lundi 31 janvier 2011

Décembre 2010







APRÈS DISSIPATION
DES BRUMES MATINALES











Mercredi 1er

Quatre heures. – Je retranscris ici le billet que je viens de faire sur le blog-mère, considérant finalement qu'il a davantage sa place dans le journal, étant peu écrit (et pas davantage pensé) :

À la page 251 des Demeures de l'esprit – France du Nord-Est, je tombe sur ce début de paragraphe :

« J'ai bien peur qu'il n'y ait pas grand-chose à dire de la maison natale de Claude Gellée, dit le Lorrain, à Chamagne, village du département des Vosges mais situé tout à fait dans la plaine, à l'ouest de la chaîne éponyme – c'est terrible, on n'ose plus employer cet adjectif, depuis qu'il signifie tout et n'importe quoi (un peu comme surréaliste) ; mais, en l'occurrence, c'est bien éponyme que je veux dire. »

Rien de plus irritant, en effet que ces mots dévoyés, le plus souvent – et c'est le cas ici – par les ânes apprêtés qui encombrent les salles de rédaction. Il y a bien deux ans maintenant que mes doigts restent en suspens au-dessus du clavier chaque fois que ce pauvre éponyme demande à être choisi, et même requiert de l'être. Ne tenant pas à passer pour un perroquet médiatique, je m'abstiens généralement de l'utiliser et m'efforce de tourner autrement ma phrase – mais c'est irritant de devoir ainsi descendre du trottoir pour laisser aller les brutes.

Il y a quelques années – j'en ai peut-être déjà parlé, mais répéter n'est pas mauvais –, j'ai dû bannir de la même façon la locution sauf à, qui, après avoir tout à fait disparu du langage, au moins de celui que l'on parle, a brusquement opéré un retour, mais défiguré par le mâchouillage des mandibules journalistiques – au point que son sens est devenu à peu près le contraire de ce qu'il avait toujours été. En français classique, la phrase : Je ferai ma promenade quotidienne sauf à être trempé devrait signifier, a très longtemps signifié : Je ferai ma promenade quotidienne dussé-je être trempé (puisque “sauf à” est synonyme de “quitte à”). Or, désormais, tout le monde comprendra : Je ferai ma promenade quotidienne à moins que je doive être trempé. Partant, on est bien obligé de laisser tomber cette malheureuse locution, pourtant d'une élégante sobriété, sous peine d'être compris de travers ou de passer pour un plouc, au moins à ses propres yeux. Et il en va désormais de même, en effet, pour éponyme.

Il reste que Renaud Camus et moi devrions peut-être nous montrer un peu moins soucieux de l'opinion d'autrui, pour tout dire un peu moins snobs. Assurés d'employer le mot dans son acception correcte, pourquoi tendre l'oreille aux remarques ironiques et l'œil aux sourires en coin ? Il faudrait savoir passer outre. Comme dirait l'autre : quand on sait que l'on ne doit pas couper la salade avec son couteau, on peut couper la salade avec son couteau. Et il ne faudrait pas renoncer à éponyme, sauf à se faire moquer de soi.


– Mes ennuis urinaires ne s'étant nullement arrangés – je me suis levé trois fois cette nuit pour pisser, et chaque fois en évacuant un peu de sang sur la fin de la miction –, Catherine m'a pris rendez-vous chez son médecin dès ce matin, lequel médecin m'a mis aux antibiotiques et envoyé au laboratoire pour analyses d'urine. Je dois le revoir samedi matin avec les résultats. J'en ai profité pour ne pas aller travailler aujourd'hui.

Du reste, je ne sais pas si je pourrai y aller demain non plus car, depuis ce matin, entre le moment où je sens que je ne vais pas tarder à devoir aller pisser et celui où je ne puis plus me retenir de le faire, il ne s'écoule (!) pas davantage que trente secondes. Je vois mal, avec un tel handicap, comment je pourrais passer une heure dans la voiture pour me rendre à Levallois. On verra demain matin si le Spasfon a commencé d'agir, comme il est censé le faire.

– Au téléphone (je l'avais appelé pour l'informer de ma défection), Brice m'a dit que nos instances de commandement souhaitaient me confier une série d'articles supplémentaires. C'est une bonne nouvelle financière, mais comme il m'a avoué n'avoir pas réussi à en comprendre exactement le thème, c'en est déjà une moins bonne. Et puis, bien évidemment, il va me falloir écrire ces quatre ou six doubles pages en urgence, comme chaque fois.

– Catherine part samedi matin pour la Franche-Comté, afin de rapporter ici le mouton que sa sœur a élevé pour nous et que son boucher doit venir tuer et découper ces prochains jours. Je vais donc passer trois jours seul, et je me demande si je ne vais pas en profiter pour m'autoriser une petite entorse alcoolique. D'un autre côté, m'en dispenser aurait tout de même plus de panache. On verra samedi.

(J'allais mettre cet ordinateur en veille pour retourner à la maison, mais Catherine vient de faire irruption dans le but de se livrer à une petite séance de repassage. Du coup, pour ne pas avoir l'air de quitter la Case au moment où elle y entre, je vais procéder à une première relecture du journal de novembre, au moins pour en corriger les fautes de frappe et d'orthographe.)

– Depuis plusieurs heures déjà, il tombe de minuscules flocons nonchalants, très clairsemés, qui semblent ne songer ni à s'arrêter ni à intensifier leur chute. Il fait semblant de neiger.


Jeudi 2

Huit heures moins le quart. – Pas bougé de la maison encore aujourd'hui : la conjonction très bienvenue entre la neige tombée durant toute la nuit et mes problèmes urinaires a fait que tout le monde a parfaitement compris que je ne bouge pas de chez moi. Je me suis retrouvé préposé au télétravail et, de fait, j'ai eu un article à reprendre, ce qui a occupé une vingtaine de minutes de mon temps.

– Depuis le milieu de la journée, j'ai repris un contrôle à peu près total de ma vessie et des petits rouages mystérieux qui doivent s'y trouver logés. En revanche, la sensation de brûlure persiste quand je pisse, surtout vers la fin (comme dans le supplice du pal).

– Terminé les Demeures de l'esprit et enchaîné immédiatement sur les Rituels de Cees Nooteboom. J'en ai fait un petit billet sur le blog-mère, qui ne mérite pas, me semble-t-il, d'être mis en lien ici.

– À propos du blog, il se trouve encore, aujourd'hui, un commentateur (Duga) pour suggérer que tout le monde se porterait mieux si je consignais Georges à la porte. Je suis toujours assez mal disposé envers ces gens qui ne se contentent pas d'avoir un avis personnel mais prétendent toujours, pour impressionner l'interlocuteur, et peut-être se rassurer eux-mêmes sur je ne sais quelle légitimité, parler au nom de, être des porte-parole, des représentants. D'une certaine manière il a raison, ce Duga : je sais bien qu'il ne serait pas le seul à faire sauter un bouchon si je privais Georges de parole chez moi. Et alors ? Encore une fois, ils pourraient bien représenter les neuf dixièmes de mes lecteurs ou davantage que cela ne me ferait pas varier d'un pouce ; au contraire, même, sans doute.

– Demain, il va bien me falloir aller à Levallois, tout de même. Et, après-demain, Catherine part pour la France-Comté (et pour quatre jours tout à la fois). La question qui m'occupe, je l'ai déjà notée mais elle m'occupe toujours : vais-je m'accorder une entorse alcoolique ou non ? Vraiment, je n'en sais encore rien. C'est presque comme si la réponse ne dépendait de moi en aucune façon.

– Si Dieu existe, la plupart des comparaisons auxquelles nous requérons sans même y penser deviennent absurdes, sans fondement aucun. Dieu étant infiniment grand (s'il est), ça n'a pas de sens, par exemple, de dire que le soleil est plus gros que la terre, les deux étant par comparaison avec leur créateur infiniment petits – donc rigoureusement égaux. Il en va de même pour nos "plus intelligent que", "moins beau que", etc. En ce sens, cette manie de comparaison pourrait être d'origine diabolique, dans la mesure où s'y livrer, et plus encore la tenir pour vérité, ou au moins pour pertinente, revient à nier Dieu, ou au moins à l'oublier, à ne plus le voir comme unique mesure de toute chose. Mais je me retrouve là sur un terrain que je ferais mieux de quitter au plus vite avant de m'y embourber tout à fait.

– Ce soir, Quai des brumes : je suis curieux de voir si ce film supporte encore d'être vu, si on peut encore le regarder simplement comme un film parmi d'autres.


Vendredi 3

Sept heures et demie. – Semaine terminée sans que j'ai eu la claire conscience de son commencement. À FD, je me suis fait refiler une série non prévue au programme (je veux dire : au mien), dont le thème est si nébuleux que je peine à le définir. Disons que cela concerne les génies (au sens très large...) qui ont souffert d'une maladie à leur époque incurable, et dont on les soulagerait plus ou moins aujourd'hui. À l'affiche : Sarah Bernhardt et sa jambe de bois, Jouvet et son bégaiement, Camille Claudel et sa schizophrénie, Albert Einstein et son autisme (dont j'ignorais d'ailleurs l'existence). Le problème est que deux de ces quatre cas (Claudel et Einstein), la science d'aujourd'hui ne les guérirait pas davantage. Enfin bon. Tout cela sort d'un livre qui vient d'être publié, et qui a atterri à la rédaction, fait par un zigoto qui, je crois bien, présente une émission plus ou moins médicale à la télévision. L'important pour moi est que cela sera vite fait et sans difficulté majeure à première vue. Étant seul jusqu'à mardi, je compte mettre ce temps à profit pour faire bien avancer ce chantier-là. Car, naturellement, tout cela est extraordinairement pressé, urgent, etc. Cela devrait faire deux mille euros assez facilement gagnés et ce n'est pas à négliger.

