lundi 30 octobre 2017

Septembre 2017











ESCALE À SAINT-MALO









Vendredi 1er septembre

Sept heures vingt. – Je n'avais jamais lu Le Nain jaune de Pascal Jardin, lacune qui a été comblée ce matin, pour partie dans mon fauteuil habituel, pour l'autre dans l'un de ceux qui meublent la salle d'attente de la dentiste de Pacy. C'est un excellent livre, qui semble parfois s'être écrit tout seul, à la fois tendre et fort drôle, de par la personnalité de son personnage principal, Jean Jardin. Mais, en même temps, alors que l'on s'amuse énormément, on y sent une grande tristesse sous-jacente, qui ne demande qu'à s'emparer de vous, un peu comme ces rochers qui, invisibles sous la surface des eaux, vous éventre pourtant très proprement la coque du bateau imprudent. Mais pourquoi le jury du Médicis, en 1978, lui a-t-il attribué son prix du meilleur roman, alors que, manifestement, ce n'en est pas un ? Ensuite, je suis reparti avec Álvaro Mutis pour les mines d'or désaffectées de la Cordillère des Andes.

– Le gros orage qui vient de passer au-dessus de nous, en déversant ses habituelles trombes, a envoyé les deux poules au lit encore plus tôt que d'habitude.


Samedi 2 septembre

Sept heures et quart. – Finalement, l'expression “se coucher avec les poules” n'est pas une simple image : depuis quelques jours, Odette et Nana rejoignent leur perchoir de plus en plus tôt. Ce soir, elle y sont depuis déjà un quart d'heure, alors qu'il fait encore grand soleil.

– Grand soleil aussi sur ma vie de lecteur, grâce aux récits de Mutis, qui me séduit décidément de plus en plus. Au point que, moi qui n'en lis jamais, et encore moins en traduction, je crois que je vais tout de même commander le recueil de ses poésies complètes.


Dimanche 3 septembre

Midi. – J'ai terminé, voilà une heure, le derniers des romans de ce que j'appellerai le cycle de Maqroll le Gabier, lequel en comporte sept et forme en définitive l'essentiel de l'œuvre en prose d'Álvaro Mutis. En réalité, ce cycle comporte une sorte de “tronc” composé de trois romans (dans l'ordre La Neige de l'amiral, Ilona vient avec la pluie et Un bel morir), auquel sont venues s'adjoindre quatre branches secondaires (mais non moins importantes : La Dernière Escale du tramp steamer ; Écoute-moi, Amirbar ; Abdul Bashur, le rêveur de navires ; et enfin Le Rendez-Vous de Bergen : c'est ce dernier que j'ai terminé tout à l'heure. Je ressens de cet achèvement une sorte de frustration mélancolique, tant l'envie est grande de voir se poursuivre indéfiniment cette longue errance que forment, pris dans leur ensemble, les romans de Mutis. La frustration s'augmente de ce que, depuis plusieurs jours, je suis taraudé par le désir d'écrire un long billet de blog sur cette expérience que je viens de faire, et bien sûr les livres qui l'ont engendrée, mais que je ne me décide pas à “y aller”, par une sorte de timidité qui me surprend un peu moi-même, un peu comme on hésite à se plonger dans un océan froid où l'on vient de risquer un ou deux orteils. Toutes les choses qui me semblent devoir être dites arrivent en ordre dispersé, et je suis presque persuadé que, malgré les efforts que je pourrais faire, elles resteraient rétives à toute composition un tant soit peu intelligible. En fait, disons-le : j'éprouve une telle envie de communiquer mon enthousiasme que j'ai peur, n'y parvenant pas, de déboucher sur le résultat inverse. En attendant que la situation se débloque, si elle doit se débloquer, je laisse ici le  himmel que j'ai envoyé hier à Carlos, et qui pourra peut-être, dans les jours qui viennent, jouer son rôle d'étincelle initiale. Voici donc :

Mon cher Carlos,

Comme il arrive souvent, c’est en relisant les « scolies » de Gómez Dávila (j’en ai marre de ces p… d’accents toniques qui m’obligent à passer sans arrêt au clavier espagnol !) que, ricochant d’un Colombien à un autre, j’ai eu envie d’aller voir du côté de chez Álvaro Mutis, que je n’avais jamais lu.

(Entracte : je me suis demandé durant quelques jours pourquoi, dans les années 70, tu ne m’avais jamais parlé de lui… avant de me rendre compte que, à cette époque, il n’avait encore écrit que de la poésie.)

