dimanche 29 janvier 2012

Décembre 2011










LA MALÉDICTION DE LAON










Jeudi 1er décembre

Sept heures et demie. – 18 feuillets, et encore en m'y mettant à plus d'onze heures et demie et en ayant arrêté tout travail avant cinq heures : on aura beau dire, le recopiage est tout de même plus aisé que l'invention, même quand elle est réduite au strict minimum.

– J'ai été déçu par Nez-de-Cuir, que je trouve assez nettement inférieur au Centaure de Dieu, du même La Varende. Roman moins net de contours, moins roide, qui se laisse aller, il me semble, à certaines facilités. Il y a aussi que je suis de plus en plus allergique aux histoires d'amour “sublimes” entre personnages qui ne le sont pas moins – surtout lorsque le sublime en question (au sens balzacien du mot) est incarné par une femme, ce qui est le cas ici : cette Judith de Rieusses me fut presque aussi insupportable que la comtesse de Mortsauf du Lys dans la vallée. Mais enfin, toute la première moitié du roman, avant la rencontre fatale entre ces deux andouilles, cette cavalcade à travers le Pays d'Ouche est, elle, tout à fait réussie. Mais qui, dans la vie réelle, aujourd'hui voire hier, supporterait plus de trois jours une péronnelle comme la de Rieusses ou la Mortsauf ?

– Depuis cet après-midi, je me dis que cette tentation que j'ai depuis quelque temps de vouloir à toute force faire des livres avec tels ou tels de mes petits écrits est absurde : quand on a établi – et fait savoir – que l'on n'était pas écrivain, on doit au moins avoir la sagesse de ne pas faire de livres, justement. Tout cela est d'une assez triste puérilité. Ou bien le signe qu'il resterait, tout au fond du bonhomme, une quelconque velléité – ce qui serait cette fois franchement déprimant.

– L'étude de Reynald Secher sur le génocide/mémoricide vendéen (je n'en suis encore qu'à la partie “génocide”) est absolument terrifiant : on voit là se mettre en place tout ce que les nazis et les communistes – sans parler des Turcs de 1915 – réaliseront un siècle et demi plus tard : l'élimination systématique d'un peuple – femmes, enfants et vieillards compris – avec effacement des traces de ce crime froidement programmé, ces massacres d'une sauvagerie inouïe ne semblant pas être le fruit de “débordements” de soudards ivres de sang, si l'on en croit les pièces produites par l'auteur, mais le résultat d'une politique voulue, planifiée et bruyamment applaudie à mesure de son exécution par les membres du Comité de salut public, Robespierre en tête – ces mêmes membres qui, pour beaucoup d'entre eux, trois ou quatre années plus tôt, signaient bravement notre fameuse Déclaration des droits de l'homme. Et on reste béant de constater qu'un Carnot a encore sa rue, son boulevard ou sa place dans pratiquement toutes les villes de France, qu'un boucher comme le général Haxo a la sienne à Paris, etc. Un peu comme si Himmler avait son avenue à Berlin ou Eichmann sa mignonne placette dans le vieux Düsseldorf – mais on va me dire que j'exagère, que les deux choses ne sont pas comparables. Malheureusement, non seulement elles le sont, mais il semble assuré que la première a très largement inspiré la seconde : on a tiré, à Berlin, les leçons des erreurs et des approximations commises par les vertueux membres de la Convention. Au fond, la seule vraie différence entre ces deux génocides est que celui perpétré par les nazis a été montré au grand jour dès la fin de la guerre, et que ses négationnistes sont généralement poursuivis et condamnés. Dans le cas de la Vendée, nous sommes tous, plus ou moins, des négationnistes à bonne conscience.

Le royaume de France s'est élevé à partir des fonts baptismaux sur lesquels s'est courbé Clovis – il s'agissait véritablement, là, d'une naissance ; la République, notre République, est née d'une démolition au symbolisme dérisoire, celle d'une forteresse vide, puis de la volonté de destruction de tout un peuple et de sa mémoire.


Vendredi 2 décembre

Trois heures et demie. –  Suite à un probable bug de Blogger, je ne peux plus publier de message sur aucun de mes blogs, y compris sur “l’atelier” où je tiens habituellement ce journal. C’est pourquoi j’ai ouvert un document Word, afin que rien ne se perde.

– J’ai publié hier soir un très court et très schématique billet à propos du génocide vendéen, suite à ma lecture – qui se poursuit – du livre à mon sens capital de Reynald Secher sur le sujet. Évidemment, l’inévitable Léon ainsi que le pseudonommé Cui-Cui ont débarqué à pic afin d’endosser le rôle de ce que j’ai appelé les négationnistes à bonne conscience (et du reste comment un négationniste pourrait-il avoir mauvaise conscience ?). Je trouve très aimable de leur part de bien vouloir tenir leur place dans cette petite saynète.

– Le travail avance correctement puisque j’ai écrit douze feuillets ce matin. Je devrais d’ailleurs plutôt dire qu’il avançait correctement dans la mesure où, à l’heure qu’il est, j’en suis toujours à douze.

– Demain matin, départ pour les Ardennes. De là, nous enfoncerons la frontière belge dimanche pour aller déjeuner avec Maître Yanka, la repasserons le soir même pour un second dîner chez mes parents, avant de nous en retourner lundi. Je pensais donner le volume de mon journal 2010 à mes parents en leur recommandant de ne pas l’ouvrir avant la remise des cadeaux du 24 décembre au soir, mais Catherine préfère qu’ils le découvrent tout de suite, en notre présence, afin de “voir leur réaction” : choc frontal de deux gamineries. Je me suis finalement rendu à son avis, et d’autant plus facilement que, moi aussi, j’ai envie de voir leur réaction…

– En ce moment, Astrid Varnay et Ramon Vinay sont Tristan et Iseult, dans la version incandescente (mais peut-être un peu moins que celle de Karajan datant de l’année précédente) enregistrée par Jochum à Bayreuth en 1953.

– Voilà trois jours que je cherche désespérément partout le livre de La Varende consacré au mont Saint-Michel, que m’a offert le Père B. Impossible. Disparu. J’en étais réduit à espérer que Robert Marchenoir l’ait embarqué (par erreur ou parce que je le lui aurais prêté sans m’en souvenir) lors de sa visite récente, mais il m’a assuré ce matin, par retour de mail, qu’il n’en était rien. Là-dessus, balayant machinalement du regard la bibliothèque dévolue aux livres d’histoire, déjà inspectée quatre ou cinq fois ces derniers jours, mes yeux se posent tout naturellement sur le volume en question, sagement rangé à côté des autres…
  
 Quatre heures vingt. – Bug apparemment résolu.

Neuf heures. – René Girard dit : Avoir un bouc émissaire c'est ne pas savoir qu'on l'a. Il explique aussi que, pour être totalement efficace, un bouc émissaire doit englober la victime elle-même, c'est-à-dire que la victime doit être elle-même persuadée qu'elle est coupable. Or, c'est précisément ce que Secher décrit, quant au génocide vendéen. Pour beaucoup d'entre eux, les Vendéens ne savent pas qu'ils ont subi ce qu'ils ont subi. En un mot, la bouc-émissérisation a failli marcher, dans leur cas.


Dimanche 4 décembre

Cinq heures. – Cette entrée de journal va sans doute être fort brève. D'abord parce que j'écris à la main sur le petit cahier que Catherine a pensé à emporter dans nos bagages, son ordinateur de voyage n'étant pas encore réparé, si tant est qu'il puisse l'être ; et ensuite parce que mes parents, installés tout comme moi autour de la table de salle à manger, me font la causette à jet continu – mais après tout, c'est bien pour parler avec eux que nous sommes venus.

– Nous sommes donc arrivés hier, vers quatre heures et demie, après un voyage passé sous une pluie ininterrompue. Mon père nous a servi (entre autres…) un gewurtztraminer extraordinaire.

– Aujourd'hui, excellent déjeuner à Bouillon (La Ferronnière) avec Ygor Yanka. Bien et beaucoup parlé, notamment de ses “affaires matrimoniales”.


Mardi 6 décembre

Onze heures du matin. – On voit, à la brièveté de l'entrée précédente, que l'envie de conversation de mes parents a été plus forte que la mienne de tenir ce journal : il a bien fallu que je m'interrompe – ce que j'ai fait sans effort ni déplaisir, compte tenu de mes difficultés à écrire au stylo.

– Ce petit séjour belgo-ardennais s'est fort bien passé. Le restaurant que j'avais débusqué via internet à Bouillon, La Ferronnière, s'est révélé quasiment parfait (à part la lavasse qui, à la fin du déjeuner, nous a tenu lieu de café…). Yanka s'est montré fort disert, notamment lorsque Catherine, trouvant que nous ne parlions que de nous, l'a aiguillé sur ses déboires conjugaux. Mais, bien entendu, pas question de relater ici ce qui a pu se dire à ce sujet, encore très brûlant et douloureux.

– Mes parents étaient quant à eux aussi en forme qu'on peut l'être à leur âge et lorsqu'on se trouve plus ou moins toujours, dans le cas de mon père, entre deux chimiothérapies. Ma mère semble être tout à fait remise de sa récente opération ; quant à mon père je l'ai trouvé plus pimpant que la fois précédente, lorsque nous l'avions emmené dîner à Carignan. Il est prévu, la prochaine fois qu'ils se rendront chez Isabelle, qu'ils partent un jour plus tôt et passent par ici. Le lendemain, nous les accompagnerons jusqu'à Jumièges, afin de leur montrer l'abbaye et de les inviter à L'Auberge des ruines. De là, ils ne seront plus qu'à une heure de route de chez ma sœur, cependant que nous rentrerons, nous, à la maison.

– Catherine m'informe qu'Adrien, son neveu, viendra passer deux jours ici, à compter du 3 janvier, avec son amie japonaise (qui parle français paraît-il). Visite fort bienvenue mais qui, du coup, m'a conduit à repousser notre arrêt du tabac de quelques jours : il était à l'origine prévu pour le deux janvier, date d'anniversaire de ma mère.

