mardi 30 mars 2010

Mois de février

1 février

Quatre heures. Le trajet Strasbourg – Sedan aurait dû, d’après Roselyne, demander trois heures et vingt-et-une minutes, il nous aura fallu quatre heures et demie, en raison de la neige qui, dès Saverne, nous est tombée sur le toit et ne nous a guère lâchés ensuite. Actuellement, mes parents semblent faire la vaisselle (alors qu’ils possèdent un lave-vaisselle…), Catherine est partie se promener avec Elstir, et je suis, moi, donc, dans cette salle-à-manger à laquelle rien ne me rattache, dans cette maison qui n’a rien à voir avec ma vie, mais que pourtant mes parents occupent depuis environ quinze ans. Maison étrangère, et même, d’une certaine manière, maison hostile : je n’y ai jamais vécu, elle est la maison de mes parents APRÈS moi : je n’aime pas tellement...

J’entends la voix de Catherine montant du sous-sol, et j’en suis bien content.

Ce soir, mes oncle et tante Annie et Bernard viennent prendre l’apéritif. Je compte parler à Annie et ma mère de ma grand-mère, j’envisage d’être ferme (j’ai abordé le sujet tout à l’heure avec mon père). Tiens, au moment où j’écris ceci, Catherine en parle à ma mère, dans la cuisine. Du coup, évidemment, je vois mal ce que je vais pouvoir dire de plus… D'autant que ma mère est en train d’expliquer à Catherine que tout va pour le mieux. Ce qui est en complète contradiction avec ce que mon père me disait il y a une demi-heure.

Bien, ma mère est tout de même (croyant expliquer que tout va bien) occupée à dire qu’elle n’en peut plus, ni elle ni sa sœur Annie – et du coup, ça m’encourage à en parler ce soir : on verra.




2 février

Huit heures et quart – Nous voilà rentrés, donc. Je suis très fatigué. Je supporte de plus en plus difficilement ces journées de mangeaille et de beuverie, surtout lorsqu'elles se doublent de trajets pénibles en raison de la neige. Néanmoins...

Néanmoins, aller chez André et Béa a toujours le même effet extraordinaire, de calme, de sérénité, d'apaisement. Nous nous le disions, voilà un quart de siècle, Bernalin et moi, lorsque nous faisions le trajet entre Strasbourg et Paris, aujourd'hui Catherine s'émerveille de cet effet également agissant sur elle. Et il y a désormais – ce que Bernalin n'a pu connaître, bien entendu – la nouvelle génération Fernique : Elsa, Adrien (que nous n'avons pas vu cette fois-ci), Sarah (ma filleule) et Adèle (la filleule de Jef Loiseau) : merveilleuse fratrie, quatre personnes qui, même enfants, étaient déjà absolument séduisantes, et qui le demeurent lors de leur passage dans l'âge adulte : belle intelligence, bel humour, et en plus bel attrait physique pour les trois filles. Injustice totale, donc.

Injustice que Catherine ressent, je le comprends bien, par rapport à ses propres enfants. Je vois très bien ce qui se passe, et je ne peux rien lui dire. Ou alors, je dirais probablement des choses désagréables pour elle. Par exemple, que ni Gilles Boivin, ni même elle, n'auraient jamais pu “fabriquer” des enfants Fernique, simplement parce que ni elle ni son mari n'en avaient les capacités. En réalité, Catherine aurait été à même de fabriquer des enfants réussis à partir du moment où elle s'est mise à vivre avec moi – parce que (on va penser que je me vante) je l'ai élevée au-dessus d'elle-même. Je n'ai rigoureusement aucun mérite à cela : elle valait virtuellement mieux que ce qu'elle était lorsque je l'ai connue, ou “re-connue”. Au sens le plus “agricole” du terme, elle était en friche, mais féconde, et je l'ai cultivée. Et je suis, je l'avoue, quitte à être ridicule, content de mon travail d'ensemencement : voir Catherine plongée dans les livres de René Girard (par exemple), s'apprêtant à lire Dostoïevski que, sans moi, elle n'aurait probablement jamais osé aborder... Eh bien, il y a cette impression de n'être pas passé sur cette planète de merde totalement pour rien.

Je ne sais plus ce que je disais, avant cela... Ah, oui, je parlais d'André et Béa. Je vais en rester là pour ce soir : la fatigue se fait sentir...


3 février

Trois heures moins le quart. – L'apéritif d'hier soir s'étant finalement révélé plus copieux que prévu, la journée d'aujourd'hui restera blanche du point de vue du travail. Paresseuse lecture des blogs ce matin, puis replongée dans le journal des Goncourt. Catherine qui avait prévu d'aller faire des courses à Évreux a finalement décidé de ne pas quitter le canapé – sauf à midi pour faire chauffer le couscous au poulet qu'elle avait pris soin de sortir du congélateur quelques heures plus tôt. Du reste, les trois chiens ne sont pas plus actifs que nous, ou à peine.

C'est étonnant comme à chaque fois que je m'absente la lecture des blogs, au retour, me semble ennuyeuse et vaine. Et puis, dès le surlendemain, je m'y remets comme si rien ne s'était passé.

Huit heures moins le quart. – J'ai oublié de noter ici la bouffonnerie qui a éclos juste avant notre départ pour Strasbourg : la sortie d'un rapport délateur émanant du Mrap, l'officine stalinienne bien connue et tendrement aimée des cafards de toute obédience. Ce volumineux et indigeste pavé recense tous les blogs ou forums qui pensent mal, c'est-à-dire différemment du Mrap, et les dénonce à la vindicte progressiste. C'est ainsi que je me retrouve classé comme “droite extrême”, non pas par le contenu du blog-mère, que personne au Mrap n'a dû juger bon de consulter je suppose, mais parce que ce blog est mis en lien par des blogs qui eux-mêmes, etc. Au bas de chaque page de ce nauséeux (ça change de nauséabond) torche-cul, on vous avertit en un froncement de sourcils que la liste des futurs proscrits n'est pas exhaustive et que, par conséquent, ceux qui ne s'y trouvent pas ne doivent pas se réjouir trop vite : s'ils suintent le racisto-fascisme, on finira bien par les retrouver à l'odeur et par les coincer.

Pendant ce temps, les néo-staliniens du NPA présentent une femme voilée aux prochaines élections, sous les applaudissements émus des boyscouts de diverses couleurs, et mêmes de quelques féministes particulièrement atteintes. Et il est vrai que c'est là une belle et grande victoire pour toutes les femmes...


4 février

Sept heures dix. – Cette fois, je me suis vraiment mis au travail : 21 pages aujourd'hui, dont 14 étaient faites – et avec une grande facilité – à l'heure du déjeuner. Preuve de plus en plus facilement vérifiable que je travaille beaucoup mieux le matin que l'après-midi, surtout lorsque j'ai un déficit de sommeil, ce qui était le cas aujourd'hui. Je viens de calculer que si je tenais une moyenne de 23 pages par jour à compter de demain, et si je pouvais “carotter” mon vendredi à FD la semaine prochaine, je terminerais ce livre tout juste dans les délais – et à condition de le relire et corriger à mesure, soit le soir ici, au lieu de tenir ce journal (ce qui m'embêterait), soit à FD durant l'heure du déjeuner, ce qui en outre m'éviterait la tentation de L'Ambiance d'à côté.

Bien que je me fusse promis de n'en rien faire, je n'ai pu résister hier à la tentation de pondre un petit billet sur le blog-mère, à propos de la pantalonnade mrapienne (ou mrapiste, pour rimer avec gestapiste). L'idée m'est venue que, réponse du berger, nous devrions (nous : les parias, les crypto-nazis, etc.) mettre sur pied une sorte de contre-rapport, dans lequel nous pointerions tous les blogs, sites et forum “collabos”, à savoir ceux qui soit refusent de voir soit encouragent la contre-colonisation dont nous sommes victimes un peu davantage chaque jour. Mais ce serait beaucoup de travail et de temps perdu, de lectures insupportables, probablement malsaines à haute dose, pour un simple éclat de rire final.

