lundi 1 juillet 2024

Juin 2024

 

 

 

 

 

 

ENTRE CHIEN ET SAINT-LOUP

 

 

 

 

— Les deux premières semaines du mois qui s'avance (j'écris ces lignes le 31 mai après-midi) vont être furieusement agitées, en tout cas par rapport à nos habitudes. Le 5 juin, dépose de Charlus chez l'esthétichienne à 8 h 15, récupération d'icelui, transformé en rat, peu avant 11 h. Ensuite, juste le temps de foncer à la clinique Bergouignan d'Évreux, où Catherine a rendez-vous avec un anesthésiste.

Deux jours plus tard, le 7, départ pour Soissons, puis pour les Vosges, le lendemain, où nous attendrons André et Béa. Les 10 et 11, retour à la maison avec escale de nuit à Provins.

Le 12, consultation à la clinique Pasteur du Dr Bram, urologue de son état, pour Catherine. Et, le lendemain, 13, opération de la même Catherine, toujours à Pasteur, mais pas par le Dr Bram.

Après ça, les choses devraient se calmer un peu...


Samedi 1er

Sept heures. — Le temps est toujours aussi résolument printanier, c'est-à-dire pourri. On est bien parti pour, le week-end prochain, parcourir les Vosges sous la pluie...

Deux heures. — Nicolas me signalait il y a un instant que, faisant le tri des livres amassés par ses parents dans leur maison de Loudéac, il venait de tomber sur un exemplaire de... Mein Kampf.  Comme je lui disais de me le mettre de côté (il faut bien que j'entretienne moi-même mon image de nazi : les vigilants sont si paresseux...), il vient de m'envoyer une photo de la couverture de ce digne ouvrage. Je me suis alors aperçu que l'éditeur français l'avait bêtement illustrée avec une croix gammée sinistrogyre, c'est-à-dire avec un symbole n'ayant absolument rien à voir avec le nazisme, mais beaucoup avec l'hindouisme et le bouddhisme.


Dimanche 2

Huit heures. — Je viens de relire la préface que Proust donna à Paul Morand, en 1921, pour son premier recueil de nouvelles, Tendres Stocks (titre que Marcel et moi persistons à trouver horrible...). Ces dix pages de Pléiade sont extraordinaires à plus d'un titre. Extraordinaires d'abord par leur densité, leur variété, leur justesse, leur profondeur de vue.

Mais extraordinaires aussi par leur côté comique. Proust, dès les premiers paragraphes, se met à ferrailler avec Anatole France à propos du style. Deux pages plus loin, il règle son compte à sa vieille “bête noire”, Sainte-Beuve. Ensuite, c'est une valse étourdissante où l'on voit passer Baudelaire, Racine, Flaubert, Stendhal, d'autres encore ; et jusqu'à Léon Daudet, Charles Maurras et Daniel Halévy...

Mais de Morand, aucune trace ! Dans les huit premières pages, son nom n'est cité que deux ou trois fois, et tout à fait “en passant”, distraitement, presque par mégarde. Des trois nouvelles elles-mêmes, il ne sera point parlé.

Enfin, in extremis, à une demi-page de la fin, le préfacier semble se souvenir pourquoi il est là, en tête de l'ouvrage, et se décide à parler enfin de son auteur. Le paragraphe qu'il lui consacre s'ouvre ainsi :

« Le seul reproche que je serais tenté d'adresser à Morand, c'est qu'il a quelquefois des images autres que des images inévitables. »

Et après ? Après... rien ! Proust se met à parler du rôle et de la puissance des images “inévitables”, et Morand redisparaît dans la trappe dont le haut de sa tête a durant une seconde émergé. Émergé pour se voir infliger un blâme, lequel ne suivait aucun véritable compliment.

J'aimerais bien savoir quelle figure a faite Morand en recevant une telle préface ne le concernant à peu près en rien...

— Je trouve très savoureux de voir ma chère vice-présidente faire une publicité enthousiaste pour une chose qui s'appelle “La Semaine du muscle” ; appellation que je trouve furieusement “masculiniste”…

La même charmante personne nous déclare ce matin que nous n'aurons aucune excuse pour ne pas aller voter dimanche prochain. Je persiste à n'avoir besoin, pour n'y pas aller, ni d'excuse, ni même de raison. C'est un peu comme si on signifiait aux bœufs et aux moutons qu'ils n'ont aucune excuse pour ne pas se rendre à l'abattoir.

Onze heures. — Pauvre Morand, ce n'est pas sa journée ! Après s'être fait superbement ignoré par Proust, voilà que je viens de l'abandonner en rase campagne (phrase bancale, résolument anacoluthoïdale), entre sa Nuit catalane et sa Nuit turque — comprenne qui pourra.

Et, comble de vexation, c'est pour revenir à Proust, à ses Pastiches et à ses Mélanges — recomprenne qui repourra. 

— On devrait rebaptiser les chômeurs des O+ ; puisqu'ils forment un groupe sans gains. (Et, non, je n'en suis pas particulièrement fier...)

— Si je devais qualifier les pastiches de Proust, je dirais qu'il s'agit d'une lecture pour lecteurs ; et même pour grands lecteurs. Quant aux autres, les petits, les moyens, les médiocres, les demi-sourds et les semi-aveugles, dont j'ai le déplaisir de faire partie, leur amour propre en prend pour son grade.

Ainsi moi : si je prends un vif plaisir aux pastiches de Balzac, Flaubert, Sainte-Beuve, Chateaubriand, Goncourt ou Saint-Simon, je reste de marbre devant ceux de Renan, Henri de Régnier, Faguet et Michelet, simplement parce qu'il s'agit là d'écrivains que je n'ai jamais lus, ou alors de façon trop brève et superficielle pour pouvoir en goûter la reproduction humoristique. Ce qui n'est guère à mon honneur.

— Nous étions censés aller rejoindre André et Béa dans les Vosges entre le 7 et le 11 de ce mois. Catherine devant finalement passer sur le billard dès le 13, il nous a semblé plus raisonnable, malgré que nous en ayons, d'annuler l'escapade envisagée afin de ne pas lui infliger quelque 1200 km de voiture. Et ce d'autant plus que, désormais, si l'on quitte les autoroutes comme j'avais prévu de le faire, rouler en France consiste essentiellement à affronter les centaines de “ralentisseurs” dont les maires se croient tenus de parsemer leurs moindres villages. Nous remplacerons donc l'hospitalité par l'hôpital.

Six heures. — Le 28 février 1921, François Mauriac dîne en tête à tête avec Marcel Proust, dans la chambre d'icelui : on aimerait pouvoir faire un bond d'un siècle en arrière, se transporter au 44 de la rue Hamelin et se transformer en souris (voire en cafard, mais en prenant soin de ne pas se faire repérer par Céleste...).

Huit heures. — Film de ce soir : Le Talentueux Mr. Ripley avec Matt Damon et Jude Law ; pour le comparer avec la série dernièrement vue et beaucoup aimée.


