dimanche 31 mars 2019

Mars 2019











D'UN RELAIS & CHÂTEAUX L'AUTRE









Vendredi 1er

Dix heures du matin. – Le généreux et compatissant Anastase Sarkoff inaugure ce mois en s'avouant mortellement inquiet et profondément dégoûté. La raison de ces spasmes d'angoisse et de ces nauséeuses convulsions ? Le tsunami pédophilique qui, d'après lui, submerge littéralement l'Église – Église catholique, il va de soi. Je me pose une question sans doute idiote : qu'est-ce qu'il peut bien en avoir à foutre, lui dont les enfants n'ont probablement jamais mis les pieds à la messe, et encore moins, supposé-je, au catéchisme ? (En passant : je suis toujours gêné que cathédrale réclame une H tandis que catéchisme la refuse…). En revanche, en bon vertueux de gauche qu'il est, il a forcément mis les dits enfants à l'école publique dès leur premier âge, où ils ont été en contact avec toute une faune de surveillants frôleurs et de professeurs de gymnastique (oui : ce matin, je “cause suranné” ; ça gêne ?) mateurs de séances de douche. Mais, ça ne semble pas du tout être un problème. Il est vrai que, face aux tripoteurs de têtes blondes (synecdoque) qu'elle nourrit en son sein, l'Éduc' nat' est beaucoup plus discrète que l'Église apostolique et romaine avec les siens. Ce qui lui est rendu facile par le fait que personne n'aurait l'audace ni le mauvais goût de suspecter nos braves instituteurs et nos héroïques professeurs de menées aussi perverses. Même les moniteurs de colonies de vacances sont tous impeccablement vertueux, dès lors qu'ils sont employés par la CGT ou par le Comité d'entreprise d'EDF. En revanche, chez les scouts, je ne vous dis pas l'orgie perpétuelle…

– Commencé ce matin Le Moulin de la Sourdine : c'est toujours un plaisir, de retrouver Marcel Aymé, qui a le pouvoir de laver les cerveaux de toutes les affligeantes conneries (voir ci-dessus) qui ont tendance à s'y déposer. Comme il pleut et vente, pas très fort mais suffisamment pour constituer une excuse valable, je pense qu'il va m'accompagner une bonne partie de la journée, y compris pendant l'heure que j'aurais normalement dû consacrer à mes déambulations transcampagnardes.


Samedi 2

Dix heures. – Je pleurnichais, le mois dernier (voir le jour exact dans le journal de février), après le journal 2018 de Renaud Camus, dont je trouvais qu'il tardait à paraître : un commentateur du blog me signale ce matin qu'il est bel et bien disponible. Ce qui est curieux – et c'est pour cela que je ne le savais pas –, c'est qu'on le trouve chez l'Amazone, mais pas dans la propre librairie en ligne de l'auteur ; or, c'est là, et là seulement, que j'étais allé fureter dans les rayonnages virtuels. Enfin, le volume est commandé : livraison le 5 mars, soit mardi (si la Poste daigne…). Mardi qui sera également le jour de mon dernier scanner de contrôle annuel. si bien que si je reviens de la clinique Pasteur avec un superbe crabe, le journal de Camus risque de passer peu ou prou au second plan. On verra bien.

– Sinon, je dois dire que je ne partage qu'à moitié (et encore : au tiers serait plus exact) l'enthousiasme de Michel Desgranges pour Le Moulin de la Sourdine, qui, bien qu'agréable à lire comme l'est toujours Marcel Aymé, ne m'a pas paru un chef-d'œuvre ; j'y ai même réprimé deux ou trois bâillements dans son dernier tiers.

Deux heures. – Le journal 2017 de Camus, repris tout à l'heure, est idéal pour mes débuts d'après-midi somnolents (en général, ça s'arrangerait plutôt, entre quatre et cinq…), dans la mesure où il s'agit moins d'une lecture que d'une révision. Sans compter le fait que, de toute manière, il ne s'agit pas d'une lecture réclamant un suivi rigoureux.


Lundi 4

Dix heures et demie. – Parce qu'elle venait de relire le Jésus de Jean-Christian Petitfils, et qu'elle se trouvait plongée dans Le Royaume d'Emmanuel Carrère, livre “double-centré” sur saint Paul et saint Luc, Catherine a émis le souhait de voir le film intitulé Paul, apôtre du Christ, dont elle avait lu maint compliment. Comme de bien entendu, la dite œuvre n'était pas sur Netflix (les films que l'on aurait naturellement envie de voir ne sont jamais disponibles sur cette plateforme-là) ; qu'à cela ne tienne, les désirs de l'épouse sont des ordres : j'ai sans barguigner cassé le petit cochon rose et dépensé vingt euros pour en acheter le blu-ray, lequel est arrivé dès le lendemain, soit samedi. Le soir-même, nous nous sommes assis devant lui, avec la perspective d'une bonne soirée. Cruelle désillusion : il nous a fallu moins d'une demi-heure pour admettre que nous venions de jeter vingt euros par la fenêtre grand ouverte, le film étant à la fois sottement bavard et d'une ridicule kitscherie, laquelle se traduisait principalement par un abus des ralentis inutiles et une musique péniblement grandiloquente. Au moins, pensions-nous avant de commencer, allons-nous pouvoir nous mettre sous l'œil de beaux paysages méditerranéens ou d'Asie mineure… Là aussi, déception : cette triste daube a été réalisée “à l'économie”, tournée dans je ne sais quel sous-sol hollywoodien, et de paysages, durant l'heure où nous nous accrochâmes au navet, il ne fut point question. Je pense que le blu-ray va partir directement à la poubelle, c'est vraiment tout ce qu'il mérite. Il va être désormais difficile de nous décantonner de Netflix : au moins, là, si nous tombons sur un film ou une série nuls et non avenus, nous n'avons pas l'impression d'avoir gaspillé un argent qui aurait pu être reconverti en livres, puisque la modique somme que nous payons mensuellement (7, 90 €) nous donne un accès illimité à tous les non-chefs-d'œuvre qui pullulent en ce hangar à images animées.


