vendredi 30 décembre 2011

Novembre 2011










 LE JOURNAL DU FOU









Mardi 1er novembre

Sept heures et demie. – Pas de véritable envie de venir ici commencer ce nouveau mois, mais au moins, aujourd'hui, je sais pourquoi. C'est que j'ai passé l'essentiel de la journée dans mon journal de 2010, à tailler, couper, retrancher, récrire parfois, et que mes petites considérations me sortent par les yeux ! J'en suis à la mi-juin, si bien que le gros du travail devrait être terminé à la fin du week-end prochain. Je m'aperçois qu'en fait je ne supprime pas grand-chose : pour l'instant, presque à mi-parcours, à peine cent mille signes sur plus de neuf cent mille. Il s'agit essentiellement de choses concernant les blogs, et notamment mes attaques ad hominem contre tel ou tel blogueur. J'enlève également ce que j'avais pu laisser de considérations un peu filandreuses d'après boire.

Je ne sais plus si je l'ai noté hier et j'ai la flemme de changer de page pour aller vérifier : je pense que ce journal 2010 imprimé va s'appeler Autel de non-retour. À moins qu'une idée géniale ne vienne me visiter avant impression.

– Alors que je pensais être définitivement désencombré de sa présence, Carine est revenue sur le blog-mère, pour y laisser l'un de ces commentaires récriminants dont elle a le secret. Puis, Nicolas ayant évidemment réagi, elle en a laissé un autre, puis un troisième… J'ai tout supprimé, sans un mot d'explication. Elle m'a bien entendu envoyé ensuite un mail privé, que j'ai fait glisser dans la corbeille sans même l'ouvrir.

– Non seulement l'idée de retourner demain à FD après trois semaines d'absence ne me sourit nullement, mais la perspective m'en a assombri toute la fin de cette journée-ci.


Mercredi 2 novembre

Sept heures et demie. – Voici un mois qui démarre petitement, avec ce rhume “toussant” qui se traîne et s'attarde à plaisir, provoquant depuis plusieurs jours une montée de fièvre à partir du milieu de l'après-midi. Elle ne monte pas bien haut, certes, et les jours précédents, parce que je ne bougeais pas de la maison, elle ne me dérangeait nullement. Mais, aujourd'hui, il a bien fallu affronter en sus d'elle : 1) le babillage forcené de Brice, 2) les 80 kilomètres du retour dans une circulation assez dense.

– Axelle Crevette nous a envoyé un mail cet après-midi pour nous inviter à déjeuner le dimanche 20 de ce mois-ci. Elle nous dit avoir invité en même temps que nous Robert Marchenoir, ce dont je me réjouis – s'il dit oui. Nous, en attendant, avons accepté tout de suite l'invitation.

– Afin de répondre à une question de Brice, ce matin, je suis allé vérifier sur le document idoine si j'avais bien une nouvelle semaine de vacances prévue à la fin de ce mois, puis encore deux autres pour clore décembre et l'année. En effet, elles ont été dûment enregistrées et paraphées par Ph. B., ce dont je n'avais aucun souvenir. J'ai tout de même été un peu étonné de découvrir qu'après cela il me resterait encore quinze jours ouvrables à “prendre” avant le 31 mai, sans compter les RTT. Je me suis dit que c'était impossible, que j'avais dû truander quelque part. Mais où, puisque tout est consigné ? En tout cas, je vais finir par travailler encore moins qu'un professeur agrégé – ce qui m'irait très bien.

(Nouveau mail de la Crevette à l'instant pour me dire que Marchenoir, de son côté, vient d'accepter lui aussi son invitation. Je lui ai demandé, par retour, s'il y aurait d'autres gens – à quoi je ne tiens pas particulièrement, mais enfin, ce n'est pas moi le patron…)

– Mon cœur reste en état de marche. En tout cas je le suppose puisque, tout à l'heure, le Dr Jobbé Duval n'a fait aucun commentaire à l'électrocardiogramme auquel il venait de me soumettre. J'ose croire qu'en cas de pépin décelable, et décelé, il aurait eu la présence d'esprit de m'en toucher deux mots.

(Nouvelle réponse de la Crevette : il n'y aura, à ce déjeuner, que Marchenoir et nous – ce qui est parfait pour moi, et encore plus pour Catherine, qui ne se sent jamais très à l'aise au milieu de gens qu'elles ne connaît pas, ou mal.)


Jeudi 3 novembre

Sept heures et demie. – Guère plus envie d'écrire ici que les deux jours précédents. D'abord parce que je traînaille toujours cette semi-maladie qui me fait tousser comme une Fantine à qui d'odieux bourgeois de basse époque auraient mis de la neige dans le cou ; et ensuite parce que, n'ayant pas eu grand-chose à faire à FD aujourd'hui, j'ai passé l'essentiel de mon temps dans mon journal 2010 (je suis rendu à septembre). Si bien que le journal en tant que tel commence à me sortir un peu par les trous de nez – que j'ai pourtant fort encombrés. Et le fait de passer de celui de 2010 à celui de 2011 ne suffit pas à ranimer mon intérêt pour lui. Pour ce qui concerne celui de l'année dernière, j'ai pour le moment enlevé près de 200 000 signes, sur le total de 920 000. Si je ne suis pas plus débordé demain qu'aujourd'hui, je devrais être rendu au mois de novembre pour le début du week-end et, donc, avoir terminé cette première relecture-correction-coupe dès samedi soir. Ensuite, on pourra commencer, Catherine et moi, à “jouer” vraiment, c'est-à-dire à tenter d'en faire un livre pas trop vilain, ni sentant trop son amateurisme. Mais c'est sans amusement excessif que je m'aperçois que je ne couperai pas à une seconde relecture de l'ensemble avant publication. Pfff

En plus, presque personne ne le verra, ce livre, dans la mesure où je ne crois pas que j'en ferai la publicité sur le blog-mère, je me sentirais par trop ridicule et fat dans ce rôle d'auto-promoteur. Donc, hormis les cinq ou six personnes à qui nous l'offrirons probablement, nul n'en saura rien. Cela dit, il y a plus coûteux, comme divertissement, et c'est déjà cela.

– Reçu aujourd'hui un petit livre de René Girard, Géométries du désir, qui est en fait un recueil d'articles et de conférences portant sur le désir mimétique dans la littérature (Chrétien de Troyes, Dante, Racine, Malraux…) et réunis par L'Herne. J'ai immédiatement suspendu ma lecture de Nord pour me précipiter sur Girard. Reçu également un roman et un recueil d'articles parus dans La Nation française, de Jean de La Varende.

– Je pense que je vais, dès ce week-end, puisque j'ai pris de l'avance avec le journal 2010, relire La Madone des chantiers, le BM dont j'envisage de me servir pour écrire le prochain – qui sera donc, à nouveau, une “transposition”, probablement dans le milieu des grandes propriétés agricoles et de leurs travailleurs saisonniers. Je pourrais également me livrer à une première relecture du journal d'octobre 2011, mais j'ai peur que ça commence à faire beaucoup…


Samedi 5 novembre

Six heures et quart. – J'ai terminé à midi de relire, corriger et couper mon journal 2010, ramené de 920 000 à 700 000 signes. Catherine l'a immédiatement transporté dans les pages du livre encore fictif qu'elle projette de réaliser : il comptera environ 350 pages, ce qui me semble très bien. Il me reste à tout reprendre, page par page, non pour relire mais pour essayer de gommer les aberrations de mise en page : lignes “creuses” en haut de page, d'autres se terminant sur la date d'une nouvelle entrée, etc. Ensuite, ou en même temps, Catherine va devoir faire un choix de photos pour chacun des douze mois, et nous déciderons ensemble de celle qui sera retenue. Après quoi, il ne restera plus qu'à faire imprimer le tout. Le volume s'intitulera donc Autel de non-retour, et sera dédié à mes parents, ce qui est bien le moins puisque c'est essentiellement pour eux, pour leur offrir ce livre, que j'ai accepté de le faire.

– Lectures en cascade : avant-hier recevant le petit livre de René Girard dont je parlais plus haut, j'ai aussitôt suspendu ma lecture de Nord pour passer à lui. Mais hier, c'est le Décivilisation de Renaud Camus qui est parvenu jusqu'ici, et Girard s'en est trouvé immédiatement abandonné à son tour. Pas pour longtemps puisque les deux cents pages de l'essai camusien sont déjà presque lues en totalité. Je tâcherai d'y revenir demain, ici ou sur le blog-mère.

– Plutôt qu'à celle de Pacy demain matin, Catherine a décidé d'assister à la messe vespérale qui doit commencer en ce moment même en l'église de (et zut : je ne me souviens plus du village en question !). Bref, comme elle m'annonçait qu'elle ne serait pas de retour au mieux avant sept heures et demie, j'ai aussitôt décidé de m'octroyer un petit apéritif impromptu et le lui ai annoncé (à mon avis, elle se doutait de la chose…). Je ne l'ai du reste pas encore commencé, de façon à ne pas être tenté de trop boire d'ici son retour : on n'est pas plus raisonnable. Enfin, si, on pourrait l'être plus ; mais bon, hein…

– Sur la suggestion de Catherine – mais j'y avais pensé de mon côté –, j'ai proposé à Marchenoir de rentrer ici avec nous, le dimanche 20 de ce mois, après notre déjeuner commun chez les Crevette. Il a accepté par retour de mail. Nous irons peut-être à Jumièges le lendemain, si le temps s'y prête et si notre courage est à la hauteur de cette épopée romano-gothique.