Lundi 3

Sept heures. — Le film d'hier soir s'est révélé assez différent de la série vue il y a environ deux semaines. Je m'attendais évidemment à ce qu'il le soit au niveau des “péripéties” : on ne raconte pas une histoire de la même façon si l'on dispose de sept heures ou si on doit la faire tenir en un peu plus de deux heures.

Mais nous avons trouvé aussi des différences dans l'esprit et les motivations des personnages. Ainsi, dans la série, la dimension homosexuelle de Ripley est à peine suggérée ; si peu qu'il est facile de “passer à côté” ; alors qu'elle est franchement marquée dans le film.

Le meurtre lui-même est différent. Dans la série, il apparaît froidement prémédité par Ripley ; dans le film, il semble davantage provoqué par Greenleaf lui-même, par sa façon de rejeter Ripley. Il devient même si agressif que son assassinat pourrait presque passer pour de la légitime défense.

Bref, il ne me reste plus qu'à acheter et lire le roman de Highsmith pour tenter de les départager...

Dix heures. — Très curieux, le Contre Sainte-Beuve de Proust, écrit un an ou deux avant avant de s'attaquer à La Recherche. Par exemple le chapitre que les éditeurs de ce texte inorganisé car abandonné abruptement ont intitulé Sainte-Beuve et Balzac. Tout d'abord, Proust évacue Sainte-Beuve pour se concentrer uniquement sur Balzac ; qui, c'est visible, l'intéresse bien plus, et sur qui il a une foule de remarques à faire, le plus souvent passionnantes et neuves (cela parce que ceci...).

Et voici que, soudain, sans prévenir, comme des intrus qui forceraient votre porte pour venir sans gêne aucune se vautrer dans votre salon, à la grande stupéfaction de vos invités, voici que surgissent le duc et la duchesse de Guermantes, bientôt suivis par la marquise de Villeparisis et de plusieurs autres. Comme si la future Recherche du temps perdu était un fleuve, d'abord invisible car souterrain,  et qu'il venait non seulement de jaillir à l'air libre, mais en plus de rompre aussitôt toutes les digues prévues pour le contenir. Un jaillissement qui a quelque chose de frappant, et même d'émouvant, pour le Rechercholâtre qui le voit se produire.

(Et on sent fort bien que si Proust répertorie aussi soigneusement les travers et les faiblesses de Balzac, c'est à seule fin, les ayant dûment triés et classés, de s'en prémunir dans l'œuvre qui point — et qui fait même plus que seulement poindre.)

Quatre heures. — Tontine. Il était plus que temps : encore quelques jours comme ça et Charlus aurait pu se rendre invisible dans l'herbe. En restant debout. Il y a encore une petite poignée d'années, j'aurais affirmé que cela méritait bien un vespéral apéro. Là, je vais me contenter d'une tasse de café : profonde misère du grand âge.

— Proust, dans son célèbre (relativement célèbre...) article de la NRF, intitulé À propos du “style” de Flaubert :

« Flaubert était ravi quand il retrouvait dans les écrivains du passé une anticipation de Flaubert, dans Montesquieu, par exemple : “Les vices d'Alexandre étaient extrêmes comme ses vertus ; il était terrible dans la colère ; elle le rendait cruel.” Mais si Flaubert faisait ses délices de telles phrases, ce n'était évidemment pas à cause de leur correction, mais parce qu'en permettant de faire jaillir du cœur d'une proposition l'arceau qui ne retombera qu'en plein milieu de la proposition suivante, elles assuraient l'étroite, l'hermétique continuité du style. »


Mardi 4

Neuf heures. — Repris les Mémoires d'Outre-Tombe ; que je n'ai jamais lus jusqu'au bout : on va voir cette fois-ci...

Onze heures. — Trouvé, sur la table aux livres donnés de l'Intermarché, Le Chant du bourreau de Norman Mailer, écrivain dont je suis presque certain de n'avoir jamais rien lu : je l'ai aussitôt adopté et rapporté à la maison (le livre, pas son auteur). Du coup, je crains que le vicomte malouin ne soit obligé d'attendre un peu d'être relu ; d'un autre côté, il a l'éternité pour lui.

— Demain, journée agitée. À huit heures, je dois conduire Charlus chez l'esthétichienne chargée de le transformer en rat à grands passages de tondeuse ; en remontant, s'arrêter acheter du pain. 

Entre dix heures et demie et onze heures, récupération de Charlus en vitesse, puis cap sur Évreux afin d'honorer le rendez-vous que Catherine a à la clinique Bergouignan avec l'anesthésiste, en prévision de son opération du 13. Avec l'espoir que nous ne tomberons pas sur un médecin toujours-en-retard.

Et l'après-midi, femme de ménage...

— Regardé hier et avant-hier les quatre premiers épisodes — il en existe une centaine au total des cinq saisons... — d'une série “hospitalière” intitulée New Amsterdam : c'est d'une parfaite niaiserie et pas crédible plus de dix minutes...

Sept heures. — Début mai 1921, Proust dédicace à Gaston Gallimard, son éditeur donc, un exemplaire du Côté de Guermantes qui vient tout juste de paraître. Il le fait en ces termes : 

« À vous mon cher Gaston que j'aime de tout mon cœur (bien que vous pensiez quelquefois le contraire !) et avec qui ce serait si gentil de passer de longues et réconfortantes soirées. Mais vous ne prenez jamais l'initiative. Les miennes échouent toujours devant un téléphone aussi “éloignant” qu'au temps où vous refusiez Swann.

« Votre bien reconnaissant et bien fidèle et bien tendre ami

« Marcel Proust »

La dernière phrase du “pavé” principal me fait irrésistiblement penser à ce petit bonhomme de Sempé qui déclarait dans un demi-sourire : « Je pardonne à ceux qui m'ont offensé... mais j'ai la liste ! »


Mercredi 5

Sept heures. — D'ici une heure, je dois conduire Charlus chez la toiletteuse, et ensuite Catherine chez l'anesthésiste : intérêt à pas me tromper...

— Apparemment, des députés d'extrême gauche se seraient présentés à l'Assemblée nationale vêtus aux couleurs de la Palestine, et brandissant des drapeaux d'icelle : ce serait-y pas un peu de l'appropriation culturelle, ça ? Ils devraient faire gaffe, c'est un péché ! Pareil pour les petits bourgeois décervelés qui défilent dans les rues d'Europe avec un foulard à damier autour du cou…

Midi. — Sur le parking de la clinique Bergouignan (où je risque d'être un moment : visiblement, nous sommes tombés sur un toujours-en-retard...). Je lis une attaque de Bernard Frank contre Henri Guillemin, personnage que je n'ai jamais aimé. Frank fournit à ma détestation des raisons précises. Et je me demande si ce petit flic des lettres, toujours avide de traquer les faiblesses et les éventuelles saloperies, les petitesses, les lâchetés fugitives des écrivains morts, je me demande, donc, si ce Guillemin — impeccablement de gauche comme il se doit — ne serait pas le grand-père de tous nos misérables woketeux d'aujourd'hui.