Depuis une dizaine de jours, j’enfile ses brefs romans l’un derrière l’autre, je m’en gorge, m’en pourlèche avec de sourds grognements de plaisir. Et, du coup, je me demandais si, de ton côté, tu partageais ce mien enthousiasme pour les aventures et quêtes de Maqroll el Gabiero. 

Cette constellation de petits récits qui, en fait, ne sont que les différentes parties d’un seul et même roman beaucoup plus vaste, avec son tronc, ses branches principales et ses rameaux adventices, m’a fait penser, dans un genre évidemment tout différent, à un autre écrivain – français et vivant celui-là : Eugène Nicole, qui, depuis une trentaine d’années, publie lui aussi des textes relativement brefs mais qui, en réalité, ne font qu’alimenter et grossir son œuvre maîtresse, intitulée L’Œuvre des mers, dont le personnage principal est l’île de Saint-Pierre-et-Miquelon, et que je t’encourage vivement à lire si ce n’est déjà fait. 

Pour en revenir à Mutis, je trouve notamment ses portraits de femmes (il y en a un par roman, à peu près ; en tout cas un qui se détache nettement) particulièrement réussis, ce qui n’est finalement pas si fréquent chez ces messieurs les romanciers. Sans parler bien entendu de Maqroll lui-même, homme fuyant et lourd tout à la fois, poursuivant comme par lassitude intime des chimères qu’il sait dès le départ être des chimères. Les procédés de narration aussi sont d’une belle subtilité, et la langue – pour autant que j’en puisse juger par la traduction – apte à faire sentir aussi bien les variations de l’âme que les touffeurs et les froidures des différents climats rencontrés.

Bref, me voici devenu alvarophile, pour ne pas dire mutissolâtre…

Amitiés,

Didier

 J'aurais pu aussi, dans ce message, souligner mieux en quoi le rapprochement entre Mutis et Nicole me semblait pertinent : par le rôle essentiel que joue la mer dans leurs œuvres respectives, même si ces rôles sont très éloignés l'un de l'autre. Alors que chez le Colombien, la mer est une sorte d'écheveau de chemins que l'on ne peut s'empêcher de parcourir, tout en sachant qu'ils ne mèneront qu'à la désillusion et à la constatation que nos agitations humaines ne peuvent jamais servir à rien, chez le Français, elle représente plutôt une sorte de cocon entourant l'île primordiale. J'aurais dû aussi dire à Carlos – surtout à lui qui a écrit un petit livre sur cet auteur – combien, souvent, Mutis me faisait penser à Cervantès, par cette façon qu'ils ont tous deux de solliciter les hasards sans que cela paraisse jamais artificiel ni forcé. Chez l'Espagnol, les personnages ne cessent de se retrouver “fortuitement” dans toutes les auberges perdues de la Manche, tandis que chez le Colombien, ce sont les ports du monde entier qui jouent ce rôle nodal.

Je crois qu'il me faut laisser un peu reposer tout cela. Et si ça ne débouche finalement sur rien de lisible, eh bien tant pis pour moi.

Sept heures vingt. –  Je viens juste de recevoir la réponse de Carlos à mon himmel ci-dessus. Je trouve qu'il a toute sa place ici (moins les paragraphes plus personnels) ; le voici donc :

Cher maître,

[… ] Mais revenons à ton sujet : Alvaro Mutis. Je partage totalement ton enthousiasme, je le relis toujours avec passion, c'est l'un des rares écrivains dont la lecture me donne immédiatement envie d'écrire; je ne sais pas exactement pourquoi, peut-être parce que tout paraît juste, élégant et simple, sa langue est magnifique. De plus j'admire sa façon de construire, récit après récit, une sorte de monde dans lequel une parole ou un objet d'un récit ne révèlent leur sens que dans un autre récit. Je suis impressionné par cette maîtrise et par le fait qu'il avait ce monde en tête, du moins sous forme embryonnaire, dès le début. Le personnage de Maqroll apparaît dès ses premiers poèmes en 1948. Tout le cycle romanesque est déjà suggéré, en esquisse, en germe dans ses poèmes. Je n'ai pas vérifié si c'est traduit, mais ce doit l'être, en espagnol le titre de l'œuvre poétique est : Summa de Maqroll el Gaviero, poesia, 1948-1997. 
L'homme Mutis était aussi  intéressant, je l'ai entendu parler de son œuvre et de l'écriture à la maison de l'Amérique latine à Paris, il y a plus de vingt ans. Il était élégant, intelligent, brillant; revendiquant son amitié avec Garcia Marquez et sa pensée réactionnaire; il se disait "d'ancien régime", opposé à notre époque gouvernée par la bureaucratie d'État, la technique, la science, le rationalisme, une époque qui conspire contre la personne, l'individu. Il ne croyait pas au progrès et craignait que la création finisse par disparaître. Les lectures de Maqroll me semblent représentatives de la pensée de l'auteur : Mémoires du Cardinal de Retz; Mémoires d'Outre-Tombe; Lettres et mémoires du Prince de Ligne; les oeuvres d'Emile Gabory sur les guerres de Vendée; Georges Simenon, Balzac et Céline. Il a répondu à beaucoup d'interviews dans la presse espagnole et latino-américaine dans lesquels il exposait sa pensée réactionnaire et commentait son œuvre, ils sont tous d'une merveilleuse intelligence. […]

