D'UN RELAIS & CHÂTEAUX L'AUTRE
Vendredi 1er
Dix heures du matin. – Le généreux et compatissant Anastase Sarkoff inaugure ce mois en s'avouant mortellement inquiet et profondément dégoûté. La raison de ces spasmes d'angoisse et de ces nauséeuses convulsions ? Le tsunami pédophilique qui, d'après lui, submerge littéralement l'Église – Église catholique, il va de soi. Je me pose une question sans doute idiote : qu'est-ce qu'il peut bien en avoir à foutre, lui dont les enfants n'ont probablement jamais mis les pieds à la messe, et encore moins, supposé-je, au catéchisme ? (En passant : je suis toujours gêné que cathédrale réclame une H tandis que catéchisme la refuse…). En revanche, en bon vertueux de gauche qu'il est, il a forcément mis les dits enfants à l'école publique dès leur premier âge, où ils ont été en contact avec toute une faune de surveillants frôleurs et de professeurs de gymnastique (oui : ce matin, je “cause suranné” ; ça gêne ?) mateurs de séances de douche. Mais, ça ne semble pas du tout être un problème. Il est vrai que, face aux tripoteurs de têtes blondes (synecdoque) qu'elle nourrit en son sein, l'Éduc' nat' est beaucoup plus discrète que l'Église apostolique et romaine avec les siens. Ce qui lui est rendu facile par le fait que personne n'aurait l'audace ni le mauvais goût de suspecter nos braves instituteurs et nos héroïques professeurs de menées aussi perverses. Même les moniteurs de colonies de vacances sont tous impeccablement vertueux, dès lors qu'ils sont employés par la CGT ou par le Comité d'entreprise d'EDF. En revanche, chez les scouts, je ne vous dis pas l'orgie perpétuelle…
– Commencé ce matin Le Moulin de la Sourdine
: c'est toujours un plaisir, de retrouver Marcel Aymé, qui a le pouvoir
de laver les cerveaux de toutes les affligeantes conneries (voir
ci-dessus) qui ont tendance à s'y déposer. Comme il pleut et vente, pas
très fort mais suffisamment pour constituer une excuse valable, je pense
qu'il va m'accompagner une bonne partie de la journée, y compris
pendant l'heure que j'aurais normalement dû consacrer à mes
déambulations transcampagnardes.
Samedi 2
Dix heures.
– Je pleurnichais, le mois dernier (voir le jour exact dans le journal
de février), après le journal 2018 de Renaud Camus, dont je trouvais
qu'il tardait à paraître : un commentateur du blog me signale ce matin
qu'il est bel et bien disponible. Ce qui est curieux – et c'est pour
cela que je ne le savais pas –, c'est qu'on le trouve chez l'Amazone,
mais pas dans la propre librairie en ligne de l'auteur ; or, c'est là,
et là seulement, que j'étais allé fureter dans les rayonnages virtuels.
Enfin, le volume est commandé : livraison le 5 mars, soit mardi (si la
Poste daigne…). Mardi qui sera également le jour de mon dernier scanner
de contrôle annuel. si bien que si je reviens de la clinique Pasteur
avec un superbe crabe, le journal de Camus risque de passer peu ou prou
au second plan. On verra bien.
– Sinon, je dois dire
que je ne partage qu'à moitié (et encore : au tiers serait plus exact)
l'enthousiasme de Michel Desgranges pour Le Moulin de la Sourdine,
qui, bien qu'agréable à lire comme l'est toujours Marcel Aymé, ne m'a
pas paru un chef-d'œuvre ; j'y ai même réprimé deux ou trois bâillements
dans son dernier tiers.
Deux heures. – Le
journal 2017 de Camus, repris tout à l'heure, est idéal pour mes débuts
d'après-midi somnolents (en général, ça s'arrangerait plutôt, entre
quatre et cinq…), dans la mesure où il s'agit moins d'une lecture que
d'une révision. Sans compter le fait que, de toute manière, il ne s'agit pas d'une lecture réclamant un suivi rigoureux.
Lundi 4
Dix heures et demie. – Parce qu'elle venait de relire le Jésus de Jean-Christian Petitfils, et qu'elle se trouvait plongée dans Le Royaume d'Emmanuel Carrère, livre “double-centré” sur saint Paul et saint Luc, Catherine a émis le souhait de voir le film intitulé Paul, apôtre du Christ,
dont elle avait lu maint compliment. Comme de bien entendu, la dite
œuvre n'était pas sur Netflix (les films que l'on aurait naturellement
envie de voir ne sont jamais disponibles sur cette plateforme-là)
; qu'à cela ne tienne, les désirs de l'épouse sont des ordres : j'ai
sans barguigner cassé le petit cochon rose et dépensé vingt euros pour
en acheter le blu-ray, lequel est arrivé dès le lendemain, soit samedi.
Le soir-même, nous nous sommes assis devant lui, avec la perspective
d'une bonne soirée. Cruelle désillusion : il nous a fallu moins d'une
demi-heure pour admettre que nous venions de jeter vingt euros par la
fenêtre grand ouverte, le film étant à la fois sottement bavard et d'une
ridicule kitscherie, laquelle se traduisait principalement par un abus
des ralentis inutiles et une musique péniblement grandiloquente. Au
moins, pensions-nous avant de commencer, allons-nous pouvoir nous mettre
sous l'œil de beaux paysages méditerranéens ou d'Asie mineure… Là
aussi, déception : cette triste daube a été réalisée “à l'économie”,
tournée dans je ne sais quel sous-sol hollywoodien, et de paysages,
durant l'heure où nous nous accrochâmes au navet, il ne fut point
question. Je pense que le blu-ray va partir directement à la poubelle,
c'est vraiment tout ce qu'il mérite. Il va être désormais difficile de
nous décantonner de Netflix : au moins, là, si nous tombons sur un film
ou une série nuls et non avenus, nous n'avons pas l'impression d'avoir
gaspillé un argent qui aurait pu être reconverti en livres, puisque la
modique somme que nous payons mensuellement (7, 90 €) nous donne un
accès illimité à tous les non-chefs-d'œuvre qui pullulent en ce hangar à
images animées.