– J'ai reçu hier un mail de Carlos, par lequel, ayant lu mon journal de je ne sais plus quel mois, il tient à m'informer que son long silence n'a rigoureusement rien à voir avec ce que pourraient avoir pour lui de pénibles mes prises de position “idéologiques”. Il m'assure être parfaitement capable de séparer ce genre de choses (même quand elles l'agacent, dit-il) de tout le reste qui existe entre nous. Il n'empêche qu'il ne donne pas de motif autre pour le silence en question, qui doit bien durer depuis deux ou trois ans maintenant.

– Samedi soir, j'ai appris de sa bouche, et avec une certaine surprise, que mon père s'en était beaucoup voulu – et s'en voulait même encore un peu – de m'avoir fait entrer au collège militaire de Saint-Cyr, en 1967. “Tu n'étais pas fait pour ça, j'aurais dû m'en rendre compte” : tel était à peu près son argument. Je lui ai assuré fortement et à plusieurs reprises qu'il ne devait nullement s'en faire à ce sujet, que j'étais très content d'avoir fait cette expérience, etc. Je ne suis pas sûr de l'avoir convaincu ni rassuré. Mais c'était tout de même étonnant de voir une telle chose, dont je ne me serais jamais douté, resurgir après plus de quarante ans.

– En tout cas (mais pourquoi en tout cas ?), mes parents ont été tous les deux ravis de se voir offrir Autel de non-retour, mon journal 2010. Ma mère, qui n'est pas précisément une femme expansive, s'en est même montrée assez émue. Ça tombe bien, puisque je n'ai réalisé ce livre que pour eux ou à peu près.

– Ensuite, mon père nous a servi, pour accompagner le foie gras apporté par Catherine, un gewurtztraminer à tomber raide, tel que je ne me souviens pas d'en avoir jamais bu, y compris chez André, qui n'est pourtant pas manchot côté vins alsaciens. André qui, par parenthèse, vient de sortir un nouveau roman, chez le même éditeur que son “Sherlock Holmes”. Celui-ci se passe également en Alsace, bien entendu, mais cette fois en novembre 1918. Je viens d'en lire le premier chapitre : il me semble que son écriture a gagné en aisance, en fluidité, et c'est bien. Il faudra, pour le prochain, qu'il fasse porter son effort sur les dialogues, qui sont encore un peu “empruntés”, qui ne sonnent que trop rarement juste – il faudra d'ailleurs que je le lui dise.

– Hier matin, le temps qui avait été pourri durant deux jours s'est miraculeusement mis au beau, nous avons donc décidé de passer par Laon plutôt que par Reims. Nous avions, il y a quelques années, entr'aperçu cette ville sous une pluie tellement battante qu'elle ne nous avait pas permis de seulement sortir de la voiture. Eh bien nous devons être maudits, pour une raison qui m'échappe, car dès que nous fûmes en vue de la cité en question, le ciel s'est couvert et nous avons été cueillis par les premières gouttes d'eau entre le parking et la cathédrale – cathédrale très impressionnante, majestueuse, immense, que nous avons longuement parcourue. J'y ai appris que l'évêque de Laon était automatiquement duc et pair du royaume, qu'il était même le deuxième des douze pairs par ordre de dignité, juste derrière l'archevêque de Reims. C'est du reste saint Rémy, lorsqu'il était cet archevêque, qui en a  pris une partie pour ériger Laon – ville où il avait été ordonné prêtre un peu plus tôt – en évêché. Bref, rien de tout cela ne nous rajeunit.

[ Rajout du premier janvier 2012. – Titre possible pour ce journal de décembre : La Malédiction de Laon.]

Et c'est tout aussi soudainement, dès que nous avons quitté la ville en renonçant à la parcourir à pied (il soufflait de plus un vent à décorner les bœufs), que le ciel s'est dégagé, ce qui m'a fourni le bonheur d'avoir à conduire avec ses rayons plus ou moins rasants en plein dans les yeux.

– La fin de cette journée de retour a consisté, comme toujours, à récupérer Swann et Elstir au chenil puis à rentrer ici prendre un apéritif assez généreux, avant de goûter aux boudins blancs achetés à Rethel samedi, lors du trajet aller. Du reste, nous avons bien failli nous en passer, de ces boudins, car Catherine avait oublié l'adresse de la charcuterie, et aussi son nom. C'est alors qu'elle a eu l'idée d'appeler Nicolas pour qu'il regarde sur internet – tâche délicate dont il s'est acquitté avec son flegme coutumier et son efficacité proverbiale.

– Dimanche après-midi, à notre retour de Bouillon, mes parents et moi avons regardé beaucoup des diapositives de mon père afin d'en trouver qui me permettraient d'illustrer le petit livre que j'envisage de faire à partir de mon ensemble de textes autobiographiques intitulé Généalogie – et qui changera sans doute de nom, d'ailleurs, car je trouve celui-là bien pauvre, bien “basique”.  Revu beaucoup de photos de ma mère à l'époque où elle venait de donner naissance à Isabelle – début de 1965, donc : je l'ai trouvée d'une jeunesse presque irréelle ; en revanche, la jeunesse équivalente de mon père (ils ont le même âge, à trois mois près) m'a moins frappé. Je veux dire par là que je conservais des souvenirs, des images de lui à cet âge, alors que de ma mère sans doute non. Dans son cas, j'avais presque l'impression – très étrange – de contempler une autre personne, qui aurait simplement eu la particularité de lui ressembler, comme une jeune parente.


Mercredi 7 décembre

Sept heures et demie. – François Charlonnai, dont j'ignorais qu'il vînt sur le blog-mère, y a laissé le commentaire suivant :

Cher Didier,
Je me hasarde parfois sur ton blog. C'est mortellement chiant. J'ai pas dit con, mais chiant; Ton sens de l'humour semble avoir dépassé tant d'années lumière qu'il tarde à revenir. Tu sais, je meurs. Si ton blog t'aide à vivre, tant lieux. Mais tout ça est si vain! En ne doutant pas de t'entendre sur radio-courtoisie où ton mentor Renaud Camus sévit régulièrement , je te souhaite, non pas de bonnes fêtes, mais un joyeux Noël!
Amen.
F.Charlonnai

La première explication qui m'est venue est qu'il avait tenté le second degré, mais après avoir bu de l'alcool (je connais le phénomène !), ce qui expliquerait aussi les bizarreries orthographiques et autres, venant de lui qui a toujours écrit un français impeccable (la moindre des choses pour un ancien patron du rewriting…).  Ou bien alors, l'agressivité est réelle, la volonté – un peu puérile, il faut le dire – de me blesser, parce que, contrairement à Brice, je ne lui téléphone jamais depuis qu'il est en arrêt de travail à cause de sa maladie. Mais encore une fois, je ne fais que me conformer à ce que nous nous étions dit un jour, alors que nous déjeunions ensemble : lui et moi étions tombés d'accord pour penser qu'il ne devait rien y avoir de plus accablant que ces collègues, ou anciens collègues, qui vous assiègent de leur sollicitude faussement joviale alors que l'on est aux prises avec une maladie qui pourrait fort bien vous tuer à plus ou moins brève échéance. Mais, évidemment, les distorsions ne sont pas rares entre ce que l'on pense en bonne santé et nos réactions une fois plongés dans la maladie. Il n'empêche que ce commentaire me laisse un arrière-goût bizarre.

– Je crois bien avoir oublié de noter ici que, dimanche, alors que nous nous rendions tous les trois du village d'Ygor Yanka à Bouillon, à travers la forêt, un gros sanglier presque noir a traversé la route devant la voiture, suffisamment près pour qu'on le voie bien et heureusement assez loin pour que je ne risque pas de l'emboutir. Du coup, je n'ai plus dépassé le 70 km/h jusqu'à Bouillon…

– Je devais aujourd'hui déjeuner avec Joseph Vebret, qui a annulé peu avant midi pour cause de torticolis. En revanche, j'ai reçu un mail de l'Amiral Woland – qui est au Texas en ce moment – et qui me propose de déjeuner vendredi en huit. Il me demande si, à mon avis, Marchenoir pourrait se joindre : je vais le lui demander.


Jeudi 8 décembre

Trois heures et quart. – Il fait déjà pratiquement nuit. Au bureau voisin du mien, Brice parle, parle, parle, alors que nous ne sommes que deux dans la pièce et que je pianote ostensiblement sur ce clavier, où mes yeux restent rivés. Ça ne le gêne en aucune façon.

– En réalité, je n'ai rien à noter ici, où je ne suis venu que dans le sot espoir, toujours démenti, que cela aidera le temps à passer un peu plus vite. Robert Marchenoir m'a répondu ce matin (ou plutôt hier soir, sans doute) qu'il serait ravi de déjeuner avec Woland et moi, vendredi en huit. Ce sera ici, à Levallois, dans la mesure où, désormais, je me refuse à aller déjeuner au-delà d'un périmètre de quelques centaines de mètres, sachant que ce disque a mon bureau pour centre.

– Hier, dans le sien, de bureau, Philippe B. m'a dit qu'il s'était adressé à la DRH, pour mon éventuel changement de statut au sein du journal, changement impliquant une augmentation de mon nombre de jours de travail, et une autre de mon salaire – que je me plais à imaginer substantielle. D'après lui, rien ne s'est encore fait, malgré une ou deux relances de sa part, simplement parce que le service en question est débordé. Il va de soi, à mes yeux, que si les gens de la DRH sont débordés, c'est parce que, comme tous les autres secteurs du groupe, ils ne sont plus que deux où ils étaient cinq il y a encore peu de temps. Hypothèse confirmée par Philippe B. dès que je la lui ai soumise. Sinon, il voulait aussi m'annoncer une nouvelle à ranger plutôt dans la catégorie des mauvaises : ce que l'on appelle les “séries” va disparaître de FD, ce qui tarit l'une de mes sources de revenus d'appoint. D'un autre côté, si réellement je suis bientôt payé pour quatre jours au lieu de trois, ceci compensera largement cela, les séries en question ne me rapportant guère plus de cinq mille euros brut par an.

