LES JOIES DU NAZISME,
LES BONHEURS DU COMMUNISME
Mercredi 1er
Dix heures. – Je disais hier – id est il y a un mois pour mes douze lecteurs – que je m'étais débrouillé comme un branquignol de compétition, en prenant pour ce matin deux rendez-vous quasiment simultanés (alors que, la plupart des jours, nous n'en avons rigoureusement aucun) ; le premier à huit heures et demie à la clinique vétérinaire où, à l'heure actuelle, Charlus endormi doit être en train de se faire ripoliner les crocs ; et le second à neuf heures au garage Renault, pour le toilettage annuel de Soraya, ainsi que la pose de deux pneus neufs.
Eh bien, à cela est venue s'ajouter une troisième obligation, celle de Catherine devant se rendre au laboratoire d'analyse pour se faire pomper quelques centilitres de raisiné. Le plus curieux est que, partis de la maison vers huit heures, nous nous sommes parfaitement acquittés de tout cela et étions de retour à la maison dès neuf heures moins le quart (dans une ridicule Twingo). Il n'y a plus qu'à espérer que tout se passera aussi bien cet après-midi pour le match retour : récupérer Charlus, puis la voiture, et passer à la pharmacie. Pas gagné…
– Le fait d'avoir enchainé les livres d'Orlando Figes (Les Chuchoteurs, puis La Révolution russe) et de Daniel Mendelsohn (Les Disparus) me donne plus ou moins envie de relire le Terres de sang de l'historien américain Timothy Snyder, livre sous-titré L'Europe entre Hitler et Staline et consacré, on l'aura compris à ces régions “coincées” entre Allemagne nazie et Russie communiste, à savoir, essentiellement, la Pologne, la Biélorussie et l'Ukraine. Dont les habitants ne rigolaient pas tous les jours en ces années-là, notamment s'ils avaient eu la malencontreuse idée de naître juifs.
Six heures. – Récupéré tout le monde sans le moindre accroc… sauf financier. Charlus m'a coûté un peu plus que je n'espérais : 250 € ; par compensation, Soraya , nettement moins que je ne le craignais : 780 €. (Je ne sais pourquoi je m'étais mis dans la tête que les pneus de voiture coûtaient les yeux de la tête, alors que, finalement, non. Un plaisantin avait dû me faire croire qu'on les importait d'Ukraine, quelque chose comme ça.)
Jeudi 2
Onze heures. – J'ai déjà dit (le mois dernier…) que Les Disparus de Daniel Mendelsohn pouvait être rapproché des Chuchoteurs d'Orlando Figes, en ceci qu'il s'agissait dans les deux cas de ce que j'ai appelé des livres de résurrection. Mais, à mesure que j'avance dans sa lecture (j'approche de la moitié de ses six cents pages), je lui trouve aussi un point commun avec les Récits de la Kolyma de Varlam Chalamov : bien que radicalement différents l'un de l'autre par ailleurs, les deux livres se mettent peu à peu à ressembler à de gigantesques entonnoirs, saisis d'un mouvement rotatif de plus en plus rapide, ayant pour effet d'entraîner le lecteur vers le fond, vers le point aveugle où l'auteur entend le mener. (Il faudrait essayer de développer cela, cette impression étrange.)
Trois heures. – À Pacy, un gros autocollant circulaire, collé sur la porte d'un salon de coiffure : « Ici, on recycle vos cheveux. » Fugitivement, des visions d'Auschwitz me sont passées devant les yeux.
– D'après l'agente immobilière (?) qui est venue la semaine dernière inspecter notre maison sous toutes ses coutures, celle-ci serait vendable entre cent cinquante et cent soixante-dix mille euros. Nous l'avons achetée cent trente mille il y a plus de vingt ans…
Six heures. – Ce diable de Muray m'a donné – ou redonné – envie d'une plongée dans Céline, en commençant du début, soit par le Voyage. Mais c'est un roman que je ne possède que dans une édition de poche peu attirante. J'aimerais mieux, et de beaucoup, le relire dans son costume Pléiade… mais serait-ce bien raisonnable ? Par une espèce d'ironie du hasard, le seul roman de Céline que je possède dans la Pléiade c'est Féérie pour une autre fois, c'est-à-dire le seul que je n'ai aucune envie de relire. Bref, je suis bien à plaindre, allez !
Vendredi 3
Dix heures. – La petite ville de Bolechow (qui porte aujourd'hui un nom ukrainien différent, mais j'ai la flemme de retrouver lequel…), qui est le centre névralgique du livre de Mendelsohn, se situe en Galicie. Il est donc, assez logiquement, question dans Les Disparus, de Vienne et de l'empire austro-hongrois. Ce qui, ce matin, a fait resurgir – dans mon esprit, mais pas dans le livre – la figure aimée de Joseph Roth, natif lui aussi de Galicie.
– Abraham Jäger, le grand-père maternel de Daniel Mendelsohn, est un personnage central de son livre. Il dit de lui qu'il avait “un instinct impeccable pour le geste approprié, qu'il soit sentimental ou comique”. Du sens de l'humour de son grand-père, il donne un exemple assez frappant.