Mardi 5
Neuf heures et demie. –
Peu avant neuf heures, le téléphone sonne. Catherine et moi lisions au
salon, je lui dis : « Pour une fois, je vais aller répondre (l'appareil
était resté dans le salon télé où se trouve sa “borne”) ; au cas où ce
serait la clinique… » Car j'avais rendez-vous, ce matin, dix heures
moins le quart, à Pasteur, pour un dernier scanner de contrôle. Or,
désormais, surtout lorsque le téléphone n'est pas à immédiate portée de
main, nous laissons sonner dans le vide, sachant qu'il y a neuf
“chances” sur dix pour qu'il s'agisse d'une publicité. Bien m'en a pris
car ce n'en était pas une : « Monsieur Goux ? Ici le scanner de la
clinique Pasteur… » [C'était la première fois qu'un scanner m'appelait
au téléphone : j'étais un peu ému, forcément.] C'était pour me dire que
la machine en question étant en panne, il n'allait pas être possible de,
etc. Le scanner parlant a commencé par m'assurer que je pouvais me
rendre à la clinique Bergouignan, où je serais “pris en charge” à
l'heure prévue de mon rendez-vous à Pasteur : je n'en ai évidemment pas
cru un mot, prévoyant que l'imprévu – si je puis dire – allait
totalement désorganiser les services de la clinique de remplacement.
J'ai donc opté pour la seconde branche de l'alternative, qui consistait à
prendre un nouveau rendez-vous à Pasteur, lequel a été fixé au 30 avril
prochain. Et, après ça, il va encore se trouver des grincheux pour
prétendre qu"'il ne se passe rien dans ma vie : qu'est-ce qu'il leur
faut de plus ? L'amusant est que, raccrochant le téléphone, j'ai éprouvé
durant quelques minutes une délicieuse sensation de vacances
imméritées.
– Le journal 2018 de Renaud Camus est
arrivé ce matin, par porteur spécial. Je trouve son titre moins bon
(mais il faudra voir à la lecture) que celui du précédent : L'Étai contre Juste avant après
en 2017. D'un autre côté, il permet davantage d'astuces idiotes :
L'étai meurtrier, l'étai en pente douce, souviens-toi l'étai dernier,
etc.
Trois heures. – Je viens de lire une
centaine de pages de ce journal 2018. Ce qui était déjà nettement
sensible dans celui de l'année dernière (et peut-être aussi celle
d'avant, mais je ne suis pas remonté si loin), se confirme : alors
qu'avant Camus abordait de nombreux sujets à parts à peu près égales,
désormais tout ces centres d'intérêt, artistiques ou autres, ont été
presque exclusivement remplacés par le Grand Remplacement, si je puis
ainsi m'exprimer. C'est-à-dire que, tout comme le peuple français dans
sa vision des choses, ces sujets anciens n'ont pas été totalement
éliminés de son journal (il continue d'aller dans les musées, de courir
les châteaux et d'arpenter les chemins), mais ils ne subsistent plus
qu'à titre résiduel, dans les marges, plus ou moins écrasés par le
mastodonte qui a tout envahi, tout colonisé. Il y a là quelque
chose de très perturbant pour le lecteur, pour peu que ce lecteur soit
moi. Car d'un côté il se trouve d'accord sur le fond des choses, sur les
dégâts profonds – et sans doute, de l'avis de ce lecteur, d'ores et
déjà irréversibles – causés par l'invasion arabo-africaine, ou l'ayant
favorisée, mais par ailleurs, il ne peut se résoudre à croire que cette
“clé” soit devenue capable d'ouvrir absolument toutes les portes, se
soit transformée en une sorte de sésame de la compréhension universelle,
l'alpha et l'oméga de l'ensemble du monde occidental.
(Catherine
me fait signe, de la maison, que l'heure de la promenade est venue : je
tâcherai de revenir plus tard sur mon sujet du jour ; peut-être
seulement lorsque le volume aura été entièrement lu.)
Mercredi 6
Dix heures. –
En tournant, tout à l'heure, la dernière page du journal 2018 de Camus,
je me suis dit que ce serait sans doute le dernier volume que je lirais
(ce qui ne m'empêchera pas, à l'occasion, de reprendre tel ou tel des
anciens “opus”), tant l'obsession grand-remplaciste a presque tout
envahi. Et puis, je me suis rappelé m'être dit exactement la même chose
l'année dernière, après lecture de la cuvée 2017. Comme quoi, il n'est
pas si facile de se désintoxiquer d'une drogue, qu'elle soit littéraire
ou banalement chimique. D'autant que, malgré ce cancer
grand-remplaciste, abondamment métastasé, il reste encore, pour éveiller
l'esprit, de nombreux paragraphes, parfois des pages entières, qui, à
eux seuls, se dit-on, méritaient d'être lus et, donc, achetés. Sinon,
sur un plan tout à fait anecdotique, les amours (métaphoriques…) entre
Camus et Jérôme Vallet semblent avoir été au beau fixe durant toute
l'année écoulée ; ce qui ne laisse pas de me faire sourire, lorsque je
me souviens de ce que le premier disait, il y a quelques années, de
l'horripilation que provoquait chez lui le second. C'est un peu comme
dans les séries télévisées américaines : on sait dès le début que ces
deux personnages amis (ou alliés ou complices, etc.) vont finir par
s'entretuer ; mais sera-ce dès le troisième épisode ou seulement à la
fin de la saison ? Et qui des deux prendra l'initiative ? C'est tout
l'enjeu du suspense. La seule chose qui ne soit l'occasion d'aucun
suspense, c'est la tuerie elle-même. Cela dit, je ne souhaite nullement
que brouille et fâcherie il y ait effectivement. À vrai dire, je m'en
fiche un peu. (Mais alors, pourquoi en parles-tu, bougre d'âne ?)