Le Dalaï-lama fait de nouveau parler de lui depuis qu'il a réussi à serrer la paluche au président des États-Unis. Et tout le monde de s'extasier sur Barack Obama, sa hauteur de vision planétaire, etc., alors qu'il n'a agi selon toute vraisemblance que dans l'intérêt immédiat et bien compris de son pays – ce qui est après tout ce que ceux qui l'ont élu sont en droit d'attendre de lui. Quelle autre explication possible, du reste ? Qu'est-ce que le président américain pourrait bien avoir à faire du peuple tibétain ? Ce malheureux peuple dont les cohortes célestines de chez nous expliquent avec des sanglots dans la voix et des mains qui se tordent de douleur humanitaire qu'il est en train de disparaître, victime d'une politique implacable de substitution de population. Et cela ne leur évoque pourtant rien. Même des promenades dans de nombreux quartiers de toutes les grandes villes européennes ne les éclairent pas, ne les rendent pas capables du moindre parallèle, de la plus petite et timide comparaison. Mais il est vrai que les Tibétains sont par essence des victimes, et nous des coupables par nature : ça change le regard, forcément.

J'en arrive à me demander si, lorsque l'effondrement, quasi inéluctable désormais, sera consommé, et à condition que je sois encore de ce monde, je me demande si le sentiment qui demeurera finalement en moi ne sera pas la fascination devant ce processus mené sans la moindre opposition sérieuse jusqu'à son terme, dans le grand silence morne et résigné de la majorité des populations européennes et avec le soutien actif de la poignée de collabos braillards et larmoyants dont je parlais il y a une minute.

En attendant, il va peut-être falloir songer dès maintenant à l'achat d'une petite bicoque dans une région bien éloignée et montagneuse, là où la résistance est toujours un peu plus facile qu'en plaine ou a fortiori dans les villes occupées, et où les chasseurs sont nombreux, ce qui rend les armes de défense plus aisément procurables.

Évidemment, après un paragraphe pareil, il ne faudra pas que je m'étonne de passer pour un vieux raciste paranoïaque, même si je persiste à ne pas voir ce qu'il pourrait y avoir de raciste dans un simple instinct de conservation. Mais cette notion même d'instinct de conservation devient incompréhensible à une frange certes minoritaire mais très bruyante et hautement procédurière de la population, puisque, précisément, ce qu'elle ne veut plus, ce qui lui fait horreur, c'est de continuer à être elle-même, de poursuivre – et si possible d'améliorer – l'œuvre commencée. Ils sont fatigués d'être, et ils se cherchent des maîtres qui sauront les châtier comme ils sont sûrs de le mériter : ils ne le savent pas encore bien nettement mais ils les ont déjà trouvés.

Cela mériterait une véritable et approfondie étude que je n'ai ni l'envie ni les capacités de mener, mais il me semble que nous sommes de plus en plus occupés à devenir la risée du reste du monde, des peuples qui, pour le moment, sont encore assurés d'eux-mêmes. Après les rires viendront le mépris puis le dégoût (et déjà : souchiens, n'est-ce pas...), de manière à peu près automatique. Ce dégoût que notre bassesse finira par inspirer fera sans difficultés sauter les verrous qui auraient pu empêcher notre asservissement, notre écrasement : on met facilement sous le talon la vermine qui nous répugne. Quand on sait en quelle estime les Arabes tiennent les chiens (encore plus piètre que celle accordée aux femmes, c'est assez dire), on comprend bien que la difficulté leur sera légère de réduire des souchiens. C'est le principe même des nazis avec les juifs : déshumanisation/extermination ; déshumanisation rendant possible, concevable, réalisable en pratique la destruction.

Évidemment, il est possible (et même hautement souhaitable de mon point de vue !) qu'un tel scénario n'advienne finalement pas. Mais il faudrait alors que se produise une réaction rapide et énergique, pour ne pas dire brutale, de notre part. Or je ne vois rien de tel s'amorcer. Plutôt au contraire, en fait.


5 février

Six heures moins le quart. – Je suis fatigué. Pas tant par les vingt pages écrites depuis ce matin que par les tombereaux de sottises que je puis lire sur les blogs entre deux. Évidemment, je pourrais aussi m'en abstenir et écrire 25 pages plutôt que 20 – mais ce n'est pas le sujet, comme dirait ce bon Nicolas. Il y a dix minutes je suis arrivé, au hasard des liens, sur un blog qui commence à être très couru, je crois, et qui s'appelle Le Monolecte. Il est tenu par une Agnès Maillard qui est parvenue à faire croire à ses commentateurs qu'elle est écrivain, simplement en réunissant ses billets de blogs et en les envoyant à un éditeur en ligne. Ce que rigoureusement tout blogueur peut faire, puisque ces pseudo-éditeurs-là n'ont bien évidemment aucun comité de lecture et acceptent tout ce qui se présente à eux. Pourquoi d'ailleurs se montreraient-ils sélectifs, dans la mesure où, de fait, ils ne publient rien et qu'ils n'ont en outre aucune réputation à soutenir, ni l'ombre d'un intérêt pour la littérature.

Bref, cette monolectale Agnès y va de son petit couplet sur la burka, comme tout un chacun. J'ai oublié de préciser qu'elle est évidemment de gauche, tolérante, ouverte sur l'Autre, multiculturelle jusqu'aux dents de sagesse et toute la panoplie du blogueur-in-the-wind. C'est écrit dans une langue grise, terne, souvent poussive, tout juste correcte par moment. Elle convoque pesamment le souvenir de la seule fille voilée qu'elle ait connue et qui, si j'ai bien compris, traînait le fantôme d'elle-même sur un campus universitaire toulousain il y a de ça vingt ans. Et sœur saint-monolecte de nous expliquer qu'elle ne prend pas partie pour ou contre le voile (évidemment, tiens !), mais qu'elle observe que, sans ce voile, cette étudiante convoquée par elle en urgence n'aurait jamais pu suivre des études supérieures et, donc, s'émanciper. Et voilà comment on pose l'axiome voile = émancipation, et voilà aussi pourquoi toutes vos sœurs seront muettes.

J'ai failli laisser un commentaire, et puis à quoi bon ?

L'autre sujet du jour, c'est la nouvelle poussée de fascisme purulent et viral de notre gouvernement. Qui vient de renoncer à montrer dans toutes les écoles primaires de France un dessin animé assurant, au travers de deux petits poissons, la promotion de l'homosexualité. Je ne me félicite même pas de la décision du ministre de l'Éduc' Nat', sachant bien que ce ne sont pas ses convictions qui ont parlé, à plat ventre qu'il est devant les démences de l'époque comme tout bon ministre d'aujourd'hui. Il a juste dû penser qu'on allait un peu trop vite, que ça risquait de renauder chez les beaufs, qu'on verrait cela à la prochaine rentrée scolaire...

Naturellement, la locosphère – comme on pourrait appeler les blogueurs progressistes régulièrement saisis de démence sociétale – s'est immédiatement déchaînée contre ce malheureux Luc Chatel, qui n'en peut mais et dont l'histoire aura oublié le nom d'ici que j'aie fini ma première bière de la journée. Et tous d'en appeler à la fin des préjugés, des concepts à la con, des visions rétrogrades, etc., toutes ces aimables qualificatifs désignant rien de moins que la très banale et fort naturelle hétérosexualité.

Eh bien, on aura beau dire, mais au bout d'un moment, tout cela fatigue.


