DONALD & WINSTON
mardi 1er
Neuf heures et demie. – Nous sommes toujours dans notre gîte perdu, Dame Ternette est toujours muette. « Travaux en cours », affirme-t-on péremptoirement chez Orange ; ce qui, un matin de Toussaint, m’étonnerait tout de même un peu.
– Catherine et moi sommes, depuis hier, inconditionnellement westlakiens (ou westlakistes ?) : elle lit Dégâts des eaux que je lui ai abandonné, et moi Au pire, qu’est-ce qu’on risque ?. À intervalles réguliers, chacun dans son fauteuil attitré, l’un de nous émet un petit rire ravi…
Pendant ce temps, je suppose que le monde continue de tourner et de charrier ses tombereaux de sottises – mais nous n’en savons rien et, pour ma part, je ne songe pas (encore) à m’en plaindre.
Six heures. – Presque terminé le second roman de Westlake se trouvant disponible ici. Et il y a fort peu de chances – la perfection n’est pas de ce monde – que Herr Momosque me livre dès demain matin les deux que je lui ai commandés. Il y avait donc un “pont” à prévoir. Comme je tenais à rester, pour éviter les embardées romanesques trop violentes, à rester dans une ambiance foutraco-new-yorkaise, je me suis vite rendu compte que je n’avais qu’une seule possibilité : Chester Himes. Je viens de ressortir son volume Quarto Gallimard.
Mercredi 2
Trois heures et demie. – Depuis avant-hier, donc, nous sommes presque coupés du monde, suite à la défection de Miss Orange. Mon “presque” était justifié par le fait que, le téléphone portatif de Catherine dépendant de Bouygues, il nous restait ce mince fil-là.
Or, ce matin, partant aux provisions hebdomadaires, que vîmes-nous, à l’entrée de Saint-Aquilin, au bas de la côte de la déchetterie qui conduit chez nous ? Deux véhicules estampillés Bouygues garés sur le bas-côté. Et, à quelques mètres de là, six ou huit gilets orange qui contemplaient une sorte de grosse boîte électrique fichée dans le sol d’un air, sinon perplexe, du moins légèrement dubitatif.
Bien entendu, lorsque nous fûmes de retour à la maison et que Catherine voulut se servir de son téléphone, celui-ci lui refusa tout service. L’isolement total gagnait du terrain, si je puis dire.
Il ne manquerait plus que Soraya et le lecteur de DVD tombent en panne.
Je le dis à aussi basse voix que possible afin de ne pas tenter le sort…
Jeudi 3
Dix heures. – Miss Orange s’enfonce dans sa bouderie : le rétablissement des circuits qui nous était d’abord promis pour le 7 novembre (en fin de journée) vient d’être repoussé au 11 (toujours en fin de journée). Comme si les employés de maison de la Miss allaient travailler un 11 novembre pour nous servir…
Côté Bouygues, l’affaire s’est plus ou moins arrangée. Si je dis “plus ou moins” c’est que Catherine peut certes utiliser de nouveau son téléphone, mais seulement en dehors de la maison. Cela lui a au moins permis de rassurer Nicolas, légèrement inquiet de notre conjoint mutisme.
Enfin, en gros, nous sommes toujours coupés du monde immatériel, ce que Catherine aurait tendance à prendre un peu moins bien que moi, qui passe les heures en compagnie de Chester Himes et de ses deux flics de Harlem : Fossoyeur et Ed Cercueil ; en attendant que Herr Momosque veuille bien escorter Donald Westlake jusqu’ici.
– J’ai au moins un point commun avec Léon Daudet : lorsqu’il déjeune ou dîne dans un restaurant “à prétentions”, il exige que le vin soit posé sur la table et non versé à mesure “comme pour des enfants”. Ainsi avais-je coutume de faire également lorsque nous fréquentions encore les gargotes étoilées. Comme nous buvions surtout du vin blanc, nécessitant d’être gardé au frais, je demandais, moi, à ce que le seau à glace soit disposé à portée de ma main gauche ; ce qui avait toujours l’air de surprendre le personnel, voire, dans certains cas, de légèrement le froisser.