Deux heures. — Eh bien, tous nos agencements de la matinée se sont déroulés sans la moindre anicroche, au point que j'en reste encore un peu ébahi (si tant est que l'on puisse être un peu ébahi).

Six heures. — Lu les cent premières pages (évidemment premières, imbécile heureux !) du Chant du bourreau. Si le roman en comportait trois cents, j'irais probablement au bout... mais neuf cents ? No, thanks. Le pavé de Mr. Mailer va donc retourner à l'Intermarché d'où il est venu il y a deux jours. Je me sens presque aussi penaud que si je ramenais au chenil le pauvre chien adopté la veille.

— Je ne sais plus auprès duquel de ses correspondants, et j'ai la flemme de le rechercher, Proust vante de façon presque hyperbolique les talents d'épistolier du comte de Montesquiou. Au vu des assez nombreuses lettres collectées par Philip Kolb, il me fait l'effet, à moi, d'un implacable phraseur ; en outre, imbu de soi-même jusqu'au comique.

Il y a d'ailleurs chez Montesquiou une sorte de tragique post mortem. Car en dehors de ses mémoires (Les Pas effacés, posthume), aucun des très nombreux livres, poèmes ou essais, de ce génie autoproclamé n'a jamais eu la moindre réédition depuis sa mort, survenue à la fin de 1921. J'espère qu'il n'en sait rien ; ou qu'il s'en fout...


Jeudi 6

Midi. — Grâce à Chateaubriand, je viens de découvrir l'existence d'un mot : diazome ; et, par le truchement de Wiki, d'apprendre ce qu'il désigne :

« Dans les théâtres grecs, passages concentriques ménagés de distance en distance entre les gradins et permettant la circulation. » 

On se sent tout de suite mieux, non ? Il reste que je ne vois pas du tout comment la chose peut s'appliquer au perron du château de Combourg...

Quatre heures. — Note de Philip Kolb, accrochée à une lettre de Proust datant des premiers jours d'août 1921 :

« Depuis la mi-juillet, une vague de chaleur envahit Paris et l'Europe, à tel point qu'il a fallu annuler le défilé pour la fête nationale du 14. Elle ne s'atténue pas avant le 10 août. »

C'est l'arrière-grand-père de notre réchauffement climatique qui se sentait d'humeur farceuse. Ou antimilitariste.

— Le blogueur Denis, par ailleurs maire de son village normand, nous fait profiter de sa méthode pour éliminer en cours de cuisson l'essentiel des graisses contenues dans les saucisses et merguez. Il le fait évidemment en pensant protéger sa sacro-sainte santé

J'ai eu envie de lui répondre en commentaire qu'il y avait une chose à la fois plus simple et plus radicale à faire quand on est graissophobe... c'est de ne pas manger de merguez, ni de saucisses, ni en générale de charcuterie. Car c'est à cause de gens “modernes” comme lui que Catherine et moi n'achetons plus de merguez et avons un mal de chien à trouver des saucisses qui ne soient pas sèches comme des coups de trique.

D'une façon plus générale, m'énerve cette manie contemporaine de vouloir en quelque sorte “le goût du beurre sans le beurre” : crème fraîche à 0%, café décaféiné, bière sans alcool, charcuterie sans gras, “sucrettes” sans sucre, cuisine sans sel, etc., j'en oublie sûrement. 

— C'est tout de même frappant, cette propension de Proust à ne trouver presque que de mauvais titres aux différentes choses qu'il a pu écrire au cours de sa vie, mais spécialement pour ce qui concerne sa grande œuvre. Déjà le titre général, À la recherche..., n'est pas bien fameux, même si, la “patine” qui l'a recouvert depuis cent ans fait qu'on aurait aujourd'hui du mal à en imaginer un autre. Même chose pour Du côté de chez Swann

En revanche, patiné ou pas, À l'ombre des jeunes filles en fleurs me semble toujours aussi malencontreusement powétique. Il y a pire : les titres, nombreux, que Proust avaient envisagés pour son livre — et que j'ai la flemme de recopier ici, du genre : Les Colombes poignardées —, avant de les abandonner : tous plus mauvais les uns que les autres.

Un dernier exemple. À l'automne 1921, paraît dans la NRF un extrait de Sodome et Gomorrhe (là, le titre est bon...) qui sera intitulé Les Intermittences du cœur. Titre assez médiocre, un peu trop niais, surtout pour qualifier un passage admirable. Les lecteurs de la revue l'ont pourtant échappé belle, puisque le premier titre voulu par Proust était : La Perte après coup de ma grand-mère. J'essaie d'imaginer la consternation accablée de Rivière et de Paulhan recevant cette proposition de titre...

— Et puisqu'on est avec Marcel... À Henri de Régnier, il écrit, toujours en 1921 : « J'espère sortir bientôt et je vous demanderais des conseils littéraires. » Imaginer un Proust quémandant les “conseils littéraires” d'un Régnier... La seule façon de ne pas s'attrister d'un aussi pitoyable abaissement est d'imaginer l'épistolier avec un demi-sourire sous la moustache, conscient de l'énormité qu'il vient de lâcher sur sa feuille de papier.


Vendredi 7

Sept heures. — De Chateaubriand (M.O.T., II, 3) : « Après le malheur  de naître, je n'en connais pas de plus grand que celui de donner le jour à un homme. » Pas à dire : le matin au saut du lit, ça requinque...

— Apparemment, il existe à Dublin une statue de Molly Malone (qui c'est encore, celle-là ?), fortement décolletée. Ses seins sont tout patinés, à force d'être pelotés par les quidams qui passent. Notre vice-présidente s'en indigne et taxe cette coutume de “misogyne”, ce qui est parfaitement absurde. Il faudrait lui demander comment elle qualifierait cette autre coutume, parisienne, elle, qui consistait (consiste ?) pour les femmes en mal d'enfant à venir caresser l'entrejambe particulièrement protubérant du gisant de Victor Noir au Père-Lachaise.

— Petit échange de sms avec Élodie, à ce sujet. Elle persiste à trouver ce “pelotage statuaire” misogyne. À ce compte-là, on pourrait aussi accuser de viol le pauvre gars qui se paluche sur une photo porno... D'ailleurs, ça viendra peut-être.

Trois heures. — Parce qu'on ne peut quand même pas passer toute la journée avec Chateaubriand et Proust, j'ai réveillé Donald Westlake, histoire de détendre un peu l'atmosphère. Pierre qui brûle est le premier roman de la série des Dortmunder (du nom du personnage central) ; je l'avais acheté... et jamais lu ; ou commencé et abandonné, je ne sais plus trop. En tout cas j'avais tort : il est vraiment excellent (dans le genre).


Samedi 8

Neuf heures. — Je reste avec Westlake, mais en changeant de roman, celui d'hier étant terminé. Ce matin : Comment voler une banque. Le titre original est Bank Shot et, pour une fois, le français n'est pas mal trouvé. Car il ne s'agit pas ici d'un simple hold-up dans une banque, mais bien de voler la banque dans son entier...