Amitiés

Carlos


Mardi 5 septembre

Sept heures vingt. – Curieux comme on change, en à peine 20 ans. Je gardais un excellent souvenir de Réjean Ducharme, ce romancier québécois qui est mort il y a quelques semaines ; au moins de deux de ses livres : L'Hiver de force et Va savoir. Évidemment, plus aucune de ses œuvres ne se trouvait dans la bibliothèque, et tout aussi évidemment je ne me souvenais absolument pas de ce qu'il avait pu advenir d'elles. J'ai donc racheté les deux titres que je viens de citer, avec le ferme projet de les relire,  dans la mesure où je ne connais pas d'autre manière de rendre hommage à un écrivain mort. Les deux volumes sont arrivés hier et j'ai assez logiquement commencé par le plus ancien des deux, L'Hiver de force (1973). Quelle déception ! Quel ennui que celui dégagé par cette non histoire tournant mollement sur elle-même et ces personnages dont le créateur se donne un mal de chien pour nous les faire trouver originaux, décalés ! Et je ne dis rien de cette irritante propension de l'auteur à placer tous les jeux de mots qui lui viennent à l'esprit : rien de tel pour “tuer” une page. J'ai fini le roman bride abattue, en sautant bien des obstacles. Je vais tout de même, d'ici quelques jours, lui accorder une dernière chance avec Va savoir, avant de refermer définitivement le tombeau de Réjean Ducharme. Pour me remettre, je me suis invité au sein de La Famille de Pascal Duarte, roman de l'Espagnol nobélisé et mort Camilo José Cela, qui en plus d'être un véritable écrivain a l'élégance de posséder un nom dont l'unique accent est disponible sur un clavier français. Je viens de commander deux autres romans du même : La Ruche et San Camilo, 1936.

– La géante biélorusse nous ayant lâchement abandonnés, sous le fallacieux prétexte qu'elle a trouvé un travail en CDI, nous allons, demain, en début d'après-midi, voir débarquer une femme de ménage inconnue. Avec la lâcheté qui me caractérise, il va de soi que je vais me réfugier ici, dans la Case, et laisser Catherine affronter ce nouveau Moloch.


Vendredi 8 septembre

Sept heures dix. – Bien que le fâcheux mois d'août soit déjà loin derrière nous, et que, donc, tous les joyeux plaisanciers soient censés être rentrés au port, FD continue de m'envoyer en rafale des articles à écrire – ce dont je ne me plains nullement, d'ailleurs, mais qui m'étonne un peu.

– Ce matin, nous avons remis la chaudière en “mode hiver”, nous lassant un peu de devoir, au réveil, enfiler pull sur pull. Aujourd'hui, la température extérieure n'a pas excédé quinze degrés rigoureusement celsius, et il a plu presque sans discontinuer. Les poules semblent se ficher totalement de cette eau qui leur tombe dessus, au grand abattement de Catherine, qui aimerait bien les voir, dès la première goutte, se réfugier sous l'un des deux abris qu'elle a gentiment confectionnés pour elles. Mais la poule est têtue par nature, et continue de picorer sous les bourrasques.

– Depuis deux jours, ayant renoncé au deuxième roman (Va savoir) de Ducharme après quelques pages, je ne sais plus quoi lire (« J'ai pus rien à m'mettre ! », pleurniche la blonde devant son armoire dégorgeant les vêtements à peine portés). Il y aurait bien la seconde partie du Quichotte, mais quelque chose me retient d'y plonger, probablement de l'ordre du surnaturel. Si le symptôme persiste demain, je vais sans doute relire quelques dizaines (ou centaines, je me connais…) de pages des Mémoires d'Outre-Tombe (je ne saurai jamais où placer des majuscules dans ce titre-là ; dans le doute, comme on voit, j'en fous partout). À moins que, demain, n'arrivent les deux romans de Cela commandé il y a une couple de jours.