– Depuis que, pour des raisons d'économie, Catherine et moi avons décidé de n'avoir plus qu'une carte de paiement pour deux, celle-ci ne se trouve jamais dans la poche de celui de nous qui en a besoin. C'est énervant.

– Je me sens très fatigué depuis environ deux heures, et sans aucune raison particulière de l'être. Le froid ? La conjonction infection + antibiotiques ?

– Cet après-midi, à quatre heures, rendez-vous téléphonique, comme on dit maintenant, avec Mme Bruno, ma “gestionnaire de comptes” au Crédit mutuel, afin de liquider mes divers crédits restants, et notamment l'immobilier qui est bien sûr le plus important. Apparemment, une fois en main le fax que je lui ai adressé aussitôt après avoir raccroché, c'est elle qui s'occupe de tout.


Samedi 4

Deux heures et demie. – Catherine était censée arriver à Dijon vers une heure (étant partie à huit heures ce matin). Or, il est deux heures et demie passées et elle n'a toujours pas appelé, comme elle devait le faire. Voilà deux fois que je compose le numéro de son portable et elle ne répond pas – ce qui est normal si elle conduit, mais elle pourrait bien s'arrêter sur une aire de repos afin de me rappeler. Il est tout de même curieux qu'elle, qui commence à s'inquiéter si j'ai plus d'un quart d'heure de retard lorsque je reviens de Levallois, ne semble pas effleurée par l'idée que je puisse moi aussi me faire un sang tournant à l'encre, alors qu'elle a quatre cents kilomètres à parcourir dans des conditions climatiques peu rassurantes.

– Sinon, pour parler de choses moins pesantes, elle m'a appelé vers dix heures et demie, alors que je rentrais tout juste de chez le médecin et du Super U, pour me dire qu'elle venait d'entrer sur l'A 10, quelques kilomètres avant Artenay. Là, elle me demande : « Tu t'es acheté de quoi boire ? » Ma réponse a fusé avant même que j'ai eu le temps d'y penser : « Non ! » Alors que, oui, je me suis acheté une bouteille de Ricard. Pourquoi ai-je dit non, alors que je sais fort bien qu'elle n'aurait vu aucun inconvénient particulier à cette entorse ? Il y a des jours où ma gaminerie m'afflige un peu. Et d'autant que, bien entendu, lorsqu'elle rentrera, je ne tenterai absolument pas de lui dissimuler les quelques verres pris en son absence.

À peine était-elle partie, ou plutôt moi revenu de mes quelques activités matinales, que le temps et les choses ont commencé, comme chaque fois, à se détraquer subtilement. Premier signe : je me suis occupé de préparer mon déjeuner à midi tapante, ce qui est beaucoup trop tôt – ou en tout cas nettement plus tôt que d'ordinaire. Ensuite, les minutes se sont mises à s'allonger avec démesure et j'ai eu la certitude qu'il se passerait des éternités mornes avant de pouvoir atteindre à la soirée.

(Je m'interromps : le silence abusivement prolongé de Catherine m'empêche absolument de songer à ce que je voulais dire.)

Quatre heures dix. – Il y a environ une demi-heure, mon inquiétude pour Catherine s'est soudain muée en une sorte de fureur contre Catherine. quand je me suis rendu compte, suite à un coup de fil à Nathalie (qui n'a pas plus de nouvelles que moi, soit dit en passant), que s'il lui était arrivé quelque chose, comme on dit, je serais déjà prévenu depuis longtemps. Donc, c'est ça : elle est tout tranquillement occupée à finir de déjeuner chez son amie dijonnaise, et pas un seul instant ne l'a effleurée l'idée que, peut-être, j'aurais aimé être rassuré après ses quatre cents kilomètres effectués dans des conditions difficiles, ou au moins hasardeuses. Encore une fois, pour quelqu'un qui s'inquiète aussi facilement lorsque c'est son tour d'attendre, je trouve ça plutôt saumâtre. Je me demande si, à titre de punition, je ne vais pas lui faire croire que je suis ressorti acheter du Ricard uniquement pour diluer l'angoisse dont elle est la seule responsable…

– Grâce à Jérôme Vallet, je viens tout juste d'apprendre que l'on pouvait faire de vrais points de suspension autrement qu'en tapant trois fois de suite la touche “.”. Il suffit de taper alt + ; et ça donne : “…” Magique…

– Le froid semble derrière nous : depuis environ une couple d'heures tout s'est mis à fondre. Et c'est heureux car, ce matin, après la pluie verglaçante, la terrasse était devenue une véritable patinoire : je me tenais aux deux rampes pour descendre les huit marches menant au jardin, comme un gros vieillard cacochyme.

– Je vais profiter de mon apéritif de ce soir pour réécouter le disque de Jérôme et noter tout ce qui me passera par la tête, afin d'accumuler une sorte de matériau brut en vue du texte que je me suis engagé à lui fournir. Dont je comptais bien me “débarrasser” durant ce week-end solitaire, mais qui va sans doute attendre le suivant, pour cause de nouvelle série à écrire pour FD : priorité aux commanditaires payeurs…


Dimanche 5

Quatre heures et demie. – Et, finalement, Catherine m'a appelé comme une fleur à cinq heures de l'après-midi ! Elle avait simplement oublié de le faire en arrivant à Dijon. Je n'ai mis aucun frein à mon humeur pour lui faire savoir ce que je pensais d'un tel “oubli”. Enfin, j'imagine que je peux lui rendre grâce d'avoir plaidé coupable plutôt que d'essayer de mettre debout une excuse à la noix.

– Journée grise et très pluvieuse aujourd'hui (je parle du temps, pas de mon humeur). Ce matin, la neige avait presque totalement disparu, n'en restait plus que quelques traces sur les pans de toiture exposés au nord, que la pluie s'est ensuite chargée de faire fondre.

– Bien entendu, je n'ai même pas fait mine de m'intéresser au travail que j'étais censé commencer aujourd'hui pour FD. Cela étant, il va bien falloir m'y mettre demain.

– L'apéritif d'hier soir, pourtant bien léger si je le compare à ceux d'avant l'arrêt, a produit les effets attendus : commencé entre six heures et six heures et demie, il m'a envoyé au lit dès huit heures et demie. Là-dessus, douze heures de sommeil, pas moins. Il me semble que j'ai bien fait de mettre fin aux apéritifs systématiques, puis de cesser tout à fait de boire : les effets de l'alcool devenaient vraiment de plus en plus lourds et durables.

– À propos d'arrêt, lorsque je suis retourné voir le médecin de Catherine, hier matin, je lui ai demandé de me prescrire du Champix, cette drogue au nom ridicule qui, paraît-il, donne de bons résultats pour ceux qui souhaitent arrêter de fumer. La boîte de pilules est désormais à la maison, il ne reste plus qu'à prendre la décision. Et, là, le combat s'annonce autrement plus rude que dans le cas de l'alcool.


Lundi 6

Cinq heures. – Visite chez le vétérinaire avec Elstir, tout-à-l'heure. Cet idiot a des problèmes de peau et, d'après le praticien, il devrait en avoir toute sa vie. Charmant. Il pèse désormais cinquante kilos et, sa croissance étant finie, il va s'agir de lui réduire un peu les portions de croquettes.

– La banquière, Mme Bruno, a parfaitement bien travaillé dans le sens que je lui avais indiqué, c'est-à-dire que mes divers crédits, hors celui pour la Mégane, sont désormais remboursés. De la vente du studio il nous reste donc douze mille euros, mais environ quatre mille vont partir très vite, dans les appareils auditifs de Catherine. Non remboursés bien entendu : on ne peut pas à la fois soigner gratuitement les clandestins et rembourser les cotisants, ce serait trop facile…

– Troisième jour de solitude et, déjà, je sens qu'il est temps que Catherine rentre (ce sera fait demain midi) : je tourne en rond, ne prend même pas de plaisir à lire ; et, bien entendu, je n'ai absolument rien fait pour la série que Philippe B. m'a confiée. Or, le premier des quatre volets (Einstein) doit absolument être prêt mercredi matin ; donc, pas le choix de m'y mettre demain.

– Je me suis commandé trois livres de Kawabata : Les Belles Endormies, Le Maître ou le tournoi de go ainsi que sa correspondance avec Mishima. J'ai possédé Tristesse et Beauté durant des années et, là, plus moyen de mettre la main dessus. Mais à qui ai-je pu prêter ce livre ? C'est tout à fait incompréhensible, cette manie qu'ont certains volumes de disparaître ainsi.