Mardi 5

Neuf heures et demie. – Peu avant neuf heures, le téléphone sonne. Catherine et moi lisions au salon, je lui dis : « Pour une fois, je vais aller répondre (l'appareil était resté dans le salon télé où se trouve sa “borne”) ; au cas où ce serait la clinique… » Car j'avais rendez-vous, ce matin, dix heures moins le quart, à Pasteur, pour un dernier scanner de contrôle. Or, désormais, surtout lorsque le téléphone n'est pas à immédiate portée de main, nous laissons sonner dans le vide, sachant qu'il y a neuf “chances” sur dix pour qu'il s'agisse d'une publicité. Bien m'en a pris car ce n'en était pas une : « Monsieur Goux ? Ici le scanner de la clinique Pasteur… » [C'était la première fois qu'un scanner m'appelait au téléphone : j'étais un peu ému, forcément.] C'était pour me dire que la machine en question étant en panne, il n'allait pas être possible de, etc. Le scanner parlant a commencé par m'assurer que je pouvais me rendre à la clinique Bergouignan, où je serais “pris en charge” à l'heure prévue de mon rendez-vous à Pasteur : je n'en ai évidemment pas cru un mot, prévoyant que l'imprévu – si je puis dire – allait totalement désorganiser les services de la clinique de remplacement. J'ai donc opté pour la seconde branche de l'alternative, qui consistait à prendre un nouveau rendez-vous à Pasteur, lequel a été fixé au 30 avril prochain. Et, après ça, il va encore se trouver des grincheux pour prétendre qu"'il ne se passe rien dans ma vie : qu'est-ce qu'il leur faut de plus ? L'amusant est que, raccrochant le téléphone, j'ai éprouvé durant quelques minutes une délicieuse sensation de vacances imméritées.

– Le journal 2018 de Renaud Camus est arrivé ce matin, par porteur spécial. Je trouve son titre moins bon (mais il faudra voir à la lecture) que celui du précédent : L'Étai contre Juste avant après en 2017. D'un autre côté, il permet davantage d'astuces idiotes : L'étai meurtrier, l'étai en pente douce, souviens-toi l'étai dernier, etc.

Trois heures. – Je viens de lire une centaine de pages de ce journal 2018. Ce qui était déjà nettement sensible dans celui de l'année dernière (et peut-être aussi celle d'avant, mais je ne suis pas remonté si loin), se confirme : alors qu'avant Camus abordait de nombreux sujets à parts à peu près égales, désormais tout ces centres d'intérêt, artistiques ou autres, ont été presque exclusivement remplacés par le Grand Remplacement, si je puis ainsi m'exprimer. C'est-à-dire que, tout comme le peuple français dans sa vision des choses, ces sujets anciens n'ont pas été totalement éliminés de son journal (il continue d'aller dans les musées, de courir les châteaux et d'arpenter les chemins), mais ils ne subsistent plus qu'à titre résiduel, dans les marges, plus ou moins écrasés par le mastodonte qui a tout envahi, tout colonisé. Il y a là quelque chose de très perturbant pour le lecteur, pour peu que ce lecteur soit moi. Car d'un côté il se trouve d'accord sur le fond des choses, sur les dégâts profonds – et sans doute, de l'avis de ce lecteur, d'ores et déjà irréversibles – causés par l'invasion arabo-africaine, ou l'ayant favorisée, mais par ailleurs, il ne peut se résoudre à croire que cette “clé” soit devenue capable d'ouvrir absolument toutes les portes, se soit transformée en une sorte de sésame de la compréhension universelle, l'alpha et l'oméga de l'ensemble du monde occidental.

(Catherine me fait signe, de la maison, que l'heure de la promenade est venue : je tâcherai de revenir plus tard sur mon sujet du jour ; peut-être seulement lorsque le volume aura été entièrement lu.)


Mercredi 6

Dix heures. – En tournant, tout à l'heure, la dernière page du journal 2018 de Camus, je me suis dit que ce serait sans doute le dernier volume que je lirais (ce qui ne m'empêchera pas, à l'occasion, de reprendre tel ou tel des anciens “opus”), tant l'obsession grand-remplaciste a presque tout envahi. Et puis, je me suis rappelé m'être dit exactement la même chose l'année dernière, après lecture de la cuvée 2017. Comme quoi, il n'est pas si facile de se désintoxiquer d'une drogue, qu'elle soit littéraire ou banalement chimique. D'autant que, malgré ce cancer grand-remplaciste, abondamment métastasé, il reste encore, pour éveiller l'esprit, de nombreux paragraphes, parfois des pages entières, qui, à eux seuls, se dit-on, méritaient d'être lus et, donc, achetés. Sinon, sur un plan tout à fait anecdotique, les amours (métaphoriques…) entre Camus et Jérôme Vallet semblent avoir été au beau fixe durant toute l'année écoulée ; ce qui ne laisse pas de me faire sourire, lorsque je me souviens de ce que le premier disait, il y a quelques années, de l'horripilation que provoquait chez lui le second. C'est un peu comme dans les séries télévisées américaines : on sait dès le début que ces deux personnages amis (ou alliés ou complices, etc.) vont finir par s'entretuer ; mais sera-ce dès le troisième épisode ou seulement à la fin de la saison ? Et qui des deux prendra l'initiative ? C'est tout l'enjeu du suspense. La seule chose qui ne soit l'occasion d'aucun suspense, c'est la tuerie elle-même. Cela dit, je ne souhaite nullement que  brouille et fâcherie il y ait effectivement. À vrai dire, je m'en fiche un peu. (Mais alors, pourquoi en parles-tu, bougre d'âne ?)