Quatre heures. – Descendu à Pacy pour y faire quelques visites commerçantes (pharmacie + “Madame légumes”…), je suis passé au garage dit “de la patte d’oie”, voir si, par hasard, un paquet ne m’y attendrait point, puisque je n’ai plus le moyen de savoir si on m’en a averti par himmel. Effectivement, se trouvait arrivée la très volumineuse biographie de Churchill (1300 pages format “non poche”). La personne qui se trouvait là m’a appris que les gens comme elle, abonnés à SFR, rencontraient les mêmes problèmes que les Bouygheurs et les Orangistes. Il s’agit donc d’un problème assez nettement général. D’après cette même dame – avis à prendre évidemment avec toutes les pincettes possibles –, le pataquès viendrait de l’installation récente de la fibre (?), laquelle aurait été sous-traitée à des gougnafiers spécialisés dans le boulot d’Arabe (l’expression est de moi et non d’elle : n’allez pas, chers cafards progressistes et vertueux, lui faire des ennuis à cause de moi !), qui auraient considérablement merdoyé. Il me reste à souhaiter que mon infortuné vendeur du Churchill n’attende pas après son argent pour nourrir sa famille aux abois car tant que Dame Ternette restera dans le coma je n’aurai aucun moyen de m’acquitter auprès de lui.
Voilà où nous en sommes.
Cinq heures et demie. – Dame Ternette vient d'être amenée en salle de réveil ! Il me reste donc à relire et à publier le journal d'octobre : j'espère qu'il n'aura pas eu le temps d'attacher au fond de la casserole…
Vendredi 4
Six heures. – Tellement surpris par le réveil prématuré de Dame Ternette que je n'ai même pas eu la présence d'esprit, avant ce soir, de venir nourrir ce pauvre journal. Il est vrai que je n'aurais pas eu grand-chose à y noter, ayant passé le plus clair de la journée à lire l'épaisse biographie de Churchill, arrivée ici il y a deux jours. Et puis, quoi, c'est comme beaucoup de choses, internet : ça paraît hautement désirable quand on en est privé (et encore…), et nettement moins dès lors qu'on y a de nouveau accès.
Samedi 5
Dix heures. – L'éco-démence en action. Hier, Catherine se rend sur Papilles et pupilles, un site de cuisine qu'elle visite régulièrement pour y puiser des idées de menus. Je ne sais plus quelle était la recette du jour, mais enfin il s'agissait d'un plat qui réclamait d'être cuit au four durant une heure. En commentaire, une quelconque greluche climatique regrettait fort de ne pas être en mesure de réaliser la recette en question. La raison ? Elle s'interdisait désormais de faire fonctionner son four durant plus d'une demi-heure… “pour sauver la planète”. Du coup, je me demande si, pour compenser, je ne vais pas ouvrir toutes les fenêtres de la Case durant une demi-heure, en laissant les radiateurs fonctionner.
– Poursuivant ma lecture de la biographie de Churchill, je me demandais si l'on pouvait trouver son équivalent français sur un point précis, à savoir un homme politique de haut niveau qui aurait quitté les conservateurs pour passer au parti libéral, avant de revenir au parti conservateur, sans que sa carrière au sommet de l'État ne souffre de façon durable de ces “retournements de veste”. A priori je n'en vois pas, mais il est vrai que je ne suis guère ferré sur ces questions.
C'est d'autant plus étonnant, dans le cas de Churchill, que ces “passages de la ligne” ne sont nullement accomplis dans la discrétion. Ainsi, au tout début du siècle, lorsqu'il “trahit” le parti Tory au profit des libéraux, il se met aussitôt à multiplier les discours enflammés contre ses anciens amis, ainsi que contre la chambre des Lords où siègent pourtant de nombreux membres de sa famille, de celle de sa femme et de la belle-famille de son frère Jack. Le calcul n'est d'ailleurs pas mauvais puisqu'il se retrouve bientôt ministre de l'Intérieur (à 35 ans à peine) puis Premier Lord de l'Amirauté (c'est-à-dire ministre de la Marine) moins de deux ans plus tard ; poste où il va réaliser plusieurs prodiges et qu'il occupera encore au moment de l'entrée en guerre d'août 1914.
Six heures. – Reçu au courrier les deux romans de Donald Westlake dont j'espérais la venue. Pour fêter dignement leur arrivée, je viens d'en commander cinq autres du même.