– J'ai momentanément suspendu ma lecture de la Nouvelle Histoire de Vichy, de Michèle Cointet, peu adaptée aux journées que je passe ici, à FD, pour commencer l'Historiquement incorrect de Jean Sévillia. Lecture peu emballante en ses débuts, dans la mesure où le premier des dix textes composant le volume traite de Jésus, alors que je sors tout juste du brillant livre de Petitfils sur le même sujet, et que le deuxième a pour objet la dette de l'Occident médiéval part rapport à l'islam, sujet de l'étude de Gouguenheim, lue il n'y a pas si longtemps. Mais dès le troisième (Galilée et l'Église) et le quatrième (la France et la colonisation), tout mon intérêt s'est réveillé. Et j'imaginais avec une certaine gourmandise les cris d'orfraie de mes petits amis progressisto-conformistes s'ils se risquaient à lire des horreurs semblables : imaginer que l'Église catholique ait pu ne pas être cette puissance obscurantiste génocidant tout scientifique passant à sa portée, ou que la colonisation ait pu non seulement être à certains égards bénéfiques pour les colonisés, mais en outre coûteuse pour la puissance colonisatrice, voilà qui leur ferait à coup sûr frôler l'infarctus. Si, ajouté à cela, on leur démontre que la colonisation fut très majoritairement une idée et une volonté de gauche, alors là…

– Eh bien, avec tout ça, il est tout de même déjà quatre heures moins le quart.


Vendredi 9 décembre

Quatre heures moins le quart. – J'ai publié hier en fin d'après-midi un petit billet sur le livre de Sévillia. Bien entendu, il se trouve aujourd'hui des commentateurs (notamment Artémise, historienne de profession, et Dorham) pour me dire qu'il ne s'agit pas là d'un auteur sérieux. Comment le savent-ils ? Sur quoi se basent-ils ? Artémise renvoie à une recension du livre de Sévillia, dans laquelle il est dit que ses méthodes sont “douteuses” ; il lui est reproché notamment de prendre appui sur des romans voire des films, lorsqu'il veut montrer quelle est l'idée dominante sur tel ou tel sujet. Et je ne vois pas en quoi cela le disqualifierait. D'autant que, par ailleurs, Sévillia s'appuie sur de nombreux historiens, spécialistes, etc., et qu'il fournit une bibliographie. Bien sûr, ça ne suffit pas pour lui accorder quitus de tout, mais enfin j'ai tout de même l'impression, un peu, d'une condamnation de principe, motivée par le fait qu'elle a été prononcée du haut de telle ou telle chaire. Artémise va jusqu'à ligoter ensemble Sévillia et Secher avant de les noyer dans un trou de Loire. Mais en se gardant bien de dire ce qu'elle reproche au second. Quant à Dorham, il tente de noyer le poisson (décidément on noie beaucoup en ce moment !) dans un relativisme uniformisant : tous les historiens ont une idéologie, aucun n'y échappe lorsqu'il écrit, donc pas un n'est fiable en totalité, etc. Bien entendu, sous ces manœuvres dilatoires on entend assez clairement son véritable argument : Jean Sévillia est de droite, voire d'extrême droite, donc ce qu'il écrit est sinon nul et non avenu du moins hautement suspect a priori. Si, demain comme hier, je viens à parler d'un livre écrit par un historien réputé de gauche – et j'en lis aussi beaucoup –, nul ne viendra me mettre en garde quant à son idéologie, et personne ne sous-entendra que celle-ci n'a pu que gauchir son travail d'historien – pas Dorham en tout cas. Je suis peut-être naïf, limite niais, mais je persiste à penser qu'un historien – tout comme un romancier d'ailleurs – peut très bien (mais au prix d'un réel effort, certes) voir son travail aboutir à des conclusions qui lui seraient personnellement, idéologiquement désagréables, et ne pas les modifier ou les biaiser pour autant.


Samedi 10 décembre

Trois heures et demie. – Élodie est venue déjeuner avec nous, parce que Nicolas avait une séance de dédicace à Dreux. Naturellement, sur mon incitation, nous avons pris l'apéritif avant de passer à table (où nous avons déjeuné à l'eau…) et, comme d'habitude, les deux pastis que j'ai pris ont eu leur habituel effet “assommoir”, qu'ils ont toujours lorsque je m'avise de les prendre à midi. Du coup, les deux femmes étant parties pour une promenade je ne sais où – et elles non plus, si j'ai bien compris –, j'ai toutes les peines de la terre à garder les yeux ouverts. Et je sais bien que, d'ici trois petites heures, afin de combattre fallacieusement la gueule de bois que je sens poindre, je vais être tenté de reprendre un verre ou deux ; tentation à laquelle je me sens d'ores et déjà tout prêt à céder. C'est la raison pour laquelle je suis venu dans ce journal à une heure aussi inhabituelle.

(Catherine et Élodie sont déjà de retour, je m'interromps donc…)

Quatre heures et demie. – Elles sont reparties presque immédiatement, mais à pied cette fois-ci et avec Elstir et Bergotte, pour un tour de village. En conséquence de quoi, et parce que je sentais une vague de sommeil s'apprêter à me submerger, j'ai attendu qu'elles aient tourné le coin de la rue pour sortir à mon tour et emmener Swann jusqu'au terrain de football, ou ce qui en tient lieu, pensant que l'air vif allait me réveiller. Il n'a pas manqué de le faire, en effet, mais si j'en juge par mon état en ce moment, le remède a été de courte durée.

Au terrain de foot, rencontré deux des gamins du village, sur leurs vélos. Le plus jeune m'a appris qu'il appelait Bergotte Biscotte

– Durant la première absence des deux femmes, j'avais tout de même trouvé la ressource de refaire du café en prévision de leur retour et de concocter une dédicace pour le volume d'Autel de non-retour que Catherine a offert à Élodie. Et je crois que ce sera là ma seule activité intellectuelle de la journée.


Dimanche 11 décembre

Sept heures et quart. – Je me suis remis sans effort particulier au BM, après l'interruption de quatre jours due aux corvées seigneuriales que je dois à mon employeur, paraît-il, et malgré le fait que nous ayons pris deux apéritifs hier : un à midi au prétexte qu'Élodie était là et l'autre le soir pour nous remettre de celui de midi. Malgré tout, je n'ai écrit qu'onze feuillets, mais il vrai que la moitié de ma matinée a été dévorée par le ménage de la cuisine que, comme chaque samedi, sous prétexte d'aller faire bonne du curé, Catherine m'avait gentiment laissé : on ne peut être à la fois femme d'intérieur et écrivain en bâtiment.

– Terminé le Historiquement incorrect de Sévillia. Il s'agit vraiment d'un ouvrage de vulgarisation, un peu frustrant pour qui a déjà lu quelques livres d'histoire avant celui-ci, car près d'un chapitre sur deux ne lui apprendra rien qu'il ne sache déjà. Néanmoins, c'est un travail salutaire, si j'en juge par la vision hallucinée que la plupart des blogueurs ont de l'histoire, justement. J'ai ensuite repris la Nouvelle Histoire de Vichy, de Michèle Cointet, dans laquelle en revanche j'apprends énormément de choses. Ensuite, je pense que je m'attaquerai au Livre noir du communisme, dont je me demande pourquoi je ne l'ai jamais lu avant aujourd'hui.

– Toujours aucune nouvelle de Rochechouart : j'ai l'impression que ma collaboration à Enquêtes restera mort-née. Et, bien entendu, toujours pas, non plus, de contrats pour le BM en cours : cette “méchante Marie-Thérèse”, en plus d'être assez désagréable, est en outre en dessous de tout dès qu'il s'agit d'accomplir son travail le plus élémentaire.

– Depuis environ une heure, je me sens tout guilleret à l'idée de revoir, ce soir, Arsenic et vieilles dentelles.

– Ce matin, sur le blog-mère, un commentaire de Renaud Camus sous ce billet, ce qui n'arrive quasiment jamais (je suis même fort surpris de le voir traîner dans ces parages). Et je ne comprends pas comment il se débrouille pour ne pas parvenir à signer ses commentaires de son nom, ainsi qu'il le précise.


Lundi 12 décembre

Sept heures et demie. – Cette fois je crois que le front financier est bel et bien en train de céder sous les assauts d'un ennemi supérieur en nombre et en armement. Nancy vient de m'informer que, pour le troisième mois consécutif, je ne toucherai aucun argent des éditions Vauvenargues. Elle a émis le souhait que les choses se présentent mieux en janvier, mais elle sait très bien qu'il n'en sera rien, et elle sait que je le sais : décembre est un mois si mauvais pour les ventes de livres que, durant des années, il n'y a même pas eu de parution à ce moment de l'année.

La première conséquence est que j'ai immédiatement suspendu l'écriture – c'est-à-dire le recopiage… – du prochain BM, qui ne le sera sans doute pas, prochain. Ensuite, j'ai annoncé à Catherine que le mieux, le plus sain, était de considérer d'ores et déjà non seulement que je ne ferais plus aucun BM mais même que les quelque dix mille euros que GdV me doit sur les précédents ne me seraient pas payés : de cette manière, et à partir de maintenant, nous ne pouvons plus avoir que de bonnes surprises de ce côté. (Et le simple fait de l'écrire ici fait que, en effet, je sens bien que croix est faite sur cet argent, en ce qui me concerne.)

Autre conséquence annexe, je vais peut-être bien, sur la discrète suggestion de Catherine, relancer François Rochechouart au sujet des piges qu'il m'a fait miroiter il y a trois semaines. Car, plaisanterie mise à part, si rien ne se passe, ni du côté de chez lui, ni de celui de FD, j'aurai vu, en trois ans, mes revenus être amputés des deux tiers. Et le pire est que je m'en fous à peu près complètement, ce qui n'est pas être dans les bonnes dispositions d'esprit pour prospecter de nouveaux filons.