Deux heures. – Le lundi 26 novembre, Camus commence ainsi son entrée du jour : « Je serais curieux des mécanismes cérébraux qui engendrent la faute de frappe. Par exemple, je suis incapable d'écrire correctement, du premier coup, novembre […] j'écris chaque fois novemebre. Le e superfétatoire est un peu baladeur, quelquefois c'est novembere, novembree, mais presque toujours c'est novemebre. Pourquoi ? » Dans le paragraphe suivant, Camus dit qu'il y a d'autres mots encore, sur lesquels il bute de la même façon. Et il en vient à citer résultat : « Pourquoi tapé-je, une fois sur deux, trois fois sur quatre, résulat, ou réstulat, ou réslutat ? » Je suis moi-même (mais peut-être est-ce tout le monde ?) affligé d'un certain nombre de ces “mots butoirs”. Et, parmi eux, j'ai en commun avec Camus ce damné résultat. Sauf que, chez moi, il ne prend qu'une seule forme fautive, toujours la même : résultata. Et cela, en effet, entre une fois sur deux et deux fois sur trois.

Dans ce domaine – tout à fait anecdotique, certes –, le plus étrange qu'il me soit arrivé remonte à une cinquantaine d'années, lorsque j'étais en classe de quatrième, ou à la rigueur de troisième. À cette époque – je ne sais ce qu'il en est aujourd'hui –, les élèves étaient astreints à des travaux écrits, que l'on appelait des “devoirs” ; devoirs exécutés à la maison ou bien “sur table”, c'est-à-dire en classe, sous la surveillance plus ou moins vigilante du professeur. Il était de règle, d'écrire son nom et son prénom, dans cet ordre, en haut et à gauche des copies que l'on noircissait tant mal que bien. Or, à un moment, du jour au lendemain, je me suis mis à écrire là : Goux Dididier au lieu de Goux Didier. Et ce, au moins trois fois sur quatre. Cette incongruité a duré plusieurs semaines, avant de disparaître aussi brusquement qu'elle était advenue, et n'est plus jamais revenue depuis.

En tout cas, je fus bien aise de constater que Camus pouvait être en butte aux même aberrations dysgraphiques que moi : on se sent partiellement excusé de ce voisinage. Et je note aussi qu'il a su résister à la tentation d'attribuer cette bizarrerie au remplacisme global, ce couteau suisse de la pensée.

Trois heures. – Autre chose qui finit par devenir cocasse, dans le journal de Camus, par prendre des allures de running gag, c'est son ébahissement lorsque l'un de ses touittes suscite chez nombre de ses lecteurs des protestations indignées, voire des tombereaux d'insultes se déversant sur sa tête, simplement parce que ceux-ci ont compris tout de travers ce qu'il venait de dire, voire franchement son exact contraire. De démontrer alors à son journal que sa phrase était parfaitement claire pour qui sait lire le français, qu'aucune ambiguïté n'était même envisageable, etc. Et, bien entendu, dans pratiquement tous les cas qu'il cite il a entièrement raison. On a simplement envie de lui rappeler une chose essentielle : Monsieur Camus, vous êtes sur Twitter. C'est-à-dire dans une sorte de cloaque à ciel internétique ouvert, en lequel au moins 80 % de la faune qui s'y ébat sont de pitoyables pantins sinon tout à fait anencéphales, du moins gravement dyslexiques, bien incapables en effet de comprendre la plus innocente de vos subtilités de langage, quel que soit l'effort que vous pensez faire pour vous mettre à leur portée. (Je sais de quoi t'est-ce que j'cause : j'ai pu observer assez longuement quatre ou cinq spécimens de ce genre d'humanoïde lorsque je lisais scrupuleusement tous les commentaires flasques et vitreux dont ils se soulagent du matin au soir dans la fosse d'épandage d'Anastase Sarkoff.) On a l'impression de se trouver devant un homme (je suis revenu à Camus) qui, après avoir passé la journée à patauger dans une mare de ferme, serait stupéfait, rentrant chez lui le soir, de découvrir quelques traces de boue sur ses richelieus. Tout cela posé, il reste que, pour ce que j'en ai lu, et pas seulement dans ce journal-ci, les touittes de Renaud Camus valent très souvent la peine d'être découverts et savourés. Mais bon : margaritas ante porcos et toutes ces sortes de choses, quoi.


Jeudi 7

Trois heures. – Commencé à lire Pirandello (théâtre), ce que je n'avais encore jamais fait, Dieu sait pourquoi. Je vais probablement, un de ces jours, commander le volume contenant la totalité de ses nouvelles : on verra ça quand le nouveau “mois carte dorée” aura commencé. J'ai parallèlement repris Après l'histoire de Philippe Muray : c'est un excellent antidote au journal de Camus, dans la mesure où, retrouvant notre monde tel que décrit et disséqué par le premier, on se sent passer très vite l'envie de gémir sur sa perte avec le second. Mais, évidemment, ils ont en réalité raison tous les deux : question de point de vue, de placement de la caméra.