Deux heures.
– Le lundi 26 novembre, Camus commence ainsi son entrée du jour : « Je
serais curieux des mécanismes cérébraux qui engendrent la faute de
frappe. Par exemple, je suis incapable d'écrire correctement, du premier
coup, novembre […] j'écris chaque fois novemebre. Le e superfétatoire est un peu baladeur, quelquefois c'est novembere, novembree, mais presque toujours c'est novemebre. Pourquoi
? » Dans le paragraphe suivant, Camus dit qu'il y a d'autres mots
encore, sur lesquels il bute de la même façon. Et il en vient à citer résultat : « Pourquoi tapé-je, une fois sur deux, trois fois sur quatre, résulat, ou réstulat, ou réslutat
? » Je suis moi-même (mais peut-être est-ce tout le monde ?) affligé
d'un certain nombre de ces “mots butoirs”. Et, parmi eux, j'ai en commun
avec Camus ce damné résultat. Sauf que, chez moi, il ne prend qu'une seule forme fautive, toujours la même : résultata. Et cela, en effet, entre une fois sur deux et deux fois sur trois.
Dans
ce domaine – tout à fait anecdotique, certes –, le plus étrange qu'il
me soit arrivé remonte à une cinquantaine d'années, lorsque j'étais en
classe de quatrième, ou à la rigueur de troisième. À cette époque – je
ne sais ce qu'il en est aujourd'hui –, les élèves étaient astreints à
des travaux écrits, que l'on appelait des “devoirs” ; devoirs exécutés à
la maison ou bien “sur table”, c'est-à-dire en classe, sous la
surveillance plus ou moins vigilante du professeur. Il était de règle,
d'écrire son nom et son prénom, dans cet ordre, en haut et à gauche des
copies que l'on noircissait tant mal que bien. Or, à un moment, du jour
au lendemain, je me suis mis à écrire là : Goux Dididier au lieu
de Goux Didier. Et ce, au moins trois fois sur quatre. Cette incongruité
a duré plusieurs semaines, avant de disparaître aussi brusquement
qu'elle était advenue, et n'est plus jamais revenue depuis.
En
tout cas, je fus bien aise de constater que Camus pouvait être en butte
aux même aberrations dysgraphiques que moi : on se sent partiellement
excusé de ce voisinage. Et je note aussi qu'il a su résister à la
tentation d'attribuer cette bizarrerie au remplacisme global, ce couteau suisse de la pensée.
Trois heures. – Autre chose qui finit par devenir cocasse, dans le journal de Camus, par prendre des allures de running gag, c'est son ébahissement lorsque l'un de ses touittes
suscite chez nombre de ses lecteurs des protestations indignées, voire
des tombereaux d'insultes se déversant sur sa tête, simplement parce que
ceux-ci ont compris tout de travers ce qu'il venait de dire, voire
franchement son exact contraire. De démontrer alors à son journal que sa
phrase était parfaitement claire pour qui sait lire le français,
qu'aucune ambiguïté n'était même envisageable, etc. Et, bien entendu,
dans pratiquement tous les cas qu'il cite il a entièrement raison. On a
simplement envie de lui rappeler une chose essentielle : Monsieur Camus,
vous êtes sur Twitter. C'est-à-dire dans une sorte de cloaque à
ciel internétique ouvert, en lequel au moins 80 % de la faune qui s'y
ébat sont de pitoyables pantins sinon tout à fait anencéphales, du moins
gravement dyslexiques, bien incapables en effet de comprendre la plus
innocente de vos subtilités de langage, quel que soit l'effort que vous
pensez faire pour vous mettre à leur portée. (Je sais de quoi t'est-ce
que j'cause : j'ai pu observer assez longuement quatre ou cinq spécimens
de ce genre d'humanoïde lorsque je lisais scrupuleusement tous les
commentaires flasques et vitreux dont ils se soulagent du matin au soir
dans la fosse d'épandage d'Anastase Sarkoff.) On a l'impression de se
trouver devant un homme (je suis revenu à Camus) qui, après avoir passé
la journée à patauger dans une mare de ferme, serait stupéfait, rentrant
chez lui le soir, de découvrir quelques traces de boue sur ses
richelieus. Tout cela posé, il reste que, pour ce que j'en ai lu, et pas
seulement dans ce journal-ci, les touittes de Renaud Camus valent très souvent la peine d'être découverts et savourés. Mais bon : margaritas ante porcos et toutes ces sortes de choses, quoi.
Jeudi 7
Trois heures. – Commencé à lire Pirandello (théâtre), ce que je n'avais encore jamais fait, Dieu sait pourquoi. Je vais probablement, un de ces jours, commander le volume contenant la totalité de ses nouvelles : on verra ça quand le nouveau “mois carte dorée” aura commencé. J'ai parallèlement repris Après l'histoire de Philippe Muray : c'est un excellent antidote au journal de Camus, dans la mesure où, retrouvant notre monde tel que décrit et disséqué par le premier, on se sent passer très vite l'envie de gémir sur sa perte avec le second. Mais, évidemment, ils ont en réalité raison tous les deux : question de point de vue, de placement de la caméra.
