mardi 1 décembre 2020

Novembre 2020

 

  

 

 

 

 

 UN VENT DE FRONDE

 

 

 

 

 

Dimanche 1er

Dix heures et demie. – Un cas limite de possession démoniaque : ce matin, je me suis levé avec, dans la tête, hégémonique… une chanson de Sheila. Peut-on imaginer pire cauchemar, à part peut-être une nasillarderie de Claude François ou un piaulement de Daniel Balavoine ? Mon désarroi, déjà considérable, s'est mué en épouvante lorsque je me suis aperçu que j'étais encore capable de me chanter sans la moindre erreur ni hésitation, tout le premier couplet de la dite ritournelle, laquelle doit dater des années 1965 et que je n'ai pas dû réentendre depuis. Quand je dis “chanter”, c'est évidemment à l'intérieur de ma tête. L'aurais-je fait à voix haute que Catherine eût été en droit de me faire aussitôt interner dans une unité spécialisée.

– Les livres de Nassim Taleb, et principalement celui que je lis depuis hier, Antifragile, me font mieux comprendre pourquoi la science-fiction ne peut être qu'un sous-genre littéraire, superficiel, infantile. (Là, je sens bien qu'il conviendrait de développer un minimum, mais il se trouve que je n'en ai aucune envie.)

 

 Mardi 3

 Dix heures. – Terminé Antifragile il y a une petite heure. Même si le livre reste passionnant, il m'a semblé, surtout dans la seconde moitié, que M. Taleb présentait certaines tendances à “virer gourou”, c'est-à-dire à avoir des avis péremptoires dans n'importe quel domaine, notamment celui de la santé. On verra si cette fâcheuse tendance s'accentue dans son prochain livre – à condition qu'il y ait un prochain livre.

– Le drapeau sanitaire flotte sur la marmite. Avec le retour du Grand Claquemurage, les sottises pleuvent en rafales sur les blogs – et sans doute aussi ailleurs, mais je me garde bien d'aller y voir, sous peine de devenir moi-même fou à lier. Chacun y va de ses prédictions, de ses jugements définitifs, de ses avis éclairés et recommandations péremptoires, alors qu'ils sont, évidemment, tout comme moi, dans l'ignorance la plus totale des tenants et des aboutissants. L'ineffable Renépol en est déjà à parler de la “troisième vague”, comme un vulgaire surfeur de plage en moule-boules fluo. Et je m'aperçois que, contrairement à ce qui s'était produit au printemps dernier, leurs élucubrations ont cessé à peu près complètement de m'amuser : elles ne dégagent plus qu'un vague relent d'ennui, un goût fade de nourriture déjà mâchée.

Tout cela ne va pas m'empêcher, cet après-midi, de tondre le jardin (et les feuilles mortes qui le recouvrent partiellement).


Mercredi 4

Dix heures. – Sur le blog d'un macronolâtre tremblotant, je tombe en arrêt devant cette phrase : « Avant de critiquer qui que ce soit j'essaie toujours de me demander si j'aurais pu faire mieux. » C'est évidemment absurde. Ainsi, je ne devrais pas critiquer la baguette d'un boulanger médiocre, sous prétexte que je suis incapable de faire cuire du pain ? Ni me méfier de ce mauvais toubib dans la mesure où je ne saurais poser moi-même le moindre diagnostic ? Idem pour le garagiste qui a saboté la réparation de ma voiture, etc. Il y en a à qui la frousse fait vraiment dire n'importe quoi. Cela dit, le même estime que l'honneur de sa famille a été relevé simplement parce que son fils a un jour sauté du haut d'un pont accroché à un élastique. Partant de là, évidemment, tout devient recevable et admissible. Presque logique, même.

Midi. – Temps lumineux et froid, idéal pour un déclaquemurage canin, lequel vient par conséquent d'être effectué.  Nous avons croisé deux dames qui discutaient sans masque, ce qui est très mal, et un automobiliste qui, seul dans sa voiture, en portait un, ce qui est très con.

Trois heures. – J'ai finalement, l'heure dernière, réussi à tondre mon herbe, une ondée inopinée m'en ayant empêché hier. Quand je dis “tonde mon herbe”, il serait plus exact de dire que j'ai broyé un tapis de feuilles de cerisier mortes.

– Michel Houellebecq est un putain d'arnaqueur – et Flammarion avec. Je viens de recevoir son tout dernier livre, Interventions 2020. Il s'agit d'un recueil d'articles qu'il a pu écrire ici ou là. Comme je possède déjà de lui un mince volume appelé Interventions, j'en avais naïvement déduit que celui qui vient de paraître devait recueillir des articles publiés depuis le précédent volume. Or, point : dans la cuvée 2020, plus de la moitié des textes sont déjà dans le livre d'avant ! Si je le tenais, l'asticot, je lui ferais volontiers sauter les trois dents qui lui restent, tiens ! D'un autre côté, comme je m'attendais à un livre de deux cents pages et que, finalement, il en fait le double, je me retrouve avec autant de lecture neuve que j'en espérais. C'est bon, Michel, tu peux retirer ton protège-chicots (mais pas ta muselière !), ça passe pour cette fois.


Jeudi 5

Onze heures. – Les vieillards ont toujours adoré parler de leurs maladies, réelles ou supposées, déclarées ou seulement menaçantes, discourir sans fin sur leurs symptômes, leurs effets, les moyens de s'en prémunir ou de les vaincre, etc., à perte de vue. Dans ma jeunesse, cette manie était l'occasion de moqueries plutôt affectueuses. Il est intéressant de constater que, depuis l'arrivée du petit Chinois, un pays entier ne parle plus que de maladie, et ce dans toutes les tranches d'âges, tous les milieux, toutes les classes. Comme si, sans même nous en apercevoir, nous étions tous et d'un seul coup devenus des vieillards, ne formant plus que la queue d'une civilisation entrée en phase terminale.

Trois heures. – Terminé les Interventions 2020 de Houellebecq. Gros avantage de l'amnésie : de tous les textes y figurant que j'étais censé connaître déjà, les trois quarts au moins ne m'avaient laissé aucun souvenir et ont donc brillé de l'éclat de l'inédit. Comme j'ai eu envie de rester encore un peu avec l'auteur, j'ai ressorti le Cahier de L'Herne à lui consacré.

Sinon, juste avant mon déjeuner, je me suis, en dépit du claquemurage, offert un aller-retour éclair à Chartres pour y sacrer Henri IV : une bonne chose de faite.

Six heures. – Au fond, il y a très peu de constantes dans l'histoire longue de l'Europe – par longue, j'entends, disons : le millénaire écoulé. Ce qui est sûr c'est que la lutte contre l'islam en est une. Par quel soudain miracle cette opposition irréductible se serait-elle évanouie ? 


