aura aucun commentaire, et c'est normal : on ne commente facilement que les billets idiots, je fais pareil, plus ou moins.



6 mars

Sept heures et quart. – Aucune envie d'écrire ici ce soir, et pas davantage d'aller traîner sur les blogs. Rien d'intéressant à dire, de toute façon, si ce n'est que nous sommes allés faire une visite de cimetière cet après-midi, Catherine et moi, à Ézy-sur-Eure, afin qu'elle puisse prendre des photos pour les prochains Dimanche et Croix de son blog. C'est l;à que j'ai repéré cette double tombe où reposait une ex-demoiselle Henneuse dont le mari se prénommait Aimé. Un peu plus loin, à côté du caveau de la famille Boyault, une tombe au couvercle brisé, à demi-ouverte. J'ai dit à Catherine que le mort s'était cassé en raison des incessantes querelles intestines du ménage Boyault. Et on a même trouvé une centenaire. Ensuite, nous avons cherché en vain un chemin de promenade le long de l'Eure – nous avions emmené Bergotte et Elstir dans ce but – et, ne le trouvant pas, nous sommes rentrés après une halte à l'agility, où Catherine et Bergotte m'ont fait démonstration de leurs talents complémentaires.

Je poursuit la lecture du Journal des Goncourt, mais ne vais sûrement pas tarder à l'interrompre, les deux Malaparte devant m'arriver lundi ou mardi. Il m'en reste cinq années et j'avoue que je ne serai pas fâché de passer à autre chose : il commence, effet de l'âge sans doute, à y avoir beaucoup de rabâchage, chez ce pauvre Edmond. Et sa méchanceté a tendance à s'aigrir.

Anniversaire de Carlos : 54 ans aujourd'hui. Nous nous sommes connus à 16...


7 mars

Petite excursion à Condé-sur-Iton, à 37,5 km d'ici (dixit Roselyne...), quelque part entre Damville et Verneuil-sur-Avre. Le village ne présente aucun intérêt particulier, hormis la maison qui appartint à Pablo Neruda de 1971 à sa mort deux ans plus tard. Il s'agit apparemment d'une ancienne vannerie située sur l'un des petits bras de l'Iton qui, un peu plus loin se réunissent en une sorte d'étang oblong, visiblement aménagé de main humaine (il y a trois retenues d'eau, quelques centaines de mètres en aval, visiblement anciennes). Intérêt tout cérébral de cette Demeure de l'esprit, dont on ne voit que l'arrière et le côté droit (droit quand on est face à l'arrière). Elle est vaste, et sans doute très haute de plafond si l'on en juge par les quatre grandes croisées latérales qui font très “fenêtres d'atelier”. Mais, ceinte de murs qu'elle est, on n'en voit pas grand-chose.

La promenade le long de l'étang, avec Bergotte et Elstir (Swann devient trop vieux pour marcher autant : il boîte systématiquement au retour, désormais), était très agréable, à travers un bois vallonné, en surplomb de l'étang. Promenade à refaire au printemps.

Autre déception : le château, inaccessible, toutes grilles closes, à peine apercevable depuis la route. Si j'ai bien compris, dans la même enceinte il y a en fait deux châteaux, le plus récent ayant été aménagé en hôtel, lieu de séminaires, etc. Nous avons supposé, Catherine et moi, que l'établissement était fermé l'hiver et que, donc, l'ensemble du parc en devenait inaccessible. D'autre part, comme les guides touristiques habituels ne font même pas mention du village, cela semble indiquer que l'autre château ne se visite pas. Bref, une semi-réussite que cette sortie d'aujourd'hui.

Tout de même, au retour, parce que nous avions fait exprès de la perdre, Roselyne nous a fait découvrir une forêt et une très agréable petite route, le tout à moins de dix kilomètres de la maison.


8 mars

Deux heures et quart. – Il fallait s'y attendre : ce matin, huit blogs sur dix alignent chacun son petit billet sur la Journée de la femme, cette stupidité sans nom, si je puis dire. Pour raconter quoi ? Exactement la même chose que l'année dernière, sans bouger d'un centime. Après cela, ils iront ironiser sur les journalistes et leur manie du marronnier.

Dans le Journal des Goncourt, j'en suis arrivé à la période (début des années 1890) où Edmond, par l'intermédiaire de Robert de Montesquiou-Fézensac, fait la connaissance de la jeune comtesse Greffulhe (elle a alors trente ans) et de son mari. C'est dire à quel point, brusquement, Goncourt se colore de Proust, avec des ressemblances et des dissonances. Si le rapide portrait qu'Edmond trace d'Henry Greffulhe fait étonnamment penser au duc de Guermantes, il semble en revanche beaucoup plus “bluffé” par Elizabeth de Caraman-Chimay que ne le fut Proust, si l'on fait exception de son éblouissement premier et qu'on se concentre sur le portrait qu'il trace d'Oriane de Guermantes. De même, Montesquiou sort beaucoup moins cabossé de son portrait par Edmond que de sa transfiguration en Charlus. En réalité, dans ce dernier cas, il n'y a aucune commune mesure. Toutes proportions gardées, on dirait d'un Dostoïevski s'emparant d'un banal et sordide fait-divers pour en faire sortir Crime et Châtiment. Il reste que la ressemblance entre le comte Greffulhe et le duc de Guermantes est frappante, et très proches, sur ce personnage, les visions de Goncourt et de Proust. Mais c'est sans doute que, ayant moins “besoin” de lui, ne lui réservant qu'une assise étroite dans le roman, Proust a beaucoup moins creusé son modèle, se contentant peut-être de le styliser plutôt que de le peindre.

Il faudrait développer ce qui précède, s'appuyer sur des citations de l'un et de l'autre écrivains, réfléchir et creuser à mon tour, pour espérer en tirer peut-être un article lisible et vaguement intéressant. Mais pourquoi ? Pour en faire un billet de blog ? Ça intéresserait qui ? Et je sais bien que je me serais lassé de mon sujet avant même d'avoir passé la mi-parcours : je n'ai décidément pas l'étoffe d'un critique littéraire. Ou alors, hélas, à la mode du journal – autant dire rien.


Sept heures et quart. – De plus en plus fréquemment, vers la fin de notre rapide dîner, au moment des dernières bouchées, une hâte de me prend d'en terminer afin de me retrouver ici, devant ce clavier, face à ce journal – et la plupart du temps sans même savoir ce que je vais bien pouvoir y écrire. M'amuse aussi le fait que, je m'en suis aperçu à la relecture avant publication, l'heure inscrite est presque immuablement soit “sept heures et quart” soit “huit heures”. Ce qui rend très facile de savoir quels sont les soirs où nous prenons l'apéritif et ceux où nous restons sobres. Et ce qui dit suffisamment, aussi, à quel point notre vie, quand rien ne vient la distraire (j'ai manqué écrire : l'importuner...) est réglée comme une comtoise de vieillards.

Mercredi midi : déjeuner avec Joseph Vebret, à Levallois. Le soir même : rendez-vous à la Comète avec Nicolas et Tonnégrande. Samedi : spectacle Luchini à trois heures, puis réunion avec R. Camus et ses lecteurs, à six. Mardi : de nouveau Camus, au Collège de France, après retrouvailles préalables dans je ne sais plus quel bistrot avec Mme de Véhesse et probablement d'autres camusiens. En six jours, je vais prendre pour au moins trois mois de vie sociale, perspective qui tantôt me réjouit, tantôt m'accable – l'accablement survenant plutôt le matin, durant les deux heures qui suivent immédiatement mon réveil.

(Cherchant l'orthographe exacte du nom de l'acteur, je suis tombé, rien que sur la première page de Google, sur six “Luchini” et six “Lucchini”. Je penche personnellement pour un seul “c”.)

Le réchauffement climatique n'en finit pas de sévir : il faisait ce matin -7° au thermomètre, à huit heures et demie.


9 mars

Sept heures et demie. – Évidemment, comme je disais hier que mes notes dans ce journal étaient toujours datées de sept heures et quart, il faut qu'aujourd'hui j'aie un quart d'heure de retard. C'est que je viens de publier un court billet sur La Meute, une photo de Bergotte et d'Elstir, dont l'originalité – toute relative – est qu'elle met Catherine en scène et que c'est moi qui ai appuyé sur le bouton déclencheur. Agréable promenade, du reste, quoiqu'un peu venteuse vers son point culminant, au flanc d'une des collines qui enserrent plus ou moins lâchement la vallée de l'Eure, à hauteur de La Croix-Saint-Leufroy, village où Marcel Pagnol possédait un ancien moulin, lequel était le but premier de notre petite excursion. La maison de Pagnol est peut-être très bien, mais ceinte de hauts murs comme elle est, et qui plus est cernée de hangars et flanquée d'une ébauche de zone commercialo-industrielle, on ne peut pas dire qu'elle fasse très envie, au moins entr'aperçue depuis la minuscule route qui la longe. Mais la sortie fut tout de même très agréable et je pense que nous allons multiplier ces mini-excursions dans l'avenir, qui ont en plus l'avantage (en plus des éventuelles découvertes, veux-je dire) de m'inciter à cette marche quotidienne que je suis plus ou moins tenu de faire, de manière plus “festive” que lorsque je me force à arpenter pour la centième fois l'un des trois ou quatre circuits qui bordent Le Plessis-Hébert. D'un autre côté, avec les deux chiens restant presque systématiquement dans nos jambes, ma cadence est beaucoup moins soutenue que lorsque je vais seul.