Neuf heures moins le quart. –  Nous sommes presque d'accord, Catherine et moi, pour l'illustration  de couverture : moi, de dos, à la Chaise-Dieu.


Lundi 7 novembre

Huit heures moins le quart. – Deux jours sans rien, ici, pour cause de trop de journal : voilà trois jours que je passe mes journées dans celui de 2010. Hier, j'ai été à deux orteils de basculer dans la folie. Cet imprimeur-en-ligne (je ne sais comment appeler autrement ces nouveaux gagneurs d'argent) et les épreuves que son logiciel induit, j'ai vraiment failli en mourir. Sans déconner.

– Cela étant, la chose commence à me plaire et à m'exciter. L'écrivain en bâtiment se voit écrivain… un vrai volume… avec ses “pensées” à lui, tout ça… Donc, il y va. Il se relit un an de journal, il coupe ce qui lui semble devoir l'être, il transpose sur le site, sur ce site qui s'appelle Blurb, ce qui lui fait dire qu'il aurait probablement mieux fait de s'abstenir. – Mais il y va.

Ensuite, il bascule dans le cauchemar. Il veut juste faire un petit livre présentable, pour ses parents, rien que pour eux, même pas pour ses amis qui n'en ont rien à faire. Et c'est là, précisément, que le cauchemar commence.

Faire un livre, c'est essayer de maîtriser ce qui ne peut pas l'être. C'est éliminer les lignes “creuses” en haut de page ; c'est s'arranger des “blancs” un peu partout, c'est supprimer ce qu'on voulait dire à seule fin de gagner une ligne, laquelle refuse de se laisser gagner ; c'est surtout se plier à quoi on ne comprend rien, y compris dans les micro-détails que je ne serais même pas capable de développer.

Enfin bon, j'ai été hier à deux secondes d'imploser. Catherine peut témoigner, qui m'a entendu hurler plusieurs fois. C'était juste une question, figurez-vous, d'interlignage, ou d'interligne – je ne sais comment on doit dire. Bref : il n'y a rien de pire que de vouloir faire un livre dans ces conditions. Et ça va continuer demain…


Mardi 8 novembre

Trois heures. – La mise en page du futur livre est enfin terminée. Je ne crois pas être devenu fou, au bout de compte, mais il s'en est fallu de très peu, car les pièges étaient redoutables. Notamment, par endroit, tendus par le logiciel lui-même : paragraphes imbriqués les uns dans les autres, certains se répétant deux voire trois fois, etc. Et puis ce très irritant problème des “dépassements de texte”, comme on m'en a constamment indiqués tout au long de ces trois cents pages. À chaque fois il fallait alors se placer sur la page en question et tenter de résoudre au mieux le problème de cette ligne “hors cadre”, par exemple en la faisant repasser à la page suivante. Mais alors, tout se décalait et les “dépassements de texte” se mettaient à fleurir un peu partout, y compris en arrière, dans les pages déjà “calées”. Le résultat est loin d'être parfait, mais je suis déterminé à ne plus toucher à rien, à ne même plus le relire, de peur de voir tout ce fragile assemblage s'écrouler à nouveau comme château de cartes. Je prie pour n'avoir pas laissé passer l'un ou l'autre de ces doublons dont je parlais plus haut.

– Logiquement je devrais m'en ficher un peu puisque pratiquement personne ne verra le résultat final, à part mes parents à qui je vais l'offrir : je vois mal qui, parmi mes lecteurs de blog, irait dépenser trente euros ou plus pour s'offrir un texte qu'il a déjà lu et qu'il peut retourner lire gratuitement si l'envie lui en prend.

– Enfin, mon calvaire est terminé, je vais passer le relai à Catherine pour qu'elle choisisse les douze photos qui marqueront chaque changement de mois, ainsi que celle, plus délicate, de la couverture. Pour le moment, après avoir finalement éliminé celle me représentant, de dos, dans la salle de l'écho de La Chaise-Dieu, on s'orienterait vers une représentant le cloître du Mont Saint-Michel ; à condition de pouvoir y mettre mon nom et le titre du livre. Pour la quatrième de couverture, Catherine penche pour une “nature morte”, sur laquelle je voudrais ajouter cette phrase retrouvée à la date du 27 septembre 2010 : Le principe du journal : je vous dis tout mais n'espérez pas en savoir davantage.

– Demain, retour à FD (mais pour deux jours seulement, grâce au 11 novembre) et déjeuner avec François Rochechouart, le patron du magazine Enquêtes qui, depuis qu'il a lu mon blog, veut à toute force me faire travailler pour lui. Son désir de me rencontrer semble si fort que, lorsque je me suis plaint que le siège de son journal soit si loin de celui de Lagardère, il m'a aussitôt et spontanément proposé de faire, lui, le déplacement jusqu'à Levallois. Mon sens de la hiérarchie étant ce qu'il est, j'en étais presque gêné. Bref, on verra demain ce qu'il a à me proposer. Comme je ne brûle pas particulièrement de l'envie de travailler pour Enquêtes, je vais pouvoir me permettre d'être assez exigeant sur les conditions, financières, de régularité, etc. On verra bien si tout cela débouche sur quelque chose de concret et de lucratif. Si ça pouvait me permettre d'abandonner la BM…


Mercredi 9 novembre

Trois heures. – Mon déjeuner avec Rochechouart s'est fort bien passé. C'est un jeune homme volubile, tout à fait charmant. Il semble avoir grand besoin de véritables rewriters et j'ai plus ou moins accepté l'idée de travailler pour lui, ne serait-ce que parce qu'il m'a assuré – si nous nous convenions mutuellement – que le travail serait on ne peut plus régulier : au moins un article par semaine voire un peu peu plus si je ne fatigue pas trop. Ce qui pourrait me faire un nouveau revenu d'environ 1500 € par mois, c'est-à-dire l'équivalent exact de la BM au tarif où elle est désormais descendue.

– J'ai l'impression nette d'avoir perturbé gravement le personnel féminin d'À table ! en ne buvant que de l'eau durant tout ce déjeuner.


Jeudi 10 novembre

Neuf heures moins le quart. – Une heure trois quart au lieu d'une heure pour revenir de Levallois à chez moi, sous prétexte que s'annonce un sacro-saint week-end de trois jours. L'affaire m'a tellement énervé que j'ai fait un peitit crochet par l'Arabe-de-Pacy pour lui acheter une demi-bouteille de Ricard. Du coup, il va de soi, Catherine a repris un verre avec moi, et refumé.

– En arrivant à la maison, j'ai eu la surprise – le choc même – de découvrir notre tilleul à terre et découpé en épaisses rondelles pour ce qui est de son tronc. Les tondeurs de pelouse s'étaient annoncés en début d'après-midi à Catherine et, mués en tronçonneurs d'essences, avaient fini leur besogne à cinq heures et demie. J'attends demain matin pour juger de l'effet produit par cette absence sur notre petit jardin.

– Philippe B. m'a confié tout à l'heure un nouveau petit travail à faire avec Olivier Lejeune, sur le théâtre de boulevard et ses grandes figures. Cette fois, il s'agit d'écrire trois courts articles (entre 1500 et 2000 signes chaque) sur Robert Lamoureux, Michel Galabru et Danièle Évenou. Comme de juste, Lejeune, que j'ai pu joindre vers trois heures, les connaissait tous les trois et m'a donné plus d'anecdotes que je ne pourrai en utiliser. Ce sera en tout cas cinq cents euros vite gagnés.


Vendredi 11 novembre

Trois heures. – C'est assez rare, il me semble, que je vienne traîner dans ce journal à des heures aussi tôtives, comme dirait Machin-Truc. La raison en est que, pour cause d'apéritif hier soir, j'ai décidé de ne rien faire aujourd'hui – de ne rien faire dans le domaine du travail rémunéré, s'entend. J'ai donc fini de lire les Promenades de La Varende et je vais sans doute m'octroyer une première lecture du journal d'octobre. Ce qui suffira à mon besoin d'activité pour aujourd'hui. Demain, on verra à liquider les trois petits articles que j'ai à écrire pour FD. Et à relire le BM intitulé La Madone des chantiers, afin de voir s'il y a moyen d'en tirer une resucée, voire une ripopée, pour parler comme la Palatine.

– Il y a une semaine, Hervé XP s'en prenait, d'une manière tout à fait incompréhensible pour moi, à Jacques Étienne et à son blog. Il a récidivé hier, mais cette fois avec Ygor Yanka – d'une manière tout aussi incompréhensible. Sauf que là, il est tombé sur un os : je crains que se payer Yanka ne soit pas tout à fait dans ses moyens. Ce ne serait pas davantage dans les miens, du reste.