6 février

Une heure et demie. – Ce matin, au e-courrier, un assez long mail d'Ygor Yanka, dans lequel il me dit qu'il vient de lire l'intégralité de ce journal – l'intégralité de ce qui a été publié bien sûr. Les compliments et encouragements qu'ils me prodiguent me font évidemment plaisir, et encore davantage parce que venant de lui. Quant aux quelques réserves qu'il émet, elles me comblent presque encore plus dans la mesure où elle prouvent (mais je n'en doutais pas) qu'il a réellement lu et pas seulement parcouru distraitement, mais aussi parce que je m'étais fait à peu près les mêmes – et Catherine aussi –, notamment celles concernant la “porosité” entre le blog et le journal, non seulement dans les thèmes mais plus encore dans la manière de les aborder, dans l'écriture elle-même.

Je voudrais pouvoir répondre longuement à Ygor sur ce point, au moins parce que cela me permettrait (peut-être) de fixer mes propres idées sur ce sujet et donc de me purger de ce que je sens être le principal défaut, la plus grande faiblesse du journal, de ce journal. Mais je suis poussé en avant par le BM et, maintenant qu'il semble aller à bonne allure, je ne puis me permettre de le ralentir.

Catherine m'appelle pour déjeuner.


Trois heures. – Et voilà l'illustration de ce que je disais tout à l'heure : le temps d'avaler un magret de canard (et même pas un entier) et de lire quelques pages du journal des Goncourt, il est déjà temps de me remettre au travail, si je veux tenir à peu près le rythme et avoir mon compte de pages à six heures, moment qui correspond au repas des chiens et auquel généralement je cesse de travailler. Encore, entre Goncourt et maintenant, ai-je trouvé le temps de publier un petit billet anodin sur le blog-mère. Billet très dispensable, d'accord, mais qu'il a néanmoins fallu écrire, illustrer, etc. Et je me dis aussi qu'il y a bien deux ou trois jours que je n'ai rien écrit sur le blog-chiens, que ce serait bien de le faire, et que, et que... Heureusement encore que je n'ai pas, comme certains blogueurs, des cent ou cent cinquante commentaires par publication : j'y deviendrais fou, ou idiot. Et Suzanne qui, en plus, voudrait que j'ouvre les commentaires de ce journal !

Bon, ça suffit, au travail bon sang.


Huit heures. – Mon idée était d'écrire ici un paragraphe ou deux à propos des petits remous que provoque la présentation aux prochaines élections par le NPA d'une musulmane voilée. Et finalement non : bêtise trop épaisse, vague trop haute, plus envie. Pas ce soir, en tout cas.

Et puis, ce Mrap qui, à peine sèche l'encre de son rapport pointant entre autres les blogs antisémites, lance un appel au boycott des produits israéliens. Mais bien sûr, le Mrap étant de gauche, il ne s'agit pas là d'antisémitisme, très vilain, mais d'antisionisme, c'est-à-dire d'un noble combat en faveur d'un peuple opprimé. Moins même : s'agissant des Palestiniens, en faveur d'un fantasme de peuple opprimé. En clair, faire une fois de plus porter tout le poids de la culpabilité sur les juifs, et si possible la leur faire payer au prix le plus fort, en s'appuyant sur trois tribus de bédouins crasseux, dont la plupart des pays arabes entourant Israël verraient la destruction d'un œil très indulgent.

Qui prendra la relève de Philippe Muray pour saisir dans toute ses facettes, bouffonnes et tragiques indissociablement, la démence sénile et grave qui s'est emparée de nous et étend chaque jour ses ravages telle une peste médiévalo-bubonique ? Pour le moment personne, il semble. Trouverait-il seulement un éditeur, celui-là ?


7 février

Midi moins vingt. – Flaubert dit quelque part dans sa Correspondance que pour bien travailler il ne suffit pas de n'être pas dérangé, qu'il faut encore savoir que l'on ne pourra pas l'être. Il a parfaitement raison. Comme nous n'avons prévu de partir pour chez Isabelle que vers deux heures cet après-midi, je m'étais dit que j'aurais donc une vraie matinée de travail devant moi aujourd'hui. Et, de fait, je m'y suis mis, tout à l'heure. Et puis, au bout de quatre pages, je viens de refermer le document Word, m'apercevant que j'étais tout à fait incapable de la concentration nécessaire à poursuivre, simplement parce que je sais que nous allons partir d'ici deux heures. Il me semble que, dans ce cas, une petite voix, à peine audible mais puissante, me dit : « Mais que te font trois ou quatre pages en plus ou en moins ? Quelle différence cela fera-t-il lorsque tu reprendras le collier, mardi matin ? Ne t'embête donc pas avec ça ! » Le genre de voix que je suis toujours très bien disposé à écouter.

Tout à l'heure j'ai demandé à Catherine de prendre son ordinateur portable, afin que je puisse écrire un peu ici demain matin, lorsqu'elle-même sera à l'hôpital de Dieppe (ou de Fécamp ? L'un des deux en tout cas) en train de passer son IRM sous la houlette d'Olivier. C'est que l'idée de “sauter” une journée commence à me devenir contrariante : une sorte de nulla dies sine linea que je n'avais jamais connu jusqu'à maintenant. La tendance s'est évidemment amorcée en 2007 lorsque j'ai ouvert le blog-mère – ou, plus exactement, son prédécesseur, le paléoblog-mère, disons : dès le début, j'ai senti la nécessité de le nourrir, ce blog, pour la simple raison que je l'avais mis au monde. Mais enfin, j'ai toujours très bien supporté de rester plusieurs jours sans y écrire, notamment lorsque nous partons en vacances, dans le Gard ou ailleurs. Il faut dire que lorsque nous nous trouvons dans un endroit où internet nous est inaccessible, le choix d'y écrire ou non ne m'est pas donné, compte tenu de la nécessaire (nécessaire à mes yeux) immédiateté du blog. Or, là, pour le journal, c'est très différent, dans la mesure où il est, par nature, à publication différée. Je peux donc – c'est ce que j'ai fait la semaine dernière à Strasbourg et Sedan – le poursuivre sur un simple document Word et retranscrire le tout à notre retour ici.

J'ai oublié de noter une chose, à propos de Sedan. Le soir, après le repas, alors que Catherine était déjà partie se coucher, mes parents et moi avons longuement évoqué l'Algérie et le séjour que nous y fîmes en 1969 - 1970. Ce qui m'a permis de plus ou moins raccorder entre eux les souvenirs qu'il m'en reste, d'en rendre le tissu moins lâche. À un moment, je me suis mis à parler de Marie-Paule et à dire à mes parents qu'elle avait été mon premier amour – ou si l'on préfère, mon premier émoi érotique : mais comment faire la différence entre les deux, à cet âge que j'avais ? Toujours est-il que mon père m'a alors dit que Marie-Paule était une très jolie fille. Et son avis a pour moi sonné comme un verdict qui m'a comblé d'aise ; comme une validation de ces sentiments qui ont été les miens et qui, avec ce temps énorme écoulé depuis, finissaient par devenir impalpable, incertains, presque oniriques. D'un coup, la parole de mon père a ramené Marie-Paule dans la réalité de ce monde – de ce monde tel que je l'habite en tout cas. Ce fut une expérience à la fois douce et un peu triste.

Je m'avise à l'instant qu'il y a tout juste 40 ans de cela. Il y a 40 ans, aujourd'hui, dimanche, je devais être quelque part dans les rues d'Aïn-el-Turck, avec Marie-Paule et quelques comparses. J'allais avoir 14 ans dans un peu plus d'un mois et enrageais de n'en avoir pas 16 comme les quatre ou cinq autres futurs mâles de la petite bande que nous formions.


