mercredi 3 février 2010

Janvier 2010

1er janvier

Neuf heures et quart. – Ce n'est pas que j'ai grand-chose à noter, d'ailleurs. Le petit plaisir d'inscrire "janvier" et bien sûr "2010". Merveilleux après-midi, aujourd'hui, Catherine et moi, au Bec-Hellouin. Cela aurait pu être n'importe où, du reste, juste le plaisir d'être ensemble, de se savoir totalement gamins à cause de la nouvelle voiture, de se rendre compte que cela n'a aucune importance mais de partager ce moment "bac à sable" – rire de tout et de rien, du GPS, de la voiture, de nous (Bidochon) dans la voiture ; en réalité, rire du plaisir d'être là, ensemble, de s'en émerveiller d'une certaine manière : il y avait tout ça dans cet après-midi, m'a-t-il semblé.

Régresser, d'une certaine façon, mais en fait non. D'ailleurs, régresser par rapport à quoi ? Peut-être juste se contenter de ces lambeaux arrachés au réel, à ce réel qui devient irréel à force que personne ne veut le voir. Nous en sommes, nous, à nous soustraire du réel effrayant, à nous réfugier (non, le verbe ne va pas) dans une sorte de passé qui passe trop vite, une opposition radicale à ce qui est.

Car je suis, il me semble, désormais opposé radicalement à ce qui est. Je crois bien que, plus jeune de vingt ans, je prendrais les armes – malgré la grandiloquence de l'expression, que j'entends plutôt au figuré mais pas seulement. Du reste, il me semble que mes cadets (mes cadets : mon Dieu que l'expression est sotte et grandiloquente !) sont davantage prêts à le faire. Opposé radical : ça me va. Qu'est-ce qu'on pourrait bien avoir envie de sauver, dans le cloaque qui est le nôtre ? Qui pourrait être assez stupide pour être "conservateur" ?

Les conservateurs sont aussi idiots (mais sous un autre éclairage) que les progressistes, les avenirolâtres : les premiers souhaitent conserver un monde répugnant, les seconds veulent le rendent plus répugnant encore : qu'ils se démerdent, je me retire de ce jeu de dupes.


2 janvier

Trois heures et demie. – À midi, nous sommes retournés pour la première fois depuis à peu près trois ans à l'auberge d'Acquigny, emprès Louvier. Pendant trois ou quatre ans, nous y sommes allés déjeuner régulièrement, je dirais trois ou quatre fois par année. Et puis, plus rien, je ne sais pas pourquoi. Hier, juste après avoir réservé pour aujourd'hui, je me suis dit : “Merde, et si la gargote avait changé de propriétaire, et donc de cuisinier ?” Cela nous est arrivé une fois – et, pas de chance : pour le dîner du cinquantième anniversaire de Catherine –, on nous avait dit monts et merveilles d'un restaurant de la vallée de l'Eure, le Vol au vent, à moins de quinze kilomètres de la maison. Nous y fûmes donc. Malheureusement, l'établissement avait changé de main quelques mois plus tôt et nous y fîmes l'un des plus piteux dîners de notre existence commune.

Par chance, arrivant à Acquigny, j'ai tout de suite reconnu la patronne. Et comme le chef est son mari, on pouvait – à moins d'un divorce – s'estimer assuré de la qualité de la cuisine. Et en effet. La fine tartelette aux pommes avec une boule glace à la vanille était toujours aussi sublime, les autres plats de parfaite facture, et le chablis premier cru tel qu'on l'avait laissé. Excellent moment, donc. Au retour, parce qu'elle a moins à perdre que moi en cas d'interception flicarde, Catherine a eu l'occasion de se familiariser avec la Mégane : tout s'est bien passé.

Après nos deux bouteilles de chablis, il va de soi que nous allons reprendre un verre ce soir, et donc nous coucher de bonne heure (moi en tout cas : je me connais). À compter de demain : eau plate et synopsis du prochain BM (L'Idée fixe d'Ophélie). Pour le moment, je vais aller me replonger dans les Splendeurs et misères balzaciennes, qui, décidément sont un peu trop tortueuses pour atteindre au niveau des Illusions perdues. Néanmoins, cela reste d'une puissance qui laisse pantois. Demeure fascinant, dans les Splendeurs, l'effacement de Rubempré. Ou plus exactement, le dévoilement de sa vraie nature de pantin grotesque, mollasson, veule, et pour tout dire assez ignoble. Non, décidément, je ne peux comprendre la tristesse d'Oscar Wilde. À moins que lui-même se soit vu comme une sorte de duplication de Lucien, ce qui est en effet envisageable.

Au retour du restaurant, j'ai téléphoné à ma mère pour lui souhaiter un bon anniversaire (77 ans ce jour) et une bonne année. En principe, c'est toujours Catherine qui appelle chez mes parents, vu mon incapacité à peu près totale à babiller naturellement au téléphone. Mais, là, pour l'anniversaire, c'était tout de même à moi de faire le fils modèle. D'autant que ce coup de fil “groupé” du 2 janvier est inscrit dans nos vénérables traditions familiales : je n'y ai, je crois, jamais manqué, sauf mes trois ou quatre dernières années de célibat, vers 1986 - 1989, lorsque, écœuré des réveillons parisiens, des retours difficile dans un Paris aux taxis pris d'assaut, j'avais décidé de rentrer sagement à La Ferté pour le 31 décembre.


3 janvier

Midi moins dix. – Il y a une heure, mail de R. Camus m'annonçant l'envoi postal des deux Demeures de l'esprit que je lui avais demandées (poliment, très poliment...), dont un exemplaire dédicacé pour André, chez qui nous allons passer deux jours à la fin de ce mois. L'envoi me coûte 27 €, soit le prix d'un troisième volume : je trouve que les tarifs de la Poste deviennent de plus en plus hallucinants. Reste maintenant à faire dire à Camus s'il préfère un chèque ou un virement de banque à banque : j'attends sa réponse...

Le temps est magnifique aujourd'hui, froid, lumineux, pas un souffle de vent. Je pense que Catherine et moi n'allons pas résister au plaisir gamin d'une promenade cet après-midi, histoire de faire “chauffer la Mégane”. Il est quand même un peu attristant qu'il ait fallu cette voiture neuve pour que je me décide à sillonner enfin la Normandie, que nous ne connaissons pratiquement pas, bien qu'y vivant – Haute et Basse confondues – depuis maintenant 12 ans. Si je devais écrire, de chic, un petit guide de ma région, je crois bien que je ne me tirerais pas trois pages de la cervelle. L'avantage est que, maintenant que nous nous décidons à sortir, nous n'avons que l'embarras du choix pour les destinations : le terrain est quasiment vierge.

Hier soir, après avoir fait sur le blog-mère un billet intitulé “Les Vieux Copains”, j'ai téléphoné à Jef Loiseau, pas vu depuis au moins trois ans. Nous devons déjeuner ensemble vendredi, à Levallois. Prudent et avisé, j'ai : 1) décidé de prendre une demi-journée de congé l'après-midi, 2) convaincu Catherine de venir avec moi à Paris, de façon à pouvoir la faire conduire au retour, afin de sauvegarder et la voiture et mon permis de la conduire...

Huit heures moins dix. – Promenade en effet, mais très largement ratée. Le but en était l'abbaye de Jumièges, à environ 80 km (si j'en crois Roselyne...) de chez nous. Le temps, radieux au départ de la maison, n'a cessé de se dégrader, ce qui rendait l'abbaye moins “attractive”, à mesure que les kilomètres se déroulaient. Finalement, lorsque ce damné GPS nous eut conduit à l'embarcadère d'un bac destiné à nous faire traverser la Seine, et devant lequel patientaient déjà une trentaine de voitures, nous avons fait demi-tour pour rentrer par l'autoroute – sur laquelle se pressaient 500 000 Franciliens rentrant dans leurs respectives banlieues de merde. Pour la peine, on a fini les deux ou trois fonds de bouteilles qui restaient. Et mangé une soupe aux légumes et aux vermicelles : rien de tel pour envisager de nouveau l'existence comme possible.

Demain et après-demain, fini de jouer avec la voiture : le synopsis du prochain BM doit être bouclé mardi soir, de façon à ce que je puisse en attaquer l'écriture dimanche prochain. Et, ainsi, pouvoir n'y travailler que les matinées. Si j'y arrive, ce sera une première.

Les blogueurs progressistes font mumuse depuis cet après-midi. Certains – les plus atteints – ont décidé d'organiser un “No Sarkozy day”. On voit déjà, au nom de la chose, le degré de décrépitude mentale de ces petits clowns. D'autres, dont Nicolas, viennent de prendre position officiellement contre cette initiative grotesque – du coup, c'est la guerre, on s'échange des noms d'oiseaux. Pendant ce temps, Nicolas Sarkozy s'apprête, j'imagine, à passer une nuit tranquille. Comment font-ils (je parle essentiellement des premiers évoqués) pour ne pas s'aviser de leur puérilité ? De leur non-existence politique ? De leur radicale sottise ? Mystère, une fois encore. Les gesticulations de ces petits gauchistes (qui se caractérisent essentiellement par leur acceptation béate du monde tel qu'il va, tel qu'il penche, tel qu'il s'abîme) n'effraieraient pas un enfant de huit ans. Les plus frénétiques d'entre eux – la lecture de leurs blogs est, de ce point de vue, irremplaçable – sont déments ; cliniquement déments. Et je ne parle même pas des Mademoiselle S, des Isa et des Gouine Mum qui, eux, sont à lier, se débattant dans un monde encore plus imaginaire que celui du Magicien d'Oz, dont ils ne peuvent évidemment rien maîtriser puisqu'il n'a jamais existé et n'existera dans aucun siècle. – On rit comme jamais.


Huit heures vingt-cinq. – Rien de particulier à dire, sinon qu'il manque une dizaine de minutes pour arriver au film du soir (un drame britannique dont j'ai oublié le titre, avec Mitchum) et, du coup, l'envie de revenir ici. Je parlais des déments, juste avant, or je viens d'en découvrir un – toujours en passant par la blogroll de Nicolas, mine inépuisable dans ce domaine. Il s'appelle Dr No, petit gauchiste en peau de lapin, qui trouve que, décidément, Mozart manque de profondeur par rapport à la musique arabo-andalouse. Il est sûr que Don Giovanni tient très mal la route face à la guitare d'Enrico Macias...

(Et je SAIS que la musique arabo-andalouse ne se résume pas au pantin susnommé ! Mais tout de même : Mozart manquant de profondeur, n'est-ce pas...)


4 janvier

La communication va être brève, entre moi et ce journal, je le sens. À part dire que je me suis enfin mis au synopsis du BM 210 (L'Idée fixe d'Ophélie) mais ne l'ai que fort peu avancé, je ne vois pas quoi ajouter d'autre ; il y a des jours comme ça. Petit moment drolatique, tout de même, au Carrefour d'Évreux, lorsque Catherine, moi poussant le chariot, s'est mise à me guider avec la voix saccadée et atone de la fille du GPS : dans... cinq mètres... tournez à... gauche ! Puis, arrivant en vue du rayon des eaux minérales : arrêt... imminent ! Etc. Nous y étions, dans cet enfer moderne, pour y faire l'acquisition d'une prise RCA, laquelle était censée me permettre de raccorder mon iPod au système audio de la voiture. Et, en effet, l'affaire a fonctionné du premier coup : j'en étais fort surpris, presque déçu. Si même la technique se met à être docile, on n'a pas fini de s'ennuyer.

Sinon, expérience un peu secouante, en début d'après-midi. Passant rapidement en revue les "requêtes Google" par lesquelles les gens atterrissent sur le blog-mère, je tombe sur un étrange "cramouille.blogspot.", ou quelque chose de très approchant. Je clique, et débarque sur un blog dont le taulier, depuis 2005 (je suis allé voir la date de son premier billet...) ne fait rien d'autre que de publier des photos de chattes en plans plus ou moins rapprochés. Rien d'autre : pas une ligne de commentaire, pas le moindre effort de mise en page, juste ça : des foufounes à perte de vue. Je suis d'accord qu'il faut que tout le monde s'amuse, et qu'on n'est pas toujours maître de ses fantasmes, mais là, tout de même, je l'ai trouvé un peu unidimensionnel, ce garçon. C'est à ce point monotone (genre "grandes steppes de l'Asie centrale") que lorsque par hasard, sur l'un des clichés, une bite fait timidement une brève apparition, on l'accueillerait presque avec gratitude, sinon enthousiasme.

Depuis quelques jours, Elstir est plus haut que Bergotte. Pas encore tout à fait aussi lourd, mais aussi haut. Du coup, leurs jeux deviennent de plus en plus "virils". Ce ne sera pas long que la fille ait le dessous dans l'affrontement : les féministes vont encore gueuler aux petits pois.