Mardi 13 décembre

Sept heures et quart. – Contrairement à ce que j'annonçais ici hier soir, ce ne sont pas 10 000 euros que me doit GdV mais 6 800 – ce qui amenuise encore mon regret de ne les toucher probablement jamais. Cela dit, et toute réflexion faite, je pense que je vais néanmoins continuer de mener à bien le très hypothétique prochain BM, dans la mesure où il pourrait bien constituer ma seule arme pour espérer encaisser cet argent dans l'avenir, si toutefois je reçois un jour les contrats correspondants. Si c'était le cas, je ne les renverrais pas tout de suite, en tout cas pas avant la mi-janvier. Car, alors, il serait trop tard pour demander en urgence un volume de la série à un autre auteur et mon petit chantage à l'argent deviendrait possible. Évidemment, s'il fonctionnait, ce qui est loin d'être sûr, je serais tout de même perdant car, ensuite, comment me faire payer le BM finalement rendu début février ? Tout cela est d'un compliqué…

– La bonne nouvelle est que, suite à mon mail d'hier soir, Rochechouart m'a appelé cet après-midi afin de me proposer un tarif de 400 € pour les piges qu'il envisage de me confier régulièrement (mais je ne sais pas ce que ce régulièrement signifie pour lui ; un article par semaine serait idéal, en ce qui me concerne). Il doit me faire faire un essai lundi ou mardi. Ce qui est amusant c'est que si cette affaire-là marchait, à raison d'un papier par semaine, et que la BM s'arrête effectivement, cela ne ferait pas bouger mes revenus d'un centime, l'un compensant exactement l'autre. Et puis, il y a toujours, suspendu dans l'air du temps, mon hypothétique changement de statut à FD, qui devrait, lui, augmenter mon salaire de sept ou huit centaines d'euros – mais là non plus rien n'est joué.

– Le 29 de ce mois, nous ferons donc un aller-retour dans la Manche, à Mortain, d'abord pour y faire l'emplette d'un fauteuil anglais et, ensuite, pour déjeuner en compagnie de Jacques Étienne, probablement chez lui – Jacques Étienne qui nous aura au préalable accompagnés à l'entrepôt de la société Chesterfield France. Elle a été montée, cette société, par un couple d'Anglais voilà quelques années, et elle s'occupe d'acheter d'occasion (principalement en Angleterre je suppose) des meubles de ce style pour les revendre ensuite en France. Leurs fauteuils coûtent entre 350 et 450 euros, ce qui ne représente pas une folie bien grande, du moins en ce moment, alors que nos finances ne se sont pas encore effondrées. C'est pourquoi je tiens à me dépêcher d'en acheter un, avant que cela ne devienne par trop déraisonnable. Alison, la dame de ce couple d'Outre-Manche – mais vivant dans la Manche –, écrit un français tout à fait délicieux, dont tout le prix réside dans ses dérapages syntaxiques incontrôlés. Si son accent est à l'aune de son style elle doit être irrésistible.

– Je m'avise que je ne note presque plus rien, dans ce journal, concernant la politique, les blogs, etc. C'est que je souffre d'un écœurement persistant (mais dans lequel subsiste un peu d'amusement tout de même) vis-à-vis de la première et d'un désintérêt de plus en plus grand pour les seconds – les deux étant bien évidemment liés.


Mercredi 14 décembre

Trois heures. – Ce matin, à peine arrivé ici, à FD, convocation dans le bureau de Philippe B. C'est, comme je m'en doutais un peu, pour me reparler de ce projet de changement de statut (de rewriter à  rédacteur) et de passage de trois à quatre jours de travail hebdomadaire. Il m'annonce que la DRH vient enfin de lui transmettre une proposition. D'un coup d'œil rapide (et j'espère discret…), je constate que plusieurs sommes sont inscrites en chiffres sur la feuille qu'il tient devant lui, sur son bureau. Mais, la dite feuille étant à l'envers, j'en suis pour mes frais. Depuis qu'il est question de ces changements, j'espère arriver à obtenir que mon nouveau salaire soit calculé en respectant la règle de trois. Ce qui nous donnerait : 3000 € divisés par trois et multipliés par quatre égalent 4000. Cela, c'était le but fixé, sachant bien que ma réponse serait tout de même positive si l'on me proposait 3800, voire 3700 euros. Et voilà que, sans préambule ni précaution oratoire, Philippe B m'annonce que la direction me propose un nouveau salaire de 4500 euros. Lui-même s'est déclaré assez surpris de cette générosité directoriale, au point de s'enquérir auprès de la responsable si elle n'avait pas fait une erreur. Cette aimable personne (aimable au moins dans ses intentions financières à mon égard) lui a répondu que non, que la bonne règle voulait que l'on calcule ce que serait mon salaire à temps plein avant de le redescendre à quatre jours, et non pas que l'on se livre à la simple règle de trois que je viens d'évoquer. Je n'ai pas bien compris la suite des explications, mais enfin, puisqu'elle a été confirmée et reconfirmée, on peut tenir cette augmentation pour assurée. Il n'empêche qu'une telle générosité, en cette période qui n'y incite guère, continue de m'étonner – et de me réjouir naturellement. M'amuse surtout le fait que si, comme je le pense, la Brigade mondaine est d'ores et déjà morte, en tout cas morte pour moi, cette augmentation va compenser mes à-valoir presque euro pour euro. Si, en plus, l'affaire se fait du côté d'Enquêtes, nos épinards vont se retrouver noyés dans le beurre.

En attendant, la nouvelle de ce matin a fait que Catherine – qui est à Paris pour la journée, ou plutôt à Neuilly – n'a plus été en mesure de s'opposer à un petit apéritif vespéral… 


Jeudi 15 décembre

Quatre heures. – Je suis donc, si tout se déroule comme prévu, en train de vivre ma pénultième journée ici en tant que rewriter, puisque je serai en vacances demain soir pour deux semaines et que, d'après ce que je suis convenu ce matin avec Philippe B, j'endosserai mon nouveau costume de rédacteur dès le début du mois de janvier, que mon contrat soit signé ou non. S'il ne l'est pas encore, il sera antidaté pour correspondre au début de l'année légale. Tout cela me va parfaitement. Si les choses fonctionnent bien du côté d'Enquêtes, et je le saurai sans doute début janvier également, mes revenus se situeraient approximativement autour de cinq mille euros net, et c'est avec une joie sans mélange que je dirais alors adieu à la BM – sauf si elle s'effondre avant que j'ai le temps de lui faire les adieux en question, ce qui est loin d'être exclu. Ne plus être rewriter m'indiffère absolument, même si cela aurait fait 30 ans l'année prochaine que je le suis.

– Ce n'est pas que la journée d'aujourd'hui soit plus excitante que toutes celles qui l'ont précédée, mais comme je suis rigoureusement seul dans ce bureau, le calme qui y règne la rend tout à fait supportable. Et d'autant plus que je compte bien y mettre un terme assez rapidement. Mon seul regret, dans mon changement de statut, c'est qu'il n'impliquera nul déménagement de bureau : j'aurais vraiment bien aimé en récupérer un, même petit, où j'aurais été seul tout le temps. Mais la chose est évidemment impossible, vu la manière dont nous sommes logés ici.

– Ma “petite” sœur a 47 ans aujourd'hui…


Vendredi 16 décembre

Huit heures. – Sylvain m'a “scanné” les photos données par mes parents, sauf que je ne parviens pas à les voir : on avisera demain, quand Catherine s'attaquera à la chose.

– Il n'empêche :j'ai fait ma dernière journée en tant que rewriter, et cela devait faire trois ou quatre ans que je n'avais pas travaillé autant – c'était plutôt amusant.

– Là-desssus, déjeuner fort agréable avec l'Amiral Woland et Robert Marchenoir. Rien à en dire, deux heures plus qu'agréables, à boire, manger, parler. 


Samedi 17 décembre

Sept heures et demie. – J'en ai presque terminé avec la Nouvelle histoire de Vichy de Michèle Cointet. Le livre me semble en tous points remarquable, tant sur le plan de la clarté, de l'élégance de son écriture, de la précision dans le détail, etc. Mais évidemment, il en va de celui-ci comme de tous les livres d'histoire traitant d'une période au sujet de laquelle on ne connaissait à peu près rien avant de l'aborder : comment savoir si l'auteur ne nous mène pas un peu en bateau ? S'il n'a pas occulté tel fait, grossi cet aspect des choses ou minimisé celui-là ?

– Après cette journée de “jachère”, reprise du travail demain. Il faut que j'appelle le comédien Patrick Raynal, sur les conseils d'Olivier Lejeune, afin qu'il me parle de la pièce de boulevard intitulée Le Pont japonais, dans laquelle il a joué à la fin des années soixante-dix au côté de Jacqueline Maillan, afin de pouvoir en tirer un petit article de trois mille signes. Article que j'écrirai dans la foulée, je pense, et peut-être aussi celui qui doit suivre, consacré à Henri Guybet. Puis, les jours suivants, il faudrait que je rappelle Lejeune pour qu'il me dise deux ou trois choses à propos de Maria Pacôme, qui joue dans la troisième pièce de cette mini-série, avec l'alors tout jeune Daniel Auteuil – Auteuil dont on m'a affirmé, à FD, qu'il aurait été, à cette époque de ses débuts, l'amant de la dite Maria – mais je doute de pouvoir écrire cela, d'autant que, d'après mes renseignements, personne n'en a jamais fait état. Et même Lejeune m'a dit n'être pas au courant de ce “buzz”.

– J'ai oublié de noter, hier, que Catherine a enfin reçu les contrats pour le prochain BM, celui que je suis actuellement occupé à tirer d'un ancien numéro vieux de quinze ans. C'est une excellent chose, d'autant qu'il est spécifié que le roman doit être rendu le 15 février, ce qui va me permettre de l'utiliser comme arme de chantage en janvier pour obtenir de GdV qu'il me règle les 6800 € qu'il me doit. J'ai d'ailleurs dit à Catherine de ne pas renvoyer les contrats signés, tenant à conserver mon entière liberté de le faire ou non, ce livre. Car si le contrat l'était, signé, je me mettrais évidemment dans mon tort en ne rendant pas le roman en temps et heure.