Dimanche 6
Dix heures et demie. – Nous avons, hier soir, “bouclé” la quatrième saison de Sur écoute (The Wire), qui est décidément la meilleure série policière que l'on puisse voir sur un écran de télévision ; la plus intelligente, la plus réaliste, la mieux écrite, la mieux rythmée, etc. Avec, surtout, des personnages extrêmement attachants, subtilement construits, qui ne sont jamais, ou presque jamais, totalement “bons” ni totalement “méchants”. Bref : un genre de chef-d'œuvre.
Pour ce qui est de la saison cinq et dernière, il va nous falloir patienter un peu. Le coffret que nous en possédons présente un disque fortement rayé, si bien que les épisodes avant-dernier et anté-pénultième se refusent à toute vision, ce qui est très frustrant. J'ai donc décidé de racheter la saison entière. Le premier vendeur à qui j'ai passé commande, sur Rakuten, a dans un premier temps confirmé la vente… avant de se défausser quelques jours plus tard, pour une raison qui restera inconnue. J'ai donc, il y a trois jours, passé commande du même produit à un autre vendeur… lequel semble s'être mis aux abonnés absents car il n'a toujours rien confirmé. Il y aurait comme un genre de malédiction sur la dernière saison de cette série que je n'en serais pas autrement surpris…
Lundi 7
Neuf heures et demie. – En tout début d'après-midi, aller-retour à Neuilly-Plage, où Catherine a rendez-vous avec un kinésithérapeute spécialisé dans les pertes d'équilibre, mal dont elle souffre depuis déjà quelque temps. Évidemment, nous aurions été beaucoup plus souriants s'il s'en était trouvé un pareil à Vernon ou Évreux. Mais c'était Rouen ou Neuilly et nous avons opté pour la seconde de ces charmantes cités. J'emporterai Westlake avec moi (Histoire d'os) pour me faire passer le temps.
Trois heures. – Partis d'ici à midi, retour à l'instant : autant dire que tout, trajets et visite, s'est déroulé sans anicroche. Le moins amusant est que nous devrons refaire la même chose lundi prochain, pour une deuxième séance ; mais c'était plus ou moins prévu. Le très-bienvenu “réchauffement climatique” m'a permis d'attendre Catherine à la terrasse d'un café de l'avenue de Gaulle, malgré le bruit de la circulation et les conversations des voisins. Le café, au moins à Neuilly, coûte désormais 2,70 €, c'est à dire à peine moins cher qu'un livre d'occasion.
– Hier soir, parce que nous venions, la veille, de terminer la quatrième saison de Sur écoute, Catherine a exprimé l'envie de voir l'un des films du coffret Audrey Hepburn dont nous disposons. Il restait deux films non encore (re)vus : Sabrina, avec Bogart et William Holden, et My Fair Lady avec Rex Harrison ; elle se décida pour le second. Honnêtement, je ne me souviens pas de l'avoir aimé dans ma jeunesse, ni même, en fait, de l'avoir vu, ce film interminable. Ce dont je suis certain aujourd'hui, c'est d'avoir subi ces plus de deux heures et demie de projection dans un ennui constant et radical. À un point tel que je n'ai même pas envie d'essayer de démêler le pourquoi du comment.
Mercredi 9
Dix heures. – Titre parfaitement stupide (inutile, je pense, que je précise d'où il vient) : « Deux mois après sa prise de pouvoir, Charles III n'a pas commis le moindre faux pas. » Comment ? Ce brave Charles aurait pris le pouvoir en Angleterre et ne m'aurait rien dit ? Le fils d'Élisabeth II se serait livré à un vulgaire pronunciamiento, comme n'importe quel général Tapioca uruguayen ou Lénine russe ? Question subsidiaire : a-t-on le droit d'être assez inculte pour confondre un début de règne (sans pouvoir en l'occurrence) et une “prise de pouvoir” ? Et si on l'est, inculte à ce point, est-ce qu'on ne ferait pas mieux de fermer sa gueule plutôt que de se répandre dans les journaux, fussent-ils “en ligne” ?