– Voilà bien une semaine maintenant que le vent qui souffle avec force et constance nous empêche, Catherine et moi, de partir marcher dans la campagne, hors, un jour sur deux, un rapide aller-retour jusqu'au terrain de football afin que Charlus puisse désankyloser un tant soit peu.

Cinq heures. – Au bout du compte, après avoir lu, à la suite l'un de l'autre, Camus et Muray (un prophète de synthèse : Camuray…), on en arrive à se dire que la seule alternative qui demeure, concernant notre avenir proche, est la suivante : La fête va-t-elle se dissoudre dans l'islam ou l'islam dans la fête ? Dans les deux cas, il convient de se dépêcher de mourir.


Vendredi 8

Trois heures. – Catherine m'apprend à l'instant la mort de l'un de nos cousins communs, Alain Alphonzair : cancer, évidemment. Il devait avoir un an ou deux de moins que moi, si je me souviens bien. Il était le benjamin de son père, Pierre, lequel était lui-même le demi-frère aîné de nos pères respectifs, à Catherine et à moi, Serge et Daniel Goux. Du reste, bien que l'aîné (il était, je crois, de 1923), c'est lui qui, des trois frères, est mort le dernier, à plus de 90 ans, toujours si j'ai bonne mémoire. Il y avait belle lurette que je n'avais vu aucun membre de cette branche-là de la famille. Je crois bien que, la dernière fois, c'était à l'enterrement de la mère de Catherine, c'est-à-dire à la toute fin des années 90.

Sept heures. – J'ai commis une erreur tout à l'heure, Alain n'était pas le benjamin de la fratrie : une Sylvie est arrivée un an ou un an et demi après lui. Et, tandis que Catherine était occupée à parler de cela avec ma mère, au téléphone, je me suis avisé que, de toute ma flopée de cousins et cousines, aussi bien paternels que maternels, il était le premier à mourir, si l'on excepte Gérard, le frère puiné de Catherine, mort dans sa prime enfance, c'est-à-dire voilà plus de soixante ans.


Dimanche 10

Neuf heures du matin. – Nous attendons Rémi Usseil pour le déjeuner. Afin d'éviter la presse des acheteurs de croissants et de petits-gâteaux-du-dimanche, je suis descendu chercher du pain dès sept heures. J'ai bien fait : dans Pacy désert, je me faisais l'effet d'être l'unique survivant d'une catastrophe, virale ou nucléaire, survenue pendant la nuit. Enfin, l'un des deux survivants, l'autre étant la jeune boulangère qui m'a servi.

– Hier, deuxième tontine de la saison, effectuée en prévision de la pluvieuse semaine qui semble s'annoncer.


Mardi 12

Midi. – Les projets d'excursion ont brusquement changé hier : plus question d'aller bivouaquer à Salers vers la fin de mai, mais plutôt, à la même époque, du côté de Nyons. Pourquoi Nyons ? Je ne sais pas trop, en réalité. Mais pourquoi pas, au fond ? Pour ce que j'en ai à faire… L'avantage est que nous serions vraiment voisins des Pluton et qu'organiser une rencontre serait alors très facile ; l'inconvénient est que nous ne verrions pas Pascale et Pierre, nos Sanflorains d'élection. L'autre inconvénient est que je ne me sens plus capable d'abattre en une seule fois les quelque 750 kilomètres nous séparant de cette sûrement charmante petite bourgade ; du coup, il faut prévoir deux escales hôtelières, à peu près à mi-chemin, une à l'aller, l'autre au retour. Ce devrait être Moulins dans un sens et Semur-en-Auxois dans l'autre. Donc : quatre “nuitées” pour à peine deux jours sur place. Cela dit, on n'y est pas encore…


Mercredi 13

Onze heures. – Parce qu'il est prévu que, descendant vers le Sud, nous fassions une escale dans l'Allier (oui, oui, la menace se précise…), j'ai, par association d'idées, par “sentiment géographique”, ressorti le volume de la Pléiade consacré à Valery Larbaud. J'y ai relu, hier, une partie de Barnabooth (poésies et journal intime) et, ce matin, Beauté, mon beau souci, dont je n'avais aucun souvenir ; tellement aucun, même, que je me demande si je l'avais jamais lu. Bien bel écrivain, en tout cas, que ce Larbaud (et j'ai l'air de l'innocent qui, levant les yeux, s'avise soudain de l'existence de la lune…).


Vendredi 15

Dix heures. – « Aujourd'hui, dans le monde entier, les étudiants sont en grève pour le climat. – Oui, et ? – Et rien. Mais je trouve que Muray nous manque beaucoup. – En tout cas, lui, il manque beaucoup de choses amusantes. »

– Sinon, ce matin, chez mes amis progressistes, on tente d'ironiser sur les démêlés d'un certain Castaner (j'ai cru comprendre qu'il était ministre de quelque chose), que mes ex-confrères de la presse dite people auraient surpris dans une discothèque en compagnie d'une femme qui n'est pas la sienne et qui a l'âge d'être sa fille. Pour l'impeccable Anastase Sarkoff, c'est un juste retour de bâton, dans la mesure où ce même Castaner semble n'avoir jamais hésité à parler de sa vie privée, familiale, etc. dans Paris-Match. Donc, d'après le vertueux Anastase, si l'on accepte ne serait-ce qu'une fois de parler à un journaliste, on n'aura plus le droit, ensuite, de protester si une douzaine d'autres vient fouiller vos tiroirs et vos corbeilles à papier. Mais le plus comique est la réaction d'une de ses fidèles commentatrices, qui signe Sylvie 75 et qui œuvre, le plus souvent, dans la déploration niaise :