5 janvier

Onze heures et demie. – Journée studieuse, en principe. Les bonnes résolutions récemment prises ont d'ores et déjà volé en éclats, puisque j'avais prévu que le synopsis du prochain BM devrait être fini ce soir et que, tout juste ébauché, il va de soi qu'il ne le sera pas. D'autant que je suis parti sur une idée un peu plus compliqué que d'habitude (même si pas tellement...) dont je ne sais pas du tout si elle ne va pas me mener droit dans le mur du fond de l'impasse ; auquel cas, il faudrait tout reprendre à zéro. Je sens que ce n'est pas encore tout à fait cette fois-ci que je vais pouvoir boucler un roman en n'y travaillant que les matinées.

Depuis deux jours, la blogosphère s'est découvert un nouveau débat d'envergure : faut-il ou non organiser un No Sarkozy day (mais quel nom stupide, bon sang !) en mars prochain, afin que "la rue" réclame la démission du président de la République ? L'initiative est évidemment absurde et anti-démocratique : Nicolas Sarkozy a été régulièrement élu, il ne s'est rendu coupable d'aucune forfaiture (à ma connaissance : on nenoudipatou...), il n'a donc aucune raison de démissionner. Depuis quand un élu, qui plus est au sommet de l'État, devrait s'incliner devant les caprices d'une poignée d'énervés ? Une camarilla de frustrés, se camouflant derrière les habituels grands mots “en drapé”, les concepts en majesté ? Cela étant, si comme il semble, l'initiative “spontanée” vient de l'extrême-gauche, il ne faut plus s'étonner que l'aspect anti-démocratique de la chose n'émeuve personne dans les rangs des pro-no, si je puis ainsi m'exprimer : depuis le pronunciamiento moscovite d'octobre 1917, ces gens n'ont jamais fait mystère du peu de créance qu'ils accordaient à la démocratie – à quoi du reste j'en accorde à peine plus mais pour des raisons sensiblement différentes.

Les livres envoyés samedi par R. Camus ne sont toujours pas arrivés ici. Hier, ça m'a désappointé, aujourd'hui ça m'énerve ; ça risque de commencer à m'inquiéter demain, si l'absence se prolonge. Il est tout de même incroyable qu'un colis mette plus de quatre jours pour franchir les 800 km qui séparent Plieux du Plessis, lorsque l'expéditeur a déboursé 27 € pour cela. Après quoi, il s'en trouvera encore pour hurler si jamais le transport du courrier devient ouvert à la concurrence (et je ne pense pas du tout qu'une telle ouverture arrangerait la situation, mais qu'elle l'aggraverait encore, au contraire).


Huit heures. – Rien fait du tout aujourd'hui, finalement. si ce n'est, sur le blog-mère, une tentative de parallèle entre Hugo et Balzac, à travers Valjean et Vautrin – texte qui ne vaut pas grand-chose j'en ai peur : trop seulement esquissé, pour ne pas dire bâclé. J'ai d'ailleurs bien failli ne pas le publier, l'ayant terminé ; et je me demande pourquoi je l'ai fait.

Revenu à la maison, vers quatre heures et demie, je me suis plongé dans les nouvelles de Marcel Aymé, reçues il y a deux jours. Étant d'abord très tenté de relire celles que je connais déjà (Derrière chez Martin, Le Vin de Paris...), j'ai finalement résisté et ai sagement commencé par le début (Le Puits aux images). Je devrais aussi recevoir d'ici un jour ou deux, son dernier roman, Les Tiroirs de l'inconnu, que je n'ai jamais lu. Sans parler des Camus qui vont bien finir par atterrir ici un de ces jours...

Demain, retour vers Levallois, pour trois jours. Enfin, non, plutôt deux et demi : devant déjeuner vendredi avec Jef Loiseau, et sachant ce que déjeuner avec lui veut dire (à moins qu'il ne soit devenu abstinent...), j'ai sagement annoncé aux filles que je ne serais pas là vendredi après-midi. D'autre part, j'ai convaincu Catherine de venir avec moi ce jour-là, si bien que c'est elle qui conduira au retour : on n'est pas plus prévoyant ni prudent.

J'ose à peine me l'avouer et je crains pourtant que ce ne soit vrai : aller à Levallois demain matin me pèse bien moins que les semaines précédentes simplement parce que je sais que ce va être l'occasion de conduire la nouvelle voiture : difficile d'être plus stupide. Et puis, en même temps, ça gêne qui ? Les plaisirs solitaires ne sont pas systématiquement à dédaigner, après tout. Ce qui serait plutôt regrettable, en fait, c'est la certitude que ce plaisir-là va s'émousser très vite : les aiguilles du sapin ne sont pas encore finies de tomber que l'enfant s'est déjà désintéressé des cadeaux qu'il a trouvés à son pied.


6 janvier

Une heure. – La neige est tombée cette nuit – sur notre coin de Normandie en tout cas : un à deux centimètres, pas plus. Suffisamment pour que les plus bourrins de mes co-régionaux roulent à trente à l'heure, même sur une route visiblement dégagée. Heureusement, le chemin n'est pas long entre le Plessis et la voie rapide. Trajet fort agréable ensuite, passé à écouter Ferré/Aragon d'abord, et Piaf pour finir. Je crois bien que c'est la première fois que je dispose d'une installation audio digne de ce nom dans l'une de mes voitures, grâce à cette fameuse prise “RCA” qui permet d'y brancher l'iPod.

Tout seul au rewriting pour la journée, Nathalie s'étant annoncée malade. Cela fait plusieurs fois qu'un tel cas de figure se présente, et je dois dire que j'aime beaucoup ça, alors même que je m'entends parfaitement bien avec les différentes personnes qui d'ordinaire peuplent ce bureau – et en particulier Nathalie justement. Mais ce silence presque parfait (les fenêtres du bureau donnent sur un jardin intérieur) et cette latitude d'organiser le travail comme je l'entends me satisfont. Ajoutons à cela que je puis aussi ouvrir les fenêtres comme je le souhaite, afin de compenser la démence du chauffage, sans que l'une ou l'autre des filles ne la referme au bout de trois minutes...

Cela étant, depuis dix heures et quart que je suis ici, je n'ai encore strictement rien fait. D'ici dix minutes, je vais descendre lire dans le canapé du hall (Marcel Aymé) et ne remonterai sans doute pas avant trois heures. Comme nous avons je ne sais quelle réunion d'information à cinq heures, cela revient à dire que j'aurais parfaitement pu rester à la maison aujourd'hui.

Je dis que je n'ai rien fait : c'est vrai pour ce qui concerne FD. Sinon, j'ai rédigé un billet sur La Meute, à partir des photos de Bergotte et Elstir a prises ce matin au terrain de foot. Et, plus important, j'ai imprimé, signé et renvoyé les contrats du prochain BM.

Catherine vient de me dire que les livres envoyés par R. Camus, censés être partis samedi de Lectoure (ou Fleurance...) ne sont toujours pas arrivés. Et, comme je le disais hier, je commence à m'en inquiéter. J'ai décidé de ne pas réagir avant lundi. Mais s'ils ne sont toujours pas arrivés à cette date, je ne vois pas très bien ce que je pourrai faire. La Poste, vraiment...


Neuf heures vingt. – Derniers kilomètres du retour à la maison assez pénibles : mini-tempête de neige, ABS en appelant à Dieu et à ses Saints au moindre freinage, etc. Depuis, il continue de neiger, la couche s'épaissit et il fait toujours - 4° – ce qui m'agace prodigieusement : voilà un demi-siècle que l'on m'apprend (et que je constate) que, sous nos latitudes civilisées, il ne peut neiger que, grosso modo, entre -2 et +1 : avant l'heure c'est pas l'heure, etc. Or, depuis ce matin il fait réellement -4 (sans doute -5 à l'heure qu'il est ET IL NEIGE ! Je me doute que les khmers verts et leur cohorte d'abrutis au cerveau gélatinoïde vont venir m'expliquer que c'est une conséquence du réchauffement climatique (dogme laïque, intangible), il n'empêche que, depuis dix ans que je vis ici et vais bosser là, c'est la première année que les glaces me bloquent. À ce train, si l'année prochaine je me retrouve coincé sur la voir rapide par un troupeau d'ours blancs, on viendra m'expliquer que l'incident est imputable à l'équatorialisation du climat, et je serai évidemment sommé d'y croire.

Bref, tropicalisation normande ou pas, j'ai tout de même bien dû enclencher la marche arrière sous peine, frein à main serré, de voir la voiture glisser jusqu'à la porte du garage. Si bien que si tout continue comme commencé, il me sera impossible de ressortir demain : et vive le télétravail, ma mère, vive le télétravail. Catherine, revigorée à l'idée que je ne quitte pas la maison demain, a d'ores et déjà admis qu'il me serait impossible de sortir. Je la soupçonne, sous couvert de regarder la télé, d'être en train d'accomplir dans le salon la danse de la neige, si tant est que celle-ci existe, ce qui m'étonnerait.

Il me semble que je voulais dire autre chose. Concernant Catherine... Ah oui : les planques à alcool. Elle continue à cacher des bouteilles, demi-bouteilles, quarts-de-bouteille de whisky ici et là. Bientôt, je suppose, elle va en arriver à emplir son début de collection de dés à coudre – bref. Le motif est louable : m'empêcher, si l'on boit, de dépasser les limites du raisonnable. (Quand on boit, où sont les limites ? Où est le raisonnable ? Nul n'en sait et surtout pas elle, mais enfin...) Donc, elle cache, planque, thésaurise, ali-babasse des cavernes de trésors que je ne songe nullement à découvrir.

Et, ce soir, se levant pour se verser un petit whisky (nous étions, moi à la bière (deux), elle au cidre brut) : – Tu veux un petit whisky ? Moi (mais assez mollement) : – Oui, pourquoi pas ? Puis, aussitôt, elle : – Ah, non, il n'en reste plus assez : je t'apporte une bière ! Moi (assez indifférent) : – D'accord...

Bruits divers dans la cuisine, frigo qu'on ouvre, porte d'arrière-cuisine qu'on referme, discret glouglou, tintinnabulis de glaçon, puis voix éclatante : – Ah, mais, je crois bien que j'ai une réserve ! De nouveau, porte qui s'ouvre, buffet qui geint, et cri de triomphe : – Oui ! J'ai un quart de whisky !

J'ai eu assez beau jeu, ensuite, de lui montrer qu'il était assez puéril de planquer des flacons d'alcool un peu partout, alors même que je ne les cherchais pas et que, pour ce soir au moins, je ne serais très bien contenté d'une 16 de plus. Cela étant, je lui ai sifflé sa flasque en trois coups de glotte.

Et je me demande si, pas entièrement certaine que la neige tombant serait une alliée assez sûre, elle n'a pas tenté, me liant à mon verre, de s'assurer par avance de mon immobilité cadavéreuse de demain. – Sont fortes, ces filles.


7 janvier

Midi. – Hier soir, j'ai publié sur le blog-mère un extrait du journal que je venais tout juste d'écrire ici : c'est une mauvaise idée, et il conviendra que cela ne se renouvelle pas, ou en tout cas pas trop souvent. Déjà qu'un délai d'un mois, entre écriture et publication c'est très court, si je me mets à en donner des extraits “en temps réel”, c'est le concept même de ce journal qui va s'en trouver affecté. D'autant qu'il s'est produit un phénomène curieux. Hier soir, écrivant ici, la pensée s'est formée à un moment donné : “Tiens, tout cela pourrait fournir matière à un billet...”. Instantanément, d'un paragraphe sur l'autre, l'“écriture-journal” s'est transformée en “écriture-blog”, laquelle est plus apprêtée, cherchant les effets (y compris les plus faciles, hélas), tandis que l'autre ne se soucie que de ce qui doit et veut être dit – raison de plus pour maintenir une cloison aussi étanche que possible entre les deux activités.

Il est tombé, depuis hier soir, environ vingt centimètres de neige et, ce matin, à huit heures et demie, il faisait - 11°. Je reste donc ici, bien au chaud, et Anne m'enverra par mails le travail qu'il y aura à faire ; même chose demain, ce qui fait que mon déjeuner avec Jef est repoussé : on s'est donné rendez-vous “après la fonte”...


8 janvier

Midi. – Et me revoilà devant ce clavier, à télétravailler comme un forçat, c'est-à-dire à tituber de blog en blog comme une âme en déshérence, attendant que le boulot daigne arriver. Ce qu'il peut aussi bien faire dans dix minutes que dans cinq heures.