Abraham Jäger s'est suicidé à 78 ans ; n'ayant jamais appris à nager, il s'est tout simplement jeté une nuit dans la piscine de sa résidence de Miami Beach. Il laissait derrière lui, entre autres, une boite, ou cassette, renfermant divers documents qu'il jugeait importants et que sa fille, Marlene – la mère de l'auteur donc –, ne devait ouvrir qu'après sa mort ; ce qu'elle fit, bien sûr, juste après l'enterrement. La première chose qu'elle trouva fut une feuille de papier qui lui était spécifiquement adressée. Dessus, écrits par son père défunt, elle lu ces quelques mots en guise de préambule : « Bon, Marlene, tout d'abord tu ferais mieux d'arrêter de pleurer, parce que tu sais que tu es moche quand tu pleures. »
Samedi 4
Six heures. – Depuis hier, reprise de nos séances cinéma “en matinée” : deux après-midi consacrés à Denys Arcand, hier Le Déclin de l'empire américain et, tout à l'heure, très logiquement, Les Invasions barbares.
Les Invasions : J'ai beau chercher, je ne parviens pas à trouver un autre film réussissant à être tout en même temps aussi drôle et aussi implacablement triste. Les deux pans de ce diptyque font en tout cas partie des rares films que je puis revoir et revoir encore, sans jamais m'en lasser.
Dimanche 5
Dix heures. – Tourné ce matin la dernière page des Disparus de Mendelsohn. Je sens bien qu'il faudrait écrire, sur le blog-mère, un assez long billet à propos de cet extraordinaire livre, de ce livre à la fois savant, douloureux et paradoxalement très tonique ; ne serait-ce que pour inciter deux ou trois des personnes qui me suivent encore à l'acheter et le lire. Mais je sais aussi que, malgré le désir que j'en ai, je n'y parviendrai pas ; en tout cas pas de manière assez satisfaisante pour le publier. Dans ces conditions, il est sans doute préférable que je m'abstienne. Cela dit, je pourrais peut-être quand même essayer…
Aussitôt après avoir quitté Daniel Mendelsohn et sa cohorte de fantômes, j'ai rouvert, comme prévu, les Terres de sang de Timothy Snyder ; ce qui est une façon d'élargir le champ tout en restant “dans la tonalité”.
Six heures.
– Information prise au passage chez mes analphabètes d'élection : «
États-Unis : des fonds confisqués à un oligarque russe vont être
reversés à l'Ukraine. » Le titre est placé sous la rubrique “Sanctions
économiques” : il me semble que “vol” aurait eu l'avantage d'être plus
concis et mieux adapté à cet acte de piraterie. Un méfait qui, bien
entendu, ne provoquera aucune indignation, puisque c'est de l'argent
pris à un grand méchant Russe pour le donner à de très gentils
Ukrainiens. Le syndrome Robin des Bois mis au goût du temps, en quelque
sorte.
Lundi 6
Six heures. – Une lecture qui en entraîne une autre, puis la suivante : chaîne sans fin. Comme je crois l'avoir noté plus haut, la lecture des Disparus de Daniel Mendelsohn – dans laquelle Catherine est à son tour plongée – m'a fait éprouvé le besoin de rester dans le même ordre de choses mais en “élargissant le champ” ; c'est pourquoi j'ai repris la lecture du Terres de sang de l'historien américain Thimothy Snyder, livre implacablement documenté pour ce qui concerne le, ou plutôt les cauchemars vécus par les habitants de cette immense région d'Europe couverte par la Pologne, l'Ukraine, la Biélorussie et les Pays Baltes, entre 1933 et 1945, sous les assauts alternés, et parfois conjoints, du communisme soviétique et du nazisme hitlérien.
Et voici que, parvenu à peu près à la moitié de ce livre – je viens d'envahir l'URSS et je commence à songer à la Solution finale… –, je me dis qu'il serait dommage et frustrant de m'arrêter net en 1945, sous prétexte de je ne sais quelle reddition allemande. Heureusement, un débouché existe, et il se trouve là, en face de ce bureau, sur le troisième rayonnage de ma bibliothèque “historique” à partir du bas : le livre d'un autre historien, anglais cette fois, Keith Lowe, intitulé L'Europe barbare, 1945 – 1950, et qui traite des séquelles de la guerre tout juste achevée, des sursauts de sauvagerie, des déplacements massifs de populations, etc. ; bref, des convulsions d'où va finalement sortir le monde que j'ai connu, dans lequel je suis né, où j'ai grandi puis vécu, et qui est désormais occupé à agoniser sous mes yeux de plus en plus indifférents.
Mardi 7
Dix heures. – Hier, la cabane à graines des oiseaux a rendu l'âme, après des années de bons et loyaux services. Nous sommes allés en acheter une nouvelle ce matin, profitant de ce que nous devions descendre à Pacy pour autre chose. Ce qui ajoute une dépense supplémentaire pour ce mois, qui en était déjà riche (contrairement à nous, donc). Certes, le mini-silo ne m'a coûté que 39 euros. Certes, certes… Mais je n'ai pu m'empêcher de penser que c'était, à deux ou trois piécettes près, le prix que j'aurais payé pour le Céline en Pléiade que j'évoquais il y a quelques jours… et que, finalement, j'ai viré de mon petit panier Rakuten : être raisonnable à ce point, ça finirait vite par devenir effrayant.