« En agissant ainsi dans un lieu où un ministre de l’intérieur ne peut ignorer les risques d’être pris en photo et les répercussions , il a méprisé sa famille.
En faisant ce genre d article la presse people a également méprisé non pas Castaner mais sa famille. Ce genre de presse fait beaucoup de victimes silencieuses…un reflet de la société actuelle!
Meme indignité … »

Cet attachement sanglotant à la pauvre famille du monstre qui l'a bafouée (et sûrement en émettant un rire sardonique), on le dirait venu d'une bigote du XIXe siècle, qui aurait troqué la place de l'Église contre celle du Colonel-Fabien. Car, bien entendu, notre chaisière post-moderne, notre punaise de cellule rouge, cette brave Sylvie se réclame bruyamment du communisme, cet humanisme qui a largement fait ses preuves, comme on sait.

Cinq heures. – Eh bien voilà, les dés ont roulé, les jeux sont faits : je viens de passer une heure à faire des réservations d'hôtels tous azimuts ; plus exactement dans trois azimuts bien précis : Moulins (ici), Nyons () et Semur-en-Auxois (relà). Et je dois dire que, finalement, l"idée de ces micro-vacances commence à me plaire assez ; d'autant plus qu'elles nous donneront l'occasion d'un dîner avec les Pluton. Tout cela se déroulera entre les 23 (Saint-Didier, mais c'est un hasard…) et 27 mai.


Samedi 16

Dix heures. – Ils s'y sont mis à deux, pour me marabouter. Michel Desgranges, d'abord, qui, le mois dernier, lors de notre déjeuner chez lui, me disait avoir plus ou moins envie de rouvrir Céline, lu intégralement en sa jeunesse et plus repris depuis lors ; Philippe Muray ensuite, qui lui consacre plusieurs des textes de ses Mutins de Panurge, deuxième volume de ses Exorcismes spirituels (édités par Michel Desgranges, en plus…), que j'ai entrepris de reparcourir, assez paresseusement je dois le dire. Bref, j'ai soudain décidé, tout à l'heure, entre réveil et petit-déjeuner, de retenter l'ascension du massif formé par les trois derniers romans dudit Céline, à savoir D'un château l'autre, Nord et Rigodon. Je dis “retenter” car, la dernière fois, qui remonte à quelques années – mais pas tant que ça – je me souviens très bien d'avoir renoncé à peu près à mi-pente, c'est-à-dire vers le milieu de Nord. On verra bien ce qu'il en est cette fois-ci. Du reste, je ne dois pas être un très bon lecteur célinien, car je suis à peu près sûr de n'être pas venu non plus à bout des deux volumes de Guignol's band.

– Ce dont je suis venu à bout, en revanche, hier, et avec bien de la peine et de l'ennui, c'est de mon second train de “signes lucratifs” du mois : voilà un an que cela dure et, de plus en plus, je dois me cramponner comme un désespéré à la perspective du “lucratif” pour parvenir à produire les “signes”. Mais enfin, il faut bien financer nos dispendieuses escapades…


Dimanche 17

Midi vingt. – Je me suis donc, dès avant l'aurore, et si je puis dire, lancé dans Céline. Mais comme, décidément, il s'agit plutôt d'une boisson d'homme, j'ai décidé d'y aller par petites gorgées : pas plus de cinquante pages chaque matin, ai-je prudemment déterminé. Avec peut-être, on verra, une petite rincette l'après-midi, si j'ai bien supporté le dosage matutinal. Entre temps, on lira des choses moins violemment capiteuses, histoire de se désenfiévrer la cervelle.

(Depuis ce matin, les giboulées de pluie ne cessent que pour laisser la place à leurs cousines grêleuses. Ce n'est pas encore aujourd'hui qu'on ira endommager les chemins de nos coups de talons.)


Lundi 18

Onze heures. – Ce matin, temps calme et ciel azuroïde : aucune excuse pour ne pas se remettre à la marche quotidienne, abandonnée depuis plus de deux semaines ; ce que fis donc. Bien entendu, je n'avais pas fait cinq cents mètres en direction de la Ferme de l'Hôpital que les nuages arrivaient, poussés par un vent gaillard et transperçant sans la moindre difficulté le mouton que j'avais jeté sur mon dos. Mais enfin, “un coup parti”, comme dirait Catherine…

– À propos de Catherine, elle a décidé d'annuler sa petite équipée espagnole en solitaire ; d'une part parce qu'elle aurait été trop rapprochée à son goût de notre petite virée dans le Midi plutonesque, et aussi parce, pour des raisons purement administratives, son frère ne pourrait pas aller la chercher en voiture à Perpignan. C'est alors que je me suis entendu, à ma propre consternation, lui proposer de remettre le périple catalan à l'automne et que nous y allions ensemble en voiture, ce à quoi elle ne songeait nullement. C'est ce qui s'appelle : mettre de soi-même la tête sur le billot. Évidemment, elle a sauté à pieds joints sur l'occasion, tout juste si elle n'a pas battu des mains ni sauté en l'air ; bref, j'étais fait comme un rat.  Il fallait, en plus, prévoir deux étapes, comme pour le Midi, vu qu'il n'est pas question que je rallie la Catalogne d'une seule traite. Et, donc, m'appuyant sur le mauvais et très hypocrite prétexte que nous serons, sur place, hébergés gratuitement par Christian et Roselyne, j'ai décidé de soigner les étapes en question. La première, à l'aller, aura lieu à Saint-Flour, sans doute ici, ce qui nous permettra de convier Pascale et Pierre à dîner, transformant ainsi l'obligation en plaisir. Au retour, la halte se fera aux environs de Clermond-Ferrand, probablement . Et toutes ces réjouissances auront lieu entre la dernière semaine de septembre et la première d'octobre, histoire de profiter des premières teintes automnales. Il est vrai que, d'ici là, il peut se produire une quantité de choses qui rendraient caduc ce petit  projet.