Reçu ce matin Kaputt et La Peau. Je vais commencer par le premier dès que j'en aurai terminé avec le Journal des Goncourt, ce dont il me tarde : depuis le début des années 90, les maladies apparaissent, le ton se fait plus amer, la vieillesse resserre ses griffes sur Edmond, et ce n'est pas d'une lecture très gaie. Mais il est nécessaire d'aller au bout : on ne lâche pas un homme, comme cela, à l'entrée ou presque de sa chambre mortuaire. Chambre mortuaire qui, ai-je appris il y a quelques jours, se situe à Champrosay, chez les Daudet, où Goncourt passe plusieurs semaines chaque été et où il va mourir en 1896 : j'en suis au milieu de l'année 1893, c'est dire si Malaparte n'a qu'à bien se tenir.


10 mars

Onze heures. – Très bizarre soirée. Je me retrouve au bureau, Catherine à la maison. Je me souviens avoir dîner seul au Hawaï, puis être rentré à Levallois. Je viens d'appeler Catherine : elle est bien rentrée à la maison, je me sens triste d'être là où je suis, vraiment triste. Plus que triste : malheureux et seul. Sans importance.


12 mars

Sept heures vingt. – C'est curieux, je ne me souvenais nullement avoir noté les lignes qui précèdent, lorsque je me suis retrouvé à Levallois après ma déplorable (fin de) soirée à la Comète. Je me demande si, au moment de la publication, je ne vais pas y laisser toutes les fautes de frappe dues à mon taux d'alcoolémie avancé, à fin de mortification élémentaire. Comme je n'ai pas envie de revenir sur cette pantalonnade, où je suppose que l'essentiel des torts est à chercher de mon côté, je recopie le billet que j'en ai tiré hier :

Les bistrots c'est un peu comme les casinos : on sait bien qu'il serait préférable de ne plus les fréquenter (pour ses finances, pour son foie dans le cas des premiers cités, etc.), mais la tentation reste là et elle est parfois forte. Pour les casinos, c'est simple : il suffit de demander à être interdit d'entrée. Pour les bistrots, cette interdiction officielle n'existant pas, il faut employer de plus considérables moyens – c'est ce que j'ai fait hier soir, à la célèbre Comète du Kremlin-Bicêtre.


Tout a commencé alors que l'Irremplaçable et moi-même venions de quitter cet honorable établissement ainsi que la précieuse compagnie de Nicolas et de Tonnégrande. J'étais, il faut bien le dire, assez considérablement murgé. Ayant décidé, malgré le peu d'enthousiasme de Catherine, que nous irions manger une soupe phò dans l'avenue d'Ivry toute proche, j'ai prétendu prendre le volant. Très raisonnablement, Catherine a refusé avec la dernière énergie (elle tient à sa peau et à mon permis). Du coup, comme tout ivrogne stupide, je me suis fâché tout violet et j'ai déclaré bredouillé que puisque c'était comme ça, j'irais à pied et qu'elle n'avait qu'à rentrer toute seule en Normandie avec SA voiture. Ce qu'elle a fait.

Quel rapport avec la Comète ? Eh bien c'est que, apparemment, j'ai eu la mauvaise idée d'y repasser avant d'aller dîner. Je dis “apparemment”, car je n'en ai pas le moindre souvenir. Mais c'est Nicolas qui l'a dit à Catherine, donc il n'y a pas de raison de mettre en doute. Toujours d'après le même témoin digne de foi, il y aurait également eu dispute entre le patron et moi, après quoi je lui aurais balancé le contenu de mon verre à la figure, juste avant qu'il ne sorte la bombe lacrymogène. Il y aurait même eu bagarre, me souffle-t-on dans l'oreillette. Le comique de l'affaire est que, de cette échauffourée, je ne conserve nulle trace, ni au sens propre (je n'ai mal nulle part, pas les yeux rouges non plus), ni au figuré (rien dans le disque dur).

Mais il me paraît évident que ma prochaine soirée-Comète sera pour fêter l'arrivée des prochains patrons...

Pour mémoire (si je puis dire), la fin de ma soirée : je suis en effet allé manger ma soupe régénératrice – la mémoire me revient à ce stade, probablement du fait du retour en mode “eau minérale” et de l'ingestion de solide – avant de me rapatrier à Levallois en taxi. Évidemment, pas question d'aller au studio, puisque Ludovic l'occupe. J'étais résigné à dormir à mon bureau, et c'est ce que j'ai fait, au prix de quelques courbatures matutinales : mon fauteuil est très confortable pour travailler, mais pas pour y dormir sept heures...

Depuis avant-hier, donc, me reste un goût de cendre dans la bouche, du fait de la profonde crétinerie de mon comportement. Je crois qu'il va vraiment être temps de cesser tout commerce avec l'alcool. Mais j'ai déjà dit ça tellement de fois que c'est à peine si j'ose encore l'écrire. C'est d'autant plus ridicule que je parviens très bien à m'en passer, sans la moindre difficulté, comme nous le faisons désormais trois ou quatre soirs d'affilée par semaine. En fait, ce qui se passe est que j'ai toujours la même double appréhension, si je reste sobre lors d'une soirée : celle de m'ennuyer et celle d'être ennuyeux. L'idéal serait de boire juste ce qu'il faut pour me sentir à l'aise, disert, éventuellement drôle, puis m'arrêter. Mais, de cela, je crois que je suis définitivement incapable. Par conséquent, il faudra bien en passer par l'arrêt complet. Ou se résoudre à ne plus voir personne. L'idéal serait de faire les deux.

J'ai reçu ce matin la Mélancolie française de Zemmour, presque achevée ce soir. Je trouve tout ça un peu léger, survolé. Une très bonne copie de Sciences-Po, sans plus. (Je me demande bien pourquoi j'écris cela, moi qui n'ai jamais eu l'occasion de lire une copie de Sciences-Po...)

Demain, journée parisienne : Luchini/Muray d'abord, Camus ensuite. Je n'ai absolument aucune envie d'aller à l'un ni à l'autre. Et je pense que si les billet pour Luchini n'étaient pas déjà payés, nous resterions ici. D'autant plus facilement que je soupçonne Catherine de n'en avoir pas plus envie que moi. Il est fort possible, du reste, que nous “coupions” à Camus en décidant de rentrer juste après le théâtre. D'un autre côté, une fois pris dans le mouvement... D'ailleurs, cette petite réunion serait l'occasion de tester ma presque résolution à propos de l'alcool, en me cantonnant au jus d'orange.


13 mars

Dix heures et demie. – Réveillé ce matin avec la pensée presque accablante de devoir aller courir dans Paris cet après-midi, pour Luchini d'abord, pour Camus et ses lecteurs ensuite. Sachant que Catherine ne sautait pas de joie à l'idée du deuxième de nos rendez-vous, je l'ai mentalement supprimé illico. Mais, évidemment, pour Luchini l'affaire était plus délicate dans la mesure où les places sont payées depuis déjà deux ou trois semaines. Par chance, Catherine s'est levée peu après (le temps de me laisser ramasser la boîte de kleenex entièrement déchiquetée par Elstir durant la nuit...) dans les mêmes dispositions d'esprit que moi. Et quand je lui ai très jésuitiquement expliqué que, certes, le prix des places (une cinquantaine d'euros) serait perdu, mais que, par compensation, nous allions économiser l'essence, les péages, les tickets de métro, le verre à la sortie du théâtre... elle a sauté sur mon argumentaire afin de s'en emparer. Du coup, j'ai lancé un appel d'offres sur le blog-mère en vue d'offrir nos deux places à qui les voudra. Pas de réponse pour l'instant, mais il est encore tôt – pour un samedi.

Le pseudonommé Fredi Maque m'a laissé un commentaire cette nuit pour me dire qu'il trouvait que j'allais mal et me souhaiter d'aller mieux. Je ne vais pas réellement mal, mais il a raison sur un point : cette pantalonnade à la Comète me laisse un arrière-goût persistant et peu agréable. J'ai en tout cas vécu l'épisode avec moins de détachement et de drôlerie que je n'en ai mis dans le récit fait ensuite.

En réalité, depuis que la décision est prise de ne pas bouger aujourd'hui, je vais déjà beaucoup mieux. Difficile d'être plus ours que nous ne sommes en train de le devenir, Catherine et moi.

Ma grand-mère a eu 100 ans hier et je n'y ai même pas pensé de la journée.


Sept heures et demie. – Nous venions tout juste de passer à table (riz, haricots rouges et épinards : végétarisme de stricte observance...) lorsque le téléphone a sonné. C'était Floréal, blogueuse que j'aime beaucoup, qui, de passage en France (elle vit en Toscane) pour quelque temps, acceptait notre invitation à venir passer une soirée ici, ce dont je me réjouis. Elle arrivera mardi par le train et repartira le lendemain en voiture avec moi.

Je suis absolument ravi d'être seul et entouré de silence, devant ce clavier, plutôt qu'occupé à discuter avec Pierre, Paul ou Jacques, à Paris, à la réunion des Camusiens (qui a lieu en ce moment), même s'il en est dans le lot que j'aurais eu plaisir à revoir ou à rencontrer. Mais l'idée que nous devrions ensuite reprendre le métro jusqu'à Levallois, puis la voiture jusqu'ici, suffit à me rendre presque euphorique de notre immobilité librement choisie.