Midi. — Reçu Le Talentueux Mr. Ripley de Patricia Highsmith : le contraste avec Westlake risque d'être un peu violent...


Dimanche 9

Neuf heures. — Commencé le Ripley de Patricia Highsmith. Et déjà, le traducteur me fait sursauter. Je lis ceci (c'est moi qui souligne) : « Cette unique pièce crasseuse semblait avoir été occupée par mille locataires différents dont chacun avait laissé sa crasse propre sans jamais, etc. »

Il me semble qu'il aurait été assez simple de choisir l'adjectif “personnelle”, par exemple, qui aurait suffi pour éviter cette fâcheuse et plutôt comique “crasse propre”. Le fait que M. Rosenthal n'ait pas tiqué devant ce qu'il écrivait augure assez mal de nos rapports futurs...

Midi. — Patricia Highsmith présente son personnage de Freddie Miles (à ne pas fondre avec Fredi Maque...) comme un rouquin à taches de rousseur et un peu trop gras. Dans le film de Minghella, le rôle est tenu par Philip Seymour Hoffman, ce qui colle parfaitement. Mais pourquoi, sinon par démence netflicarde, les responsables du casting de la série sont-ils allés chercher une sorte de femelle transgenriforme pour incarner un rouquin grassouillet ? (Le machin dégenré en question se trouve être la fille de Sting, l'ex-policier en chef.)

Six heures. — Après avoir lu près des deux tiers du Talentueux Mr. Ripley, je crois pouvoir avancer que la série est nettement plus fidèle au roman que le film ; mais avec, bien entendu, un certain nombre de petites différences, sans grande importance.

— Walter Berry, citoyen américain, président de la Chambre de commerce des États-Unis à Paris, ami de Henry James, d'Édith Wharton... et de Marcel Proust, écrit dans un français non seulement impeccable, mais savoureux. Court extrait d'une de ses lettres à M. P. :

« Je n'écrivais pas, car je ne voulais pas que vous eussiez, tout le long de vos nuits désommeillées, la hantise d'encore une lettre à faire. Mais maintenant, si vous sortez, fût-ce même à onze heures, pourquoi ne pas me célestiphoner, et nous irons vider ensemble un flacon du 345 ? »

Le verbe célestiphoner est une pure création “berrychonne” signifiant évidemment “faire téléphoner par Céleste (Albaret)”. Quant au 345, c'est la marque du porto que Marcel biberonnait au Ritz quand il avait la force de quitter son lit et de se traîner jusqu'à la Place Vendôme dans le taxi d'Odilon (Albaret itou).


Lundi 10

Huit heures. — Nous voilà donc, depuis hier soir, avec une “extrême droite” à 35 %, et notre syndic de faillite qui dissout l'Assemblée nationale. Deux choses qui m'indiffèrent assez ; mais je me réjouis d'avance des savantes analyses politiques que ne vont pas manquer de développer, sans doute dès ce matin, tous nos petits politologues de clavier (nos politoblogues), les mêmes qui furent, tour à tour ou en même temps, climatologues, épidémiologues, géopolitologues, et j'en oublie certainement. Tout cela sur fond de péril fasciste et d'union sacrée des gauches.

En attendant ces réjouissances, revenons à Donald Westlake. La forte pensée d'un personnage (très annexe) de Westlake, dans Personne n'est parfait : « Les familles riches commencent en éponge et finissent en robinet. »

Trois heures. — Un exemple minime mais parlant du talent approximatif de beaucoup de traducteurs, ce tronçon de phrase pris dans le roman de Westlake : « ... dans les bureaux des derniers étages supérieurs. »

Pléonasme. Je ne sais ce qu'il en est en anglais, mais en français, les derniers étages sont toujours les étages les plus élevés. Il est bien sûr indispensable qu'un traducteur connaisse à fond la langue d'origine des textes qu'on lui confie — encore que Proust ait traduit plusieurs livres de Ruskin en ne maîtrisant que fort mal l'anglais —, mais il serait bon qu'il possédât aussi l'idiome d'arrivée, lequel se trouve être généralement sa langue maternelle.

— Dans la petite bande à Dortmunder, Kelp est celui qui fournit les véhicules nécessaires aux “coups”. Ce qui donne lieu à ce micro-dialogue, alors que les deux compères viennent de se rencontrer par hasard dans un grand magasin et que le second a proposé au premier de le ramener chez lui (c'est moi qui souligne) :

« Où elle est, ta bagnole ? — Je sais pas encore, dit Kelp. Attends-moi là, bouge pas. Je reviens. »

Quand tout l'humour d'une phrase ne repose que sur un seul mot...

Six heures. — Correspondance proustienne : j'accoste à 1922, année dont Proust ne verra pas la fin. Pas le courage de m'y engager ce soir.


Mardi 11

Dix heures. — Comme prévu, chacun y va de sa brillante analyse politique, et toutes sont aussi prévisibles que prévues, si je puis dire. Celui-ci nous ressort l'union de la gauche, quand ce n'est pas l'increvable Front populaire de risible mémoire ; cet autre traite Emmanuel Macron d'imbécile suicidaire, quand son voisin s'ébahit de ses ruses politiques ; un autre encore évoque les “pôles extrêmes”, s'imaginant sans doute qu'il existe des pôles médians ; on voit même de pauvres filles ressusciter des blogs morts pour y agiter le non moins increvable péril nazi. Bref, tout marche comme sur des roulettes ; ou plutôt sur le grand tapis roulant dont personne ne sait où se trouvent les commandes marche/arrêt.

— Abandonné momentanément Dortmunder — mais pas Westlake — pour relire Adios Shéhérazade. Le roman est centré sur un “écrivain en bâtiment” qui gagne péniblement son steak en torchonnant des romans pornos, et qui doit soudain faire face a une panne totale de ce qu'il serait très exagéré d'appeler son inspiration. Il y a quelques années, lorsque j'étais encore en activité, le livre m'avait plus ou moins “interpellé au niveau de mon vécu, Coco”...

— À propos d'écrivains en bâtiment... Il est trop tard pour moi, mais je pense que ceux en activité devraient se regrouper dans une véritable association — avec président, trésorier, porte-parole, secrétaire général, et presque autant de vice-présidents qu'il y aurait de membres ; enfin : une association, quoi —, et poursuivre devant les tribunaux tous ceux qui seraient encore assez fous pour les qualifier de nègres : il y aurait sûrement d'intéressants compléments de droits d'auteur à se faire...

Six heures. — Averse de grêle sur le Plessis. Juste après le tsunami fascisto-nazi d'avant-hier, ça commence à faire beaucoup...

— Une chose pénible (en dehors de quelques grosses invraisemblances dans le scénario) dans la cinquième saison de 24 h chrono, que nous finirons de regarder demain, c'est l'omniprésence de la “musique”. Plutôt que de musique, d'ailleurs, même avec la prudence prophylactique des guillemets, je devrais plutôt parler de “gargarismes d'ordinateur”. Comme nous regardons évidemment cela en version originale avec sous-titres, Catherine se sera tapé les vingt-quatre épisodes avec des bouchons auriculaires ; ce qui rend assez problématiques les commentaires que nous avons coutume de nous faire quand nous sommes ensemble devant la télé.