Mardi 7

Cinq heures. – Catherine est arrivé à trois heures et quart au lieu d'une heure et demie comme prévu : elle s'est retrouvée bloquée sur une aire de l'autoroute A 19 par un camion qui lui-même a trouvé le moyen de ne pas réussir à quitter cette aire, ce qui me surprend mais est bel et bien arrivé. Le temps que le personnel d'entretien et les gendarmes arrivent, débloquent, sécurisent, etc., elle a perdu près d'une heure et demie.

– Tout à l'heure, dernier petit apéritif avant le retour à l'eau plate.

– En tout début d'après-midi, j'ai écrit mes huit mille signes consacrés à Albert Einstein, ce qui m'a pris une heure et demie, c'est-à-dire à peu près comme d'habitude.

– Depuis hier, je relis La Carte et le Territoire, le dernier roman de Houellebecq. Je ne comprends décidément pas comment on peut parler de son “indifférence au style” (encore dans le numéro de La Nef qui vient de m'arriver). Toujours est-il que, parce que le personnage de Houellebecq en parle à Jed Martin, dans le livre, j'ai commandé trois livres de Jean-Louis Curtis, un roman et deux volumes de ses pastiches, que je me souviens avoir lus il y a une trentaine d'années.

– Mail de Joseph Vebret, hier ou avant-hier, pour me signaler un article de Rue 89 consacré à FD. Je lui ai proposé que nous déjeunions (ce sera le 15, à Levallois) en lui signalant que nous serions désormais deux à boire de l'eau. Lui m'a répondu qu'il avait en plus arrêté de fumer, tout seul, et que cela l'empêchait absolument d'écrire – ce qui est fâcheux vu qu'il s'agit de son gagne-pain. J'espère pour lui que cet aspect du sevrage ne va pas durer trop. Quant à moi, j'ai prévu de commencer le Champix vendredi et, donc, d'arrêter la cigarette le vendredi d'après. Et, cette fois, j'ai la ferme intention de m'arrêter vraiment.


Mercredi 8

Sept heures et demie. – Belle journée de merde, avec cette neige qui a commencé à tomber drue dès onze heures du matin, et à tenir à partir de midi. Si j'avais été seul je serais rentré dès une heure, voire avant, mais il se trouvait que Ludovic arrivait de Rennes aux alentours de deux heures et que je devais l'attendre. Finalement, nous avons quitté Levallois vers trois heures et quart et n'avons mis qu'une heure et demie au lieu d'une seule. Et c'est Catherine qui a proposé un apéritif (il restait du whisky d'hier...) alors que je n'y songeais pas. Déjà, à midi, faute de bento, j'étais allé me nourrir d'un cheeseburger à L'ambiance d'à côté. Là, je repère une femme, de profil, assez loin de moi, et me dit : « Tiens, on dirait Flavia… » Flavia A. : le dernier vrai coup de cœur de ma vie, il y a une vingtaine d'années, à cette époque qui a duré deux ou trois ans, si je me souviens bien, où j'étais encore plus ou moins célibataire “dans ma tête”, bien que vivant déjà avec Catherine. J'étais comme un paquebot courant sur son erre une fois ses moteurs coupés. Flavia, donc. Corse, comme son nom l'indiquerait si je le notais en entier, brune et pulpeuse, drôle et belle, intelligente, etc. Un coup de cœur, quoi. Non partagé, et heureusement. Repartie en Corse (où elle vit encore), divorcée comme tout le monde, remaquée comme également tout le monde – la routine.

Donc, cette femme, à L'Ambiance, qui lui ressemblait beaucoup de profil, telle que je la voyais. Soudain, elle se met à parler avec sa commensale, et, par les mouvements de ses mains, j'ai su dans la seconde qu'il s'agissait bien de Flavia. Elle m'a ensuite appris qu'elle venait passer trois jours par mois à Levallois (pour l'un des magazines du groupe Lagardère) et qu'elle vivait le reste du temps à Ajaccio. On doit déjeuner ensemble lors de son prochain passage. Si elle m'appelle, car, habilement, je me suis arrangé pour que l'initiative vienne d'elle. Elle a dit à l'amie qui déjeunait avec elle quelque chose comme : « Didier, que je vois une fois tous les dix ans. » Elle se trompe : il y a bien quinze ans qu'on ne s'est vu. De fait, je ne suis pas du tout certain d'avoir envie de déjeuner avec elle : le temps a passé...

Bref, tout cela était pour dire que, à midi, mon déjeuner fut accompagné d'une demi-bouteille d'eau sans bulles...

Quel âge a Flavia ? Bonne question. Si je me souviens bien, nous nous sommes connus vers 1990 ou 91. Elle était un peu plus jeune que moi, je crois, mais pas trop (je demanderai à Véronique, qui la connaît mieux que moi). Trente ans, sans doute. Elle doit donc avoir passé la cinquantaine depuis peu. Et alors ? Alors, rien.


Jeudi 9

Sept heures et demie. – Je n'ai jamais pris les Verts et leurs différents avatars pour autre chose que des peigne-cul, mais alors, , ils dépassent franchement les bornes du ridicule et de l'abject ! Est-il possible de descendre plus bas dans la vile soumission à ses futurs maîtres ? D'afficher plus tranquillement sa sale petite mentalité d'esclave ? Son gène de dhimmitude ? Ces gens mériteraient d'être promenés par toutes les rues de leur ville pourrie enduits de goudron et recouverts de plumes – celles des pigeons chiassards qu'ils sont devenus.

– Aujourd'hui, pour cause de trafic routier difficile, j'ai donc fait télétravail. C'est-à-dire rien, puisque rien ne s'est présenté que Brice et Anne n'aient facilement pu faire eux-mêmes. J'aime beaucoup ces quelques journées “volées” deçà, delà, lorsque le temps se met de la partie. De plus, on ne peut rien me reprocher : en restant calfeutré à la maison je n'ai fait qu'obéir aux consignes de prudence officielles, qui nous demandaient de ne pas encombrer les routes inutilement. Ah, ça, pour ne pas encombrer, je n'ai pas encombré.

Catherine, elle, a encombré jusqu'à Pacy et retour, ce qui lui (nous) a coûté la jolie somme de 250 euros, prix correspondant à l'endormissement et à la radio de Bergotte, laquelle a un peu trop tendance à boiter, retour d'agility. Le pis est que, pour cette somme rondelette, l'homme de l'art ne lui a rigoureusement rien trouvé d'anormal. 250 euros le boitement normal, je trouve cela cher.

– J'ai commencé à lire Kawabata hier. D'abord sa correspondance avec Mishima, qui m'a rapidement ennuyé, mais peut-être est-ce dû à mon absence de familiarité avec l'un et l'autre. Aujourd'hui, Le Maître ou le tournoi de go, qui me séduit beaucoup (cette espèce de partie de mort), même si je peine à comprendre de quoi il retourne lorsque les choses deviennent un peu techniques. Emporté par cette nippophilie que je ne me connaissais pas, j'ai commandé deux ou trois livres de Mishima (lu il y a très longtemps et sans grand enthousiasme) et deux ou trois également de Tanizaki. Je les enverrai à Adrien lorsque je les aurai lus. Car d'ici qu'il puisse lire ces auteurs dans la langue originale...

Mon (ambitieux) programme pour le week-end qui s'annonce : deux des trois articles à faire pour FD (si mes instances dirigeantes arrivent enfin à obtenir l'accord de l'éditeur ayant publié le livre à partir duquel cette série doit se faire...) et le texte que Jérôme attend de moi sur sa musique. Ensuite, la fin de semaine suivante, il sera déjà temps de penser au synopsis du prochain Brigade mondaine (n° 322, en principe), celui qui doit s'intituler Ardentes Bénévoles...


Vendredi 10

Cinq heures. – C'est à peine croyable ce que les heures parviennent à s'étirer, ici, à Levallois. C'est vraiment de pis en pis : je suis arrivé ce matin à onze heures, je me suis octroyé environ une heure et demie de lecture après mon déjeuner, et j'ai l'impression d'être là depuis au moins douze heures. Et encore ne suis-je pas venu hier. Cela devient effrayant. Je ne m'intéresse plus le moins du monde à ce qu'il m'est donné à faire ici, je travaille pour ainsi dire en roue libre, ou en pilotage automatique, sans même savoir exactement de quoi ou de qui je parle. De la même manière, je n'ai pratiquement plus aucun rapport, ni même conversation, avec les gens qui m'entourent, non par un effet d'animosité quelconque (ce serait encore une réaction humaine) mais par simple et profonde indifférence envers eux. Je commence à vraiment mieux comprendre Boris H., dans les dernières années où il travaillait ici : lui aussi, comme moi désormais, était tout entier tendu vers la seconde où sa levée d'écrou surviendrait. La différence est que lui, en plus, tirait au flanc, toujours bien content s'il pouvait faire retomber une tâche quelconque sur son voisin, quand elle lui avait été promise à lui : je n'en suis pas encore là, Dieu merci, et espère bien n'y être jamais. Mais enfin, je le redis : je ne parviens pas à admettre n'être ici, dans ce bureau, que depuis six heures et vingt minutes (et avec une absence d'une heure et demie).