Bien qu'il me reste une année de vie d'Edmond de Goncourt à parcourir, j'ai tout de même lu les cinquante première pages de Kaputt, essentiellement ce matin. Il me semble trouver chez lui quelque chose d'hugolien, aussi bien dans le déploiement des images que, hélas, dans une certaine emphase un peu poseuse par moment. Mais je n'en suis qu'au tout début, attendons.

Écrivant ce qui précède, je m'avise que j'avais prévu de repousser Malaparte d'une semaine afin de lire avant le roman de Joseph Vebret, qu'il m'a gentiment apporté l'autre midi. Eh bien, disons que Vebret me sera une pause bienvenue entre Kaputt et La Peau, voilà tout. Puis, sans doute, je ferai un “retour sur Goncourt” avec Charles Demailly. À moins que, d'ici là, d'autres livres aient surgi.

Je n'ai eu aucun succès avec mon offre de places offertes pour Luchini/Muray : pas une seule réponse. Mais il est vrai que je m'y suis pris bien tard. Au moins personne ne m'a-t-il insulté, ce qui est déjà beau. Hier, j'ai proposé sur le forum de l'In-nocence d'adresser à qui le souhaiterait la Mélancolie française d'Éric Zemmour, que je venais de terminer. Ce qui a provoqué cette réplique du pseudonommé Rogémi : « Mes amis, n'acceptons aucun cadeau de M. Dégoux. » Phrase qui témoigne d'une haute distinction morale et d'une in-nocence en béton armé. Est-ce que je l'appelle Roger Miche ou Rot gémit, moi, ce garçon ? Le plus amusant est que, lorsque j'avais proposé par le canal du forum de faire circuler un DVD d'entretiens avec René Girard, ce même Rogémi s'était porté candidat pour le recevoir... Ce matin, le petit crachat de ce cuistre avait été viré du forum. Mais, obéissant peut-être à son injonction, personne d'autre ne s'était déclaré intéressé – tant pis pour eux.


14 mars

Sept heures vingt. – Peu de temps à consacrer à ce journal ce soir pour cause de début de soirée électorale à huit heures. Ce n'est pas que l'enjeu (ah ? Il y a un enjeu ?) me passionne, mais j'ai pour principe (non : “habitude” suffira) de ne jamais manquer ce type de cérémonie démocratique. De même que je ne supportais pas de manquer le début de la séance lorsque j'allais encore au cinéma, quel que soit l'inintérêt de ce qui était donné à voir. De toute façon le suspense est à son minimum. La seule chose qui pourrait vraiment me faire rire (à cause des postures induites chez les uns et les autres) ce serait un très gros score du Front national. Mais je crois qu'il ne faut guère compter sur ce type de petit bonheur. Bien entendu, une déculottée de l'extrême-gauche ne me plongerait pas non plus dans l'affliction. Pour les autres, aucune importance : il n'y a plus qu'une poignée de blogueurs socialisants pour croire encore à une vraie différence entre l'UMP, le PS ou les khmers verts rebadigeonnés aux couleurs de l'Europe-quoi-qu'il-arrive. Et puis, enfin, les régions, tout le monde s'en fout. Ça n'existe pas, les régions.


15 mars

Quatre heures. – Décision de Catherine, entre la sieste et la préparation du repas de ce soir : à partir de maintenant, on n'utilise plus la carte bleue (qui est en fait dorée). On retire quatre cents euros par semaine et on paie tout en liquide (nourriture, essence, etc.). Quand il n'y en a plus, on mange des pâtes. Ce afin de tenter de combler notre gouffre financier, qui non seulement ne fait pas mine de se remplir mais a même une nette tendance à la cavatine, comme dirait l'autre (du latin cavare, creuser...). On peut essayer, en effet, même si je n'y crois qu'à demi. De mon côté, les efforts porteront sur trois fronts : plus d'achat de livres, plus d'Ambiance d'à côté les jours où je déjeune à Levallois, plus d'apéro (ou disons beaucoup moins...). En réalité, je crois que nous ne nous remettrons vraiment à flot que lorsque le studio sera vendu, qu'il le soit bien ou qu'il le soit mal.

Terminé le journal des Goncourt ce matin et repris Kaputt. J'ai pour l'instant un peu de mal à m'accommoder de cette écriture baroque, emphatiquement baroque, satisfaite de l'être. Mais il y a une puissance indéniable et de réelles beautés. Lesquelles, j'insiste, gagneraient à être débarrassées de leur excès de crème. Mais, encore une fois, je n'ai lu que la première partie, soit 75 pages sur 500.

Catherine s'est mise en cheville avec le curé de Pacy, ainsi qu'avec la famille Fernique : en principe, nous devrions nous marier religieusement en octobre de cette année, le week-end étant laissé à la convenances de nos amis, dont deux membres seront nos témoins – Elsa pour moi, si elle peut être disponible et a l'envie de l'être, Catherine n'ayant pas encore arrêté son choix de manière ferme. Quant au mien, de choix, il s'est imposé tout naturellement, sans que je prenne le temps d'y réfléchir : s'il était encore vivant, il m'est apparu que j'aurais demandé à Philippe Bernalin d'être mon témoin. Or, Elsa, l'aînée des Fernique, est la filleule de Bernalin. Il me paraît donc logique, naturel, qu'elle remplace son parrain défaillant. Quant à Catherine, elle songe à demander ce service à Sarah, la sœur cadette, qui se trouve être ma filleule à moi. L'idée de nous deux, très largement quinquagénaires, nous présentant devant l'autel escortés de deux témoins à peine majeurs, me réjouit. Mais non à la manière d'une farce : me réjouit vraiment.

Maintenant, il y a le mariage lui-même. Le désir en émane de Catherine, bien entendu, puisque, de nous deux, c'est elle la croyante. Lorsqu'elle m'en a parlé, j'ai tout de suite accepté. Et même, je crois, avec un certain empressement. Pourquoi ? Il serait facile et rapide de dire que je l'ai fait pour lui faire plaisir, seulement ce ne serait pas exact. Plutôt, ce ne serait qu'une part de la vérité, et sans doute pas la plus importante, pas la partie première de cette vérité. Aussitôt après lui avoir donné mon accord, une inquiétude m'est venue : et si j'acceptais ce mariage pour de mauvaises raisons ? Après tout, incroyant je suis, incroyant je demeure – au moins jusqu'à ce jour. D'autre part, cette notion de racines chrétiennes, de catholicisme culturel, que je n'ai que trop tendance à manier, je m'en méfie beaucoup : est-ce qu'une religion sans Dieu, un christianisme sans Christ, ne représenterait pas une coquille vide qui, justement parce qu'elle est vide, se laisserait remplir par à peu près n'importe quoi, par je ne sais quelle revendication d'Occident de plus ou moins bon aloi ? En clair, se marier devant Dieu lorsque l'on croit Dieu absent, ne relèverait-il pas au mieux de la pose, au pire de la rodomontade ?

Mais il pourrait tout aussi bien s'agir d'une certaine forme d'humilité, un aveu d'inconnaissance : étant incapable de savoir, n'ayant bénéficié d'aucune révélation ni grâce, j'accepte mon ignorance, mon aveuglement et ma surdité, et me place néanmoins sous la protection d'un immense et ineffable peut-être – le Peut Être.

Il n'est malheureusement pas impossible non plus – mais je ne parviens pas à voir clair sur cette question – qu'il y ait en moi la tentation d'une sorte de marché, de transaction spirituelle : je me marie devant toi, en retour tu m'envoies un signe intelligible de ta présence – ce qui serait pitoyable et pour tout dire plutôt indigne, en tout cas certainement voué à l'échec.

Je pense que je n'ai pas fini de retourner cette question dans les mois qui viennent, et je serais bien surpris qu'une réponse surgisse, au fond.


16 mars

Midi et demie. – J'ai demandé à Catherine : « On ne mange pas tout de suite ? » Elle m'a répondu : « Oh, non, pas avant une heure ! » Moi : « Bon, eh bien, je vais aller faire un peu de journal, vu que je n'aurai pas le temps cet après-midi ni ce soir... » Sauf que je n'ai strictement rien à consigner ici d'autre. La raison pour laquelle je vais fermer l'ordinateur jusqu'à demain est que nous attendons la visite de Floréal, blogueuse française vivant en Toscane – elle arrive à la gare de Vernon peu après trois heures et repartira demain avec moi en voiture. Catherine avait prévu d'aller la chercher elle-même, mis l'EDF nous ayant coupé le courant durant trois heures ce matin (coupure prévue et dûment signalée), elle a pris du retard dans son “cahier des charges” . (Ce journal devient de plus en plus passionnant – un irremplaçable document pour les temps futurs, sur la vie conjugale à l'aube du XXIe siècle.)