– L'entrée du jour, sur le blog de Valérie Scigala, m'a fait sourire : « Je ne pense pas grand chose du top crop en juin, mais à sept heures du matin en février, avec cinq centimètres de peau à l'air au niveau du nombril, respect. » Voilà qui nous fait un point commun supplémentaire, à Madame de Véhesse et à moi : je ne pense rien non plus du top crop en juin. Ce qui nous différencie, évidemment, c'est qu'elle a l'air de savoir ce que peut bien être cet étrange top crop… dont on ne pense rien en juin, mais qui inspire le respect en février.
Cinq heures. – La “surdité à la langue”, dont j'ai déjà donné ici quelques exemples au fil du temps, frappe même, parfois, ceux qui sont réputés pour la manier parfaitement. Dans une chronique d'Angelo Rinaldi consacrée à Witold Gombrowicz, je tombe sur ceci : « […] il affabule et parfois délire autant dans ses romans que dans son journal. » Non, non et non ! Il est parfaitement normal, admis, courant qu'un auteur “affabule” dans un roman ; en revanche, dans son journal, on s'attend à ce qu'il s'en tienne strictement aux faits, aux événements réels. Par conséquent, il aurait convenu d'écrire : « Il affabule et parfois délire autant dans son journal que dans ses romans. »
– Comparaison vertigineuse (n'ayant rigoureusement rien à voir avec celle de Rinaldi qui précède) : durant l'automne 1941, dans la partie ouest de l'URSS que venaient d'envahir les armées du Reich, il mourait chaque jour autant de prisonniers de guerre soviétiques qu'il n'est mort de prisonniers anglais et américains durant toute la Seconde Guerre mondiale.
Et
je me rends compte, me relisant, que l'adjectif que j'ai employé,
“vertigineuse” n'est même plus adapté à la situation. Pour qu'il y ait
vertige – et je sais de quoi je parle ! –, il importe qu'il existe
encore quelque chose comme une commune mesure. Si vous placez une
personne sujette au vertige au bord d'un précipice de cinquante mètres,
elle va être la proie d'un trouble qui peut être violent. Mais
faites-la monter à cinq mille mètres, le vertige disparaîtra aussitôt,
faute de repères, par défaut d'échelle. Peut-être simplement parce que,
si le vertige est une attirance morbide pour le vide, la notion même de
“vide” est supprimée, à de telles altitudes. Il doit en aller un peu de
même – mais évidemment sur un autre plan – dans l'exemple que j'ai
donné.
Mercredi 8
Onze heures. – Ce livre de Timothy Snyder, Terres de sang, j'aurais dit, si quelqu'un m'avait posé la question, l'avoir lu il y a trois ou quatre ans – cinq, à la rigueur. Ayant eu la curiosité de chercher si je lui avait consacré un billet sur le blog-mère – j'en ai même écrit deux –, j'ai pu constater, un peu effaré, que ma première lecture remontait à plus de dix ans.
Relire le premier de ces billets m'a permis de (re)découvrir que Finkielkraut avait consacré l'une de ses Répliques de France-Culture à Snyder ; émission que je me propose (et la proposition a immédiatement été agréée) de récouter cet après-midi.
Jeudi 9
Midi. – Joie, bonheur et opulence : je viens de constater que ma retraite “ordinaire” venait d'être augmentée… de treize euros. En revanche, celle des cadres est restée inchangée : z'ont toujours été un peu pingres, les frangins AGIRC et ARRCO (qui, en plus, ne s'appellent plus comme ça).
Six heures. – Nous avons, cet après-midi, poursuivi notre mini-cycle Denys Arcand avec L'Âge des ténèbres, film funèbrement réjouissant, burlesquement dépressif ; mais qui, tout de même, ne parvient pas tout à fait à se hisser au niveau du Déclin ni des Invasions.
– Il es intéressant de noter, comme le fait Snyder dans le dernier chapitre de son livre, que c'est dans la Pologne communiste, celle de Gomulka, qu'il est devenu de règle, après la Guerre des six jours, d'identifier Israël à l'Allemagne hitlérienne et le sionisme au nazisme. Dès avant cette époque, d'ailleurs, en Russie d'abord, en Pologne ensuite, le sionisme était devenu (avec le “cosmopolitisme”), le faux nez de l'antisémitisme… comme il l'est encore aujourd'hui chez nos vertueux progresso-gauchistes.
Vendredi 10
Onze heures. – Le tire stupide du jour, pondu par mes analphabètes habituels : « Réforme des retraites : Emmanuel Macron souhaite que les manifestations ne bloquent pas le pays. » Ce qui s'appelle “titrer pour ne rien dire”. La véritable et intéressante information aurait été de nous révéler que le président de la République souhaitait ardemment la paralysie totale de la France. Toujours la vieille histoire de l'intérêt des trains partant et arrivant à l'heure.