Samedi 12 novembre

Sept heures vingt. – Journée productive, au point que je m'en étonne encore. Non, en réalité c'est après-midi productif qu'il faudrait écrire, car ce matin, suite à une nuit particulièrement mauvaise, au sommeil excessivement “perlé”, je n'ai rien fait d'autre que lire – ce qui n'est déjà pas si mal, mais enfin. (Ah, non, tout de même : j'ai également féminisé mon parcours de vie en faisant la vaisselle que Catherine m'avait obligeamment laissée, et descendu les deux poubelles dûment triées.) Vers trois heures cet après-midi, donc, alors que je commençais de somnoler sur mon livre (Le Centaure de Dieu, La Varende), et que Catherine avait posé le sien (L'Identité de la France, Braudel) pour dormir tout à fait, je me suis avisé que la désormais fameuse “couverture nuageuse” venait de se dissiper en lambeaux et qu'il faisait un temps idéal pour me livrer au jardin à la dernière tonte de l'année. Que cette réflexion ait pu se former est déjà étonnant, mais que je me sois précipité sans surseoir le moindre sur la machine à couper l'herbe nous amène aux frontières du croyable – c'est pourtant ce que j'ai fait.

– Ensuite la logique interne qui régit le plus souvent l'auteur de ce journal aurait voulu que, prenant appui sur ce travail effectué, je revinsse m'écrouler dans mon fauteuil pour y reprendre le cours de ma lecture siesteuse. Au lieu de cela, je me suis dirigé, la tondeuse à peine remisée, vers mon bureau avec l'intention d'écrire le premier (Robert Lamoureux) des trois petits articles pour FD qui doivent être lundi dans la boitamel de Philippe B. Non seulement intention devint réalisation, mais j'ai ensuite écrit les deux autres, quasiment sans reprendre ma respiration. Bref, sans plus d'effort que cela, je me suis mis en paix avec ma conscience (vaisselle + tondeuse) et j'ai gagné cinq cents euros. J'ai finalement atteint à l'héroïsme en me privant volontairement du petit apéritif qui aurait en principe dû venir couronner une aussi exemplaire journée.

– Demain, relecture de La Madone des chantiers, ce vieux BM que je pense recyclable.

– Je me suis également trouvé fort bien, non seulement d'avoir fermé les commentaires du blog hier soir, mais de ne les avoir pas rouverts ce matin : les incessants échanges d'insultes stériles et puériles de part et d'autre commencent à me faire légèrement braire. Je les rouvrirai si je publie un nouveau billet – et encore cépaçur.

Huit heures et quart. – Depuis quelques semaines Catherine s'est entichée d'une série américaine (déjà assez ancienne, je crois), que je trouve pour ma part calamiteuse – et même pas en version originale, qui plus est – au point de n'être pas capable de me souvenir de son nom. Comme je ne puis l'en priver et qu'elle est diffusée jusqu'à huit heures et demie, voire davantage, je me retrouve coincé à ce bureau même lorsque je n'ai plus rien à y faire, ce qui est précisément le cas en ce moment.


Dimanche 13 novembre

Sept heures et demie. – Grosse déception cet après-midi, en relisant rapidement La Madone des chantiers : le roman est inutilisable, impossible de le détricoter pour en rebâtir un autre à partir de la pelote obtenue. Non parce qu'il est mauvais mais au contraire parce que l'histoire en est trop adroitement ficelée : tous les détails “font sens”, et chaque fois que j'envisageais de changer quelque chose ici (dans le but de maquiller mon forfait), autre chose s'écroulait irrémédiablement quelques pages ou chapitres plus loin. J'étais à la fois déçu – pour des raisons compréhensibles – et assez satisfait de me constater capable de construire un mécano aussi solide. Enfin, de l'avoir été, au moins. En attendant, je me retrouve à poil.

– En ayant momentanément terminé avec La Varende (mais j'attends de lui d'autres volumes dans les jours qui viennent), j'ai tenté de me remettre à DeLillo, mais sans goût particulier. Et, de fait, je les ai trouvées bien longues, les 180 pages de Cosmopolis.

– Ce matin, les mésanges ont retrouvé le chemin de la cabane à graines, désormais suspendue à une grosse branche du cerisier et non plus fixée au tronc du tilleul comme les années précédentes. Et, dès cet après-midi, un ou deux chardonnerets se présentaient à leur tour, ce qui nous a fait bien plaisir. Nous espérons que Golo, qui ne quitte guère l'affût, ne va pas opérer trop de ravages dans leurs rangs cet hiver. Notamment parmi les moineaux qui ont la fâcheuse habitude de récupérer au sol les graines tombées de la boîte.


Lundi 14 novembre

Trois heures moins le quart. – Je trouve très amusante cette tendance de plus en plus répandue sur les blogs de gauche (mais pas seulement chez eux : la contagion gagne…) à hypostasier ce qu'on appelle les marchés. C'est ainsi que tout le monde ou presque, désormais, parle sans rire de la dictature des marchés. L'hypostasie fonctionne d'ailleurs dans les deux sens du mot ; son sens philosophique d'abord, puisqu'il s'agit de faire d'une situation économique une chose réelle, agissante, autonome et douée d'une volonté propre ; et son sens religieux d'origine d'autre part, mais en quelque sorte à rebours, puisque d'une donnée plurielle, multiple : les marchés, on fait un monstre unique mais qui se nomme toujours les marchés. Mon nom est Légion car nous sommes nombreux…

– Reçu ce matin – et lu aussitôt – Le Grand Remplacement de Renaud Camus, recueil de trois conférences et d'une interview au Nouvel Observateur sur le terme de l'immigration massive qui a très largement commencé à nous dissoudre avant que de nous détruire. La première des conférences est à la fois la plus copieuse et la plus riche, les deux autres n'étant plus ou moins que des dupliquats fortement résumés de celle-ci. En réalité, ce petit livre (111 pages) est fait beaucoup moins pour qui a déjà une bonne connaissance de l'œuvre “polémique” de l'auteur, et de son parti de l'In-nocence, que pour ceux qui en ignorerait encore les grands thèmes, et particulièrement celui-ci, le plus important de tous, auprès de quoi tout le reste ou presque n'est plus désormais que péripéties. Mais qui va le lire ? Et comment les lecteurs potentiels seraient-ils avertis de sa parution ? On peut compter sur le vertueux silence des médias inféodés, et des blogs qui ne le sont pas moins, peut-être même davantage encore.

– Pendant ce temps, des émeutes violentes et déprédatrices ont eu lieu à Liège, à la suite de la mort d'un cambrioleur armé, tué par sa victime. Bien entendu, puisque émeutes il y a eu, inutile de préciser que le “pauvre malfrat” n'était nullement belge : tout, alors, se serait déroulé dans le calme le plus complet, et le plus normal. Je reproduis ici la fin du billet qu'Ygor Yanka vient de consacrer à cette affaire, désormais banale (l'article intégral est sur son blog) :

« (…) Je ne veux point vous épargner au passage le morceau d'anthologie pleurnicharde commis par l'une des sœurs de Kasavubu lors du rassemblement, avant que ça ne dégénère. C'est toujours le même refrain, du reste : « Sa mort est injuste pour la communauté. On ne peut pas tuer un enfant comme cela. Le nombre de personnes présentes prouve à quel point c'était un garçon bien et très aimé. » Un garçon bien... Cette notion du bien que l'on nous assène à chaque manifestation de ce type quand l'individu concerné est Arabe ou Noir, marque précisément la frontière entre leur barbarie et notre civilisation. Si l'on pense sincèrement qu'un jeune mâle armé qui braque un commerçant sexagénaire et qui s'y pique définitivement pour s'y être frotté, puisse être considéré comme un chic type, eût-il été par ailleurs un chouette frère ou un bon fils, alors il faut se résigner aux deux seules issues de secours que nous proposons : la valise ou le cercueil.

« Samedi, c'était les funérailles du binamé (bien-aimé, en liégeois) gamin. Présents en masse, les « jeunes » se recueillirent à la manière coutumière des barbares. Écoutons Le Soir :

Ce samedi, la violence a gagné en ampleur. Contrairement à ce qui a précédemment été annoncé, aucun cocktail Molotov n’a été jeté samedi soir. Ce sont des torches pyrotechniques, utilisées pour la signalisation des voies de chemin de fer, qui ont été lancées à plusieurs endroits de la ville, dont un sur un bus des TEC Liège et un autre sur la façade de « La maison du pèket ». Deux voitures ont été incendiées un peu plus loin, en direction du quartier Saint-Léonard. Les jeunes ont aussi mis le feu dans les poubelles d’une station-service en Outremeuse. D’autres dégradations ont été constatées dans les quartiers précités. Les incidents se sont poursuivis jusque 23 h. Au total, 32 personnes, ont été arrêtées. Six fauteurs de troubles, quatre mineurs et deux majeurs, ont été déférés ce dimanche au parquet de Liège. Le plus jeune d’entre eux a 16 ans et le plus âgé une vingtaine d’années. Deux des mineurs ont été mis à la disposition du juge de la jeunesse, qui décidera d’une sanction à leur égard. Parmi les majeurs, un des individus s’est rebellé et un autre a été interpellé en possession d’un sac contenant deux bouteilles d’essence. Les policiers ont découvert d’autres bouteilles d’essence dans le centre-ville de Liège, notamment derrière l’Hôtel de Ville de Liège. Plusieurs des individus appréhendés portaient également des traces d’essence sur leurs vêtements. Les dossiers des deux majeurs ont été mis à l’instruction.