Samedi 9 septembre

Sept heures dix. – Repris effectivement les Mémoires d'outre-tombe (dont j'ai vérifié l'orthographe depuis hier…). Comme d'habitude, je suppose que je vais “caler” dans le premier tiers de la troisième partie, c'est-à-dire au début du second volume de La Pléiade.

– J'ai également écrit près de cinq mille signes sur deux présentateurs de la météo, mais comme même moi je m'en fous, je me demande si c'est vraiment la peine de développer.


Dimanche 10 septembre

Sept heures vingt. – On ne peut décidément plus se fier à rien ni à personne. Je triomphais, hier, parce que j'avais finalement trouvé où placer les majuscules des Mémoires d'outre-tombe. J'étais sûr de mon fait puisque m'étant abreuvé à la meilleure source : la page de garde du premier tome de l'édition de La Pléiade. Jusqu'à ce que je m'avise, ce matin, que, sur la couverture de ce même volume, s'étalait le titre suivant : Mémoires d'Outre-Tombe. Refusant de demeurer dans une aussi pénible incertitude, je viens d'aller tirer le tome 2 de sa léthargie, comptant sur lui pour lever tous les doutes. Peine perdue : la même discordance s'y trouve fidèlement reproduite. Cela dit, il me semble plus logique d'écrire outre-tombe sans majuscules.

– Pendant ce temps, à Saint-Martin, on endure un autre cyclone, purement humain celui-ci. Les rats n'ont pas tardé à sortir des tanières pour voler, saccager, détruire ce qui ne l'était pas encore tout à fait ; et probablement tuer, mais ça, je suppose qu'on ne l'apprendra que plus tard et comme par inadvertance, tant nos journalistes ont sans doute à cœur, en ce moment, de ne rien écrire ou dire qui pourrait venir lézarder le vivre-ensemble. On repense fatalement à la dignité simple et sans phrase des habitants de Fukushima après leur catastrophe. Et l'on se dit que, toutes les races étant bien entendu égales (la preuve c'est qu'elles n'existent même pas), si jamais on devait revenir vivre une seconde existence humaine sur cette planète – étrange punition –, on préférerait faire partie d'une quelconque communauté extrême-orientale, plutôt que de renaître au sein d'une tribu caribéenne, même avec l'assurance alléchante de devenir, une fois adulte, fonctionnaire à la Poste ou travailleur associatif.


Vendredi 15 septembre

Trois heures. – Catherine est partie hier midi, en compagnie d'Adeline et Maléna, pour Saint-Malo où les attendait Élodie. Auparavant, nous étions allés chercher les deux premières citées à l'aéroport de Roissy, puisque je m'étais héroïquement proposé comme chauffeur, de façon à épargner deux cents kilomètres de conduite à Catherine. Ensuite, tout traditionnellement, j'ai commencé à m'ennuyer, ne trouvant aucun goût à ma lecture en cours. Il est vrai que les dernières pages du journal de Matthieu Galey ne sont pas, en elles-mêmes, des plus réjouissantes, puisque, pour l'essentiel, il se borne à noter les progrès de son inexorable maladie de Charcot. En dehors de ça, les mille pages de ce journal furent une très agréable redécouverte, car je ne me souvenais pas de l'avoir autant aimé à ma première lecture, laquelle remonte à Dieu sait quand. J'aimerais d'ailleurs bien en tirer un billet pour le blog, de cette lecture ; mais, pour l'instant, je n'ai pas encore trouvé le courage de m'y mettre, faute d'en avoir aperçu le fil. Et ce n'est certainement pas l'absence de Catherine qui va me pousser au travail. Cela dit, poussé ou non, il va bien falloir, dès demain, m'atteler au premier des cinq articles que Philippe B. m'a demandés, en vue du premier numéro d'un nouveau hors-série, consacré aux coups de foudre des gens célèbres (et aussi, forcément, à l'histoire qui s'en est suivie). Comme c'est un coup à 2500 €, j'ai bien sûr sauté sur la proposition, mais enfin j'aurais bien aimé des délais un peu moins drastiques : le premier papier (Céline Dion et son vieux maquereau mort) doit être rendu dès lundi.

Côté jardin (celui des lectures), j'ai commencé ce matin La Ruche, roman de l'Espagnol Camilo José Cela, mais j'ai très vite senti que ce n'était pas là une lecture adaptée à ma solitude forcée. Je l'ai donc remisée, cette ruche, pour reprendre le journal de Philippe Jullian (1940 – 1950), en attendant le premier volume de celui de Jacques Brenner, dont j'aimerais bien qu'il arrive ici rapidement. Bref, me voilà très journaleux, ces temps-ci.