Sur les blogs, on continue à “tirer les leçons” du premier tour des élections régionales. Ce qui revient à dire que l'on ratiocine en couronne, en prenant bien garde de ne tirer aucune leçon pouvant s'avérer dérangeante un tant soit peu. Certains vont jusqu'à expliquer très doctement le taux d'abstention (53 %) par le fait que nombre d'électeurs auraient oublié qu'il y avait des élections ce dimanche. Comme quoi on peut se croire de gauche et prendre néanmoins les gens pour d'irrécupérables crétins. Je sais bien que tout le monde se fout des régions, et d'autant plus que beaucoup d'entre elles sont totalement artificielles – des patchworks administratifs –, mais tout de même ! Les vrais raisons sont à coup sûr plus profondes, et je suis plutôt d'accord avec l'analyse de R. Camus (ou du parti de l'In-nocence, ce qui revient au même) à ce sujet. Voici le communiqué publié ce matin sur le forum public :

Le parti de l'in-nocence voit dans dans le formidable taux d'abstention de l'électorat au cours des élections régionales actuelles la marque de la totale inadéquation des partis politiques représentés aux assemblées et des débats eux-mêmes aux véritables enjeux de l'heure pour notre pays et pour notre peuple. À l'heure où la France est soumise à la contre-colonisation massive maquillée sous le nom d'"immigration", où son peuple est astreint au Grand Remplacement et où son "corps traditionnel", comme dit M. Gérard Longuet, n'a même plus le droit de se désigner lui-même et de se compter avant sa disparition par submersion, la matière des échanges politiques, qu'il s'agisse même de la grave crise économique et financière en cours, paraît totalement dérisoire.

Je ne dis pas autre chose lorsque j'affirme (moi parmi beaucoup d'autres : je ne prétends nullement à l'originalité) que la gauche et la droite sont devenues rigoureusement semblables dès que l'on aborde les sujets qui me semblent primordiaux et qui devraient être prioritaires. C'est bien pourquoi il est stupide de s'étonner de la remontée du Front national, dans la mesure où Nicolas Sarkozy, malgré quelques gesticulations de surface, se montre un ardent prosélyte, un efficace fourrier de ce que Camus nomme le Grand Remplacement. Que l'on puisse présenter ce calamiteux personnage comme un farouche adversaire de l'immigration ou un “islamophobe” dit assez le degré de délabrement mental de ceux qui se livrent à de telles imprécations : face aux revendications des uns et des autres en ce domaine, c'est au contraire l'à-plat-ventrisme le plus honteux qui prévaut toujours et de plus en plus chaque jour.

Je ne sais plus qui notait ce matin, sur son blog (Fromage Plus ? Le Pélicastre ? Non, vraiment, je ne sais plus), qu'il était fort amusant d'entendre la sinistre Martine Aubry clamer que les Français avaient voté pour le changement, alors que dans la quasi-totalité des régions il ne s'agit que de reconduire les présidents sortants, tous ou presque déjà de gauche. Mais chacun sait que la gauche a un droit de préemption sur le changement, quel qu'il soit. C'est une sorte de marque déposée, une association psittaciste – un refrain sacré.

En attendant il fait un temps superbe et presque doux : les insectes sont de sortie et les oiseaux semblent marquer des velléités de nidification.


17 mars

Huit heures. – Excellente soirée, hier, avec Floréal à la maison. Elle est une bavarde impénitente comme j'en ai rarement connu, mais comme elle ne dit pas de connerie, il est très agréable de l'écouter, et on peut même, si l'on se sent l'âme guerrière, tenter parfois d'endiguer le flot et d'en placer une : sans garantie de succès évidemment. Comme on a tout de même sifflé cinq bouteilles de vin (blanc puis rouge, dont une flasque italienne apportée par notre hôte), le réveil a été un peu laborieux. La journée, elle, en revanche, ne le fut guère, laborieuse. Et j'étais de retour à la maison dès cinq heures et demie.

C'est curieux, je crois me rappeler que j'avais quelque chose de très précis à noter ici, et je ne me souviens absolument pas de quoi. Si je commence à devenir amnésique même les soirs ou je ne bois pas, il y a peut-être de quoi s'inquiéter.

Sur le blog-mère, j'ai programmé un billet pour demain matin, dans lequel j'appelle les Alsaciens à voter massivement à gauche. Puisque la tête de liste des écolos est Jacques Fernique, le frère d'André. Je me rends d'ailleurs compte que ce n'est pas une simple plaisanterie. Si, à l'endroit où je suis censé voter, se présentait un ami à moi, ou même un ami d'ami, un frère d'ami, etc., je sais très bien que je voterais pour lui, quelle que puisse être son appartenance politique, de l'extrême-gauche à l'extrême-droite. Preuve supplémentaire de ce que je me moque absolument de toutes ces gamineries. En fait, dans le domaine politique, je ne crois guère qu'à l'assassinat. Le reste est gesticulation.


18 mars

Midi et demie. – Ce mois-ci, GdV me devait les deux premiers tiers du BM 310, soit 4600 euros. Je comptais ferme qu'il me les paie, tout en craignant de n'en recevoir que la moitié. Ce matin, mail de Nancy, la comptable, m'annonçant que je ne toucherai rien avant le 15 avril. Si bien que, de préoccupante, notre situation financière est en train de virer au catastrophique, avec des découverts dans tous les coins de banques – et le Crédit Lyonnais qui, hier, a refusé l'un de nos prélèvements automatiques (celui de CanalSat, me dit Catherine) – et des crédits qui continuent leur course imperturbable. Bref, écrivant cela ici, j'ai l'impression de livrer un mauvais remake du journal de Camus. Comme cadeau d'anniversaire, il me semble que j'étais en droit d'espérer mieux. D'un autre côté, si la nouvelle de ce non-paiement m'a abattu sur le coup, je sens que je suis déjà en train de me faire à cette idée et que, d'ici quelques heures, j'aurai tendance à n'y plus penser du tout. Sauf que, cette fois, il faudra bien que je continue à y penser, ne serait-ce que pour tâcher de limiter la casse auprès du Crédit Mutuel, de les faire patienter jusqu'en avril.

Neuf heures. – Vu l'heure de ce “revenez-y” (comme on disait dans les titres de FD il y a une grosse vingtaine d'années), on comprendra que Catherine et moi avons sacrifié à Bacchus. Mais, pour une fois, avec une excellente raison : j'aurai 54 ans demain, et comme j'ai décidé que nous ne boirions pas demain, on a “arrosé” avec 24 h d'avance, voilà tout.

Au fond, je suis presque content (et Catherine aussi) de cet étranglement financier qui nous échoit : il est l'occasion de remettre enfin un peu d'ordre. Et cette idée de dépenser le moins possible à compter d'aujourd'hui m'excite beaucoup, de manière sans doute très enfantine : l'impression d'un dépouillement du vieil homme, que sais-je. L'idée rédemptrice de se priver de ceci ou de cela : vacances, livres, restaurants, etc. De se rapprocher d'une certaine forme de pureté, voire de rachat– dérisoire, bien entendu, puisque, j'aurai beau pleurnicher, il n'en restera pas moins que je gagne de quoi faire pâlir d'envie sans doute quatre Français sur cinq, à vue de nez. Je ne sais pas combien gagnent mes concitoyens. Je sais que c'est moins que moi (je n'en tire ni vanité ni même plaisir), mais je me souviens qu'un soir de l'été 2008, alors que nous buvions une bière ensemble à Levallois (non ce n'est pas une faute d'inattention : c'était bel et bien à Levallois), Nicolas et moi avions parlé d'argent. Pas longtemps, parce que je crois bien que ça ne l'intéresse pas plus que moi. (Je me demande si je n'ai pas déjà raconté ça.) Et, comparant nos revenus (de l'époque : les miens, depuis, ont baissé d'environ un tiers), il m'avait affirmé qu'il faisait, lui, partie des dix pour cent de Français gagnant le mieux leur vie, et moi des cinq pour cent. Je n'en avais tiré nulle fierté (ni lui non plus), mais j'avais accepté le verdict, pensant qu'il savait de quoi il parlait.

Mon rapport à l'argent. Et au fait de le gagner. Un peu bizarre, tout de même, je crois. Je ne suis pas sûr de n'avoir pas une certaine forme de mépris – non, le mot est trop fort : disons, de condescendance – envers ceux qui n'en gagnent pas. Et notamment envers ceux qui se vantent de n'en pas gagner, comme s'il s'agissait d'un exploit qu'on devrait leur envier – et Dieu sait s'il s'en rencontre dans la blogosphère. Parallèlement, je n'ai aucune espèce d'admiration pour les gens qui en gagnent beaucoup (même si j'en suis content pour eux). Je dis parfois, et je pense presque tout le temps, que je n'accorde aucune importance à tout cela. Est-ce vrai ? Pas sûr. Sinon, pourquoi aurais-je toujours plus ou moins cette impression que les gens qui vivent à quarante ans comme des étudiants de vingt restent de complets immatures, méritant affection et protection, bien sûr, mais ne devant en aucun cas être pris au sérieux ? Je ne m'aime pas beaucoup, lorsque je pense cela, mais c'est un fait. Et est-ce que je ne leur en veux pas de ce qu'ils sont capables de s'affranchir d'une vie de salarié, chose que j'ai tentée entre 1998 et 2000 et qui m'a ramené à ma véritable stature, justement celle d'un type ayant besoin de toucher sa petite somme tous les 30 du mois, sans devoir dire merci, bien sûr, mais tout de même avec une certaine forme de reconnaissance parfaitement humiliante ?

S'ajoute le fait que je suis bien persuadé d'exercer un métier inutile, déshonnête et surpayé (surpayé parce qu'inutile et déshonnête). Un métier que n'importe quel crétin pourrait faire à ma place, et aussi bien (mais pas mieux : je ne suis pas humble).