Cinq heures et demie. – Nous voilà depuis environ une heure et demie à Ermenouville, en Seine-Maritime, chez ma sœur, laquelle, à l’étage, travaille au violoncelle une musette de Bach. Je trouve assez amusant et original d’entendre des morceaux de phrases mélodiques brusquement interrompues et ponctuées de « ah non ! », « merde ! », etc. Avant cela, nous sommes allés promener les chiens dans le parc d’un château tout proche, appartenant au village même (alors que ce fut longtemps l’inverse évidemment), et dont la propriétaire est une comtesse de La Rochefoucauld, née Montalembert. Swann n’a évidemment pas pu résister à l’envie de plonger dans le petit étang que nous longions, et il est trempé. Du reste, Isabelle ayant désormais deux chiens (des lévriers espagnols appelés galgos), la maison est littéralement envahie, puisque nous sommes venus avec les trois nôtres (mais sur l’insistance d’Isabelle et d’Olivier, tout de même). C’est un gigot de sept heures qui nous attend ce soir, et comme Olivier est excellent cuisinier, on ne devrait pas le regretter. Pas plus que les bordeaux blancs qui ont sa préférence et ma franche approbation.

Lorsque nous sommes rentrés de la promenade, Isabelle m’a proposé l’ordinateur familial pour que je puisse aller sur les blogs. J’ai repoussé cette éventualité catégoriquement, et même avec une certaine épouvante discrète. Aller sur les blogs alors que je suis ici, en visite, pour seulement vingt-quatre heures, et encore, m’aurait paru le signe d’une inquiétante aliénation. J’ai ressenti un peu le même genre de choses, la semaine dernière, à Strasbourg et à Sedan : l'impression d’être en quelque sorte en vacances de blogs – une agréable sensation de liberté, de légèreté.

(Entre temps, Isabelle est passée de Bach à Tchaïkovski. Je constate qu’elle présente une propension étonnante à parler à sa partition. Ou à son instrument, ou à son archet, on ne sait trop.)

Tous les chiens dorment, à présent. Les deux régionaux de l’étape dans leurs paniers respectifs et les nôtres autour de la grande table où Olivier est en train d’initier Catherine à un jeu de société (divertissement dont j’ai personnellement horreur) appelé triamino, et dont j’ignore tout bien entendu. C’est d’autant plus étonnant (je parle des chiens) que c’est l’heure du repas et que, d’ordinaire, chez nous, ils sont plutôt tendus, à ce moment-là.


8 février

Une heure et demie. – Tout seul chez Isabelle avec les cinq chiens : Catherine et elle viennent de partir pour l’hôpital de Dieppe où Catherine doit, sous la houlette d’Olivier dont c’est le métier, passer une IRM afin de tenter de savoir ce qui déconne dans son épaule douloureuse. Tout à l’heure, elle se montrait toute fière d’être, pour une fois dans sa vie, une “privilégiée”. Minuscule privilège : Olivier lui a arrangé un rendez-vous rapide et il a même déplacé deux autres patients (mais en les prévenant suffisamment à l’avance tout de même) pour que l’IRM se fasse à une heure qui nous arrangeait : suffisamment tard pour ne pas nous gâcher le déjeuner, mais assez tôt pour que nous reprenions la route de jour.

La maison d’Isabelle (ancienne et à toit de chaume) est fort agréable, mais je m’aperçois que nous ne pourrions nullement y vivre : tout l’étage étant mansardé, il n’y a absolument aucune place pour installer des bibliothèques. À moins bien sûr d’aménager la petite maison qui se trouve au fond du jardin.

Soirée très agréable hier, bien qu’un peu trop alcoolisée dans mon cas : apéritif, puis bordeaux blanc comme prévu. Et, ensuite, Olivier a sorti une mirabelle superbe, qu’il ramène de Lorraine où vit sa mère (à Jœuf), et à laquelle j’ai fait honneur. Léger mal de tête ce matin. À midi, eau claire, puisque je reprends le volant tout à l’heure. La maison est très calme, les chiens dorment et j’ai repris les Conversations et entretiens de Primo Levi.

Trois heures et demie. – Je commence à trouver l'après-midi un peu long. C’est curieux comme le temps peut, dès que l’on n’est plus chez soi, et même dans une maison plus ou moins familière, prendre une consistance extensible, indifférente, presque hostile. J’ai pourtant de quoi lire, mais mon attention ne se fixe pas. Du coup, je suis en train d’écouter l’album Greatest hits de Simon & Garfunkel : bonjour la régression.

Je crois que cette sensation, de temps étiré, est augmentée par le fait que je sais notre départ prochain, que j’ai une forte impression de transit, de tout provisoire.

Je suis en tout cas bien content d’avoir, en inspectant la discothèque d’Isabelle, retrouvé les trois disques de Jacques Bertin, pour lesquels j’avais, il y a quelques mois, retourné la moitié de la cave, à la maison, sans mettre la main dessus et pour cause. J’avais totalement oublié les lui avoir donnés, ceux-là et beaucoup d’autres que je n’écoutais plus et qui engorgeaient la discothèque du salon. Du coup, je les lui reprends (mais seulement les trois Bertin). Si je parviens à les enregistrer dans l’ordinateur au format MP3, je pourrai toujours les lui rendre la prochaine fois.



10 février

Une heure. – J'ai la moitié gauche de la tête en carton renforcé, effet de l'anesthésie pratiquée par le dentiste avant l'extraction de ma dent de sagesse supérieure gauche, toute pourrie d'après le praticien en question. Par chance, j'avais eu l'idée de me nourrir avant le rendez-vous qui était à midi. C'est égal : je crois que c'est la première fois qu'il m'arrive de n'avoir qu'une demi-gueule de bois. En fait, je crois que j'ai hâte que l'effet de cette anesthésie se dissipe car je trouve cette sensation très pénible et je pense que je préférerais la douleur qui va fatalement s'ensuivre – d'autant que je suis équipé pour la combattre.

Je n'ai pas eu le temps de rien écrire ici hier et je me demande bien pourquoi, dans la mesure où je n'ai à peu près rien fait, sinon un billet consacré à Jacques Bertin sur le blog-mère. Je voulais parler de ce garçon qui finit par me fasciner : Juan, le tenancier du blog Sarkofrance (et de deux ou trois autres blogs sur le même sujet). Je crois qu'aucun blogueur de gauche, même à tendance monomaniaque, n'est à ce point possédé par son idole-repoussoir : depuis l'élection de 2007, ce sont deux à trois billets par jour, tous exclusivement (ou presque) consacrés à Sarkozy, Sarkozy seul, Sarkozy encore, Sarkozy toujours. Le tout dans une langue grise, terne, massive – soviétique pour tout dire. Il y a là quelque chose de proprement démoniaque. On en arrive à souhaiter la réélection du président en 2012, car si on privait d'un coup ce malheureux Juan de ce qui semble être l'unique tuteur de son existence psychique, l'effondrement intellectuel brutal serait à craindre ; même s'il ne s'effondrerait pas d'une hauteur cosmique. À moins que, tels les porcs de Gerasa, il ne finisse par aller se jeter du haut de la falaise pour échapper à l'emprise diabolico-nicolaïque.


12 février

Quatre heures et quart. – J'ai l'impression de négliger un peu ce journal depuis quelque temps. Pour hier, l'explication est immédiate : profitant de ce que Catherine était venue à Paris avec moi (rendez-vous chez l'ORL) et qu'elle pourrait donc conduire au retour, je suis allé déjeuner à L'Ambiance avec Brice (et Catherine, du reste), ce qui implique quelques pichets de sauvignon. Ensuite, à six heures, pot de départ de l'un des photographes du journal, et j'ai bu de nouveau deux verres de vin. Puis, arrivé à la maison, deux ou trois pastis sévèrement dosés. Résultat : fait comme un mulot, j'ai tout juste été capable de torchonner un petit billet sur le blog-mère, que j'ai du reste supprimé ce matin, le trouvant parfaitement incompréhensible. Pourtant, je me souviens avoir quitté le salon avec une idée très claire et construite de ce que je souhaitais écrire. Il faut croire que je l'ai perdue entre la maison et ici, ou bien qu'elle est restée coincée dans le clavier. Du coup, je suis allé faire de l'ironie sur deux ou trois blogs, chose dont je ne suis jamais très fier le lendemain, une fois dégrisé. Mais le moyen de résister ?