Catherine et moi avons décidé de tenter, en début d'après-midi, la descente sur Pacy malgré la neige verglacée. Sous couvert d'aller au ravitaillement, mais en fait parce que j'ai trop hâte d'aller récupérer les livres de Camus qui sont censés m'attendre au bureau de poste. Nous allons lancer l'expédition à bord de sa voiture : à tant faire que de verser dans un fossé, autant que ce soit avec la 307, déjà bien vieille et cabossée. En fait la difficulté risque de n'être pas tant la descente sur Pacy qu'au retour de remonter la côte de la déchetterie : on aurait l'air parfaitement malin si on se retrouvait coincé en bas. Mais au moins, on aurait de quoi manger, boire, et de la lecture. Le colis expédié par R. Camus contenant deux exemplaires du même livre (Demeures de l'esprit), nous pourrions même, Catherine et moi, lire la même chose en même temps ; ce serait charmant.

Si l'expédition s'avère impossible, ou déraisonnablement périlleuse, je poursuivrai la lecture du journal des Goncourt, reprise hier en pis aller.


Quatre heure et quart. – C'est vraiment bien, le télétravail : depuis ce matin, dix heures et demie, toujours pas la moindre ligne à écrire. En d'autres temps, on aurait appelé cela “congé avec astreinte à résidence”, quelque chose comme ça.

Tout à l'heure, Catherine et moi nous sommes donc risqués à descendre à Pacy : à part le kilomètre et demi de la petite route qui nous mène jusqu'à la départementale, tout le reste était bien dégagé (ce qui fait que j'aurais très bien pu aller à Levallois aujourd'hui). J'ai récupéré à la Poste les deux volumes des Demeures de l'esprit : le mien et celui d'André (dédicacé). J'avoue avoir vaguement espéré que l'auteur y joindrait le volume de son journal qui vient de paraître en même temps, mais non : je l'ai par conséquent commandé à la Fnac, dès rentré.


Huit heures vingt. – J'ai fini ma journée de télétravail en prenant un premier verre, écoutant Richard Desjardins. Tout cela m'a ramené en arrière, à deux époque si l'on veut. Les bouteilles qui sortaient, comme champignons après l'ondée, c'était monnaie courante à FD, dans les années 90. Au rewriting, traînait toujours une bouteille de whisky Famous Grouse, auquel nous avait initiés Jean-Philippe Ch. Vers six heures, l'un de nous (souvent moi, parfois Yves J. si je tardais trop) poussait le cri de la grouse - sortait la bouteille et les gobelets de plastique translucides, initialement prévus pour le café. On s'arsouillait gentiment... en fumant... au vu et au su de nos rédacteurs en chef et autre directeur de la rédaction, qui s'en foutaient complètement. Bientôt, lorsque je raconterai ces choses à mes plus jeunes amis, ils riront poliment, tout en me tenant pour un affabulateur ou un gâteux.

D'une certaine manière, cette période qui sépare ma rencontre avec Catherine – 1990 – de ma démission de FD – décembre 1997 – est certainement la plus heureuse de ma vie, c'est en tout cas l'image qu'il m'en reste ; et restera je pense. Je travaillais avec des gens merveilleux, un petit miracle d'entente parfaite entre cinq ou six hommes (pas de femme, évidemment !), un code non appris, naturel, commun ; une même pudeur de jeune vierge parfois, mais fortement colorée d'obscénité rieuse ; des phrases inutiles à dire, des regards qui ne s'évitent pas mais ne se croisent pourtant pas : tout ce que les hommes connaissent (quand ils ont de la chance) et que les femmes ignoreront toujours, il me semble. – J'ai vécu ça.

Cela ne m'arrivera plus, je le sais fort bien. Trop vieux, fatigué, plus le goût, manque d'occasion peut-être. J'aime assez bien, au fond, ce crépuscule lent, je ne suis pas de ceux qui regrettent leur jeunesse – encore que. Essayons de savoir. Des regrets fourmillent bien sûr. Mais ils concernent une jeunesse dont j'admets très bien qu'elle ait disparu. Je ne tiens pas du tout à la retrouver, même si c'était possible. Je voudrais juste, parfois (toujours le soir, ce qui doit bien signifier quelque chose), comme dans un film hollywoodien, retourner passer cinq minutes tel jour précis et dire à telle ou telle les quelques mots qu'elle sollicitait et que je brûlais de lui dire. Mais quant à rester coincé dans ce passé... Et avec elle...

Et j'ai dérapé vers les femmes, tiens donc ! Non, pas les femmes, qui ne m'intéressent pas beaucoup finalement. Quelques adolescentes mortes, rien de plus ; mais alors là intensément, et sans doute de manière définitive.

Catherine se trompe de cible lorsqu'elle se retrouve jalouse de telle ou telle : des adolescentes mortes depuis longtemps. Elle seule est vivante ; c'est pour ça qu'elle ne peut pas lutter contre les autres, ni encore moins les autres contre elle. Cloison. Elles se mélangent toutes, ces adolescentes,“ mes belles indifférentes” comme l'écrivait Caussimon. Elles resteront belles, et indifférentes : c'est leur pouvoir sur moi et leur mort.

(Et j'écris cela qui n'a ni queue – quoique... – ni tête, et l'heure tourne, et le film du soir a commencé, et je ne le regarderai pas. Non à cause des cinq ou dix minutes manquées, mais parce que, parce que comment repasser après ça au dialogue à plusieurs personnages inconnus ? Il y faudrait un sas d'au moins une demi-heure. Donc, repliement.)


9 janvier

Deux heures et demie. – Rien de spécial à noter, en ce samedi vaguement neigeux et comme endormi. À dire vrai, je ne me suis transporté ici, dans La Case, que pour profiter de la chaufferette électrique qui s'y trouve, ayant les pieds gelés depuis plus d'une heure, dans le salon où j'étais occupé à lire.

À lire ces Demeures de l'esprit que je suis donc allé chercher au bureau de poste hier. Paradoxalement, mais ce ne doit être un paradoxe qu'en apparence, ces livres où le sujet principal est les “demeures”, c'est-à-dire les maisons, les points fixes, le matériel, le solide, ces livres sont en fait une puissante invitation au voyage, au déplacement rapide, à la présence furtive, une ode à la lumière, à l'air, ainsi qu'un hymne aux fantômes, à ce qu'on ne peut plus voir, une nostalgie en mineur – en quoi ils sont camusiens de plein droit. Les noms y ont autant de droits et d'espace que les lieux, ce qui est bien naturel puisque, sans les noms qui s'y rattachent, qui les habitent peut-être encore, les lieux ne seraient rien d'autre qu'eux-mêmes, parfois plus ou moins conservés (souvent moins), parfois plus ou moins défigurés ou réduits à presque rien par leurs immédiats alentours (souvent plus).

Il y a aussi, pour le lecteur de culture médiocre ou lacunaire, l'étonnement puis le plaisir d'entendre parler pour la première fois de tel ou tel poète du XVIe siècle – par exemple –, et de le découvrir charmant ; de se dire que l'on va sans tarder se procurer ses œuvres et le lire plus avant – se doutant déjà que l'on n'en fera probablement rien.


Huit heures. – Pendant ce temps, à propos d'un jeune Arabe qui a poignardé un autre Arabe, dans un lycée du Kremlin-Bicêtre (“Quoi, elle te plaît, ma sœur ?”), Céleste réclame des “réponses sociales” à la violence. Avec l'humour involontaire qui est sa marque de fabrique, en quelque sorte, elle précise “qu'on ne sait pas encore pourquoi” Larbi a poignardé Ahmed et qu'il faut donc se garder de juger hâtivement. C'est sûr : gardons-nous. Après tout, il avait peut-être d'excellentes raisons... tout à fait recevables... Peut-être qu'on l'a énervé, ce brave garçon victime, comme il se doit, de la “violence sociale”.

La même Céleste, dans son précédent billet, sanglotait de bonheur à l'idée d'être pacifiste (naturellement...) et m'expliquait en commentaire que le pacifisme était le seul avenir possible de l'humanité. Sauf quand c'est Ahmed qui poignarde Larbi, apparemment. Mais, évidemment, il y a toujours ce damné problème de la violence sociale...

Du reste, si un coup de surin dans le bide, donné si gaillardement qu'il entraîne la mort du récipiendaire, est de la violence “sociale”, je voudrais bien que Céleste m'explique ce qu'est, pour elle, de la violence “tout court”. Ah, mais oui, suis-je con : c'est la violence d'État, c'est le chômage, c'est l'exclusion, c'est... c'est... c'est SARKOZY !

C'est beau, un monde simple...


10 janvier

Midi. – Comme je le prévoyais, mon échange de mails avec Isabelle P. s'est rapidement tari : le dernier doit remonter à près de trois semaines. Je n'ai d'ailleurs eu aucun mérite à prévoir ce phénomène, dans la mesure où s'était produit exactement le même avec Monique, quelques mois plus tôt, et encore avant avec Claudie. Je dois dire que, si tarissement il y a, il est en grande partie, et même presque totalement, de mon fait.

Mais aussi, que s'imaginent-elles, ces filles devenues femmes qui, alors qu'on avait envie et besoin d'elles, vous ont repoussé avec une implacable gentillesse et qui, trente ans plus tard, internet aidant, réapparaissent la bouche en cœur pour vous expliquer combien elles sont heureuses de vous avoir retrouvé et à quel point vous avez compté dans leur vie ?

D'abord, je ne crois pas que ce soit vrai. Je ne pense pas avoir eu cette importance qu'elles disent. C'est juste que, le temps d'un échange de correspondance virtuelle, je leur tends une sorte de miroir rajeunissant et embellisseur dans lequel elles ont plaisir à se contempler – rien de plus je crois.

Ensuite, il y a que je moque un peu d'avoir eu ou non de l'importance dans l'aube de leur vie. J'aurais nettement préféré en avoir moins et qu'il me soit permis de les toucher davantage (je ne dis pas les émouvoir, mais bien les toucher...).

Du reste, il est frappant de constater que, jusqu'à présent, les seules qui se soient manifestées, par le biais des blogs, de Facebook, etc., sont précisément celles qui m'ont “ condamné leur porte” si je puis dire. Les autres s'en gardent bien. De là à penser que j'ai laissé de meilleurs souvenirs à mes râteaux qu'à mes amantes, il n'y a pas loin. En vérité, je pense qu'aux secondes je n'ai laissé aucun souvenir, ce qui n'est pas forcément plus satisfaisant pour l'amour-propre ; ou plutôt ne le serait pas si j'avais encore un quelconque amour-propre en ce domaine particulier. Pour être tout à fait honnête, je dois dire que si de mon côté j'ai toujours conservé un souvenir très net et très vivant des trois filles que je viens de citer, et encore d'une ou deux autres, j'ai oublié jusqu'aux prénoms et visages de celles qui ont jugé bon de céder à mes avances aux mêmes époques. Peut-être le coït, lorsqu'il est consommé, remplit-il la même fonction de vide-mémoire que la “corbeille” des ordinateurs.

Et puis, de toute façon, amantes ou pas amantes, qu'il y ait eu coucherie ou non, comment pourrions-nous sauter par-dessus ce gouffre de 25 ou 30 années sans tomber dans l'artifice, à défaut du gouffre lui-même ?


Huit heures. – Catherine vient de m'apprendre la mort de Mano Solo, chanteur dont j'ignore tout (mais pas son existence tout de même). Tout à fait a priori j'en ai l'image d'un rebelle bien-pensant comme il s'en bouscule dans le petit monde des variétés depuis trente ans. Je m'attends à une déferlante lacrymale sur les blogs demain. Quand on pense que même un Philippe Séguin a réussi à faire larmoyer dans les chaumières, il faut prévoir le pire pour un chanteur.

François M. est vraiment inguérissable, je crois. Il squatte de nouveau le forum de la SLRC et revient pour la centième fois sur sa petite histoire, toujours la même, avec R. Camus, qui remonte au moins à quatre ou cinq ans maintenant et avec laquelle il bassine tout le monde environ une fois tous les quatre mois. Il en est ce soir à prendre tout un chacun à témoin, sur le thème : « Et vous, pensez-vous que j'éprouve de la haine envers Renaud Camus ? » Il me semble que le réflexe le plus naturel serait de lui répondre qu'on s'en contre-pignole absolument. En ce qui me concerne je m'en garde, vu le passif qui existe entre nous.

Sinon, je lui conseillerais volontiers de lire ou de relire René Girard, mais avec des visées directement thérapeutiques : on n'est pas plus “homme du souterrain” que ce garçon-là. Avec Camus dans le rôle du modèle-obstacle, tour à tour adorable et haïssable, selon un mouvement de plus en plus frénétique du pendule.