– Le 16 novembre 2010, j'écrivais ceci dans ce même journal : « Je crois que, sauf cancer généralisé et terminal, je mourrai gros. » Ben non…
Jeudi 10
Onze heures. – Ayant, dans un premier temps, relu ce journal des années 2017 à 2021, je l'ai ensuite repris da capo, c'est-à-dire en août 2009, lorsque nous sommes partis jouer les châtelains intérimaires à Plieux. Me voici rendu aux premiers mois de 2011. Eh bien je dois dire que, pour ce qui concerne l'année précédente et celle en cours de relecture, je le trouve, ce journal, globalement emmerdant. Et je salue le courage et l'obstination des quelques ceux qui le lisaient alors et, surtout, ont eu la volonté d'y persévérer.
– Pendant ce temps, notre décolonial ami Guillaume Cingal participait à un séminaire passionnant, durant lequel on s'est posé des questions aussi fondamentales – j'irais même jusqu'à cruciales – que celle-ci : « Comment écrire à partir d'un trou temporel ? » On dirait presque une version post-universitaire et extra-galactique d'À la recherche du temps perdu.
Vendredi 11
Six heures. – Quelqu'un qui pénétrerait sans prévenir dans notre salon vers le milieu de l'après-midi pourrait penser qu'il vient d'entrer par mégarde dans la salle de repos d'un asile d'aliénés, voyant ces deux presque vieillards, chacun de son fauteuil, ponctuellement secoués, chacun à son tour, par un petit rire vite étouffé.
C'est que Catherine et moi sommes plongés dans les romans de Donald Westlake, lesquels ont sur nous deux cet effet hilarant et spasmodique. En plus, comme nous lisons les mêmes, mais ni en même temps ni forcément dans le même ordre, chacun commente ensuite pour l'autre le passage qui l'a fait pouffer (tout en sachant qu'il est mauvais pour qui surveille son poids de trop pouffer entre les repas).
Une turne de dingues, je vous dis.
Samedi 12
Dix heures. – L'information comique de ce samedi matin : « Zéro Covid en Chine : les autorités décrètent un confinement d'urgence à Disneyland Shanghai. » Il faudrait évidemment lire l'article pour savoir qui au juste est confiné : les visiteurs qui ont eu ma mauvaise idée de choisir ce jour-là ? Seulement les employés ? Juste Mickey, Donald et Picsou ? Je préfère rester dans ma bienheureuse incertitude…
Vendredi 18
Trois heures. – Nous sortons tout juste d'un coma de quatre jours – merci Orange – que s'est offert Dame Ternette. Et, cette fois-ci, contrairement à la précédente, je n'ai même pas pris la peine de créer un document Word pour y poursuivre ce journal : d'où le trou béant que l'on peut contempler juste au-dessus de cette entrée. Si j'ai opté pour le silence c'est pour m'être rendu compte que, n'ayant rien à dire de particulier, ni même de général, il serait un peu vain et absurde de se mettre à écrire ailleurs pour, ensuite, transvaser ici ce paquet de phrases inutiles.
– Dans l'un des romans de Donald Westlake – que Catherine et moi continuons à lire les uns derrière les autres –, le traducteur parle à deux reprises d'une fosse sceptique. Il a simplement négligé de signaler en note que ce type de fosse ne pouvait être raccordé qu'à des chiottes incrédules. Et, à propos de Westlake, il va être temps, Dame Ternette réveillée, que j'en commande d'autres.