Je profite des six jours d'absence de Catherine pour arrêter de nouveau la cigarette et reprendre la pipe, elle-même ayant décidé d'un nouveau sevrage tabagique dès qu'elle rentrera de Saint-Malo, ville où elle n'aura peut-être plus l'occasion d'aller, Élodie semblant avoir décidé de partir se réinstaller à Québec. Mais enfin, les décisions d'Élodie…


Samedi 16 septembre

Onze heures du matin. – Il est vrai que j'ai tendance à m'ennuyer dès que Catherine quitte la maison pour plusieurs jours (alors même que je continue à faire strictement les deux ou trois mêmes choses que quand elle est là), mais ce n'est pas pour autant que j'ai envie que l'on vienne me visiter, c'est même tout le contraire : je ne tiens pas à être distrait de mon ennui.

– Je comptais occuper une partie de mon après-midi en racontant sur huit mille signes le meeerveilleux coup de foudre dionesque (je n'ose pas écrire dionisiaque…). Mais ce pensum va finalement me distraire nettement moins que prévu dans la mesure où, dans mes petites archives personnelles, je viens de retrouver un article de Didier Balbec, écrit en janvier 2016, et qui relate… le coup de foudre en question. Comme il m'a semblé que ce Balbec écrivait bien et savait construire un article pour FD, je ne vois pas l'intérêt d'essayer de faire différemment de lui, ce qui serait prendre le risque de faire moins bien.

Midi et demie. – Quand on sort tout juste de celui de Matthieu Galey, le journal de Philippe Jullian est un peu décevant, en tout cas pour moi ; sans doute parce qu'il est nettement plus “mondain” et qu'il fréquente nettement moins d'écrivains. Mais enfin, il est tout de même fort agréable. Ce qui l'est aussi, agréable, c'est que l'édition en a été faite par Ghislain de Diesbach, dont les notes sont concises, toujours strictement informatives mais également souvent pimentée d'humour et de petites “piques” envers tel ou tel dont il est question dans le journal que l'on est en train de lire. L'une d'elle, ce matin, alors que le jour apparaissait tout juste, m'a tout de même fait sursauter, avant de me plonger dans une sorte de tristesse découragée. À la date du 26 février 1942, Jullian vient de dire ceci : « Mon héros favori reste Anthony Adverse. » Appel de note ; Diesbach écrit : « Héros du fameux roman éponyme de Hervey Allen dont la traduction avait paru chez Gallimard en 1937. » Si même Diesbach, ce précieux précipité de culture et d'élégance, si même lui en est à utiliser ce malheureux “éponyme” à tort et à travers, alors c'est que, vraiment, tout est foutu.

Pour ne pas rester sur cette sombre impression, une petite anecdote relatée par Jullian, le 5 juin 1943 : « À un mariage, […] le duc de Lorge, qui a une vocation de maître des cérémonies, règle le cortège dans ses moindres détails, puis se dirige à la sortie vers un groupe de mendiants sur les marches de Sainte-Clotilde, donne cent francs à chacun d'eux et leur dit : “Messieurs, je vous remercie d'être venus.” »


Lundi 18 septembre

Huit heures du matin. –  Reçu à l'instant, par porteur spécial, diligent et matinal, les trois livres que j'ai commandé hier après-midi chez Amazon : la rapidité de ces gens continue à m'épater. Il s'agit d'Au temps des équipages, mémoires d'Élisabeth de Gramont (devenue duchesse de Clermont-Tonnerre par mariage, avant de se faire la maîtresse de Natalie Clifford Barney, la plus célèbre gouine du temps), du livre de pastiches de Philippe Jullian, Les Morot-Chandonneur, et enfin d'un volume réunissant quatre romans d'André Fraigneau, Les Étonnements de Guillaume Francœur. Il est bon que tous ces livres – plus trois ou quatre autres encore en souffrance – se mettent à arriver en rafale, car j'ai décidé que, le mois prochain (il s'agit du “mois Carte Visa”, lequel va du 20 au 19…), aucune commande ne devrait être faite, afin d'apurer un peu les finances de la maison, plus ou moins mises à mal à la fois par mes achats compulsifs et par les petites vacances de Catherine qui ont lieu en ce moment même : elle m'a appelée vers sept heures et demie, pour me dire que les filles et elle se trouvaient à bord du bateau qui les emmène vers Jersey où elles doivent passer la journée. Pour ce qui est de moi, je me suis réveillé fort satisfait d'avoir écrit dès hier mes dix mille signes sur Johnny Hallyday et son encore jeune épouse, plutôt que de les repousser à aujourd'hui, ce que j'étais pourtant fort tenté de faire.