11 janvier

Midi moins le quart. – Des CD au format MP3, j'en ai gravé des dizaines, sans rencontrer le moindre problème. Avec le nouvel ordinateur et la récente version d'iTunes qui se trouve à l'intérieur, plus moyen ! J'arrive bel et bien à graver, mais pas en MP3. Si encore on me proposait plusieurs options, je pourrais toujours me dire que je dois choisir la mauvaise : mais on ne me demande rien ! Et lorsque j'active la rubrique "aide", on me conseille de cliquer sur une icône qui n'existe pas – en tout cas pas à l'endroit où l'on prétend qu'elle doit être. Le plus étrange est que la première tentative que nous avons faite, Catherine et moi (il s'agissait d'enregistrer la troisième symphonie de Gorecki pour Mifa), s'est soldée par un succès total mais, pour ainsi dire, tout à fait en dehors de notre volonté et sans que nous ayons eu à prendre une initiative quelconque. Deux semaines après, nouvelle tentative (cette fois il s'agissait de graver Le Condamné à mort pour Anna et Dominique) : pas moyen. Rien ne m'énerve davantage que ce genre de problèmes parfaitement incompréhensibles, cette prise d'autonomie de la machine en face de laquelle je suis assis.

Par la fenêtre latérale de mon bureau, je vois Elstir se rouler dans la neige, pattes en l'air, près du portail, tandis que les deux autres fouillent du museau dans son ventre, comme s'ils cherchaient à le dévorer pour rire, ou “pour du beurre” comme les enfants ne disent probablement plus aujourd'hui – enfin, je n'en sais rien. Parfois le jeu s'arrête brusquement, sans que rien l'ait laissé prévoir ; les trois chiens demeurent immobiles, peut-être surpris d'eux-mêmes, comme attendant le signal de la reprise ; et, de fait, là encore sans le moindre signe perceptible, humainement perceptible, ils se jettent à nouveau les uns sur les autres, à grand renfort de grognements factices.


12 janvier

Huit heures. – Je me demande bien pourquoi je n'ai encore rien écrit ici aujourd'hui, dans la mesure où je n'ai à peu près rien fait d'autre, hormis aller chercher le pain ce matin et, cet après-midi, écrit sur le blog-mère un semblant d'ébauche de critique à propos des Tiroirs de l'inconnu de Marcel Aymé, dont la lecture s'est achevée ce matin. J'aurais du reste sans doute mieux fait, sinon de m'abstenir complètement, du moins de surseoir à sa publication : une fois de plus, tout cela est trop court, pas assez creusé, incomplet – ça pue l'amateurisme et le va-vite.

Pendant ce temps, Ygor Yanka vient d'écrire une longue et superbe lettre ouverte à Nicolas Sarkozy, que Juan Asensio a eu la très riche idée de publier sur son propre blog, ce qui devrait assurer au texte une bien plus large audience que s'il était paru seulement sur celui d'Ygor, Opus XVII. Le lisant, je ricanais tout seul en pensant aux dérisoires piqûres d'épingle qu'un certain nombre de “leftblogueurs” donnent au président de la République jour après jour, de façon obsessionnelle, maniaque, puérile, et pensant en outre lui infliger de véritables coups de massue. En sept ou huit pages, Ygor Yanka les fait voir pour ce qu'ils sont : des nains qui se moquent d'un petit homme en désignant sa taille ; des marionnettes dostoïevskiennes émergeant chaque jour, pour quelques minutes, de leur souterrain, en vociférant mentalement que, non, cette fois, ils ne dévieront pas leur route d'un pouce lorsque l'officier paraîtra en face d'eux, sur le trottoir de la Perspective Nevski – mais toujours ils se retrouvent, tremblant de rage et éperdus d'admiration, dans le caniveau.

Le texte de Yanka est plus implacable qu'aucun des leurs ne le sera jamais, pour la simple raison – en dehors de son talent – que, pour lui, Nicolas Sarkozy n'est pas et ne sera jamais un modèle-obstacle, ce qu'il est à l'évidence pour presque tous les autres, ses adversaires vociférants et prosternés.


13 janvier

Huit heures et quart. – Je savais bien que Catherine le prendrait mal, si jamais ça se produisait ; or ça s'est produit. R. Camus ne dit rien du tout du dîner que nous prîmes ( que nous prîmes : j'aime beaucoup...) en 2007, lorsque nous les invitâmes (Pierre et lui) dans cet hôtel dont j'ai parlé à l'époque. Elle a reçu le volume du journal 2007 ce matin, évidemment, elle a filé direct à la fin du volume, là où où sont consignés les gens dont il est question au fil des pages. Dont moi, donc. Je ne sais pas pourquoi et où Camus a décidé de me vieillir de deux ans (1954 au lieu de 1956), et bien entendu je m'en fous – au point de vieillesse où j'en suis...

Ce matin, j'ai bien failli ne pas pouvoir aller travailler (ce qui aurait été un immense bonheur). Bref : ma voiture, dans la descente de garage, impossible de la remonter. Je glisse à gauche, je glisse à droite... Et arrive Catherine, avec son expérience de Québécoise : alors que j'étais proche de renoncer, elle glisse deux des tapis des chiens sous mes roues – je recule de vingt centimètres – elle remet les tapis, je re-recule, etc. Et, finalement, je sors de la maison et vais gagner le miam-miam de la famille.



15 janvier

Dix heures et demie. – Si je n'ai rien écrit hier dans ce journal, ce n'est pourtant pas faute d'avoir essayé. Mais il s'est trouvé que, prenant prétexte de la survenue de Ludovic, nous avons considérablement forcé sur l'apéritif – surtout moi, pour être tout à fait honnête. Comme j'avais bu un peu de vin à midi, je me suis retrouvé complètement saoul avant même d'avoir flairé le danger. Résultat, lorsque je suis arrivé devant le clavier, plus moyen d'écrire une phrase sans faire deux fautes de frappe par mot – et je ne parle même pas du sens général de ce que je tentais d'écrire. Ce matin, je regrette d'avoir jeté à la poubelle cette piteuse tentative : j'aurais été bien curieux de la relire. J'aurais même pu la laisser telle quelle dans le journal publié, à fin de mortification.

Je voulais aussi écrire un billet sur le blog-mère dans lequel j'aurais dit quelques mots du journal 2007 de Camus, ou plus exactement de sa photo de couverture. Je voulais enfin répondre à François M. sur le site de la SLRC. Ni l'une ni l'autre de ces activités ne me fut possible – ce qui est plutôt tant mieux pour la seconde.

À midi, je devais déjeuner avec Jef Loiseau, mais il m'a appris hier soir qu'il était au fond de son lit avec une gastrite. Donc, partie remise. Comme Catherine est venue avec moi ce matin (consultation chez son ORL), je vais l'inviter à L'Ambiance vers deux heures : autant profiter de ce qu'elle pourra conduire au retour.

À propos d'ORL, je me demandais tout à l'heure si les noms des médecins spécialisés répondaient ou non à une logique quelconque. Pourquoi celui qui traite les affections de la peau est-il un dermatologue, et son confrère soignant le nez, les oreilles et la gorge un oto-rhino-laryngologiste ? Pourquoi pas un dermatologiste et un oto-rhino-laryngologue ? Et pourquoi les braves oculistes de mon enfance se sont-ils mués en de prétentieux ophtalmologistes (ou logues) ? Mystère.



16 janvier

Deux heures et demie. – Hier soir, rentrant de Levallois avec Catherine, et alors que j'avais passé deux heures à lire le journal 2007 de Camus, dans lequel il est souvent question des tristement fameuses pompes à chaleur, j'ai eu la mauvaise surprise d'entrer dans une maison anormalement froide. Et malgré les efforts conjoints de Catherine et Ludovic, la chaudière a refusé de repartir. Nous attendons un technicien cet après-midi, en attendant on n'a pas très chaud, malgré le radiateur à gaz que nous avons remonté du garage. Enfin, bref, il fait quasiment aussi froid ici qu'à Plieux, ce qui est pousser la camusolâtrie un peu loin.

Le journal de Camus m'amuse beaucoup, ne serait-ce que parce qu'il y parle plusieurs fois du GPS de sa nouvelle voiture : je me croirais dans le mien, de journal.

Et puis, bien entendu, il y a le fait de se découvrir soi-même au détour d'une page. Notre déjeuner d'avril au château de Lassalle est passé à la trappe dans la mesure où le journal comporte un trou d'une quinzaine de jours, et c'est précisément dans ce trou qu'a eu lieu notre visite à Plieux, en compagnie d'Adrien. Mais, avant ça, Camus se fait écho de mes empoignades avec Juan Asensio, à propos des Infréquentables. Juan prend le plus gros des coups, mais je n'en sors pas tout à fait indemne non plus.


17 janvier

Trois heures et demie. – Arrivé jeudi soir avec moi, Ludovic vient de repartir pour Levallois avec la voiture de Catherine. Ce qui est une très bonne chose, les éclats avec sa mère devenant sinon incessants du moins de plus en plus fréquents. Et, comme à chaque fois, je me rends compte que je suis à peu près incapable de supporter ces climats d'agressivité, de tensions ; qu'ils me mettent dans un état proche de l'hébétude, lequel à son tour m'empêche non seulement de travailler, si travail j'ai à faire, ce qui est en effet le cas, mais même simplement de lire ou de venir écrire ici quelque chose de tant soit peu cohérent.

En fait de lecture, je viens tout de même de terminer le journal 2007 de Camus. M'y a amusé le fait que tout comme moi (ou plutôt moi comme lui si on respecte la chronologie) il parle assez longuement de sa nouvelle voiture et du GPS qui l'équipe. Je viens d'en faire un petit billet que, contrairement à l'habitude ébauchée, je n'ai pas jugé bon d'aller retranscrire sur le forum de la SLRC : ce serait pour le coup que mon costume de guignol bas de plafond prendrait des allures définitives.

Je sens que ce journal de Camus va m'intéresser moins dans les années qui viennent, pour une raison toute contingente : je fais partie des lecteurs que ses comptes rendus de voyages ennuient. Enfin, ennuient plus ou moins. De même que les jérémiades sur les hôtels bruyants qui, cette fois, deviennent vraiment très répétitifs. Je ne me délecte jamais autant que du récit d'une journée à Plieux au cours de laquelle il ne s'est finalement rien passé que d'habituel, de purement routinier. Or, du fait des Demeures de l'esprit, et surtout de leur phase préparatoire, ces voyages deviennent plus nombreux et surtout plus longs. Donc, ce sont autant de pages dans lesquelles je picore plutôt que de les lire vraiment. Peut-être faut-il considérer le journal comme une sorte de buffet campagnard, où chacun, selon ses goûts propres, se compose sa petite assiette personnalisée.

Camus terminé, je vais donc mettre cet ordinateur en veille et retourner me plonger dans Marcel Aymé. Non sans m'être livré à l'une de ces crises de boulimie qui m'amusent tant dans le journal. Je ne comprendrai jamais comment on peut qualifier de “boulimie” la faim que l'on ressent vers quatre heures de l'après-midi, retour de promenade au grand air, lorsqu'on n'a rien avalé depuis huit heures le matin...


Sept heures et quart. – Lorsque j'ai décidé d'arrêter de lire, vers six heures et quart, juste après le repas des chiens, j'étais presque sûr que Catherine allait me proposer un petit verre – ce qu'elle a fait effectivement et que nous avons pris entre six heures vingt-cinq et sept heures, moment du repas (salade de lentilles tièdes avec effilochée d'aile de raie, vinaigrette moutarde + échalotes), ce qui fait que le verre fut en effet peu rempli, ce qui est très bien.

Mais je n'ai pas triché. Je veux dire que je n'ai pas cessé de lire pour que Catherine ait conséquemment l'idée d'un verre (d'autant plus qu'elle, plongé dans Le Bouc émissaire de Girard, a continué sa lecture un moment). Mais alors que j'ai réussi, il y a déjà longtemps, à lui persuader qu'une journée passée à lire n'était pas une journée où l'on n'avait rien fait, une journée de faignasse (ce que son précédent mari était très enclin à penser), je n'ai pas encore réussi la même chose avec la musique. Il est vrai que j'écoute moins de musique que je ne lis. Il n'empêche que je me doutais que (et que... et que...), me voyant “sans rien faire” à écouter le disque qui passait (récital russe – Tchaïkovsky, Moussorsky, Prokoviev, Stravinsky et Chostakovitch – par Richter), elle allait finir par penser que je m'ennuyais, déprimais, etc. Et, donc, me proposer un verre. Pari gagné.