« Nous n'en sortirons ni par le dialogue, ni par aucun des moyens mis à disposition par la raison, car cela suppose que nous parlions le même langage et que ces barbares soient doués de raison.

« Que disiez-vous déjà, Roger Hemer ? Ah oui : Bring in the army. Shoot looters and arsonists on sight.

« Feu donc. À volonté. »

Au passage, je ferai tout de même remarquer à l'ami Ygor que “arabe” dans la phrase où il emploie le mot est un adjectif et ne doit donc pas, à ce titre, prendre la majuscule ; quant à “noir”, à ma connaissance il ne la prend jamais. J'ai laissé chez lui un petit commentaire ironique (mais au fond pas tant que cela), pour dire qu'avant de se résigner aux armes lourdes on pourrait déjà essayer du canon à eau. Mais, évidemment, cela suffirait amplement pour faire hurler au fascisme la volaille habituelle.


Mardi 15 novembre

Sept heures. – Hier, après avoir dû abandonner l'idée de mitonner un nouveau BM à partir de celui intitulé La Madone des chantiers, j'ai parcouru des yeux ma collection, tout au moins la première moitié de celle-ci, c'est-à-dire la cinquantaine de romans suffisamment anciens pour pouvoir être éventuellement recyclés. J'ai finalement tiré de  cet alignement un livre intitulé Les débordements de M. le maire, qui date de 1996 et m'avait été inspiré par les graves inondations ayant ravagé les Ardennes à cette époque. Bonne pioche : j'ai tout de suite vu que cette histoire – dont je ne me souvenais absolument pas – était réutilisable, à condition de changer les deux données du scénario qui pourraient mettre la puce à l'oreille d'un lecteur avisé (ou assez monomaniaque pour relire régulièrement ses anciens BM : il y en a). La première donnée ce sont les inondations elles-mêmes, qui d'une part donnent son “climat” particulier à l'histoire, et d'autre part ont leur importance dans son déroulement. La deuxième donnée est l'abri anti-atomique que le méchant a fait installer sous sa maison et dans lequel il séquestre la victime du premier chapitre : trop repérable, l'abri. Il l'était d'autant plus, repérable, que du fait de l'inondation et des débordements de la Meuse, il se retrouvait sous les eaux ; d'où un dernier chapitre où tout le monde se battait furieusement en combinaisons d'hommes-grenouilles, où Corentin traversait la maison à la nage pour sauver la gentille, et d'autres joyeusetés du même type. Gros obstacles, tout de même, pour réutiliser cette histoire sans trop risquer de se faire pincer. D'un autre côté, j'avais besoin que ma bourgade ait été le théâtre d'événements exceptionnels, pour justifier d'autres composantes du récit que je ne pouvais pas me permettre de changer à leur tour, sous peine de tout foutre par terre (magouilles politiques, constructions frauduleuses en zone inondables, etc.).

J'ai fini par trouver : ma petite ville va se transporter des Ardennes dans le Var. L'inondation va être remplacée par un feu de forêt ravageant tout un lotissement pour salauds de pauvres, lequel n'aurait jamais dû être construit à cet endroit-là (mais le terrain appartenait au maire, un vrai salaud de tyran et gnin gnin gnin). Quant à l'abri anti-atomique, il sera remplacé par un vivarium secret bourré de serpents hautement venimeux et d'importation illégale, dans lequel ma victime innocente (mais avec un brasero dans le panty) sera enfermée. D'abord révulsée par les reptiles, elle va vite être fascinée par eux, allant jusqu'à accepter leur participation à quelques jeux érotiques pas piqués des crochets à venin. Titre envisagé : La Reine des vipères. Les deux-tiers des chapitres sont d'ores et déjà écrits et n'attendent plus qu'à être recopiés ; les autres demanderont tout de même quelques aménagements, notamment toutes les “scènes vivarium” évidemment. Bref, on ne peut pas dire que j'aie perdu ma journée. Et à moins qu'un lecteur ait malencontreusement lu Les Débordements une semaine avant d'aborder celui-ci, mon forfait restera impuni car irrepéré.

– Reçu ce matin le Jésus de Jean-Christian Petitfils, historien dont j'avais lu avec profit et plaisir le Louis XIV : au vu des cent premières pages, je ne regrette pas mon achat. Il s'agit d'un point exhaustif des connaissances actuelles sur le personnage historique du Christ, faisant état des divergences entre les différentes écoles, tentant d'apporter des réponses aux nombreuses questions en suspens, etc. Avec, en toile de fond, la situation politique et religieuse de toute cette région avant et pendant la vie de Jésus.

– Demain, retour à FD – perspective ennuyeuse s'il en est.

– Aucune nouvelle de M. Rochechouart, qui devait pourtant – m'a-t-il assuré à trois reprises à la fin de notre déjeuner – me joindre dès ce week-end pour me faire “une proposition”, c'est-à-dire en clair me faire miroiter un tarif supérieur de quelques dizaines d'euros à celui qu'il m'avait initialement annoncé. Ma collaboration à Enquêtes commence assez mal ; ou plutôt elle ne commence pas du tout. Pourtant, son journal bouclant le samedi, il aurait eu tout le temps ensuite d'y songer, à sa proposition – et de me la faire.

– Je reviens au prochain BM : le synopsis étant donc fait (!) et le livre devant être rendu début janvier, je vais donc disposer de trois semaines pour l'écrire : la dernière de ce mois-ci et les deux dernières de décembre. Si bien que, peut-être, enfin, je vais réussir à le mener à bien en n'y travaillant que les matinées. Cela doit faire au moins trois ans que je me promets cela et que je n'y suis encore jamais parvenu. Du reste, je n'y crois pas beaucoup plus cette fois-ci : l'effet d'une certaine habitude au renoncement, sans doute.


Jeudi 17 novembre

Trois heures et demie. – Pas de journal hier, pour cause d'apéritif. J'ai en revanche envoyé un mail (et un autre ce matin) à Ygor Yanka pour l'assurer de tout notre soutien, à Catherine et à moi, dans l'invraisemblable différend qui l'oppose à XP – et surtout pour lui garantir, mais je savais bien qu'il ne pouvait pas en douter, que jamais nous n'avons été baver sur son compte devant XP, malgré ce que celui-ci laisse assez venimeusement sous-entendre.

– Tout à l'heure, alors que je l'appelais pour tout autre chose, Catherine m'a annoncé que les “exemplaires papier” de mon journal 2010 étaient arrivés. Ce qui me semble être une excellente raison pour reprendre un apéro ce soir, alors que j'avais l'intention de n'en rien faire.

– Hier, dans son bureau, où j'étais venu pour tâcher d'obtenir un petit article publicitaire pour l'agenda Dimanche et Croix 2012 de Catherine, Philippe B. m'a demandé si cela m'intéresserait de travailler davantage pour FD, et “en changeant de statut”, ce qui signifierait cesser d'être rewriter pour devenir rédacteur et, donc, écrire des papiers directement à partir de documentation (hors de question pour moi de me livrer à cette activité honnie : le reportage). Le plus alléchant dans cette amorce de proposition – il ne faisait que tâter le terrain –, et en dehors de la nécessaire augmentation de salaire, c'est  qu'il me serait alors possible, tout en travaillant davantage, de venir moins souvent à Levallois, ainsi que Philippe me l'a clairement laissé entendre. Il doit en principe me faire une proposition prochainement : je le laisse venir.

Si je devais travailler un peu plus à FD et, d'autre part, faire régulièrement du rewriting pour Enquêtes (mais Rochechouart fait le mort…), je pourrais sans regret dire un adieu définitif à la BM.


Vendredi 18 novembre

Trois heures. – À propos de dire adieu à la BM, j'ai reçu hier un mail de Nancy, la comptable de GdV, m'informant que, pour le deuxième mois consécutif, je ne toucherai pas un centime sur la “traite” de novembre, prétendument pour cause de retours massifs. Je lui ai aussitôt répondu que si tout ce qu'on me doit (un peu plus de cinq mille euros pour le moment) ne m'était pas réglé avant la fin de l'année, je cesserais toute collaboration à la série. En réalité, si elle m'en payait déjà la moitié au 15 décembre je m'estimerais satisfait. Mais quoi : il faut bien montrer un peu les dents de temps à autre.

– J'ai commencé à trouver que le temps s'allongeait alors qu'il n'était pas encore midi. Pour tenter de contrer cela j'ai procédé à une seconde lecture du journal d'octobre, laquelle m'a en effet conduit jusqu'à l'heure du déjeuner. C'est à partir de maintenant que les minutes vont peser chacune son poids de plomb.

– Ce matin, Catherine a rendu public l'accès en ligne à mon journal 2010, pour ceux qui souhaiteraient le commander en dépit de son prix nettement prohibitif (plus ou moins 70 €). Nous avons quant à nous reçu les trois exemplaires différents que nous avions commandés. J'ai pu constater, tout comme Catherine, que la version “couverture rigide avec jaquette” est nettement plus agréable à l'œil que sa sœur, “couverture rigide illustrée”, où la photo sort moins bien. Sinon, pas de trop mauvaises surprises après feuilletage rapide : les erreurs semblent assez peu nombreuses et sont de peu d'importance, ne portant que sur de petits détails de mise en page. L'avantage d'avoir mis ce livre en vente à prix coûtant est je me fiche éperdument d'en vendre ou non ; même si, évidemment, il serait malgré tout plus satisfaisant qu'il rencontre quelques amateurs.