Mercredi 12

Huit heures. — Bon, l'affaire est entendue : Donald Westlake est un infréquentable méritant la roue, l'estrapade et le gibet ; il a de la chance d'être déjà mort. Voici ce qu'il écrit à propos d'un des flics qui viennent d'apparaître au chapitre 8 de Pourquoi moi ? :

« C'était un Nègre de vingt-huit ans, une foutue tapette à la langue bien pendue : le sergent Léon Windrift. (Si Léon avait simplement été homosexuel, il y a longtemps qu'il aurait été viré de ce corps d'élite qu'était la police new-yorkaise. S'il avait simplement été noir, il serait resté flic des rues sa vie durant. Mais comme il était à la fois nègre et pédé, on ne pouvait ni le virer ni le garder dans un commissariat de quartier, ce qui expliquait l'ascension rapide qui l'avait conduit au grade de sergent et à un boulot au quartier général.) »

À fin d'exemplarité, je propose que le cadavre de cet ignoble homonégrophobe soit promptement déterré et publiquement brûlé lors d'une grande cérémonie expiatoire, citoyenne, inclusive, éco-responsable et, bien sûr, aussi dérangeante que décalée.

Midi. — Ce pauvre Renépol, qui doit déjà être au trente-sixième dessous depuis la raclée que vient de se prendre son idole Macron, me consacre aujourd'hui tout un billet, basé sur deux brefs paragraphes de mon journal dont il était le héros à la triste figure. Comme il n'a qu'une seule arme à sa disposition, il tente de s'en servir et de me faire passer pour un vilain homophobe, ce qui est du plus savoureux comique. 

Ce que je me demande tout de même, c'est d'où lui vient cette pulsion masochiste qui l'oblige à lire consciencieusement ce journal tous les mois. (En réalité, la question est purement rhétorique : je sais très bien qu'il se sent tout fier lorsqu'il peut vérifier que je m'occupe toujours de sa petite personne. Je lui dorlote le moi comme personne...)

Trois heures. — Catherine vient d'aller chez la voisine d'en face pour lui acheter une douzaine d'œufs (car, en face, contrairement à ici, les poules pondent...). Elle est revenue avec une douzaine d'œufs... et un chaton de deux mois.

Bon, en réalité, le félin n'arrivera ici que dimanche ; mais enfin, il y a engagement ferme. C'est Charlus qui va être content...

En attendant, je suis chargé de lui trouver un nom ; sorti de chez Proust, comme il se doit.

Quatre heures. — Voilà qui est fait : Marcel aidant, notre futur greffier vient d'être baptisé Saint-Loup. Saint-Loup qui, chez Proust, est le neveu de Charlus...


Jeudi 13

Sept heures. — Catherine est attendue à la clinique Pasteur d'Évreux à midi. Opération dans l'après-midi et retour ici demain ou après-demain, l'affaire ne semble pas fermement décidée par les autorités hospitalières.

Il va falloir que je me trouve un film idiot pour ce soir : ça ne devrait pas être trop difficile.

Une heure. — Si l'on tient Charlus pour quantité négligeable, ce que n'oserais faire, Me voilà seul, comme chantait Aznavour au début des années soixante-dix (c'était la “face B” des Plaisirs démodés, si je me souviens bien), de retour à la maison après avoir installé Catherine dans sa chambre “de luxe” (mais oui madame !) de la clinique Pasteur. Je sens que la sieste va être bonne...

— Pendant ce temps, le sinistre clown Saint-Graal appelle au boycott de tous les écrivains qui n'auront pas appelé publiquement à voter contre le RN. Et ce digne professeur se vante d'avoir jeter à la poubelle les livres d'un de ceux-là. En voilà un qui a touché le fond de la forfaiture intellectuelle et de la bassesse morale, mais qui continue quand même à creuser ; des fois que...

Jeter des livres parce que leurs auteurs “pensent mal” (ou simplement s'en foutent), condamner des écrivains quand ils refusent de suivre les mots d'ordre officiels, voilà qui, pourtant, devrait lui rappeler quelque chose...

Trois heures. — Catherine devait être opérée en tout début d'après-midi. Pas de chance : une urgence a débarqué à Pasteur, qui lui a grillé la politesse au bloc. Pouvait pas aller calancher un peu plus loin, cet emmerdeur ? Le problème, évidemment, n'est pas tant l'attente que l'attente l'estomac vide

Enfin, nous gardons tout de même un point commun, elle là-bas, moi ici (chabadabada…) : nous lisons tous les deux un “Dortmunder” ; Catherine Comment voler une banque, et moi Bonne conduite.

Tout cela ne me dit pas ce que je vais regarder ce soir ; je devrais sans doute aller un peu fouiller dans les entrailles netflicardes dès maintenant, histoire de n'être pas pris au dépourvu quand le soir sera venu.

— Le touitte de Renaud Camus qui vient de me faire sourire : 

« D’après certaines rumeurs, une arrivée de Jordan Bardella à Matignon pourrait rendre impossible la tenue des Jeux olympiques. Méfiance tout de même : il pourrait ne s’agir que d’un argument de campagne en sa faveur, sans fondement véritable. »

Six heures. — Un coup pour rien. Il y a une heure et demie, sms de Catherine : « Tu peux venir me chercher, ils me rappelleront. » Traduction en clair : deux urgences coup sur coup à Pasteur, donc les pas-urgents passent à la trappe. J'en ai été quitte pour un second aller-retour à Évreux. En compensation, Saint-Loup va nous arriver d'ici une heure ou deux, plutôt que dimanche comme il était prévu.


Vendredi 14

Sept heures. — Saint-Loup est donc arrivé hier, entre six et sept heures. Pour lui laisser le temps de se remettre de ses émotions probables, nous l'avons installé dans la salle de bain, avec caisse à sable, panier molletonné, gamelles d'eau et de nourriture. Il a mangé et fait une belle diarrhée en dehors de la caisse, comme le veut la coutume. 

Il a ensuite passé tout le temps de la télé dans le giron de Catherine, où il s'est endormi. Charlus, qui semblait bizarrement plus impressionné qu'excité par cette petite chose tigrée, a fini par lui donner un ou deux petits coups de langue sur le sommet du crâne sans que le chat ne manifeste plus d'émotion que cela.

Tout à l'heure, entrant dans la salle de bain, j'ai constaté 1) qu'il était allé pisser dans son sable, 2) qu'il avait réussi, Dieu sait comment, à grimper sur le lavabo. Ce dernier exploit me fait dire qu'il doit tout de même avoir plus que deux mois ; je dirais : entre trois et quatre. On verra ce qu'en pense notre vétérinaire mardi prochain.