D'ici une heure, soirée télé. Longue. Ayant subi une nouvelle perte d'audition (avec corrélative montée des acouphènes), Catherine prend des médicaments qui, au moins la première semaine, lui ôtent radicalement le sommeil. Radicalement par rapport aux neuf à dix heures qu'elle dort habituellement : elle n'en dort plus que six ou sept. Résultat, elle ne va pas à la chambre avant une heure voire deux du matin, et je lui tiens compagnie devant la télévision. Ce qui ne me gêne pas du tout : j'aime beaucoup ces films tardifs, ces daubes-de-troisième-partie-de-soirée qu'on ne tolérerait pas du tout de regarder à neuf heures moins vingt, ni peut-être même à dix heures et demie. Mais qui, le ramollissement cérébral aidant, deviennent tout à fait agréables entre minuit et deux heures (dans le genre des Scary movies qui nous attendent ce soir, après un film des frères Coen que je ne connais pas (avec Brad Pitt et George Clooney)).

D'une manière générale, j'aime beaucoup les soirées passées devant la télé, dans le minuscule salon consacré à cette non-activité, avec Bergotte partageant le canapé de Catherine et, désormais, Elstir à mes pieds. Et moi me levant douze fois dans la soirée, pour faire sortir les chiens, ou les faire rentrer lorsqu'ils menacent de défoncer la porte, toujours en ordre dispersé comme il se doit. Pendant ce temps, vieux sage, Swann est seul dans le “vrai” salon, lové dans son panier qu'il ne quitte guère (quoiqu'un peu plus depuis l'arrivée d'Elstir avec lequel il aime jouer dehors), invisible mais se signalant à nous par ses ronflements intermittents et le vacarme qu'il produit lorsqu'il “change de côté”. Tous ces riens minuscules, si je puis dire, font que même si les films proposés sont affligeants (mais il y a tout de même une limite...), on a finalement l'impression agréable d'avoir connu une véritable, une authentique “soirée télé”. Avec, j'ai oublié de le préciser, au début du premier film, la dégustation d'un ou deux yaourts natures sucrés et agrémentés de deux carrés de chocolat fourré à la noisette. Et cette certitude que l'on est en train de se fortifier dans de ridicules manies de vieux – lesquelles ne sont finalement que de micro-rituels pas moins respectables que d'autres – renforce encore le plaisir du cérémonial.


18 janvier

Onze heures vingt. – Aucune mais alors aucune envie de me remettre à ce synopsis, interrompu il y a bien dix jours en son milieu. Il le faut pourtant, si je veux me mettre à l'écriture dès samedi. D'autant que, le dernier week-end de ce mois, nous serons à Strasbourg d'abord puis chez mes parents, à Sedan, ce qui veut dire trois jours de travail en moins. Or, ce BM doit être chez Vauvenargues le 15 février, et je veux absolument le rendre dans les temps, dans la mesure où j'ai eu une grosse semaine de retard pour chacun des deux précédents. Mais ce n'est pas encore pour celui-ci que je parviendrai à ne travailler que les matinées. Je doute d'ailleurs d'y arriver jamais, vu ma propension à ne tout commencer qu'à la dernière minute ou presque.

Je reçois de plus en plus de publicité par courrier électronique. Et j'ai beau marquer consciencieusement chaque envoi comme “indésirable”, c'est en pure perte : s'il l'est en principe devenu, indésirable, cela ne l'empêche nullement de revenir dès le lendemain, exactement sous la même forme et tout à fait l'air de rien. On dirait de clandestins que l'on expulse le matin par la porte et qui se trouvent être de retour dès l'heure du dîner, revenus qu'ils sont par toutes les fenêtres laissées grand ouvertes. La seule différence est que, dans mon cas, il ne se trouve personne pour me dire que je suis un monstre de rejeter ces courriers, de les discriminer.

Les blogs sont encore plus dénués d'intérêt que d'habitude, si la chose est possible. Cela tient, il me semble, à la proximité de plus en plus grande des élections régionales : tout le monde a sorti son petit sabre en bois et fait de grands moulinets de bras avec, en poussant des piaulements qui se veulent et se croient effrayants. Pendant ce temps, le sage s'assied au bord du fleuve et regarde couler l'eau boueuse en essayant de se garder les pieds au sec.

Il faudrait d'ailleurs que je cesse de répéter que les blogs sont dénués d'intérêt. Sinon, pourquoi continuer à les lire (à les parcourir serait plus exact) et surtout pourquoi m'obstiner à en tenir un moi-même ? Ce sont du reste deux questions que je me pose régulièrement, mais sans jamais avoir le courage, ou au moins la cohérence, d'en tirer les conséquences logiques, à savoir l'arrêt de ces deux activités conjointes et subséquentes.

Pas forcément subséquentes, d'ailleurs : il doit bien être possible de tenir un blog sans se soucier le moins du monde de celui des autres. L'inverse est attesté par des gens comme Chieuvrou, Emma et Pluton, quelques autres encore dont les noms m'échappent pour le moment. Et un garçon comme Eisangelie, dont les commentaires sont systématiquement fermés, je ne l'imagine guère perdant une ou deux heures par jour à lire les blogs des autres. Mais en fait je n'en sais rien du tout.

Le temps est grisailleux et tiédasse, la Normandie a repris ses couleurs habituelles en cette saison. La conséquence la plus visible est que les trois chiens, à entrer et sortir, non seulement nous transforment, Catherine et moi, en portiers à plein temps, mais nous font en outre une maison immonde.

À cause d'une perte importante d'audition, survenue il y a deux ou trois semaines, Catherine prend des médicaments assez forts depuis plusieurs jours, lesquels lui occasionnent des vertiges intermittents mais importants. La conséquence est que je vais devoir la conduire à Évreux tout à l'heure, pour un autre rendez-vous médical, ce qui me fera une excuse en or pour retarder encore le moment de me mettre au travail.


Huit heures. – Encore rien fait aujourd'hui. Rien de ce que j'aurais dû et étais censé, je veux dire. Il va donc falloir mettre les bouchées doubles (voire triples) demain et compléter tout cela en travaillant au synopsis les jours suivants, à FD, durant le temps du déjeuner. Alors que, au départ, je disposais d'un temps qui me semblait infini. C'est vraiment n'importe quoi. Au lieu de travailler, pondu un petit billet vraiment idiot sur le blog-mère, à propos du hot-dog que Catherine et moi avons mangé à midi – ou plus exactement à trois heures, en rentrant d'Évreux. Bref, une journée totalement creuse.

Deux consolations cependant. J'ai lu (et programmé pour demain matin sur le blog-mère) le texte publié dans La Libre Belgique d'hier d'un intellectuel et ancien ambassadeur congolais qui, s'il avait été écrit par un Européen, et surtout par un Européen blanc, puisque maintenant il paraît qu'il y en a plein d'autres, aurait valu le pilori à son auteur. On va voir ce que celui-ci suscite comme réactions parmi nos chapelles habituelles, nos saints-offices antiracistes, nos congrégations du bien-penser. À mon avis, ce sera le silence.

Deuxième consolation : la perspective, ce soir à onze heures, de revoir Pouic-Pouic à la télévision, ce qui est un précieux remède à presque tout, ce n'est pas Pascal Zamor qui me contredira sur ce point.


19 janvier

Sept heures et demie. – Et voilà, tout s'est finalement passé comme d'habitude. Ce synopsis que je traîne sans le faire avancer d'un demi-pouce depuis près de deux semaines, je l'ai entièrement terminé, affiné, enrichi dans la seule journée d'aujourd'hui. En plus, l'ayant relu, je trouve qu'il ne démérite pas – par rapport aux précédents, s'entend : pas dans l'absolu. Conséquence logique et prévisible de cette satisfaction du devoir accompli : apéritif – petit.

Ma joie est fortement nuancée par deux choses : le fait que je doive me mettre à l'écriture du livre dans trois jours seulement d'une part, et d'autre part, avoir appris que Brice rentrait demain, après environ trois mois d'arrêt maladie. Or, nous nous étions fort bien – et même mieux que cela – habitués, les filles et moi, à travailler en l'absence des décibels qu'il éparpille du matin au soir autour de lui, et du stress qu'il ne peut s'empêcher davantage de répandre dans la mesure où il émane de lui et de lui seul. Les filles sont persuadées qu'elles ne pourront pas se réhabituer. Je suis à peu près sur leur longueur d'onde, sauf que, fort lâchement, je me dis que, vendredi soir, je serai en vacances pour deux semaines (afin d'écrire le BM dont auquel, etc.) et qu'elles se débrouilleront.

Le pis est que, je le répète, j'aime beaucoup Brice. Au point que, si comme probable il me propose de déjeuner demain avec lui à L'Ambiance, je lui dirai oui sans hésitation. Mais c'est un garçon constamment et irrémédiablement fatigant.

Je me suis éveillé ce matin, peu avant le lever du jour, de manière parfaitement naturelle. Et, immédiatement, j'ai été assailli de pensées négatives. Non, pas exactement négatives : disons plutôt grises, vaguement déprimantes (mais pas plus que “vaguement”). Et ce, quel que soit le sujet. La voiture neuve se présentait-elle à mon esprit ? Immédiatement, je me disais que nous avions choisi la pire formule d'achat, que nous nous étions mis au pied un fer de galérien. La BM ? Je ne parviendrais jamais à mener ce synopsis à bien. Et si j'y parvenais, je calerais sur l'écriture. Et si je ne calais pas, je resterais sec sur le suivant. Et si je ne restais pas sec, c'est la BM elle-même qui s'arrêterait brutalement. Et, du coup, le crédit de la voiture... Jusqu'au studio de Levallois : j'ai très sérieusement imaginé Ludovic se brouillant avec sa mère et refusant de quitter les lieux, et moi obligé de continuer de payer pour un bien dont je ne pourrais plus disposer. Et comment le payer, puisque, justement, la BM, etc. Là-dessus, j'ai bien dû me rendormir durant une dizaine de minutes et, quand je me suis réveillé pour de bon, ne subsistait plus aucune trace de tous ces miasmes. Mais je me demande si ce semi-rêve (car, au fond, suis-je vraiment certain d'avoir été éveillé alors ?) n'a pas contribué à me faire travailler autant aujourd'hui. Si cela était, le bon côté des mauvais rêves serait prouvé.


20 janvier

Midi et quart. – Depuis que je suis arrivé (à Levallois), je n'ai pas accès à Firefox, à cause d'un mystérieux serveur “Proxy” qui fait apparemment sa mauvaise tête. Or, je suis le seul de ce bureau à subir cet ostracisme de sa part et ne suis pas loin de le ressentir comme une injustice, pour ne pas dire une injure personnelle. J'écris tout ceci par Safari. Mais, curieusement, lorsque j'accède à l'un ou l'autre de mes blogs et prétends y écrire quelque chose, je ne peux faire ni gras, ni italique, etc. Alors que Catherine, de la maison, le fait, elle, couramment. Je renonce à comprendre.

Sinon, Brice est rentré de ce matin et, du coup, la quantité de décibels que nous encaissons est remontée en flèche. Mais enfin, il est d'excellente humeur, et finalement je suis content de le retrouver. Je pense (non, en fait, je suis sûr...) qu'on va aller fêter son retour à L'Ambiance. Mais sur le mode piano, vu qu'il me faudra reprendre la route.


21 janvier

Une heure. – J'ai récupéré l'usage de Firefox depuis une heure, après une simple et rapide consultation téléphonique de Vincent, le plus aimable du service informatique d'ici. Il m'est tout de même arrivé une petite aventure qui me laisse encore pantois. Hier, j'ai appelé ce même Vincent au secours, en fin de matinée. Je lui ai exposé mon problème et demandé s'il pouvait passer me voir lorsqu'il aurait une minute. “Oui”, m'a-t-il répondu. Mais il ne s'est pas montré de la journée, ce qui m'a surpris de sa part. Tout à l'heure, lorsque je l'ai rappelé, il m'a appris qu'il venait d'être absent trois jours et que je ne pouvais pas lui avoir téléphoné hier sur son poste fixe. Ce qui signifie qu'une autre personne du service informatique a décroché, qu'elle n'a pas jugé bon de me détromper lorsque je lui ai dit “bonjour Vincent”, que pour finir elle m'a promis de passer me voir (probablement sans même savoir où se trouve mon bureau) et s'est bien gardée d'en rien faire. Drôles de mœurs...

En parlant de mœurs et de mauvaise éducation, tout à l'heure, alors que je tentais de me nourrir à la cantine, je vois une jeune pétasse d'une vingtaine d'années, son plateau dans les mains, s'arrêter à la table où sont proposés les divers condiments classiques. Là, elle empoigne l'unique flacon de tabasco, le pose tranquillement sur son plateau et disparaît avec pour aller s'asseoir à l'autre bout de la salle. Je suppose que si j'avais cédé à mon avis de lui faire la leçon sur son sans-gêne, elle n'aurait même pas compris ce que je pouvais bien vouloir lui dire.