–
Voilà bien une semaine maintenant que le vent qui souffle avec force et
constance nous empêche, Catherine et moi, de partir marcher dans la
campagne, hors, un jour sur deux, un rapide aller-retour jusqu'au
terrain de football afin que Charlus puisse désankyloser un tant soit
peu.
Cinq heures. – Au bout du compte, après
avoir lu, à la suite l'un de l'autre, Camus et Muray (un prophète de
synthèse : Camuray…), on en arrive à se dire que la seule alternative
qui demeure, concernant notre avenir proche, est la suivante : La fête
va-t-elle se dissoudre dans l'islam ou l'islam dans la fête ? Dans les
deux cas, il convient de se dépêcher de mourir.
Vendredi 8
Trois heures. – Catherine m'apprend à l'instant la mort de l'un de nos cousins communs, Alain Alphonzair : cancer, évidemment. Il devait avoir un an ou deux de moins que moi, si je me souviens bien. Il était le benjamin de son père, Pierre, lequel était lui-même le demi-frère aîné de nos pères respectifs, à Catherine et à moi, Serge et Daniel Goux. Du reste, bien que l'aîné (il était, je crois, de 1923), c'est lui qui, des trois frères, est mort le dernier, à plus de 90 ans, toujours si j'ai bonne mémoire. Il y avait belle lurette que je n'avais vu aucun membre de cette branche-là de la famille. Je crois bien que, la dernière fois, c'était à l'enterrement de la mère de Catherine, c'est-à-dire à la toute fin des années 90.
Sept heures. – J'ai
commis une erreur tout à l'heure, Alain n'était pas le benjamin de la
fratrie : une Sylvie est arrivée un an ou un an et demi après lui. Et,
tandis que Catherine était occupée à parler de cela avec ma mère, au
téléphone, je me suis avisé que, de toute ma flopée de cousins et
cousines, aussi bien paternels que maternels, il était le premier à
mourir, si l'on excepte Gérard, le frère puiné de Catherine, mort dans
sa prime enfance, c'est-à-dire voilà plus de soixante ans.
Dimanche 10
Neuf heures du matin.
– Nous attendons Rémi Usseil pour le déjeuner. Afin d'éviter la presse
des acheteurs de croissants et de petits-gâteaux-du-dimanche, je suis
descendu chercher du pain dès sept heures. J'ai bien fait : dans Pacy
désert, je me faisais l'effet d'être l'unique survivant d'une
catastrophe, virale ou nucléaire, survenue pendant la nuit. Enfin, l'un
des deux survivants, l'autre étant la jeune boulangère qui m'a servi.
– Hier, deuxième tontine de la saison, effectuée en prévision de la pluvieuse semaine qui semble s'annoncer.
Mardi 12
Midi. –
Les projets d'excursion ont brusquement changé hier : plus question
d'aller bivouaquer à Salers vers la fin de mai, mais plutôt, à la même
époque, du côté de Nyons. Pourquoi Nyons ? Je ne sais pas trop, en
réalité. Mais pourquoi pas, au fond ? Pour ce que j'en ai à faire…
L'avantage est que nous serions vraiment voisins des Pluton et
qu'organiser une rencontre serait alors très facile ; l'inconvénient est
que nous ne verrions pas Pascale et Pierre, nos Sanflorains d'élection.
L'autre inconvénient est que je ne me sens plus capable d'abattre en
une seule fois les quelque 750 kilomètres nous séparant de cette
sûrement charmante petite bourgade ; du coup, il faut prévoir deux
escales hôtelières, à peu près à mi-chemin, une à l'aller, l'autre au
retour. Ce devrait être Moulins dans un sens et Semur-en-Auxois dans
l'autre. Donc : quatre “nuitées” pour à peine deux jours sur place. Cela
dit, on n'y est pas encore…
Mercredi 13
Onze heures.
– Parce qu'il est prévu que, descendant vers le Sud, nous fassions une
escale dans l'Allier (oui, oui, la menace se précise…), j'ai, par
association d'idées, par “sentiment géographique”, ressorti le volume de
la Pléiade consacré à Valery Larbaud. J'y ai relu, hier, une partie de Barnabooth (poésies et journal intime) et, ce matin, Beauté, mon beau souci,
dont je n'avais aucun souvenir ; tellement aucun, même, que je me
demande si je l'avais jamais lu. Bien bel écrivain, en tout cas, que ce
Larbaud (et j'ai l'air de l'innocent qui, levant les yeux, s'avise
soudain de l'existence de la lune…).
Vendredi 15
Dix heures.
– « Aujourd'hui, dans le monde entier, les étudiants sont en grève pour
le climat. – Oui, et ? – Et rien. Mais je trouve que Muray nous manque
beaucoup. – En tout cas, lui, il manque beaucoup de choses amusantes. »
– Sinon, ce matin, chez mes amis progressistes,
on tente d'ironiser sur les démêlés d'un certain Castaner (j'ai cru
comprendre qu'il était ministre de quelque chose), que mes ex-confrères
de la presse dite people auraient surpris dans une discothèque en
compagnie d'une femme qui n'est pas la sienne et qui a l'âge d'être sa
fille. Pour l'impeccable Anastase Sarkoff, c'est un juste retour de
bâton, dans la mesure où ce même Castaner semble n'avoir jamais hésité à
parler de sa vie privée, familiale, etc. dans Paris-Match. Donc,
d'après le vertueux Anastase, si l'on accepte ne serait-ce qu'une fois
de parler à un journaliste, on n'aura plus le droit, ensuite, de
protester si une douzaine d'autres vient fouiller vos tiroirs et vos
corbeilles à papier. Mais le plus comique est la réaction d'une de ses
fidèles commentatrices, qui signe Sylvie 75 et qui œuvre, le plus
souvent, dans la déploration niaise :
« En agissant ainsi dans un lieu où un ministre de l’intérieur ne peut
ignorer les risques d’être pris en photo et les répercussions , il a
méprisé sa famille.