– Je me suis finalement décidé, juste avant de venir ici, à écrire un billet pour le blog-mère, à propos de mes récentes lectures, toutes plus ou moins liées entre elles, depuis Les Chuchoteurs de Figes jusqu'à L'Europe barbare de Lowe. Billet superficiel, survolé, trop rapide – sans réel intérêt, autre que celui de signaler l'existence des quatre livres que j'évoque.
–
Il me semble qu'à un rythme de plus en plus rapide nos amies féministes
se transforment en créatures proprement répugnantes, uniquement avides
de lois toujours plus répressives – sauf pour elles –, de condamnations
chaque jour un peu plus sévères, de lynchages publics sans jugement sur
la seule foi de leur parole, à la seule clameur de leur indignation.
Mais c'est peut-être une idée que je me fais.
Samedi 11
Une heure.
– Une chose est sûre : les lectures du genre de celles dont j'achève en
ce moment le cycle ne sont nullement propres à raffermir la foi que
l'on a dans l'humanité ; surtout chez les lecteurs chez qui elle était
déjà fortement vacillante. Les hommes font penser à un meuble en bois
blanc qu'on aurait entièrement recouvert d'une laque brillante : pour
qui le découvre du regard, il semble magnifique et précieux ; mais qu'on
s'avise d'en gratter un peu la surface, on retrouve tout de suite le
bois blanc.
Lundi
13
Dix heures. – Running gag. Ou, si l’on préfère le latin à l’anglois : bis repetita placent. Hier soir, sur les coups de neuf heures, au beau milieu d’un épisode de la série Blacklist… nouveau coma de Dame Ternette ! Comme de juste, ce matin, les agents Orange nous annoncent qu’ils sont déjà au taquet et que la liaison devrait être rétablie dans une semaine, bien évidemment “en fin de journée”. Bref : la routine.
Une fois de plus, je me suis
dit ce matin que j’étais finalement bien heureux que les pannes en question se
produisent maintenant plutôt qu’il y a sept ou huit ans. Car, dans ce cas,
elles m’auraient contraint à me rendre à Levallois tous les jours au lieu de
travailler d’ici.
Trois heures. – Soleil dictatorial et pas de vent : un tour de village charlusien s’imposait, et a donc été effectué. Au retour, soulevé par un invraisemblable courage, j’ai empoigné l’échelle et fait le tour des divers nichoirs du jardin (celui “du cerisier”, ceux du “petit” et du “grand volet”, celui “de la corde à linge”, pour ceux que la toponymie conjugale intéresserait…), afin de les débarrasser des vieux nids de mésanges du printemps dernier. Satisfaction de n’avoir découvert aucun oisillon mort nulle part, ce qui arrive certaines années.
– Ensuite, j’ai lu les ultimes pages de L’Europe barbare. Fin du cycle guerrier ? Pas vraiment, puisque j’ai prévu de lire le roman de Constantin Simonov, Les Vivants et les Morts (titre qui, du reste, pourrait s’appliquer à l’ensemble du dit cycle), et que, en “complément de programme”, je viens de ressortir de mon placard-à-Russes les Carnets de guerre de Vassili Grossman.
– Jeudi, journée Desgranges. J’espère que Michel ne sera pas amené à annuler les festivités d’ici là, car, privé d’internet et de téléphone, je serais dans l’incapacité de le savoir, et ferais alors un aller-retour pour rien. Ce qui, après tout, ne représente jamais que 170 km. Mais je crois bien me souvenir que, lors du précédent coma internétien, j’avais pu accéder à ma boitamel en passant par le téléphone bouyguoïde de Catherine : on verra à renouveler ce miracle jeudi matin avant de prendre la route.
Mardi 14
Deux
heures. – Que faire quand on est en deuil de Dame Ternette, à part
le fameux “travail” du dit deuil ? La réponse est évidente : les
courses de la semaine. Et c’est ce que nous fîmes, sitôt la dernière bouchée du
déjeuner avalée.
– Catherine arrivant au bout des Disparus de Daniel Mendelsohn, je lui ai conseillé, comme “lecture de suite” les Terres de sang de Timothy Snyder plutôt que L’Europe barbare de Keith Lowe qu’elle avait d’abord eu l’intention de lire. Et ce, afin de rester “dans l’ambiance”.
– Quant à moi, j’ai lu ce matin
une petite centaine de pages des Vivants
et les Morts de Constantin Simonov ; lecture qui me ramène en Russie
en l’année 1941. Je sens que l’auteur ne va pas résister au plaisir de
m’emmener jusqu’à Stalingrad ; et je sais déjà que me retrouver là va
immanquablement me donner l’envie de repiquer au Vie et Destin de Vassili Grossman : y céder serait sans doute
un peu vain, dans la mesure où je l’ai bien dû lire trois fois, ce somptueux
roman. D’un autre côté, cela dérangerait qui, si je le lisais une quatrième ?
Cinq heures. – J’apprends par Catherine qu’au Canada les diabétiques peuvent obtenir de leur médecin une ordonnance de façon à pouvoir entrer gratuitement dans les musées. J’ai beau chercher à faire sur cette bouffonnerie un commentaire ironique, rien à faire, j’en reste coi.