Samedi 19
Dix heures. – Le 23 avril 1945, Winston Churchill, Premier ministre, adresse au Foreign Office la note suivante :
« Je ne considère pas qu'il faille modifier les noms qui sont familiers depuis des générations en Angleterre pour suivre les caprices des étrangers qui habitent dans ces contrées. Il ne faut surtout pas abandonner Constantinople, même si l'on peut préciser ensuite Istamboul entre parenthèses à l'intention des ignares. La malchance poursuit toujours les gens qui changent le nom de leur ville. Si nous n'y mettons pas le holà, la BBC se mettra à prononcer Paris “Paree”. Les noms étrangers ont été faits pour les Anglais, et non les Anglais pour les noms étrangers. Je date cette note de la Saint-Georges. »
Et moi, je la contresigne avec vigueur le jour de la Sainte-Élisabeth de Hongrie ! Mais force est de constater que, sur ce front comme sur tant d'autres, nos positions ont considérablement reculé : nous n'en sommes plus à défendre Constantinople, hélas, mais à tenter de préserver Stamboule des attaques de l'Istanbul des anglophones ; encore ce combat-là est-il déjà largement perdu. Peut-être est-il encore temps de préserver Pékin de la malfaisance de mes ex-confrères, qui croient passer pour bien informés et plus intelligents chaque fois qu'ils écrivent le ridicule Beijing. En revanche, je crains fort qu'il ne faille passer Ceylan et Formose par profits et pertes et faire semblant de nous accommoder des pénibles Sri-Lanka et Taïwan. Et je ne serais qu'à demi surpris – même si je le serais douloureusement – si, demain, dans telle ou telle feuille de chou, je voyais apparaître un incongru London en remplacement du vieux Londres.
Midi. – Histoire de faire croire que je suis toujours vivant, j'ai transformé ce qui précède en billet sur le blog-mère.
– La biographie de Churchill que je suis sur le point d'achever (je viens tout juste de gagner la Seconde guerre mondiale et j'entame ma traversée du désert…), due à un historien britannique, compte plus de trois millions de signes (1200 pages de format “non poche”), dont plus de quatre cents pour la seule période 1940 – 1945 : c'est dire que le déroulement de la guerre y est assez complet et détaillé. Ce qui s'y trouve d'amusant, par rapport à un livre concernant la même époque mais écrit par un Français, c'est que de Gaulle n'y fait que trois ou quatre passages, fort brefs, et se trouve donc ramené à sa véritable importance dans l'époque : quasiment nulle.
C'est d'ailleurs le point commun inattendu qui se dégage, entre le de Gaulle de cette période et l'Indiana Jones des Aventuriers de l'Arche perdue : si on les faisait d'un coup disparaître de l'histoire dans laquelle ils sont plongés, celle-ci se déroulerait et se finirait exactement de la même façon.
Dimanche 20
Dix heures et demie. – Churchill a tout de même fini par mourir, il y a une petite demi-heure. Après l'avoir enterré avec les honneurs qu'il mérite, il ne me reste plus qu'à lui trouver une place honorable dans l'un ou l'autre de mes rayonnages surchargés.
Midi. – « Je vois de grands bouleversements s'approcher de ce monde actuellement en paix, des soulèvements énormes, des combats effroyables, des guerres qu'on ne peut imaginer ; et je peux te dire que Londres sera en danger – Londres sera attaquée et je serai au premier rang de sa défense. […] La Grande-Bretagne va, d'une façon ou d'une autre, être confrontée à une invasion d'une ampleur inouïe – par quel moyen, je n'en sais rien, mais je peux te dire que je serai à la tête des défenses de Londres et que je préserverai Londres et l'Angleterre du désastre. […] dans les hautes fonctions que j'occuperai, il me reviendra de sauver la capitale et l'Empire. »
Cette déclaration a été faite en 1891 par un Winston Churchill de 16 ans, à son ami Murland Evans, qui l'a aussitôt consignée. C'est évidemment très impressionnant. Cependant, il n'est pas interdit de penser que, au même moment, et déjà avant, et encore après, des dizaines d'adolescents ont fait le même genre de prédictions ; lesquelles, en ne se réalisant pas, sont devenues de simples vantardises, totalement oubliées.
Mais, une fois que l'on s'est dit cela, la déclaration de Churchill demeure tout aussi impressionnante.
– Les gens qui pensent que l'Éducation nationale s'est totalement effondrée et que les jeunes Français sont devenus un troupeau inculte et quasiment analphabète, ceux-là sont ce qu'on appelle des optimistes, dans la mesure où ils semblent penser que cette catastrophe est circonscrite à la France. Or, voici ce qu'écrit Andrew Roberts, à la dernière page de sa biographie churchillienne :
«
Dans un sondage de 2008 auprès de 3000 adolescents britanniques, pas
moins de 20% d'entre eux pensaient que Winston Churchill était un
personnage de fiction. (Dans la même enquête, pour 58% d'entre eux,
Sherlock Holmes et, pour 47%, Eleanor Rigby avaient réellement existé.) »
Je ne vois rien à ajouter à cela.