– Toujours au chapitre du travail lucratif, je devrais avoir à faire, lundi ou mardi, mon premier essai de rewriting pour Enquêtes – dont je ne doute pas qu'il soit concluant, même si je sais qu'au moment de m'y atteler je vais encore être capable de me persuader d'un échec certain, comme d'habitude.

– Ensuite, puisque j'ai décidé de suspendre l'écriture du BM en cours – dont 90 pages sont déjà écrites –, je vais avoir le temps de reprendre ma Généalogie, en vue d'en faire un petit volume blurbien. Livre dont je pense que je vais changer le titre, celui-ci étant un peu trop pâle des genoux, me semble-t-il. Reste à en trouver un autre qui soit meilleur.

– Enfin, je n'ai pas noté non plus, en tout cas de manière trop allusive, hier, que Philippe B était tout à fait d'accord pour que je prenne mes nouvelles fonctions à FD dès le deux janvier, même si mon contrat ne devait être signé qu'une semaine ou deux ensuite, et de manière rétroactive. C'est moi qui, n'ayant rien à perdre et bien certain qu'il n'y a nul enflage possible, lui ai proposé cet arrangement de manière à ce que mon nouveau statut coïncide avec le début de l'année légale.


Dimanche 18 décembre

Sept heures et quart. – Ayant pu joindre Patrick Raynal assez facilement en fin de matinée, et comme il m'a très gentiment dit le peu que j'avais besoin de savoir, j'ai cet après-midi écrit les trois mille signes concernant cette pièce de théâtre, Le Pont japonais, dans laquelle il a joué, voilà longtemps, avec Jacqueline Maillan. Et comme la machine était chaude, j'ai enchaîné directement sur les trois autres mille signes consacrés à Henri Guybet, en m'appuyant sur les deux phrases et demie que m'avait dites Olivier Lejeune à son sujet. Ne reste en suspens que l'article qui concernera soit Daniel Auteuil, soit Maria Pacôme – soit les deux si Philippe B veut que je fasse état de cette supposée liaison entre eux dont on m'a parlé à FD.

– En ayant terminé avec Vichy, je me suis plongé dans Le Livre noir du communisme. Lecture évidemment éprouvante – éprouvante et génératrice d'une colère d'autant plus agissante qu'elle ne trouve pas à s'exprimer, ou plus exactement d'objet précis, concret, sur lequel se fixer. Il n'empêche : on a envie de cracher son mépris à la gueule de toute personne osant encore se réclamer de cette idéologie abominable, pour ne pas dire diabolique. Car je crois de plus en plus qu'il n'est pas du tout nécessaire de croire à l'existence du diable pour discerner le côté proprement démoniaque de certaines manifestations ou caractères humains. De même que l'on peut ne pas croire en Dieu mais voir ce qu'a de divin la personne du Christ – mais je suppose que, là, je suis en train de verser dans une hérésie condamnable, voire déjà condamnée… En attendant, le tour de passe-passe des communistes, trotskistes et autres continue de bien fonctionner : quiconque se risque à un parallèle, ou pis une identification, entre Hitler et Lénine, ou Trotski, passe immédiatement soit pour un fou, soit pour un imbécile, soit pour un salaud de crypto-fasciste. Or, nous sommes bien face aux mêmes tyrans sanguinaires, froidement déterminés dès le départ à exterminer en masses des pans entiers de la population tombée sous leur joug de déments. Les nombreuses citations de Lénine et de Trotski que donne Nicolas Werth (dont je me demande s'il est de la descendance de Léon) montrent que ces duettistes n'ont rien à envier aux idéologues nazis – ils peuvent même se targuer d'une nette antériorité sur leur imitateur viennois. Tout ce petit monde se plaçant bien entendu de soi-même sous le haut patronage de nos Robespierre et Fouquier-Tinville, si admirés d'eux.

En fait, il va bien falloir  se résoudre à admettre que les partisans de ce que j'appellerais faute de mieux la gauche dogmatique éprouvent une irrésistible attirance pour la violence et le sang ; ils ne semblent finalement mus que par la haine, bien entendu maquillée en altruisme pour devenir recevable par eux-mêmes ; et c'est peut-être pourquoi, faute d'autres objets de massacres en ce moment, ils en sont arrivés à se haïr eux-mêmes à ce point : ils sont devenus leurs propres koulaks. Dans ce cas, leur louche amour pour les plus obtus et les plus conquérants des musulmans ne serait finalement qu'un appel lancé au bourreau à quoi ils aspirent, n'ayant plus la force de l'être pour leur propre compte. Il faut dire qu'il est très malcommode de se décapiter soi-même.


Lundi 19 décembre

Dix heures et demie du matin. – J'ai oublié de noter hier que j'avais reçu, par voie de mail, une documentation afin d'écrire mon premier papier “test” pour Enquêtes. Je dois appeler François Rochechouart à onze heures pour que nous parlions ensemble du plan de l'article. Comme il s'agit d'un procès relatif à une affaire criminelle dont les faits remontent à 2008, je ne vois pas ce qu'on peut faire d'autre qu'attaquer à l'intérieur de la salle d'audience (et j'ai ma petite idée sur la première image), puis passer au rappel des faits, avant de revenir aux débats du procès et conclure sur le verdict – ou plutôt conclure sur l'image qui m'aura servi d'ouverture. Mais bon : ce n'est pas moi le spécialiste…

Ce qui est très bien, c'est que Rochechouart me dit avoir besoin de cet article mardi matin, ce qui ne me laisse aucune possibilité pour faire ce que je fais le mieux : tourner autour du travail à faire, en ne pensant qu'à lui mais en ne m'y mettant pas. Là, il va falloir plonger d'un coup et tête en avant – c'est parfait.

Sept heures et demie. – mes 10 500 signes ont été écrits en exactement trois heures. Il reste maintenant à attendre le verdict de mon nouveau boss putatif (il doit m'appeler demain pour me donner ses impressions), mais s'il est satisfait, cela devrait devenir une source de revenus assez facilement gagnables, même si j'ai peiné dix fois plus pour ce nouveau travail que pour un article de FD.

– Le voisin menuisier qui est venu le mois dernier nous changer la porte d'entrée de la maison est passé tout à l'heure, afin de voir ce qu'il peut faire pour le fauteuil où mes fesses sont actuellement posées, et à qui il manque deux roulettes sur cinq depuis fort longtemps : pas de problème, il va commander un jeu complet et, lorsqu'il l'aura, il passera prendre le fauteuil, qui me sera rendu le soir-même.


Mardi 20 décembre

Huit heures. – Mon article pour Enquêtes est passé presque comme une lettre à la poste. Je dis “presque” car le patron de la rédaction y a tout de même apporté quelques changements, raccourcissant certaines de mes phrases, notamment (les phrases trop longues – trop longues pour le type de presse qui me nourrit – ont toujours constitué mon péché majeur). Néanmoins, il s'est déclaré satisfait et doit m'en faire parvenir un second la semaine prochaine. Un article par semaine me conviendrait tout à fait.

– Nous avions prévu de traiter la soirée du 24 décembre par le mépris, Catherine et moi, c'est-à-dire de ne rien faire de plus que les soirs qui ne sont pas du 24 décembre. Et puis, finalement, une chose en entraînant une autre : si. L'élément déclencheur a été l'annonce, par Catherine, qu'elle allait participer à une procession aux flambeaux dans les rues de Pacy, et qu'elle enchaînerait directement sur la messe – ce qui devait la ramener à la maison peu avant neuf heures. Évidemment, je lui ai aussitôt annoncé que, pour prix de cet abandon inqualifiable, j'allais m'octroyer un petit apéritif de Nativité en l'attendant. Du coup, elle a décidé de s'offrir une bouteille de champagne et de nous préparer un petit buffet à base d'œufs de cailles en gelée avec œufs de saumon, foie gras maison, tarama du Monoprix, etc. Et voilà comment on se retrouve à réveillonner à deux un 24 décembre. La foi et la pratique religieuse ont de ces conséquences…


Mercredi 21 décembre

Sept heures et demie. – Il arrive que ce journal acquiert soudain une utilité purement pratique : il y a une minute, en inscrivant la date d'aujourd'hui, j'ai réalisé que j'avais oublié de sortir les poubelles dans la rue.

– Comme je n'avais nulle envie de me remettre au recopiage du BM en cours cet après-midi, et que par ailleurs je me devais de faire preuve de solidarité conjugale avec Catherine, enchaînée à sa table à repasser ici même, dans la Case, j'ai procédé à la seconde relecture du journal de novembre. Question de Catherine, à l'issue de ce travail : « Alors ? il est bien ? » Je lui ai répondu que je serais fort empêché de le dire : parvenu à ce stade, ce qui prévaut c'est l'ennui d'avoir à relire tout ce fatras d'insignifiances mises en phrases.

– Grand plaisir, en revanche, à l'idée de revoir, tout à l'heure, Fanny et Alexandre à la télévision, film que j'aime énormément. Le double statut de Bergman continue de m'amuser : dire que l'on aime ses films – ce qui est mon cas – vous fait passer auprès de beaucoup de gens pour un poseur, un intellectuel un peu peine-à-jouir sur les bords ; en revanche, aux yeux d'une certaine catégorie d'intellectuels/artistes – comme Renaud Camus par exemple, ou tout au moins le jeune Renaud Camus –, cette dilection vous classe aussitôt dans la catégorie des… des quoi d'ailleurs ? Lui, Camus, a écrit quelque part que le goût des films de Bergman était très “middle brow”, ce qui doit vouloir dire, si j'ai bien compris, quelque chose comme “demi-sel”, intellectuel un peu bas du front, bourgeois se piquant d'esthétisme, etc. Mais je suppose que, si l'on fait intervenir sa fameuse bathmologie, on doit pouvoir, une fois que l'on sait Bergman être “middle brow”, l'aimer de nouveau en toute quiétude. Jusqu'au prochain tour d'écrou… Enfin bref, je suis ravi de revoir Fanny et Alexandre.