Mercredi
15
Deux heures. – Une idée m’est venue, sous forme de question : dans la mesure où les infirmes sont désormais des handicapés, ne serait-il pas grand temps que les infirmières devinssent des handicapières ?
– Poursuite de la lecture du
roman de Simonov, dont j’ai dû lire environ un tiers des six cents pages. C’est
un excellent roman de guerre ; mais qui, il fallait s’y attendre, est
loin, fort loin d’égaler le Vie et Destin
de Grossman.
– Demain – mais je l’ai déjà noté, je crois bien –, journée desgrangienne (ou desgrangesque, au choix du client). Avant de partir, je demanderai à Catherine, via son téléphone magique, d’accéder à ma boîte Orange, afin de voir si, par hasard, Michel n’aurait pas subitement décommandé notre déjeuner : inutile de faire 170 km pour rien, la planète risquerait de ne jamais s’en remettre, sensible comme on la sait à nos micro-déplacements, nos petites activités de fourmis.
Samedi
18
Une heure. – Bon, ce n’est pas parce que Dame Ternette prolonge inconsidérément sa sieste qu’il faut négliger ce journal, hein ! D’un autre côté, étant complètement coupé du monde extérieur et passant ma journée dans les livres, que pourrais-je bien noter ici, à part le temps qu’il fait ou ne fait pas ?
– Michel, avant-hier, me
faisais remarquer que Valeurs actuelles
ressemblait de plus en plus à France
Dimanche, par sa façon de s’emparer d’un petit fait insignifiant et de le
gonfler jusqu’à la démesure afin de le transformer en un véritable “phénomène
de société” se pavanant sur deux voire quatre pages pleines. Feuilletant
davantage que lisant les trois ou quatre numéros donnés par lui, j’ai pu
constater qu’il avait entièrement raison. C’est même sans doute la raison –
bien qu’inconsciente jusqu’alors – pour laquelle, depuis déjà un moment, j’y
lisais de moins en moins d’articles, me contentant le plus souvent du “chapeau”
suivi d’un distrait survol.
Le même Michel m’a vivement conseillé de me plonger dans les écrits de Rousseau (pas Sandrine, Jean-Jacques), chose que, à l’exception des Confessions et des Rêveries, j’ai toujours négligé de faire. Je n’ai rien contre ; mais, pour passer à l’acte, il faudrait déjà que je récupère un accès quelconque aux sites des marchands de livres.
Cinq
heures. – Poussé par je ne sais quel petit démon, j’ai repris le Répertoire des délicatesses du français
contemporain de Renaud Camus. Comme si je n’étais pas déjà suffisamment
maniaque de ce côté-là ! Je me fais un peu l’effet d’être ce type qui,
ayant une dizaine de kilos en trop, déciderait de combattre son excès de poids
par un régime à base de sucre et de graisses…
Dimanche
19
Deux heures. – Il est bien plaisant, le livre de Camus que j’évoquais hier ; surtout en ceci qu’il permet de “débattre” avec l’auteur. Car si je suis d’accord à 95 % avec ce qu’il y dit, il y a les 5 % restants. Par exemple, je trouve qu’il a bien raison de nous mettre en garde contre ces expressions toutes faites que l’on utilise à contresens faute d’être encore capable de les comprendre : ainsi de faire long feu. En revanche, je constate que, tout en procédant à cette mise en garde, il emploie, lui, et à plusieurs reprises, l’expression se répandre comme une traînée de poudre qui, telle quelle, n’a aucun sens : s’il y a une chose qu’une traînée de poudre est bien incapable de faire, la malheureuse, c’est de se répandre. En revanche, il est ou il serait tout à fait juste de dire qu’une rumeur s’est répandue comme le feu sur une traînée de poudre. Mais il faut bien reconnaître que, dans ce cas, l’image devient un peu longuette.
Parfois, ce n’est pas de
contredire l’auteur qu’il s’agit, mais seulement de préciser son propos (de l’enrichir, dirions-nous si nous étions
plus prétentieux). À la rubrique “Imbroglio”, Camus traite de la prononciation
de ces mots arrivés tout droit d’Italie et qui comporte le groupe de lettre gli. On sait qu’en italien le g, alors, s’écrit mais ne se prononce
pas. Ainsi devrait-on normalement appeler Modiliani
le peintre Modigliani. Mais Camus fait observer que ce peintre étant devenu
presque français il est finalement admissible d’avoir en quelque sorte
naturalisé la prononciation de son nom. Et il ajoute ceci :
« Pour imbroglio il en va presque de même. Ce mot est parmi nous depuis si longtemps (on le relève chez Bossuet) qu’on est bien excusable de le traiter comme un Français. On montre seulement, ce faisant, qu’on ne sait pas l’italien (à moins qu’on ne soit d’une rare délicatesse, et que l’on cache ses connaissances linguistiques). »
Il y a, ce me semble, une
troisième attitude possible, et il se trouve que c’est la mienne : celle
de quelqu’un qui, tout en ignorant l’italien, sait fort bien que le g de gli
ne s’y prononce pas, mais qui, nonobstant, choisit délibérément de le prononcer
quand même – ne serait-ce que dans le but d’être compris de son interlocuteur
éventuel. C’est d’ailleurs pour la même raison que je parlerais de mon séjour
au Val d’A-oste, et non au Val d’Oste comme je sais très bien que je devrais
le faire. Par chance, je n’ai jamais foutu le pied au Val d’Aoste, ce qui m’en
ôte une sacrée épine.