Mon rapport à l'argent, encore. Pourquoi ai-je passé des années à m'en moquer absolument, à vivre avec toujours un mois d'avance (ou de retard, selon la manière dont on considère les choses) en m'en souciant comme d'une cerise, et que maintenant ces questions se mettent à peser d'un poids qui me laisse un peu désemparé (j'allais dire : démuni...), sans doute parce que je ne sais absolument pas par quel bout prendre cette nouveauté, cette préoccupation qui a élu domicile dans ma cervelle ? Ai-je changé sous le poids de l'âge, ou bien si je me rends compte enfin de ce que j'ai peut-être toujours été ? Je pencherais pour la deuxième hypothèse.

Et ce sera tout pour ce soir.


19 mars

Quatre heures. – 54 ans aujourd'hui, donc. À sept heures ce soir, très précisément : je suis né juste à l'heure du pastis. Et, de fait, allant faire des courses avec Catherine, j'ai craqué et lui ai demandé de mettre dans notre chariot-à-délices une demi-bouteille du breuvage susnommé pour ce soir.

Depuis hier, et aujourd'hui encore, je me démène pour tenter de colmater les brèches multiples qui menacent la digue financière. J'ai fait une demande auprès de la DRH de Lagardère pour obtenir un prêt de 3500 €, somme qui devrait m'être accordée sans trop de problème, et qui servira à renflouer momentanément le vaisseau amiral, à savoir le Crédit Mutuel. J'ai également mis en route, auprès de cette même banque, un emprunt de 5000 €, lesquels serviront à rembourser mon crédit “permanent” (ça, pour être permanent...) au Crédit Lyonnais, afin de clôturer le compte que j'ai chez eux depuis près de trente ans. Ensuite, et pour peu que GdV me paie, au 15 avril, les 6900 € qu'il me devra alors, on devrait repartir du bon pied.

Du bon pied mais avec des revenus encore amoindris puisque mon salaire sera jusqu'à la fin de l'année amputé de 300 € par mois (pour rembourser l'avance de 3500) et que j'aurai, pour cinq ans, un nouveau remboursement de prêt de 100 € mensuels, pour le prêt de 5000. La seule issue est donc bien de vendre le studio de Levallois rapidement et un aussi bon prix que possible.

Catherine l'a d'ailleurs mis en vente hier en fin d'après-midi sur deux sites d'annonces internet et nous avons eu un premier appel dès sept heures hier soir. La mise à prix est de 106 000 €, ce qui est sans doute un peu cher. Mais les studios à vendre semblent fort rares. Et puis, on peut aussi tomber sur des imbéciles dans notre genre, qui achètent sans discuter jamais. En tout état de cause, même si nous en rabattons de 10 000 €, et une fois le prêt soldé, il nous restera encore une vingtaine de milliers d'euros, qu'on essaiera de ne pas claquer trop sottement ni trop vite. – et j'en ai assez de parler d'argent, maintenant.

J'ai abandonné Kaputt juste avant d'aborder la page 300 : décidément, cette écriture me fait l'effet d'une nourriture trop riche, savoureuse et goûteuse mais bourrative. Il y a, chez Malaparte, une volonté de “faire apocalyptique” qui atteint parfois sa cible, mais parfois la manque à force de l'avoir trop bien visée. Je vais essayer La Peau tout de même, après le roman de Joseph Vébret que je viens de commencer et dont je ne peux encore rien dire. Si, tout de même : que je l'aborde avec un préjugé défavorable dans la mesure où il s'agit d'un roman dont le narrateur est écrivain, ce qui a toujours tendance à modérer mes enthousiasmes. Mais enfin, pour l'instant, l'auteur conserve le bénéfice du doute et de la sympathie qui s'est installée entre nous.

J'ai commencé aujourd'hui une mini-série de trois billets afin d'y raconter mon mariage avec Janina P., aventure tout de même assez haute en couleurs.


20 mars

Trois heures. – Petite journée tranquille, après l'apéritif que nous avons finalement pris, hier soir, pour mon 54e anniversaire : prétexte pas plus mauvais qu'un autre. J'ai écrit le dernier des trois textes concernant mon épopée matrimoniale avec Janina P., et j'ai replacé le tout dans l'ordre pour le mettre sur l'autre blog, dit Le Bungalow. Texte sans véritable intérêt, mais plutôt amusant, verveux, il me semble. Je crois que je vais me mettre à la relecture du journal de février, qui doit être mis en ligne le 31 mars. Ne serait-ce que pour encourager Catherine à venir repasser à mon côté, dans la Case...


Sept heures vingt. – Depuis quarante-huit heures que Catherine a mis en vente sur Internet le studio de Levallois, nous avons déjà eu un SMS et trois appels téléphoniques. Dont un émanant d'une jeune femme qui vient de se séparer de son homme et qui semble fort pressée. C'est Ludovic qui s'est chargé de la visite, puisqu'il était sur place. C'était ce matin, et la fille est arrivée avec des croissants... D'après lui, elle a eu l'air intéressé, mais a tiqué un peu sur le prix. De toute façon, je n'ai jamais imaginé que nous puissions réellement le vendre 106 000 €, alors que nous l'avons payé 89 000 il y a moins de deux ans. Bien sûr, Ludovic l'a bien arrangé et amélioré, mais tout de même. À 99 000, je serais déjà très heureux et signerais tout de suite. Après tout cela nous laisserait 25 000 € de bénéfice, ce qui est plus que suffisant. Si bien que nous ferions alors une opération “blanche”, puisque, 25 000 € est à peu près ce que nous aurons finalement déboursé au moment de la vente, si elle se fait dans les trois mois. La grosse différence est que, si nous n'avions pas acheté le studio, de ces 25 000 € il ne resterait rien : je nous connais. Mais enfin, rien n'est encore fait et cessons de jouer les Perrette.

Durant ces dernières vingt minutes, il vient de tomber une forte pluie et, du coup, le jardin embaume. Voilà, elle s'arrête... Et de nouveau les oiseaux, que le merle ne va pas tarder à envoyer au lit de son habituel coup de sifflet comminatoire. À propos d'oiseaux, une mésange bleue a commencé un nid dans la cabane fixée sous le toit de la Case. Or, nous nous sommes aperçus ce matin que, pour une raison ou une autre, la porte de celle-ci était à demi démantibulée. Il faudrait bien la remettre en place mais, outre que ni Catherine ni moi, pour des raisons différentes, ne sommes très chauds pour grimper à l'échelle, nous avons peur d'effrayer la bête et, laissant notre odeur sur la cabane, de la voir la déserter. Donc, on ne fait rien.


21 mars

Quatre heures. – Alternance assez rapide de nuages et de soleil, qui n'incite ni à sortir ni à rester chez soi.

L'écriture souriante de Daudet. Jamais ironique, toujours souriante – un demi-sourire indulgent, en coin de phrase.

Soirée électorale, donc, tout à l'heure. Qui, pour notre part n'ira pas au-delà de neuf heures moins vingt, moment où débutent les films sur les chaînes regardables. J'entends déjà le cri de triomphe des socialistes qui vont accomplir l'exploit de garder les régions qu'ils géraient déjà depuis la dernière fois. Et qui pourraient dire un grand merci au Front national mais ne le feront évidemment pas. Même si, durant toute cette campagne, ils se sont bien gardés d'attaquer trop violemment le parti de Le Pen, eu égard à son utilité pour eux : on se croirait revenu au beau temps de Mitterrand et des basses magouilles de ce dernier. Mitterrand, idole de la gauche : de quoi rire, vraiment. Non, décidément, mon seul vrai moment de jouissance électorale, ces vingt dernières années, aura bien été le 21 avril 2002. L'autre grand cornichon blafard de Jospin réclamait un droit d'inventaire ? Eh bien ! ce jour-là, les électeurs lui ont accordé tout le temps nécessaire pour le mener à bien, son inventaire.

Si le roi Louis-Philippe s'est finalement décidé à la conquête d'Alger, en 1830, c'est afin de tenter de mettre fin aux actes incessants de piraterie, arraisonnements, prises d'otages, rançons, dont se rendaient coupables les forbans partis de ce port. Les Algériens de l'époque étaient un peu les Somaliens d'aujourd'hui. De là est partie la colonisation, laquelle a très largement échoué dans la mesure où les Français n'ont jamais été très chauds pour aller s'exiler dans ces contrées d'outre-Méditerranée. Les Français ne sont pas et n'ont jamais été un peuple de colons. Une colonisation ne peut se réaliser de façon durable que si l'envahisseur vient et s'installe en grand nombre, de manière à concurrencer d'abord et à dominer ensuite les autochtones : on devrait s'en apercevoir prochainement.


22 mars

Deux heures et demie. – Coincé à ce bureau entre deux et trois heures, laps de temps durant lequel doit m'appeler une personne du Crédit mutuel afin de prendre en charge à ma place le transfert de tous mes prélévements automatiques faits auprès du Crédit lyonnais, avant clôture de mon compte dans cette banque. Sauf que, d'appel, pour l'instant, il n'y a point. Alors, juste pour me réchauffer un peu doigts, ce journal.