– J'ai rapidement abandonné la lecture du Moralement correct de Jean Sévilia : c'est un peu du Camus “survolé” et sans style aucun. Pas mal écrit : juste sans style. À la place, j'ai repris Le Livre noir du communisme, un instant abandonné.

– Je ne sais pas si ça vient de moi mais je trouve qu'ILYS file un mauvais coton depuis quelques mois. On y lit de moins en moins de billets originaux, et, parallèlement à cette baisse de forme, ses membres ont de plus en plus tendance à verser dans l'auto-satisfaction et l'encensement réciproque – ceci pouvant d'ailleurs être un phénomène compensatoire de cela. Bien entendu, ils sont encore loin, dans ce domaine, d'atteindre au profond ridicule des Rrums, mais enfin il serait temps qu'ils se ressaisissent : ce serait dommage de perdre un site qui, il y a encore peu de temps, était vraiment stimulant. Je ne sais plus à qui je disais, un peu ironiquement, il n'y a pas si longtemps – peut-être à Yanka ? – que la vérité ultime d'ILYS c'étaient les filles à poil dont ils publient régulièrement les photos : filles à la beauté fade et parfaite d'un calendrier Pirelli, pseudo-art des clichés, ridicule des poses convenues, etc. J'espère m'être trompé.

– Suzanne vient de publier un nouveau billet – très drôle – sur son blog, après plus d'un mois de silence total. Et moi qui, voilà une semaine ou deux, voulait lui envoyer un mail pour prendre de ses nouvelles, je me trouve incapable de me souvenir si je l'ai fait ou non.


Jeudi 22 décembre

Sept heures et demie. – J'ai été vraiment très heureux de revoir Fanny et Alexandre, hier soir. Du coup, depuis ce matin, je n'ai presque pas arrêté de penser à ce que je pourrais en dire, à ce qu'il faudrait en dire, etc. Finalement, au moins pour m'en débarrasser et pouvoir passer à autre chose (mais à quoi ?), j'ai fini par faire un semblant de billet, en fin d'après-midi. Il est assez mauvais, je le crains, un peu fourre-tout, pas beaucoup d'idées. Néanmoins je le recopie ici afin de pouvoir le retrouver facilement, si jamais l'envie me prenait de m'en servir comme base pour quelque chose d'un peu plus reluisant (car l'expérience à mainte fois prouvé que, sur le blog-mère, je ne retrouve jamais rien) :


 « Fanny et Alexandre est construit en diptyque, mais les deux “panneaux” de celui-ci – le théâtre et l'Église – ne font pas que se contempler ni même se répondre : ils se combattent. On ne révélera rien en disant qu'ils renferment en eux, à la “pliure”, la tension qui habitait Ingmar Bergman lui-même, fils de pasteur luthérien et homme de théâtre. Dans le film, l'ordre est renversé : c'est le théâtre qui forme le premier panneau et l'Église le second. C'est que le théâtre n'est pas seulement celui, bien réel cependant, dont les parents et la grand-mère d'Alexandre sont les dépositaires, les directeurs et les comédiens tout à la fois : il est aussi, plus vaste et tout aussi clos, celui de l'enfance elle-même, du “petit monde” dont parle le père peu de temps avant de mourir, symbolisé par l'imposante maison familiale sur laquelle règne la grand-mère, où tout en effet semble se faire décor immuable, ritualisé à l'extrême – avec une nette prédominance de la couleur rouge, celle du lourd rideau qui se lève et retombe. Du reste, il y a aussi du théâtre à l'intérieur de ce théâtre, mais il n'est finalement pas plus codifié que celui où tente de vivre le “petit monde”. On peut noter aussi que, dans cette première partie, quelques accords en sourdine annoncent déjà la seconde (de même que, dans celle-ci, le théâtre ne se laissera pas tout à fait oublier) : la prière vespérale des enfants, par exemple. Toute cette première partie se déroule dans ces deux univers clos jumelés que sont la maison familiale et le théâtre qui est en quelque sorte sa raison d'être. Une seule exception : la courte scène d'extérieur où l'on voit Isaac, l'ami-amant de la grand-mère, quitter son magasin d'antiquités (extraordinaire caverne d'Ali-Baba initiatique et surnaturelle) pour venir prendre sa place au repas de Noël – première esquisse du rôle de passeur, de “pont” qu'il jouera dans la seconde partie.

« C'est la mort du père qui nous fait basculer de l'un à l'autre panneau, scène d'une éprouvante sobriété qui culmine dans l'ultime face-à-face – dont on se demande s'il n'est pas en fait le véritable premier – entre Alexandre et son père râlant. L'enterrement est la première vraie sortie du “petit monde” dans le grand, sous la masse écrasante et froide de la cathédrale, toujours filmée dans une contre-plongée menaçante. Enterrement lui aussi ritualisé à l'extrême, dont Alexandre combat la solennité glaçante et magnifique en proférant à mi-voix et en boucle des “pisse, merde, bite…” proférés d'un ton mécanique et les yeux obstinément baissés.

« Le remariage de la mère avec l'Évêque arrache Fanny et Alexandre au “petit monde” pour les enfermer dans une prison à la fois réelle et mentale, aussi austère que la maison familiale était opulente et chaude. La couleur rouge disparaît totalement, mais pas la ritualisation – ni donc le théâtre – puisque même les châtiments corporels que devra subir Alexandre obéiront à une mise en scène précise, maniaque. À partir de cette transplantation brutale, les deux enfants découvrent à la fois la cruauté et le surnaturel. La cruauté est celle de l'évêque, bien entendu, mais on aurait tort d'y voir uniquement une fustigation de la religion : l'évêque utilise son magistère comme une arme, une “férule” mentale et, ce faisant, le trahit. J'en veux pour signe la scène où Alexandre, puni, est contraint de passer la nuit dans le grenier de l'évêché : dans un coin de la pièce en soupente se trouve un grand christ en croix ; mais il est renversé, à terre, comme un objet de rebut qu'on aurait monté là pour ne plus le voir – ou peut-être pour que lui ne voie plus ce que l'on fait en se réclamant de lui. Quant au surnaturel, il apparaît en premier lieu à Alexandre sous les traits de son père – père qui, au moment de sa mort, répétait le rôle du spectre, dans Hamlet. De fait, c'est à ce moment qu'Alexandre commence à s'extraire de la gangue de l'enfance (rouge et chaude) pour se dresser contre l'usurpateur, lequel aura finalement une mort “de théâtre”, soigneusement artificielle, méticuleusement incrédible. De même l'évasion de Fanny et Alexandre, ravis de leur prison dans un coffre ancien où Isaac les a dissimulés à la suite d'une ruse cousue de fil blanc, dans la plus pure tradition de la comédie. 

« Car nul ne peut se rendre librement d'un univers à l'autre, du petit monde à l'évêché et inversement. Personne sauf l'antiquaire juif qui continue de jouer son rôle de passeur, aidé par son fils Aaron, et emmène les deux enfants dans sa caverne d'Ali-Baba, où se trouve enfermé l'autre fils d'Isaac, Ismaël, qui détient la clé du monde des esprits et dont l'étrangeté est soulignée par le fait que c'est une femme qui joue le rôle.

« À la toute fin du film, le petit monde s'est reconstitué, pratiquement inchangé. Mais c'est alors, dans un couloir, le fantôme de l'évêque qui jette littéralement Alexandre à terre, comme s'il le foudroyait, et s'éloigne sur cette prophétie : « Tu ne m'échapperas pas ! » Mais on se dit que si, peut-être, tout de même. Car, entre temps, pour se donner la force de combattre l'usurpateur, de repousser son emprise, Alexandre a commencé à inventer des histoires… »

– Ce soir, changement violent : Les Grandes Vacances, avec Louis de de Funès…

– Ce pauvre Livre noir du communisme n'a vraiment pas de chance avec moi : je m'étais à peine remis à sa lecture qu'arrivait par la poste le livre que Chesterton a consacré à saint Thomas d'Aquin, Saint Thomas du Créateur. Je m'y suis plongé aussitôt, et ne le regrette nullement. Mais je n'ai vraiment rien envie d'en dire pour le moment.

– Sinon, en début d'après-midi, je suis descendu à Pacy pour aller chercher, chez le caviste, de quoi assurer nos modestes libations de samedi soir, à Catherine et à moi : champagne pour elle (j'ai déjà oublié la marque) et l'habituel chablis “Montée de Tonnerre” pour moi – ainsi qu'une bouteille de côtes du Rhône rouge, mais destiné à la marinade et cuisson d'une queue de bœuf achetée ce matin par Catherine, à la boucherie de Vernon où elle ne va plus que de loin en loin. Mais, comme à chaque fois, elle en a rapporté aussi trois gros os de bœufs pour les chiens, qui ont passé une partie de la journée à les ronger. Bien évidement, comme toujours, Bergotte n'a pas tardé à abandonner le sien pour essayer de piquer celui de Swann – ce qu'elle a fini par réussir à faire, mais au prix d'une longue patience : le désir mimétique cher à Girard ne fonctionne pas que chez les humains. Il le dit lui-même, du reste.

– J'ai aussi, rentrant de ces petites courses, revu et corrigé le texte envoyé à cette fin par le père Éric qui, d'après Catherine, se montre très fier d'avoir désormais un “rewriter personnel”.

– Alors que je peste depuis des mois et davantage contre l'envahissement de plus en plus pénible des publicités dans ma boîte mail, je viens seulement de m'apercevoir que pratiquement tous ces annonceurs proposaient, au bas de leurs annonces, un lien sur lequel il suffit de cliquer pour ne plus recevoir leurs consternantes scories : j'ai bien hâte, dans les jours qui viennent, de voir si c'est réellement efficace.


Vendredi 23 décembre

Trois heures. – Je viens de terminer le petit livre de Chesterton sur saint Thomas d'Aquin, remarquable me semble-t-il, même si souvent ardu pour un ignorant philosophique comme moi. Cela m'a donné envie, en tout cas, de commander celui que ce même Chesterton a consacré à saint François d'Assise et, en attendant de le recevoir, je vais parcourir la biographie du saint, traduite de l'italien par le père B et offerte par lui.