Vendredi 6

Dix heures. – Par association d'idées, feuilletant son Cahier de L'Herne, je viens de relire les quelques billets de blog que j'ai pu consacrer à Michel Houellebecq. J'ai aussi jeté un coup d'œil aux divers commentaires qu'ils avaient pu susciter. Et je suis tombé sur celui-ci, de Georges de La Fuly (Jérôme Vallet à la ville) : « Vous n'avez qu'à l'écrire, le Chef d'œuvre de Houellebecq, puisqu'il n'arrive pas à s'y mettre ! Un Houellebecq écrit par un nègre du Plessis, ça aurait de la gueule ! » Il n'est donc pas exagéré d'affirmer, le cachet de la blogoboule faisant foi, que Le Chef-d'œuvre de Michel Houellebecq est né, ou plutôt : a été conçu, le 17 mai 2014 à 14 h 38.


Samedi 7

Onze heures. – Rien à dire, rien à noter, sentiment de lassitude, d'être insidieusement empoissé de la bêtise générale. Je parcours, fort distraitement, ce qu'il est convenu d'appeler les “sites d'information” : mon regard ni mon cerveau n'accrochent rien. Qu'est-ce que je pourrais bien en avoir à faire, que les États-Unis changent de président ou pas ? Ou qu'il y ait mille malades de plus ou de moins dans les hôpitaux français ? Je (re)lis Houellebecq : les poèmes, puis Extension. Ce n'est pas lui qui va me donner envie de me passionner pour le monde environnant.


Dimanche 8

Dix heures. – À l'un de ses “amis” facebookiens qui se réjouissait bruyamment de la défaite de Trump, Catherine a eu la curiosité de demander ce qu'il pouvait bien en avoir à faire, de la victoire de l'un ou de l'échec de l'autre, dans une élection qui ne le concerne en rien. La réponse a fusé, impeccable : « C'est quand même meilleur pour la planète ! » Évidemment, si la planète est contente, il n'y a vraiment plus rien à dire. D'ailleurs, au lieu de s'obstiner bêtement à organiser, çà et là, de coûteuses élections, on ferait mieux de demander simplement son avis à la planète, chaque fois qu'une question se pose, ou semble se poser. Et puis, pourquoi s'arrêter là ? il faudrait aussi s'enquérir de ce qui arrangerait le système solaire… ferait plaisir à la galaxie… aurait les faveurs de l'univers… 

– Mon shoot houellebecquien se prolonge, comme pratiquement chaque fois : après Extension, les Particules élémentaires, et en ce moment même Soumission. Je pense que je vais m'arrêter là ; mais, dans ce domaine si particulier de l'addiction, on n'est jamais assuré de rien.

Midi. – Envie soudaine, presque brutale, de relire Charles Péguy, et tout particulièrement le “versant poétique” de son œuvre, chose qui, je crois bien, ne m'est pas arrivée depuis mes années de lycée. Évidemment, la lecture du chapitre Rocamadour du roman de Houellebecq n'y est pas pour rien. Sitôt pensé, sitôt fait, je viens de commander le volume de la Pléiade contenant ses poésies complètes, trouvé à un prix tout à fait correct : 33 €. Heureux ceux qui sont morts pour la terre charnelle…

 

 Lundi 9

 Dix heures. – Il y a quand même un genre de paradoxe, dans ces “réseaux sociaux”, que grâce au Ciel je fréquente fort peu. Alors que, à part un seul, je ne vois plus aucun de mes véritables amis, qui pourtant m'étaient chers et agréables à la vue et à l'ouïe, que j'avais de si près tenus, pourquoi perds-je mon temps à discuter, voire ferrailler, avec des gens dont, à l'exception de deux ou trois, je n'ai strictement rien à faire, qui n'ont à peu près aucune existence à mes yeux ? Il faudrait mettre fin à toutes ces âneries. Oui, il faudrait…

J'y pense surtout ces jours-ci, où  la quasi-certaine défaite de Trump suscite évidemment une déferlante de sottises aussi infantiles que satisfaites. Et, soudain, on voit se multiplier les experts en politique américaine, en systèmes électoraux, etc., aptes, du haut de leur chaire improvisée, à donner des leçons à Benjamin Franklin himself. La phrase suivante, trouvée chez Nicolas – décidément très en verve en ce moment –, vaut son pesant de peanuts : « Par contre, j’aimerais assez que nos amis américains changent de système électoral. » Nul doute que l'on va, de l'autre côté de l'océan, s'empresser de déférer à une demande aussi courtoisement formulée. D'autant que les raisons fournies par le même Nicolas sont on ne peut plus sérieuses et fondées : « J’aimerais qu’ils changent non pas parce que le fonctionnement de la démocratie dans les pays autres que le mien m’intéresse mais parce que le cirque dure quand même trop longtemps ! » Il a raison : quelle drôle d'idée, de garder une constitution aussi longtemps ? Elle va finir par sentir, si ça continue. Et puis, hein, le changement c'est fun. Allez, quoi, faites un effort, les cowboys ! ne serait-ce que pour satisfaire les bougistes de chez nous, qui ne vous veulent que du bien, au fond.

– Récemment, une sorte d'ondée soudaine a déposé sur Netflix une ribambelle de films ayant Belmondo pour pivot. J'en ai mis trois ou quatre dans ma liste personnelle. Avant-hier soir nous avons regardé Stavisky, d'Alain Resnais. Film bizarre, qui semble ne jamais trop savoir où il veut aller, ni ce qu'il va dire lors de la scène suivante, non dénué d'un certain maniérisme. Et puis, il faut bien dire que Belmondo y est mauvais comme un cochon, contrairement au vieux Charles Boyer, impeccable.

– Ressorti de son rayon le Comment on écrit l'histoire de Paul Veyne.


Mardi 10

Onze heures. – Déclaration probablement humoristique du pantin qui fait office de ministre des Affaires étrangères, un certain Le Drian (c'est moi qui souligne) : « Il y a aujourd'hui un contrôle aux frontières qui va être renforcé. Mais je ne fais pas de lien entre immigration et terrorisme. » Transposons et imaginons Charles de Gaulle : « La France est aujourd'hui entièrement sous la coupe nazie. Mais je ne fais pas de lien entre cette occupation et les armées allemandes. » Apparemment, le lien c'est comme l'amalgame : verboten. Ajoutons que de Gaulle, au moins, aurait évité de s'exprimer en charabia (« Il y a un contrôle qui va… »).

Je reste tout à fait étonné que l'on s'obstine à parler des “caricatures” de Mahomet : comment pourrait-on dessiner la caricature de quelqu'un dont on ignore absolument le visage ? Les gens emploient des mots dont ils ignorent totalement le sens, simplement parce qu'il est venu frapper leur oreille par hasard. Non seulement “les gens”, chez qui ce serait excusable, mais les journalistes, les politiciens, etc., c'est-à-dire des individus qui sont plus ou moins censés savoir ce qu'ils disent (oui, je sais : moi aussi, en l'écrivant, ça m'a fait rire…).