En faisant ce genre d article la presse people a également méprisé non
pas Castaner mais sa famille. Ce genre de presse fait beaucoup de
victimes silencieuses…un reflet de la société actuelle!
Meme indignité … »
Cet
attachement sanglotant à la pauvre famille du monstre qui l'a bafouée
(et sûrement en émettant un rire sardonique), on le dirait venu d'une
bigote du XIXe siècle, qui aurait troqué la place de l'Église contre
celle du Colonel-Fabien. Car, bien entendu, notre chaisière
post-moderne, notre punaise de cellule rouge, cette brave Sylvie se
réclame bruyamment du communisme, cet humanisme qui a largement fait ses
preuves, comme on sait.
Cinq heures. – Eh bien
voilà, les dés ont roulé, les jeux sont faits : je viens de passer une
heure à faire des réservations d'hôtels tous azimuts ; plus exactement
dans trois azimuts bien précis : Moulins (ici), Nyons (là) et Semur-en-Auxois (relà).
Et je dois dire que, finalement, l"idée de ces micro-vacances commence à
me plaire assez ; d'autant plus qu'elles nous donneront l'occasion d'un
dîner avec les Pluton. Tout cela se déroulera entre les 23
(Saint-Didier, mais c'est un hasard…) et 27 mai.
Samedi 16
Dix heures. – Ils s'y sont mis à deux, pour me marabouter. Michel Desgranges, d'abord, qui, le mois dernier, lors de notre déjeuner chez lui, me disait avoir plus ou moins
envie de rouvrir Céline, lu intégralement en sa jeunesse et plus repris
depuis lors ; Philippe Muray ensuite, qui lui consacre plusieurs des
textes de ses Mutins de Panurge, deuxième volume de ses Exorcismes spirituels
(édités par Michel Desgranges, en plus…), que j'ai entrepris de
reparcourir, assez paresseusement je dois le dire. Bref, j'ai soudain
décidé, tout à l'heure, entre réveil et petit-déjeuner, de retenter
l'ascension du massif formé par les trois derniers romans dudit Céline, à
savoir D'un château l'autre, Nord et Rigodon. Je
dis “retenter” car, la dernière fois, qui remonte à quelques années –
mais pas tant que ça – je me souviens très bien d'avoir renoncé à peu
près à mi-pente, c'est-à-dire vers le milieu de Nord. On verra
bien ce qu'il en est cette fois-ci. Du reste, je ne dois pas être un
très bon lecteur célinien, car je suis à peu près sûr de n'être pas venu
non plus à bout des deux volumes de Guignol's band.
–
Ce dont je suis venu à bout, en revanche, hier, et avec bien de la
peine et de l'ennui, c'est de mon second train de “signes lucratifs” du
mois : voilà un an que cela dure et, de plus en plus, je dois me
cramponner comme un désespéré à la perspective du “lucratif” pour
parvenir à produire les “signes”. Mais enfin, il faut bien financer nos
dispendieuses escapades…
Dimanche 17
Midi vingt. – Je me suis donc, dès avant l'aurore, et si je puis dire, lancé dans
Céline. Mais comme, décidément, il s'agit plutôt d'une boisson d'homme,
j'ai décidé d'y aller par petites gorgées : pas plus de cinquante pages
chaque matin, ai-je prudemment déterminé. Avec peut-être, on verra, une
petite rincette l'après-midi, si j'ai bien supporté le dosage
matutinal. Entre temps, on lira des choses moins violemment capiteuses,
histoire de se désenfiévrer la cervelle.
(Depuis ce
matin, les giboulées de pluie ne cessent que pour laisser la place à
leurs cousines grêleuses. Ce n'est pas encore aujourd'hui qu'on ira
endommager les chemins de nos coups de talons.)
Lundi 18
Onze heures. –
Ce matin, temps calme et ciel azuroïde : aucune excuse pour ne pas se
remettre à la marche quotidienne, abandonnée depuis plus de deux
semaines ; ce que fis donc. Bien entendu, je n'avais pas fait cinq cents
mètres en direction de la Ferme de l'Hôpital que les nuages arrivaient,
poussés par un vent gaillard et transperçant sans la moindre difficulté
le mouton que j'avais jeté sur mon dos. Mais enfin, “un coup parti”,
comme dirait Catherine…
– À propos de Catherine, elle a
décidé d'annuler sa petite équipée espagnole en solitaire ; d'une part
parce qu'elle aurait été trop rapprochée à son goût de notre petite
virée dans le Midi plutonesque, et aussi parce, pour des raisons
purement administratives, son frère ne pourrait pas aller la chercher en
voiture à Perpignan. C'est alors que je me suis entendu, à ma propre
consternation, lui proposer de remettre le périple catalan à l'automne et que nous y allions ensemble en voiture,
ce à quoi elle ne songeait nullement. C'est ce qui s'appelle : mettre
de soi-même la tête sur le billot. Évidemment, elle a sauté à pieds
joints sur l'occasion, tout juste si elle n'a pas battu des mains ni
sauté en l'air ; bref, j'étais fait comme un rat. Il fallait, en plus,
prévoir deux étapes, comme pour le Midi, vu qu'il n'est pas question que
je rallie la Catalogne d'une seule traite. Et, donc, m'appuyant sur le
mauvais et très hypocrite prétexte que nous serons, sur place, hébergés
gratuitement par Christian et Roselyne, j'ai décidé de soigner les
étapes en question. La première, à l'aller, aura lieu à Saint-Flour,
sans doute ici,
ce qui nous permettra de convier Pascale et Pierre à dîner,
transformant ainsi l'obligation en plaisir. Au retour, la halte se fera
aux environs de Clermond-Ferrand, probablement là.