– Incité par Muray, j'ai ressorti de son rayon le volume des œuvres complètes de Flannery O'Connor, livre qui nous avait été offert par le Père B., que nous ne connaissions pas du tout alors, à l'occasion de notre mariage religieux, en octobre 2010… si ma mémoire ne me défaille pas trop. Le programme pour les jours à venir est donc celui-ci : deux heures de Céline le matin au saut du lit, puis l'Américaine.


Mardi 19

Deux heures. – 63 ans dans cinq heures. Forte incrédulité face à une aussi incroyable bouffonnerie. Mais il faut bien, tout de même, faire comme si c'était vrai, afin de ne pas trop inquiéter les populations alentour. Donc, imperturbablement, jouer à l'homme, et même au vieux monsieur. S'entraîner sans mollir ; répéter le rôle en silence ; penser à se tenir voûté et à trembler légèrement des mains. D'autres choses encore, nombreuses, mais que par chance on oublie vite, vu que l'on travaille dur son alzheimer.

Sept heures vingt. – Rapide conversation avec ma mère, il y a une demi-heure. Elle me dit d'abord qu'elle se souvient mieux de ma naissance que de celles de mon frère et de ma sœur (“Peut-être parce que tu étais le premier »…), elle me cite le nom de la clinique, de la rue où elle était et du médecin qui l'a accouchée – et que j'ai le regret consterné d'avoir déjà oubliés : il aurait fallu que je galope à ce clavier. Mais surtout, elle me dit qu'elle va “se prendre un petit apéro, pour célébrer l'événement” (elle ne dit pas “célébrer”, c'est un mot à moi, pas à elle). Et, aussitôt, je l'imagine (non : je la vois), dans son salon de cette maison à quoi rien ne la rattache, devant son verre de porto ou de suze, dans un silence qui m'effraie, convoquant ses ombres personnelles, et la première de toutes : mon père (j'entends le silence qui doit bourdonner à ses oreilles, je l'entends), si jeune, si beau, si loin, si présent. C'est ma naissance, à quoi je ne puis rien, qui, en ce moment même, la plonge dans des abîmes de mémoire qui peuvent être aussi bien miraculeux qu'insupportables. Je n'ai pas le courage de l'imaginer plus que cela. D'une certaine manière, je m'en veux de lui infliger cette soirée : je l'y vois très bien et ne pourrai jamais l'y rejoindre.


Mercredi 20

Cinq heures. – Troisième tontine de la saison. – Et à part ça ? – À part ça, rien.


Jeudi 21

Midi. – Depuis hier, “ça cause religion” chez notre consternant ami Anastase. C'est évidemment l'occasion d'une déferlante de stupidités sans nom, comme seule la religion, justement, est capable d'en susciter chez ses opposants rabiques. Je conseille vivement la lecture des commentaires (le billet lui-même ne dit rien et flotte dans les limbes de l'incompréhensible) : c'est quelque chose, dans le genre abruti trépignant ; même Élie Arié en devient idiot (moins que les autres, évidemment, mais ce n'est pas mettre la barre bien haut), sans doute par capillarité (il faut maintenir le cap hilarité…). C'est quand je vois, entends, lis, ce genre de pitoyables et répulsifs guignols que j'ai honte d'être incroyant, c'est-à-dire, d'une certaine façon, comme eux.


Dimanche 24

Dix heures. – Le programme de lecture “tripartite” auquel je me tiens depuis plusieurs jours me convient parfaitement, en ce que je le trouve très équilibré. Trois phases, donc : 1) Le matin au réveil, Céline – en ce moment Nord ; J'en lis entre cinquante et cent pages, puis je le referme, de peur que l'espèce d'ébriété que fait naître le fleuve en crue de son style ne me rende totalement inapte à tout autre genre d'activités. 2) Pour dessaouler, je me réfugie alors dans les Origines de la France contemporaine de Taine, lequel, par son écriture classique, me remet tant soit peu les pieds sur terre et la tête à l'endroit. 3) Enfin, l'après-midi, c'est Flannery O'Connor qui prend le relai, car il est temps, alors, pour le lecteur, de se soucier un peu des problèmes de son âme, de la grâce et de la damnation. Lorsque j'en aurai fini avec Miss O' je passerai sans doute à Édith Wharton, dont je viens de recevoir un volume contenant quatre ou cinq de ses romans.

– Sinon, Rémi Usseil et son illustrateur, Nicolas Doucet, ont lancé leur campagne de crowdfunding, puisque l'on dit parait-il ainsi, afin de financer l'édition de leur ouvrage commun, Le Chevalier au Cygne. Il y en a vraiment pour toutes les bourses, puisque les “packs” s'échelonnent de 12 à 350 €. Impériaux, Catherine et moi avons souscrit pour celui à 250, moitié par amitié, moitié parce que Catherine voulait absolument avoir un dessin à l'encre sépia, lequel n'est proposé que dans les packs-de-riches.