Avant, il y a encore deux ou trois ans, je profitais de ces longues plages de temps inertes pour faire preuve d'une certaine activité blogueuse. Eh bien même cela, c'est terminé : au bout d'un certain nombre d'heures, les blogs sont pris dans une lassitude plus vaste, et je cesse à peu près complètement d'y aller.


Samedi 11

Huit heures. – Renaud Camus n'est-il pas en train de se perdre ? Je veux dire bien sûr : de se perdre comme écrivain. Il y a des signes, dans les derniers volumes du journal, des interrogations dans les marges. Courir après les contrats quand on est écrivain en bâtiment, pour faire rentrer l'argent, est sans importance, puisque de toute façon on n'est pas capable d'autre chose. Mais quand on est écrivain tout court ? C'est très bien, les Demeures de l'esprit, évidemment. Je dis “évidemment”, parce que tout ce qui tombera jamais de la plume de ce Camus-là sera toujours très bien. Mais est-ce qu'on sait ce qu'on manque, ce faisant ? Est-ce que lui sait ce qu'il n'écrit pas, pendant ce temps ? Le château de Plieux est un tombeau magnifique, mais c'est tout de même un tombeau. Un gouffre. Une attirance vers le vide. Les Demeures de l'esprit, au fond, ce n'est jamais qu'un guide un peu paresseux, même si superbement conçu et réalisé. C'est l'image d'un écrivain qui se perd. Et le journal, aussi, est contaminé par cela : il se noie dans les portes qui claquent, les petits-déjeuners qui ne nourrissent pas, les musées qui ferment trop tôt. Il se perd, lui aussi.

La lassitude point. Ceux qui aiment cet écrivain se mettent à redouter l'arrêt brutal des facultés créatrices, parce que l'âge joue son rôle et parce que le rêve (celui de Plieux) tourne au cauchemar, au puits sans fond.

Des livres comme Commande publique, des romans comme Loin, l'ensemble des Demeures, font mal à qui aime Renaud Camus, parce qu'on y sent l'urgence et, j'ai le regret de le dire, un certain essoufflement, lequel se transmet aussi au journal, depuis quelques années. Le journal, du reste, se fait écho de ce que je viens de dire. En ce sens, il reste cette “caisse de résonance” de la vie elle-même, de son amoindrissement ou, si l'on veut, de son durcissement, de son induration.

Renaud Camus est obligé de produire. Ce faisant, il écrit de moins en moins. Et je pense n'être pas le seul à le regretter.


– Voilà ce que j'ai écrit, il y a trois ou quatre jours, d'un seul jet nocturne, en pensant en faire un billet le lendemain après avoir développé, affiné, etc. Finalement, je n'en ai rien fait. Par crainte de me tromper, essentiellement. D'envoyer le balancier trop loin dans l'autre sens. Il n'empêche que, relisant ces lignes aujourd'hui, je ne trouve rien à y redire : cette sensation de malaise mêlé de tristesse perdure, face aux derniers livres de Camus. La pléthore des volumes qu'il publie me contraint de plus en plus à penser à ceux qu'il n'écrit pas et que j'aurais envie de lire, bien davantage que ceux que j'ai entre les mains. Je pense vraiment que les Demeures de l'esprit sont un piège redoutable qui est en train de se refermer sur leur auteur. Il l'est d'autant plus, redoutable, que le travail produit, encore une fois, n'est pas de ceux dont il y ait lieu de rougir. Mais voilà : cela reste du travail produit. Et puisque j'en suis à recycler mes invendus, j'écrivais aussi, dans le même temps à peu près, ceci :

– Les musulmans sont nos ennemis ; ils l'ont toujours été, depuis qu'ils existent. Leur seul objectif est la conquête, ils l'ont amplement prouvé, en mille cinq cents ans approximativement. L'islam n'est pas une religion, c'est une névrose, qui ne peut – on le voit – n'engendrer que des dictatures : observez la carte du monde. Nous devons absolument, rapidement et de manière brutale, nous débarrasser de ce chancre qui n'a qu'un objectif, celui de nous détruire.

Existe-t-il des musulmans pacifiques, gentils, cools ? C'est très probable. Ceux-là auront-ils jamais le pouvoir en islamie ? Évidemment, non. Ils se plieront à la loi de leurs maîtres, ils marcheront comme un seul homme.

Comment éliminer l'islam d'Europe ? Je ne sais pas. Sans doute faut-il commencer par sulfater les collabos extrême-gaucheux qui s'imaginent qu'ils vont parvenir à récupérer ces gardiens de chèvres sanguinaires et à les faire marcher dans leur sens. Le fait que ces imbéciles seront les premiers égorgés ne doit pas pas nous suffire, malgré le côté jouissif de la perspective.

Donc, quoi faire ? Commencer par fermer les portes, évidemment. Refuser l'africanisation de nos pays, l'importation des machettes. D'autant que les Africains, ces éternels perdants, seront eux aussi parmi les premières victimes des soudards d'Allah : les Arabes méprisent les noirs depuis toujours, ils les ré-esclavagiseront dès que les Européens ne seront plus en mesure de les en empêcher.

Ensuite ? Redevenir durs. Voire cruels. Ériger des murs, comme les Israéliens ont compris qu'il était nécessaire de le faire. Tirer à vue. Raser les banlieues qui n'en sont plus. Faire peser le poids de notre richesse sur ces pays d'origine des migrants qui ne vivent que grâce à nous. Recoloniser, si besoin est. Bref, tenter de survivre. Il est encore temps.


– Ce premier jet non plus je n'y suis pas revenu. Non par une quelconque crainte, mais parce qu'il dit des choses déjà dites et qu'il ne prêchera, de par sa forme même, que les convaincus de la réalité de ces choses. Manier le lance-roquettes comme je le fais trop souvent, et sans doute pas très habilement, ne sert absolument à rien.

– Le programme de travail que je me suis fixé pour ces quatre jours ne souffre pour le moment d'aucun retard : j'ai proprement “tombé” mes huit mille et quelques signes sur Sarah Bernhardt et sa jambe de bois. Demain, je devrais en écrire autant à propos du bégaiement de Jouvet et, lundi, dosage identique pour la folie de Camille Claudel. Ensuite, mardi, il me faudra (me faudrait…) écrire le texte que m'a demandé Jérôme Vallet. Et, là, ce va être une autre paire de manches. En réalité, il s'agit davantage d'un travail de mise en forme que d'écriture : retrouver ici et là, dans ce journal et sur le blog-mère, tout ce que j'ai pu écrire sur sa musique et, dans ce fatras, tenter de dégager un semblant de ligne directrice ou, au moins, d'articulation des morceaux entre eux. Mais même ça, ce travail qui, à FD, est pourtant le mien, je doute fort d'en être capable. D'un autre côté, comme je doute toujours d'être capable de quoi que ce soit...


Dimanche 12

Sept heures vingt. – Sur le front du travail, la “feuille de route”, comme disent ces crétins de plumitifs appointés, mes chers confrères, la feuille de route a été respectée encore aujourd'hui : ce sont 8300 signes de Louis Jouvet que j'ai expédiés tout à l'heure par la voie des airs – ou des ondes ou de je ne sais quoi – à la rédaction de FD. Demain, il me restera à passer la camisole à Camille Claudel et c'en sera fini de cette petite série. Mardi – je sais bien que je l'ai déjà écrit deux fois ici, mais je tente par la répétition de m'y contraindre – mardi, je disposerai donc de toute la journée pour essayer de me sortir un texte point trop indigne à propos de Jérôme Vallet – pas trop indigne de lui ni de moi, s'entend.

– Je ne suis pas mécontent (décidément, ce journal s'infatue de plus en plus...) du billet que j'ai publié ce matin à propos de l'ineffable CSP. Fort peu d'échos pour le moment, mais le dimanche est généralement peu propice à l'écho. Et je m'aperçois que j'ai oublié de signaler qu'il s'agissait du 2000ème billet publié sur le blog-mère. Mais est-ce bien indispensable de le faire ? Non, sans doute.

– En principe, les Crevette seront ici pour déjeuner le 2 janvier prochain, qui se trouve être à la fois un dimanche et l'anniversaire de ma mère, qui aura 78 ans. J'ai également invité Petros pour le même jour, et il s'est déclaré ravi de se joindre à nous. Ravi sur le principe car je ne sais pas encore s'il pourra se rendre libre le 2 janvier précisément.

– Au chapitre des lectures (si je puis dire...), j'ai très momentanément abandonné le Japon pour un retour vers la Hollande (je ne sais pourquoi j'ai toujours du mal, et même une certaine répugnance, à écrire les Pays Bas), étant passé des Belles Endormies de Kawabata – court roman qui m'a profondément touché mais dont, pour l'instant au moins, je me sens tout à fait incapable de parler – au non moins court Chant de l'être et du paraître de Nooteboom. Cette escale européenne sera probablement courte car je devrais, demain ou après-demain, recevoir les Mishima et Tanizaki que j'ai commandés en début de semaine.

