mercredi 1 décembre 2021

Novembre 2021

 

 

 

 

 

 

 LE GALOP DES HUSSARDS

 

 

 

 

 

Lundi 1er

Dix heures. – Déclaration du consternant évêque de Rome, qui vient d'exhorter les participants à cette bouffonnerie qu'est la COP26 à entendre “le cri de la Terre et le cri des pauvres”. Deux mille ans de christianisme pour en arriver à ce que le chef suprême de l'Église catholique s'effondre spirituellement au point de “penser” qu'une planète, c'est-à-dire un gros caillou, peut crier, et qu'elle crie effectivement (« Ta gueule, la Terre : t'empêche tout le monde de dormir, là ! ») : je crois que, cette fois, notre civilisation est bonne pour le mouroir – et sans même passer par la case “soins palliatifs”.

Fermons les écoutilles et retournons à Henry James.

Six heures. – Renaud Camus consacre son journal du jour – une très longue “entrée” qui plus est – à… Juan Asensio. Bien entendu, je souscris pleinement à tout le mal qu'il en dit, c'est bien le moins. Mais, d'un autre côté, je me demande avec un certain étonnement admiratif où il trouve encore l'énergie pour donner autant de lignes d'écriture à un être aussi médiocre, aussi vil, aussi répugnant. Moi-même, avec ces quatre petites lignes miennes, j'ai déjà comme l'impression d'une salissure, de me retrouver avec les doigts gluants sur le clavier.


Mercredi 3

Dix heures. – Voilà trois soirées consécutives que nous consacrons à Lino Ventura. Avant-avant-hier, Ne nous fâchons pas du tandem Lautner-Audiard. De la trilogie des films “gangstéro-farfelus” qu'ils ont fait ensemble, les deux autres étant bien sûr Les Tontons flingueurs puis Les Barbouzes, celui-ci est sans conteste le moins réussi, le plus approximatif. Néanmoins, il se laisse agréablement (re)voir, comme on dit.

Le lendemain, avant-hier donc, un film “sérieux” pour varier les plaisirs : Le Silencieux de Claude Pinoteau. Catherine l'a trouvé un peu morne par endroits, un peu répétitif, moi non. Ce n'est pas non plus un chef-d'œuvre ; mais je ne crois pas me souvenir que Pinoteau ait jamais tourné de chef-d'œuvre.

Enfin, hier, nous avons revu (pour la six ou septième fois en ce qui me concerne) Un taxi pour Tobrouk de La Patellière. Excellent presque de bout en bout, le “presque” étant constitué par la scène du champ de mines, qui ne tient pas debout. Mais la fin, très abrupte, reste toujours aussi impressionnante. Et Aznavour était vraiment un excellent comédien (j'ai l'air de découvrir la lune…)

Fouillant un peu les entrailles de Dame Ternette, j'ai pu constater que Hardy Krüger était le dernier survivant de cette équipe, réalisateur et assistant (Granier-Deferre) compris. Il a 93 ans. Voilà un homme qui a eu une jeunesse plutôt mouvementée : à 17 ans, en mars 1945, il est enrôlé dans une division SS, qui livre des combats désespérés dans un Reich en phase terminale. Recevant l'ordre d'abattre des prisonniers noirs américains, il refuse et est condamné à mort pour “lâcheté”. Gracié in extremis par un officier, il déserte et est fait prisonnier par les Américains. Après, ça s'arrange nettement…

On retrouve Krüger dans les années soixante, celles de sa plus grande notoriété cinématographique. Il vit alors – quand il ne tourne pas – dans la propriété qu'il a acquise en Tanzanie, au pied du Kilimandjaro. C'est là que Howard Hawks réalisera Hatari !, avec John Wayne… et Hardy Krüger ; lequel est donc, durant le tournage du film, “le régional de l'étape”.

Et je me demande bien pourquoi je note cela ici, alors que tout le monde peut le lire chez Dame Ternette. Je ferais mieux d'aller boucler les cent pages qui me restent à lire du Portrait de femme de Henry James.

Deux heures. – Les lecteurs qui commentent – en s'affublant le plus souvent de pseudonymes ridicules – sur le site de Causeur sont vraiment, dans leur écrasante majorité, des cons. Et je me souviens que c'était déjà, en grande partie, ce qui m'avait dissuadé de continuer à leur envoyer des articles (en dehors du fait, non négligeables, qu'ils n'étaient pas payés…). Tout journaliste un tant soit peu conscient sait, ou devrait savoir, qu'il sera lu principalement par d'incultes crétins. Mais il y a une grosse différence, une différence abyssale, entre le savoir et le toucher du doigt.


Jeudi 4

Dix heures. – L'excellente nouvelle de ce matin : Flammarion annonce la parution d'un nouveau roman de Houellebecq en janvier prochain. Un gros volume de plus de sept cents pages, apparemment. Voilà qui suffira pour colorer ma journée.

Deux heures. – Bougre d'imbécile ! Tout à l'heure, je vois la factrice déposer dans notre boîte un paquet assez volumineux. « Ce doit être le volume Bouquins des Forsythe ! », me dis-je in petto, avec sous-titres français pour avoir une chance de me comprendre moi-même. En effet, c'était bien cela, sauf qu'il s'agissait du tome deux et non du premier. Je commençais tout juste à vouer Herr Momosque aux gémonies, me promettant de faire subir à l'ensemble de la race teutonne un second traité de Versailles auprès duquel le premier passerait pour un miracle d'indulgence diplomatique, lorsque je me suis rendu compte, en consultant mon compte PriceMinister, que la bourde était entièrement de mon fait, que j'avais bel et bien commandé le tome 2 et non le 1, que j'avais donc acheté la charrue sans avoir les bœufs (d'un autre côté, à quoi servirait une paire de bœufs si on n'a pas de charrue ? Ni, encore moins, de terre à labourer ? Bref…).  Pour un garçon qui, quelques jours plus tôt, s'était vanté d'être raisonnable, économe jusqu'à la lésine, prévoyant à s'en pisser parmi, je me retrouvais dans l'obligation de commander immédiatement le premier volume… en priant pour que ces Forsythe sachent me séduire suffisamment pour les supporter durant trois mille pages au lieu de mille cinq cents. Pendant ce temps, Herr Momosque ricane, en se disant qu'il n'est pas étonnant que ces pauvres Français, décervelés comme on les voit, fassent si piètre figure chaque fois qu'une guerre les oppose à ses compatriotes.

Mais au fond, peu me chaut : j'ai Mrs Wharton pour me tenir compagnie.


