CHAMPS DU DÉPART
Vendredi 1er avril
Sept heures dix. – J'apprends à l'instant, par un mail d'Axelle Theillier, la mort de Michel Leter, dont j'avais rendu compte de deux livres ; d'abord le premier des quatre tomes de sa monumentale étude sur Le Capital, travail qui restera donc inachevé, puis Tout est culture, un recueil de chroniques, ces deux ouvrages étant parus aux Belles Lettres, où Leter, par ailleurs, s'était occupé des œuvres de Frédéric Bastiat. Nous avions, à cette occasion – mes recensions –, échangé quelques mails tout à fait cordiaux.
– Ce matin, Catherine avait rendez-vous à dix heures et demie avec le Dr D., son épaulologue
de Rouen. Nouveau rendez-vous a été pris pour le 3 du mois prochain,
afin de faire subir à son épaule droite ce qu'elle a déjà enduré pour la
gauche il y a deux ans environ (phrase tout à fait bancale). Ce qui
veut dire que, durant un mois, voire deux, je vais derechef me
transformer en aide ménagère bénévole. Le Dr D. était presque à l'heure,
ce qui a constitué l'excellente surprise du jour, tant ce n'est point
dans les habitudes de ce digne praticien.
– J'ai
abandonné Tourguéniev et ne sais pas trop par qui le remplacer. Je
meuble cette espèce de temps mort avec La Bruyère, ce qui n'est pas la
plus sotte manière de le faire.
– Demain, nous aurons
Matthieu et Marie-Adeline à déjeuner (je veux dire qu'ils déjeunerons
avec nous et non qu'ils nous serviront de nourriture).
Samedi 2 avril
Dix heures (du matin).
– Je profite agréablement des trois seules heures de silence dont je
vais disposer aujourd'hui, entre le départ de Catherine pour le
presbytère et son retour, puis l'arrivée de Matthieu et Marie-Adeline.
C'est lorsque nous recevons que je me rends compte à quel point nos
journées ordinaires sont essentiellement faites de silence ; mais un
silence qui n'est nullement un défaut de choses à se dire, encore
moins un énorme “non dit” : simplement une très agréable absence de
bruit et de paroles inutiles. Lorsque de la visite survient, j'en suis
fort content tout le temps qu'elle reste là, mais dès que nous nous
retrouvons seuls, une intense fatigue me tombe généralement sur les
épaules, qui ne peut pas être imputée seulement au vin bu ; la preuve,
c'est qu'il se produit le même phénomène lorsque je reviens de chez les
Desgranges, où je ne bois strictement que de l'eau (hormis un verre de
jus d'orange en “apéritif”…).
Dimanche 3 avril
Sept heures dix.
– La journée d'hier fut fort agréable, comme chaque fois que Matthieu
débarque ici ; comme, en outre, Marie-Adeline est une jeune femme vive,
rieuse, charmante et point sotte, cela ne fait qu'accroître le plaisir
que nous avons à les recevoir. Évidemment, dans mon cas, le boomerang
est revenu dès ce matin, sous forme d'une aimable mais solide gueule de
bois, vu que j'ai tout de même bu (que du vin heureusement) de midi à
neuf heures du soir, avec néanmoins une petite sieste plus ou moins
réparatrice entre cinq heures et demie et sept heures. Il faut regarder
la réalité en face : ces excès sont de moins en moins “de mon âge”. Ce
n'était d'ailleurs guère gênant dans la mesure où je n'avais rien
d'obligé aujourd'hui ; la journée s'est passée à lire un peu de La
Bruyère ce matin, et à écouter de la musique cet après-midi, cependant
que Catherine exerçait ses talents tout neufs à la broderie : le premier
mouvement de la deuxième symphonie de Mahler (et on en est resté là car
Catherine n'appréciait que peu), puis le dernier acte du Crépuscule des dieux
et enfin une trentaine de lieder de Schubert, chantés par la
merveilleuse Gundula Janowitz. À la suite de quoi nous avons terminé la
“tourtière du lac Saint-Jean” que Catherine avait mitonnée pour hier ;
elle avait été suivie par un “pudding chômeur”, dessert québécois à base
de myrtilles (pardon : de bleuets), lesquelles furent nettement
corréziennes, contrairement à la façon de les accommoder. Et, pour la
première fois de l'année, nous avons passé l'après-midi avec la porte
grand ouverte, à la complète satisfaction des bestioles, qui pouvaient
enfin sortir et rentrer selon leur fantaisie.