– Hier soir, tout avait été prévu et organisé par moi pour regarder sur Arte la version longue d'Apocalypse now, laquelle commençait quelques minutes avant neuf heures. De six à sept, j'ai regardé un épisode de la série que j'ai en cours, The Strain (de moins en moins convaincante, du reste) ; de sept heures à huit heures moins le quart, apéritif léger (léger au regard de mes critères personnels…) ; puis dîner sur le pouce et dans la cuisine ; de nouveau un épisode de The Strain, et enfin le film de Coppola. Seulement, j'étais éveillé depuis sept heures du matin et, malgré un dosage pour enfant de chœur, le Ricard a commencé à produire ses effet somnifères aux alentours de dix heures. Je ne m'endormais d'ailleurs pas vraiment, mais sentais tout de même mes paupières s'alourdir quelque peu. J'aurais tenu sans problème s'il était, à ce moment-là, resté une demi-heure ou trois quarts d'heures de film. Mais constater que c'était encore deux heures de projection qui m'attendaient a suffi pour me décourager : j'ai éteint la télé et suis allé me coucher. Et je n'ai même pas vu Marlon Brando.


Mardi 19 septembre

Dix heures du matin. – C'est assez curieux, tout de même, cette différence qu'il y a entre les apéritifs pris avec Catherine et ceux que je m'accorde seul, quand elle n'est pas là. À deux, nous parlons de choses et d'autres, de livres et d'écrivains, des petits projets qui surgissent entre nous Dieu sait pourquoi et comment, des menues tâches à accomplir dans les jours qui viennent, des corvées auxquelles on ne pourra échapper, etc. En somme, le réel gagne à tous coups, et je suis comme maintenu au sol par l'existence même de notre duo. Quand je suis seul, bien sûr que la première différence est le silence qui s'installe, uniquement troublé par la musique que j'ai choisie ce soir-là. Mais, très vite, parfois avant même que l'alcool ne produise un commencement d'effet, le salon se peuple de nombreux fantômes, ceux que d'ordinaire je tiens en lisière. Dès le premier verre, ils resurgissent, fidèles, attentifs, parfois avec une nuance de reproche mais sans acrimonie. Ils viennent rarement tous ensemble, c'est plutôt une sorte de procession : l'un se présente, puis, avant de se fondre à nouveau, il en appelle un autre, qui à son tour, etc. C'est une expérience d'une agréable mélancolie.

– Dans ses mémoires (Au temps des équipages), Élisabeth de Gramont évoque les “races dorées de l'Asie”.

Quatre heures. – Je viens de terminer un “six mille” pour un nouveau hors-série de FD : on ne brise plus les destins, on magnifie les coups de foudre ! C'est le troisième article (après deux “dix mille”) que j'écris depuis que Catherine est partie en goguette, jeudi dernier. Ce qui m'amuse, c'est de penser qu'elle et les trois filles sont probablement en train de dépenser l'argent à Saint-Malo à peu près à la vitesse où je le gagne ici. C'est ce qu'on appelle, je suppose, la circulation de la monnaie.


Mercredi 20 septembre

Midi et demie. – Nana a pondu son premier œuf ce matin. Et Catherine, sauf anicroches, sera ici dans environ cinq heures. Journée fertile en événements heureux, donc.


Jeudi 21 septembre

Sept heures vingt. – Repris des habitudes et des horaires conformes à la normale. Aujourd'hui, pas hier : Catherine est arrivée peu après cinq heures, fourbue par les près de cinq cents kilomètres qu'elle venait d'avaler, depuis la Vendée, avec arrêt à Nantes pour y déposer, au train, sa fille et sa petite-fille. Bien évidemment, j'ai, sur les coups de six heures, débouché une Montée de Tonnerre, puis une autre, que nous avons à peine entamée : à sept heures (avant les poules !), Catherine a déclaré forfait et est allée se coucher. J'ai quant à moi repris un verre en écoutant Le Condamné à mort chanté par Marc Ogeret, puis rapide sandwich, et à huit heures j'étais également couché.

– Aujourd'hui, en dehors de quelques courses de premières urgences, ma journée a été entièrement occupée par le cahier de L'Herne consacré à Joseph Roth, puis par un recueil de chroniques d'André Fraigneau, C'était hier, tous deux arrivés ce matin au courrier.