– Hier j'ai soudain pensé que si jamais XP décidait de s'inviter chez la Crevette le week-end prochain, nous risquions de nous retrouver nez à nez avec lui. Moi, encore, j'aurais pu l'accepter, bien que ses attaques ignobles contre Yanka ne m'incitent pas – et c'est le moins que je puisse dire – à le revoir. Mais du côté de Catherine l'esclandre aurait été certain et immédiat. Pour obvier à ce danger, j'ai envoyé un mail à Axelle, lui demandant, dimanche, de ne pas aborder le “sujet XP”, Catherine étant un peu remontée contre lui – ce qui est encore une litote –, en me disant que si elle avait eu vent de sa visite chez elle elle m'en aurait alors averti. Comme elle ne l'a pas fait, j'en conclus que tout risque est écarté de ce côté-là.

– Bien que n'étant pas certain que nous nous rendrons effectivement à Jumièges lundi, avec Marchenoir, j'ai tout de même réservé une table pour trois personnes à L'Auberge des ruines, dont les différents menus ont l'air prometteur. D'ici là, il me reste à faire un grand ménage de la Case en prévision du bivouac, dimanche soir, du même Marchenoir.


Samedi 19 novembre

Sept heures et quart. – J'ai passé une partie de cette journée à faire ce que je n'aurais pas dû faire, à savoir relire (très vite) mon journal 2010 imprimé. Évidemment, de multiples bourdes m'ont sauté à la face, mais curieusement je les ai prises avec un fatalisme limite hindou. Même, à trois reprises, la répétition à l'identique de deux paragraphes n'a pas suffi à m'assombrir l'humeur.

– Pendant que je passais l'aspirateur dans tous les recoins de la Case afin d'y recevoir dignement le sire de Marchenoir, et que Catherine vaquait à ses occupations marchandes, le voisin d'en face aidé de son fils cadet s'occupait d'embarquer les tronçons du tilleul abattu il y a une dizaine de jours. Ils ont fait place nette en deux heures – depuis, le jardin est immense.

– Cet après-midi, sur le blog-mère, un commentateur qui signe Fabrice s'est cru obligé de me signaler qu'il n'achèterait pas mon journal 2010 parce qu'il est trop cher – il a entièrement raison – et aussi parce qu'on est, dit-il, toujours déçu avec les livres auto-édités – il n'a pas tort non plus sur ce point. Mais la perle vient en dernier, lorsqu'il ajoute une précision : “Sauf dans le cas de Nabe, mais lui c'est un grand écrivain.” Le pis est qu'il ne doit même pas voir ce qu'il peut y avoir de malotruisme dans le fait de dire à quelqu'un venant de sortir un livre (quelle que soit la forme prise par cette sortie) que tel autre que lui est un grand écrivain, étant très fortement sous-entendu : contrairement à toi, pauvre minable prétentieux. Comme je disais à Catherine que, s'il y avait désir de blesser, celui-ci ratait tout à fait sa cible, puisque je passe mon temps à dire qu'en effet je ne suis pas écrivain, Catherine m'a soutenu qu'il ne devait pas y avoir volonté d'être méchant, ou mal élevé, mais qu'il fallait y voir plus simplement une bêtise en action. Sans doute, en effet. Il est néanmoins possible que ce Fabrice, tout reluisant d'un vernis de freudisme, pense que je ne dis cela qu'afin de désarmer les critiques, alors qu'au fond de moi je serais persuadé l'être, écrivain. Auquel cas, l'hypothèse de la hargne redeviendrait recevable. Enfin, comme disait Paul Valéry, de toute façon on s'en fout.

– Demain, donc, déjeuner chez les Crevette en compagnie de Robert Marchenoir, qui se rendra chez eux par ses propres moyens et reviendra ici avec nous pour y passer la soirée, avant de nous accompagner le lendemain à Jumièges. C'est triste à dire mais les récentes attaques de XP contre Ygor Yanka m'ont rendu un peu moins désireux de la rencontre de demain. J'espère que cette espèce de désenchantement cessera lorsque nous serons sur place – je le crois d'ailleurs.

– Pour ce qui est de Yanka, il a dans un premier temps fort mal pris les calomnies ignobles dont il a été l'objet, les a ressenties très douloureusement si j'en juge par les longs mails que nous avons échangés ces derniers jours. Mais, ce matin, il semblait tout ragaillardi et bien décidé à rejeter par-dessus son épaule ce paquet visqueux reçu en pleine poire. Il fera bien.

– Je ne sais pas si j'ai noté que nous avions décidé d'aller passer deux ou trois jours à Sedan le mois prochain. Ce sera en fonction des disponibilités chimiothérapiennes de mon père, et nous en profiterons pour nous aventurer en terre belges afin d'y déjeuner avec Yanka justement.

– Ce matin, je me suis souvenu juste à temps que Renaud Camus était de nouveau l'invité d'Alain Finkielkraut dans Répliques, sur France-Culture. Il y était en compagnie de Claude Habib qui vient de publier un livre sur la galanterie. L'échange fut loin d'être inintéressant, même si, pour quelqu'un qui a lu et relu les livres de Camus, notamment les derniers, il n'y avait pas grand-chose à y apprendre. Mais je suppose que ce genre d'émissions est fait pour promouvoir un livre, ou son auteur, et non pour satisfaire ceux qui pratiquent déjà l'un et l'autre.


Lundi 21 novembre

Sept heures et demie. – Deux journées presque parfaites, hier et aujourd'hui. Le “presque” veut faire référence aux deux trajets d'hier, pour aller chez la Crevette et surtout pour en revenir : très épais brouillard qui, surtout au retour, a rendu la conduite vraiment pénible. En dehors de cela aucune fausse note : les quatre ou cinq heures que nous avons passées chez les Crevette, en compagnie de Robert Marchenoir, furent parfaites, comme toujours en fait, les discussions animées – notamment lorsque MM. Crevette et Marchenoir se sont lancés mutuellement sur le libéralisme. Dame Axelle a tenu sa partie de façon méritoire, cependant que Catherine et moi nous contentions de compter les points. Je fus, de mon côté, suffisamment héroïque pour me satisfaire d'une petite bière en guise d'apéritif, puis rien d'autre que de l'eau ensuite.

– Il n'en fut pas de même le soir, chez nous, avec Marchenoir que nous avions ramené dans nos bagages. J'avais prévu trois bouteilles de chablis (premier cru, Fourchaume) et une bouteille de chinon, de son côté notre hôte avait apporté une bouteille de vieux bordeaux : ce matin, il ne restait qu'un flacon de chablis – et encore, entamé. Inutile de préciser que, de ces libations, prolongées jusqu'à une heure du matin environ, ma part ne fut pas la moindre.

– Aujourd'hui, nous étions attendus aux alentours d'une heure à L'Auberge des ruines, restaurant de haut mérite situé juste en face de l'abbaye de Jumièges, où nous fîmes un excellent déjeuner, absolument seuls dans la vaste salle. Ensuite, visite de l'abbaye elle-même, parce qu'il fallait bien justifier ces dispendieuses agapes. Visite en partie gâchée – mais en partie seulement, et en faible partie –, par les nombreux échafaudages nécessités par le programme d'entretien des ruines en question. À la suite de quoi nous avons ramené Robert Marchenoir à la gare de Vernon, non sans avoir traversé la ville pour lui montrer le moulin suspendu sur la Seine, curiosité de cette ville où, rappelons-le au passage, Philippe Auguste ressentit les premières atteintes du mal qui devait le tuer dès le lendemain, à Mantes-pas-encore-la-Jolie.

– Les plus perspicaces des lecteurs de ce journal se doutent déjà que la bouteille de chablis rescapée d'hier n'a pas survécu à la soirée d'aujourd'hui : ils ont raison.

– Ce matin (conséquence de notre déjeuner crevettien d'hier ?) m'attendait dans ma boitamel la lapidaire injonction suivante, émanant de XP (ai-je déduit d'après l'adresse électronique, puisque les quelques lignes que l'on va lire ne sont pas signées) :

Tu seras gentil, à l'avenir, de ne plus m'évoquer dans ton "journal" .

Contente-toi d'y parler des gens que tu intéresses, de tes amis et de tes relations. Jusqu'à preuve du contraire, je n'appartiens à aucune de ces trois catégories.

Merci d'avance.

J'aime beaucoup les guillemets à “journal”.


Mardi 22 novembre

Midi et quart. – Je viens de recevoir l'appel téléphonique libérateur de Nathalie, m'apprenant que, malgré la mort de la veuve Mitterrand, on se passera fort bien de moi aujourd'hui au rewriting. Je vais donc pouvoir me consacrer à mes travaux les plus urgents – c'est-à-dire à aucun.