Cinq heures. — Je viens de vendre le dernier tome qui me restait de la correspondance proustienne dans l'édition originale : 70 €. Il reste maintenant à s'acquitter de la partie pénible : colis, poste, etc.


Samedi 15

Huit heures. — Charlus et Saint-Loup ont commencé à jouer ensemble. Pas seulement le chien avec le chat, ce qui était prévisible, mais également le chat avec le chien, ce qui est assez bon signe. À part ça, Saint-Loup a dû avoir une petite enfance du genre sous-alimentée. D'abord parce qu'il est plutôt maigrichon, et ensuite parce qu'il vide sa gamelle de croquettes à peu près aussi vite qu'on la lui emplit.

— Catherine tombe sur ce fait-divers : une bande de branquignols ayant décidé de cambrioler une bijouterie en perçant le plancher de l'appartement situé juste au-dessus ; lequel appartement a joyeusement pris feu pendant qu'ils opéraient en dessous. On croirait voir à l'œuvre John Dortmunder et sa bande.

À propos de Donald Westlake : ayant, hier soir, repris la première saison des Soprano, il nous est apparu qu'un certain nombre des acolytes de Tony Soprano ne dépareraient pas dans son univers de Pieds nickelés.

Deux heures. — Appel téléphonique du chirurgien de Catherine : elle sera finalement opérée le 27... s'il n'y a pas de nouvelles urgences ce jour-là à la clinique Pasteur. Du coup, nous sommes obligés d'annuler la visite d'Adrien et de sa Chinoise (je ne suis pas encore parvenu à me graver son prénom dans la cervelle, à celle-là...), qui devait avoir lieu les 26 et 27.


Dimanche 16

Sept heures. — Comme prévu, le grand Barnum antifasciste bat son plein. D'autant plus à l'aise dans les baskets qu'il n'y a pas le moindre fasciste en vue à combattre. Une fois de retour devant leurs claviers, tous ces héroïques arpenteurs de rues se remettent à compter les sièges que vont, d'après leurs savantes analyses, obtenir ceux-ci et ceux-là. On est tantôt Jean Moulin, tantôt épicier, à mi-temps.

— L'une des candidates de la gauche asilaire se nomme Amy Bah : elle a pourtant l'air bien jeune, pour être déjà mère de famille...

— Évidemment, sans être vraiment inquiets, nous nous demandions comment allait se passer le face-à-face Charlus — Saint-Loup. Or, si le chat reste encore un peu tendu, voire méfiant, lorsque Catherine ou moi nous avançons dans sa direction, il semble trouver à l'arrivée de Charlus, souvent moins discrète que la nôtre pourtant, quelque chose de rassurant

— Je découvre l'existence d'un footballeur nommé Marcus Thuram. Il est le fils de l'autre et, entre deux parties de ballon, s'engage contre le racisme et le RN. Normal : chez les Thuram, l'antiracisme semble être en quelque sorte une petite entreprise familiale qu'il s'agit de faire tourner. Pendant la tempête fasciste, la vente continue !

Deux heures et demie. — Tout le monde dort ; Catherine et Charlus dans le canapé et Saint-Loup dans le fauteuil de Charlus ; moi-même ne suis sorti qu'à demi de ma sieste. Alors qu'on pourrait être occupé à faire barrage au fascisme dans les rues du Plessis : pas très raisonnable, ce nôtre désengagement hypersomniaque...

Six heures. — Valérie Scigala, alias Madame de Véhesse (blog : Alice du Fromage), ouvre son billet d'aujourd'hui par la phrase la plus drôle que j'aie lue depuis un petit moment : « Tests Covid négatifs, c'était la condition pour aller au Père Lachaise. »


Lundi 17

Dix heures. — Aller-retour au bureau de poste de Pacy pour y expédier le dernier volume encore en ma possession (et qui ne l'est donc plus) de la correspondance proustienne, vendu soixante-dix euros. La circulation dans Pacy est toujours aussi bordélique (engins refaisant les trottoirs, circulation alternée, etc.), ce qui nous oblige, chaque fois, à faire le détour par la voie rapide venant d'Evreux. Voilà des semaines que ça dure et, comme si ce n'était pas suffisant à notre bonheur, depuis ce matin et pour plus d'un mois, la bretelle d'accès à cette même voie rapide, mais en direction d'Évreux cette fois, est fermée à toute circulation. 

Midi. — Pendant que je buvais mon café sur la galerie, quatre vaches ont fait leur entrée dans la pâture de derrière.

— Le traducteur de Dégâts des eaux semble croire que les impatiens s'appelle des impatientes. Ce n'est hélas pas sa seule bourde, mais j'ai néglige de noter les autres au fur et à mesure que je tombais dessus.

(Bon, vérification faite, il semble que cette fleur accepte à peu près n'importe quelle orthographe : impatiens, impatience, et même impatiente. Donc, toutes mes excuses à M. Jean Esch... mais je conserve le souvenir vivace de ses autres faux pas !)


Mardi 18

Huit heures. — Livraison de fioul à sept heures et demie : je ne suis pas le seul à me lever tôt, donc. Le livreur me dit qu'ils sont plus ou moins débordés cette semaine, car tout le monde a passé commande en même temps. La raison ? Le fioul qui coûtait 1,35 € la semaine dernière encore est redescendu à 1,15 ; chose que Catherine et moi ignorions bien évidemment. J'ai donc, quasiment au saut du lit, économisé trois cents euros sans avoir rien fait d'autre que de me laisser guider par le hasard : trop fort, le Goux...


Mercredi 19

Six heures (du soir...). — Est-ce l'auteur ou son traducteur qui s'est emmêlé les crayons ? Dans Histoire d'os (Westlake toujours), Andy Kelp, personnage récurrent de la bande à Dortmunder, se retrouve perdu dans une forêt inconnue, à la nuit tombante. Et il se demande s'il risque de rencontrer “des orignaux et des élans”. Ce qui revient à se demander si, descendant dans la rue, on pourrait croiser des gens et des personnes ; des voitures et des automobiles ; tout en voyant dans le ciel passer des avions et des aéroplanes.

Cela dit, vérifiant auprès de Dame Wiki qu'orignal et élan étaient bien un seul et même animal, j'ai appris que le mot orignal venait d'un vocable basque, oreinak, lui-même pluriel de orein, qui désigne le cerf ou le renne ; lesquels, eux, sont des animaux différents.


Jeudi 20

Onze heures. — J'apprends, par hasard et par Catherine, que Charles Aznavour était le cousin de Mike Connors, alias Mannix. Cousinage qui m'a paru nettement improbable, jusqu'à ce que je découvre, chez Dame Wiki, le véritable nom du Connors en question : Krekor Ohanian. Tout rentrait aussitôt dans l'ordre. À noter que si notre Grand Charles est mort à l'âge déjà respectable de 94 ans, son cousin a, lui, poussé la plaisanterie jusqu'à 97 ans : l'Arménien, c'est du costaud.