– Le forum de l'in-nocence semble être en état de mort clinique : pas de nouveau “fil” depuis près de deux mois, et tarissement de toutes les discussions en cours. Même le logorrhéique Francis Marche reste muet, ce qui est tout à fait inquiétant. Enfin : inquiétant pour eux. Face aux événements de Christchurch, et au fait que le tueur ait invoqué le Grand Remplacement, je m'attendais tout de même à quelques réactions de ce côté-là… et rien. Découragement ? Effet de sidération ? Grand embarras ? Tactique ? Simple prudence ? Je trouve ce silence difficilement compréhensible. D'un autre côté, je n'y pense pas du matin au soir non plus…


Lundi 25

Dix heures et demie. – Le Père Ubu règne en maître sur l'administration française : c'est une chose de le savoir, une autre de le toucher du doigt. Ce matin, j'ai fait l'ouverture de la mairie de Pacy-sur-Eure, pour qu'y soit renouvelée ma carte d'identité – 12 ans d'âge, comme un single malt. J'étais muni de tout ce qu'il fallait comme documents et formulaire dûment renseigné. Première aberration : toutes les cartes d'identité françaises ont vu leur durée de vie prolongée de 10 à 15, sans avoir besoin d'être changées (pourquoi, d'abord ?)… mais ça ne vaut pas pour les pays étrangers, y compris ceux faisant partie de leur stupide Union européenne. Il aurait été si difficile, pour l'administration française, d'avertir ses homologues unionées que, désormais, etc. ? Il faut croire, puisque cela n'a pas été fait. Seconde aberration : si l'on veut se faire établir une nouvelle carte alors que l'actuelle a moins de quinze ans, il est obligatoire de justifier d'un voyage à l'étranger (là, ça tourne à l'Union non plus européenne mais soviétique). Moi, à la dame de l'accueil : « Mais je ne peux rien justifier, je vais voir la famille… » Elle : « Dans ce cas, il faut rédiger une attestation sur l'honneur, comme quoi vous devez vous rendre en Espagne… sinon, la préfecture vous la refusera. » Moi (ayant commencé à me parjurer par écrit) : « Indiquer le mois est suffisant ? – Ah, non, Monsieur, il faut des dates précises ! » J'ai donc été contraint  de m'inventer un voyage destiné à rester fictif, du tant au tant de juin prochain, alors que je ne compte me rendre en Espagne qu'en septembre ou octobre. Ma nouvelle carte d'identité – si tout se passe bien – devrait être prête dans cinq à six semaines, ce qui, compte tenu de tout le reste, m'a paru un délai presque raisonnable. Je continue cependant à me poser cette question aussi simple qu'insoluble : comment en est-on arrivé là ?


Mardi 26

Midi. – Il y a un moment, terminant ma marche, je croise “Madame Husky”, bien sûr accompagnée de l'animal d'où elle tire auprès de nous son nom. Elle, après les salutations d'usage : « Il ne fait pas chaud, dès que le soleil se cache ! » En effet, il se trouvait alors, cet astre, derrière un modeste nuage blanc. Moi : « Oui, on sent bien qu'on n'est encore qu'en mars… » Puis, me trouvant un peu sec : « Déjà, on n'a plus le vent d'hier… » Elle : « Ah, oui ! hier, je me suis dit que ça allait recommencer. Qu'est-ce qu'ils nous agacent, alors ! » Je n'ai pas su qui pouvaient bien être ces “ils” qui avaient fait exprès de réactiver le vent à seule fin d'agacer Madame Husky. La Sainte Trinité ? Les divinités de l'Olympe ? Les adjoints d'Éole ? Les gens de Météo France ? Puis, je me suis avisé que, où j'avais entendu “ils”, elle avait peut-être dit simplement “il”. Ce qui n'arrangeait rien : qui était ce “il” solitaire ? Dieu en personne, mais réduit cette fois à une seule ? Emmanuel Macron ?  Un quelconque ministre des Intempéries dont on m'aurait caché la nomination ? Le réchauffement climatique ? Le trou dans la couche d'ozone ? Le grand capital mondialisé ? Le complot américano-sioniste ? À ce stade de dérive cérébrale, j'ai préféré m'arrêter de penser.

Sept heures. – Finalement Céline, c'est comme toutes les drogues : si on veut que l'effet perdure, l'accoutumance venant, il faut augmenter les doses. Aujourd'hui, j'ai lu quasiment d'une traite les 350 dernières pages de Nord… et j'ai bien hâte d'être à demain matin pour me lancer dans Rigodon. J'en suis tout épaté moi-même.


Mercredi 27

Midi. –  Intense rigolade, ce matin, en découvrant les aveux de Cesare Battisti, concernant les quatre meurtres pour lesquels il a été condamné en Italie, mais dont les grandes âmes de par chez nous ne voulaient pas entendre parler, chacun se prenant pour le Zola de ce nouveau Dreyfus, à commencer par la pitoyable Fred Vargas, qui s'est même fendue d'un opuscule afin de démontrer la parfaite innocence de son assassin chéri. Bien entendu, on attend d'une minute à l'autre les plates excuses de tout un tas de vertueux indignés, du sénile Guy Bedos au non moins sénile Philippe Sollers, en passant par la consternante Anne Hidalgo, le nullissime Dan Franck, la pauvre Miou-Miou et quelques autres de même importance qui, tous, ont fait partie de son comité de soutien. Leur amour de la vérité et leur sens de l'honneur sont tels qu'on voit mal comment ces consciences inaltérables pourraient ne pas se livrer à un retentissant mea culpa. Si besoin est, on leur fournira la cendre et la robe de bure.