– Les règles typographiques pour ce qui concerne les titres d'œuvre, en français, sont assez complexes pour devenir irritantes à plus d'un, j'en conviens. De là la tendance actuelle à les envoyer par-dessus les moulins et à écrire tous les titres avec une seule et unique majuscule initiale, quand ce n'est pas sans majuscule du tout. Mais, ce faisant, on perd du sens, si je puis dire. Ainsi celui du roman de Kawabata dont je parlais il y a un instant. On voit bien qu'il est composé d'un article défini suivi de deux adjectifs, dont l'un substantivé. Oui, mais lequel ? Seule la typographie (ou la lecture du roman, bien entendu) est à même de nous le dire. Le titre : Les belles endormies resterait tout à fait muet à ce sujet et, sans doute plus ennuyant, d'une neutralité triste. Si l'on écrit : Les Belles endormies, le lecteur rompu à la règle en déduira que l'on va lui parler de femmes dont la beauté est la principale caractéristique, et qui se trouvent par surcroît, de manière peut-être plus anecdotique, être plongées dans le sommeil. Or, bien entendu, ce n'est pas cela que Kawabata a écrit, c'est même l'inverse : ses jeunes filles n'ont leur place dans son histoire que parce qu'elles sont endormies, et c'est cet adjectif-là qui se fait donc substantif. Si elles sont belles – et elles le sont à des degrés très variables, et même la beauté de chacune d'elle est très changeante –, c'est en plus. Le vrai titre doit donc être : Les Belles Endormies, et c'est en effet ainsi qu'il est calligraphié dans l'édition du Livre de poche que je possède.

– Jérôme a raison : l'andante du concerto pour violon d'Elgar est absolument magnifique, semblant à chaque mesure prêt à s'évanouir dans l'air, mais revenant toujours et de manière chaque fois un peu plus prenante (non, cet adjectif est ridicule !). C'est au point qu'il me fait, mais dans une moindre mesure, le même effet que le second mouvement (Allegretto ? Andante ? À vérifier) du concerto pour clarinette de Mozart : j'en veux presque au compositeur d'avoir enchaîné sur un troisième mouvement, de ne pas avoir su s'arrêter là, comme Beethoven l'a fait après l'ariette de l'opus 111. Mais bon, comme dirait l'autre.


Mardi 14

Midi et quart. – Rien écrit ici hier soir, pour une raison que l'on n'oserait dire nulle part ailleurs que dans ce journal. Vers huit heures moins le quart, Ludovic, mandaté par sa mère, est venu m'avertir que, sur la chaîne Comédie !, la pitoyable série française H (avec ces si merveilleux acteurs que sont Jamel Debbouze, Éric et Ramzy...) était remplacée par la rediffusion de la première saison de Mon oncle Charlie, avec le semi-éponyme Charlie Sheen. Or, j'aime beaucoup cette série (ici est l'aveu honteux...). Elle a beau être bête et assez vulgaire, elle me fait beaucoup rire. Ou bien alors, elle me fait rire parce qu'elle est bête et vulgaire (et néanmoins fort habilement faite). J'ai donc lâché précipitamment cet ordinateur pour aller me planter devant la télé.

– Ce matin, autre activité intelligente, je m'escrime à tenter d'actualiser Roselyne, le GPS de la Mégane, comme j'y ai été courtoisement invité par mail hier soir. Un peu froissé, déjà, de constater qu'il m'en coûte la coquette somme de 57 euros. Mais le pis est que voilà trois fois que le téléchargement s'interrompt inopinément et que je suis contraint de le faire repartir de zéro. Quelque chose me dit donc que l'affaire va échouer et qu'il va me falloir ensuite trouver le numéro de téléphone de Carminat TomTom (mais quel nom !) afin de protester vigoureusement de leur acte de piraterie informatique. J'aurais mieux fait, je crois, de tout laisser en état. Après tout, que m'importe le fait que, ici ou là, Roselyne me fasse couper à travers champs plutôt que d'emprunter le nouvel échangeur ? Mais je n'ai pas pu résister, bien que sachant, au fond, que quelque chose de désagréable allait se produire, qu'un grain de sable électronique allait venir enrayer la machine.


Mercredi 15

Trois heures et demie. – Déjeuner avec Joseph Vebret, ici, à Levallois (en ce restaurant ridiculement nommé À table !). En arrivant, il me dit que c'est la première fois, depuis trois semaines qu'il a cessé de fumer, qu'il ose sortir seul de chez lui ! Il me remercie, avec un sourire tout de même, de lui servir de thérapie... De fait, il m'a paru un peu plus fébrile que d'ordinaire, mais bien moins que ce qu'il m'avait laissé craindre par téléphone. Au fond, il ne m'aurait rien dit, je ne m'en serais sans doute même pas aperçu. Toujours est-il que, lui ayant cessé le tabac, moi l'alcool (et bientôt le tabac), le début de notre conversation a ressemblé un peu à celle de deux petits vieillards se retrouvant à la salle à manger de la maison de retraite.

Le plus ennuyeux, dans son cas – et ce le serait aussi dans le mien, mais à un degré moindre –, c'est qu'il me dit n'avoir pas été capable d'écrire la moindre ligne depuis son sevrage tabagique. J'espère qu'il exagère un peu mais hélas je ne crois pas. Et, vu la quantité de fers qu'il a au feu, et pour lesquels il a déjà signé contrat évidemment, cela risque de devenir très embêtant pour lui s'il ne surmonte pas rapidement ce blocage-là. Parmi ses livres à faire, il me confie devoir écrire le prochain roman d'une personnalité “médiatique” très connue, mais me demande de ne pas en dévoiler ici l'identité, ce que je comprends. Nous en étions venus là parce que je lui disais avoir été un peu choqué (en tout cas ennuyé) que Renaud Camus se permette de retranscrire dans son journal une information plutôt “délicate” que je lui avais donnée, sans du tout penser à mal, à propos du journal de Muray.

Tout cela en vidant force verres d'eau d'Évian…


Huit heures . – Je comptais en faire un billet, puis finalement non. Ceci :

– Le jeu d'échec fait intervenir la tactique, c'est même pure tactique. Le Go, en revanche, et si j'ai bien compris, met en jeu la stratégie. Il semble que Marine Le Pen l'a très bien compris. Le jeu de Go consiste à emprisonner les pions de l'adversaire dans un coin de la grille, tout en l'attirant dans un autre coin. C'est exactement ce que vient de faire la future patronne du Front national, avec ce petit pion (petit mot) : occupation. Chacun s'est précipité, on a crié au loup, les blogs de gauche sont en émoi, racontent absolument n'importe quoi, y compris le si placide et raisonnable Nicolas, qui en arrive à porter aux nues ce clown absolu de Benoît Hamon, lequel s'agite en tous sens comme un Zébulon d'après fumette.

Notre petit Benoît se retrouve piégé dans son coin de grille. Lorsqu'il dit par exemple qu'il n'est pas admissible que des gens prient dans la rue, il avoue soit qu'il ne savait pas que c'est ce qui se passe depuis plus d'un an rue Myrha et alentour (donc c'est un con), soit qu'il le savait mais que, jusqu'à présent, il trouvait cela tout à fait acceptable (auquel cas c'est un collabo, un ami du désastre). Il n'empêche que les pions blancs posés par Marine Le Pen l'obligent à piailler, et pas seulement lui : tous les blogueurs de gauche piaillent depuis 48 heures. Et c'est normal, il y a le feu à la maison : la fille du vieil épouvantail nazi change la donne. Du coup, tout le monde gueule aux petits pois – les petits pois de la laïcité, bien entendu.

Mais il va être temps de se rendre compte que ce concept foireux, la laïcité, est devenu parfaitement inopérant, que nous ne sommes plus en 1905. (Du reste, pour des soi-disant progressistes, se référer à 1905, n'est-ce pas…) Pour faire court, que nous ne sommes plus entre chrétiens, entre Européens, et encore moins, bien entendu, entre Français. Et temps d'admettre aussi que cette laïcité creuse devient la meilleure arme de ses ennemis même, à savoir les musulmans dans leur ensemble.

Hier soir, dans l'émission télévisée de Calvi (que j'aime beaucoup), se trouvait un de ces musulmans "progressistes" (enfin : auto-proclamé tel) – j'ai oublié son nom. Mais j'ai bien compris quel rôle il jouait : celui du petit soldat de la République. qui prend des risques face aux méchants islamistes (qui le menacent, en plus ; il prend des risques à chaque fois qu'il cause dans le poste, mais il ne faudrait pas en déduire que les musulmans, etc.). Eh bien, ce clown a passé son temps à se barder de votre laïcité, mes drôles, à s'en embarbouiller de façon obscène ; il sait parfaitement comment s'en servir, la contourner pour, finalement, vous la mettre assez profond. Durant la demi-heure où je l'ai écouté, il n'a cessé de se réclamer de cette même laïcité qui vous fait trembloter des coucougnettes. Mais pour réclamer, à partir d'elle, le droit des femmes à se vêtir comme elle veulent (donc avec un voile...), des gens à prier où ils le jugent bon (devinez où), etc. Et encore, si j'ai bien compris, j'avais devant moi, dans ma télé, l'un de ces représentants fantasmés de ce qu'on appelle L'islam français. Comme s'il pouvait y avoir un islam français.

Je ne crois pas beaucoup en Marine Le Pen, dois-je l'avouer. Notre pays manque d'un Geert Wilders. Mais enfin, j'attends de voir. En attendant, je me suis toujours réinscrit sur les listes électorales… Ne serait-ce que pour aller voter aux “primaires” de ces crétins de socialistes.