– Ressorti Les Buddenbrook de Thomas Mann : c'est très divertissant, Wodehouse, mais enfin, ça va bien cinq minutes…


Mercredi 11

Dix heures. – Amusante conclusion de Nicolas à son billet d'hier soir : « En fin de compte, peu importe ce qui a changé avec cette enflure de covid. Il y a deux solutions : on en survivra ou pas, ce n’est pas la peine d’en faire une dissertation, non plus. » À ceci près qu'il n'a parlé à peu près que de ça durant les six mois qui viennent de s'écouler. Ce n'est plus une dissertation, c'est une série hollywoodienne, avec ses faux rebondissements et ses “saisons” qui s'enchaînent vaille que vaille. Et comme pratiquement tout le monde survit à ce machin, l'alternative qu'il pose est d'ores et déjà résolue.

– Ce matin tôt, dans une ambiance “nuit et brouillard”, je suis allé à la boulangerie et au bureau de tabac, sans que m'effleure une seule seconde le fait que nous étions le 11 novembre. Coup de chance, les deux boutiques susnommées étaient ouvertes. Braves gens…

– Ravi d'avoir recommencé Les Buddenbrook. D'autre part, j'ai comme une envie, quand j'en aurai terminé avec Montaigne (quand j'aurai transformé les essais…), ce qui ne saurait trop tarder, une envie, disais-je, de reprendre Sénèque et ses Lettres à Lucilius en guise de lecture matinale. (Je ne suis pas du tout certain que la locution “en guise” convienne très bien ici. Mais enfin…)


Jeudi 12

Dix heures. – Je passe vraiment de moins en moins de temps sur les blogs et les quelques sites d'information où j'avais mes habitudes. Mon “tour” du matin ne doit pas me prendre plus de dix ou quinze minutes, asteure. C'est surtout sensible depuis ces deux ou trois derniers jours, que j'ai décidé – on verra si je m'y tiens – de ne plus laisser de commentaire nulle part. Du coup, sachant que je vais rester silencieux, je lis les élucubrations des uns et des autres selon une diagonale de plus en plus pentue. C'est une excellente chose, il me semble.

 – Envoyé à l'instant un himmel à Michel Desgranges, notamment pour lui demander s'il connaît la série HBO qui s'appelle Entourage. J'aimerais bien avoir son avis avant d'engager les dépenses prodigieuses (20,89 €) qu'impliquerait son achat. D'autre part, nous allons, ce soir, regarder le dixième et dernier épisode de Band of Brothers, la série créée (pardon : initiée)  par les sieurs Spielberg et Hanks : tout à fait remarquable, avec tout de même un bémol pour le pénultième épisode, celui où les soldats de la Easy Company découvrent un camp de concentration bavarois. Bémol parce que non seulement il ne s'y passe rien que tout le monde ne sache déjà, bémol encore parce que les auteurs se prennent un peu les pieds dans la réalité historique, confondant camps de concentration et camps d'extermination, bémol enfin parce que, décidément, la réalité de ces camps me paraît vraiment impossible à montrer au cinéma ou à la télévision, ne serait-ce que parce que,  même si on s'est livré avant à un très sévère “casting de maigres”, les figurants semblent toujours avoir été nourris à un buffet “Club Med”. Et, quand ils tentent de donner une impression d'agonie, de “bout du rouleau”, on bascule alors carrément dans un épisode des Walking Dead. Néanmoins, redisons-le, une excellent série, souvent intense et jamais mièvre (avec Spielberg aux commandes, on pouvait s'attendre au pire, mais non).

Midi. – Sans doute enivré par cette miette de pouvoir supplémentaire que lui octroyaient ses maîtres, le préfet de l'Eure vient de décréter que nul ne pourrait plus, dans son fief, s'aventurer hors de chez lui sans muselière. Nous serions donc contraints au déguisement zombi même pour aller promener Charlus dans les chemins déserts qui environnent Le Plessis. Évidemment je n'en ferai rien, mais, si je veux éviter d'enrichir l'État par mes amendes, je serai tout de même contraint de porter la dite muselière autour du cou, des fois que viendrait à passer la calèche de la maréchaussée pacéenne durant notre tour de village.  Le plus déprimant, là-dedans, c'est qu'il doit se trouver une fraction non négligeable de la population pour se féliciter chaudement de cette nouvelle mesure vexatoire. Et plus on les humiliera, plus ils seront contents. J'en connais déjà quelques-uns, au moins virtuellement…

Dialogue conjugal express :

Catherine : – Ils éditent des tas de timbres différents, à la Poste, mais ils ne sont pas fichus d'en faire à l'occasion de Noël !

Moi : – Ça choquerait trop nos amis musulmans…

Catherine : – Ils ne sont pas obligés de faire quelque chose de religieux… ils pourraient mettre un sapin décoré par exemple.

Moi : – Ça choquerait trop nos amis écolos…

Six heures. – Sur Netflix, viennent d'atterrir voilà quelques jours deux ou trois anciens films de Godard Jean-Luc. Saisi par une curiosité sans doute imprégnée de masochisme, j'ai voulu cet après-midi regarder À bout de souffle, que je crois bien n'avoir jamais vu, même dans ma plus lointaine jeunesse. J'ai tenu une heure, oscillant constamment entre l'accablement et le rire nerveux. Mais qu'est-ce qu'on a bien pu trouver à ce prétentieux navet ? Je n'ai même pas envie de détailler ni d'expliquer quoi que ce soit : c'est consternant, point final. Je tenterai tout de même ma chance d'ici quelques jours avec Le Mépris, mais le moins qu'on puisse dire est que je vais y aller un peu à reculons. Et juste pour Bardot l'admirable.

 – Michel Desgranges me signale que, passant en vente, le Plutarque traduit par Amyot et ayant appartenu à Montaigne (dûment autographié évidemment) a été adjugé pour 369 000 €. À ce prix-là, je regrette bien d'avoir laissé échapper l'affaire…


Vendredi 13

Dix heures. – Décidément, les blogueurs sont au mieux de leur forme. Le dernier billet de Nicolas commence comme suit : « Hier, les nouvelles du front de la crise sanitaires n'étaient pas mauvaises. » À peu près au même moment, son compère Renépol attaquait ainsi le sien : « Les nouvelles venant du sud sont mauvaises […] Au nord, à l'est ce n'est guère mieux. » Continuez, les gars, continuez…

– Sinon, les grands stylistes d'Atlantico ont encore frappé. Titre pêché ce matin chez eux : « Le patron d'Air France-KLM optimise bien que le trafic actuel représente moins de 10% de celui de 2019. » Je me demande si ce pauvre patron, au vu de ses résultats, ne devrait pas plutôt “optimiser mal”.

– Islamogauchiste : variété de communiste militant pour la dictature du proléchariat.