À propos de dégrisement, je viens de prendre rendez-vous auprès de la préfecture d'Évreux, mon permis de conduire provisoire arrivant à expiration début avril, ce qui fait que je dois repasser devant leur commission médicale. Je ne sais plus trop quelle durée de vie aura mon prochain permis : deux ans ? Trois ? Cinq ? On verra.

Évidemment, je n'ai absolument pas travaillé aujourd'hui au BM, alors que j'ai pris deux journées de RTT (aujourd'hui et mercredi prochain) juste pour cela. Le bilan de ce livre est d'ailleurs pitoyable : en deux semaines de vacances j'en ai écrit 86 pages exactement. Et il me reste cinq jours pour faire les 145 restant, soit 30 par jour. Bref, tout est comme d'habitude.


13 février

Cinq heures et demie. – Première vraie journée de travail depuis le début de ce BM : 25 pages. J'en suis presque à la moitié... et il me reste quatre jours. Ce qui veut dire que, si je veux réellement avoir fini mercredi soir comme je m'y suis en quelque sorte engagé envers moi-même (!), il va me falloir passer à 30 pages par jour à partir de demain, et consacrer la première partie de mes soirées à relire ce qui aura été écrit dans la journée. Autant dire que le blog et peut-être ce journal vont probablement être pas mal négligés. Pour le blog-mère, je dois avouer que je m'en fiche un peu, mais cela m'embête davantage pour ce journal, qui prend de plus en plus d'importance (à mes yeux uniquement) par rapport au blog. D'un autre côté, rien ne m'oblige à écrire des tartines quotidiennes. Surtout si j'ai passé la journée sans lire ni rien faire d'autre que d'aligner les feuillets pour le BM.

Je crois avoir oublié de parler de mon passage chez le dentiste, mercredi dernier, à midi. Tellement de gens conservent, et transmettent, un souvenir si terrible de leurs divers arrachages de dents de sagesse que, moi qui n'ai jamais eu peur du dentiste, j'y allais cette fois-ci avec une petite appréhension. En réalité, le plus pénible ce fut les presque trois heures qu'a duré l'anesthésie. L'extraction en elle-même a passé comme un charme. Le praticien m'avait recommandé d'avaler un efferalgan à la codéine au bout d'une heure, afin de prendre le relai de l'anesthésie lorsqu'elle viendrait à se dissiper – ce qui, d'après lui, devait prendre cela : une heure. J'ai donc obéi bêtement et je pense inutilement. Ce fut en effet le seul analgésique que je pris : le soir, à dix ou onze heures, je ne ressentais toujours rien de plus qu'une sorte de gêne, mais pas de douleur. Et le lendemain matin, plus rien du tout – affaire classée, je suppose.


14 février

Huit heures moins vingt. – Vingt-neuf pages écrites aujourd'hui. Et, d'ici le début du film, je dois commencer à relire les cinquante-cinq pages écrites depuis hier matin, si je veux avoir bouclé le roman mercredi soir – et je le veux absolument. Donc, pas ou peu de journal d'ici là.

Hier, et avec bien du mal, je nous ai réservé par internet deux places pour aller écouter Fabrice Luchini dire du Philippe Muray au théâtre de l'Atelier, le samedi 13 mars. Je me suis décidé lorsque j'ai vu que c'était à trois heures de l'après-midi. Or, ce même samedi, nous avons rendez-vous (nous : les lecteurs) à six chez Sophie Barrouyer pour une rencontre/discussion avec R. Camus. Rencontre dont il est dit que le thème en est laissé à sa convenance, et dont on peut penser, vu l'heure de début, qu'elle va tout naturellement déboucher sur des discussions informelles entre les uns et les autres, un verre dans une main, une assiette de cochonnailles dans l'autre.


15 février

Huit heures. – Pas beaucoup de temps pour écrire dans ce journal ce soir encore. Et d'autant moins que je tiens à revoir Les Fraises sauvages de Bergman, film qui, diffusé par Arte (et en VO !), commence dès neuf heures moins vingt-cinq. Déjà, après le déjeuner, m'est venue l'idée d'un billet à faire pour le blog-mère, à propos de Flaubert, de l'espèce de schizophrénie littéraire de Flaubert, partagé en deux : le Flaubert normand (Madame Bovary, l'Éducation sentimentale, Un cœur simple) et ce qu'on pourrait appeler le “Flaubert peplum”, celui de Salammbô, Saint-Antoine et Herodias – en mettant à part Saint-Julien L'Hospitalier, ce chef-d'œuvre, et Bouvard, d'autant moins classable qu'il est inachevé. Mon idée était de montrer (d'essayer de montrer) que cette attirance à mes yeux dommageable de Flaubert pour l'exotisme lui avait joué un tour bizarre, dans la mesure où, le temps tenant son rôle, c'était désormais ses œuvres les plus normandes qui deviennent étrangement exotiques à nos yeux de modernes. Évidemment, si je ne voulais pas être trop ridicule ni approximatif, ce billet m'aurait pris un temps que je ne pouvais pas ne pas consacrer à la BM.

J'en suis à la page 168. En trichant au maximum – je veux dire : en faisant le plus court qu'il est admissible, il me reste donc soixante pages à écrire en deux jours, tout en les relisant au fur et à mesure le soir – ce que je fais depuis hier. Comme je marche bien depuis deux jours, je pense que je vais remporter le pari. D'ailleurs, pour me fouetter un peu plus les sangs, j'ai dit à Catherine que je m'autoriserais un apéritif mercredi soir (on est à l'eau depuis vendredi) seulement si j'avais tout terminé.

Cela étant, je suis cette fois bien décidé à faire en sorte d'écrire les prochains en y travaillant que les matinées, car m'y remettre après le déjeuner me coûte désormais des efforts énormes et pour une production fort maigre : en général guère plus de sept à huit pages, alors que je parviens sans trop de difficulté à en écrire 15 le matin, en ne travaillant que de dix heures et demie à une heure ou une heure et demie. Donc, il le faut absolument. Le prochain étant à rendre le 15 mai, cela signifie que je vais devoir en bâtir l'histoire entre le premier et le quinze mars à peu près, de façon à l'écrire durant tout le mois d'avril. Tout de même, ce devrait être faisable ! Il n'y a pas de fatalité non plus...


16 février

Sept heures vingt. – J'ai vraiment l'impression, depuis samedi, de vivre des journées de parfait abruti, celle d'un bœuf tirant sa charrue, s'il y avait encore des bœufs et encore des charrues. 28 pages aujourd'hui (écrites et relues dans la foulée), et encore 35 demain avant de voir le drapeau à damier. Presque pas de lecture (quelques pages du Journal des Goncourt grappillées par-ci, par-là), pas non plus de billet sur le blog-mère (ni temps, ni idée) et à peine un paragraphe ou deux ici, le soir, essentiellement pour dire que je n'ai pas le temps d'écrire ici. Du reste, je vois mal ce que je pourrais bien raconter à ce journal de passionnant dans la mesure où on n'a encore jamais vu de bœuf diariste – mais peut-être suis-je en train d'en inaugurer la lignée.

Le pis est que je sais fort bien ce qui va se passer demain soir. À partir de quatre ou cinq heures (restons dans la métaphore animalière et paysanne), le cheval va sentir l'écurie et se mettre à galoper comme un forcené, encore aiguillonné par la perspective du picotin liquide et jaune, avec deux glaçons dedans. Puis, lorsque tout sera fini, au lieu de la joie et de la détente attendues, un mol avachissement grisâtre, la sensation de n'avoir finalement rien fait, d'une fatigue sans cause.