– En principe, nous devrions aller à Sedan le week-end du 3 décembre, sous réserve que Maître Yanka soit disponible à déjeuner le dimanche 4 : j'attends sa réponse par mail. En fait, ni mes parents ni nous ne tenions particulièrement au week-end, mais les occupations de Catherine au presbytère étant de plus en plus prenantes, il n'était pas possible que nous y allassions en milieu de semaine. Nous en profiterons pour donner mon Journal 2010 imprimé à mes parents,

(Interruption de quelques minutes, le temps de choisir, pour illustrer mon micro-billet du jour, l'une des photos faites hier par Catherine à Jumièges.)

… à mes parents, mais dûment emballé et avec la recommandation de ne pas l'ouvrir avant le moment de la distribution des cadeaux de Noël, qu'ils fêteront chez eux avec Isabelle, Olivier et, je crois, Clémence.


Mercredi 23 novembre

Cinq heures. – Matinée épouvantablissime : parti à neuf heures et demie de la maison, je ne suis arrivé à Levallois qu'à une heure moins dix, soit un trajet de trois heures vingt au lieu d'une – le plus éprouvant étant qu'il m'a fallu deux heures et demie pour parcourir les quinze derniers kilomètres.

Avant même le départ du Plessis, Roselyne m'avait signalé que la route était “coupée” à 71 km de mon point de départ. J'en avais déduit (à juste titre) que le souterrain de la Défense devait être fermé, pour une raison inconnue – et qui l'est d'ailleurs restée, au moins pour ce qui me concerne. L'information ne m'a pas spécialement alarmé dans la mesure où j'ai vécu trois semaine au mois d'août sans ce fameux souterrain et que le raccord avec l'A86 me permettant de rejoindre Levallois par Colombes et Courbevoie ne m'a jamais posé le moindre problème. La seule erreur, ce matin, a été de ne pas suffisamment me rappeler que cette précédente fermeture avait eu lieu précisément au mois d'août, c'est-à-dire à l'époque la plus creuse de l'année.

Ce matin, donc, peu avant l'embranchement de l'A13 et de l'A14, un petit panneau triangulaire ordinaire se contentait de signaler laconiquement un “bouchon” sur la seconde de ces deux autoroutes, mais sans rien préciser d'autre. Il va de soi que si la SAPN avait pris la peine d'indiquer – ce qu'elle fait à plaisir lorsque la circulation est fluide et que, donc, l'information ne sert à rien – que le boulevard périphérique se trouvait à deux heures et demie de trajet au lieu des quinze minutes habituelles, je serais bien évidemment resté sur l'A13 jusqu'au pont de Sèvres. Mais cela aurait manqué de charme, évidemment.

J'ai donc commencé par passer une heure et quart sur ce ruban d'asphalte d'à peine quinze kilomètres : première, arrêt, première, arrêt – jamais au-delà. Après, une fois quittées l'A14 puis l'A86, bien évidemment, la situation ne pouvait pas s'arranger, dans la mesure où nous étions des centaines à nous précipiter sur les mêmes carrefours (déjà rendus problématiques par les travaux du tramway), nous engouffrer dans les mêmes goulets d'étranglement.

Naturellement, lorsque je suis arrivé, mon premier travail a été d'appeler Catherine qui se consumait d'inquiétudes de plus en plus mortelles, à mesure que l'hypothèse d'un simple “bouchon” lui paraissait moins probable. Ce fut d'ailleurs le seul, de travail, car Nathalie, voyant que je n'arrivais décidément pas, avait expédié seule le peu que nous aurions dû faire à deux. De plus, la détente nerveuse se produisant tout de même, au bout d'environ une heure, je me suis retrouvé aussi fatigué que si je venais de conduire sept ou huit cents kilomètres d'une traite. Si bien qu'après avoir déjeuné rapidement d'un sandwich à mon bureau, j'ai pris la décision de rentrer – en serrant les miches à la pensée que le damné souterrain pouvait très bien ne pas être encore rouvert – mais il l'était.

Personne ne sera surpris que, proposant le vote à main levée d'un apéritif vespéral, j'aie pu bénéficier d'une écrasante et enthousiaste majorité.

La moralité de tout cela est que j'ai passé environ quatre heures et demie dans ma voiture – et dans des conditions rien moins que plaisantes – absolument en pure perte puisque ma présence à Levallois s'est avérée inutile au dernier degré.

– Pour changer de sujet, je ne crois pas avoir noté ici que j'avais reçu de la “branche retraite” de la Sécurité sociale, un récapitulatif complet de ma situation. D'où il ressort que j'aurai mon compte de trimestres en septembre 2016, soit à 60,5 ans. Et que ma retraite – sauf changement de ma situation d'ici là ou effondrement des dites retraites – sera égale à 2900 € brut, soit 2650 € net, prise à 62 ans. Si l'on ajoute à cela les brimborions de retraites française et canadienne auxquelles Catherine a droit, nous devrions dépasser les trois mille euros de revenus net mensuels, ce qui est plus, assez nettement plus même, que ce que je me figurais. Mais, évidemment, il serait mieux, pour cela, que la France ne fasse pas faillite et que l'on n'emploie pas une part de plus en plus grande de nos maigres ressources à entretenir nos légions de parasites sub-méditerranéens. On verra.


Jeudi 24 novembre

Trois heures et demie. – Je reviens sur mon “Grand Embouteillage” d'hier. Il n'était évidemment pas le premier que j'aie eu à subir dans ma longue carrière d'automobiliste – même si très peu, à mon souvenir, ont eu une telle ampleur. Eh bien il s'est produit pour celui-ci ce qui s'était passé pour ses prédécesseurs : alors que je suis capable – Catherine en témoignera sans peine – de m'énerver au-delà du raisonnable pour quatre ou cinq voitures bloquant un carrefour durant trente secondes, dès que les problèmes dépassent un certain niveau de nuisance, je deviens brusquement, mais vraiment d'une minute sur l'autre, d'une zénitude absolue, d'un fatalisme de brahmane. Plus rien, absolument rien n'est alors susceptible de me faire sortir de moi-même : je deviens acceptation pleine, pure attente.

– J'ai terminé hier le Jésus de Petitfils (hormis les quelques “annexes” qui me restent à lire), qui est vraiment un ouvrage remarquable à tous points de vue. Et, une fois de plus, on enrage de ce qu'on ne va pas retenir le tiers du quart de ce qu'on vient de lire. Je pense que, dès demain, je vais revenir à La Varende, dont le père B., hier, par mail, me demandait ce que j'en avais pensé.

– Comme il est désormais de coutume, cette après-midi levalloisienne s'annonce longue et morne ; je me répète en boucle que je serai en vacances la semaine prochaine afin de m'aider à la faire passer – mais cela ne marche qu'à moitié, et de moins en moins à mesure des heures, comme un vieux poison à demi éventé.

– Hier soir, se couchant la dernière, Catherine a oublié de mettre la télécommande hors de portée de nos divers bestiaux, comme je le fais, moi, scrupuleusement chaque soir. Ce matin, elle l'a retrouvée en miettes, littéralement. Le coupable est forcément Elstir, puisque les deux autres chiens dorment dans le salon, porte fermée, et que je vois mal Golo se livrer à une déprédation aussi franche et massive. Le résultat est que, comme au beau temps de notre jeunesse, nous allons, ces prochains soirs, changer de chaîne à la main, mais en plus après nous être déplacés. Dans ces conditions, évidemment, pas question de “zapping dodo”, tel que je le pratique presque chaque soir, juste avant la dormition.

– J'ai reçu hier, en fin de journée, un appel téléphonique de François Rochechouart, qui s'est considérablement excusé de ne pas m'avoir recontacté plus tôt (emploi du temps surchargé, problèmes imprévus, etc.). Yapadsoussi, lui ai-je en substance répondu, cependant qu'il m'assurait vouloir toujours me faire une proposition financière et m'envoyer un article à récrire en guise d'essai. Comme je suis en vacances la semaine prochaine (et hop ! un p'tit coup de mantra…), ce serait bien qu'il passe à l'exécution lundi ou mardi, ce qui me laisserait le temps d'expédier le travail avant de partir pour les Ardennes, samedi.

Huit heures. – J'ai décidé, cet après-midi, que Catherine et moi allions arrêter de fumer le 2 janvier prochain, et je le lui ai annoncé. Pourquoi cette date ? D'abord parce que. J'arrête quand je veux. Quand je peux. Néanmoins, ce deux janvier correspondra, comme chaque année, à l'anniversaire de ma mère. Il est aussi le début d'une année, ou presque. Bien entendu, le premier janvier aurait eu plus de cohérence symbolique. Oui, mais alors fuck : si on doit arrêter de fumer au tournant de l'année, on va évidemment se faire un vrai petit réveillon le 31 (décembre). Et, par conséquent, on ne sera pas en état d'arrêter de fumer le premier du mois suivant. Donc, voilà.

Il se trouve en tout cas que j'en ai marre de retousser et recracher mes bronches. Et surtout :  depuis que j'ai reçu mon relevé de retraite (ça s'appelle comme ça ?), j'ai envie d'en profiter un peu. Donc, de ne pas mourir tout de suite. Je sais bien que c'est absurde, mais enfin…

Après tout, qui m'empêche de vouloir vivre un peu plus ? Et, du reste, un peu plus que quoi ? Que qui ? Voilà un sujet de pensée qui me sépare radicalement de mes amis plus jeunes : ils ne peuvent pas se préoccuper de cela ; et je ne peux rien leur en dire ; nous sommes donc dans l'impossibilité de parler des choses les plus essentielles, qu'ils découvriront quand le temps sera venu pour eux.