Vendredi 17

Cinq heures. – J'ai bien fait de ne pas aller à Levallois aujourd'hui : depuis trois heures de l'après-midi la neige tombe drue et recouvre tout. En revanche, Catherine a été mal inspirée d'aller à Vernon : si elle a pu revenir jusqu'à Pacy sans trop d'encombre, voilà maintenant plus d'une demi-heure qu'elle est bloquée – elle parmi d'autres – en bas de la côte de la déchetterie, c'est-à dire à moins de trois kilomètres d'ici. Je l'appelle toutes les dix minutes afin de prendre des nouvelles. Mais, jusqu'à présent, la situation n'a pas l'air d'évoluer très favorablement. C'est l'heure d'un nouvel appel, du reste...

Rien ne s'arrange : En coinçant des tapis à chiens sous ses roues, Catherine est sur le point d'atteindre un petit chemin conduisant à une ferme, à l'entrée duquel elle espère pouvoir laisser la voiture. Ensuite, elle n'aura plus qu'à rentrer à pied (3 km) dans le froid et la neige... Laquelle a cessé de tomber, ce qui est déjà ça. Je vais aller fermer le portail afin que les chiens puissent sortir.

Cinq heures et demie. – Eh bien voilà, Catherine a abandonné notre voiture à l'entrée du chemin dont je parlais et elle rentre à pied. Elle devrait être là d'ici une petite demi-heure, en principe. « Je pense que j'aurai bien mérité un petit whisky en arrivant ! », m'a-t-elle dit il y a un instant, avant de me demander de la rappeler pour lui donner du courage – ce que je vais bien entendu faire.

J'ai aussi appelé Brice à FD, lequel est tombé des nues (comme la neige), car apparemment, à Levallois n'est pas chu le moindre flocon, en tout cas jusqu'à maintenant.

Je vais fermer cet ordinateur, ne comptant pas y revenir ce soir. Car si Catherine s'autorise un whisky, le moins que je puisse faire est de l'accompagner sur cette voie, faute d'avoir pu, en ce moment même, l'accompagner sur l'autre.

Huit heures moins vingt. – Catherine est arrivée à six heures, rouge de froid et tout à fait excitée de sa petite aventure neigeuse. Là-dessus apéro, puis réflexion à propos de cet article que Joseph Vebret m'a demandé hier sur les écrivains réactionnaires. (5000 signes pour une page, 10 000 pour une double, et pas d'autre alternative.) Entre un verre et l'autre, j'ai dit à Catherine que j'allais finalement refuser de l'écrire. D'abord parce que le sujet ne vient pas de moi, que je m'en fous ; et ensuite parce que je ne vois pas la nécessité de faire une entorse à mon principe, à savoir : ne jamais écrire dans un journal, quel qu'il soit, gratuitement.

Mais, juste après, je pense à ce titre : « Les écrivains réactionnaires sont-ils réactionnaires ? ». Et, du coup, le sujet me ré-intéresse. On verra demain.


Samedi 18

Trois heures et demie. – Ce matin, il a bien fallu aller récupérer la voiture, abandonnée par Catherine au pied de la côte de la déchetterie, heureusement à l'entrée d'un chemin conduisant à une ferme isolée et, donc, ne gênant personne. Elle était encore là, bien sûr, au milieu d'une douzaine d'autres. Nous avons pu la ramener jusqu'ici sans encombre, et même descendre à Pacy acheter du pain et des cigarettes pour deux jours (car lundi matin, nous arrêtons tous les deux de fumer. En, principe...). Depuis, il neige de nouveau.

– Catherine a passé le restant de la matinée à préparer les trois foies gras différents qu'elle compte servir à nos invités du 2 janvier, à savoir les Crevette et Petros. Trois foies gras, disais-je, dont le fameux cuit au lave-vaisselle, que j'ai bien hâte de goûter.

– Lu avec un réel plaisir les Fragments désordonnés de Joseph Vebret, qui sont des extraits (les plus tournés vers la littérature) de son journal 2004 – 2008. Je l'ai tout de même engueulé, par mail, pour sa détestable manie consistant à placer l'horrible “au final” quasiment à chaque page. Je veux bien être tolérant mais il y a des limites...


Dimanche 19

Cinq heures. – Passé un peu de temps cet après-midi à retrouver les deux ou trois billets écrits sur le disque de Jérôme Vallet. Car, après avoir reculé autant qu'il était possible, il faut bien que je me mette à ce texte que j'ai eu l'imprudence, ou la fatuité, de lui promettre. Je ne suis guère allé plus loin que cette collection et une relecture des diverses pièces du dossier, remettant à demain tout ce qui reste à faire. Et j'ai eu évidemment tort de surseoir dans la mesure où, demain, Catherine et moi auront cessé de fumer. Ce qui risque de ne pas faciliter la concentration intellectuelle, Champix ou pas Champix.

– La neige s'est finalement arrêtée de tomber, elle a même commencé à fondre et, en milieu d'après-midi, i s'est mis à pleuvoir. si bien que, s'il gèle de nouveau cette nuit, les routes seront de vraies patinoires demain matin. Ce dont je me fiche, n'ayant pas à sortir.

– Avant même l'arrêt du tabac, je commence déjà à me demander pour quelle raison j'ai décidé de ce sevrage. Mauvais signe...

– Le Journal d'un vieux fou, de Tanizaki m'a déçu par rapport à La Clef, alors (ou parce) que les thèmes en sont très voisins. Il n'y a pas ici ce climat d'érotisme en vase clos, cette sensation de serre chaude qui régnaient dans l'autre. D'autre part, je lis sans aucun enthousiasme La Quarantaine de Jean-Louis Curtis, que Catherine, elle, a bien aimé.


Lundi 20

Cinq heures. – Première journée sans tabac : mauvaise. Et encore aggravée par le fait que Ludovic et Solène, qui ne devaient venir que demain, viennent tout juste d'arriver. Du coup, je me suis réfugié ici, me sentant tout à fait incapable non seulement de tenir une conversation mais simplement d'en entendre une. Le problème est que je n'ai nulle envie de tenir ce journal, ni d'écouter de la musique, ni de lire les blogs. Envie de rien, simplement d'arriver vivant jusqu'à l'heure du coucher.

C'est curieux car je me souviens très bien que lors de ma dernière velléité d'arrêt, je n'avais pas eu le moindre symptôme d'irritabilité ni de de vague déprime comme c'est le cas depuis ce matin. Et, pourtant, c'était “sans filet”, cette fois-là. J'ai l'impression que le Champix que je prends consciencieusement depuis neuf jours ne sert rigoureusement à rien, de ce point de vue.

C'est de toute façon sans la moindre importance puisque je suis bien certain que je vais rechuter très vite.

– N'ayant aucune envie de commencer un roman, m'étant vidé de toute curiosité pour les livres les plus récemment reçus (Mishima notamment), j'ai vaguement lu deux chapitres du Cours familier de philosophie politique de Pierre Manent, sans y comprendre grand-chose.

Ce sont pourtant ces moments de lecture (avec quelques autres) qui ont été les plus supportables de la journée. Pour une raison qui me semble simple et évidente : je ne fume jamais lorsque je lis dans le salon. Par conséquent, l'envie reflue en ces moments-là. De même, ce matin, j'ai instinctivement fait duré ma toilette aussi longtemps que possible. Le repas est également un moment de relâche. En revanche, dès que je suis devant cet ordinateur, il ne se passe pas pas cinq minutes d'affilée sans que ma main droite ne parte à la recherche du paquet de cigarettes. J'aurais dû m'interdire depuis plusieurs semaines de fumer dans la Case, comme je le faisais à une période, et aussi le soir devant la télé : cela me ferait maintenant deux moments supplémentaires où le manque serait plus facile à supporter, parce que déjà plus ou moins maîtrisé.

Au fond, ce qui m'attend (à part la reprise pure et simple du tabac), c'est bien ceci : vaincre un à un tous les “micro-manques” liés à l'habitude de fumer. Me désintoxiquer dans toutes les circonstances particulières de l'existence, et Dieu sait s'il y en a. Par exemple, je sais déjà que, mercredi, le trajet d'ici à Levallois en voiture va être difficile – et plus encore, sans doute, celui du retour.

Je crois qu'il me faut faire face au manque lorsqu'il survient ; prendre le temps de l'analyser, de tenter d'en cerner la nature. En un mot, de l'apprivoiser. Et, surtout, ne pas le laisser prendre possession de mon humeur ou de mes pensées, ce qu'il fait pourtant tout à son aise depuis ce matin. Ce journal peut-il servir d'assistant thérapeute ? En tout cas, ça ne le rendra pas plus drôle ni plus passionnant à lire...


Mardi 21

Six heures. – Journée sans doute encore plus pénible de celle d'hier, en raison d'éléments n'ayant au départ rien à voir entre eux mais se renforçant les uns les autres. Bon, d'abord, bien sûr, et loin en avant de tout le reste, il y a la privation de tabac. Je suis d'ailleurs étonné de me sentir à ce point les nerfs à fleur de peau, toujours sur le point d'exploser à la moindre ombre de contrariété. Doublement étonné : parce que ce phénomène ne s'était pas produit lors des arrêts précédents ET parce que le champix est censé m'aider et non provoquer des symptômes dont je n'étais pas affecté sans lui.