Six heures. – Il semblerait que le mot “expérience” fût définitivement sorti du vocabulaire français, en tout cas de celui des journalistes et des traducteurs – ces deux races jumelles d'illettrés –, pour être remplacé par l'anglais expertise, lequel, en français, signifie tout autre chose. Il faut donc tenter de s'y résigner… mais j'ai encore un certain mal à le faire.
– Pour bien terminer cette journée, deux informations “capitalissimes”, comme dirait Proust :
1) « Emmanuel Macron va décorer Élisabeth Borne de la grand-croix de l'Ordre national du Mérite. » Ce qui fait penser à Obama décrochant le prix Nobel de la Paix avant d'avoir seulement levé le petit doigt pour l'obtenir.
2) « Charles III décide de bannir le foie gras des résidences royales. » Tant pis : on se contentera de le manger à la maison.
–
Répondant tout à l'heure à un commentaire de Fredi Maque, je lui disais
que blogueur rimait très bien avec radoteur. J'ai pensé ensuite qu'on
pourrait même, ces deux adjectifs, les unir et les fondre l'un dans
l'autre pour n'en former plus qu'un seul : blogoteur.
Lundi 21
Dix heures et demie. – Comme ces deux derniers lundis, Catherine avait rendez-vous aujourd'hui, en tout début d'après-midi, chez un kinésithérapeute spécialisé dans les problèmes de vertige et de pertes d'équilibre – tellement spécialisé qu'il n'en existe aucun exemplaire plus près que Rouen ou Neuilly. Elle a décidé ce matin d'annuler, ou plutôt de repousser d'une semaine, le rendez-vous en question : on imagine bien que le chauffeur que je suis ne s'en est nullement plaint…
– Sauter sans transition, sans le moindre sas de décompression, de Donald Westlake à Nathalie Sarraute est une chose que je déconseille vivement aux âmes insuffisamment blindées. D'autant que, en plus du choc psychologique, cela vous vaudra les moqueries de Michel D., si jamais il vient à le savoir.
– Depuis quatre ou cinq soirs, nous avons entrepris de revoir les quatre saisons de Treme, remarquable série se déroulant à la Nouvelle-Orléans au lendemain du passage de Katrina. Elle est due, cette série, à David Simon, qui était déjà le créateur de Sur écoute, la meilleure série policière jamais créée, à mon avis.
Quand je dis “revoir”, je triche un peu : je suis seul à avoir déjà vu la série intégralement, Catherine, la première fois, ayant déclaré forfait à l'issue de la première saison, trouvant excessive la place donnée à la musique au fil des épisodes (trop de notes, M. Mozart !). Mais, ce matin, c'est elle qui a suggéré que nous enchaînions directement sur la deuxième saison, sans temps mort ; ce dont je suis personnellement ravi, Treme m'ayant paru encore meilleure cette fois-ci que la première.
Mardi 22
Six heures. – Sur le site d'Atlantico, ce titre : « En Chine, des moutons tournent en rond sans s'arrêter depuis 18 jours. » L'information est saugrenue et, pour une fois, il n'y aurait rien à reprocher à mes analphabètes d'élection quant à la façon dont elle est formulée. Si j'ai employé le conditionnel, c'est que ce titre est précédé de ce surtitre : “Mouton de Panurge”. Où ces crétins ont-ils vu que les moutons de Panurge tournaient en rond ? S'ils l'avaient fait, ils seraient encore vivants !
Mercredi 23
Dix heures. – J'ai l'impression de vivre dans une sorte d'autarcie intellectuelle de plus en plus grande, un cercle presque fermé (comme celui des cochons chinois…), pas loin d'être parfait. Cela tient à ma relecture systématique des années anciennes – de moins en moins anciennes à mesure que j'avance – de ce journal. Je parle à plusieurs reprises, et en bien, de Nathalie Sarraute en 2012 ? Hop ! on ressort sa Pléiade et c'est parti pour une relecture de son Planétarium ! L'année suivante, 2013, je découvre, ravi, les romans d'un inconnu, Pierre Veilletet ? Aussitôt, le volume Arléa de ses œuvres complètes quitte la Case pour le salon. Etc.