Vendredi 5

Deux heures. – Régulièrement la question se pose et se repose : est-ce que les gens font semblant de ne pas comprendre, ou bien s'ils sont réellement aussi idiots qu'ils le laissent entrevoir ? Celui qui, aujourd'hui me l'a ramenée à l'esprit, cette question, c'est le toujours tremblotant Renépol. Il commence par citer la déclaration d'Éric Zemmour que voici :

« Il faudrait peut-être, sans doute, supprimer le ministère de la culture et rétablir une espèce de secrétariat d'état au patrimoine. Il faut que toute la politique culturelle de la France soit recentrée autour de cette éducation du beau et à cette éducation à l'histoire du beau, c'est à dire à la transmission de la beauté française, classique, européenne et chrétienne.  C'est avec ça qu'il faut éduquer les petits Français pour refaire des Français. »

On peut, bien évidemment, discuter de l'opportunité de supprimer le ministère de la Culture (personnellement j'y souscrirais avec empressement et enthousiasme, mais ce n'est pas mon propos). Ce n'est pas du tout ce que fait Renépol, qui enchaîne ainsi :

« On est là dans le repli sur soi et en terme de progrès et de libertés, c'est un très mauvais signe. Adieu les séries américaines, le jazz, la peinture cubiste, Klimt et sa peinture japonisante, les œuvres du marquis de Sade pas du tout chrétiennes, etc, etc.... et retour à l'Index. »

Passons rapidement sur le fait que, étant de bout en bout blasphématoires, les livres de Sade sont bien évidemment chrétiens : on ne peut pas tout savoir. Mais c'est tout le reste qui me surprend, même sortant d'une cervelle aussi brouillonne et approximative que celle-là : quel rapport peut-il bien voir, ce bon René, entre le ministère de la Culture et les séries américaines ? Ou le jazz ? Ou la peinture cubiste ? En quoi la suppression de ce ministère empêcherait-elle les producteurs américains de vendre aux télévisions françaises leurs séries ? Ou les musiciens de jazz de se produire sur scène et d'enregistrer des disques ? Les seuls qui auraient à s'inquiéter, il me semble, seraient les cinéastes sans spectateurs, les théâtreux sans public, les radios ou télévisions d'État, etc., bref : tous les parasites vivant non de leur production mais de subventions annuelles indéfiniment renouvelées par pur clientélisme électoral.

Les frayeurs de Renépol sont d'autant plus comiques que presque tous les exemples qu'il cite – jazz, cubisme, Klimt, Sade… – datent d'un temps où il n'existait aucun ministère de la Culture, lequel ne vit le jour que sous la Cinquième République. Mais le plus savoureux du billet renépolien est la phrase qui suit :

« Au moins nous sommes prévenus  et personnellement j'imagine  que quelques-uns de mes tableaux ne seront bons qu'à être détruits car pas du tout chrétiens. »

Penser que quelqu'un pourrait se donner la peine de détruire ses tableaux, en aurait même seulement l'idée, voilà qui me semble être déjà une certaine forme insidieuse de fatuité. Mais soyons indulgent et faisons comme si nous n'avions rien remarqué.

En tout cas, s'il n'a que des adversaires de ce calibre, Zemmour peut y aller tranquille.

– Pendant ce temps, aux États-Unis, un travelo est nommé super-amiral, ou quelque chose d'approchant : tout va comme prévu.


Samedi 6

Neuf heures. – Première gelée de la saison ; ciel d'un bleu très pâle et intensément lumineux ; pas un souffle de vent – bref : un temps idéal pour aller arpenter les voies et les chemins…

Sauf que je suis entré dans la phase préludant à ma rencontre de mardi avec le moniteur de la colo ; ce qui implique que je dois avaler pas moins de quatre sachets de movicol chaque jour. Autant dire qu'il est tout à fait hors de question que je m'aventure à plus de cinquante mètres de la cuvette des WC, en raison du branle-bas prévisible dans mes intérieurs !

– Nouvelles peu encourageantes – c'est un euphémisme – du côté de ma sœur… Cela dit, il y a déjà quelque temps que je ne m'attends plus à aucune nouvelle encourageante, d'où qu'elle puisse venir. Disons que, dans ce cas précis, il s'agit de nouvelles qui me concernent au plus près.


Dimanche 7

Dix heures. – Disons-le tout net : même si les éditions de l'Olivier rééditent en six volumes ses œuvres complètes, je n'ai aucune envie, moi, de tenter la relecture de Roberto Bolaño : son célèbre 2666 m'a suffi.

(D'un autre côté, peut-être faudrait-il, justement, ressayer… pour voir…)

Deux heures. – Je ne me souvenais pas que Scorsese avait, voilà près de trente ans, réalisé une adaptation du roman d'Édith Wharton, Le Temps de l'innocence. Pourtant, au vu de la distribution, il me dit vaguement quelque chose, il est bien possible que je l'aie vu, à l'époque… En tout cas, je viens d'en commander le DVD.


Mardi 9

Onze heures. Clinique Pasteur d'Évreux. – Je me trouve dans mon petit “box ambulatoire”, bien réveillé, nourri (fort chichement…) et rhabillé. Il ne me reste plus qu'à attendre : 1) Le moniteur de la colo qui vient de m'explorer les conduites intérieures et qui va m'annoncer un cancer déjà bien avancé ; 2) Catherine, métamorphosée en chauffeur (chauffeuse ? Chaufferesse ? Chauffeure ?) et chargée de me ramener à la maison. Ni l'un ni l'autre ne devrait être là avant midi et demie, si j'ai bien compris.

Dans l'ensemble, et même dans le détail, tout s'est, jusqu'ici, très bien passé, si j'excepte le double examen lui-même, auquel j'ai pris une part toute passive. Arrivé à sept heures et demie, c'est-à-dire à l'ouverture, j'étais installé sur mon lit à roulettes dès huit heures. Un brancardier (?) muselé est venu me déboxer vers neuf heures moins le quart et, à dix heures, j'étais de retour dans le dit box.

Comme j'en ai assez d'être malconfortable sur ce succédané de plumard, trop court pour ma propre longueur, j'ai replié la couverture afin de la transformer en un coussin fessier que j'ai posé sur l'unique chaise de plastique rouge vinasse. Dans la mesure où J.F. Revel me tient compagnie (Les Plats de saison – Journal de l'année 2000), l'heure qui me reste à passer ici devrait le faire assez vite.

(La perfection ne sachant être de ce monde, il me faut toutefois supporter les dégoulinures sonores de je ne sais quelle radio locale, heureusement réglée au minimum.)

Midi. – Ainsi qu'il est de règle en cas de longue attente, ce sont les dernières poignées de minutes qui sont les plus pénibles, qui s'étirent à plaisir jusqu'à donner l'impression que le temps a brusquement cesser de s'écouler (posez-lui un drain, bon sang !), alors que la ligne d'arrivée était enfin en vue.

Une heure. – Et, comme de juste, ce maudit moniteur, qui devait passer entre midi un quart et midi et demie, n'est toujours pas là ! Du coup, l'énervement gagne, empêchant dès lors toute lecture… ce qui rend chaque minute encore plus longue.