Vendredi 22 septembre

Quatre heures. – Depuis deux heures, je sens gonfler en moi la colère, heureusement tempérée, freinée, jugulée par un accablement tout aussi exponentiel. Je tente de lire le Cahier de L'Herne consacré à Joseph Roth, reçu hier. C'est consternant : en dehors de quelques textes et lettres de l'écrivain lui-même, le reste, l'immense reste de 400 pages, n'est qu'un grouillement de professeurs d'université, qui alignent avec un sérieux imperturbable leurs pauvres lieux communs, pensant sans doute que personne ne détectera leurs misérables supercheries, et que les tarabiscots de leur verbiage abscons suffiront à dissimuler le vide de leurs textes filandreux et vides. On en arrive, au détour d'une d'une page, à ressentir un véritable soulagement coloré de gratitude, parce qu'on vient de laisser un moment derrière soi l'armée des cuistres et des pédants au profit d'un texte de… Pierre Assouline. Ce qui est un comble. Plutôt que de commander cette grosse et pâteuse merde, j'eusse mieux fait de laisser tomber mes 39 euros dans la sébile d'un mendiant quelconque, si j'en avait trouvé un entre la rue Isambard et le Super U.

Pour tenter de me remettre d'aplomb, j'ai refermé le Cahier trois fois maudit et saisit en son rayon le Job de Roth ; roman qui, Dieu sait pourquoi, dans l'ancienne traduction que j'ai, se nomme Le Poids de la grâce.


Samedi 23 septembre

Sept heures vingt. – Je me suis plus ou moins réconcilié, en fin de journée, avec ce maudit Cahier de L'Herne consacré à Roth : dans le troisième tiers, les pompeux cuistres que je stigmatisais hier cèdent la place aux articles d'écrivains, témoignages de proches et d'amis (Zweig, Morgenstern…), aux extraits de correspondances, etc. De toute façon, j'étais redevenu d'une humeur d'ange, ayant passé la fin de l'après-midi d'hier et l'essentiel d'aujourd'hui à relire L'État de grâce (autre titre pour Job, roman d'un homme simple), qui est certainement le meilleur des romans du Joseph Roth juif. Demain (et les jours suivants), je m'intéresserai au Roth austro-hongrois, en relisant La Marche de Radetzky (une Marche qu'il serait dommage de manquer…) puis, sans doute, La Crypte des capucins, qui en est la suite logique. Ensuite, si mon appétit rothien n'est pas comblé, on verra : j'ai encore de la réserve, sur le rayonnage germanique.

– Il ne se passera pas beaucoup de jours avant que je sois de nouveau contraint d'allumer la lumière dans cette pièce, à l'heure où j'y reviens pour le journal.


Lundi 25 septembre

Sept heures. – Terminé le Cahier de L'Herne consacré à Maurice Sachs, et enchaîné aussitôt avec le premier des cinq tomes du journal de Jacques Brenner, arrivé justement ce matin ; tout en poursuivant la lecture de La Marche de Radetzky. On comprend que je n'ai guère bougé de mon fauteuil ! Et comme je n'ai strictement rien à dire sur les élections d'hier, qu'elles soient allemandes ou sénatoriales, on ne m'en voudra pas trop d'en rester là pour ce soir.

– Demain, il va falloir que je m'extirpe une dizaine de milliers de signes à propos de Jean-Pierre Pernaut, présentateur de journal télévisé que je crois bien n'avoir jamais vu, mais que la détestation dont le poursuivent les progressistes de toutes obédiences me fait a priori trouver sympathique.


Mardi 26 septembre

Onze heures et demie du matin. – Dans son journal – c'est-à-dire dans le premier tome, celui de son extrême jeunesse –, Jacques Brenner emploie régulièrement la locution (?) à cause que, laquelle, chaque fois que je la rencontre, me provoque un léger sursaut, comme si, dans une bibliothèque silencieuse, quelqu'un venait de péter juste à côté de moi.

– Si je suis “au” journal à cette heure inhabituelle, c'est que notre nouvelle femme de ménage règne sur la maison depuis neuf heures. Or, si elle est efficace dans son travail, elle est aussi à fuir absolument, étant incapable de ne pas parler et le faisant d'une voix désagréablement criarde, rendue encore plus pénible peut-être par l'enjouement exagéré qu'elle donne au plus anodin de ses propos. Mais enfin, encore un quart d'heure et ce sera la délivrance…