Six heures. – Vu une petite heure du Mépris de Godard. Je n'aurai que trois mots : pompeux, pompier, pompe-l'air. Le tout noyé dans l'épais sirop violoneux de Georges Delerue. À quelqu'un qui souhaiterait tout de même tenter l'expérience, je conseillerais de se limiter aux cinq premières minutes et de se concentrer sur les fesses de Bardot, allongée nue sur un lit : tout le reste n'est que littérature, et pas de la meilleure si l'on veut bien m'en croire.


Samedi 14

Dix heures. – Ce matin, la route du roi Henri ayant inopinément, rue de la Ferronnerie, croisé celle du dénommé Ravaillac, l'envie m'est venue de ne pas abandonner aussi abruptement l'époque, de faire déborder ma lecture sur le règne suivant. Oui, mais… que lire ? Je me trouve posséder, juste en face de moi quand je suis à ce bureau, une biographie de Louis XIII (par Pierre Chevallier) et une autre de Richelieu (François Bluche) : laquelle privilégier, étant entendu que, à partir de 1624, elles ont de fortes chances de se recouper largement. L'idée m'est venue de commencer par le roi – c'est bien le moins que je lui doive –, de l'abandonner au seuil de cette année 1624 pour passer à Richelieu. Puis rendu de nouveau à l'an de grâce sus-évoqué, lire les deux volumes en alternance, étape par étape. On verra si c'est jouable.

D'autre part, j'ai déjà envie d'élargir encore le champ en m'intéressant à la Fronde, période effroyablement compliquée dans laquelle une chatte ne retrouverait pas ses petits, ni un frondeur ses cailloux. Pour ça, je pourrais m'appuyer sur la biographie de Louis XIV (François Bluche encore) ou bien tâcher de trouver un livre spécialement consacré à cette période. Et couronner le tout avec les mémoires du cardinal de Retz, lecture plusieurs fois tentée au fil des années passées et toujours quittée assez rapidement, Dieu sait pourquoi. Bref : un programme ambitieux… qui sera probablement abandonné en cours de route (je nous connais, moi et mes humeurs).


Dimanche 15

Onze heures. – Vécu hier après-midi une expérience un peu secouante. Une heure ou deux plus tard, un genre de billet a commencé à s'écrire pour ainsi dire de lui-même dans ma pauvre cervelle dont je savais bien qu'elle était désormais hors d'état de retenir les phrases qui se construisaient ; c'est pourquoi, malgré l'approche de l'heure du dîner, je suis revenu devant ce clavier afin d'y écrire et publier ce qui suit sur le blog-mère :

« J'ai donc repris ce matin la biographie que M. Pierre Chevallier a consacré au roi Louis XIII. Le “donc” de la phrase précédente, je le reconnais, peut présenter un aspect quelque peu saugrenu ; il le conservera tant que l'on n'aura pas pris connaissance de mon journal de ce mois, et notamment de l'entrée du 14. Le livre somnolait sur son étagère depuis des temps plus ou moins immémoriaux à notre fragile échelle humaine.  

« J'ai ressenti une sorte de pincement dans la région sub-costale lorsque, manipulant le volume, j'ai vu s'en échapper un petit papier, a priori une page arrachée à son calepin natal. Elle portait, de mon incertaine écriture, le nom de Jean-Philippe Chatrier, suivi de son numéro de téléphone. Celui-ci commençait par 01 47, ce qui est bien, on pourra vérifier, l'indicatif de Neuilly-sur-Seine, ville que ce grand garçon flegmatique et drôle habitait en effet.

« Je suis donc, ce papier dormant le dit, resté assez longtemps sans m'intéresser à la vie de Louis XIII, puisque Jean-Philippe est mort voilà dix ans et quelques mois, ainsi qu'en fait foi ce billet que je lui avais alors consacré : on peut en toute confiance faire fond sur lui et sa date de publication, car je n'ai encore jamais pratiqué, à ce jour, le billet nécrologique préventif.

« Je me suis retrouvé silencieux et un brin crispé, dans une main un gros volume de près de sept cents pages bourrées de mots formant des phrases, dans l'autre ce petit papier ne portant qu'un nom et dix chiffres. On aura peut-être du mal à me croire, mais le volume s'est tu, et c'est le petit papier qui s'est mis à parler. »

C'était un moyen de sauvegarde, mais aussi, plus ou moins, une manière d'exorcisme : fixer les choses, pensai-je, est un bon moyen de les mettre un peu de côté. Or, pas du tout, le moyen fut inopérant : ce matin, m'éveillant, ma première pensée fut encore pour Jean-Philippe, lequel, peu après, s'interposa continûment entre Montaigne et moi – avec un sans-gêne qui ne lui ressemblait pas du tout –, au point que je me vis contraint d'abandonner le Périgourdin pour aujourd'hui. Tout cela à cause d'un numéro de téléphone, franchement…


Lundi 16

Dix heures et demie. – Lorsqu'on lit jour après jour un blog de poltron – celui de Renépol en est un excellent exemple –, on discerne très bien par quel cheminement un trouillard peut, assez rapidement, se transformer en enragé. 1) J'ai très peur (bombe atomique, virus, pollution : peu importe de quoi, la frousse s'alimente d'un peu tout ce qui passe à sa portée) et j'implore une protection. 2) Je m'ébahis de ce que certains aient le front de ne pas partager ma tremblote. 3) Je passe de l'ébahissement à l'indignation. 4) Par conséquent, je transforme les insouciants en coupables, puis en assassins. 5) Je réclame à grands cris que ces assassins soient muselés, contraints, enfermés, tués. Renépol, pour reprendre un exemple d'homme particulièrement atteint, en est ce matin à exiger qu'on ne soigne plus les gens qui auraient refusé tel ou tel vaccin, et même qu'on leur fasse signer un engagement disant, en gros, qu'ils acceptent de crever sans soin, puisqu'ils négligent de se protéger. 

Pour prolonger un peu ce genre de délire, on pourrait imaginer que, sur le lieu d'un grave accident de la route, s'ils constatent que l'un des protagonistes n'avait pas mis sa ceinture de sécurité, les gendarmes et les secouristes refusent de le désincarcérer de son véhicule en bouillie. De même, en cas d'incendie d'une maison, les pompiers auront à cœur de laisser cramer ses habitants à l'intérieur, s'ils sont informés qu'aucune assurance n'a été prise par eux contre ce genre de sinistre. On doit pouvoir trouver encore maint autre exemple, afin de donner toute satisfaction à mon pétochard en chef.

Et l'on trouve ceci, chez Montaigne : « J'ai souvent ouï dire que la couardise est mère de cruauté. »

Six heures. – Comme prévu et décidé, arrivant au seuil de l'année 1624, j'ai provisoirement abandonné Louis XIII pour me tourner vers Richelieu. Je me suis aperçu assez vite que j'allais avoir un peu de mal à effectuer le trajet inverse, une fois que j'aurai “rejoint” cette année 1624. Car le livre de François Bluche me paraît nettement meilleur à tous points de vue que celui de Pierre Chevallier. Du reste, son Richelieu n'est pas une biographie à proprement parler, même si, grosso modo, le livre semble suivre l'ordre chronologique. On pourrait appeler cela, peut-être, un “essai biographique”, ou quelque chose dans ce genre-là. 