Là-dessus, je vais mettre cet ordinateur en veille et aller lire le journal des Goncourt dans le canapé du hall, bien que cette lecture ne me passionne guère – en tout cas moins que celle d'autres journaux (Gide, Léautaud, Camus, Pepys...)


22 janvier

Midi vingt. – J'ai oublié de raconter ici l'anecdote concernant David B. Lorsque j'ai vu apparaître çà et là dans la presse le nom de ce dessinateur de bandes dessinées, je me suis dit qu'il pourrait bien s'agir de ce David B. que j'ai connu jeune adolescent, dans le Loiret, il y a environ 32 ans. (Là, je ne sais comment me dépêtrer de cette situation, qui consiste à préserver l'anonymat d'un artiste signant son nom d'une simple initiale. Ce qui me conduit à écrire une chose aussi absurde que : « Je me demande si David B ne serait pas David B. » La solution serait peut-être de lui attribuer un nom fictif. Oui, faisons cela, tiens.) Donc, je me suis demandé, lorsque le nom de David B est apparu dans les journaux, s'il ne pourrait pas s'agir de David Bertrand, ce jeune adolescent que j'avais connu vers 1977 et qui passait l'essentiel de ses journées libres et de ses soirées à dessiner des petits mickeys dans sa chambre, n'en sortant guère que pour les repas familiaux.

Florence, la sœur (très peu) aînée de David – elle avait 16 ou 17 ans à l'époque – était la petite amie de Denis, mon colocataire de la rue de Patay, à Paris, où elle venait très régulièrement passer les week-ends et ses vacances. En retour, Denis était très bien reçu par les parents Bertrand, dont le père avait été son professeur de dessin au lycée. Ils habitaient dans une grande maison patinée et chaleureuse, un peu foutraque, un peu “baba intello” comme on savait l'être à l'époque, dont le jardin descendait en pente douce jusqu'à la berge du Loiret. J'y suis allé à plusieurs reprises, je crois même y avoir passé la nuit une fois ou deux. C'est comme cela que j'ai connu David Bertrand, garçon charmant et intelligent, encore qu'un poil renfermé sur lui-même, ne semblant concevoir sa vie comme vivable que s'il parvenait à la bien ranger dans les petites cases de ses planches. Je crois me souvenir que, dans les deux années suivantes, il lui est arrivé de venir “camper” rue de Patay lorsqu'il avait à faire à Paris. Puis, il a disparu de mon horizon comme moi du sien.

Il y a quelques jours, sur son blog, Olivier Deprez a fait allusion à David B., comme à une connaissance à lui. En commentaire, je lui ai donc demandé s'il s'agissait ou non de David Bertrand. Et sa réponse a été oui. Lui-même m'a dit le connaître depuis une douzaine d'années. Et qu'il lui parlerait de moi s'il le voyait au prochain festival d'Angoulême. C'était ma grande série : Comme le monde est petit...

Sinon, je suis allé tout à l'heure chez le dentiste, au départ pour un simple détartrage. Le remplaçant de mon praticien habituel (qui se remet tout doucement d'un cancer) m'a découvert une grosse carie à une dent de sagesse et m'a proposé de l'arracher séance tenante. Well... let's go, hein ! Alors qu'il m'avait déjà injecté l'anesthésiant, il s'est avisé de me demander si je prenais de l'aspirine. Or, oui, tous les matins, un petit sachet de Kardégic 75 mg, et ce depuis la pose de mon stent en 2003. Le verdict est tombé aussitôt : “ Ah, désolé, je ne peux pas opérer, alors ! Il va falloir reprendre un autre rendez-vous... ” Ce qui a été fait, et je me suis retrouvé sur le trottoir avec toujours ma carie, et en plus la moitié de la bouche en bois dur. Le nouveau rendez-vous est pour le 10 février. Ce dentiste m'a également appris que même pour un simple détartrage, il importerait désormais que j'arrête le kardégic 24 heures avant, et après feu vert donné par mon médecin traitant. Sauf que, pour une journée, je ne vais évidemment rien demander à personne. Après tout, il m'est déjà arrivé d'oublier de prendre mes médicaments quotidiens (mais très peu souvent : je suis un malade consciencieux) et je n'en suis pas mort.

Je crois bien que j'ai oublié de noter (et j'ai la flemme de m'interrompre pour aller voir) ici, hier, que je m'étais découvert un “fan club” de lecteurs au deuxième étage de cet immeuble où je travaille. Mais comme j'en ai fait un billet sur le blog-mère, inutile d'insister ici, finalement.


23 janvier

Quatre heures. – Je viens de relire et de corriger tout le mois de décembre de ce journal, qui sera mis en ligne le 30 janvier, jour de notre départ pour Strasbourg, c'est-à-dire dans une semaine exactement. Je me demande bien pourquoi, avant cet été à Plieux, je n'ai jamais réussi à tenir de journal, malgré les nombreuses résolutions prises, la première remontant à 1984, et coïncidant avec la découverte du cancer de Philippe Bernalin. Il me paraît tout de même invraisemblable que ce soit à cause de la seule “ forme blog” que j'ai donnée à celui-ci. Ou alors, le moteur est la certitude d'une publication, et d'une publication rapide. Mais alors, cela signifierait que je n'ai aucune motivation profonde ou même simplement réelle pour le tenir – et dans ce cas pourquoi continuer ? La troisième hypothèse, celle que semble me souffler François M., est que je me serais remis au journal par pur mimétisme, le modèle étant bien entendu Camus et le sien. Du reste, le fait qu'il ait été commencé à Plieux semblerait bien accréditer cette troisième explication. C'est du reste celle qui me conviendrait le mieux, la plus acceptable pour l'amour-propre. Car, enfin, le mimétisme n'est pas toujours quelque chose d'infamant. Lorsque Victor Hugo clame qu'il veut être Chateaubriand ou rien, c'est du mimétisme, mais du mimétisme fécond. De même celui d'un enfant s'efforçant d'apprendre à lire pour pouvoir “faire comme papa”.


24 janvier

Midi moins le quart. – C'est étonnant comme les sujets d'énervements s'amoncellent depuis hier soir. En soi, aucun n'est important, mais c'est leur empilement qui devient pénible. D'abord, il y a le contexte général : je suis censé me mettre à écrire le prochain BM ce matin (pas commencé à midi...), ce qui a toujours tendance à me rendre un peu moins “zen” que d'ordinaire. Ensuite, il y eut ce coup de fil de Ludovic, à six heures, pour annoncer à sa mère qu'il allait débarquer incessamment afin de passer la nuit ici. M'a agacé cette tendance qu'il a de plus en plus à considérer la maison comme une auberge de jeunesse, ou un hôtel... Comme Catherine l'était autant que moi, agacée, nous nous sommes consolés avec un apéritif qui n'était nullement au programme initialement.

Ensuite, alors que je m'étais couché à une heure tout à fait chrétienne (onze heures), je me suis réveillé sans raison vers une heure et demie ou deux heures, et pas moyen de me rendormir avant trois heures et demie. D'autant moins que nous parvenait la lumière de la Case, ainsi que la musique des vidéos que Ludovic regardait sur mon ordinateur : deuxième source d'agacement, lequel n'a pas favorisé le rendormissement.

Enfin, ce matin, l'âme déjà aussi grise que le temps de ce que je devais me mettre au travail, je suis venu ici, dans la Case, afin d'y mettre un peu de chauffage : il y régnait une température d'étuve, Ludovic ayant poussé les radiateurs à fond et “oublié” de les couper avant d'aller se coucher.

Là-dessus, comme en toile de fond, est venu se greffer le problème du thermostat permettant de programmer la température désirée dans la maison. L'ancien étant tombé mort (d'après le plombier, car, bizarrement, il fonctionnait très bien jusqu'à son intervention de la semaine dernière...), on nous en a installé un nouveau, prétendument “plus simple”. J'ai demandé à l'installateur de nous le programmer, pressentant un combat tristement inégal si je devais m'en charger moi-même. Mes exigences étaient simples : 20° C de six heures du matin à dix heures du soir, 14° C durant la nuit. Et, naturellement, lorsque j'ai posé la main sur les radiateurs hier soir, vers onze heures, ils étaient brûlants au lieu d'être froids comme ils l'auraient dû – énervement considérable.

Tout à l'heure, alors que je me résignais doucement à l'idée de commencer mon premier chapitre de BM, Catherine m'a appelé à la rescousse (pauvre rescousse, vraiment !) : il faisait 17 dans la maison et les radiateurs étaient implacablement froids. Naturellement, ainsi qu'il fallait s'y attendre parce que c'est la loi du genre, le mode d'emploi de ce thermostat “simple” s'est vite révélé rédhibitoirement imbitable. Nous avons tout de même fini par croire comprendre que le plombier, sur le cadran de 24 heures, avait confondu six heures du matin avec six heures du soir et tout à l'avenant, ce qui expliquerait les radiateur brûlants d'hier soir et leur dédaigneuse froideur de ce matin. Nous croyons de même avoir rectifié le tir, mais rien n'est moins certain.

Là-dessus midi moins le quart est arrivé, si je puis dire, et il n'était plus question de se mettre au travail à une heure aussi avancée. Ce qui explique que je sois occupé à récriminer ici plutôt qu'à faire violer une malheureuse fille par une bande de nains en rut. Quant à s'y mettre cet après-midi, il le faudrait, mais je me connais...

J'ai reçu au courrier, avant-hier, le précédent BM, Les Filles du château, dont une partie se déroule à Plieux, en août dernier, lorsque Catherine et moi y étions. Ronaldo, le dessinateur, n'a pas trop raté la silhouette du château que je lui avait demandé d'essayer d'inclure dans sa couverture. Ce fut d'ailleurs sa dernière couverture, puisque le malheureux est mort dans les premiers jours de ce mois-ci, vaincu par le cancer.


Trois heures moins le quart. – Je suis revenu ici, à ce bureau, davantage pour glisser mes pieds gelés dans la chaufferette électrique que dans l'idée de travailler, malgré l'assurance contraire que j'ai donnée à Catherine (laquelle fait en ce moment même la sieste et n'a donc aucune exigence particulière à avoir, il me semble).

J'ai oublié de noter qu'il y a deux jours, l'un des blogueurs que je lis avec le plus de plaisir (mouvance “réacosphère” et qui m'a demandé de lui conserver l'anonymat, y compris par rapport à son pseudonyme de blogueur) m'a proposé de faire partie de la nouvelle équipe de Ring, qui deviendra Ring 2.0 à compter du 14 février. J'avoue à ma grande et courte honte (comme disait mon grand-père) que, jusqu'à ce jour, j'ignorais tout de cette publication webosphérique, à laquelle je viens d'aller jeter un rapide coup d'œil. Évidemment, les signatures alignées (Muray, Dantec, Camus, etc.) sont alléchantes. D'un autre côté, ai-je encore envie d'une quelconque aventure collective de ce type, ou de ce que je crois être ce type ? Je n'en suis pas certain. Bien sûr, le fait qu'un Ygor Yanka ou un Roman Bernard aient d'ores et déjà rallié le projet m'inciterait à faire de même. Mais d'un autre côté...

Enfin, quoi qu'il en soit, personne n'a exigé de moi une réponse prompte et catégorique.


25 janvier

Quatre heures. – Le moins que je puisse dire est que ce BM ne démarre pas plus sur les chapeaux de roue que ceux qui l'ont précédé. Je vais avoir écrit cinq pages en deux jours, autant dire rien. Ce matin (et c'est le signe que j'étais déjà plus ou moins décidé à ne rien faire aujourd'hui), j'ai calculé combien il me restait de jours d'écriture d'ici le 15 février, date de remise. Verdict : quinze – ce qui m'a paru tout à fait satisfaisant. Rien de trop, bien sûr, mais rien d'acrobatique non plus. Sauf que, quelques heures plus tard, Catherine me rappelait que non contents d'aller à Strasbourg et à Sedan le week-end prochain (ce que j'avais intégré dans mon calcul), nous allions également passer deux jours chez ma sœur le suivant. Ce qui ramène mes journées disponibles à treize. Une fois de plus, mon ciel s'assombrit...


Huit heures. – Le soleil a daigné réapparaître en milieu d'après-midi. Ce qui devrait permettre au jardin de s'assécher un tant soit peu, et par conséquent aux chiens de ne plus nous ramener des kilos de boue à chaque fois qu'ils sortent – ou plutôt qu'ils rentrent. Écrivant la phrase qui précède, je me suis demandé pourquoi j'avais pris la peine de rouvrir ce blog simplement pour y noter cela qui n'a pas le moindre intérêt. Par pur besoin d'aligner des mots, comme un aliéné se masturbe sans en avoir envie ni même conscience ? Ou parce que j'avais un commencement d'idée qui m'a échappé le temps de l'ouverture de la page ? Ne le sais.