Vendredi 25 novembre

Quatre heures moins le quart. – Je viens de terminer les “annexes” du livre, décidément précieux, de Jean-Christian Petitfils. Ce qui m'a donné l'idée de proposer une série pour FD à Philippe B, sur les reliques de la Passion, à savoir la tunique d'Argenteuil, le suaire d'Oviedo et, bien entendu, le linceul de Turin qui mériterait deux doubles pages rien que pour lui.

(Au moment où j'achevais d'écrire le paragraphe précédent, Philippe B répondait à mon mail, pour me dire que nous en parlerions de vive voix mercredi prochain – ce qui ne sera pas possible, à moins qu'il ne me téléphone, puisque je ne serai pas à FD. Mais enfin, il n'a pas dit non, ce qui est déjà bien.)

– Ce matin je me suis arrêté à Pacy, chez le “concessionnaire” (je ne suis pas sûr que le terme soit approprié en la circonstance) Canal-Sat afin d'y récupérer une nouvelle télécommande, Elstir ayant déchiqueté l'ancienne. Non seulement on m'en a donné une, mais on me l'a réellement donnée. Alors que l'ustensile coûte une dizaine d'euros sur internet. Le principal est que nous allons de nouveau pouvoir regarder des films étrangers en VO sous-titrée, ce qui était devenu impossible.


Samedi 26 novembre

Onze heures du matin. – En prévision de notre nouvel arrêt du tabac le 2 janvier prochain, j'ai commencé, ce matin, par supprimer le cendrier et les cigarettes qui se trouvaient ici, dans la Case, afin d'éradiquer dès maintenant quelques-uns des automatismes les plus difficiles à supprimer : désormais, si je veux fumer, je dois quitter ce bureau et me rendre jusqu'à la maison, ce qui supprime de facto un certain nombre de fumaillages inutiles et, en fait, pas vraiment désirés. Lorsque je reprendrai le travail, le 7 décembre, je compte bien faire la même chose avec la voiture (je veux dire par cette phrase maladroite que je vais m'astreindre à ne plus fumer au volant).

Huit heures moins le quart. – Plutôt que de me débarrasser de l'article sur Renaud, j'ai préféré ouvrir le livre de La Varende intitulé Grands Normands et y lire pour commencer la dizaine de textes qu'il consacre à Flaubert. Avant cela, dans sa courte introduction au volume, j'étais tombé sur cette anecdote qui continue de me ravir :

« J'ai connu la princesse de M… Elle trompait outrageusement son confiant mari. Après la mort du prince, cette ardente personne tint, à toute force, malgré les supplications de sa famille et les pleurs de ses enfants, à épouser son dernier amant, hélas ! si jeune. Quelqu'un lui dit : “ Mais voyons… épargnez-nous ce scandale… Du temps du pauvre Guy, vous n'aviez pas de tels scrupules… ”. Le conseilleur lui proposait, en somme, de continuer… La princesse eut cette réponse : “ Du temps où Guy vivait, j'arrivais à lui cacher mes liaisons. Maintenant qu'il me voit, ce n'est plus possible ”… Je salue, bien bas, la princesse moustachue, et remariée. »

La Varende met Salammbô au-dessus de tout,  alors que j'ai toujours trouvé ce roman fort ennuyeux et “clinquant”, la première fois que je l'ai lu, vers 18 ou 19 ans, mais aussi à seconde lecture, il y a quatre ou cinq ans je crois – peut-être un peu plus. Ce n'est pas cette divergence d'appréciation qui me gêne mais deux petites choses annexes : d'abord le fait que, à en croire La Varende, je me trouverais en plein accord avec Émile Faguet, ce qui m'ennuie ; et ensuite que les raisons d'admirer qu'il donne me troublent beaucoup en ce sens qu'elle me font soupçonner être totalement passé à côté de cette œuvre. Bref, je vois arriver le moment où il me faudra lire Salammbô pour la troisième fois, ne serait-ce que pour lever l'incertitude, dans un sens ou l'autre.

Il est d'une dureté vis-à-vis de Maupassant qui me semble bien près de l'injustice, mais je ne suis qu'au milieu du premier texte consacré à cet autre “Grand Normand”, donc attendons. Le troisième – et en fait le premier par ordre à la fois chronologique et d'apparition dans le livre – est Barbey d'Aurevilly, dont je suis presque certain de n'avoir jamais rien lu d'autre que Le Rideau cramoisi. Encore ne suis-je pas sûr de ne l'avoir pas abandonné au beau milieu. Mais j'ai acheté il y a deux ou trois semaines Le Chevalier des Touches, que je vais lire avant d'aller voir ce qu'en dit La Varende.

– J'ai commandé tout à l'heure deux livres, découverts dans la NRH de ce deux-mois-ci : celui de Reynald Secher sur le génocide et ce qu'il appelle le “mémoricide” vendéen, et celui de Michèle Cointet sur Vichy. J'ai même fait un petit billet sur le blog-mère pour l'annoncer, ce qui n'a rigoureusement aucun intérêt, et est même “limite foutage de gueule”, comme dirait Marcel Meyer imitant Renaud Camus dans ses moments de bouffonnage.

– J'ai oublié de dire, hier, que Philippe B m'avait commandé quatre feuillets (6000 signes) sur Renaud (le chanteur) à écrire pour lundi matin. Je vais probablement m'en débarrasser dès cet après-midi. Et, dimanche, sans doute commencer le prochain BM, bien que la pénible branquignolette qui remplace Marie-Thérèse chez Vauvenargues ne m'ait évidemment pas envoyé les contrats qu'elle m'avait pourtant promis. De toute façon, comme GdV ne paie plus depuis deux mois…


Dimanche 27 novembre

Sept heures et demie. – Ce soir, l'une de nos chaînes vouées au cinéma rediffuse La Chute, ce film austro-allemand qui relate les derniers jours de Hitler dans son bunker, avec Bruno Ganz dans le rôle principal. Je l'avais vu peu après sa sortie, et déjà à la télévision, mais Catherine avait refusé de le regarder, au prétexte qu'on allait y voir la femme de Goebbels empoisonner la totalité de ses enfants avant de se suicider avec son mari, perspective qui la glaçait. Tout à l'heure, constatant la basse indigence des programmes proposés, elle s'est résignée à le voir, après que je lui eus assuré que la scène en question était parfaitement sobre, pour ne pas dire éludée. « Oui, peut-être, me répond-elle, mais c'est l'idée de l'acte qui me révulse. En plus, ils en avait beaucoup, d'enfants, non ? » Alors, moi : « Oh oui ! Six ou huit, je ne sais plus… Les Goebbels, c'étaient un peu les von Crevette de l'époque… »

– J'ai évidemment remis à cet après-midi mon article sur Renaud, pour FD, alors que je m'étais bien promis de l'écrire ce matin, durant le temps que Catherine sacrifierait à la liturgie catholique, apostolique et romaine. Mais enfin, il est terminé et envoyé. Demain, je commence l'écriture du prochain BM, bien que n'ayant encore signé aucun contrat s'y rapportant.

– Après avoir terminé les Grands Normands de La Varende, j'ai enchaîné avec Le Chevalier des Touches, histoire de ne point quitter trop vite la Normandie. Et je continue à me demander pourquoi, entre 17 et 25 ans, en cette période où j'ai dévoré tous les “classiques” me passant par les mains, mon chemin n'a jamais croisé celui de Barbey d'Aurevilly. Cela dit, en cherchant un peu, et même sans doute pas tant que cela, il doit bien y en avoir d'autres pour ne pas avoir été pris dans mes filets d'alors. Par exemple, mais là on sort des classiques à proprement parler, je dois être l'une des rares personnes à n'avoir jamais lu une ligne d'Agatha Christie. Non par une volonté délibérée ou un préjugé agissant de ma part ; simplement, l'envie faisait défaut et le hasard n'y a pas suppléé. Idem pour Conan Doyle, du reste, ce qui devrait me valoir les foudres d'André, si André prenait la peine de déclencher ses foudres pour si peu.

– À propos du verbe “déclencher”, j'ai eu l'étonnement de constater que La Varende l'écrivait déclancher. Et il ne peut s'agir d'une faute d'impression car je l'ai retrouvé à plusieurs reprises et dans des livres de lui différents.

– Demain, Catherine, les trois chiens et moi allons bivouaquer ici, dans la Case, car le menuisier va passer la journée à nous installer une porte neuve à l'entrée de la maison – dans laquelle, par conséquent, il risque de faire un peu trop froid pour y demeurer au fauteuil.