Pour rester dans le ton, pour “faire époque”, j'ai abandonné à deux cents pages de la fin Les Buddenbrook – qui commençaient à m'emmerder un chouïa – pour les remplacer par… Les Trois Mousquetaires et Vingt ans après. Là, au moins, je suis sûr de ne pas m'ennuyer une seconde (mais je n'en dirais certes pas autant du Vicomte de Bragelonne…)

– Nous avons, hier soir, commencé à regarder la quatrième saison de The Crown, fraîchement débarquée sur Netflix. La série, on le sait, a pour sujet la famille royale d'Angleterre, depuis le mariage de la future souveraine en 1947. Les deux premières saisons étaient remarquables, la troisième encore très bien, mais j'augure assez mal de cette quatrième, au vu des deux premiers épisodes. Je pense que je vais m'y ennuyer, mais que ce sera pour des raisons strictement personnelles, je veux dire indépendantes de la série elle-même. En effet, nous en sommes rendus à l'arrivée de Margaret Thatcher au pouvoir – ce pourrait être le bon côté de la saison, si les producteurs et scénaristes posent sur elle et son action un regard juste –, mais surtout à la rencontre du prince Charles avec la shampouineuse Diana Spencer. Si bien que, dès hier soir, j'ai un peu eu l'impression de feuilleter une vieille collection de France Dimanche. J'étais devant ma télévision mais ce que je voyais ne faisait que “me rappeler le boulot”, comme on dit. Je crois que je ne pourrai jamais me remettre tout à fait de l'indigestion de Diana qui m'a accablé durant quinze ans, avec la phase très aiguë du mal qu'a constituée sa mort stupide. Mais bon : j'm'en vas r'garder tout d'même…

– Pendant ce temps, les vaccins anti-Chinois se multiplient comme les pains lors d'un pique-nique au lac de Tibériade (ou tombent comme à Gravelotte, c'est selon) : l'affaire tourne à la farce. On imagine très bien les représentants de ces laboratoires faisant la retape sur les marchés : « Il est beau, il est frais, il est sûr, mon vaccin ! Meilleur rapport qualité-prix sur la place ! etc. » Qu'est-ce qu'on s'amuse…


Mardi 17

Dix heures et demie. – Commandé à l'instant, en collection “Bouquins”, l'Histoire des Espagnols de Bartolomé Bennassar. C'est que, depuis que je me suis remis à l'histoire des XVIe et XVIIe siècles français, je n'arrête pas de buter sur eux, ces damnés Espagnols ! Ça méritait d'aller les regarder un peu sous le nez…

Le Richelieu de Bluche : tout à fait passionnant et remarquable (si tant est que je sois capable d'en juger).

– Non, décidément, les états d'âmes et les crises de boulimie de la petite dinde de Buckingham me demeurent insupportables. Et c'est à toutes jambes que j'ai fui cette quatrième saison de The Crown, qui ne s'occupe à peu près que de la dinde susdite. Je suis, vis-à-vis d'elle et de sa pitoyable existence, comme quelqu'un qui, en ayant eu une indigestion des années auparavant, continuerait à avoir des hauts-le-cœur à la seule vue d'un bol de mayonnaise. Diana Spencer, c'est ma mayonnaise à moi. Et je m'étonne toujours de ce que, dans son cas, on se croit systématiquement obligé de parler d'une mort tragique ou encore prématurée : un accident de la route n'est en rien une tragédie, c'est juste un fait divers. Pour ce qui est de la prématuration, je m'inscris en faux également : en épousant le prince de Galles, futur roi donc, son rôle était de donner un héritier, si possible mâle, à la couronne d'Angleterre ; elle l'a fait, et par deux fois, son destin était donc parfaitement accompli ; qu'elle vive ou meure n'avait  plus, après ça, qu'une importance fort secondaire ; ça devenait une affaire purement privée, anecdotique.

Trois heures. – Je suis une fois de plus surpris par l'ingratitude de d'Artagnan (ou par l'inconséquence de Dumas, c'est selon), au tout début des Trois Mousquetaires. À l'entrée du premier chapitre, d'Artagnan père fait à son fils trois présents pour son voyage vers la capitale. Le premier est un cheval, dont il lui dit en substance (le livre est resté au salon…) : « Ce cheval est dans mes écuries depuis 13 ans, il m'a fidèlement servi : soignez-le, aimez-le comme un vieux domestique et ne le vendez jamais. » Or, que s'empresse de faire ce jeune et bouillonnant crétin, sitôt franchie la porte Saint-Antoine ? Il vend le malheureux canasson au premier maquignon qu'il croise ! On se demande pourquoi, dès l'ouverture du roman, Dumas a cru bon de signaler (ou de laisser passer) une telle incohérence de la part de son héros.


Mercredi 18

Onze heures. – On aura beau dire, palabrer sans fin, ergoter à perte de vue : Les Trois Mousquetaires, c'est tout de même quelque chose ; et une chose dont on (en tout cas moi) ne se lasse pas. À tout bien examiner, je connais quand même fort peu de romans qui, à la cinq ou sixième lecture, conservent toute leur fraîcheur intacte ; et ce, alors que près de deux siècles se sont écoulés depuis sa parution. En réalité, je crois bien que je n'en connais aucun. (Quand je dis : Les Trois Mousquetaires, j'y englobe Vingt ans après, ainsi que Le Vicomte de Bragelonne, mais alors, pour ce dernier, avec de sérieuses réserves, déjà exposées ici.)

Trois heures. – Petit aller-retour au garage Ford de Pacy pour en retirer deux colis qui venaient d'y arriver. D'abord, l'Histoire de la fronde de Michel Pernot : là, pas de problème. Gros sursaut, par contre, en découvrant le second, qui avait toute l'apparence d'un coffret de DVD consacré aux films… de Luis Mariano. Heureusement, il s'agissait simplement de l'emballage, lequel contenait les œuvres poétiques complètes de Charles Péguy – ce qui, aux yeux de certains, paraîtra à peine moins saugrenu que la filmographie exhaustive du Mariano précité. C'est, du reste, une vraie affaire de famille, que cette Pléiade datant de 1957, puisque, outre l'introduction de François Porché – plus connu pour avoir été le mari de Madame Simone que par ses œuvres propres, je le crains –, le volume comprends une chronologie par Pierre Péguy et des notes de Marcel Péguy. On ne nous précise pas si, durant leurs séances de travail familiales, c'est Germaine Péguy qui servait l'apéritif. Quoi qu'il en soit, nous devrons continuer à nous priver des chefs-d'œuvres du beau Luis.