Trois heures. Le moniteur est finalement venu me délivrer vers une heure et quart, alors que je commençais à bouillir et à envisager un départ ressemblant fort à une évasion. Mon cancer du côlon est remis à une date ultérieure et indéterminée, celui de l'estomac itou. Aussitôt, impression stupide d'être venu “pour rien”…


Mercredi 10

Dix heures. – Hier, clinique ; aujourd'hui, repos ; demain, “journée Desgranges”. Il va de soi que je ne mets nullement en parallèle les journées d'hier et de demain. Elles sont même radicalement opposées : la première, toute corvée, la seconde tout plaisir. Seulement, je suis rendu à un tel point d'immobilisme que tout changement de ma routine quotidienne se paie par son lot de fatigue, qu'il s'agisse d'une fatigue pénible et imposée ou d'une fatigue agréable et souhaitée. Quelle belle chose que la vieillesse, non ?

Je viens de parler d'une fatigue “imposée”, à propos de ma journée clinicienne et coloscopale : il faudrait voir. Nuancer. Rectifier. J'ai subi une première coloscopie il y a environ cinq ans. Celle-ci avait bel et bien été sollicitée par moi car je me trouvais depuis plusieurs mois régulièrement constipé et, de plus, la mort de mon père n'était pas si éloignée, due aux suites d'un cancer du côlon. Ce premier examen avait révélé des intestins “nickel” et le moniteur de la colo (différent de celui d'hier) m'avait dit d'un ton assuré et ne souffrant pas la réplique : « Je vous revois dans cinq ans. »

Bête et discipliné – au moins en ce domaine –, j'ai donc déféré à l'injonction qui m'avait été faite. Résultat d'hier : toujours aussi nickel. Et que m'a dit en conclusion le nouveau moniteur ? Ceci : « Nouvel examen de contrôle dans cinq ans. »

Ce n'est que plus tard , dans la soirée, que je me suis avisé que tout cela ne rimait à rien. Si mon système digestif a correctement fonctionné ces cinq ou six dernières années (et donc celles d'avant également, peut-on supposer), pourquoi devrais-je continuer à subir leur examen ? C'est comme si j'étais entré, sans vraiment y penser, dans un labyrinthe dont je serais ensuite bien obligé de parcourir tous les méandres avant d'en trouver la sortie. 

On m'objectera que je pourrais très bien (ou très mal…) attraper ce cancer-là dans les cinq prochaines années, justement. Sans doute… mais dans le même temps, je puis aussi bien en développer un aux poumons, au foie, à la prostate, au rein qui me reste, etc. Devrais-je passer le peu qu'il me reste de vie à subir des examens “de contrôle” ? C'est absurde. Et, de toute façon, voué à l'échec le plus net et définitif.

Midi. – Reçu à l'instant le premier volume “Bouquins” de l'Histoire des Forsythe. On se souvient peut-être que, suite à une impondérable panne de cerveau, j'avais d'abord acheté le second tome sans posséder le premier…

Avant de m'attaquer à ces presque trois mille pages, je vais tout de même terminer ma relecture du Washington Square de Henry James, roman qui le mérite amplement.

Deux heures. – En plus d'être un peintre si dérangeant que l'on brûlerait immanquablement ses toiles si jamais le ministère de la Culture venait à être supprimé (voir plus haut dans ce journal) l'artiste multi-fonctions Renépol est désormais également romancier. Cette nouvelle corde à son arc créateur lui permet de parler des maisons basques dont les couleurs sont, je cite, “quasi universelles dans la région” et de nous révéler que les motos vrombissent telles de fidèles montures : ce sont les chevaux qui vont être épatés, d'apprendre qu'ils sont capables de vrombir ! Cela dit, chapeau bas : il nous fallait un esprit de cette puissance pour être capable d'inventer l'universalisme régional. (Je n'ai pas précisé que ce nouveau chef-d'œuvre était publié en “auto-édition” – c'est-à-dire pas publié –, supposant que cela allait de soi.)

Six heures. – Il se trouve, dans la blogoliste de Nicolas, deux garçons qui semblent lutter d'arrache-pied, sans jamais relâcher leur effort, pour remporter le titre envié de blogueur le plus niais. Personnellement, je serais dans l'incapacité de les départager, tellement ils déploient tous deux d'incroyables talents dans ce domaine ; des talents peu variés mais qui n'empruntent pas exactement les mêmes chemins chez l'un et chez l'autre (le premier serait plutôt un “niais geignard” cependant que son concurrent donnerait dans le genre “niais ravi-de-la-crèche”), même si c'est pour aboutir à un résultat identique, cette implacable niaiserie dont ils pourront d'autant moins se désengluer qu'on les en sent fort satisfaits.

Comme je ne veux pas créer d'envieux ni de frustrés chez les prétendants au titre moins bien placés que ces deux-là, je me garderai de mettre ici le moindre lien…

– Je continue à être surpris, pour ne pas dire interloqué, chaque fois que, sur les sites d'annonces immobilières, je tombe sur l'expression “maison d'architecte”. Y aurait-il, quelque part, des maisons de charcutier ? Ou de proctologue ? L'expression signifie-t-elle que cette maison a été bâtie par un architecte ou qu'elle a été habitée par lui ? Dans le premier cas ce semble la moindre des choses, dans le second on s'en fout complètement. Et pourquoi, à côté de ces “maisons d'architecte”, ne nous propose-t-on jamais à la vente des “pains de boulanger” ? Ou des “livres d'imprimeur” ? Ou encore des “lunettes d'opticien” ?


Jeudi 11 novembre

Dix heures. – Petit tour rapide devant cet écran avant de filer chez les Desgranges. Naturellement, comme je dois prendre la voiture, il règne ici un brouillard quasiment londonien…

Sur la recommandation pressante – et réitérée – de Valérie Scigala, je viens de commander Catch 22, roman que je n'ai jamais lu et qui, d'après elle, mérite hautement de l'être. En attendant, j'ai commencé ce matin le cycle des Forsythe.

Bon, il va être temps de se mettre en route. 


Vendredi 12

Trois heures. – Tire de la une du dernier Figaro-Magazine : « École : comment on endoctrine nos enfants. » Avec, en sous-titre : « Antiracisme, idéologie LGBT, décolonialisme… Enquête sur une dérive bien organisée. »

Commentaire de Guillaume Cingal sur Touiteur : « J'en conclus que le modèle d'école pour le Figaro c'est d'inculquer le racisme, l'homophobie et la fierté des crimes coloniaux. Hors-la-loi, donc. »

Donc, pointer les dérives de l'antiracisme “professionnel” revient à inculquer le racisme ; dénoncer les excès en tous genres des groupes LGBT, c'est prôner l'homophobie ; refuser les démences “décoloniales”, c'est encourager le colonialisme, et avec une préférence pour ses “crimes”. (Et pour finir,  vite, vite, on brandit la menace de la loi, la menace de la fessée.) Un balancement binaire que l'on trouverait déjà plutôt pauvret chez un lycéen moyennement brillant, mais qui, en l'occurrence, émane d'un normalien, professeur d'université. L'idéologie asilaire n'épargne vraiment personne, et faire de brillantes études protège contre elle à peu près autant qu'un vaccin sans troisième dose contre le petit Chinois. 