Ensuite, il y a la présence de Solène et Ludovic, arrivés hier en fin d'après-midi. Présence qui me contraint à une perpétuelle stratégie d'évitement, dans la mesure où il est hors de question de pouvoir lire quoi que ce soit lorsqu'ils se trouvent dans la même pièce que moi.

Pour couronner le tout, Catherine avait décidé – pour une raison qui m'échappe totalement – que nous nous livrerions à une sorte de simulacre de Noël avec trois jours d'avance, ce qui a en effet eu lieu à midi. Si bien que j'ai dû endurer un vrai repas (avec entrée, plat, menace de fromage et dessert), c'est-à-dire une chose longue et assez morne, dont je n'étais déjà pas fou lorsque je pouvais la meubler en fumant et buvant. Du reste, ce réveillon en trompe-l'œil, parfaitement absurde en son principe et sa réalisation, a eu pour effet de ranimer une envie de boire, alors que je ne songeais à rien moins.

C'en est au point où je suis tout à fait satisfait de devoir aller à FD demain.

– Pour les raisons que je viens de dire, j'ai peu avancé dans ma lecture du Cours familier de Pierre Manent. Je m'avise d'ailleurs seulement maintenant que j'aurais mieux fait de remiser ce livre pour en prendre un autre nettement moins ardu, voire déjà lu et relu. En dehors des bruits parasites déjà évoqués, il y a aussi que, depuis deux jours, et probablement à cause du tabac, ou plutôt de son absence, j'ai tendance à piquer du nez dès que je m'installe dans mon fauteuil accoutumé, et à y somnoler comme un vieillard retombé plus ou moins en enfance.

– Bref, en ce moment précis, le paradis pour moi serait ce même salon où je suis installé, mais à condition de m'y trouver rigoureusement seul, avec une bouteille de whisky et un paquet de Camel. Mais, bien entendu, comme le paradis ne saurait être de ce monde...

– Dommage collatéral du sevrage tabagique : je me sens tout à fait incapable de mettre en forme le texte que j'ai promis à Jérôme Vallet. Ce texte ou n'importe quel autre, du reste. J'espère que cette espèce d'hébétude m'aura quitté demain lorsqu'il me faudra écrire le dernier volet de la série sur les génies malades, pour FD.

– Seul élément positif de cette journée, mais qui n'a même pas été suffisant pour opérer chez moi un changement d'humeur notable : le mail de Nancy m'annonçant que 3300 € venaient d'être virés sur mon compte.


Mercredi 22

Trois heures et demie. – Jusqu'à maintenant, journée beaucoup plus facile à supporter que les deux précédentes passées à la maison. Le fait d'être ici, à Levallois, joue peut-être son rôle. Aussi celui que je commence à mieux repérer les moments où le manque pousse sa pointe et la manière dont il le fait : à la façon d'un éclair, rapide, violente mais très vite éteinte. Et ça se déclenche quelques fractions de seconde avant un moment précis où d'habitude on aurait allumé une cigarette. Par exemple – je l'ai vérifié plusieurs fois ce matin –, le temps de commencer à se formuler à soi-même que l'on boirait bien une tasse de café, l'envie de fumer est déjà là. Mais tellement fugitive que, le temps de se lever et de se verser effectivement le café, elle a déjà disparu. Ou bien, ce matin, alors que je m'apprêtais à quitter la maison, le manque m'a traversé de part en part. Simplement parce que j'allais passer une heure dans la voiture où, systématiquement, je fume deux à trois cigarettes durant le trajet. Trajet qui, ce matin, s'est fort bien déroulé et sans que je pense plus que cela à cette absence de tabac. Mais plusieurs fois tout de même...

Au fond, j'ai dans l'idée que les douze semaines de champix doivent surtout servir à déconnecter une à une ces mille situations de l'envie de fumer qui leur était depuis toujours associée – en sachant qu'on n'y parviendra jamais tout à fait. Comme me l'a dit le Dr Garrigue après m'avoir renouvelé mon ordonnance de champix : « Souvenez-vous que vous ne serez jamais un non-fumeur, mais seulement un fumeur qui ne fume plus. » Je ne crois pas que je l'oublierai.


Jeudi 23

Cinq heures. – De retour depuis déjà une demi-heure, pour cause de neige ; laquelle, en se mettant à tomber sur Levallois, a précipité mon départ de la riante cité alto-séquanienne. Dans la foulée (de son invitation à disparaître), j'ai fait valoir à Brice qu'il n'était peut-être pas indispensable que je vienne demain, compte tenu des difficulté circulatoires prévisibles en raison du réveillon de Noël et du fait que le journal en cours est presque aussi avancé qu'un cerveau de modernœud. Il en a convenu sans difficulté, et me voilà donc héberto-plessiste jusqu'à mercredi prochain. Avec tout de même quelques obligations de travail : dernier épisode de la série pour FD demain, texte pour JV ensuite. Également une dernière relecture du journal de novembre (auquel il manque toujours son titre), et il faudrait également que je fasse un peu de rangement dans mon iTunes/iPod dont je me suis aperçu tout à l'heure, dans la voiture, que certaines sections étaient un véritable foutoir dans lequel il était à peu près impossible de rien retrouver, si ce n'est par hasard ou chance.

– Sur le front du tabac, il me semble que les choses vont de mieux en mieux, mais je me méfie de ce type d'impressions. Ce matin, par exemple, durant mon heure de trajet, je n'ai pensé à la cigarette – ou plutôt à son absence – qu'une seule fois, et très fugitivement, contre quatre ou cinq hier. Et, une fois au bureau, pas plus de trois ou quatre fois, elles aussi très fugaces et presque indolores, entre dix heures et demie et quatre heures et demie. Du coup, je reprend un certain goût à la succession des heures, c'est comme une sorte de brouillard qui se dissiperait lentement, peut-être celui que produisait avant la fumée nicotinisée, justement.

Il serait bon que je note ici chaque micro-progrès de ce type, même si ce n'est pas ça qui va faire ce journal plus intéressant à lire. Je crois que le fait de les écrire les rendrait encore plus “opérants”. En tout cas, alors que ma motivation (mais non, ce mot ne va pas ! mais quel autre à sa place ? ma volonté ?) était au départ très vacillante, je suis de plus en plus déterminé à tenir bon, à mesure que les jours passent. Il est vrai qu'il n'en est encore passé que quatre, ce qui rend tout cela quelque peu dérisoire...


Samedi 25

Huit heures. – Pas d'entrée hier, 24 décembre : bien entendu, on va (si “on” passe par ici) s'imaginer que j'ai fait défection pour cause de saoulerie monumentale. Or il n'en est rien, j'ai juste oublié que j'étais censé tenir un journal, comme il m'est déjà arrivé plusieurs fois. Car pour ce qui est de la saoulerie... nous avons été d'une austérité parfaite, dînant frugalement de sept heures à sept heures et quart, exactement comme d'habitude, et bien entendu sans boire la moindre goutte d'alcool, exception faite de celui contenu dans les bouchées Mon chéri dont nous nous sommes ensuite gavés, par compensation j'imagine.

– Pas grand-chose à signaler sur le front du tabac, si ce n'est que je commence à mieux cerner le danger, à voir où se situe le piège entraînant la rechute. Il n'est pas dans le manque lui-même, dans ces “pics” d'envie qui surviennent une petite dizaine de fois par jour actuellement et disparaissent aussi vite, mais dans la perspective que ces pics ne cesseront jamais (ce qui est sans doute faux, bien entendu), bref : dans la répétition sans fin du manque, absolument identique à lui-même durant encore des jours et des jours. Cette pensée m'est survenue deux ou trois fois aujourd'hui, et j'ai reconnu qu'elle était nettement plus pénible que le manque lui-même. Lequel, du reste, ne parvient même pas à se présenter sous une forme vraiment identifiable, nommable. Le manque est innommable au sens premier du terme, et c'est peut-être bien ce qui le rend dangereux, en fin de compte : une douleur précise, même aiguë, serait sans doute plus facile à circonvenir.

– Ayant terminé le livre de Pierre Manent, j'ai lu environ une moitié de La France m'épuise, le recueil de pastiches de Jean-Louis Curtis, reçu il y a deux ou trois jours. Les textes (tous consacrés au 10 mai 1981) sont inégaux, me semble-t-il. Si le Zola est très réussi, par exemple, le Flaubert me semble inférieur à ce qu'il aurait pu être – surtout si l'on a en tête le pastiche de Proust du même écrivain. Le Chateaubriand me paraît bon, verveux, imperceptiblement exagéré, juste ce qu'il faut pour être drôle, alors que le Balzac m'a laissé sur ma faim. Et j'en suis là pour l'instant.

– Envie d'un excellent et gros roman. Mais lequel ? Relire un Russe ? Bounine ? Ou L'Adolescent de Dostoïevski, que, Dieu sait pourquoi, je ne me suis jamais décidé à commencer ?