Avec ça, Nancy m'a informé ce matin qu'elle m'avait fait un virement de 2300 euros au lieu des 4600 que GdV me doit. Pas un sou en caisse, des découverts partout. Et aucune perspective de remonter la pente dans les mois qui viennent. Sauf si, comme nous y songeons de plus en plus sérieusement, nous vendons le studio de Levallois et le vendons correctement – c'est-à-dire une vingtaine de milliers d'euros de plus que ce qui nous reste à payer dessus. Cela permettrait de renflouer les deux banques (je veux dire : liquider les prêts permanents que nous accordent les deux banques) et de mettre cinq ou six mille euros de côté pour le cas où. Surtout de se dégager d'un crédit de mille euros par mois. Encore faut-il le vendre. Ce doit d'ailleurs être possible, dans la mesure où, à Levallois et alentour, il y en a très peu de disponibles. Et que ceux qui semblent être similaires au nôtre sont proposés à cent mille euros, voire un peu plus (mais trouvent-ils preneurs ? C'est toute la question). Comme nous devons encore 77 000 € de crédit, l'affaire paraît jouable. Je ne sais pas si c'est un effet du vieillissement, mais je commence à trouver pénible de vivre perpétuellement à découvert. Alors que, durant à peu près trente ans, ça ne m'a jamais vraiment préoccupé.


18 février

Quatre heures et demie. – Me voilà avec deux petits ressorts de plus dans le corps ; dans l'artère coronaire circonflexe pour être tout à fait précis. Les symptômes ont commencé mardi, peu après mon lever, lors de la petite heure de lecture que je m'efforce de conserver entre le premier café et le début de ma journée d'écriture : durant trente secondes à une minute, une douleur derrière le sternum (qui n'était pas tout à fait une douleur, plutôt une gêne), accompagnée d'une douleur tout aussi vague et discrète aux alentours du coude gauche. J'ai évidemment tout de suite pensé aux symptômes qui, en 2003 m'avaient conduit chez le médecin, puis chez le cardiologue, etc., jusqu'à la pose d'un stent dans l'artère coronaire circonflexe, presque bouchée, à la clinique Ambroise-Paré de Neuilly. Mais les symptômes ayant disparu très vite, je n'y ai plus pensé.

Ils sont revenus, identiques et toujours aussi fugitifs, plusieurs fois dans la journée et la soirée. Et aussi lorsque je me suis finalement couché, vers minuit et demie. Sauf que, là, les douleurs jumelles se sont maintenues et allaient même en augmentant d'intensité. Durant une petite demi-heure, j'ai balancé entre la raison (qui consistait à appeler des secours sans tarder) et cette pulsion stupide qui consiste à se dire que tout cela va peut-être disparaître, s'évanouir comme un cauchemar ou une pensée sombre, et qu'alors on serait vraiment bête de sonner le tocsin pour rien. J'ai finalement réveillé Catherine.

Ensuite, la valse connue : pompiers, Samu, au total dix personnes dans la maison, voitures avec gyrophares, etc., il n'y manquait que les sirènes pour avertir tout le village que l'écrivain en bâtiment était probablement en train d'agoniser.

En fait, dès le moment où, sur les conseils de la personne du Samu que Catherine avait en ligne, j'ai quitté le lit pour le fauteuil, les symptômes s'étaient évanouis et ne sont pas réapparus ensuite. Je me suis retrouvé dans le service de cardiologie de la clinique Bergouignian, à Évreux, qui se trouve être (ils affichent à l'accueil le palmarès de l'Express avec une fierté que l'on peut concevoir) l'une des mieux cotées de France.

Je poursuivrai plus tard, une certaine fatigue se faisant tout de même sentir.


19 février

Huit heures moins le quart. – Je me suis interrompu rapidement hier, dans la rédaction de mes aventures hospitalières, pour cause de fatigue essentiellement. Et voilà qu'aujourd'hui, je ne me sens plus la moindre envie d'en reprendre le fil, je ne sais pourquoi. J'ai commencé par me dire qu'il fallait me forcer un peu, puis je me suis rendu compte que rien, mais rien du tout ne m'obligeait à raconter quoi que ce soit, qu'il n'y avait pas de figures imposées. Donc, rien. Ou peut-être plus tard, si l'envie revient. Et, en même temps, je me dis que c'est dommage, que j'avais des choses à en dire, de ce court séjour à la clinique Bergouignian. En fait, il aurait fallu que je confisque son ordinateur à Catherine pour pouvoir prendre des notes sur le vif – d'autant que j'avais, là-bas, tout le loisir de le faire. Il faudra que j'y songe, la prochaine fois que je serai sur le point de mourir.

Je dis cela par pure plaisanterie car je m'avise qu'à aucun moment je n'ai eu peur de mourir. Je savais que la chose était du domaine du possible, naturellement, mais je l'envisageais de façon purement intellectuelle, froide, avec détachement ou, pour mieux dire, avec neutralité, ainsi qu'une pure hypothèse parmi d'autres. Et si j'ai mis plus de vingt minutes après le début des douleurs à me décider à réveiller Catherine, c'est parce que tout le cirque qui allait suivre m'accablait d'avance. Aussi parce que je me disais que je ne pourrais pas terminer mon BM le lendemain soir et que, donc, je serais frustré de l'apéritif prévu pour “arroser” l'événement. Si écrire ça ce n'est pas tendre des verges à ceux qui me traitent d'alcoolique à longueur de blogs...

On a beau jouer les cyniques et les blasés, j'ai tout de même été touché par les assez nombreux messages de sympathie qui me sont parvenus depuis hier, soit en commentaires de blogs, soit par mails privés. Et même le coup de téléphone de Philippe B., de FD, m'a fait plaisir. On n'est pas plus midinette (lesquelles ont le cœur fragile, c'est bien connu).

J'aurais souhaité, ce soir, revoir Missouri breaks, mais Catherine a opté pour un téléfilm policier anglais tiré d'un auteur qu'elle a lu et moi pas. La vie à deux étant faite de petites concessions, j'ai remis le film avec Brando et Nicholson à une date ultérieure.

Plus j'y pense et plus je suis furieux de n'avoir pas pensé à embarquer l'ordinateur de Catherine à la clinique (il est vrai que le départ fut un peu précipité...). D'un autre côté, je ne sais pas si elle me l'aurait laissé volontiers. Et je ne me voyais pas me livrant à un petit chantage du genre : « Mais, si je meurs, tu seras bien contente de lire mes dernières pensées ! »


20 février

Sept heures et demie. – Excellente journée, à tous points de vue. Ou plutôt, sans point de vue particulier, elle a baigné tout entière dans un climat de vague euphorie, douce et sans cause précisément identifiable. Je me suis remis au BM sans le moindre effort, pour l'avant-dernier coup de collier, j'étais stupidement content d'avoir reperdu cinq des sept ou huit kilos pris ces dernières semaines. Et, beaucoup plus étonnant, j'éprouve une sorte d'impatience à être lundi pour arrêter la cigarette. Je sais très bien, pour l'avoir fait plusieurs fois, qu'il va y avoir des moments pénibles, mais cette hâte de me colleter avec ça subsiste néanmoins. J'y vois comme une sorte de volonté d'apurement, un syndrome “ardoise magique” après la petite alerte de mardi soir. De même suis-je résolu à me remettre sérieusement à la marche quotidienne à compter de lundi également. Reste à savoir quelle sera la solidité de ces résolutions. Pour la marche, je ne suis pas trop inquiet, je m'y étais fort bien accoutumé en 1993-1994, et même un peu plus que cela : j'y avais véritablement pris goût, au point qu'elle me manquait, les jours où il pleuvait vraiment trop fort pour mettre le pied dehors. Pareil pour l'alcool, que nous allons considérablement espacer (je veux dire que nous allons espacer nos libations : phrase à arranger). Mais le tabac, c'est une autre affaire.

Tout à l'heure, Georges s'est livré sur son blog à un petit traficotage de la photo de moi et des chiens que j'ai publiée hier sur le blog-mère, suivi d'un petit billet tout à fait sympathique pour moi (en tout cas à l'aune des horreurs qu'il est capable de me déverser sur la tête lorsqu'il entre en fureur contre ma personne), et avec un lien chez moi pour le signaler. Je trouve charmant et attendrissant (si par malheur il tombe sur cet adjectif, il va plonger dans une noire colère...) cette façon qu'il a de remettre un peu de légèreté entre nous, de palinoder élégamment.