Même si j'ai l'air de me moquer, il y a là quelque chose d'assez triste.

Six heures. – Si même au Figaro Histoire, de l'excellent Michel de Jaeghere, on se met à ne plus savoir sa langue, c'est vraiment la fin de tout ! J'en ai rapporté une jolie collection, hier, de chez Michel Desgranges et, dans l'un d'eux, je suis tombé sur une légende de photo où l'on apprenait au lecteur que, dans un premier temps, Beethoven avait dédicacé sa troisième symphonie à Bonaparte. Certainement pas : il la lui avait dédiée.

– À propos de Michel, il me disait hier s'être replongé, une fois de plus, dans La Comédie humaine. On a parlé des Illusions perdues, de La Cousine Bette, des Employés, de La Rabouilleuse… Et, du coup, c'était à prévoir, je sens depuis hier comme une envie insidieuse qui monte, de moi aussi revenir à Balzac ! Du reste, qui m'en empêche ? En plus, c'est une lecture qui ne me coûterait pas un sou…

– Nicolas, en commentaire, ironise sur le fait que je ne publie plus beaucoup de billets sur le blog-mère. Il a raison, mais sa remarque aurait plus de poids si lui-même ne se montrait, depuis déjà un moment, deux à trois fois plus fainéant que moi.


Samedi 13

Neuf heures et demie. – Parce que Michel, avant-hier, m'avait dit grand bien des films d'Olivier Marchal, nous avons, hier, décidé de regarder Carbone, disponible sur Netflisque. C'est un film qui a des qualités évidentes, de mise en scène et de rythme notamment. Mais il souffre de deux graves handicaps, lesquels, cumulés, nous ont fait abandonner au bout d'une petite heure. 

D'abord, ce qui constitue le socle du film, son déclencheur, n'est pas crédible. Le personnage principal (joué par Benoît Magimel) est ce qu'on appelle un “petit patron”, qui dirige depuis dix ans l'entreprise fondée par son père. Condamné au dépôt de bilan, le voilà qui, brusquement, monte une arnaque à la taxe carbone, à l'échelle européenne, s'associe avec des malfrats arabes, puis d'autres malfrats chinois, crée des dizaines de sociétés fictives un peu partout dans le monde, etc., secondé notamment par son comptable de famille, lequel ne sourcille nullement devant cette métamorphose du petit patron en virtuose de l'arnaque internationale, effectuée en un clin d'œil, et lui emboîte le pas comme si tout cela allait de soi, était parfaitement logique et naturel.

Mais enfin, à la rigueur, nous aurions su passer par-dessus cette invraisemblance de départ, même si elle devient de plus en plus gênante à mesure que les affaires illicites du héros prennent de l'ampleur. Seulement, il y a aussi, la musique : nulle, pénible, et surtout omniprésente, envahissante, couvrant plus qu'à moitié les bruits naturels des scènes que l'on nous donne à voir, et même assez souvent les répliques des protagonistes. C'est elle qui, finalement nous fit jeter l'éponge.

Bref, ma réconciliation avec le cinéma français contemporain n'est pas encore pour aujourd'hui. Ce soir, histoire de se remettre, Un singe en hiver.


Dimanche 14

Une heure. – À propos de la vaccination, un blogueur écrit qu'il est “un enfant de Curry et de Pasteur”. Moi, je serais plutôt un neveu de ras el-hanout et de garam massala. Mais le principal est de s'en mettre plein les papilles.

– Abandonné les Forsythe après une centaine de pages, pour cause d'ennui irrémissible. Et j'en ai acheté deux volumes “Bouquins” ! Comme dirait ma mère : il y a des jours, je me battrais…

– C'est excellent, Un singe en hiver. Mais je maintiens que la scène initiale, celle du bombardement de la côte normande en 1944, est deux fois trop longue par rapport à l'intérêt qu'elle présente pour la suite de l'histoire.

(Mais pourquoi écrire “je maintiens”, alors que je personne n'a songé à m'apporter la moindre contradiction ? Ça ne s'arrange pas, au Plessis-Hébert…)


Lundi 15

Onze heures. – Lubie étrange, j'ai rouvert ce matin Au cœur des ténèbres ; pour, finalement, l'abandonner à la moitié : décidément, Conrad et moi… Mais là n'est pas mon propos. Dans l'édition GF – Flammarion que je possède, le texte occupe cent vingt pages. Son traducteur, un certain M. Mayoux, le fait précéder d'une introduction qui n'en compte pas moins de quatre-vingts, ce qui est tellement excessif que c'en devient impoli, et même grossier. C'est un peu comme si votre boulanger, avant de vous tendre enfin la baguette que vous avez sollicitée de lui, vous infligeait durant vingt minutes le minutieux détail de ses vocation, formation et carrière, le tout dans un style éminemment satisfait de lui-même.

En plus de ça, son besoin d'épanchement et d'étalage n'étant toujours pas assouvi, M. Mayoux pratique la note-de-bas-de-page, et souvent de façon tout à fait gratuite. Ainsi de la première que rencontre le lecteur.  Le dit lecteur vient tout juste de lire les deux phrases initiales de Conrad, qui sont les suivantes :

« La Nellie, cotre de croisière, évita sur son ancre sans un battement de ses voiles, et s'immobilisa. La mer était haute, le vent était presque tombé, et comme nous voulions descendre le fleuve, il n'y avait qu'à venir au lof et attendre que la marée tourne. »

Ici, un appel de note. Le lecteur naïf, et non marin, s'imagine un court instant que la note en question a pour but de le renseigner sur le sens des expressions “évita sur son ancre” et “venir au lof”. Évidemment, il n'en est rien, M. Mayoux est au-dessus de ça, il a plus important à nous communiquer. Sa note dit ceci :

« Ford Madox Hueffer (ou F.M. Ford comme il était devenu), dans ses Souvenirs sur Conrad, rappelle que celui-ci, résidant alors à Stamford-le-Hope, était l'hôte habituel de Hope, propriétaire du yacht, et le P.-D.G. en question ici. »

Qui est Ford Madox Hueffer ? Le lecteur qui s'est prudemment abstenu de lire la bourrative introduction de M. Mayoux n'en sait rien.  Et, s'il le savait, quel pertinence trouverait-il à le voir rappliquer ici ? Aucune. Quant au P.-D.G. “en question ici”, il remarque, ce pauvre lecteur, qu'il n'en a justement pas été question du tout dans ce qu'il vient de lire. M. Mayoux est l'homme qui vous explique ce que vous n'avez pas encore lu.

Le lecteur regrette alors de n'avoir pas M. Mayoux devant lui, afin de lui dire vertement ce qu'il pense de son sans-gêne – voire de se livrer sur sa personne à quelque voie de fait.

Trois heures. – J'ai finalement, l'encre à peine sèche (c'est une image), transformé ce qui précède en “billet” sur le blog-mère ; du coup, La Dive – puisque tel est son nom – se verra conforté dans son idée que la lecture de ce journal doublonne avec celle du dit blog. 