Et toutes ces réjouissances auront lieu entre la dernière semaine de
septembre et la première d'octobre, histoire de profiter des premières
teintes automnales. Il est vrai que, d'ici là, il peut se produire une
quantité de choses qui rendraient caduc ce petit projet.
–
Incité par Muray, j'ai ressorti de son rayon le volume des œuvres
complètes de Flannery O'Connor, livre qui nous avait été offert par le
Père B., que nous ne connaissions pas du tout alors, à l'occasion de
notre mariage religieux, en octobre 2010… si ma mémoire ne me défaille
pas trop. Le programme pour les jours à venir est donc celui-ci : deux
heures de Céline le matin au saut du lit, puis l'Américaine.
Mardi 19
Deux heures. – 63 ans dans cinq heures. Forte incrédulité face à une aussi incroyable bouffonnerie. Mais il faut bien, tout de même, faire comme si c'était vrai, afin de ne pas trop inquiéter les populations alentour. Donc, imperturbablement, jouer à l'homme, et même au vieux monsieur. S'entraîner sans mollir ; répéter le rôle en silence ; penser à se tenir voûté et à trembler légèrement des mains. D'autres choses encore, nombreuses, mais que par chance on oublie vite, vu que l'on travaille dur son alzheimer.
Sept heures vingt. –
Rapide conversation avec ma mère, il y a une demi-heure. Elle me dit
d'abord qu'elle se souvient mieux de ma naissance que de celles de mon
frère et de ma sœur (“Peut-être parce que tu étais le premier »…), elle
me cite le nom de la clinique, de la rue où elle était et du médecin qui
l'a accouchée – et que j'ai le regret consterné d'avoir déjà oubliés :
il aurait fallu que je galope à ce clavier. Mais surtout, elle me dit
qu'elle va “se prendre un petit apéro, pour célébrer l'événement” (elle
ne dit pas “célébrer”, c'est un mot à moi, pas à elle). Et, aussitôt, je
l'imagine (non : je la vois), dans son salon de cette maison à quoi
rien ne la rattache, devant son verre de porto ou de suze, dans un
silence qui m'effraie, convoquant ses ombres personnelles, et la
première de toutes : mon père (j'entends le silence qui doit bourdonner à
ses oreilles, je l'entends), si jeune, si beau, si loin, si présent.
C'est ma naissance, à quoi je ne puis rien, qui, en ce moment même, la
plonge dans des abîmes de mémoire qui peuvent être aussi bien miraculeux
qu'insupportables. Je n'ai pas le courage de l'imaginer plus que cela.
D'une certaine manière, je m'en veux de lui infliger cette soirée : je
l'y vois très bien et ne pourrai jamais l'y rejoindre.
Mercredi 20
Cinq heures. – Troisième tontine de la saison. – Et à part ça ? – À part ça, rien.
Jeudi 21
Midi.
– Depuis hier, “ça cause religion” chez notre consternant ami Anastase.
C'est évidemment l'occasion d'une déferlante de stupidités sans nom,
comme seule la religion, justement, est capable d'en susciter chez ses
opposants rabiques. Je conseille vivement la lecture des commentaires
(le billet lui-même ne dit rien et flotte dans les limbes de
l'incompréhensible) : c'est quelque chose, dans le genre abruti
trépignant ; même Élie Arié en devient idiot (moins que les autres,
évidemment, mais ce n'est pas mettre la barre bien haut), sans doute par
capillarité (il faut maintenir le cap hilarité…). C'est quand je vois,
entends, lis, ce genre de pitoyables et répulsifs guignols que j'ai
honte d'être incroyant, c'est-à-dire, d'une certaine façon, comme eux.
Dimanche 24
Dix heures. – Le programme de lecture “tripartite” auquel je me tiens depuis plusieurs jours me convient parfaitement, en ce que je le trouve très équilibré. Trois phases, donc : 1) Le matin au réveil, Céline – en ce moment Nord ; J'en lis entre cinquante et cent pages, puis je le referme, de peur que l'espèce d'ébriété que fait naître le fleuve en crue de son style ne me rende totalement inapte à tout autre genre d'activités. 2) Pour dessaouler, je me réfugie alors dans les Origines de la France contemporaine de Taine, lequel, par son écriture classique, me remet tant soit peu les pieds sur terre et la tête à l'endroit. 3) Enfin, l'après-midi, c'est Flannery O'Connor qui prend le relai, car il est temps, alors, pour le lecteur, de se soucier un peu des problèmes de son âme, de la grâce et de la damnation. Lorsque j'en aurai fini avec Miss O' je passerai sans doute à Édith Wharton, dont je viens de recevoir un volume contenant quatre ou cinq de ses romans.
– Sinon, Rémi Usseil et son illustrateur, Nicolas Doucet, ont lancé leur campagne de crowdfunding, puisque l'on dit parait-il ainsi, afin de financer l'édition de leur ouvrage commun, Le Chevalier au Cygne.
Il y en a vraiment pour toutes les bourses, puisque les “packs”
s'échelonnent de 12 à 350 €. Impériaux, Catherine et moi avons souscrit
pour celui à 250, moitié par amitié, moitié parce que Catherine voulait
absolument avoir un dessin à l'encre sépia, lequel n'est proposé que
dans les packs-de-riches.