Cinq heures. – Je termine à l’instant la lecture des Vivants et les Morts de Constantin Simonov : c’est un bon mais non un grand roman. Il est surtout un peu curieux et frustrant, dans la mesure où, après six cents pages serrées, il reste comme suspendu, inachevé ; donnant l’impression que son auteur en a soudain eu assez, qu’il a reculé devant les deux ou trois cents pages à venir et qu’il s’est contenté de poser le point final là où il était rendu. Et le fait d’avoir remplacé ce point final par des points de suspension dit assez que, normalement, son roman aurait bel et bien dû être prolongé… et conclu.
Mais enfin, me voilà mûr pour replonger dans Vie et Destin.
Lundi 20
Onze
heures. – Ce matin, tout le Plessis était pris dans une gangue de
brouillard épais et rigoureusement immobile. Chien et chat nourris,
lave-vaisselle vidé, premier café bu, je m’installe dans mon fauteuil et ouvre Vie et Destin à sa première page. Mes
yeux déchiffrent la phrase d’ouverture de cet immense opéra : « Le
brouillard recouvrait la terre. »
Une première phrase presque miraculeuse, tant elle semble, dans sa simplicité et sa brièveté, résumer la totalité de ce puissant roman ; moins les nombreux traits de lumières – lumière cruelle ou lumière de bonté, tour à tour, voire intimement mêlées – qui vont sans cesse, par intermittence rapprochée, déchirer fugitivement mais intensément ce brouillard primordial.
– Pendant ce temps, se sentant
une soudaine envie de renouer avec Balzac, Catherine m’a demandé tout à l’heure
de lui rapporter de la Case La Cousine
Bette ; ce que je me suis empressé de faire, on s’en doute.
– Dame Ternette, elle, est toujours aux abonnées absentes…
Mardi 21
Trois
heures. – Plaisanterie désormais rituelle. Ce matin, sur le
téléphone de Catherine, message d’Orange : « La panne rencontrée étant
plus grave que prévue, bla bla bla… » Bref, notre reconnexion, qui devait avoir
lieu aujourd’hui, est repoussée à lundi prochain, bien entendu “en fin de
journée”. Aucune surprise de notre part, comme on se doute.
– Ayant besoin d’une lecture d’appoint, non romanesque, à Vie et Destin, mes yeux sont tombés sur le volume “Bouquins” contenant les Mémoires de Viel Castel (Horace de), relatifs au Second Empire – du moins à ce qu’il en a connu, étant mort en 1864 : je les ai illico rapportés à la maison.
Mercredi
22
Deux heures. – En octobre et novembre 1854, Viel Castel parle beaucoup, évidemment, de la guerre de Crimée qui vient de s’engager. Sa relation du siège de Sébastopol m’a soudainement ramené quelque soixante ans en arrière (non en arrière du siège en question : en arrière d’aujourd’hui…), c’est-à-dire à l’époque où j’ai vu le téléfilm qui avait été fait, en cette première moitié des années soixante, à partir de L’Auberge de l’ange gardien de la comtesse de Ségur.
(On ne disait pas “téléfilm”,
alors, mais “dramatique” ; sauf que je serais incapable de dire si le mot
s’appliquait aussi aux œuvres de fiction pour enfants. Bref…)
On se souvient que le ressort de l’œuvre est constitué par l’erreur du général Dourakine qui, arrivant sans la petite ville où tout se passe (Angers ? Privé d’internet, impossible de vérifier…) descend non à l’Auberge de l’ange gardien qu’on lui a recommandée, mais en l’établissement concurrent, nettement moins reluisant, tenu par deux frères, dont l’un est une authentique crapule. Je me souviens fort bien que ce rôle de la crapule précitée était tenu par Jacques Dufilho ; et il me semble – mais je suis déjà moins affirmatif – que celui de Dourakine était échu à Michel Galabru.
Je me rappelle aussi avoir, peu
de temps après cette diffusion, demandé à mes parents de m’acheter le livre
correspondant, lequel était justement illustré par des photos de la dramatique
que j’avais vue et aimée ; achat qui m’avait été accordé : si ça se
trouve, le livre en question est peut-être toujours chez ma mère.
– Quelques pages plus avant dans les Mémoires du même Viel Castel (qui, du reste, sont davantage un journal que des mémoires), apparaît le sculpteur Jean Goujon ; lequel a aussitôt fait resurgir la personne de Guy Goujon, qui était, à mon arrivée au journal en 1982, le “vieux” directeur de France Dimanche. Si j’ai mis vieux entre parenthèses c’est qu’il devait avoir alors environ dix ans de moins que mon âge actuel. C’était un homme qui n’abusait nullement de cette arme que l’on appelle l’intelligence, et qui prenait bien garde de ne jamais faire preuve de plus d’esprit que le moins pourvu en ce domaine de ses subordonnés.