Comme n'importe qui aurait pu le prévoir, le lamentable Besson est déjà en train de faire machine arrière à propos de la poignée de Kurdes clandestins débarqués sur les rivages de Corse il y a quelques jours. Une fois de plus, le chœur des vierges sanglotantes s'est arraché les cheveux pour rien. Mais je suppose que, lisant par-dessus mon épaule, elles me diraient, ces sanglotantes, que ce sont précisément leurs trépignements qui ont fait reculer le monstre. La réalité est qu'on en est arrivé à un tel degré d'avachissement et de renoncement à soi-même que toute personne parvenant à entrer en France, par n'importe quel moyen, est assurée d'y rester, d'y être presque tout de suite logée et très bientôt nourrie. Dans ces conditions, je comprends parfaitement que les candidatures se multiplient : je suppose que je ferais pareil à leur place.

Mais quand on y pense, quand on songe plus précisément au parti communiste français, quel fabuleux retournement, en trente ans à peine ! En 1980, le PCF était encore le parti de la classe ouvrière – ou au moins se donnait pour tel : le défenseur de l'ouvrier français et de son emploi. Trois décennies plus tard, l'ouvrier s'est mué en un beauf franchouillard devant lequel la Buffet se verrouille les portes à double tour, et en se pinçant le nez en raison de l'odeur fétide de ce dinosaure, encore foutu de dire “non” à l'érection de minarets dans son village, si on était assez mal avisé pour lui demander son avis. Aujourd'hui, pour espérer être défendu par le parti des travailleurs français, il est d'abord préférable de n'être ni travailleur ni français, et si possible, en sus, en option, clandestin, homosexuel, délinquant ; de remplacer le bleu de chauffe par le tutu et la casquette par les plumes multicolores ou le keffieh palestinien. Si en plus vous affirmez haut et fort que vous êtes un homme dans un corps de femme ou l'inverse, la place du Colonel-Fabien est à vous. Moyennant quoi, le parti des travailleurs est passé de 20 à 1,5 % des suffrages, ce qui est logique dans la mesure où il y a tout de même, encore, nettement plus d'ouvriers franchouillards que de travelos à paillettes.


26 janvier

Cinq heures. – Rien fait. Pas un mot. J'ai tranquillement annoncé une dizaine de pages écrites à Catherine, et en fait pas un mot. Petit à petit se crée une sorte de fascination pour le vide qui s'ouvre devant moi. L'envie de voir jusqu'où je peux aller, jusqu'à quel extrême bord il m'est possible d'approcher sans tomber.

Le pire est que, dans le dernier volume de son journal, Camus dit à peu près la même chose, à propos de Commande publique, si je me souviens bien. Si bien que si un François M. quelconque passait par ici un jour, il aurait beau jeu de m'accuser de “tout faire comme papa”. Alors qu'il y a des années que j'éprouve cette fascination bizarre, qui ressemble à de la procrastination simple (mais la procrastination est-elle jamais simple ?) mais que je soupçonne d'être autre chose.

Tandis que que j'écrivais le paragraphe précédent, je me suis mis à sourire à cause de la question qui m'est venue : Camus, le soir, fait-il croire à Pierre qu'il a écrit dix pages alors qu'il a vaguement jeté deux maigres paragraphes sur le clavier ? Ça m'étonnerait, mais qui peut savoir ? À la réflexion, non, je ne crois pas : s'il se livrait à ce genre de petit jeu, je pense qu'il ne pourrait s'empêcher de le noter dans son journal, comme je le fais moi-même ici. Ce qui est une manière d'être ridicule non pas doublement mais deux fois : une première à mes propres yeux, en ce moment même, et la deuxième lorsque Catherine lira ceci.

Nous sommes demain mercredi, il ne me reste donc que trois jours de travail avant le départ pour Strasbourg. Et je me demande de plus en plus si je vais trouver la force (le courage ? la raison ?) de m'y mettre avant ce départ.


27 janvier

Cinq heures. – Bon, cette fois, j'ai vraiment commencé à travailler au BM : il était temps. Seize pages : pas de quoi pavoiser, mais enfin, dans la mesure où j'en avait écrit quatre en trois jours jusqu'à maintenant, on peut considérer que la fusée est sur sa rampe de lancement et que la mise à feu a été déclenchée. Le triste de l'affaire est que, depuis ce matin, les scènes s'enchaînent sans difficulté et que je me demande bien pourquoi il m'aura fallu tourner stérilement autour durant tout ce temps avant de mettre simplement la clé de contact.

Il est vrai que, ce matin, j'ai au préalable fermé Firefox et Mail afin de ne pas être distrait en cours de séance : il faut que je m'astreigne à faire ça tous les jours.

À part ça, aucune idée d'un billet que je pourrais faire pour le blog-mère, mais enfin je ne peux pas être partout non plus. À propos de blogs, je crois que je n'ai pas noté ici que Catherine s'est avisée que La Meute des gâteux, notre blog conjoint consacré aux chiens, était cinquième au classement “animaux” de wikio – il aurait même été troisième en décembre dernier. Du coup, trouvant l'affaire amusante, j'ai battu le rappel de la blogosphère afin d'obtenir des “liens” qui nous permettront de décrocher la première place. Ce qui, à mon avis, ne manquera pas de se produire. Et, si ça se produit réellement, cela sera bien la preuve que toute cette affaire de classement des blogs est totalement absurde, une simple affaire de copinage pouvant même aller jusqu'à l'association de malfaiteurs – mais des malfaiteurs inoffensifs heureusement. Car qui se soucie de l'avis des blogueurs, et spécialement des blogueurs dits "politiques”, ces gens qui s'entre-lisent, s'entre-citent, s'entre-congratulent sans fin dans un tout petit mouvement giratoire qu'ils prennent pour la marche du monde quand il n'est que la baignoire qui se vide par sa bonde ?

Bien écrire est à la portée de n'importe qui ; c'est écrire qui est difficile.


Sept heures dix. – Je suis plongé depuis une grosse semaine dans le journal des Goncourt. Plongé n'est d'ailleurs pas le terme exact : j'ai l'impression de davantage le parcourir que de le lire. Par exemple, je survole très rapidement, ou même saute carrément, les minutieuses descriptions d'intérieurs, poussées jusqu'à la maniaquerie, où pas un bibelot, pas un bout de tapis ne doit échapper à la recension. Les considérations sur les femmes, les sempiternelles plaintes à leur sujet, à propos de leur “putanisme”, ont elles aussi vite fait de tourner à la rengaine un peu vide. M'intéressent bien davantage les Scènes de la vie parisienne qui se tissent page après page, le tableau des mœurs éditoriales et journalistiques qui s'élabore au jour le jour, sorte de version feuilletonnesque de ce que Balzac a si magistralement ramassé dans la deuxième partie de ses Illusions perdues.

Et justement, à propos de Balzac. Il y a une dizaine de jours, dans un billet du blog-mère, sortant des Splendeurs et misères, j'esquissais un court (trop court...) parallèle entre Hugo et lui, partant de leurs deux figures de forçats, Vautrin et Valjean, et concluant au net avantage de Balzac. Je n'ai donc pas été fâché, cet après-midi, de lire ceci, sous la plume des deux frères (mais plus probablement sous celle de Jules), à la date du 25 avril 1862 :

« Une grande déception pour nous, Les Misérables d'Hugo. J'écarte la morale du livre : il n'y a point de morale en art ; le point de vue humanitaire de l'œuvre m'est absolument égal. D'ailleurs, à y bien réfléchir, je trouve assez amusant de gagner deux cent mille francs, – qui est le vrai chiffre de vente – à s'apitoyer sur les misères du peuple !

« Passons et venons à l'œuvre. Elle grandit Balzac, elle grandit Eugène Sue, elle rapetisse Hugo. Titre injustifié : point la misère, pas d'hôpital, prostitution effleurée. Rien de vivant : les personnages sont en bronze, en albâtre, en tout, sauf en chair et en os. Le manque d'observation éclate et blesse partout. Situations et caractères, Hugo a bâti tout son livre avec du vraisemblable et non avec du vrai, ce vrai qui achève toutes choses et tout homme dans un roman par l'imprévu qui les complète. Là est le défaut et la misère profonde de l'œuvre.

« Pour le style, il est enflé, tendu, court d'haleine, impropre à ce qu'il dit. C'est du Michelet de Sinaï. – Point d'ordre : des demi-volumes de hors-d'œuvre. Point de romancier : Hugo et toujours Hugo ! De la fanfare et point de musique. Rien de délicat. Une préméditation du grossier et de l'enluminé. Une flatterie, une caresse de toutes les grosses opinions, un saint évêque, un Polyeucte bonapartiste et républicain ; des soins lâches du succès qui vont jusqu'à ménager MM. les aubergistes.

« Voilà ce livre ouvert pour nous comme un livre de révélation et fermé comme un livre de spéculation. En deux mots, un roman de cabinet de lecture écrit par un homme de génie. »

Qu'il y ait des excès dans cette critique “à chaud” – le roman venait tout juste de paraître –, c'est certain : “court d'haleine” me paraît bien sévère. Mais, à côté, l'adjectif “enluminé” me semble d'une justesse parfaite.

De toute façon, il ne faut pas chercher de critiques posées ni d'opinions raisonnées chez les frères Goncourt. Ou bien, s'il s'en trouve, c'est au milieu de dizaines de jugements à l'emporte-pièce (la charge furieuse contre Ingres !), parfois dictés par ce qui pourrait bien être, et qui est presque à coup sûr, la jalousie et l'aigreur : les différentes esquisses du portrait de Flaubert par exemple, ainsi que les jugements sur ses livres. C'est en effet l'un des leitmotivs de ce journal : ses auteurs ne sont pas reconnus à leur juste valeur – qu'il place très haut –, ils sont nés par malheur dans un siècle où tout ce qui est grand est rabaissé et tout ce qui a du succès est vil et compromis.

Il reste que ces trois mille pages (dont j'achève tout juste le premier tiers) fourmillent de notations crues, voire cruelles, mais qui “sonnent ” juste, sur les sommités journalistico-littéraires de la seconde moitié du siècle. En tant qu'écrivain en bâtiment, je ne pouvais évidemment rester insensible à ce que les Goncourt écrivent du plus célèbre et talentueux d'entre nous : Ponson du Terrail (19 juin 1861) :

« On aperçoit, passant modestement, le profil de Ponson du Terrail, avec, à l'horizon, sur le boulevard, son dog-cart et son cocher, la seule voiture d'homme de lettres roulant sur le pavé de Paris. Le pauvre garçon, au reste, la gagne assez et par le travail et par l'humilité de la modestie. C'est lui qui dit aux directeurs de journaux où il a un immense roman en train : “ Prévenez-moi trois feuilletons d'avance, si ça ennuie le public ; et en un feuilleton, je finirai. ” On vend des pruneaux avec plus de fierté. »

Être feuilletonniste pour les journaux, si ces derniers publiaient encore des romans en feuilleton, voilà qui conviendrait à merveille, je crois, à ma trop fâcheuse propension à ne me mettre au travail qu'en dernière extrémité – et je crois que j'aurais bien aimé cela.

On y parle aussi, dans ce journal, énormément des femmes, sur un ton froidement misogyne très “d'époque” et avec un penchant pour les histoires de "lorettes”, d'actrices et de putains, lesquelles sont très souvent les mêmes, soit tour à tour, soit en même temps : pas de quoi enthousiasmer nos féministes. Cela étant, les hommes ne sont guère mieux traités, surtout s'ils sont “du peuple”. Et j'en terminerai pour aujourd'hui avec cette anecdote (27 décembre 1860) :

« Je tombe, en feuilletant un livre, sur ce mot sublime, à noter dans notre pièce de la Révolution. Le peuple criant : “ À la guillotine ! à la guillotine ! – On y va, canaille ! dit une marquise. »

Où l'on voit quels mauvais instinct Edmond et Jules flattent en moi.


28 janvier

Sept heures et quart. – Je crois bien que j'ai chanté victoire trop vite à propos de la fusée BM : à peine huit pages aujourd'hui, et encore écrites péniblement, dans un désintérêt morne. Il apparaît de plus en plus certain que, bien qu'ayant disposé de trois mois au lieu de deux, je vais néanmoins rendre celui-ci aussi avec une semaine de retard...

Excellent soirée télé hier : Les Désarrois de l'élève Törless, puis La Comtesse aux pieds nus.