En fin de matinée, un agent immobilier nous a appelé à propos du studio de Levallois, après avoir repéré l'annonce de Catherine sur internet. D'après lui, les 106 000 € que nous en demandons ne seraient pas exagérés, compte tenu de la rareté du “produit”, comme disent ces gens-là. Mais il faut qu'il le visite. Il nous a proposé de se charger de la vente, moyennant une commission d'environ 5% et nous sommes très tentés de dire oui, au moins pour n'avoir à nous occuper de rien. Si cela se faisait, il nous reviendrait environ 99 000 € sur lesquels nous devrions rembourser 74 000 à l'organisme de crédit – en l'occurrence le Crédit mutuel, justement. Ces 25 000 € restants seraient tout à fait les bienvenus.

Contacté hier soir par le blogueur il Sorpasso, pour nous inviter, Catherine et moi, à un déjeuner organiser par un couple de blogueurs, plus ou moins apparentés au blog collectif ILYS (I like your style), tout comme l'est il Sorpasso lui-même, déjà rencontré il y a quelques mois à l'anniversaire de Marc Cohen. Seraient présent Roman Bernard, peut-être Juan Asensio, XP, blogueur ilysien que j'apprécie beaucoup, même si nos rapports ont commencé sous le signe d'une solide engueulade par commentaires interposés. Comme, de plus, le couple hôte de ce déjeuner réside près d'Houdan, soit à moins d'une heure de chez nous, je viens de répondre que nous acceptions l'invitation. Pour cela, il m'a fallu tordre un peu le bras de Catherine, qui a de moins en moins envie de rencontrer des gens, et encore bien moins des gens qu'elle ne connaît pas. Je lui ai fait observer qu'à chaque fois ou presque que nous avons fait la connaissance de blogueurs nous n'avions eu qu'à nous en féliciter – ce qu'elle a admis. Ce sera le 10 avril prochain, un samedi.

En lisant Daudet (Numa Roumestan), je comprends mieux pourquoi je n'ai jamais été gêné, comme paraît-il tant de lecteurs le sont, par les descriptions balzaciennes, même lorsqu'elles prennent toutes leurs aises : parce qu'il est impossible de les ôter, que non seulement elles participent à la compréhension de l'œuvre, mais qu'elles en sont même l'un des moteurs les plus puissants. Rien de cela chez Daudet, me semble-t-il : il ne s'agit que d'un décor, de la tentative (souvent réussie) de créer une “ambiance”, et rien de plus. Pendant qu'il peint la toile, ses acteurs attendent : ce qui ne se produit jamais chez Balzac. Chez ce dernier, et même si on ne les a pas encore vus ni entendus, on sent qu'ils sont déjà en train de prendre possession du cadre, ou même de naître de lui. Le résultat est que Daudet, malgré la fluidité de son écriture, peut parvenir à lasser après deux paragraphes, quand Balzac vous empoigne sur dix pages : je pense à Eugénie Grandet, Beatrix, Le Cabinet des antiques, Illusions perdues et tant d'autres romans, notamment à leurs “entames”.

Grand soleil. Les oiseaux ont commencé à voleter par couples parallèles : il y a de la baisade dans l'air, comme dirait Flaubert.

J'ai envie de lire un grand roman.


23 mars

Cinq heures et demie. – La blogosphère en bruissait, FDesouche l'annonçait dès hier, Le Point.fr le confirme aujourd'hui : Zemmour serait sur le point de se faire licencier par le Figaro, c'est-à-dire par ce court-bouillon de Mougeotte. Cela, suite à ses propos sur les dealers "majoritairement noirs et Arabes" : condamné pour avoir énoncé une évidence, constatable par tous et constatée par des tas de gens. Peut-on encore dire, dans ce souvenir de pays, cette nostalgie de nation qu'est la France, que les patrons de cafés sont majoritairement auvergnats ? Ou qu'ils l'ont été, car enfin ce n'est peut-être plus le cas. Muray avait raison et il a un peu plus raison chaque jour : le sourire niais de Festivus Festivus n'est là que pour tenter de masquer le féroce besoin de répression qui le ronge et le fait se mouvoir (mais sur patins à roulettes uniquement). Il ne lui suffit pas d'être majoritaire, et de façon de plus en plus écrasante : il lui faut recouvrir tout le champ du réel (de l'irréel serait d'ailleurs plus juste), boucher toutes les fenêtres, étouffer toutes les voix qu'on ne peut contraindre à entonner le Grand Hymne des rebelles en troupeau.

Inventer un nouveau verbe pour désigner les cris de révolte convenue de nos rebelles institutionnels. Je propose : rebêler. Icône emblématique : Stéphane Guillon. Ou Christophe Alévêque. Figure tutélaire de l'ancêtre vénérable : Guy Bedos.

Catherine est à l'agility avec Elstir et ne sera pas de retour avant sept heures. En conséquence de quoi, je lui ai annoncé que j'allais m'autoriser deux ou trois bières en l'attendant. Il est impératif que je ne revienne pas devant ce clavier ensuite : l'écœurement qui me soulève depuis le début de l'après-midi augmenté des effets de l'alcool me pousserait sans nul doute à des propos très violents. Et Dieu sait sur quel malheureux décervelé cela retomberait...


24 mars

Cinq heures et demie. – Arrivé à Levallois à dix heures et demie ce matin, j'en suis reparti à trois heures et demie, pour cause d'absence totale de travail à fournir. Et après ça, je vais me payer le luxe de traiter les professeurs de planqués et de fainéants. Chose que, je m'en avise, je crois n'avoir jamais fait ; peut-être pour cette raison que je ne suis pas moi-même surencombré de boulot, et ne l'ai à peu près jamais été. Sauf dans l'année qui a précédé ma démission de FD, en 1997, où je travaillais au journal à plein temps, écrivais quatre BM par an plus les premiers volumes de L'Empire des sectes, collection qui démarrait alors, créée par moi... avec un remarquable insuccès puisque nous avons, GdV et moi, jeté l'éponge après le dixième roman.

Appris ce matin que mon avance sur salaires de 3500 € était acceptée, comme je m'y attendais. J'étais tout de même scié par la manière dont la directrice des Ressources humaines m'a libellé son acceptation. Son mail commence par : « Bonsoir Didier, » et se termine par : « Cdt (que je suppose mis pour “cordialement” et non pour “commandant”), Laurence », comme si on avait été camarades de camp scout dans notre jeunesse ou si on avait tiré un petit coup ensemble il y a dix ans. J'étais presque surpris que cette dame ait tout de même pensé à me voussoyer. Enfin : l'argent sera sur mon compte demain et c'est bien le principal. Mais tout de même...

Publié sur le blog-mère un petit article sur le roman de Joseph Vebret. Et, comme à chaque fois que je me livre à ce type d'exercice, je me rends compte avec un certain accablement que je reste très superficiel, que tout cela n'est pas assez pensé. Mais peut-être suis-je justement incapable de penser. Après tout, je ne serais ni le premier ni le dernier à être affligé d'une telle invalidité.

Demain, passage au Crédit mutuel de Levallois, afin de signer les papiers relatifs au prêt que je contracte chez eux (pour éponger mon découvert au Crédit lyonnais : tout cela est absurde). J'en suis assommé d'avance, tant ces séances me plongent à chaque fois dans un ennui profond ; si profond que j'en arrive à acquiescer mécaniquement (le syndrome du petit chien sur la plage arrière de la voiture) à tout ce qu'on me dit, en n'en comprenant pas le quart et ne retenant rien du peu que j'ai compris. Par malchance, Catherine est à peu près pareille à moi dans ce domaine. En fait, pour toutes nos histoires financières, il nous faudrait emmener sa sœur, Nathalie, avec nous, qui comprend tout de ces choses et sait poser les bonnes questions. Moi, je n'en pose jamais aucune, ou alors des questions idiotes, dont la réponse aurait dû aller de soi.

Ce soir, je crois que nous allons revoir Mars attack de Tim Burton, par pure paresse intellectuelle, parce que je n'ai pas envie de me prendre le chou avec un Melville poétique. Or, sur l'ensemble de nos chaînes, il n'y a de choix que celui-là.

Demain midi : bento chinois. Qu'est-ce que je voyage avec cette gamelle...


26 mars

Dix heures et demie. – Et pourquoi n'ai-je rien écrit ici hier, moi ? ce n'est pourtant pas le temps qui m'a manqué, malgré mon rendez-vous au Crédit mutuel pour y signer divers papiers auxquels je n'ai même pas fait semblant de comprendre quoi que ce soit, ni même de m'y intéresser le moins du monde.

L'agent immobilier qui prétend se charger de la vente du studio l'a visité hier, sous la houlette de Ludovic (choc des cultures...). Surprise : il compte faire passer son prix de vente de 106 à 110 000 €, et assure qu'il sera vendu avant le 15 avril ! Bénéfice en trompe-l'œil pour nous car, alors, sa commission passerait de 6 à 8 %. Mais, d'après lui, il devrait nous revenir environ 104 000 €, ce qui reste inespéré. Cela étant, habitué comme je le suis à ce que nous ne fassions d'affaires que déplorables, tant que je n'aurais pas le chèque du notaire en poche... C'est égal : il nous reviendrait alors, crédit remboursé, pratiquement 30 000 €. Et, là, plus question de les regarder partir en fumée. J'ai déjà prévenu Catherine que je serais désormais d'une avarice implacable, grandesque. Elle n'a pas eu l'air de me croire plus que cela.

Ce week-end, je dois absolument boucler le synopsis “jumelles” du prochain BM car, si je veux me tenir à ma résolution de n'y travailler que les matinées, il est impératif que j'en commence l'écriture dès le week-end prochain, soit le 3 avril. Ce qui me donnera une quinzaine de jours d'écriture jusqu'au 8 mai.