– Le forum de l'in-nocence
semble être en état de mort clinique : pas de nouveau “fil” depuis près
de deux mois, et tarissement de toutes les discussions en cours. Même le
logorrhéique Francis Marche reste muet, ce qui est tout à fait
inquiétant. Enfin : inquiétant pour eux. Face aux événements de
Christchurch, et au fait que le tueur ait invoqué le Grand Remplacement,
je m'attendais tout de même à quelques réactions de ce côté-là… et
rien. Découragement ? Effet de sidération ? Grand embarras ? Tactique ?
Simple prudence ? Je trouve ce silence difficilement compréhensible.
D'un autre côté, je n'y pense pas du matin au soir non plus…
Lundi 25
Dix heures et demie. –
Le Père Ubu règne en maître sur l'administration française : c'est une
chose de le savoir, une autre de le toucher du doigt. Ce matin, j'ai
fait l'ouverture de la mairie de Pacy-sur-Eure, pour qu'y soit
renouvelée ma carte d'identité – 12 ans d'âge, comme un single malt. J'étais muni de tout ce qu'il fallait comme documents et formulaire dûment renseigné.
Première aberration : toutes les cartes d'identité françaises ont vu
leur durée de vie prolongée de 10 à 15, sans avoir besoin d'être
changées (pourquoi, d'abord ?)… mais ça ne vaut pas pour les pays
étrangers, y compris ceux faisant partie de leur stupide Union
européenne. Il aurait été si difficile, pour l'administration française,
d'avertir ses homologues unionées que, désormais, etc. ? Il faut
croire, puisque cela n'a pas été fait. Seconde aberration : si l'on
veut se faire établir une nouvelle carte alors que l'actuelle a moins de
quinze ans, il est obligatoire de justifier d'un voyage à
l'étranger (là, ça tourne à l'Union non plus européenne mais
soviétique). Moi, à la dame de l'accueil : « Mais je ne peux rien
justifier, je vais voir la famille… » Elle : « Dans ce cas, il faut
rédiger une attestation sur l'honneur, comme quoi vous devez vous rendre
en Espagne… sinon, la préfecture vous la refusera. » Moi (ayant
commencé à me parjurer par écrit) : « Indiquer le mois est suffisant ? –
Ah, non, Monsieur, il faut des dates précises ! » J'ai donc été
contraint de m'inventer un voyage destiné à rester fictif, du tant au
tant de juin prochain, alors que je ne compte me rendre en Espagne qu'en
septembre ou octobre. Ma nouvelle carte d'identité – si tout se passe
bien – devrait être prête dans cinq à six semaines, ce qui, compte tenu
de tout le reste, m'a paru un délai presque raisonnable. Je continue
cependant à me poser cette question aussi simple qu'insoluble : comment
en est-on arrivé là ?
Mardi 26
Midi.
– Il y a un moment, terminant ma marche, je croise “Madame Husky”, bien
sûr accompagnée de l'animal d'où elle tire auprès de nous son nom.
Elle, après les salutations d'usage : « Il ne fait pas chaud, dès que le
soleil se cache ! » En effet, il se trouvait alors, cet astre, derrière
un modeste nuage blanc. Moi : « Oui, on sent bien qu'on n'est encore
qu'en mars… » Puis, me trouvant un peu sec : « Déjà, on n'a plus le vent d'hier… » Elle : « Ah, oui ! hier, je me suis dit que ça allait recommencer. Qu'est-ce qu'ils
nous agacent, alors ! » Je n'ai pas su qui pouvaient bien être ces
“ils” qui avaient fait exprès de réactiver le vent à seule fin d'agacer
Madame Husky. La Sainte Trinité ? Les divinités de l'Olympe ? Les
adjoints d'Éole ? Les gens de Météo France ? Puis, je me suis avisé que,
où j'avais entendu “ils”, elle avait peut-être dit simplement “il”. Ce
qui n'arrangeait rien : qui était ce “il” solitaire ? Dieu en personne,
mais réduit cette fois à une seule ? Emmanuel Macron ? Un quelconque
ministre des Intempéries dont on m'aurait caché la nomination ? Le
réchauffement climatique ? Le trou dans la couche d'ozone ? Le grand
capital mondialisé ? Le complot américano-sioniste ? À ce stade de
dérive cérébrale, j'ai préféré m'arrêter de penser.
Sept heures.
– Finalement Céline, c'est comme toutes les drogues : si on veut que
l'effet perdure, l'accoutumance venant, il faut augmenter les doses.
Aujourd'hui, j'ai lu quasiment d'une traite les 350 dernières pages de Nord… et j'ai bien hâte d'être à demain matin pour me lancer dans Rigodon. J'en suis tout épaté moi-même.
Mercredi 27
Midi.
– Intense rigolade, ce matin, en découvrant les aveux de Cesare
Battisti, concernant les quatre meurtres pour lesquels il a été condamné
en Italie, mais dont les grandes âmes de par chez nous ne voulaient pas
entendre parler, chacun se prenant pour le Zola de ce nouveau Dreyfus, à
commencer par la pitoyable Fred Vargas, qui s'est même fendue d'un
opuscule afin de démontrer la parfaite innocence de son assassin chéri.
Bien entendu, on attend d'une minute à l'autre les plates excuses de
tout un tas de vertueux indignés, du sénile Guy Bedos au non moins
sénile Philippe Sollers, en passant par la consternante Anne Hidalgo, le
nullissime Dan Franck, la pauvre Miou-Miou et quelques autres de même
importance qui, tous, ont fait partie de son comité de soutien. Leur
amour de la vérité et leur sens de l'honneur sont tels qu'on voit mal
comment ces consciences inaltérables pourraient ne pas se livrer à un
retentissant mea culpa. Si besoin est, on leur fournira la cendre et la robe de bure.