Un jour, au milieu de la grande
salle de la maquette, visiblement assez content de sa découverte, ce Goujon me
lance : « En somme, Monsieur Goux,
vu votre nom et le mien, vous êtes la moitié de moi ! » Et moi, dans la seconde :
« Ah ! Monsieur le directeur,
être la moitié de vous est déjà une fort belle chose pour un gratte-papier de
ma sorte ! » Les rires qui se firent entendre furent-ils pour sa
plaisanterie ou pour ma repartie ? Je suppose que nos deux opinions à ce
sujet sont toujours restées divergentes.
Je me demande quelles autres “boîtes à souvenirs” Viel Castel va se montrer encore capable de me faire ouvrir dans les années qui me restent à lire de ses mémoires…
Cinq
heures. – Mon Goujon de tout à l’heure (mon “double”, donc…), je
l’ai revu pour la dernière fois au début des années 2010, à France Dimanche, à
l’occasion d’un “pot” de départ en retraite – ce devait être celui de Pierre
Lachkareff, mais je n’en mettrais point ma tête sur le billot. Bien entendu,
Goujon était lui-même en retraite depuis un petit paquet d’années. Ce jour-là,
sur le même ton de fierté un peu enfantine qu’il m’aurait annoncé l’obtention
toute récente d’une Légion d’honneur voire d’un prix Nobel, il tint à me faire
savoir qu’il venait d’avoir 90 ans. Je dois reconnaître qu’il les portait fort
allègrement, ce qui ne devait pas l’empêcher de mourir un ou deux ans plus
tard, si la mémoire ne me faut.
Pour ce qui est du Lachkareff rapidement évoqué ci-dessus, que j’aimais bien, nous avions lui et moi un point commun que nous ne partagions avec nul autre en ces lieux : celui d’être issus (et diplômés, je vous prie !) du CFJ. Nous supportions donc le poids d’être la honte de cette prestigieuse école – prestigieuse, je le crains, uniquement aux yeux de ses fondateurs et dirigeants – puisque, au lieu de nous élever vers les sommets du journalisme, à quoi nous prédestinaient nos glorieuses études, nous nous vautrions dans la fange de la “presse de caniveau”, sans même avoir la pudeur d’en afficher du remords.
Et, parlant de lui, je me
demande si Pierre est toujours de ce monde. Je n’ai évidemment aucun moyen de
le savoir, les liens que nous pensons tisser dans le cours de la vie n’étant
rien de plus que de vagues et passagères fumées. Où sont les gracieux galants / Que je suivais au temps jadis ?
Sinon, tout va bien. Il pleut.
Jeudi 23
Cinq
heures. – Pas grand-chose à retenir de cette journée. La matinée
fut plus ou moins dépensée à pousser des chariots dans les allées de divers
hangars à bouffe. Pendant ce temps, le prince charmant s’épuisait à rouler des
pelles royales à Dame Ternette, qui n’a pas pour autant daigné sortir de sa
léthargie. Cet après-midi, nous sommes allés photographier (surtout Catherine…)
des vaches dans un champ voisin. Sur le chemin qui conduisait à ces aimables
bovidés broutant, j’ai bien sûr délaissé
Charlus, qui en a aussitôt profité pour aller gambader dans le dit champ… et
pour se rouler dans une grosse bouse tout frais pondue ; ce qui lui a valu
une douche et un shampoing au retour. Le reste du temps, j’ai fait des
aller-retour d’un camp d’internement soviétique à un läger nazi sur les traces de Vassili Grossman, l’un des meilleurs
guides qui soient en ces domaines.
J’ai aussi rempli deux ou trois cases de sudoku niveau 4.
Vendredi
24
Cinq heures. – Elles sont tout de même bien étranges, ces pannées d’internet que nous subissons régulièrement depuis environ trois mois maintenant. Nous avons entendu émettre deux ou trois explications, dont aucune ne semble vraiment convaincante.
Pour notre voisin d’en face, ce
serait les Roms, provisoirement installés non loin d’ici, qui arracheraient
pour les revendre les fils de cuivre. J’ai un peu de mal à y croire. Non pas
que je mette en doute la capacité de ces sympathiques populations itinérantes à
voler tout ce qui peut l’être, mais enfin, pourquoi aussi soudainement ?
Depuis vingt ans que nous vivons ici, ces braves Roms ne se seraient jamais
avisés de la présence du cuivre tentateur et, d’un coup, se seraient mis à les
arracher une fois par mois, sans que personne ne s’en émeuve plus que cela ?
Hum…
Pour Madame Husky, toutes les perturbations seraient provoquées par les équipes qui sont en train d’installer la fibre dans le secteur. Il faudrait alors supposer soit que les dites équipes travaillent comme des sagouins et creusent le sol sans se soucier de ce qu’ils peuvent arracher au passage, soit – plus machiavélique ! – qu’ils coupent sciemment toute liaison existante afin de se faciliter la tâche. Cette dernière éventualité ne tient pas car, en cas de coupure volontaire, on suppose que la liaison serait rétablie le vendredi soir, les ouvriers ne travaillent évidemment pas le week-end.