Midi. — À l'incitation de Michel Desgranges (finira par me ruiner, cet homme !), j'ai passé commande, hier, de deux romans de Westlake qui n'appartiennent pas au cycle Dortmunder : Aztèques dansants (bon titre) et Tous les Mayas sont bons (contrairement au titre qui, là, est mauvais).


Vendredi 21

Huit heures. — Phrase trouvée à la page 39 de Au pire, qu'est-ce qu'on risque ? de Westlake : « Les deux policiers  coiffèrent leur képi et descendirent de voiture. » Où donc, et à quelle époque, Mme Aubert Marie-Caroline a-t-elle vu des flics américains affublés de képis ?  Une bourde d'autant plus ridicule que, dans le temps où elle traduisait ce roman, 2001, il y avait déjà près de vingt ans que la police française avait abandonné ce couvre-chef. Pourquoi pas le tricorne emplumé pendant qu'elle y était ?

Sottise peu importante en elle-même, j'en conviens à la décharge de Mme Aubert. Le problème, c'est le soupçon qu'elle fait naître : pour une erreur que j'ai repérée, de combien d'autres, peut-être plus graves, a-t-elle parsemé son texte, qui me demeureront cachées ?

Et justement, quelques pages plus loin : à propos de Wally Knurr (140 kg pour 1,40 m...), personnage semi-récurrent qui vient de réapparaître, notre Marie-Caroline précise “qu'il était à peu près aussi haut que large”.

Évidemment, non : la logique aurait voulu qu'elle écrivît qu'il était “aussi large que haut”. Il faut avoir les oreilles bouchées à la cire d'abeille pour ne pas entendre la différence qu'il y a entre ces deux formulations, qui disent pourtant la même chose. Cela dit, je ne sais pas ce que Westlake, lui, a écrit.


Samedi 22

Onze heures. — Clôture de la campagne électorale — seulement celle du premier tour, hélas... — le 28 juin à minuit. C'est-à-dire que les flots de stupidités et de mensonges vont continuer de déferler durant presque une semaine encore. J'ai beau lire le moins possible  de choses s'y rapportant, je ne suis pas sûr de conserver ma légendaire bonne humeur jusqu'au bout. Rien que le compte X du professeur Saint-Graal me fait, à lui seul, l'effet d'un baquet de merde grasse se déversant sur ma tête jusqu'à la dernière goutte... et se remplissant de nouveau chaque nuit. On me dira que je n'ai qu'à cesser d'y aller voir, et on aura évidemment raison. Mais ce serait compter sans la fascination malsaine que j'éprouve devant cet amalgame à forme humaine, de vertu citoyenne affichée et de bassesse morale clapotant dans les tréfonds...

Six heures. — Contrairement à ce que me disait ma mémoire (on ne ricane pas, dans le fond !), il y a au moins un roman de Westlake qui se termine par un franc succès pour Dortumunder et son guignols band. Je n'en donne pas le titre, pour ne rien déflorer, au cas où l'un de mes douze lecteurs tomberait dessus par inadvertance.


Dimanche 23

Neuf heures. — En descendant chercher du pain, je me suis arrêté au locker de Saint-Aquilin pour y récupérer les deux romans “non-dortmundiens” de Westlake commandés il y a quelques jours. En passant, j'ai pu constater que la porte du bar-tabac du bord de l'Eure avait été complètement défoncée durant la nuit : encore un coup de l'extrême droite fascisante et naziforme, je gage.

— À ce propos, les gesticulations twitteresques — le guignol Saint-Graal en tête évidemment — des front-populistolâtres pour tenter de faire croire que la seule menace pesant sur les Juifs de France vient de l'extrême-droite sont aussi réjouissantes que pitoyables.

Et, bien entendu, ils poussent à l'avant-scène un certain nombre de Juifs affirmant que leurs grands ou arrière-grands-pères ont été arrêtés par Vichy, donc par l'extrême-droite, cependant que les maquis étaient grouillants de gens de gauche garantis grand teint ; ce qui relève de la plus éhontée falsification historique, mais qui s'en soucie ? Quand les militants crachent leurs slogans, la vérité et l'intelligence ont intérêt à la mettre en veilleuse et à attendre des jours meilleurs... s'il en revient.


Lundi 24

Huit heures. — Le roman de Westlake que je termine à l'instant a pour titre Mauvaises Nouvelles. Dans sa langue originale, il s'appelle Bad News. Je devrais donc, pour une fois, me réjouir de cette fidélité du couple infernal éditeur-traducteur. Je ne demanderais pas mieux que de le faire... sauf que, la dernière page tournée, je ne parviens toujours pas à comprendre comment et pourquoi Westlake a choisi ce titre, qui ne correspond à rien de ce qu'on trouve dans son roman. Il aurait pu l'appeler Sans tambour ni trompette, ou encore Le Dîner est servi : ça n'aurait pas eu moins de rapport avec l'intrigue.

Trois heures. — Je viens de passer la tondeuse, et encore : même pas en totalité, ce qui a suffi pour m'essouffler comme jamais. D'autre part, j'ai cru pouvoir constater que mon vieux cœur avait tendance à se montrer de plus en plus poussif : à vue d'oreille, si je puis dire, pas plus de quarante battements à la minute. 

Lorsqu'il a changé mon traitement, il y a entre un et deux ans, le Dr Jobbé-Duval m'avait dit que, si ça ne suffisait pas, il faudrait envisager la pose d'un pacemaker.

Comme l'autoroute A 13 rouvre aujourd'hui, je me suis brusquement décidé à prendre rendez-vous avec Sa Majesté cardiologue : ce sera lundi prochain, en son cabinet de Neuilly. Si ce fucking cœur consent à pomper jusque-là...


Mardi 25

Dix heures. — M. Charles Fournier est député sortant écolo de Tours (depuis une semaine, notre professeur Saint-Graal et autres ravagés de la coiffe du même acabit s'agitent beaucoup pour le faire réélire dimanche). Voici comment s'exprimer un député écolo de nos jours :

« tous ceux qui répètent à longueur de journée des amalgames sur les plateaux télé, dans la presse ou dans vos meetings : vous alimentez les fractures et servez de marche pied à l’extrême-droite. »

Alors, voilà. D'après M. Fournier, il est possible non seulement de répéter des amalgames, mais aussi d'alimenter des fractures dans le but de se transformer en marchepied. On choperait le tournis pour moins que ça.

Midi. — Il serait grand temps que des qualificatifs aussi hautement discriminants que con, imbécile, crétin, benêt, âne bâté, etc., soient radiés des dictionnaires et interdits d'usage, oral comme écrit, sous peine de fortes amendes. On les remplacera fort avantageusement par : personnes en situation d'intelligence discrète.

Six heures. — Malgré la bêtise militante qui se déverse à pleins baquets, il y a tout de même une catégorie de gens pour qui cette période campagnarde est pain bénit ; je veux bien sûr parler des violeurs en série illustres : nos metoofettes sont tellement occupées à barrer la route à l'hydre brune que les Depardieu, les PPDA, les Gérard Miller et autres Édouard Baer ont une paix royale. J'espère quand même pour eux qu'ils savent en profiter avec discrétion.