– Reçu au courrier de ce jour Au galop des Hussards, le livre de Christian Millau sous-titré Dans le tourbillon littéraire des années 50. Je l'ai commencé aussitôt. Avant même de l'ouvrir, j'avais été la proie d'une bouffée de puérile vanité. La couverture du volume (Éditions de Fallois) s'orne de neuf photos portraits d'écrivains de l'époque concernée ; tous, d'ailleurs, n'appartenant pas au groupe baptisé “les Hussards” par Bernard Frank. Je les ai tous identifiés, sans hésiter une seconde sur aucun – d'où mon éphémère flambée vaniteuse.

Ces écrivains, je les ai tous lus – ce qui ne veut pas dire que j'ai tout lu de chacun d'eux, loin s'en faut. Pourtant, je reste nettement plus familier de ceux qui les ont précédés, les “d'avant-guerre” ; disons, en gros, ceux qui sont nés entre Gide (1869) et Bernanos (1888). Si bien que, pénétrant à la suite de Millau dans le grand salon où se trouvaient déjà les Nimier, Laurent, Déon et autres Blondin (sans oublier Stephen Hecquet, que nous devons être bien peu à connaître et aimer, je suppose), j'ai eu l'étrange impression d'être accueillis par mes cadets. Mais je m'y suis tout de suite trouvé en terrain fraternel… malgré mon grand âge, que tout le monde a eu la délicatesse de ne pas paraître remarquer.

– Par ailleurs, j'avais dans l'idée de consacrer ici quatre ou cinq lignes à mon précieux ami Guy Birenbaum qui, dans son dernier billet consacré à Zemmour et à Le Pen père, aligne les évidences et les lieux communs avec la tranquille et réjouissante suffisance de “celui qui sait”, mais comme je ne l'ai pas fait tout de suite l'envie m'en a passé. Je ne copicolle (alors qu'avec Nicolas je co-picole…) qu'une phrase du billet de G.B. pour donner le ton de l'ensemble :

« J’ai démontré dans mes travaux universitaires que le leader du FN avait fini par réussir à s’imposer dans le jeu, en dépit de ses provocations et de sa virulence. »

Sans les lumières et les fulgurances de tous nos petits gébés, nous serions condamnés, nous autres béotiens de la politique et du reste, à errer dans le brouillard de nos lambeaux de notions confuses. Des troupeaux de In girum imus nocte et consumimur igni, bêlant dans leurs ténèbres à la recherche d'un berger compatissant.

(Eh bien, finalement, un mot en entraînant un autre, il les aura eu, ses quatre ou cinq lignes, notre glorieux gébé…)

Six heures. – La lecture de Millau m'a donné, parce qu'on le croise entre ses pages, l'envie de (re)lire Cendrars. Et, par contrecoup, de lire aussi Henry Miller, dont j'ignorais que Cendrars et lui eussent été des amis aussi proches. Bref, je viens de commander un “Quarto” de 1400 pages consacré au manchot suisse et un gros volume Stock contenant les deux Capricorne de l'Américain. Alors que le nouveau mois “carte dorée” n'est même pas commencé…

– À propos de Marcel Jouhandeau, Christian Millau définit ainsi Élise, son épouse : une moitié qui comptait double. Si l'on y réfléchit, on se dit que la plupart de nos moitiés doivent probablement compter double. Mais c'est peut-être vrai pour elles aussi.


Mardi 16

Dix heures. – Le livre de Millau est d'une lecture délicieuse et “flânante”, si je puis dire. On s'y promène avec nonchalance, passant d'un site à l'autre sans s'apercevoir du chemin. Les “sites” sont évidemment ces écrivains dont il parle en toute connaissance, c'est-à-dire cette mini-centurie d'esprits qui, juste après la guerre, furent touchés par la grâce ; je veux signifier par là qu'ils échappèrent bienheureusement à la double chape plombée du communisme et du sartrianisme (le néologisme est offert par la maison).

Du reste, on se rend vite compte que, dans son titre (voir plus haut), le mot “Hussards” est employé surtout comme appeau à lecteurs : en réalité, la plupart des écrivains qu'il évoque ne peuvent être rangés sous la bannière frankienne, de Léautaud à Céline, en passant par Cendrars, Simonin ou Giono (encore que ce dernier en ait mis un sur son toit…). Ou alors, et c'est tout à fait possible, il faut donner au mot un sens plus extensif que celui de Bernard Frank.

Ah la la… tout cela est bien compliqué, allez !

Mais je vois la môme Élodie qui fronce du sourcil : « Eh ! il n'y a que des mâles blancs, dans votre livre ! » Pas du tout, pas du tout, ma chère ! Pour la couleur, je ne dis pas… encore qu'on y rencontre le très élégant Chester Himes. Mais pour le sexe, Louise de Vilmorin et Françoise Sagan ont droit chacune à son chapitre ; et on croise régulièrement Geneviève Dormann, entre deux portes et entre deux verres. Plus fugitivement, on aperçoit aussi les silhouettes de Christine de Rivoyre et de Françoise Mallet-Joris. Bref, la sainte parité n'est pas loin d'être observée, et c'est bien l'essentiel.

– Par ailleurs, quand je récapitule et additionne mes “dépenses Rakuten” pour le mois de novembre, je me dis qu'l serait bon de se calmer un peu sur les achats de livres en décembre…

(Mais, aussitôt, une petite voix plutôt catégorique : « N'oublie pas que, dans ces dépenses, il y a aussi les deux coffrets de DVD que Catherine va offrir à sa fille ! » Du coup, l'acheteur compulsif se trouve fort rasséréné.) 


Mercredi 17

Une heure. – Cosmos, le chat d'Élodie (façon de parler : elle nous l'a laissé il y a au moins trois ans…), avait disparu depuis avant-hier. Catherine vient de le retrouver au fond du jardin, faisant déjà preuve d'une belle rigidité cadavérique. Comme son corps ne présentait aucun signe de blessure, on en a déduit qu'il avait dû être empoisonné. Par quoi ? Comment ? Quelle importance ? Il est mort, c'est tout. 

Réaction immédiate de Catherine, tout à fait normale en ce genre de situation : « En tout cas, c'est fini, je ne veux plus de chat ! » Combien de fois ai-je entendu ma mère affirmer la même chose, chaque fois que l'un de leurs félins successifs était porté manquant ? 