– Peu avant midi, appel téléphonique d'une dame se disant l'assistante de François Rochechouart : elle va m'envoyer par mail le formulaire que devra remplir Catherine si elle veut être payée des articles que j'ai commencé d'écrire pour Enquêtes. Malheureusement, il ne va pas être possible que ces versements se fassent au titre des droits d'auteur : ils seront réglés en piges, ce qui implique des retenues beaucoup plus considérables. D'un autre côté, si cette collaboration dure quelques années, cela pourrait augmenter la minuscule retraite à laquelle Catherine a droit pour l'instant. Enfin, il faut bien que quelques-uns se dévouent pour financer l'entretien de nos enclaves arabo-africaines…


Samedi 24 décembre

Quatre heures. – Me voici placé sous le signe de saint François d'Assise, et sans doute assez durablement. J'ai dit, je crois, que je lisais la biographie “historique” du saint que m'a offerte le Père B, après l'avoir traduite d'italien en français. Pour compenser l'aspect historique, justement, j'ai commandé ce matin le livre que Chesterton a consacré au même personnage et, tout à l'heure, je me disais que, attendant sa livraison par Amazon, je relirais volontiers le Frère François de Julien Green, que j'avais beaucoup aimé lorsque Bernalin me l'avait fait fait lire, voilà une trentaine d'années. Ensuite, tout de même, il sera temps de revenir à des préoccupations plus séculières – replonger dans le cloaque communiste et son Livre noir, par exemple.

– La procession aux flambeaux à laquelle a prévu de participer Catherine est censée commencer à sept heures. Ce qui, d'après elle, va mettre le début de la messe aux environ de huit heures moins le quart et sa fin guère avant neuf heures moins le quart. Elle ne sera donc pas rentrée avant neuf heures, en comptant au plus juste. Il est par conséquent impératif, vital, etc., que je ne commence pas à boire avant au moins huit heures et demie, si je ne veux pas me trouver à demi-comateux lorsqu'elle arrivera – ce qui serait de fort mauvaise politique. Je pourrais, pour occuper le temps et distraire ma soif, commencer de rédiger le billet dont j'ai eu l'idée il y a quelques heures, sur l'essence démoniaque du communisme : si ça ne me mène nulle part (et il y a de grandes chances pour que), cela m'aura au moins occupé l'esprit et les doigts – les seconds davantage que le premier, je le crains.

– Sept heures moins le quart. –  J'ai dit une sottise, dans le premier paragraphe de ce jour ; ou plutôt, j'ai sans le vouloir inversé la vérité : ce n'est pas Philippe qui m'a fait lire le Frère François de Green, mais le contraire – et j'en ai la preuve. Retrouvant le livre dans le bas d'une bibliothèque, j'ai eu la surprise – et un léger choc – de constater que le volume avait été dédicacé par moi à Bernalin. La dédicace est la suivante :

27/7/83

À Bergouze :

l'homme qui prend
les armes est parfois
celui qui les dépose…

Amitié singulière

Didier

Je ne suis pas sûr de bien comprendre ce qu'a voulu dire par là le jeune homme de 27 ans qui a tracé ces mots. La formule se pousse un peu du col, elle a cet air de fausse profondeur qu'on aurait aimé ne plus trouver chez quelqu'un dont l'adolescence est depuis longtemps terminée – même si l'adolescence, chez les garçons que le malheur n'a pas encore frappés, se prolonge parfois plus qu'il n'est raisonnable.

Comment ce livre a-t-il atterri chez moi ? Je suppose – je suis même presque sûr – qu'après la mort de son fils, Jeanne, s'avisant de la dédicace, a dû trouver bien qu'il me revienne et me le rendre. J'ai dû, moi, lui en être très reconnaissant, même si je n'en garde pas le moindre souvenir assuré. Mais certainement puisque, depuis tout à l'heure, depuis l'exhumation du volume, elle est revenue me visiter, cette reconnaissance, alors que Jeanne elle-même est morte depuis plusieurs années. Il s'ensuit que j'ai moins envie de relire le livre ; même simplement de l'ouvrir, de tourner plus avant ses pages. L'impression que j'y pénétrerais par effraction, voire au prix d'un certain sacrilège.

1983 fut la dernière année heureuse. Pour Philippe d'abord, évidemment, puisque dès le mois de mars suivant, il découvrait l'existence de son cancer, sans toutefois en apprendre la gravité. Dernière année heureuse, encore plus peut-être, pour Jeanne et Maurice, à qui cette gravité fut révélée tout de suite, les médecins de Saint-Antoine leur coupant net toute possibilité d'espoir – sauf en Dieu. Dernière année heureuse, enfin, pour un certain nombre d'entre nous (André, Kent, Petros, Jean-Michel, moi…). Dans notre cas, celui des amis du premier cercle, il vaudrait d'ailleurs mieux parler de la fin d'une époque très longue, de la jeunesse qui se referme dans le dos avec un claquement de porte de geôle : nous étions désormais prisonniers de l'avenir. Et, bien sûr, celui-ci, en devenant présent puis passé, a produit son lot de nouvelles années heureuses, mais toutes furent des années – au moins pour moi, je ne puis parler pour les autres – à quoi il manquait toujours quelque chose, ou plutôt quelqu'un, ou encore plus exactement quelque chose engendré par quelqu'un. – Et tout cela est remonté par la grâce de saint François d'Assise.


Dimanche 25 décembre

Cinq heures moins le quart. – Petit réveillon très tranquille, somme toutes. Catherine et moi étions au lit à onze heures, après avoir bu champagne et chablis – respectivement – à raison d'une bouteille par personne (à peine en ce qui concerne Catherine, un peu plus quant à moi…). Surprise : le tarama de Monoprix est nettement meilleur que celui étiqueté Fauchon.

– Ce soir, parce que pas d'autre choix possible, nous allons regarder le Ludwig de Visconti, bien que je ne sois pas sûr de tenir jusqu'au bout des trois heures trois quart qu'il dure. D'autant moins qu'il me semble avoir toujours trouvé Visconti passablement emmerdant. Je dis “il me semble” car il y a tellement longtemps que je n'en ai vu un que je ne sais plus s'il s'agit de mon appréciation réelle d'alors ou bien d'un simple préjugé fondé sur rien. Vérification ce soir, donc.

– Journée de Noël peu agitée (litote…), comme souvent les lendemains d'apéritifs – dînatoires ou pas. Je n'ai pratiquement rien fait d'autre que lire (et vider le lave-vaisselle !), notamment le Frère François de Julien Green ; qui m'a donné envie de relire, ou lire, d'autres choses de Green. Je serais tenté de reprendre sa tétralogie autobiographique, que j'avais beaucoup aimée il y a une trentaine d'années, mais, nourrissant un assez fort préjugé à l'encontre de ses romans, il serait peut-être plus malin de retenter ma chance de ce côté-là, d'autant que je possède tout cela en Pléiade. Ou bien rouvrir son journal au hasard ?

– J'ai également écrit un court billet pour le blog-mère, sérieux de ton mais je crois un peu provocateur sur le fond, à propos des croisades ; il est programmé pour demain matin. si j'y pense je reviendrai le mettre en lien ici lorsqu'il sera paru. À moins qu'il soit possible de le faire dès avant parution : je vais voir de ce pas… Non, visiblement c'est impossible.

[Rajout du 28 janvier 2012 : le billet en question…]

– J'ai hâte de voir si Rochechouart va m'envoyer demain un nouvel article à écrire, comme il doit plus ou moins le faire, même s'il n'a évidemment aucune obligation d'aucune sorte à mon endroit. À ce propos, j'ai pensé que le fait d'être payée non en droits d'auteur mais en piges va permettre à Catherine d'obtenir une carte de presse d'ici quelque temps. Et, nettement plus intéressant, elle pourra bénéficier de l'abattement forfaitaire réservé aux journalistes (7600 € à déduire du revenu brut). De son côté, Catherine me faisait observer hier que si elle pigeait régulièrement durant plus de six mois et que cette collaboration venait à s'interrompre, elle aurait alors droit à du chômage. Mais je me demande s'il serait bien digne d'aller le quémander, ce chômage, compte tenu des revenus qui sont les miens.

– Je ne me souviens pas si j'ai déjà noté ceci : en admettant que GdV se remette à me payer ce qu'il me doit et que je lui rende le prochain BM, je suis tout de même déterminé à cesser ensuite et définitivement ma collaboration à la série. Ça suffit comme ça.


Lundi 26 décembre

Sept heures et demie. – Je viens de recevoir par mail la fiche de renseignements que Catherine devra renvoyée remplie, “renseignée”, et accompagnée d'un relevé d'identité bancaire si elle veut être payée pour mon travail. En revanche, de travail pour Enquêtes, il n'a point été question aujourd'hui. Je vais envoyer un mail à Rochechouart pour lui signaler que je serai indisponible toute la journée de jeudi, puisque nous nous rendons à Mortain, dans la Manche, pour y faire en principe l'emplette d'un fauteuil anglais et déjeuner chez Jacques Étienne.

– Cette après-midi, j'ai téléchargé – légalement, en payant – deux versions de L'Offrande musicale, celle d'un ensemble appelé Arte resoluta et celle de Gustav Leonhardt. Je suis toujours fort surpris lorsque j'arrive à mener à bien ce genre d'opération sans que tout se bloque en plein milieu et que je perde finalement mon argent. C'est pourtant ce qui s'est passé.

– Tout en continuant la lecture de Frère François, j'ai également commencé dès hier soir Épaves, roman de Green datant de 1932. Et, parallèlement, je feuillette son journal de 1931, dans lequel il parle des difficultés qu'il rencontre à l'écriture de ce même roman.


Mardi 27 décembre

Sept heures et demie. – Non, décidément, pas envie.