Je crois que je vais lâcher Daudet au milieu du gué. Je suis content de l'avoir lu, mais il me semble que cela suffit. Peut-être enchaîner sur le Charles Demailly des Goncourt, avant de passer à tout autre chose ? J'ai commandé avant-hier Cran d'arrêt du beau temps, le journal de Gérard Pesson. (Oui, je sais que je suis censé ne plus commander de livres jusqu'à nouvel ordre ! Mais, celui-ci, il y a déjà deux ou trois ans que je veux le lire et, alors, je ne l'avais trouvé nulle part, bien qu'il fût de parution récente. C'est en lisant sur son blog ce qu'en disait Valérie Scigala que l'envie m'en est revenue. Et, miracle, il avait fait sa réapparition dans les catalogues d'Amazon – d'où commande immédiate.)


27 mars

Sept heures et demie. – Commencé hier le Charles Demailly des frères Goncourt, et je crois bien que je n'irai guère plus loin que les soixante premières pages déjà lues. Comme tout cela sonne faux ! Ces dialogues qui se veulent spirituels – et qui parviennent parfois à l'être en effet – qui sentent l'effort, le “morceau” à faire, la démonstration. Évidemment, comme tout cela se passe dans le milieu du journalisme, ou plus exactement du petit-journalisme, la tentation est inévitable de penser aux Illusions perdues (que Catherine vient d'achever juste avant notre dîner), et la comparaison est très cruelle. En fait, ces illusions, ce sont celles d'Edmond de Goncourt, qui comptait sur la postérité pour une pleine reconnaissance de son importance littéraire, lui qui se considérait comme un novateur dans tous les domaines. Si la postérité lui a rendu justice, ce n'est pas avec l'arrêt qu'il en attendait. Il ne survivra (quelque temps, aussi longtemps que des gens s'intéresseront à la vie littéraire parisienne de la seconde moitié du XIXe siècle) que par le Journal, ce qui après tout n'est déjà pas si mal.

C'est donc sans atermoiement superflu que j'ai remisé Goncourt pour ouvrir ce Cran d'arrêt du beau temps, de Gérard Pesson, dont je parlais hier ici. Journal 1991 – 1998, donc. Sur son blog, Valérie Scigala parle de concentration à son propos. Ce serait plutôt le mot de densité qui me viendrait à l'esprit. Une densité tellement grande par moment, qu'elle en vient à se comporter comme la matière dans un trou noir, avalant toute clarté – en tout cas toute clarté discernable par moi, ce qui est déjà beaucoup en rabattre. Évidemment, les “effets miroirs” avec le journal de Camus m'intéressent (le musicien et l'écrivain se connaissent, s'apprécient, et avaient même, en ces années, un projet d'opéra ensemble), dans la mesure où, çà et là, ils relatent les mêmes choses, mais bien entendu pas de la même manière. J'y reviendrai plus tard, sans doute (ou peut-être pas).

Cette nuit, passage à l'heure d'été, cette abomination festive. On se demande d'ailleurs pourquoi Festivus Festivus fait preuve d'un esprit aussi timoré en la matière. Pourquoi se limiter à une heure ? Pourquoi ne pas décréter que, désormais, le soleil devra éclairer Paris-Plage jusqu'à une heure du matin, afin que les Parisiens citoyens puissent se réapproprier les berges de la Seine deux heures de plus ? Il se relèverait, le soleil, juste à l'heure du brunch, et la vie deviendrait un véritable paradis sociétal pour toutes les Bougrenette que notre époque vomit à flots continus sur nos rivages, depuis l'utérus durable de leurs mères monoparentales. Mon seul espoir, comme chaque année, est que l'été soit pourri – mais on ne peut malheureusement pas gagner à tous les coups.


28 mars

Trois heures dix. – Je suis sorti de la maison – sous une bruine insidieuse – avec l'idée de faire un billet sur le blog-mère, puis un autre sur le forum de la SLRC, et enfin de noter deux ou trois choses ici, à propos de Gérard Pesson, dont je suis en passe d'achever la lecture de son journal. Le temps d'arriver jusqu'ici, qui est pourtant bien court, je n'ai plus envie de rien de tout cela. Et, sans attendre ni remords, de décocher les pages dont je comptais me servir. – Ataraxie soudaine. Si, tout de même, noter que Pesson, musicien assez peu prolifique et dont, surtout, la musique repose essentiellement, me semble-t-il, sur ses silences, sur ses déchirures entre les notes, sur ce qu'elle ne dit pas ou à peine, musique presque constamment exténuée, Pesson donc est surnommé par ses amis soit Peud'son, soit ppppsson...

Un collectionneur de bonzaïs géants qui, par orgueil, se présenterait comme un simple arboriculteur.

Tout cela, bien entendu, cette brusque envie d'écrire ici et là, n'était qu'enfantine excuse pour ne pas me mettre à ce synopsis qui n'attend plus que moi pour exister un tant soit peu. Il y a une minute, après avoir finalement avancé toutes nos pendules, j'ai dit à Catherine : « C'est trop bête, je comptais travailler durant toute une heure à mon synopsis, et voilà que je viens de la perdre... »

Huit heures. – Le tenancier du blog Le Petit Champignacien illustré – de très bonne tenue par ailleurs –, Dominique, garçon bruyamment auto-proclamé de gauche, et de manière sinon obsessionnelle du moins fort fréquente, me laisse tout à l'heure un commentaire en me sommant, ou disons en m'invitant de manière pressante, à me débarrasser de mes “lecteurs imbéciles”, en les traitant de parasites. Je me demande pourquoi il se montre si timide, ce garçon : vermines aurait eu autrement d'allure, il me semble. La gauche Dzerjinski a de ces pudeurs, de nos jours. Je sens qu'il va être temps de fermer l'ordinateur avant de m'énerver pour de bon.


29 mars

Midi. – Sans doute sous l'influence de la lecture (terminée ce matin) du Journal de Gérard Pesson, je récoutais tout à l'heure (en essuyant la vaisselle...) ses Béatitudes. Et me frappait à nouveau la difficulté que semble éprouver cette musique à s'extraire du silence, lequel tient pour elle à la fois de la matrice et de la gangue. Ces notes qui paraissent être le fruit, ou plutôt le reste d'un déchirement, celui d'un tissu musical dont on ignorera tout, se plaignent à voix exténuée (aux cordes le plus souvent) des efforts presque mortels qu'elles doivent fournir pour s'extraire de ce trou noir originel, et parfois ont un bref cri de rage (au piano), qui est un mouvement de révolte vite étouffé. En ce sens, et malgré sa ténuité, sa discrétion (au sens approximatif et sans doute abusif de ma part où Lévi-Strauss parle de quantité discrète), cette musique peut être dite forcenée, prise qu'elle est, vis-à-vis du silence dans une perpétuelle oscillation protestation/soumission, une résignation traversée d'éclairs. Le silence lui est une prison, et c'est par là que l'on peut parler véritablement, dans ce cas, de cellules mélodiques. C'est également cet enfermement du son qui me fait penser, presque à chaque audition, à l'“esclave” de Michel-Ange, exposé à l'Académie des Beaux-Arts de Florence, qui agrippe à deux mains le bloc de pierre dont il cherche désespérément à extraire sa tête. Mais si, dans le cas du sculpteur, cet effet est produit par le non finito de l'œuvre, chez Gérard Pesson on semble avoir affaire, à l'inverse mais pour un résultat étrangement proche, à une musique “pas encore commencée”, fœtale, limbique. – et, tout comme l'esclave de pierre, d'une force décuplée pour cette raison même.

Quatre heures. – Et voilà que la question se repose. Sitôt après avoir écrit le paragraphe qui précède, j'ai décidé d'en faire un billet, moyennant quelques corrections de détail – billet que je n'ai pas encore publié, du reste. La question est donc double : 1) dois-je le publier sur le blog-mère ? Est-ce vraiment un billet, au sens où je crois l'entendre ? 2) Si oui, faut-il alors le retirer d'ici au moment de la publication du journal de mars – fin avril donc – afin d'éviter un “doublon” ? J'avoue que, à l'heure actuelle, je n'y vois pas trop clair. J'y vois même assez obscur, si je puis dire. Le mieux est évidemment d'attendre, d'attendre et de relire. Mais il n'est pas dit que mon opinion sera alors plus tranchée qu'elle ne l'est en ce moment.

Si je bavarde ici c'est aussi que je suis coincé derrière mon téléphone, attendant l'appel d'un type du Crédit mutuel qui doit se charger de transférer chez eux tous les prélèvements automatiques actuellement faits sur le Crédit lyonnais. Dans ce but, Catherine et moi avons fouillé dans le bordel innommable qui nous sert de “rangement à papiers officiels” afin d'en extraire les diverses factures dont il va fatalement avoir besoin pour faire son travail. La discussion imminente m'accable d'avance.