Cela dit, ce n'est pas moi qui la pousserai à en reprendre un. D'abord parce que nous avons toujours Golo, le patriarche. Et ensuite parce que, d'ici quelque temps, si une occasion se présente, il n'y aura peut-être pas besoin de la pousser…

Quatre heures. – … Et depuis ce temps, je n'arrête pas de penser à ce fucking dead cat ! Même Chester Himes et sa Reine des pommes ne sont pas parvenus à m'en détourner tout à fait ; Dieu sait pourtant s'ils se donnent du mal. (Marco Polo va encore pouvoir se payer ma fiole, je sens ça…)

– Ce matin, parce qu'elle ne s'en ressentait pas de conduire, suite à l'injection, hier, de sa 18ème ou 23ème dose de vaccin anti-chinois (je m'y perds un peu, n'ayant guère la mémoire des chiffres), Catherine m'a demandé de l'emmener à Évreux où l'attendait, de roulette ferme, son dentiste. N'ayant rien de mieux à faire en l'attendant, je me suis promené au gré des rues de la cité ébroïcienne, chose que je n'avais pas faite depuis environ trois ou quatre ans, à vue de nez. J'ai été sidéré du nombre de noirs qui les parcouraient en même temps que moi, ces rues. Je précise que je me trouvais dans le centre de la ville, aux abords de la cathédrale, et non dans le quartier de la Madeleine ou autre ghetto périphérique.  J'avais l'impression que ces braves Africains composaient désormais entre un quart et un tiers de la population d'Évreux. (Et notons aussi que, parmi les deux tiers ou les trois quarts qui ne l'étaient pas, noirs, il y avait un nombre respectables de gens issus plus sûrement de la Mitidja que de la Beauce…)

Bref, le fameux Grand Remplacement a beau n'exister pas, n'être qu'un fantasme émanant des marais putrides de l'extrême droite, il commence néanmoins à se voir drôlement.


Jeudi 18

Onze heures. – Fini ce matin La Reine des pommes de Chester Himes, roman aussi réjouissant que ce qu'il était dans ma pauvre mémoire. Pour changer un peu tout en restant “dans le ton”, j'ai ressorti le volume Quarto renfermant les romans de Dashiell Hammett. Je me souviens d'avoir été assez fortement déçu par ma première lecture du Faucon maltais : raison de plus pour y retourner voir.

Cela étant, je paierais cher (façon de parler : je ne lâcherai rien du tout !) pour connaître la raison qui m'a fait brusquement revenir à ce genre de romans, que je suis pourtant censé tenir en piètre estime… 

À propos de Chester Himes, je note que ce nègre n'était pas très politically correct. À je ne sais plus qui lui conseillant un petit voyage en Afrique pour aller à la rencontre de ses “frères”, il avait montré sa veste de cachemire, sa cravate de luxe et ses pompes sur mesures en disant : « Tu me vois en train de donner des coups de pied dans les baobabs pour en faire tomber mes ancêtres ? » Tss… est-ce bien raisonnable, Mr Himes ?

Trois heures. – Depuis hier midi, je continue à vivre selon les habitudes prises les deux jours précédents : chaque fois que je passe devant la double porte vitrée de la maison, je jette un coup d'œil dans le jardin – des fois que Cosmos ferait une soudaine réapparition…

Six heures. – Dashiell Hammett ? Décidément, non ! En tout cas, pas pour moi. Aussitôt après l'avoir abandonné sans regret ni remords, commencé Catch 22, rapporté du garage Ford par Catherine.


Vendredi 19

Dix heures. – Un peu agacé d'en lire de bonnes critiques un peu partout, je me suis décidé il y a quelques jours à faire une chose totalement inédite chez moi : acheter en DVD la première saison d'une série française. En l'occurrence, Le Bureau des légendes, que l'on doit à Éric Rochant, cinéaste dont je n'ai jamais vu, je crois bien, le moindre film. 

J'ai été encouragé à cet achat par le fait que le coffret de la saison  première était disponible pour cinq ou six euros, et que je disposais justement de cinq ou six euros en “points Rakuten”, si bien que, bonne ou mauvaise, la série ne me coûterait de toute façon rien du tout.

Eh bien, nous avons regardé les deux premiers épisodes hier et, ma foi, l'affaire nous a semblé tout à fait prometteuse. En tout cas, nous avons décidé de regarder la suite, ce qui, je crois bien, ne s'est encore jamais produit pour aucune autre série française.

– Par ailleurs, avoir repris ce matin Le Grand Sommeil de Raymond Chandler me donne une certaine envie de revoir le film qu'en a tiré Hawks, avec Bogart en Philip Marlowe. Je devrais pouvoir trouver cela pour pas trop cher, logiquement…

Onze heures. – Passé chez Ford pour y récupérer le volume “Quarto” que Gallimard a consacré à diverses œuvres de Cendrars ; écrivain que j'ai fort peu lu, et il y a fort longtemps. Pourquoi cette brusque envie d'y retourner ? J'ai déjà oublié quel en fut le déclencheur…

– Pendant ce temps, dans le touittasile de Guillaume Cingal, on s'interroge gravement, sourcils froncés, à propos de la Juliette de Shakespeare et de ses 14 ans supposés : relève-t-elle ou non d'un “patriarcat pédocriminel” ? William n'a plus un poil de sec… 

Six heures. – Mais si, bien sûr que je sais qui m'a donné envie de relire Cendrars : c'est Christian Millau et ses Hussards.


Dimanche 21

Trois heures. – Commandé la deuxième saison du Bureau des légendes. Si on m'avait dit qu'un jour je pourrais trouver un quelconque intérêt à une série télévisée française… Du reste, je me demande si celle-ci est réellement supérieure à la production courante, ou bien si Catherine et moi sommes conjointement victimes d'une sorte de ramollissement cérébral qui nous la fait trouver telle. La question n'est pas sans m'effrayer quelque peu.


Mardi 23

Dix heures. – Parce que j'avais bien aimé son Galop des Hussards (est-ce bien le titre exact ?), et me laissant porter par mon enthousiasme facilement juvénile, je m'étais empressé de commander deux autres livres de Christian Millau. Je ne sais pas encore, l'ayant à peine entrouvert, ce que donne son Dictionnaire amoureux de la gastronomie, mais je puis déjà dire que son Journal impoli ne vaut pas grand-chose. Au point que je le feuillète plus que je ne le lis, que je ne le terminerai sans doute pas, et qu'il est d'ores et déjà promis à la poubelle jaune. Je n'ai rien contre les vieux réacs, Dieu sait, mais il y a la manière. Ronchonner et bougonner, c'est très bien, mais seulement quand on possède l'art de le faire. Or, cet art, Millau ne le possédait point, si bien qu'il vire un peu trop souvent au beauf épais et morne, quand il ne sombre pas dans une franche et déplaisante vulgarité – vulgarité de pensée et vulgarité de style. Bref : une déception.

Cela dit, il y a tout de même des pages tout à fait intéressantes, dans ce livre. Notamment lorsque son auteur narre des rencontres avec de vraies personnalités (souvent des écrivains, mais pas seulement), qu'il nous rapporte à leur sujet des anecdotes et des propos saisis sur le vif… le problème de ces pages, c'est qu'on les a déjà lues, pratiquement mot pour mot, dans Au galop des Hussards : M. Millau, tel un vulgaire gérant d'hypermarché, “fait de la remballe” !