Jeudi 19

Dix heures. – J'aime par-dessus tout ces raccourcis de langage, ces embardées syntaxiques que l'on rencontre dans les écrits des siècles passés et dont j'ai l'impression – et le regret – que nous les avons un peu perdus. Ils pullulent chez Saint-Simon, mais on les rencontre chez bien d'autres, peut-être encore davantage au XVIIe siècle qu'au suivant. (Il est vrai que Saint-Simon, pour revenir à lui, n'écrit ni en français du XVIIe ni en français du XVIIIe : il écrit en Saint-Simon.) Il y a par exemple cette phrase de Montesquieu, qui ravissait Flaubert : « Les vices d'Alexandre étaient extrêmes comme ses vertus ; il était terrible dans sa colère ; elle le rendait cruel. » Du reste, ce n'est pas seulement chez les écrivains que l'on rencontre ce genre de chemins de traverse. Tout à l'heure, je tombe sur cette phrase, dans une lettre de Louis XIII à Richelieu : « Assurez-vous que je ne changerai jamais, et que quiconque vous attaquera, vous m'aurez pour second. » On ne peut pas être plus direct, plus vif.

Six heures. – Elle est très bien faite, cette biographie de Louis XIII ; claire et correctement écrite. Il y a pourtant une sérieuse pierre d'achoppement, de mon point de vue : M. Pierre Chevallier semble tout ignorer du maniement de la particule, qu'elle soit nobiliaire ou non. Ce n'est même pas qu'il l'utilise mal, ou selon une règle discutable : c'est qu'il l'utilise absolument n'importe comment. Par exemple, s'il a à parler à plusieurs reprises d'un comte de Trucmuche, il écrira aussi bien “Trucmuche” que “de Trucmuche” , et ce, parfois, à deux paragraphes de distance. On a l'impression qu'à chaque fois qu'un nom arrive sous sa plume M. Chevallier lance une pièce en l'air afin de jouer sa particule à pile ou face. On trouvera que peut-être que ce n'est rien, mais moi ça m'agace.

– Pendant ce temps, chez les guignols analphabètes d'Atlantico, les commerçants mutent et deviennent des “acteurs du commerce”. J'ai peur que ça ne suffise pas à les empêcher de faire faillite, suite aux mesures mortifères d'un gouvernement de mickeys.


Vendredi 20

Neuf heures et demie. – Montaigne, ce matin : « Mais il devrait y avoir quelque coercition des lois contre les écrivains ineptes et inutiles, comme il y a contre les vagabonds et fainéants. On bannirait des mains de notre peuple et moi et cent autres. Ce n'est pas moquerie. L'écrivaillerie semble être quelque symptôme d'un siècle débordé. » Je me le suis tenu pour dit ! Et j'ai noté au passage que cette expression de “siècle débordé” avait été reprise par Bernard Frank comme titre de son avant-dernier livre, et qui se trouve aussi être son meilleur, à mon goût.

– D'après un sondage Odoxa (?), 65 % des 15 – 30 ans approuvent le confinement. C'est bien, c'est très bien : leur existence commence tout juste, que les voilà déjà dociles et impeccablement dressés. Et si jamais certains se prenaient à renâcler un peu, pas de problème : les cabinets des psys sont restés ouverts.

Quatre heures. – Le volume “Bouquins” consacré à l'Histoire des Espagnols, n'est pas, finalement de Bartolomé Bennassar mais sous la direction du susdit. Par chance, la partie qui m'a fait acheter le volume, le Siècle d'or, est bel et bien de lui. Il n'empêche que les sbires de Robert Laffont auraient pu préciser les choses sur la couverture du livre, il me semble.


Samedi 21

Deux heures et demie. – Donc, pour satisfaire aux exigences rétrogrades d'une bande d'auto-proclamés “écologistes” frisant la maladie mentale, notre gouvernement d'écouillés ferme une à une les centrales nucléaires. Conséquence attendue : de prochaines coupures sauvages d'électricité, comme dans n'importe quelle pétaudière tiers-mondiale. Michel Desgranges me faisait remarquer ce matin que cela risquait de contrarier quelque peu la saine propagation du télétravail, remède miracle au petit Chinois. Je lui ai fait observer qu'au contraire ces pannes aléatoires allaient avoir une influence très-bénéfique sur l'emploi, dans la mesure où chaque télé-travailleur devra bientôt embaucher un manœuvre non qualifié, mais bien musclé des mollets, qui sera chargé de pédaler avec le plus de régularité possible, de neuf heures à midi puis de deux à six heures, de façon à faire fonctionner la dynamo qui aura été préalablement reliée à l'ordinateur de son employeur, occupé à sauver l'économie française sans bouger de son gourbi, les deux partenaires ayant évidemment pris soin de se garnir le groin des muselières agréées. 

– Commandé hier, d'un seul clic péremptoire, les mémoires de Mme de Motteville, ceux de la Grande Mademoiselle et le Parallèle des trois premiers rois Bourbon de Saint-Simon. Ainsi que les quatre premières saisons d'Absolutely Fabulous, mais ça n'a vraiment rien à voir.

– On semble commencer à parler d'une candidature possible du général de Villiers au prochain barnum présidentiel. D'après les charlatans d'un institut de sondage quelconque, il y aurait déjà vingt pour cent de Français prêts à voter pour lui. Ce serait tout de même assez farce si, sans crier gare, il se retrouvait à l'Élysée, ce quart de quarteron de généraux z'en retraite : imaginons la tête de son frère, qui s'y escrime en vain depuis des décennies… En tout cas, s'il venait à se présenter effectivement, il serait assuré d'avoir mon vote : trop fun, l'idée d'avoir de nouveau un général à l'Élysée !

Six heures. – Regardé sur Youtube un vieux “On n'est pas couché", avec Zemmour venu parler de son Suicide français : j'avais oublié à quel point Aymeric Caron était un répugnant et stupide idéologue. J'en suis encore tout étourdi.


Dimanche 22

Dix heures. – En parcourant çà et là les copieuses tartines des uns et des autres, on a un peu l'impression que le petit Chinois a rendu à un certain nombre de gens une seconde jeunesse, voire une supplémentaire raison de vivre. Cela peut sembler paradoxal pour un virus, mais je crois que ça ne l'est qu'en surface.

Sur les blogs, comme on le fait depuis des mois – ça devient un peu répétitif et lassant –, on continue à s'étriper pour savoir si le fameux professeur Raoult est un bienfaiteur de l'humanité ou un charlatan. Voilà bien une chose sur laquelle je n'ai aucun avis et dont je me fous asteure. Cela tient sans doute à ce que je ne m'intéresse nullement à leur virus, de même que, par le passé, je ne me suis jamais passionné pour la grippe, ou penché sur sur l'angine de poitrine, ou documenté à propos de la constipation chronique. Je suis incapable de me passionner pour les maladies, pas même quand elles me touchent directement. Je me souviens fort bien qu'en 2013, lorsque j'ai appris que j'avais un cancer du rein et qu'il allait s'agir de faire sauter le rognon vérolé, il ne m'est même pas venu à l'idée d'aller voir chez Ternette en quoi pouvaient consister cette maladie et l'opération subséquente. À quoi cela m'aurait-il servi ?