Mercredi 28 décembre

Sept heures et demie. – Les sympathisants communistes sont vraiment irrécupérables, avec leur façon de remâcher sans fin des arguments qui étaient déjà spécieux il y a 40 ans, lorsque j'ai commencé à m'intéresser à la politique. Ils feignent encore et toujours de considérer le communisme comme une sorte de monade, ou une idée platonicienne, je ne sais trop, que ne sauraient en rien entacher les différentes dictatures qui se sont réclamées de lui et s'en réclament encore, ici ou là. Quoi que l'on puisse perpétrer de crimes en son nom, le communisme, ce dieu démoniaque, si je puis dire, reste intouchable, inaccessible. On pourrait penser qu'ils sont stupide ou aveugles – ils le sont d'ailleurs peut-être – mais je crois plutôt, et de plus en plus, que c'est le paravent qu'ils dressent entre leur appétit de dictature, de répression, ou leur haine de la liberté,  et cette bonne conscience qui leur est évidemment indispensable : ces pauvres croyants en totale déshérence ont un inextinguible besoin de foi. Je me demande si, au fond, tout au fond, une part de leur esprit sait qu'ils racontent n'importe quoi, qu'ils sont de dérisoires faux prophètes, les aliénés d'une secte matérialiste dont l'emprise est mille fois plus ferme et cruelle que celle de n'importe quelle religion instituée, islam compris.

– Ce matin, mail de Dame Allison, l'Anglaise qui, avec son mari, vend du mobilier anglais, près de Mortain, dans la Manche, chez qui nous devions nous rendre demain afin d'y faire l'acquisition d'une “bergère à oreilles”. C'était pour m'avertir fort gentiment de ne pas faire le déplacement : les ventes d'avant Noël ayant dépassé leurs prévisions et espérances, la caverne d'Ali-Baba se trouve provisoirement vide de tout fauteuil à vendre. J'ai aussitôt prévenu Jacques Étienne de ne pas décongeler le gigot qu'il méditait d'accommoder pour nous, demain midi.

– Je viens de recevoir, également par mail, la documentation relative à mon deuxième article pour Enquêtes. D'après le premier coup d'œil que je viens d'y jeter, il s'agit d'une affaire plutôt complexe, avec premier fait divers il y a deux ans, et rebondissement ces jours-ci. Je suppose que Rochechouart a choisi de me confier celui-ci, plutôt qu'un plus simple, afin de continuer de me tester. Le test en question va donc m'occuper une bonne partie de la journée de demain.

Épaves m'a en partie réconcilié avec Julien Green romancier. En partie seulement car cela reste du roman psychologique bien sage, bien XIXe. Ce serait sûrement très intéressant, pour peu que Dostoïevski fût mort en bas âge… Mais enfin, les personnages sont existants, dans leurs velléités de faire quelque chose sans jamais rien faire, par leurs pulsions destructrices qui n'aboutissent jamais à rien de significatif. J'ai enchaîné immédiatement avec Si j'étais vous…,  roman “fantastique” de 1970 (le premier est de 1932). La première partie se lit très agréablement, elle est assez vive, nerveuse, surprenante, au moins dans ses deux premiers tiers. Et voilà que, la seconde partie atteinte, tous les personnages disparaissent pour faire place à d'autres n'ayant, apparemment, rien à voir avec les premiers. On se dit qu'ils vont évidemment se “rejoindre”, le problème est qu'au bout de deux chapitres aucune jonction n'est encore en vue. En outre, ces deux chapitres-là – après lesquels je me suis interrompu dans ma lecture pour cause de pâtes aux truffes et parmesan… – ne sont qu'un long exposé des relations “historiques” entre les nouveaux personnages, auxquels on peine vraiment à s'intéresser, et d'autant plus qu'on aimerait bien savoir ce qu'il est advenu des autres. Bref, je pense que, celui-ci terminé, le romancier Green va rejoindre son étagère, et pour longtemps.


Jeudi 29 décembre

Sept heures et demie. – L'article pour Enquêtes a été écrit entre trois heures vingt et six heures moins dix. Difficulté à laquelle je ne suis plus habitué, impression désagréable d'être en train de produire une grosse bouse, et de le faire péniblement. À la relecture, comme on a arpenté la documentation de long en large pour bâtir l'article, plus moyen de savoir si le résultat obtenu sera compréhensible par le lecteur. Et l'impression que tout vous échappe, que vous n'avez pas dit le tiers de ce qu'il aurait fallu, et en plus pas au bon moment ni au bon endroit. J'espère que tout cela va s'estomper dans les semaines qui viennent, sinon, malgré le plaisir enfantin que j'éprouve à gagner de l'argent, je serai contraint de renoncer à l'exercice, à cause de cette impression de forfaiture qui ne me quitte jamais tout à fait.

Là-dessus, terminant cette énigmatique et pénible relecture, j'étais en train de prendre connaissance des noms d'oiseaux que s'échangeaient mes commentateurs sur le blog-mère (“Tu es de mauvaise foi ! – Non, c'est toi qui y est ! – Même pas vrai, pauv' con !, c'est toi ! ”, etc.), lorsque Catherine a fait irruption dans la Case pour me demander si j'en aurais encore pour longtemps. Lui ayant dit que c'était presque terminé, elle m'annonce qu'elle va se servir un petit verre de porto en m'attendant. Sur quoi je l'ai suivie, comme le chien au cul de la chienne, et lui ai sifflé ce qui lui restait de cognac, c'est-à-dire fort peu, heureusement.

– J'ai éprouvé une tristesse d'une seconde ou deux, en début d'après-midi, lorsque j'ai remisé le volume de Pléiade consacré à Julien Green à sa place habituelle, en me disant qu'il n'en ressortirait probablement jamais de mon vivant. Je dis “une seconde ou deux”, mais en réalité cette tristesse diffuse perdure. Si par hasard Adrien, censé hériter cette bibliothèque qui m'entoure, n'éprouve jamais l'envie de lire quelque chose de Green, cela voudra dire que je viens de le tuer pour de bon (Green, pas Adrien).

– Abandonnant Green, j'ai commencé Cavalerie rouge d'Isaac Babel, mais dans de mauvaises conditions : c'était avant de venir ici travailler et je ne cessais de me dire que je devrais bien arrêter de lire pour venir m'y mettre… Néanmoins, cette langue précise et comme scintillante me plaît énormément – mais je ne me sens pas capable d'en dire plus pour l'instant.


Vendredi 30 décembre

Sept heures et demie. – L'appréciation de Rochechouart sur mon article d'hier était, ce matin, assez peu enthousiaste. D'un autre côté, si je compare le mien avec celui refait par lui, je constate qu'il a conservé tels entre 80 et 90 % de l'original. Alors content ou pas content ? Déçu ou pas déçu ? On le saura sans doute dès la semaine prochaine : s'il ne m'envoie rien ou s'il persévère…

– J'ai mis en ligne cet après-midi le journal de novembre, mais n'en ferai l'annonce sur le blog-mère que lundi. Nonobstant, déjà 33 visites depuis une couple d'heures. Ce qui signifierait soit que certains internautes ont mis le blog-journal dans leurs “favoris”, avec flux machin et tout le tremblement, ou bien que, voyant venir la fin du mois, et connaissant désormais les habitudes de la maison, ils ont cliqué dessus à tout hasard – ou encore un panachage de ces deux hypothèses. Quoi qu'il en soit, cela n'a pas la moindre importance.

– De toute façon ce journal me fatigue, je le trouve de plus en plus terne, inintéressant, rabâcheur. Et il me plairait assez de voir le nombre de ses lecteurs baisser significativement, simplement pour me conforter dans l'opinion que j'ai de lui en ce moment.

– Demain, pas de réveillon pour nous, soirée ordinaire. D'abord parce qu'il en a été décidé ainsi, et ensuite parce qu'Adrien et son amie japonaise (Chihiro, je crois bien) venant passer ici la soirée de mardi prochain, nous aurons alors tout le temps et l'occasion de célébrer la nouvelle année – laquelle m'accable d'avance quand je songe aux niagaras de bêtise qui, élection présidentielle oblige, vont se déverser sur nos têtes de votants. C'est à vous donner des envies de caverne profonde.

– Depuis que j'ai évoqué ce livre devant Catherine, au début du repas, je ne parviens pas à me souvenir quel romancier américain est l'auteur de Mon chien stupide. Le nom de John Fante m'est venu spontanément à l'esprit, mais je me méfie de ce genre de spontanéité chez moi (encore que, bien souvent, elle me donne la réponse exacte). Et, je ne sais trop pourquoi, je retarde le moment de faire cesser l'incertitude en allant interroger Google.

– C'est très bien, Isaac Babel, mais ce n'est certes pas lui que je solliciterais pour m'accompagner sur l'île déserte. Russes pour Russes, une bonne demi-douzaine d'autres auraient la priorité sur lui – sans doute même davantage.


Samedi 31 décembre

Sept heures et demie. – Notre repas de réveillon – boudin de Rethel et pommes boulangères – aura duré en tout et pour tout neuf minutes, plus le temps nécessaire pour débarrasser nos deux assiettes et le plat vide. Le tout arrosé d'eau du robinet bien évidemment. Ça confine à la grandeur.

Mon chien stupide est bien de John Fante. L'ayant vérifié, je me suis empressé de commander le roman, au moins pour son titre.

– Je ne sais plus avec quelle lecture j'ai commencé cette année – je vais aller vérifier dès que j'aurai une seconde à moi –, mais je la termine avec Jean de La Varende : Pays d'Ouche, recueil de nouvelles irrésistiblement surannées.

[Rajout de huit heures : Je lisais les textes d'Alain consacrés à Balzac.] 

– Depuis hier, à force d'y repenser d'une manière stupidement répétitive, j'en suis arrivé à me persuader que Rochechouart ne fera plus appel à moi, que mon deuxième papier pour lui l'a profondément déçu – façon douche froide –, que ses yeux un instant aveuglés par mon brillant de pacotille se sont rapidement rouverts, etc.  Si bien que si, lundi ou mardi, il m'en demande pourtant un troisième, je vais m'en trouver tout étonné.

– Penser, ce soir avant minuit, à décrocher le téléphone, pour le cas où des fêtards ivres et amicaux se mettraient en tête de nous souhaiter une bonne année “à chaud”.

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