Tout à l'heure, après avoir ramassé les divers détritus, branches mortes, etc., étalés dans le jardin par Elstir durant tout l'hiver, j'ai ressorti pour la première fois de l'année la tondeuse de son abri. Tâche rapidement exécutée dans la mesure où, toujours du fait des chiens et de leurs jeux, la terre est à nu sur un bon tiers de la surface en principe herbue – ce qui ne durera pas. Actuellement, je les vois par la fenêtre qui est à ma gauche, ils sont tous trois couchés sur la terrasse, Elstir exactement dans la position (tête posée au sol entre les pattes avant) qui, pour moi, reste celle de Balbec. La pluie annoncée ne s'est pas encore présentée – ce qui m'a permis de tondre – et le soleil commence à réellement chauffer, lorsque les gros nuages blancs lui laissent un moment la possibilité de s'exprimer.

Je n'ai guère envie de poursuivre la lecture de Charles Demailly. Peut-être quelques pages afin qu'on ne puisse pas venir dire que je n'ai pas donné toute leur chance aux Goncourt. En réalité – et c'est un peu bête –, la vision hier soir du film de Duvivier avec Gérard Philipe m'a donné envie de relire Pot-Bouille. Ce qui serait sans doute idiot, vu les piles d'attente qui s'élèvent dans le salon, de livres réclamant d'être au moins parcourus. Mais, après tout, dans ce domaine, il n'est pas de devoirs ni d'obligations, que je sache ! D'ailleurs, je le décide : je vais relire Pot-Bouille, et même le sortir séance tenante de son rayonnage.

« Rue Neuve-Saint-Augustin, un embarras de voitures arrêta le fiacre chargé de trois malles, qui amenait Octave de la gare de Lyon. » : incipit. Et, déjà, l'envie d'aller voir sur le net où se trouvait exactement cette rue Neuve-Saint-Augustin. C'est ce que j'aime dans l'édition que j'ai des Trois mousquetaires (Bouquins) : chaque rue citée par Dumas est replacée dans le plan actuel de Paris, en note. Cela rend le rêve plus précis, l'aventure prend de la chair.

(Bon, finalement, après vérification, cette rue Neuve-Saint-Augustin n'est rien d'autre que l'actuelle rue Saint-Augustin, qui joint la rue de Richelieu à l'avenue de l'Opéra...)

Après-demain, publication du journal de février : il est prêt et programmé. Ce qui me gâte un peu le plaisir (très mesuré, le plaisir...), c'est la certitude que, après trois relectures, il est à coup sûr encore parsemé de fautes en tous genres. Mais, vraiment, je n'ai pas envie de m'y remettre une quatrième. Que les lecteurs du 31 mars m'en excusent rétroactivement.

Toujours pas commencé le synopsis du BM que j'avais prévu d'écrire à partir de samedi prochain. Deux raisons à cela : mon habituelle nonchalance d'abord ; et ensuite le fait que mon projet d'histoire avec les jumelles Brichot me plaît de moins en moins. Du coup a resurgi une ancienne idée (que j'avais abandonnée parce que Bernard T. ne l'aurait pas acceptée) qui me plaît bien : celle d'un BM totalement onirique, fantasmagorique. Au premier chapitre, lors d'une soirée où il se trouve pour une enquête en cours, Boris Corentin se verrait injecter une drogue puissante, mais quasiment sans s'en apercevoir. À partir de là, la réalité se mettrait à déraper, il se produirait une succession de choses très étranges et, pour lui, infiniment déstabilisantes : Brichot trahissant la police, Géraldine devenant une nymphomane hétéro, Corentin lui-même traqué par Badolini, etc. Tout cela en y mêlant les protagonistes du chapitre premier. Au dernier chapitre, ses deux collègues découvriraient Corentin inanimé quelque part, peut-être entre la vie et la mort, il serait sauvé de justesse. Et le lecteur comprendrait alors que, en temps réel, ce roman n'aurait pas duré plus d'une heure ! Et que rien de ce qu'il a lu n'est réellement arrivé. MAIS, pour ôter son aspect “gratuit” à ce genre de canevas, il faudrait que, durant son délire, Corentin ait mis le doigt sur quelque chose qui, in fine, une fois de retour dans la vie réelle, lui permette de coffrer les “méchants” qu'il tentait de confondre au premier chapitre. Le tout est de trouver ce “quelque chose”.

Lorsqu'on lira ce qui précède, en principe, le roman correspondant sera aux trois quarts écrit...


30 mars

Midi et quart. – Je viens de relire ce que j'écrivais hier, à propos du paragraphe de ce journal transformé en billet sur le blog-mère, et de mes interrogations concernant l'opportunité de maintenir le dit paragraphe ici même, au moment de la parution. Et je m'aperçois que, si je décide de l'enlever, il faudra du même coup supprimer celui où je me pose la question. Et encore celui-ci, forcément, où je me pose la question de la question. Si bien que je me demande si je n'ai pas fait tout ce cinéma à seule fin de me rendre impossible toute suppression...

L'employé du Crédit mutuel avec qui j'avais un rendez-vous téléphonique (pourquoi cette expression me paraît-elle étrange ?) entre quatre et cinq heures m'a appelé tout tranquillement à sept heures moins dix. Sans la moindre parole d'excuse, prêt à se mettre au travail. Comme je lui fais remarquer son léger retard, il prend d'abord un air surpris. Ou plus exactement : le ton de l'homme qui ne sait pas, à qui “on” n'a rien dit. Il consulte sa fiche et m'annonce : « Ah, je vois qu'il y a écrit (je le note comme il l'a causé...) entre seize heures et dix-sept heures... » Moi : « Oui, ce qui équivaut sensiblement à quatre et cinq heures de l'après-midi... » Il semblait prêt néanmoins à se mettre à la tâche, mais je l'ai remis à aujourd'hui – moitié par principe, moitié parce que je ne voyais pas la nécessité de repousser l'heure du dîner à cause de cet entourloupeur qui a bel et bien tenté de “passer en force” en feignant d'ignorer l'heure de notre rendez-vous. Après quoi, il s'est tellement confondu en excuses que j'ai eu le plus grand mal à raccrocher. On va voir comment il s'en tire cet après-midi (quatre heures également).

Sept heures et demie. – L'impression que la musique des siècles nous ayant précédés était là pour creuser l'homme (cavatine), descendre en lui, en nous. Alors que celle de notre siècle (le XXe) nous aurait plus ou moins délaissés pour explorer des mondes, et nous les offrir ; des mondes qui semblent futurs (je pense à Michaël Lévinas, écouté tout-à-l'heure) et d'autres d'avant l'homme (je perds l'adjectif correspondant), à quoi m'a toujours fait penser la musique de Scelsi, avec ces grognements telluriques, ses pesanteurs dinosauriennes.

Dans les deux cas, la musique reste menaçante, ce qu'elle ne peut jamais s'empêcher d'être, il me semble : soit qu'elle fore en nous, soit qu'elle ouvre des portes vers l'avant, l'après, le “ de biais” – elle abat les cloisons quoi qu'il en soit. En aucun cas elle ne peut nous charmer – ou alors au sens le plus brutalement premier du mot, qui reste menaçant : fonction de la variété, qu'elle soit femelle (chanson) ou mâle (rock, etc.).

De ce fait, la musique est discordante, au sens où l'entendent les gens qui se désintéressent de la musique. Elle l'est parce qu'elle nous contredit dans nos assoupissements, qu'elle menace constamment d'effacer nos sourires niais et repus d'art – elle tend à nous annuler, toujours. Pour ce faire, elle invente, elle sort d'elle-même, elle s'allie à ce qui passait hier pour son contraire. Dans le Froissement d'ailes de Lévinas, la lutte a lieu entre le souffle et la musique, entre l'instrument et celui qui tente de le maîtriser – Dieu et sa créature, et c'est tout nouveau que l'instrument semble regimber contre son manipulateur. C'est-à-dire que c'est une lutte sans doute aussi ancienne que la musique elle-même, mais c'est la première fois qu'elle se donne à entendre, à voir, à admirer, à rejeter, à combattre – qu'elle s'expose sur la place publique.

En ce sens, la musique paraît bien suivre le chemin de la littérature (sans qu'on sache qui d'elles deux a commencé, bien entendu), qui mène de ce flamboiement du XIXe siècle, de cet impérialisme créateur à l'œuvre aussi bien chez Balzac que chez Wagner (et d'autres : je fais court...) à cette interrogation inquiète de Pesson ou de Woolf, après être passé par les éclats furieux d'un Céline ou d'un Varèse.

Quitte à se perdre un peu et beaucoup, et en acceptant humblement de dire des conneries comme je le fais maintenant, on ne doit pas, je crois, tourner le dos à son époque. L'amour exclusif du passé est une façon de s'admettre mort : les petits enfants de ce jour nous en tiendront compte.


31 mars

Midi et demie. – Ce matin, visite médicale à la préfecture d'Évreux, pour le renouvellement de mon permis de conduire provisoire. J'ai eu la bonne surprise de me voir rendre mon permis définitif, alors que je m'attendais à un de deux ou trois ans.

Ensuite, cap sur Levallois, accompagné par Catherine et Elstir, dont c'est la première visite au bureau (où ne se trouve aujourd'hui que Nathalie). Ludovic devrait nous rejoindre vers une heure afin de partager avec nous les sushis préparés hier par Catherine : cette dînette au bureau va être charmante, je le sens.

Si Catherine est là c'est que nous avons rendez-vous à une heure et demie avec l'agent immobilier qui nous a proposé de vendre pour nous le studio. Et qui, après visite, a décidé de le passer de 106 à 110 000 € – ce qui semble prouver qu'il se sent capable de le vendre à ce prix, sinon quel serait son intérêt ?

Bon, le travail arrive...