– Hier soir, parce que Catherine avait mal fermé la porte du sous-sol, Elstir a de nouveau déchiqueté un sac tout neuf de croquettes et en a mangé environ un kilo, en plus des trois cents grammes de sa ration vespérale qu'il venait d'ingurgiter. Il n'a pas été au mieux de sa forme durant la première partie de la soirée, mais enfin rien de fâcheux ne s'est produit. Résultat : jeûne ce matin et demi-ration ce soir.

– Pas effectué le moindre travail hier ni aujourd'hui. ce qui me contraint à écrire le dernier volet de ma série FD (Camille Claudel) demain sans faute. Et, ensuite, à commencer de réfléchir sérieusement au synopsis du prochain BM, Ardentes Bénévoles qui doit être rendu le 15 février.


Dimanche 26

Sept heures et demie. – J'ai fini par l'écrire, ce dernier volet de ma série en cours, consacré à Camille Claudel. Mais, du coup, deux ou trois fois durant sa rédaction, l'envie de fumer fut violente. Enfin, plus violente que lorsqu'elle survient et que je suis à lire dans mon fauteuil. Violente n'est d'ailleurs peut-être pas le mot : disons qu'elle m'a pris davantage au dépourvu. Une fois notamment, j'étais presque déjà debout pour aller en griller une sur le pas de la porte de la Case lorsque j'ai repris conscience que je ne fumais plus – quelques secondes assez pénibles, mais heureusement : "quelques" et "secondes"…

– Retour à mon cycle nippon avec La Mort en été, de Mishima, commencé tout à l'heure. La nouvelle éponyme, qui ouvre le recueil, est remarquable par un mélange étonnant de douceur et de cruauté. Envie de trouver (et de commander) une histoire du Japon. Et de découvrir d'autres auteurs de ce pays. Dommage que je ne connaisse personne qui puisse me guider dans cette voie. Il y aurait bien Francis Marche, un habitué du forum de l'In-nocence, mais voilà bien quelqu'un à qui je n'ai rien envie de demander. Et qui, de toute façon, m'enverrait très probablement bouler.

– Ma mère a appelé tout à l'heure pour nous apprendre la mort de Jean-Louis Forest, le mari de sa sœur cadette (ma tante, donc), Évelyne. Il allait avoir 90 ans et a été plus ou moins foudroyé par une attaque cérébrale, le jour de Noël (comme Chaplin). Ce n'est pas quelqu'un que j'appréciais plus que cela, mais c'est tout de même lui qui a décidé de toute ma vie professionnelle lorsqu'il m'a offert, en 1977, un stage de trois mois comme journaliste à la Nouvelle République du Centre-Ouest, dont il était l'un des quatre directeurs. Au milieu de ce stage, m'avisant que ce travail était moins aliénant que bien d'autres, nettement mieux payé, qu'il ne réclamait aucune compétence particulière et permettait de fréquenter des gens plus amusants que les cheminots qui étaient mon lot les étés précédents, j'eus l'idée de demander à ma tante Évelyne (qui n'était pas encore la femme de Forest mais seulement sa secrétaire...) s'il existait des écoles de journalisme ; elle m'a aiguillé vers le CFJ et son concours. Je m'y suis inscrit sans y croire, suis allé passer les épreuves en y croyant encore moins. Pour finalement faire partie des 45 élus de cette année-là, vivier d'où sont sortis certains de mes plus proches amis d'aujourd'hui, vivants ou morts.


Lundi 27

Quatre heures et demie. – Rien envie d'écrire ici. Pas de nouveau, ni dans un sens ni dans l'autre, sur le front de la cigarette. Pas de nouveau sur aucun front, du reste. D'où mon peu d'envie de m'étaler. On verra demain ce qu'il en est.


Mardi 28

Cinq heures et demie. – Il va tout de même bien falloir que j'avoue à ce journal pourquoi j'ai avancé d'environ deux heures le moment de venir m'épancher auprès de lui. C'est que, désormais, entre sept heures et demie et huit heures et demie, je me plante devant la télé afin d'y regarder trois épisodes de Mon oncle Charlie, série américaine (avec Charlie Sheen) assez stupide et parfois passablement vulgaire, mais qui me fait rire, je l'avoue sans fierté ni excès de honte. Il fallait bien que cela fût dit. (Mais, à la réflexion, je me demande si je ne l'ai pas déjà dit, justement.)

– Rien à signaler sur le front tabagique, ou plutôt atabagique : l'envie de fumer n'augmente pas mais je n'ai pas non plus l'impression qu'elle diminue ou se raréfie. Cela dit, je suis peut-être victime d'une sorte de déformation mentale : il est possible que les moments où le manque pousse sa pointe soient les seuls qui frappent la conscience et, de ce fait, s'impriment dans la mémoire, alors que les plages intermédiaires s'écoulent sans laisser la moindre trace, qu'elles soient courtes ou plus longues. Mais ce que je voudrais, moi, ce sont des victoires aisément repérables, presque palpables. J'aimerais par exemple, ayant eu hier et les jours d'avant envie d'une cigarette en m'installant devant la télé, que, ce soir, ce désir ait tout bonnement disparu, et de manière indiscutable. Mais il est probable que si c'était le cas je ne m'en aviserais même pas. Du reste, il y a peut-être déjà des circonstances précises de la journée où le verrou a sauté sans que je m'en aperçoive. Ce qui serait évidemment très bien, mais tout de même un peu frustrant. D'un autre côté, je vois mal comment il pourrait en être autrement. Il serait très idiot de penser que mon cerveau puisse m'envoyer une alerte de ce type : « Ton attention s'il te plaît, je te signale que tu viens de t'asseoir devant la télévision et que tu ne penses absolument pas à fumer ! »

– Continué à lire les nouvelles de Mishima : très impressionnantes. Je devrais recevoir ces jours prochains une histoire du Japon ainsi qu'un second livre consacré à la littérature japonaise. Et aussi un troisième, mais du Diable si je me rappelle… Ah, si : le Balzac d'Alain, qui n'a donc rien à voir mais traînait depuis des mois dans le double fond de mon “panier” Amazon.

– Demain, Levallois, ainsi que les deux jours suivants – sauf en cas de neige salvatrice, mais il semble qu'il n'y faille pas trop compter. J'ai rendez-vous à deux heures et demie chez l'oculiste (et, non, je ne dirai pas ophtalmologiste !) de la place Pompidou. Non que j'aie le moindre problème aux yeux, c'est juste une envie de changer de lunettes…


Jeudi 30

Midi et quart. – On dirait bien que j'ai une nouvelle fois oublié de venir traîner mes guêtres par ici, hier. Il est vrai que je n'avais rien de particulier à noter dans ce journal, et que j'ai passé finalement plus de temps en déplacements divers qu'à mon bureau de Levallois – où j'aurais parfaitement pu, une fois encore, me dispenser tout à fait de venir. Et comme, en plus, je ne reviens pas à l'ordinateur après le dîner pour cause d'Oncle Charlie

– Rêvé cette nuit que je fumais une cigarette. Sauf que je m'en rendais compte après l'avoir terminée, l'ayant prise dans un paquet qui se trouvait là, sur la table de bistrot autour de laquelle j'étais en compagnie de quelques anciens de FD. Et j'étais absolument furieux de m'être laissé aller à cette cigarette, ce qui, au réveil, m'a paru un assez bon signe.

Toujours sur le front anti-tabac : ce matin, j'ai eu droit à un trajet épouvantable (une heure et demie au lieu d'une), avec bouchons un peu partout. Eh bien, malgré cela, pas une fois je n'ai ressenti la moindre envie de fumer. En tout cas, pas une envie très forte. Disons que, à chaque bouchon, je pensais que normalement j'aurais dû avoir envie de fumer – ce qui est sans doute une manière détournée, soft, d'avoir effectivement envie. Comme tout cela est piégeux... mais assez amusant, au fond : l'impression de devoir déjouer une à une les ruses élaborées par son propre cerveau.

– J'ai décidé de ne mettre le journal de novembre en ligne que le 3 janvier au matin : durant le week-end du 1er janvier ça ne servirait vraiment à rien. Déjà qu'il n'est lu par presque personne, inutile de le saborder un peu plus.


Vendredi 31

Midi et demie. – Hier, on nous a triomphalement annoncé que, ce 31, nous serions tous autorisés à regagner nos foyers dès trois heures de l'après-midi (15 h, en langage post-moderne). Le problème est qu'il est déjà midi et demie et que je n'ai pas encore eu le moindre travail à effectuer. Si on considère que, d'ici environ une heure, tout le monde va disparaître pour déjeuner (déjà, il y aurait à dire sur ce “tout le monde”...), on en arriverait rapidement à se demander pourquoi on a pris la peine de venir ce matin.

– Pas de réveillon en vue pour Catherine et moi, bien sûr. Déjà qu'on ne faisait pas grand-chose d'exceptionnel les autres années, il va de soi que, sans alcool ni tabac, il ne reste plus rien du tout, pour le coup.

– Et à peine avais-je eu le temps d'écrire ce qui précède que, justement, le travail arrivait enfin (Danielle Darrieux tirant définitivement un trait sur sa carrière…)


Deux heures et demie. – Voilà. Il ne me reste plus qu'à attendre l'ausweis de mon distingué chef de service pour pouvoir reprendre le chemin de la Normandie. En espérant que nous ne serons pas trop nombreux à avoir la même idée au même moment…

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