Lundi 28 novembre

Sept heures et demie. – Il y a, chez Barbey d'Aurevilly certaines exagérations qui, lorsqu'on les rencontre pour la première fois, ou la deuxième, peuvent paraître ridicules, au point d'oblitérer la lecture durant une minute ou deux. Elle surviennent généralement, ces outrances, lorsqu'il s'agit d'exalter le courage ou la force d'un personnage – généralement mâle mais pas toujours. Et puis, à force de les voir revenir, une atmosphère nouvelle se crée, étrange, inattendue, mal définissable. Jusqu'à ce qu'on comprenne à quoi, par elles, nous ramène Barbey : aux épopées médiévales, aux chansons de geste, dans lesquelles il n'est pas rare qu'un chevalier, d'un seul coup d'épée, tranche tout uniment et par le milieu le cavalier ennemi et son cheval. Cet exemple m'a surgi à l'esprit juste après avoir lu le passage suivant du Chevalier des Touches (GF-Flammarion, p. 142), dans lequel il est question du chouan Juste Le Breton :

« Un jour, ici, sur la place du Château, il était entré à cheval chez un de ses amis qui logeait Hôtel de la Poste, et, ayant monté ainsi les quatre étages, il avait forcé à sauté par la fenêtre son cheval, qui, en tombant, se brisa trois jambes et s'ouvrit le poitrail, mais sur lequel il resta vissé, les éperons enfoncés jusqu'à la botte, n'ayant pas, pour son compte, une égratignure ! »

On veut bien que les plafonds de l'Hôtel de la Poste aient été particulièrement bas (mais alors comment faisait Le Breton pour circuler sous eux, juché sur sa monture ?), mais tout de même, ce saut de quatre étages…

Dans le même roman, il est question du chevalier éponyme ramenant un certain M. Jacques d'Angleterre jusqu'aux côtes normandes, dans une coque de noix tenant plus du radeau précaire que de la barque. Et il est dit que, pour s'alléger au maximum, les deux hommes se servirent pour ramer de la crosse de leurs deux fusils.

Enfin, pour revenir au Le Breton sauteur d'obstacle de tout à l'heure, lors de l'attaque de la prison de Coutances – où les douze sont venus délivrer des Touches, qui doit être guillotiné le lendemain –, il saute sur la sentinelle pour l'empêcher d'alarmer. Puis, au lieu de la tuer, il la maintient en l'air en la serrant au cou durant tout le temps que dure le coup de force de ses camarades

Mais enfin, la question qui me trotte, ayant refermé le roman, est celle de savoir si des Touches est homosexuel ou non. Peut-être d'ailleurs suis-je le dernier, pour cause de lecture tardive, à enfoncer cette porte depuis longtemps ouverte. Mais enfin… cette insistance suspecte de l'auteur à parler de sa beauté toute féminine – laquelle d'ailleurs inspire une sorte de sourde répugnance à Mademoiselle du Percy, elle-même assez “virile” dans son aspect –, à indiquer le peu d'intérêt qu'il montre aux jeunes femmes qui peuplent le récit, mais au contraire à valoriser l'amitié indéfectible et étroite entre le chevalier et le mystérieux M. Jacques… Et surtout, il y a cette étrange scène presque finale, lorsque, pour sauver le chevalier réfugié dans sa chambre, la très prude et très vierge Aimé de Spens se dénude entièrement devant sa fenêtre, afin de faire croire aux poursuivants de des Touches qu'elle est bel et bien seule chez elle : ne le fait-elle pas parce qu'elle sait que son protégé ne tentera rien pour lui ravir son innocence ? Que le regard qui ne manquera pas d'effleurer son corps ne peut rien avoir de sacrilège ? Bien sûr, on pourrait aussi imaginer qu'au contraire elle s'efforce de le tenter, parce qu'elle éprouve du désir pour lui. Mais d'une part cela ne cadre pas avec ce personnage, si entier et solennellement promis de fraîche date au fameux M. Jacques. Et d'autre part, même si elle avait voulu le tenter, le fait est qu'elle n'y réussit pas du tout.

Je me demande ce qu'en pense Renaud Camus, tiens.

– Sitôt terminé ce Chevalier des Touches, j'ai enchaîné sur Nez-de-Cuir : je suis très chouan, à c't'heure.

– C'est fait, nous avons depuis cet après-midi une nouvelle porte d'entrée à la maison. En plastique blanc, moche à en faire dégobiller un camusien de stricte obédience, mais enfin étanche à l'air du dehors et double vitrée. Les chiens étaient tout décontenancés de devoir passer la matinée dans la Case en notre compagnie.

– Bloqué, donc, devant ce clavier, j'en ai profité pour commencer le prochain BM, ainsi qu'annoncé. 20 feuillets. Je pourrais triompher de ce nombre, mais comme il ne s'est agi que de recopier sans presque rien y changer le premier chapitre d'un précédent numéro, l'exploit n'en est pratiquement pas un.

– Constaté que ma paie de fin novembre venait d'être virée (contrairement à moi qui ne parviens pas à l'être) sur mon compte. S'y ajoutent le treizième mois ainsi que deux ou trois, je ne sais, des quatre séries (théâtre de boulevard) que j'ai écrites en octobre. Montant net : 6150 €. Catherine commençait déjà à effectuer les premiers pas de la danse de la richesse, lorsque je lui ai signalé, nez sur les comptes, que d'ici deux jours on allait nous ponctionner trois mille euros de carte bleue. La danse s'est arrêtée là. On la reprendra si GdV nous verse quelque chose à la mi-décembre.


Mardi 29 novembre

Sept heures et demie. – Petite journée BM : 12 feuillets. Mais il est vrai que j'ai, cette fois-ci, tellement d'avance, que c'est tout juste si j'ai pensé à le noter. D'autre part, la méchante Marie-Thérèse m'a annoncé par mail que m'envoyer les contrats s'y rapportant, à ce BM, “était dans son programme de cette semaine”. Impressionné je suis…

– Cet après-midi m'est venue l'idée de faire un autre livre “Blurb” (non, rien à faire : je ne m'y habituerai pas) à partir des 2400 billets publiés sur le blog-mère depuis novembre 2007 (je laisserai de côté le paléo-blog qui a vécu de février à novembre de cette même année). Le gros obstacle est bien sûr qu'il va d'abord falloir tout passer en revue depuis le début, afin de ne garder que les trois ou quatre cents qui restent lisibles, ce qui va prendre un temps infini et ne sera pas forcément bien excitant. Puis, à l'intérieur de ce premier choix, en éliminer encore trois sur quatre, et enfin tâcher de les regrouper en trois ou quatre parties plus ou moins “thématiques”. Et tout ça pour quoi ? Pour qui ? Pas sûr de mener le petit au bout, finalement.

– J'ai commencé le livre de Reynald Secher (reçu ce matin) à propos du génocide/mémoricide vendéen. Lecture effrayante, un gouffre s'ouvre, là, juste devant votre fauteuil. Tous les procédés du communisme puis du nazisme, ces deux grands génocidaires, sont déjà sinon mis en place du moins testés, tentés. Tous, y compris le gazage – qui est vite abandonné : l'époque n'est pas encore assez technicienne… Même la récolte des cheveux et des dents des cadavres sont présents, certains, attestés, ainsi que le tannage des peaux humaines. Et l'on se demande (je n'en suis pas encore à la partie mémoricide) comment on a pu à ce point occulter ces horreurs – occultation dont nous portons tous plus ou moins la responsabilité – aussi longtemps et aussi presque-parfaitement.

– Je vais publier le journal d'octobre dès que je serai sorti de celui-ci, puisque nous sommes demain le dernier jour de novembre. Mais, auparavant, je suis chargé par Catherine d'aller m'enquérir auprès de Messire Google de la différence entre le vacherin et le mont-d'or…


Mercredi 30 novembre

Sept heures vingt. – Seulement huit feuillets écrits aujourd'hui, pour cause de dissipation culturelle et touristique. Le temps était si beau, à midi, lorsque Catherine est remontée du presbytère, que je lui ai proposé de nous faire déjeuner d'assez bonne heure afin que nous ayons tout le temps, ensuite, d'aller découvrir l'abbaye de Saint-Wandrille, située à 90 km d'ici, à quelques encablures de celle de Jumièges et pratiquement sous le pont de Brotonne. Il en fut fait ainsi, sauf que la seule visite guidée de la journée, à trois heures et demie, n'a lieu que du printemps à la Toussaint, ce dont j'avais négligé de m'aviser avant de partir. Nous nous étions décidés pour celle-ci car, dirigée par un des moines de l'abbaye, nous pouvions espérer qu'elle soit un peu moins festive que ce que nous avons dû endurer au Mont Saint-Michel. Festive, en effet, elle ne le fut pas du tout. C'est d'autant plus dommage que, en visite libre, on ne voit vraiment pas grand-chose de l'abbaye, pour ainsi dire rien de ses bâtiments du XVIIe siècle, et le cloître reste tout à fait invisible. La seule chose accessible, hormis le cadre dans lequel s'inscrit l'abbaye, la vallée de la minuscule rivière Fontenelle, qui donna son premier nom à l'abbaye, ce sont les ruines de l'abbatiale gothique qui, si ma mémoire est bonne, doit dater du XIIIe siècle, peut-être même du XIVe. Mais n'en reste pour ainsi dire que la partie nord du transept : le reste se devine au sol plus qu'il ne se laisse voir. En tant que ruine, Saint-Wandrille ne saurait rivaliser avec sa voisine Jumièges. Mais enfin, la promenade fut tout de même fort belle et a clos ce mois d'une façon plus agréable que si j'étais resté devant ce fichu écran lumineux.

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