Du reste, depuis quelques jours, voire semaines, je ne cesse de commencer des livres que j'abandonne en cours de route (Catch 22 par exemple, fort ennuyeux pour mon goût). Pourquoi donc ? Allez savoir ! Sans doute “parce que ce n'était pas eux, parce que ce n'était pas moi”, quelque chose dans ce genre…

Trois heures. – Eh bien ! son Dictionnaire amoureux vaut nettement mieux que le journal “assassiné” plus haut ! M. Millau remonte dans mon estime et mon affection.


Mercredi 24

Dix heures. – À propos du livre qu'il est occupé à déchiffrer, un blogueur ramassé chez Nicolas précise qu'il se lit “de manière universitaire”. Je me perds en conjectures, à propos de cette nouvelle façon d'aborder la lecture, dont j'ignorais tout jusqu'à ce matin. Du reste, c'est tout le billet qui est à peu près incompréhensible ; même si, çà et là, on devine, ou pense deviner, ce que l'auteur a voulu tenter d'exprimer. C'est un exercice assez étrange.

– Reçu au courrier : la deuxième saison du Bureau des légendes ainsi qu'un gros volume “Omnibus” contenant huit ou neuf romans de Peter Cheyney, dont je crois bien n'avoir jamais lu une ligne.

Six heures. – Ces cinquante dernières années, je me suis toujours tenu à l'écart d'Henry Miller et de ses livres, sans trop savoir pourquoi. Aujourd'hui, je le sais. Cet après-midi, j'ai lu les quarante premières pages de son Tropique du cancer ; puis, j'ai ouvert le volume une dizaine de fois, au hasard, lisant tantôt une demi-page de ce Tropique-ci, tantôt trois paragraphes de ce Tropique-là. Eh bien, on pourra me seriner jusqu'à la fin des temps, ou au moins du mien, que Miller est un grand écrivain et que ses livres sont des chefs-d'œuvre, je n'en démordrai point : ce que j'ai eu entre les mains n'était qu'un prétentieux et pénible fatras.

Épicétou.


Jeudi 25

Dix heures. – Vu hier soir Le Temps de l'innocence (et non de l'in-nocence…), le film que, voilà bientôt trente ans, Martin Scorsese a tiré du roman éponyme d'Édith Wharton, avec Daniel Day-Lewis, Michelle Pfeiffer et cette petite dinde progressiste de Winona Ryder. C'est un film plus qu'honorable, très fidèle au roman dont il est issu, avec des costumes et des décors superbes, et une mise en scène à peu près parfaite, pour autant que je sois capable d'en juger. 

– J'apprends à l'instant, par le biais de la turbine à touits de Guillaume Cingal (une mine, décidément) qu'il existe un Prix du roman des étudiants tourangeaux. Le Pulitzer et le Goncourt tremblent sur leurs assises.

– Discourant à propos des vaccins anti-chinois, un blogueur écrit que “nous n'avons pas d'autres alternatives crédibles”. Cela revient à lâcher deux bourdes en huit mots.  1) ce n'est pas d'une alternative que nous aurions besoin mais d'une possibilité, d'une option, d'une solution de rechange. À plus forte raison, que ferions-nous de plusieurs alternatives ? 2) Une solution de rechange n'a pas besoin d'être crédible : qu'elle soit efficace sera amplement suffisant, y compris pour ceux qui ne croient pas en elle et ne s'y fient pas. C'est ce qu'on appelle : jargonner pour ne rien dire. Ou, en français plus bref et plus moderne : bloguer.

– Dans son himmel d'hier, Michel Desgranges m'encourageait vivement à relire Les Employés de Balzac, roman qu'il venait tout juste de terminer : c'était me pousser du côté où je ne demande qu'à tomber ! Reprendre Balzac est l'une de ces tentations qui reviennent régulièrement me titiller, et à laquelle je résiste rarement. Si j'hésite à replonger, c'est que je me connais ; les romans de Balzac, chez moi, c'est comme les verres d'alcool : je puis parfaitement m'en passer mais, si j'y trempe les lèvres ou y jette un œil, je ne saurais avoir mon compte à moins d'une douzaine d'affilée…

J'ai tout de même tiré Les Employés de leur léthargie administrative, c'est-à-dire de leur rayon. Ce qui revient à poser la bouteille de whisky en évidence sur la table basse du salon, en essayant de se faire croire qu'on n'y touchera pas.


Vendredi 26

Dix heures. – Hier soir, à peu près sur les coups de six heures, plus d'internet. La Livebox venait de passer de son mode “vert allumé” à un mode “rouge clignotant”. Cet ordinateur m'affichait crânement une page sur laquelle étaient proposés deux ou trois moyens de résoudre moi-même le problème (tu parles !), lesquels moyens passaient tous… par l'internet dont j'étais privé. Donc, il fallait empoigner le téléphone et appeler à la rescousse un liveboxeur Orange.

Nous tombâmes comme il se doit sur un p'tit gars de Marrakech (c'est lui qui nous l'a dit), d'une politesse et d'une gentillesse dignes des plus vifs éloges, mais dont l'accent de palmeraie et le débit d'AK 47 ont rendu un peu délicate sa conversation avec Catherine. Dans un premier temps, il nous a déclaré qu'il allait tenter de résoudre, tout seul comme un grand, le problème à distance ; ce qui, d'après notre courte expérience, ne marche rigoureusement jamais – et effectivement.

Notre brave Marrakchi a donc replongé sur son clavier et, quelques minutes plus tard, nous a annoncé la visite à domicile d'un liveboxeur local (local, il l'est même furieusement puisque, lors d'une précédente visite dépanneuse, il nous avait appris qu'il habitait Le Plessis-Hébert, à deux rues de chez nous) samedi matin à partir de huit heures. Nous nous apprêtions donc à passer une journée de vendredi dans le même état  de fébrilité convulsive qu'un couple de camés en panne de seringue…

Et voilà que, ce matin, nous avons pu constater, incrédules (d'abord) et ravis (ensuite) que, dans le cours de la nuit , notre Livebox était, toute seule ou grâce à une intervention quasi divine, repassée sagement en mode “vert allumé”.

Et, de fait, tout semble fonctionner normalement. Il reste une question plutôt angoissante : doit-on annuler notre rendez-vous avec le liveboxeur ou bien le laisser venir tout de même, afin qu'il vérifie que tout va réellement bien ? Avec une certaine couardise, nous avons décidé… de ne rien décider avant la fin de l'après-midi. Pour voir, comme disent les joueurs de poker.

– Histoire de fêter ça, Catherine m'a rasé le crâne.