Sur le blog de Mathieu, sympathique professeur d'histoire-géographie dans une banlieue de cailleras (je dis ça juste pour faire mon atrabilaire), je tombe sur cet incipit de billet : « Bon, les vacances sont là. Je vais enfin pouvoir me poser un peu après deux semaines très actives. » (C'est moi qui souligne.) Après ça, les professeurs s'étonneront que les travailleurs normaux les considèrent comme des fainéants. Heureusement, juste ensuite, il nous annonce une journée de grève pour la rentrée. Et il s'inquiète de ce que le “mouvement” des professeurs risque de venir buter contre les manifestations programmées concernant les retraites. Ah, c'est que ça devient délicat, de glisser sa petite grève dans un calendrier aussi surchargé, c'est sûr !


21 février

Huit heures et demie. – Personne ne sait exactement ce que c'est. Ce qui se passe quand on inscrit le mot "fin" au bas d'un livre (je parle par image frelatée : personne n'inscrit réellement le mot "fin", bien entendu). En réalité, je crois que les gens qui n'écrivent pas pensent qu'il doit s'agir d'une sorte de soulagement. Ou d'explosion de joie, de liberté, de... Une explosion en tout cas. Il ne s'agit évidemment de rien de cela. Quand on poinçonne ce point final, après lequel on a couru des jours (quand on était jeune), des semaines (aujourd'hui), des mois (je n'ai encore jamais connu), évidemment qu'on s'attend à quelque chose de conflagratoire – Or, non. Rien. Du grisâtre. Du pâteux qui fuit sous le doigt. Le livre est fini, waouh ! Non, pas de waouh, justement. Ou alors un waouh.

C'est comme ça : on a poussé la charrue au long de 240 sillons parallèles, on atterrit à la ferme, à la table du maître – il n'est même pas impossible qu'on soit le maitre soi-même. Mais comment le savoir ? Bref : on se voit passer une soirée, n'est-ce pas... Une soirée comme... Et puis non. Depuis quelques semaines que je suis plongé dans le Journal des Goncourt, je lis cela presque chaque jour, chez les écrivains cherchant (c'est une caractéristique de ceux du XIXe siècle) à se faire une carapace d'immortalité, pensant à y parvenir par le théâtre, tremblant face aux metteurs en scène, dont plus personne en notre siècle n'a rien à faire, tous, les plus roides dans leurs bottes, les Goncourt, les Daudet – et même Zola, éreinté par les deux précédents : le théâtre est un boyau qui les attire, autant qu'ils en expriment l'horreur.

Là-dessus, je ne sais plus trop ce que je comptais dire au départ. Parler d'Edmond de *** Oui, probablement. D'Alphonse *** Pas impossible non plus. Enfin, quoi, ces trois gros volumes du Journal des deux frères, irremplaçables, magnifiques – et aussi cet effet miroir, lorsqu'on les a lus, de la première à la dernière, ce flamboyant renvoi que sont les deux pastiches de Proust. Dont j'ai hâte de me repaître, après les avoir grignotés, il y a longtemps, lorsque j'ignorais tout d'Edmond et Jules.


22 février

Midi et quart. – Premier jour officiel sans tabac, et déjà je triche. Comme il restait trois cigarettes d'hier, je suis en train de les fumer par moitié, en y allant à l'économie. Il faut dire qu'hier soir, sous prétexte de point final au BM, on a un peu abusé de boissons alcooliques (enfin, quand je dis “on”...). Et il me semble qu'arrêter de fumer un jour de gueule de bois n'est pas ce qu'il y a de mieux. (J'ai l'impression d'être le personnage joué par Lloyd Bridges dans Y a-t-il un pilote dans l'avion ? : « Pas le bon jour pour arrêter de snifer de la colle... »)

De toute façon, il est fort possible qu'avant d'arrêter, je repasse par une “phase pipe” supposée rester transitoire. J'en ai du reste fumé une hier soir avec beaucoup de plaisir. L'avantage, avec la pipe, c'est qu'on ne peut la fumer à peu près nulle part : en intérieur c'est interdit, à l'extérieur c'est peu agréable. Il reste que, grâce à elle, on peut se figurer que l'on est toujours fumeur, et donc réduire à presque rien le stress et la déprime qui ne manquent jamais de surgir lorsqu'on arrête vraiment. On verra.

Dans mon cas, le fait de repasser à la pipe se complique de ce que le seul tabac que j'aime vraiment n'est vendu qu'en de rares bureaux et que j'ignore où il s'en trouve dans la région. Je suis donc condamné à le commander par internet en Angleterre, ce qui revient fort cher. Cela étant, commander en Angleterre un tabac danois fabriqué en Allemagne, c'est un très beau résumé de l'absurdité de notre époque.


23 février

Huit heures. – On sera court, ce soit, on sera court. Je me sens fatigué, lourd, embarrassé de moi-même, et creux pourtant. La journée s'est diluée en sottises prenantes : faire le ménage de la Case en prévision de la venue demain de France-Hélène, porter les bouteilles vides à la déchetterie, descendre au pressing pour y laisser ma veste en cuir dont la fermeture est morte, des choses aussi passionnantes que ça. Mais enfin, mon bureau est superbe, c'est vrai.

Je n'ai bien entendu nulle envie d'aller à Levallois demain, malgré la perspective stimulante d'en revenir avec France-Hélène, justement. Tout à l'heure, à l'instigation de Roman Bernard (blog Criticus), j'ai signé la pétition demandant la suppression de la HALDE. Signature parfaitement inutile bien entendu, mais il faut bien marquer le coup, de temps à autre.

La blogosphère de gauche bruit du micro-scandale du jour : l'affaire de ce jeune noir du Val-d'Oise, à la parfaite panoplie de moderne, que le PS présente aux prochaines élections et qui a eu plusieurs fois maille à partir avec la justice. Et chacun de mettre son nez rouge, coiffer sa perruque en paille et chausser ses savates de clown pour se scandaliser qu'un vilain méchant raciste de l'UMP (j'oublie son nom et m'en fous) ait eu l'audace de signaler la chose aux futurs électeurs de ce garçon. Lequel semble avoir tout compris au monde dans lequel il est né, très bien savoir quelle ficelles il faut actionner pour faire bouger les marionnettes qui serviront docilement sa petite carrière de parasite sociétal, d'animateur des quartiers, médiateur de la diversité, chantre du multicul-culturisme, etc. À gauche, on piaille qu'on ne peut éternellement reprocher aux gens leurs faux pas de jeunesse. Certes. Mais ces mêmes vertueux seraient sans doute plus crédibles si leur preux chevalier n'avait pas 29 ans à peine et si ses derniers démêlés avec les forces de l'ordre ne remontaient pas à quelques mois. Et ils le seraient encore bien davantage, crédibles, si eux-mêmes, n'avaient pas passé ces quarante dernières années à nous seriner qu'un Madelin (avec lequel je ne me sens aucune espèce d'affinité) a appartenu à l'extrême-droite entre 19 et 20 ans, et donc à nous mettre en garde contre lui.

De plus, s'il est entendu que, une fois la dette payée, n'importe qui a droit à reprendre le cours normal de sa vie, il aurait été peut-être plus honnête, de la part de notre candidat divers, vis-à-vis de ses futurs électeurs potentiels, de leur exposer sans détour ses fameuses “erreurs de jeunesse”. Mais enfin, tout cela n'est pas bien grave. Comme disent mes amis de gauche : de toute façon, ils ont les mêmes à droite. Certes, mes bons, certes. Surtout, on a bien compris que ce qui importait désormais, dans une élection, c'est de pouvoir promener un noir ou un Arabe sous les yeux du bon peuple ébahi par tant de tolérance et de non-racisme. Et puis quelques femmes. Et un cul-de-jatte. Et un trisomique léger. Et un grand-père Fernand devenu Monique et soutenu par tout son village. Et un raton-laveur homo. Et deux ou trois hétérosexuels blancs, parce qu'il faut tout de même pouvoir rire et se moquer de quelqu'un, autour du buffet d'après meeting.