— À part ça, M. Esch, autoproclamé traducteur “littéraire”, s'obstine à faire suivre “après que” de différents verbes, toujours au subjonctif ; ce qui ne risque pas de me réconcilier avec lui.


Mercredi 26

Six heures vingt. — Hier, Saint-Loup a pour la première fois franchi la porte de la maison et a même commencé à descendre les marches menant au jardin ; exploration à laquelle nous avons mis aussitôt fin, vu qu'il était plus de dix heures du soir, et que nous nous apprêtions à aller nous coucher...

Puisque ce chat semble vouloir du nouveau, il va être servi : à onze heures, il aura droit à sa première visite au cabinet vétérinaire de Saint-Aquilin.

Midi. — Première visite du marquis de Saint-Loup dans le cabinet du Dr Le Thomas : d'après ce digne praticien, notre nouveau venu serait un petit mâle de trois mois. Il fut donc arbitrairement décidé que sa date de naissance serait le 19 mars, soit la même que la mienne. À part ça, l'autorité vétérinaire l'a déclaré en pleine forme, ce qui est loin d'être toujours le cas de ses maîtres.

— Et justement, je suis, depuis quelques semaines, victime d'un phénomène bizarre : alors que, depuis au moins deux ans, mon poids restait stable (jamais moins de 90 kg, jamais plus que 91), je me suis soudain mis à regrossir ; alors que je n'ai rigoureusement rien changé à mon alimentation. Ce matin, après la douche, je frôlais la barre des 95 kg.

Pourrait-ce être lié aux petits problèmes cardio-respiratoires que j'évoquais hier ou avant-hier ? J'ai beau chercher, je ne vois pas quel rapport il pourrait y avoir entre ceci et cela. Il est vrai qu'il en va de mon corps comme de ma voiture : j'ai appris à les utiliser, mais j'ignore absolument tout de leur fonctionnement.

Bref, le mystère reste, pour l'heure, entier.


Jeudi 27

Sept heures. — Catherine est attendue à la clinique Pasteur à une heure cet après-midi. Espérons que, cette fois, aucune urgence ne viendra lui barrer la route de la salle d'opération...

— Un quelconque folliculaire (éditorialiste à Libération, s'il vous plaît !) déclare ceci sous X :

« Une victoire du RN entraînerait non une simple alternance, mais la libération d’un racisme toujours plus décomplexé qui n’a rien à voir avec l’identité de la France. »

Je passe sur la banalité rabâchée de la “pensée”. Mais tout de même : si ce racisme, complexé ou non, “n'a rien à voir avec l'identité de la France”, comment le concilie-t-on avec ce fameux “racisme systémique” dont nous sommes censés être vérolés depuis toujours, et même encore avant ?

Peu importe, évidemment, puisqu'il ne s'agit nullement de “concilier” quoi que ce soit, mais seulement de marteler des fantasmes.

Deux heures. — Catherine est dans sa chambre pastorale depuis une heure, et moi tout juste de retour à la maison. Pour l'instant, aucun sms me demandant de venir la rechercher...

Six heures. — Pas de nouvelles de Catherine ; ce qui signifie qu'elle doit toujours être plus ou moins “dans le cirage”.

Six heures et demie. — Appel de Catherine, de retour dans sa chambre. Pas de souffrance, mais j'ai bien entendu à son élocution qu'elle était encore un peu sous l'effet de l'anesthésiant.

Quant à moi, je me suis installé sur la galerie avec une bière (après avoir demandé à Nicolas si c'était péché de se verser une 1664 dans un verre à Leffe...).


Vendredi 28

Trois heures. — Retour à l'instant de la clinique Pasteur. J'ai trouvé Catherine en bonne forme, compte tenu de son opération d'hier. D'après son chirurgien, elle devrait sortir demain ou dimanche : tout dépend d'un certain redon, qui continue de se remplir alors qu'il est censé ne plus le faire (qu'on ne cherche pas : moi-même je ne comprends pas ce que je suis en train d'écrire). Mais, d'après Catherine, le débit en est déjà bien diminué par rapport à ce qu'il était hier: Bref : on verra ce qu'il en est demain matin.

— Charlus fidèle à son personnage et à ses tradition : durant mon absence, il avait transporté les deux bottes de Catherine du placard du salon télé jusqu'au salon principal, comme il le fait sitôt que nous le laissons seul. Le plus curieux est qu'il se contente de cela : les apporter d'une pièce à l'autre. Car nous les retrouvons toujours parfaitement intactes, et pas le moins du monde “baveuses”. Il y a là comme un code dont la signification nous échappera sans doute toujours...


Samedi 29

Neuf heures. — Une campagne électorale ressemble plus ou moins à ces petits théâtres de marionnettes qui, jadis, donnaient leurs représentations enfantines dans les parcs et les jardins : il y a toujours Guignol et le gendarme, et des enfants qui hurlent et trépignent pour avertir l'un de la présence menaçante de l'autre. Ce qui change, avec le public adulte, “citoyen”, c'est cet étrange phénomène hallucinatoire : quand certains voient le gendarme tabasser Guignol, les autres assurent que c'est au contraire Guignol qui massacre le gendarme. Et personne ne semble s'apercevoir que les deux protagonistes échangent plusieurs fois leurs costumes au cours de la représentation.

— Message de Catherine pendant que j'écrivais ce qui précède : elle sort de la clinique aujourd'hui en fin de matinée.

— Jusqu'où ira la duplicité du NSDAP — pardon : du RN —, qui va jusqu'à présenter, en Meurthe-et-Moselle, un candidat dont le nom est NUPS, dans le but évident de tromper les braves électeurs de gauche ?


Dimanche 30

Dix heures. — Une phrase étrange chez Westlake (ou chez son traducteur ?), dans Tous les Mayas sont bons — titre grotesque auquel je ne parviens pas à me faire. L'un des personnage vient de consulter sa montre :

« Elle indiquait seize heures cinquante-huit ; le temps qu'il arrive au bar, le soleil serait indubitablement au zénith. »

Je sais bien que le roman se déroule au Belize, pays dont j'ignore à peu près tout ; mais enfin, dans quel endroit de la terre a-t-on jamais vu le soleil atteindre le zénith à plus de cinq heures de l'après-midi ?

— Et pendant que je suis tranquillement installé à lire, le troupeau des moutons citoyens a commencé de défiler à la mairie, tout fier du droit qu'on lui a concédé de choisir lui-même les patrons de son abattoir.

Dix heures vingt. — Il m'est soudain venu à l'esprit que, peut-être, la montre de mon bonhomme de tout à l'heure pouvait être restée à l'heure de New York d'où il vient d'arriver. Caramba ! Encore raté : le décalage horaire entre la Côte Est des États-Unis et le Belize n'est que d'une heure...

Quatre heures. — ... Et pendant ce temps, assis sur l'accoudoir du canapé, les yeux braqués sur la porte-fenêtre donnant sur la rue de l'Église, tous les sens en alerte, Charlus regarde passer les électeurs…


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