Midi. – Reçu au courrier une facture relative à notre consommation d'eau. Je pouvais bien sûr, comme les années précédentes, dater et signer le TIP. Mais il m'était précisé, dans un coin de la page, que j'avais également la ressource de payer en ligne. « Je vais aller essayer, juste pour le fun… », ai-je alors dit à Catherine, parfaitement certain que quelque chose allait coincer, à un moment ou un autre de l'opération et que j'allais, mi amusé, mi-penaud, en revenir à ce bon vieux TIP…
Eh bien pas du tout ! Remplir les différentes petites cases de chiffres et de lettres, tous clairement indiqués sur la facture, ne m'a pas pris plus de cinq minutes, au bout desquelles j'ai eu la surprise, presque la stupeur, de me voir annoncer par l'organisme officiel idoine que je ne lui devais plus le moindre centime. J'en ai conçu, durant une poignée de secondes, un certain sentiment de puissance.
Jeudi 24
Deux heures. – Continué la relecture systématique de mon journal. Parvenu, hier, à l'année 2013, je n'ai pas sauté un seul paragraphe des trois mois qui “encadrent” la mort de mon père : mauvaise idée. Quelques miasmes grisâtres, qu'une brève déambulation dans les allées du Carrefour Market ont, heureusement, presque entièrement dissipés.
– Lecture alternée de Mme Sarraute et de Pierre Veilletet. À propos de ce dernier, j'apprends à l'instant, lisant sa “fiche” Wikimachin, qu'il fut le premier à employer l'expression “fracture sociale”, le 30 août 1981, dans l'un de ses articles de Sud-Ouest, consacré à Mitterrand.
– Les “voisins Volvo” se sont enfin décidés, suite à la lettre que je leur ai solennellement remise en mains propres voilà une paire de mois, à faire élaguer le peuplier qui jouxte notre clôture mitoyenne et se trouve dangereusement proche de notre maison. Le manieur de tronçonneuse vient de le réduire des deux tiers : Catherine va pouvoir respirer plus librement…
– Phrase piquée dans le cloaque de Guillaume Cingal, apparemment en pleine surchauffe linguistique : « Cartographier l'usage permet de contribuer à une approche contrastive des méthodes temps réel et temps apparent. » Sûr.
Après ça, pour faire retomber un peu la pression dans la cocotte, je file faire un tour dans la touittererie d'Élodie Jauneau : on n'y parle que de petits myopathes et de filles prétendûment violées, mais au moins on le fait dans la langue de tous les jours. Reposant.
Vendredi 25
Onze heures. – Le fait d'être, grâce à la remarquable série Treme, plongé depuis huit ou dix soirées dans une ambiance très Nouvelle-Orléans, m'a donné envie de me remettre à écouter du jazz (ce que je fais en ce moment, via l'ordinateur : Louis Armstrong, qui s'est imposé tout naturellement), chose que je ne fais plus depuis déjà quelques années. Du reste, je n'écoute pratiquement plus aucune musique. J'ai par ailleurs placé dans mon petit panier Rakuten Une histoire du jazz, d'un auteur inconnu de moi. Le risque couru est minime, le livre ne valant qu'un euro et quelques.
Six heures et demie. – Voici ce que j'écrivais dans ce journal le 6 août 2014 : « Je n'ai pas noté que j'étais venu à bout, il y a deux ou trois jours, du dernier magazine de mots croisés que mon père avait laissés en plan. Et, malgré les nombreuses heures que j'y ai passé (accord de ce participe ou pas ? Après hésitations et remords, je penche pour pas d'accord), je sens d'ores et déjà qu'il s'agit d'un épisode clos et que nulle tentation ne devrait venir m'assaillir de continuer l'exercice “pour mon propre compte”. »
C'est ce qui s'appelle : tomber juste…
Dimanche 27
Trois heures. – J'avais tout à fait oublié que, le 3 février 2015 à sept heures et demie du soir, ainsi que ce journal en atteste, j'avais, pour désigner les maniaques de l'hyper-correction langagière (dont je sais faire partie mais sans être des plus atteints…), forgé le terme : syntaxidermiste.