Jeudi 28 septembre

Sept heures dix. – Terminé tout à l'heure le Chateaubriand de Ghislain de Diesbach : excellent livre, comme tous ceux de cet auteur (tous ceux que j'ai lus…), très bonne biographie, dans laquelle le biographe trouve la juste distance vis-à-vis de son modèle (c'est le plus difficile), celle d'une admiration lucide qui, souvent, n'exclut pas la discrète ironie lorsque, vraiment, François-René exagère dans le moi-je-isme, ce qui lui arrive plus souvent qu'à son tour. J'ai tout de même trouvé que Diesbach plaçait vraiment trop bas le dernier livre de Chateaubriand, sa Vie de Rancé, que je tiens, moi, pour son livre restant le plus lisible (hors Mémoires d'outre-tombe bien entendu). Le plus lisible et même, il faut bien le dire, quasiment le seul, avec l'Itinéraire de Paris à Jérusalem. Mais je défie quiconque, s'il n'est pas un tâcheron universitaire (ou s'il n'a pas été payé par un éditeur pour écrire cinq cents pages sur Chateaubriand…) de lire de bout en bout Les Martyrs, l'Essai sur les révolutions, Le Génie du christianisme, pour ne rien dire des impayables Natchez. Même René et Atala n'ont guère pour eux que d'être fort brefs. En revanche, la Vie de Rancé reste un livre étonnant, et c'est précisément son côté “bric-à-brac” que stigmatisait Sainte-Beuve qui en fait le prix – disons : une partie du prix.


Vendredi 29 septembre

Sept heures. – J'ai repris avec un certain plaisir Une histoire de la littérature française de Kléber Haedens. Si je ne craignais pas les lieux communs journalistiques, je dirais qu'elle se lit comme un roman. Bien sûr, on sursaute souvent : à chaque fois que l'auteur ne place pas un écrivain à l'exacte hauteur où le lecteur souhaiterait qu'il fût. Mais c'est aussi, cette partialité, une grande partie de ce qui fait le charme de cet épais volume. Du reste, la couleur est annoncée honnêtement dès le titre ; qui n'est pas : Histoire de la littérature française, mais bien : UNE histoire de la littérature française ; procédé que, de son propre aveu, Lucien Rebatet a repris à Haedens pour son propre livre, Une histoire de la musique (ces vieux collabos, c'est rien que des voleurs sans vergogne…).

– Catherine me racontait tout à l'heure que, lorsque ses filles et elle étaient à Jersey, elles s'étaient, pour leur goûter, acheté un assortiment de muffins dans un genre (j'imagine) de salon de thé. À peine avaient-elles déposé leur chargement sur leur petite table de terrasse que, tel un Stuka en piqué, un pigeon est venu leur rafler un gâteau sous le nez, sans qu'aucune ait le temps de la moindre réaction. Et j'imaginais une horde de pigeons cernant le moindre bistrot de l'île, immobiles au sommet de chaque poteau disponible, attendant la moindre occasion de razzia, tels des vautours du désert arizonien dans un album de Lucky Luke.

– J'ai eu, cet après-midi, la curiosité de faire l'addition des sommes gagnées grâce à FD depuis que je suis en retraite ; sommes déjà encaissées ou “à venir”. Pour onze mois de travail, j'arrive à un total de 27 750 €, soit un peu plus de 2500 par mois ; argent qui a bien entendu disparu tout aussi vite qu'entré, en travaux divers dans la maison, en achat de meubles, ainsi que dans deux ou trois Relais et Châteaux (et je ne compte pas les livres et les nombreuses séries télévisées en DVD ou Blu-ray). Si, demain, la pompe à phynance se fermait brusquement, il y aurait un sérieux travail d'adaptation à faire pour arriver à vivre uniquement de nos retraites. En attendant, puisque la pompe reste ouverte…


Samedi 30 septembre

Sept heures dix. – Catherine traîne toujours cette sale petite fièvre qui ne la lâche pas depuis une semaine. L'ennui est que son médecin, consulté il y a deux ou trois jours, ne lui a rien trouvé d'anormal ; ce serait donc, sans doute, sa thyroïde qui fait des siennes, ce qui arrive paraît-il fréquemment en début de traitement. La parade, en général consiste à arrêter le médicament responsable, avant d'établir un nouveau diagnostic (enfin, quelque chose comme ça). Mais, comme les analyses ont révélé que le taux de……… le diariste avoue ici à la fois son ignorance et son manque de mémoire……… était satisfaisant, l'endocrinologue, consulté par téléphone, a préconisé de ne pas arrêter le dit médicament. Sauf que, aujourd'hui, Catherine s'est mise à tousser sans discontinuer. Donc, je pense qu'octobre va être inauguré par une nouvelle visite chez le médecin, lundi, voire aux urgences demain si le phénomène s'aggrave cette nuit.

Pour le moment, le chat, les poules et moi nous portons à peu près bien.

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