24 février

Trois heures. – Retour à Levallois. Avec l'impression d'y venir très peu, ces derniers temps, entre les vacances, les RTT, les poses de stents, etc. Ce matin, trajet sous des trombes d'eau. Catherine était plutôt contente qu'il pleuve : comme les chiens vont immanquablement faire une maison dégueulasse, elle a estimé que cette perspective la dispensait de passer la serpillière en prévision de la visite de France-Hélène ce soir. J'aurais raisonné de la même façon à sa place : à quoi bon s'échiner à laver si tout est resali avant l'arrivée de la visite ?


25 février

Huit heures. – Ludovic est à la maison. On a pris un apéritif “massif”. Il tient absolument à me faire gagner de l'argent – c'est-à-dire qu'il projette sur moi cette envie qu'il a, lui, d'en gagner. Et il a des idées, des synopsis, etc. Or, moi, plus du tout. J'ai essayé de le lui expliquer. Je crois qu'il n'a rien compris. Mais, en effet, je n'ai plus envie de me remuer pour gagner des sous. Je préférerais nettement comprendre comment vivre avec moins d'argent, en ne faisant rien, ou très peu. Je ne veux plus travailler, je ne veux plus participer à ce monde, je veux me retirer. Radicalement. Qu'on m'oublie. Qu'on ne sache plus que j'ai pu exister. Mais, pour ça, en effet, il est indispensable de trouver le moyen de vivre avec trois francs six sous. Ne plus rien acheter, même des livres, ne plus partir en “vacances” (je me fous absolument de partir en vacances !), parvenir à une sorte d'ataraxie, d'immobilité essentielle, de rigidité quasi cadavérique. Ne plus voir aucun pays encore inconnu ; ne plus faire l'effort de connaître des gens nouveaux ; se contenter des derniers rencontrés ; comme Emma et Pluton, que j'aime énormément, comme le couple de Castor, comme Nicolas qui vaut mieux que tous les gens qui croient le lire ; comme Tonnégrande, merveilleux homme (bien que noir : hé ! hé !) ; comme deux ou trois autres qui me pardonneront de n'être pas cités ; comme Lediazec que j'aimerais croiser un de ces jours, and so on.

(Et, là, je croyais vraiment être en train d'écrire un billet de blog. En fait non : j'étais juste dans ce journal, et c'est très bien ainsi.)


27 février

Huit heures. – Tout à l'heure, je disais à Catherine que j'étais stupide de créer un nouveau message par jour pour ce journal (dans ce blog (L'Atelier) auquel personne n'a accès), dans la mesure où, à la fin du mois, il me fallait tout remettre dans l'ordre chronologique. Alors qu'il me suffirait de créer un billet, mettons "Mars 2010", et de tout écrire à la suite. Je vais donc commencer cela dès après-demain (premier mars).

J'ai, ce soir, le choix entre aller me coucher tôt ou regarder un film d'Yvan Attal : je crois que je vais aller me coucher tôt. Ce garçon n'a aucun intérêt, et sa femme pas davantage. C'est de la clientèle pour Laurent Ruquier, rien de plus.

Catherine est allée voir le "blog-it express" du journal, ce que je suis incapable de faire. 188 visites avant-hier, une centaine hier et je ne sais plus combien aujourd'hui. Je ne crois pas une seconde à ces chiffres, qui me semblent monstrueusement surévalués : comment pourrais-je avoir plus de 20 ou 30 lecteurs ? Lesquels, du reste, me satisferaient pleinement.

Hier soir, j'ai envoyé un mail à R. Camus, pour lui dire qu'il me semblait sentir un frémissement autour de ses Demeures de l'esprit, notamment par les échos qu'elles suscitent dans la si mal nommée "grande" presse ; et je lui demandais si lui-même avait déjà pu le sentir, notamment par les chiffres de vente (on “causait boutique” en un mot). Pas de réponse. Mais, bon : il ne semble pas être à Plieux en ce moment, et je lui ai précisé qu'il n'avait pas à me répondre s'il ne le souhaitait pas – ce qu'il n'a pas besoin qu'on lui dise. Néanmoins, je serais ravi qu'il se mette à gagner davantage d'argent : il le mérite.

Du reste, c'est une chose, qui m'est sinon particulière du moins attachée : Je ne suis pas envieux des gens qui gagnent plus que moi. Et, même, j'en suis sincèrement content pour eux. Si, demain, Camus (pour ne pas avoir à changer d'exemple) se mettait à gagner 40 000 euros par mois, je battrais des mains comme un forcené – et je tâcherais de me faire inviter à dîner par lui, dans un restaurant de luxe : on n'est pas des bêtes non plus... Mais enfin, je serais extraordinairement content.

En fait, je déteste les gens envieux, et surtout lorsqu'ils se camouflent derrière de grandes idées soi-disant généreuses. Un consternant imbécile, sévissant sur un blog que je ne nommerai pas, déclarait il y a peu que, au nom de leur saloperie d'égalité, tout le monde devrait être logé décemment mais pas plus (c'est-à-dire comme lui, suppose-t-on), n'ayant comme horizon, comme idéal, qu'une soviétisation générale du monde. Moi, je tiens absolument à ce que des gens (dont je ne ferai jamais partie) puissent vivre dans des conditions merveilleuses, dans tel château où jamais le "public" (dont je fais partie) ne mettra les pieds. Je tiens à ce que certaines personnes savourent une existence qui m'est interdite, ou disons impossible.

Et maintenant ? On devrait fermer cet ordinateur. Mais j'ai encore envie de babiller, bien que n'ayant rien du tout à dire. Si, au fond, je pourrais dire. Par exemple, comme je l'ai signalé à Catherine tout à l'heure : pourquoi France-Hélène et moi avons-nous perdu trente ans de nos vies ? Ou, plus exactement, pourquoi, ces trente ans, les avons-nous vécus sans nous voir jamais ? Qui ou quoi fait que nous nous sommes éloignés ? Elle n'en sait rien je suppose, et moi pas davantage. Mais trente ans... Ce trou noir dans nos existences... Absurde, non ? Qui, un jour, a décidé de NE PAS décrocher son téléphone ? Personne, évidemment. Ni elle ni moi. Et pourtant... 30 ans... À jamais perdus.

On s'est retrouvé, c'est déjà bien. Le fil renoué. Au fond, mon coup de cœur (plutôt mon coup de sexe) pour Monique, aura servi à ça : me faire connaître France-Hélène. Rarement érection aura été plus productive et plus judicieusement employée.


28 février

Sept heures et quart. – Rien ou presque à noter ici, mais la simple envie de ne pas manquer au dernier jour du mois. Journée presque exclusivement consacrée à la lecture : 2001 : l'odyssée de l'espace et ses suites. Pas enthousiasmant, trop bavard à mon goût. Je n'ai jamais beaucoup apprécié la science-fiction, mais je crois ne l'aimer plus du tout. En plus, dans le deuxième volet, Clarke s'appuie non sur le premier roman mais sur le scénario du film de Kubrick, si bien qu'il en arrive à rappeler des événements qui n'ont pas du tout eu lieu dans le livre, ce qui est un peu gênant.

Aujourd'hui, Catherine et moi avions projeté une petite sortie : un concours d'agility se déroulant à Freneuse, entre Chaufour et Bonnières, suivie d'une promenade avec les deux plus jeunes chiens au bord de la Seine. La pluie et le vent nous ont fait abandonner cette idée. Et moi qui me suis remis à la marche hier, j'ai été obligé d'y renoncer dès aujourd'hui pour la même raison.