Jeudi 28
Deux heures.
– Invasion double, aujourd'hui : pendant que la femme de ménage occupe
la maison, les plombiers squattent le sous-sol (un problème de fuite à
la chaudière, entièrement de leur fait puisque datant de leur récente
“révision”). Autant dire que, confinés dans la Case, nous n'en menons
pas large et avons bien à cœur de nous faire oublier autant que
possible.
– Notre cerisier est en train de se
transformer en véritable HLM – ou en camp de réfugiés, si on a la tripe
misérabiliste. En plus du couple de mésanges charbonnières qui s'est
installé dans le nichoir accroché au tronc, deux tourterelles font leur
nid plus haut, à l'une des fourches de branches, tandis que, sur la
gauche de l'arbre, c'est une paire de pigeons qui est occupée à faire la
même chose. Tout cela en plus des mésanges bleues qui bâtissent dans le
nichoir du petit volet, et des charbonnières qui les imitent dans celui
du grand volet. Pour l'instant, le nichoir du grenier semble encore
inoccupé.
– Lectures inchangées : Céline le matin (Rigodon) et Miss O'Connor l'après-midi (Et ce sont les violents qui l'emportent + la correspondance)
Cinq heures. –
Appel téléphonique du Père B., pour nous informer de sa nouvelle
affectation au sein de l'Église, mais aussi pour nous dire qu'il allait
sans doute se retrouver maître d'un petit bouvier bernois et, donc, nous
demander quelques renseignements sur cette race de chiens que nous
sommes censés bien connaître. La coïncidence est frappante, dans la
mesure où le Père B. et nous nous téléphonons très rarement, et qu'il le
fait précisément lorsque je suis replongé dans le volume de Flannery
O'Connor, offert par lui à l'occasion de notre mariage religieux, alors
que nous ne nous connaissions nullement. Je lui ai fait promettre de
nous rappeler dès qu'il aurait pris possession de l'animal : nous
organiserons alors une petite équipée dans le Cher, afin de les voir
tous les deux, le prêtre et le chien. « Vous viendrez le baptiser au
sancerre ! », a conclu le premier en parlant du second. Nous n'y
manquerons pas.
Vendredi 29
Quatre heures. –
Je comptais fermement, hier, ou à défaut ce matin, recevoir la juste
rétribution de mes petits écrits lucratifs rédigés et rendus en février :
nib de braise, comme aurait dit Aristide Bruant. J'ai aussitôt expédié
un himmel à mes puissances tutélaires pour m'inquiéter de cette absence
de bon argent : nib de réponse. J'avais signé mon appel au secours : Didier G., futur clochard.
C'est évidemment très exagéré, mais enfin, je trouve cette absence de
paiement un peu irritante, surtout de la part de gens qui, depuis plus
d'un an que nous travaillons l'un pour les autres, se sont toujours
montrés fort scrupuleux en ce domaine, ce qui est rien moins que courant
dans la presse. Nous relancerons ce petit monde lundi, si aucune pluie
d'or ne s'est déversée sur ma tête d'ici là.
– Je
continue à lire les nouvelles de Miss O'Connor avec un grand plaisir,
même si certaines d'entre elles me demeurent assez énigmatique. Mais
sans doute cette énigme elle-même fait-elle plus ou moins partie du
plaisir.
– Mort d'Agnès Varda : ni chaud, ni froid.
Samedi 30
Onze heures. –
Grand chamboulement dans nos projets d'escapades furtives. Plutôt que
septembre, il est maintenant question que nous nous rendions en
Catalogne, chez Christian et Roselyne, dès le mois de juin. Mais, du
coup, voilà qui m'oblige à annuler (c'est fait) toutes les réservations
laborieusement mises en place par le gars moi-même, en vue de
l'expédition à Nyons, avec étape à Moulins, puis à Semur-en-Auxois au
retour ; et aussi, malheureusement, à nous priver du dîner prévu avec
les Pluton. En revanche, il se dessinerait, pour septembre, un projet de
séjour en Bretagne, à Loudéac puis dans le Morbihan, dans les fiefs
familiaux de Nicolas et de sa sœur Hélène, laquelle a noué des liens
artistiques (elles dessinent toutes les deux) avec Catherine. Bref, tout
cela devient fort compliqué. Mais, heureusement, ce n'est pas moi qui
suis chargé de démêler les fils de la pelote : tout ce qu'on me demande
c'est, une fois les décisions prises, de réserver les hôtels et,
éventuellement, les restaurants.
– Terminé Rigodon – qui m'a semblé moins réussi que Nord, moins “épique” – ce matin ; demain dès avant l'aube (on passe à l'heure dite “d'été”), j'attaquerai Guignol's Band.
Dimanche 31
Dix heures, heure “d'été”.
– Conclusion, sans doute provisoire, de nos pérégrinations oniriques :
nous devrions être en Catalogne espingote entre le 7 et le 9 juin
prochain. Avec escale à Saint-Flour le 6 (sans doute ici) et autre escale aux alentours de Clermont le 10, lundi de Pentecôte (probablement là).
Avec l'espoir que, lors de notre étape sanflorine, Pascale et Pierre,
nos Auvergnats de référence, seront libres d'être nos hôtes le temps du
dîner. Mais, évidemment, comme neuf semaines nous séparent encore de
cette joyeuse épopée, le programme a le temps de changer vingt fois.
Vraiment, même sans bouger d'un orteil, on ne peut pas dire qu'on
s'ennuie ici.
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