– J'en ai fini ce matin avec Richelieu – mais pas encore avec Louis XIII, ce qui est bien normal puisqu'il a survécu près de six mois à son ministre. Pour après, j'hésite : dois-je enchaîner directement avec les lectures frondeuses que j'ai en projet, ou bien lire avant la copieuse Histoire des Espagnols de M. Bennassar, afin, en quelque sorte, de “laisser reposer l'époque” ? Et après, on viendra dire qu'elle est facile, la vie du retraité lecturomane !

– Les analphabètes d'Atlantico inventent ce matin le concept de “survivabilité”. Je suppose que “survie” a dû leur paraître un peu “petit bras”, à ces preux chevaliers du jargon. Quand je dis qu'ils l'ont inventé, en fait je n'en sais rien : peut-être l'ont-ils seulement emprunté à d'autres imbéciles de même calibre. L'important, quand on tient un aussi beau, aussi élégant et aussi parlant vocable, c'est d'en faire la promotion active – à quoi ils s'emploient avec un enthousiasme qui fait chaud au cœur et aux reins. 

Quatre heures. – Après mainte hésitation tergiversante (ou tergiverseuse), et ayant proprement tué Louis le Juste sur les coups de deux heures, j'ai décidé de franchir les Pyrénées pour aller m'intéresser de près à ces foutus Espingos, brillants inventeurs des tapas, de la corrida, des siècles en or et de la guerre civile. Et accessoirement d'une reconquista que l'on se gardera bien d'imiter, car c'est très vilain, très caca-fasciste, de prétendre reconquérir quoi que ce soit, et surtout un pays. La Fronde est donc repoussée à une date ultérieure non précisée, tel un vulgaire déclaquemurage microbien.


Lundi 23

Dix heures. – L'inénarrable Renépol n'est pas encore revenu de sa stupeur. Il se serait attendu à tout sauf à ça. Imaginez – si c'est possible : l'imagination humaine a ses limites – qu'hier, dimanche, lors d'une émission religieuse, il a vu dans sa télé un prêtre en soutane parler du Christ Roi ! Il a trouvé ça… surréaliste, notre bon René, bouffeur de curé très old fashion. Il a raison : comment peut-on laisser un prêtre venir parler du Christ un dimanche, et qui plus est dans une émission religieuse ? Que fout le CSA, bordel ?

– Et voilà que, au café de tout à l'heure (mais qu'est-ce que c'est que ce charabia ?), l'idée a brusquement refait surface d'un déménagement en Auvergne, plus précisément lès Saint-Flour (gaffe, les Moulier : le danger se précise !). Laissons-lui, à cette idée surgissante, le temps de mûrir… ou de crever.


Mardi 24

Dix heures. – Depuis quelques semaines, nous regardons, en alternance avec d'autres choses, une série intitulée Damages. Elle est centrée autour d'une avocate, intelligente, retorse, manipulatrice, brillamment interprétée par Glenn Close. Les scénarios (un par saison de dix épisodes) sont solidement bâtis, le jeu des scènes rétrospectives ou prospectives est parfaitement au point, le suspense est là, la tension aussi. Il y a trois ou quatre jours, alors que nous avions déjà trois saisons derrière nous, j'ai dit à Catherine : « J'espère que la malédiction de la quatrième saison ne va pas jouer… » Nous l'avons “bouclée” hier soir, cette funeste quatrième, et je puis dire que la malédiction a bel et bien joué. Elle n'a pas pesé trop fort, heureusement : la saison reste tout à fait regardable, honorable même, néanmoins assez nettement inférieure à ses trois aînées. À partir de là, mon expérience “sérielle” me dit que nous avons deux possibilités : soit la cinquième et dernière saison va s'avérer être une débâcle complète (comme dans Lost), soit les scénaristes vont redresser la barre (comme dans Oz). Fin de cet insoutenable suspense d'ici une dizaine de jours, probablement.

(J'étais certain d'avoir déjà publié un billet sur le blog-mère, centré sur cet angoissant problème de la malédiction de la quatrième saison : plus moyen de mettre la main dessus. Je l'ai peut-être rêvé…)


Mercredi 25 – Sainte Catherine

Dix heures. – Abandonné hier l'Histoire des Espagnols, me rendant compte, et de plus en plus à mesure que j'y avançais, que ce n'était pas du tout le livre qu'il m'aurait fallu : pour qu'il soit vraiment profitable, ce “Bouquins”, je pense qu'il faudrait déjà connaître, au moins dans ses grandes lignes, l'histoire de l'Espagne, je veux dire son histoire politique, “événementielle”, bêtement chronologique. C'est bien sûr vers ce genre de livres que j'aurais dû me diriger. Je vais d'ailleurs peut-être le faire. Heureusement, celui que je viens de lâcher m'avait coûté moins de dix euros.

J'ai donc, à la place, commencé tout à l'heure le livre de M. Pernot consacré à la Fronde. Pour les quelques dizaines dizaines de pages que j'en ai lues, il semble construit et écrit clairement, c'est déjà ça. Ce que je me demande est la chose suivante : pour retenter ma chance auprès du cardinal de Retz, dois-je attendre d'avoir lu tout le livre de Pernot ou bien puis-je m'y mettre tout de suite, “en parallèle” ? Je penche, prudemment, pour la première solution. Je vais tout de même inviter son Éminence à me suivre au salon, au cas où la seconde option l'emporterait finalement.

– Catherine me dit que l'entité humanoïde qui nous fait office de dirigeant suprême a hier fait du bruit avec sa bouche à la télévision. Les quelques mesures nouvelles qu'elle me détaille ensuite me donnent la nette impression d'avoir, durant la nuit et malgré moi, quitté la France pour aller m'installer au Groland. Je sais bien que la situation est inédite, mais enfin, je me demande si nous avons déjà été dirigés par une telle bande de guignols sans cervelle ni bras. Mais dûment pourvus de mégaphones branchés vingt-quatre heures sur vingt-quatre, et probablement intégrés à leurs muselières à élastiques auriculaires.  Même Nicolas, si disert depuis quelques mois, semble ce matin en rester sans voix (ou alors, il a bu pour oublier ?).

Deux heures. – La Grande Mademoiselle vient d'arriver ici (en passant par le garage Ford…). On la lira quand on en saura un peu plus sur la Fronde. Mais avant ou après de Retz ? Et s'il prend fantaisie à Mme de Motteville et au duc de Saint-Simon d'arriver demain, comment vais-je organiser les préséances entre tous ces gens, tous sans doute fort pointilleux sur les honneurs qui leur sont dus ? Encore un coup à devenir démocrate, ça ! Tentation qui, par chance, m'effleure de moins en moins.