Je n'ai jamais lu le roman de Musil. Acheté il y a environ deux ans, je l'avais d'abord feuilleté, comme il m'arrive, avant de le commencer vraiment. Je l'avais laissé tomber après quelques dizaines de pages, non qu'il me déplût, mais pour des raisons extérieures, contingentes, dont je ne conserve aucun souvenir. Néanmoins, je crois pouvoir hasarder (d'après les quelques extraits lu aujourd'hui, çà et là, sur internet) que le thème de l'homosexualité est traité de manière plus explicite chez Musil, et plus allusive – mais tout de même très fortement allusive – chez Schlöndorff. Problème de censure peut-être ? Ou de prévention de cette même censure...

Ce qui m'a davantage frappé et intéressé que l'homosexualité (thème vieilli) dans le film, ce sont tous les thèmes “girardiens” qui s'y donnent à voir. La scène où Basini, la victime expiatoire de tous les désirs diffus qui prolifèrent au sein de ce groupe d'élèves, est cerné par tous les autres qui, disposés en cercle autour de lui, se le renvoient d'une manière de plus en plus violente avant de le pendre par les pieds, ressemble en tout point au meurtre fondateur, au lynchage du bouc émissaire, au pharmakos tel que souvent décrit et étudié par René Girard. Et il produit en gros le même effet “bénéfique” : les élèves qui n'étaient au départ qu'une sorte de conglomérat indifférencié se soudent soudain en une véritable communauté, lorsqu'il s'agit de s'unir pour faire face aux autorités collégiales – communauté véritablement et directement issue du meurtre (virtuel certes, joué, représenté) de Basini.

Vertigineuses aussi les réflexions auxquelles aboutit Törless sur la banalité du Mal et l'interchangeabilité des victimes et des bourreaux, leur parfaite identité, qui annoncent à la fois le nazisme, Raul Hilberg, Hanna Arendt, ainsi peut-être que la rage judiciaire et pénale des combattants du Bien et de la Pureté qui pullulent aujourd'hui.


Après cet intense “moment de cinéma”, nous avions prévu de regarder je ne sais plus trop quelle daube hollywoodienne. Mais, comme nous disposions de vingt-cinq minutes de battement, j'ai émis le souhait de revoir le début de La Comtesse aux pieds nus. Naturellement, au bout d'un quart d'heure, il ne fut plus question de changer de chaîne, tant est grande la puissance d'envoûtement de ce film cruel et triste, même quand on le connaît par cœur.

Quand on croit le connaître par cœur : la construction en est si complexe, ou en tout cas subtile, la matière à la fois si riche et si fluide, qu'il y aura toujours des scènes, des plans, des répliques qui passeront à travers le filet de la mémoire et rendront le film intact à la vision suivante.

Et demeure toujours la même question : le comte Torlato-Favrini aime-t-il réellement Maria Vargas, lui qui n'hésite pas à l'épouser sans l'avertir au préalable de son impuissance, uniquement pour pouvoir accéder un jour, post mortem et avec elle, à la galerie de portraits des aïeux ? Catherine est catégorique : c'est non ! Je serais plus nuancé – ou si l'on veut plus incertain. Je dirais volontiers : oui et non. Mais aucune envie de développer ce soir.

En tout cas, j'ai ressorti le roman de Musil de la bibliothèque pour le rapatrier sur ma “desserte” du salon – là où il a déjà passé plus d'un an sans être ouvert. Mais je suis bien décidé à le lire dès la fin du BM, lorsque j'aurai le temps de lire davantage. Ce sera d'ailleurs une excellente occasion de me remettre aux romans, lecture délaissée depuis plusieurs mois.

Les services de la météo annoncent de la neige durant tout le week-end, sur l'Alsace et les Ardennes notamment, c'est-à-dire où nous allons. Pour les trajets proprement dits, je ne me fais guère de souci, dans la mesure où ils s'effectueront presque uniquement par les autoroutes. Quant au Haut-Kœnigsbourg où nous sommes censés nous rendre dimanche matin, il sera sans doute magnifique sous la neige, à condition que nous puissions y accéder.

Demain, le réveil doit sonner à huit heures, de manière à ce que nous soyons levés lorsque arriveront les tailleurs de haies. Cela devrait me permettre de me mettre au travail un peu plus tôt que ces jours derniers, ou pour mieux dire moins tard.


29 janvier

Dix heures. – De quoi ricaner sur les blogs depuis hier. Ça commence par le toujours ébouriffant Oh!91 qui trousse un billet d'une trentaine de lignes pour nous raconter sa coloscopie et les lavements qui l'ont précédée. Le tout avec un sérieux papal : c'est le docteur Purgon qui n'aurait pas croisé Molière. Ensuite, il y a la petite phrase de Georges Frêche, disant qu'il trouvait à Laurent Fabius une tête “pas très catholique”. Naturellement, tout ce que la blogosphère compte de combattants du Bien et de bas du front progressistes se rue dans cette brèche de Frêche pour hurler à l'antisémitisme. Sans s'aviser que l'expression “pas très catholique”, en français et depuis des siècles, signifie simplement quelque chose comme louche ou “pas très honnête”. Il ne semble venir à l'esprit d'aucun de ces clowns gesticulants que l'on peut parfaitement être un catholique pas très catholique (j'en connais, dont Fabius précisément...), de même qu'un orthodoxe peut ne pas être très orthodoxe dans ses agissements, et deux Espagnols avoir des querelles d'Allemands. Mais c'est tellement bon de pouvoir crier sa vertu à la face du monde : on comprend qu'ils n'aient pas su résister à cette tentation-là.

Depuis une heure et demie, quatre petits hommes verts armés ont envahi le jardin : ils taillent les haies. Le vacarme qu'ils font est relativement supportable, mais fournit une excellente excuse pour retarder le moment de se mettre au travail. De toute manière, je sais bien à quelle tentation je vais être soumis tout à l'heure : celle de considérer que, partant demain matin pour l'Alsace, je suis déjà en vacances aujourd'hui. Après tout, n'est-ce pas, quinze pages de plus ou quinze pages de moins, quand on s'est mis soi-même dans des retards à peine rattrapables...

En fait, j'en suis au stade de lassitude où, si on me proposait de venir travailler un jour de plus à FD – avec l'augmentation de salaire conséquente –, je laisserais immédiatement tomber la BM. Je crois que j'en ai vraiment assez.

Depuis ce matin (et sans doute même avant), il tombe une vraie pluie hivernale normande, lourde et lente, désespérément régulière et froide : je suis bien content de n'être pas jardinier. (D'habitude aussi, mais là, plus.)


Midi moins vingt. – À propos de cette lassitude grandissante, concernant les BM, il me ressouvient que, vers la fin, Muray en éprouvait une semblable (voire plus grande, je ne sais), et que cela se sentait fort bien à la lecture de sa production : toutes les histoires étaient coupées exactement sur le même patron, il se contentait de changer les noms, les lieux et les milieux socio-professionnels dans lesquels l'intrigue se déroulait. Eh bien, je m'aperçois que, depuis un an ou deux, je fais exactement la même chose. Lorsque, ces derniers temps, il m'est arrivé de devoir relire des numéros plus anciens à fin de documentation, écrits par moi, j'ai été plusieurs fois frappé (et presque épaté...) par la relative richesse des histoires, leur variété, par comparaison avec celles d'aujourd'hui. Le fléchissement est surtout net dans la partie purement policière des intrigues. En fait, désormais, mes BM ne sont plus guère qu'une succession de tableaux mettant en scène les “méchants”. Et, entre ces scènes, je promène mes flics sans leur faire faire grand-chose. Neuf fois sur dix, ils résolvent l'énigme (quand il y en a une...) quasiment par l'opération du Saint-Esprit, comme dirait ma mère. Je parviens encore à cacher (j'espère !) ces faiblesses, pour ne pas dire ces carences, parce que j'ai créé plusieurs personnages récurrents secondaires, semi-récurrents donc, qui me permettent de meubler, de “faire scène”.

En réalité, les seuls moments où je parviens encore à m'amuser un peu, c'est dans les parties pour ainsi dire ainsi annexes, en marge, lorsque mes héros et mes semi-récurrents évoluent entre eux, hors de tout contexte utilitaire – lorsque l'histoire s'interrompt, que les personnages en descendent pour pique-niquer au bord du scénario. Et aussi lorsque je portraiture de façon reconnaissable et caricaturale tel ou tel blogueur dans sa pompe et ses œuvres – comme par exemple Céleste dans le dernier paru, ou encore Nicolas et Tonnégrande à plusieurs reprises. Mais, évidemment, mis bout à bout, ces passages ne doivent pas représenter le quart de chaque livre ; et il y a tout le reste...

Pendant ce temps, les petits hommes verts ont fini de tailler ; à présent ils broient (les branches) et soufflent (les feuilles et les brindilles éparpillées sur la pelouse). Cela fait autant de bruit que la taille proprement dite, mais présente un avantage annexe : en même temps qu'ils ramassent leurs propres cochonneries, ils embarquent aussi les innombrables bouts de branches de tilleul, soigneusement mâchouillés puis épandus par Elstir un peu partout dans le jardin. S'ils pouvaient en même temps nous débarrasser des déjections de la meute, ce serait parfait : on les ferait venir tous les mois.


31 janvier

Quatre heures et demie. – À Strasbourg depuis hier. Trajet sans histoire notable, à l’exception d’un franchissement des Vosges un peu problématique en raison de la neige, mais rien de préoccupant. Toujours le même plaisir, non : le même bonheur (il y a des cas où certains mots, même galvaudés, s’imposent) de me retrouver ici, chez André et Béa, dans cette maison de Schiltigheim où tellement de souvenirs me retiennent. Comme à chaque fois que je viens en Alsace, l’envie irrésistible de tout quitter pour m’installer ici. De toute façon, il y a déjà très longtemps que j’ai cette certitude que ma vie se terminera tout près d’André et Béa. Certitude impossible à étayer, bien entendu, mais tout à fait indéracinable.

La cave d’André étant ce quelle est, on a évidemment trop bu hier soir, mais dans une ambiance si parfaitement chaleureuse qu’à chaque fois je me demande si elle existe vraiment, si cela se peut – et pourtant, oui, chaque fois, depuis 33 ans. Bien sûr, dès que j’arrive ici, dans ce salon, l’ombre de Bernalin se fait plus présente, plus compacte, dans la mesure où, durant sept ans, je ne suis jamais venu chez André et Béa sans lui. Et, déjà à cette époque, nous nous faisions cette réflexion, dans la voiture du retour, que ces week-ends avaient sur nous un incroyable pouvoir à la fois euphorisant et apaisant. Pouvoir intact aujourd’hui, malgré le temps et ses ravages. Et, ce pouvoir, Catherine le ressent et l’éprouve tout pareil.

Ce matin, donc, visite guidée du Haut-Kœnigsbourg. Plus exactement, visite doublement guidée, puisque, au guide officiel (un Breton exilé bizarrement), s’adjoignait André qui brodait sur le thème « Sherlock Holmes au Haut-Kœnigsbourg », dont il a fait le nœud de son premier (et unique à ce jour) roman, paru voici quelques mois. Le tandem fonctionnait à merveille et cette heure et demie de visite fut fort agréable. Elle aurait été parfaite s’il n’avait pas fait un froid de gueux. Ensuite, déjeuner à l’Hôtellerie incluse dans l’enceinte du château et dont c’était le dernier jour d’ouverture : trois ans de travaux en perspective, la maison devant être refaite de fond en comble. Contrecoup du stress de la visite, ou du riesling d’hier soir ou les deux, André n’a rien mangé (ni rien bu, ce qui est plus préoccupant) et il a été malade lors du trajet de retour. Il a air d’aller mieux, mais je pense qu’il ne fera pas, ce soir, un compagnon de beuverie très performant. Ce qui tombe assez bien puisque, de notre côté, nous devons décoller à huit heures et demie demain matin, si nous voulons arriver chez mes parents à une heure décente – décente pour eux, s’entend.

J’ai oublié de dire que, ce matin, André a failli rebrousser chemin, tant il y avait de neige (laquelle tombait dru) jusque sur l’autoroute. Finalement, à part les deux derniers kilomètres pour monter au château lui-même, le trajet s’est fait sans encombre.

Le Haut-Kœnigsbourg est certes très impressionnant, mais il pâtit un peu de son parfait état de conservation/réfection : par moment, on dirait d’un faux château construit par un milliardaire texan dans les années trente du dernier siècle. En revanche, il commande un paysage tout à fait impressionnant, même si, le temps étant ce qu’il était, nous n’avons pas pu en jouir pleinement. Et puis, cette pierre rose des Vosges est vraiment de toute beauté.

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