Près de huit ans plus tard, je continue à n'en être point trop mécontent…
– Quand on est maîtresse de conférences en “stylistique et langue française”, on s'exprime désormais comme ceci : « Mais bon, normalement c'est le principe en détention de ne pas faire semblant d'oblitérer ces questions de violence mais de les aborder, si on peut les aborder par le biais de la littérature, tant mieux. » Il est difficile de faire plus charabiesque, plus gallimatiesque que cette péronnelle en trois lignes. La péronnelle en question se nomme Laélia Véron : on pourra, si on se sent l'âme indulgente, considérer le ridicule prénom dont ses parents ont cru malin de l'affubler comme une circonstance atténuante.
Six heures. – J'ai ressorti de leurs rayons respectifs, et d'un même élan, Evelyn Waugh et Machado de Assis, sans savoir encore lequel allait avoir ma préférence demain matin : un match Angleterre-Brésil qui risque d'être farouchement disputé.
– Les grands mystères du marché du livre d'occasion. Voulant acquérir le troisième volume de la “trilogie réaliste” du Brésilien sus-évoqué, Dom Casmurro, je viens d'en trouver deux exemplaires chez Rakuten : l'un à 8 euro, l'autre à… 277,99. Je trouve extrêmement savoureux le “,99” : on sent le vendeur qui, après mûre et patiente évaluation, a tenu à proposer le plus juste prix. (Je précise qu'il s'agit d'un livre tout à fait ordinaire.)
Lundi 28
Dix heures. – Dans le match annoncé hier, c'est, finalement et comme souvent, le Brésil qui l'a emporté ; mais de façon assez étriquée : un but à zéro, et marqué durant les prolongations. Il n'empêche : depuis ce matin, Joachim Maria Machado de Assis se pavane, comme un qui aurait inventé la samba et le string.
– Depuis deux ou trois jours, une ribambelle de féministes plus ou moins asilaires – au premier rang desquelles, bien entendu, l'inévitable Élodie J. – se scandalise parce que je ne sais quelle chaîne de télévision diffuse ou a diffusé une vidéo consacrée à Gérard Depardieu alors qu'il est mis en examen pour viols et agressions sexuelles. Il me semble me souvenir qu'un homme mis en examen reste, jusqu'à preuve du contraire, un homme innocent : c'est ce qu'on appelle, ou appelait dans les temps anciens, la “présomption d'innocence”. Dès lors, que peut-il y avoir de scandaleux dans le fait de montrer la vidéo d'un homme innocent ?
Évidemment, je galèje : je sais fort bien ce qu'il y a de scandaleux, aux yeux et aux oreilles de nos petites sœurs enfiévrées ; à savoir que, pour elles, désormais, tout doit plier, y compris le droit et la loi, devant n'importe quelle accusation formulée par n'importe quelle femme, surtout si elle est lancée contre un exemplaire de cette race honnie et proprement démoniaque : les mâles européens.
Mardi 29
Trois heures. – Je ne sais pas ce qu'il en est de votre côté mais, en ce qui me concerne, absolument aucune envie d'écrire quoi que ce soit dans ce foutu journal.
– Il flotte, sur tout le roman de Machado de Assis que je viens de terminer (Mémoires posthumes de Bras Cubas), comme un parfum du Tristram Shandy de Sterne ; même pas tout à fait un parfum : juste son souvenir – mais constamment présent.
– Le titre du jour : « Elle sort du métro et s'aperçoit qu'un rat s'est glissé sous son pull. » Je devrais peut-être lire l'article afin de savoir si quelque association féministoïde s'est constituée partie civile et a porté plainte pour agression sexuelle contre cet ignoble muridé.
Mercredi 30
Dix heures. – Avant même sa relecture, il me semble bien étique, ce journal de novembre… C'est sûrement dû au refroidissement climatique…
Peu importe, sur les traces de Machado de Assis, je repars pour le Brésil : au moins, là-bas, on va vers les beaux jours.
– La nouvelle stupide de ce jour : « La baguette de pain française inscrite au patrimoine culturel immatériel de l'Unesco. » Je vais le proclamer solennellement : le premier boulanger qui s'avise de me fourguer une baguette non seulement culturelle mais en plus immatérielle, il se prend une grande mandale dans les chicots.
– Demain, journée Desgranges.
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