Six heures. Déhoussé la tondeuse pour ce que j'espère être la dernière tonte avant le printemps (mais ce sont là des espérances qui sont souvent déçues). Comme il n'était pas loin de quatre heures quand je me suis brusquement décidé, le soleil était déjà fâcheusement rasant, si bien que, la moitié du temps, ébloui, j'ai piloté l'engin plus ou moins à l'aveuglette. Ce qui m'a rappelé la petite chanson expresse de Raymond Devos :

Vous finirez mal disait l'Andalouse

À son jardinier imberbe

Un jardinier qui sabote une pelouse

Est un assassin en herbe


Jeudi 26

Dix heures. – Ce matin de bonne heure, brouillard à trancher à la hache. C'est bien simple : dans les rues de Pacy, on ne distinguait pas une muselière à dix mètres.


Vendredi 27

Dix heures. – Mis en suspension toutes mes lectures frondeuses, pour me plonger dans la biographie de Leclerc, arrivée ici hier, après passage au garage Ford de Pacy. Quand je dis : Leclerc, il s'agit bien sûr du militaire et non du commerçant en gros (quoique au détail : comprenne qui pourra). Personnage excédant de partout les cadres de modèle courant, que ce général-là, et qui a tout pour déplaire à notre temps : catholique fervent, Action française dans la première partie de sa vie, autoritaire, très modérément républicain. Qui plus est mâle, blanc et père de famille nombreuse. Et, bien sûr, aristocrate. Bref : une horreur ambulante.

Six heures. – Un assidu du forum de l'In-nocence copicolle sur le dit forum un article de François Bousquet, rédacteur en chef de la revue Éléments, consacré au Nième procès de Renaud Camus qui s'est tenu il y a deux jours. L'article en question commence ainsi : « Le 25 novembre 1970, Mishima se donnait la mort par seppuku. Cinquante ans plus tard, le 25 novembre 2020, allait-on assister à la mise à mort d’un autre écrivain, Renaud Camus, convoqué au tribunal judiciaire de Paris. » Cette attaque en fanfare a provoqué de ma part le commentaire suivant :

« Pour qualifier cet article, j'hésite entre dérisoire et consternant. Du reste, avec une louable honnêteté, l'auteur "annonce la couleur" dès ses deux premières phrases : quelle mayonnaise mal montée faut-il avoir dans la tête pour établir un parallèle entre la mort de Mishima et le procès de Renaud Camus, quelle que soit, d'ailleurs, l'issue de ce procès (que je souhaite heureuse) ? Oui, oui, je sais : la date du 25 novembre… Mais, à ce compte, l'auteur aurait tout aussi bien pu évoquer les catherinettes : ça n'aurait pas eu beaucoup moins de pertinence. »

Le reste de l'article, copieux, pourrait laisser penser que l'auteur était, en l'écrivant, légèrement pris de boisson. On le trouvera ici. Voilà des gens, je parle des In-nocents, qui ne semblent pas vouloir comprendre que, même si la comparaison entre les deux personnes – Camus et Mishima – et les deux faits – auto-éventration de l'un, procès de l'autre – étaient comparables, c'est prêter le flan aux moqueries faciles de leurs adversaires que de la faire, cette comparaison ; leur offrir sur un plateau l'arme qu'il faut pour les tourner en ridicule, et donc nuire à leur combat, si combat il y a bien. J'ai failli tenter d'expliquer un peu cela sur leur site même, et puis… à quoi bon ? Quelle importance ?


Samedi 28

Dix heures et demie. – Les affaires indochinoises des années quarante et cinquante, c'est presque aussi compliqué que la Fronde des années quarante et cinquante – mais d'un autre siècle. Et ça m'intéresse beaucoup moins, même quand Leclerc se crêpe le chignon avec d'Argenlieu pendant que Sainteny compte les points.

– Hier soir, nous avons mis le cap sur l'océan Pacifique, et plus précisément sur l'île de Guadalcanal, grâce aux deux premiers épisodes de The Pacific, la série co-produite par Spielberg et Tom Hanks qui fait en quelque sorte le pendant à leur première œuvre commune, Band of Brothers. Au vu de ce début, il nous a semblé que celle-là faisait montre des mêmes qualités que celle-ci ; avec cette différence que climat et flore ont considérablement changé en passant de la forêt des Ardennes à l'Équateur.

Il y a une question que je me pose depuis longtemps, et chaque fois que je regarde un film ou une série éviquant la Seconde Guerre mondiale : pourquoi, au contraire des Allemands, des Français, des Anglais, etc., pourquoi les soldats américains portent-ils toujours leur casque sans l'attacher, laissant les deux attaches de cuir pendouiller de chaque côté de leur visage ?

Quatre heures. – Voilà, j'ai enterré le maréchal. Retour à la Fronde et aux mousquetaires.


Dimanche 29

Dix heures et demie. – Au mitan du XVIIe siècle, au début de la Fronde donc, le premier avocat général du parlement de Paris était un certain Omer Talon : un personnage de bande dessinée, tombé là avec trois siècles d'avance.

– Le pianiste Alexandre Tharaud – excellent dans Ravel, si tant est que mon oreille atrophiée puisse en juger – se plaint dans le Diapason de ce mois-ci de ce que les orchestres et les solistes du monde classique fassent systématiquement l'impasse sur les compositeurs non blancs – évidemment par racisme. On jette un coup d'œil rapide à la discographie de ce guignol à clavier : que des musiciens blancs. Et mâles, en plus. Comment tous ces gens, “artistes” ou autres, font-ils pour ne pas se rendre compte des âneries bêlantes qui leur sortent de la bouche dès qu'ils l'ouvrent ? Et de quoi ont-ils peur ? Quelle trouille de ne pas être “dans le coup” les pousse à ne pas, tout simplement et tout sagement, fermer leur gueule ? Au lieu de hurler comme des hyènes conformistes.


Lundi 30

Une heure. – Depuis toujours, c'est-à-dire depuis trois ans –, lorsque nous offrons à Charlus une promenade par les rues du Plessis, nous lui ordonnons de s'asseoir dès que nous entendons une voiture approcher ; ce qu'il faisait sans trop rechigner dès que le commandement était parvenu à son cerveau. Or, il y a quelques jours, nous avons eu la surprise, alors qu'un bruit de moteur grossissait, de le voir s'asseoir de lui-même, sans attendre l'ordre. On aurait pu penser à une coïncidence – même s'il ne fait jamais cela lors des promenades –, mais il a recommencé à la voiture suivante, et encore à celle d'après… Depuis, il s'assoit systématiquement, comme si, brusquement, après trois ans, une sorte de déclic s'était produit sous son crâne. Et je me suis demandé si le chien avait ressenti une satisfaction d'ordre intellectuel, en comprenant enfin pourquoi on lui demandait parfois de s'asseoir au cours de nos promenades communes.


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