L’explication précédente ne
tient pas davantage. Car, enfin, pourquoi tous ces incidents que nous subissons
nécessiteraient-ils chaque fois au
moins une semaine – cette fois-ci, ce sera même deux… – de réparation avant que
la situation redevienne normale ?
Si j’étais journaliste, je ferais bien une petite enquête là-dessus…
Samedi
25
Deux heures. – Je viens de constater une chose : à ce jour, je ne sais toujours pas si, parlant d’un travail bâclé, on doit dire qu’il a été fait par-dessus la jambe ou, au contraire, par-dessous.
– D’autre part une question
m’est venue. Chacun sait bien que, quand nous parlons, nos auditeurs entendent
une voix tout à fait différente de celle que nous percevons nous-mêmes. Dans
ces conditions, comment font les imitateurs pour être certains qu’ils tiennent la voix de leurs victimes,
alors qu’ils ne peuvent se rendre compte de ce que le public entendra ? On
me dira : le magnétophone. Mais je suis bien sûr qu’il existait des
imitateurs avant que l’on ne mette ce type d’engins au point.
– Enfin, ce matin au réveil, repensant à nos pannes mystérieuses d’internet, il m’est apparu que j’avais négligé la plus simple des explications : que les agents Oranges soient nettement moins nombreux que les problèmes se posant à eux, et qu’il y ait donc, en quelque sorte, des listes d’attente, des chantiers en souffrance. Explication d’autant plus convaincante en ce moment que nous sommes en pleines vacances scolaires et que trois agents sur dix doivent être occupés à gravir puis redescendre des pentes enneigées en je ne sais quelles hideuses stations dites “de sports d’hiver”.
En attendant leur retour, je m’habitue gentiment au fait de parler tout seul et d’être privé du flot continu de conneries plus ou moins asilaires dont je faisais avant, du temps d’internet, ma pâture journalière.
Dimanche 26
Six
heures. – Terminé Vie et
Destin il y a une couple d’heures. C’est très probablement l’un des deux
grands romans russes du XXe siècle – l’autre étant Le Maître et Marguerite de Boulgakov (mais il est vrai que je suis
loin d’être un spécialiste de la littérature russe du XXe siècle…). Je ne
compte pas abandonner Grossman pour autant, puisque le volume “Bouquins” de ses
œuvres contient en outre huit nouvelles – elles aussi remarquables – ainsi que
son roman “testament” : Tout passe.
Cela dit, ce bon Vassili m’est, tout à l’heure, devenu source d’irritation. Ce
qui justifie un changement de paragraphe.
On sait (ou on ne sait pas, en ce cas on s’apprête à l’apprendre) que ce roman, Vie et Destin, devait être, dans l’esprit de son auteur, la suite d’un premier qui fut publié en URSS et intitulé Pour une juste cause. Mais, entre les deux, Vassili Grossman avait accompli une sorte de métamorphose intellectuelle et spirituelle (que je n’essaierai pas de démêler ici : qu’on lise la préface du volume Bouquins de Tzvetan Todorov) qui a fait de l’auteur soviétique qu’il était un grand écrivain russe. Le résultat, d’après les vrais connaisseurs de l’œuvre, est que, même s’il reprend quelques-uns des personnages du premier roman, le second n’a plus rien à voir avec lui, se situe résolument dans une autre sphère mentale et créatrice. Au point que j’ai toujours été bien persuadé que Pour une juste cause n’avait même jamais été traduit en français.
Or, traduit, il l’a bel et bien
été ! En 2000, aux éditions L’Âge d’Homme. D’où mon irritation. Car je
sais très bien que, dès la sortie de coma de Dame Ternette, je n’aurai rien de
plus pressé que de le trouver, l’acheter et le lire. Une lecture qui – je me
connais – risque fort de me pousser… à relire Vie et Destin qui lui fait suite. Cycle infernal ou je ne m’y
connais pas !
En attendant, pour rester dans une ambiance russe, j’écoute la onzième symphonie du camarade Chostakovitch.
Lundi 27
Une heure. – Dame Ternette était prévu pour se réveiller aujourd’hui en fin d’après-midi. Comme de juste, dès le milieu de la matinée, un message est venu avertir Catherine que “la panne étant plus importante que prévue, gna gna gna”, le réveil en question était reporté au premier mars, soit après-demain. Comme, cette fois, le report n’est pas d’une semaine complète mais de seulement deux jours, Catherine veut y voir comme une promesse de sérieux : je la trouve bien optimiste.
– Terminé les nouvelles de Grossman, commencé Tout passe.
Mardi 28
Cinq heures et demie. – Eh bien ! il s'en est fallu de peu que nous ne terminassions ce mois de février auprès d'une Dame Ternette toujours comateuse ! Mais, apparemment, les agents Orange ont eu à cœur de nous la rendre avant que mars ne déboule.
– La deuxième nouvelle, qui va stupéfier le monde, est que nous avons tout à l'heure, Catherine et moi, décidé de me faire sauter à pieds joints dans le XXIe siècle.
En me nantissant d'un téléphone portatif dernier modèle.
Mes douze lecteurs ont un mois, à compter de demain matin sept heures, pour dégiérer ce scoop retentissant.
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