Jeudi 28

Deux heures. – Invasion double, aujourd'hui : pendant que la femme de ménage occupe la maison, les plombiers squattent le sous-sol (un problème de fuite à la chaudière, entièrement de leur fait puisque datant de leur récente “révision”). Autant dire que, confinés dans la Case, nous n'en menons pas large et avons bien à cœur de nous faire oublier autant que possible.

– Notre cerisier est en train de se transformer en véritable HLM – ou en camp de réfugiés, si on a la tripe misérabiliste. En plus du couple de mésanges charbonnières qui s'est installé dans le nichoir accroché au tronc, deux tourterelles font leur nid plus haut, à l'une des fourches de branches, tandis que, sur la gauche de l'arbre, c'est une paire de pigeons qui est occupée à faire la même chose. Tout cela en plus des mésanges bleues qui bâtissent dans le nichoir du petit volet, et des charbonnières qui les imitent dans celui du grand volet. Pour l'instant, le nichoir du grenier semble encore inoccupé.

– Lectures inchangées : Céline le matin (Rigodon) et Miss O'Connor l'après-midi (Et ce sont les violents qui l'emportent + la correspondance)

Cinq heures. – Appel téléphonique du Père B., pour nous informer de sa nouvelle affectation au sein de l'Église, mais aussi pour nous dire qu'il allait sans doute se retrouver maître d'un petit bouvier bernois et, donc, nous demander quelques renseignements sur cette race de chiens que nous sommes censés bien connaître. La coïncidence est frappante, dans la mesure où le Père B. et nous nous téléphonons très rarement, et qu'il le fait précisément lorsque je suis replongé dans le volume de Flannery O'Connor, offert par lui à l'occasion de notre mariage religieux, alors que nous ne nous connaissions nullement. Je lui ai fait promettre de nous rappeler dès qu'il aurait pris possession de l'animal : nous organiserons alors une petite équipée dans le Cher, afin de les voir tous les deux, le prêtre et le chien. « Vous viendrez le baptiser au sancerre ! », a conclu le premier en parlant du second. Nous n'y manquerons pas.


Vendredi 29

Quatre heures. – Je comptais fermement, hier, ou à défaut ce matin,  recevoir la juste rétribution de mes petits écrits lucratifs rédigés et rendus en février : nib de braise, comme aurait dit Aristide Bruant. J'ai aussitôt expédié un himmel à mes puissances tutélaires pour m'inquiéter de cette absence de bon argent : nib de réponse. J'avais signé mon appel au secours : Didier G., futur clochard. C'est évidemment très exagéré, mais enfin, je trouve cette absence de paiement un peu irritante, surtout de la part de gens qui, depuis plus d'un an que nous travaillons l'un pour les autres, se sont toujours montrés fort scrupuleux en ce domaine, ce qui est rien moins que courant dans la presse. Nous relancerons ce petit monde lundi, si aucune pluie d'or ne s'est déversée sur ma tête d'ici là.

– Je continue à lire les nouvelles de Miss O'Connor avec un grand plaisir, même si certaines d'entre elles me demeurent assez énigmatique. Mais sans doute cette énigme elle-même fait-elle plus ou moins partie du plaisir.

– Mort d'Agnès Varda : ni chaud, ni froid.


Samedi 30

Onze heures. – Grand chamboulement dans nos projets d'escapades furtives. Plutôt que septembre, il est maintenant question que nous nous rendions en Catalogne, chez Christian et Roselyne, dès le mois de juin. Mais, du coup, voilà qui m'oblige à annuler (c'est fait) toutes les réservations laborieusement mises en place par le gars moi-même, en vue de l'expédition à Nyons, avec étape à Moulins, puis à Semur-en-Auxois au retour ; et aussi, malheureusement, à nous priver du dîner prévu avec les Pluton. En revanche, il se dessinerait, pour septembre, un projet de séjour en Bretagne, à Loudéac puis dans le Morbihan, dans les fiefs familiaux de Nicolas et de sa sœur Hélène, laquelle a noué des liens artistiques (elles dessinent toutes les deux) avec Catherine. Bref, tout cela devient fort compliqué. Mais, heureusement, ce n'est pas moi qui suis chargé de démêler les fils de la pelote : tout ce qu'on me demande c'est, une fois les décisions prises, de réserver les hôtels et, éventuellement, les restaurants.

– Terminé Rigodon – qui m'a semblé moins réussi que Nord, moins “épique” – ce matin ; demain dès avant l'aube (on passe à l'heure dite “d'été”), j'attaquerai Guignol's Band.


Dimanche 31

Dix heures, heure “d'été”. – Conclusion, sans doute provisoire, de nos pérégrinations oniriques : nous devrions être en Catalogne espingote entre le 7 et le 9 juin prochain. Avec escale à Saint-Flour le 6 (sans doute ici) et autre escale aux alentours de Clermont le 10, lundi de Pentecôte (probablement ). Avec l'espoir que, lors de notre étape sanflorine, Pascale et Pierre, nos Auvergnats de référence, seront libres d'être nos hôtes le temps du dîner. Mais, évidemment, comme neuf semaines nous séparent encore de cette joyeuse épopée, le programme a le temps de changer vingt fois. Vraiment, même sans bouger d'un orteil, on ne peut pas dire qu'on s'ennuie ici.

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