Onze heures. – Appel téléphonique d'une dame Orange (?), pour nous avertir que, finalement, le liveboxeur passerait dès aujourd'hui. Visite maintenue, même après que Catherine l'eut informée que tout était rentré dans l'ordre. Nous avons supposé que notre liveboxeur héberto-plessiste avait jugé plus avantageux de faire un petit crochet par chez nous en rentrant de travailler, plutôt que de s'extraire matutinalement du lit un samedi…

– Comme il fallait s'y attendre, j'ai laissé choir, ce matin, ce pauvre Chester Himes au beau milieu d'un roman – Tout pour plaire, de toute façon inférieur aux trois lus précédemment – pour me ruer sur Les Employés de Balzac. Et le pire est que je n'en éprouve aucun remords : ce doit être ça, la toxicité du mâle blanc occidental, même mort, par rapport aux pauvres romanciers racisés.


Samedi 27

Dix heures. – Le titre du jour : « Les albatros, connus pour leur monogamie, divorcent à cause du changement climatique. » Voilà qui pourrait donner des idées à certains humains sournois : « D'accord, ma chérie, d'accord, la voisine m'a taillé une petite pipe hier, pendant que tu étais à ton cours de danse brésilienne… mais c'est à cause du changement climatique, c'est pas tromper… »

– Passé tout à l'heure au garage Ford – sous une pluie vaguement neigeuse et battante – pour y retirer le petit livre de Stephen Hecquet, Faut-il réduire les femmes en esclavage ? C'est curieux mais sans avoir encore entrouvert le livre, je sens que la réponse a de bonnes chances d'être affirmative…

Trois heures. – Je viens de découvrir, par le plus improbable des hasards, il y a environ une heure, que Jérôme Vallet avait rouvert son blog (je ne sais pas quand). Depuis, je lis les nouveaux textes qu'il y a publiés. Et, bien entendu, je vais le remettre dans ma blogoliste. Juste pour l'énerver un peu.

Six heures. – Voulant mettre à exécution ce que j'indique juste avant, je me suis aperçu que les petits outils permettant de modifier tout ce qui se trouve dans la colonne de gauche du blog, tous ces petits outils avaient disparu. Par conséquent, pour ce qui concerne ma blogoliste, je suis dans l'incapacité de la modifier, soit pour lui ajouter un blog comme j'en avais le projet, soit pour, éventuellement, en supprimer un. J'ai accueilli ce “coup du sort” avec un flegme remarquable.

– Le petit livre d'Hecquet s'est révélé fort décevant. Heureusement, il est également tout ce qu'il y a de bref.


Dimanche 28

Neuf heures. – Terminé ce matin, au saut du lit ou pas loin, Les Employés de Balzac, repris sur les conseils chaleureux de Michel Desgranges qui venait d'en terminer la relecture. Roman en effet très étonnant que celui-là. Il m'a fait penser à ces grosses fourmilières qu'on rencontre en forêt : d'abord, on ne croit voir qu'un monticule immobile, presque mort ; en s'approchant, on commence à discerner quelques mouvements, une sorte de houle ; encore quelques pas dans sa direction, et tout se met soudain à grouiller, à s'agiter selon des règles d'abord mystérieuses ; et, bientôt, c'est toute la colonie qui semble saisie par une sorte de fièvre d'autant plus pernicieuse et prenante dans ses effets qu'elle est dérisoire dans ses buts.

Il y aussi cette étonnante structure du livre : un roman, certes, mais dans lequel, à plusieurs reprises, Balzac insère des scènes de théâtre, avec indication en en-tête de qui parle, didascalies, etc. Comme si, soudain, l'auteur était obligé de s'absenter et qu'il laissait ses “fourmis” libres de continuer à s'agiter sans lui.

Michel me disait que, terminant ce roman-là, il avait enchaîné avec César Birotteau (c'est qu'on ne quitte pas Balzac comme cela !). Il a eu parfaitement raison : science ou hasard, il me semble trouver des points de ressemblance entre Birotteau et ce pauvre Rabourdin des Employés, une sorte de cousinage dans la droiture et le malheur, celle-là étant la cause plus ou moins directe de celui-ci. J'ai d'ailleurs failli l'imiter encore en cela ; mais, finalement, mon “tropisme” balzacien personnel a été le plus fort… et j'ai rouvert les Illusions perdues.

– Au fond, peut-être l'homosexualité n'est-elle rien d'autre qu'un onanisme un peu sophistiqué.

Six heures. – Sur le blog de Jérôme Vallet, à la date du 29 mai 2019, ceci : « Le déménagement secret de mon blog a de grands avantages. L'un de ceux-là est qu'ENFIN je suis débarrassé des lecteurs qui venaient de chez Didier Goux. Ils n'ont pas retrouvé ma trace : quel soulagement !  » Histoire de le faire un peu grincer des dents, l'ermite du Gard, voici son adresse.

Du reste, deux questions, liées, me viennent : 1) Comment savait-il que “mes” lecteurs venaient aussi le lire ? 2) Qu'en a-t-il à faire, puisque, de toute façon, il n'autorise aucun commentaire ? J'ajouterai à cela que, quand on écrit publiquement, on doit accepter d'être lu par qui le souhaite, c'est-à-dire par n'importe qui. Et aussi de n'être pas lu par ceux qu'on aimerait bien voir le faire.


Lundi 29

Deux heures. – Grand soleil, petit froid vif, pas de vent : aucune excuse pour ne pas aller marcher avec Charlus, chacun à son bout de la laisse. C'est pourquoi nous venons d'y aller ; et c'était, ma foi, bien agréable. Nous n'avons pas mal couru dans les champs ras, surtout lui.

Sur ce, mission accomplie, je puis retourner sans remords à mes Illusions perdues  ; roman dont je me demande si je parviendrai à me lasser un jour, notamment dans sa partie centrale – Un grand homme de province à Paris –, celle que tout le monde a en mémoire (je suis toujours moins emballé par la troisième partie, sans doute parce que le trop-plein de vertus qui afflige le couple David Séchard-Ève Chardon m'agace un tantinet).


Mardi 30

Dix heures. – Les plaisirs de la relecture ne sont pas simplement les plaisirs de la lecture que l'on renouvellerait : on y trouve des choses en moins et des choses en plus. Le moins est lié évidemment aux surprises de l'intrigue, à ses rebondissements, à la découvertes des caractères, leur évolution, etc. – c'est-à-dire, finalement, à tout ce que demandent la plupart des gens, je crois, aux livres qu'ils lisent.  Le plus tient à ce que, sachant déjà tout ce qui va advenir dans le cours de l'histoire qu'on nous raconte, on peut se consacrer plus complètement, plus en détail, à la manière dont personnages et événements sont conduits par leur créateur, à l'architecture générale du roman (car ce que j'essaie de dire là est surtout valable pour le roman, et peut-être même exclusivement). On est alors mieux à même de repérer telle ou telle minuscule “pierre d'attente”, dont on sait que sur elle va, cent pages plus loin, s'élever un immense pilier destiné à soutenir une partie de la voûte encore invisible. C'est ce qui permet de relire dix fois, vingt fois, dans sa vie Don Quichotte, À la recherche du temps perdu, Orgueil et préjugés, Madame Bovary… et, bien sûr, ces Illusions perdues qui font mes délices depuis deux jours, et avec quoi je vais clore ce mois.
 

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