– Petit
mail reçu de Michel Desgranges, pour me dire sa tristesse de la mort de
Michel Leter… et se plaindre de mon silence. Je lui ai proposé ma visite
d'ici au 2 mai, c'est-à-dire avant que Catherine n'entre à la clinique
pour se faire raccommoder les tendons.
Lundi 4 avril
Sept heures dix. –
Je suis venu à bout ce matin de la harengère de Monaco : onze mille
signes, assez pénibles à écrire (heureusement, quatre mille étaient déjà
faits de jeudi dernier). Ensuite, je me suis laissé vivre assez
mollement, lisant quelques pages d'Obermann et remplissant vaille que vaille une ou deux grilles de mots croisés. Et la journée a filé sans m'en apercevoir ou presque.
Mardi 5 avril
Sept heures vingt. – M. Pivert de Senancour et moi-même n'aurons donc eu que de fort courtes relations : c'est vers la page 120 (sur plus de 400) que j'ai abandonné son Obermann, sentant monter en moi l'indigestion de paysages suisses et de pleurnicheries existentielles.
– Tonte.
Mercredi 6 avril
Sept heures et quart. –
À part écrire onze mille signes à propos de Belmondo Jean-Paul, ce qui
m'a tout de même pris environ trois heures, je n'ai fait que lire l'Avril enchanté
d'Élisabeth von Arnim, roman qui attendait mon bon plaisir depuis déjà
plusieurs mois ; ce “retard à l'allumage” était probablement dû au fait
que, le découvrant avant moi, Catherine avait abandonné le roman à peu
près à sa moitié, le décrétant ennuyeux. Je ne suis pas d'accord avec
elle : je le trouve, moi, plutôt primesautier, piqueté d'humour assez
“anglais” (les guillemets sont là pour m'éviter de devoir préciser ce
que j'entends par là : très commode…), qui fait que, par moment, on a
l'impression de se trouver dans le livre d'une Gyp qui serait née dans
le Kent. J'ai, du reste, lu d'une traite l'essentiel de ses 350 pages.
–
Pour ce qui est de FD, en ayant terminé aujourd'hui avec les articles
que je devais écrire pour le hors-série “Destins brisés” n°6, je vais de
nouveau travailler pour l'hebdomadaire à compter de demain,
c'est-à-dire revenir à des papiers de cinq mille signes plutôt que de
dix ou douze mille ; et, bien souvent, beaucoup plus simples à écrire.
Jeudi 7 avril
Sept heures et quart. –
Petit bras de fer, cet après-midi, avec mes Puissances tutélaires.
Pomme de discorde : l'article qui venait de m'être demandé à propos de
Coffe, basé sur l'interview que son pacsé a donnée à Paris-Match,
dans laquelle il raconte ses derniers instants. C'est une chose qui se
suffisait à elle-même, bien dans l'esprit “nécro”. Seulement, voilà que
l'aréopage s'est mis en tête de “chapeauter” cette histoire par une
autre, née d'une brève pantalonnade qui s'est produite aux Grosses Têtes
il y a trois jours. La zozoteuse pénible Isabelle M. se met à raconter
que, une dizaine de jours plus tôt, parce qu'il se montrait intéressé,
elle avait refilé à Coffe son tube de vitamine C en comprimés en lui
conseillant, s'il se sentait un peu fatigué, d'en prendre un chaque
matin. Toujours selon elle, Coffe lui aurait téléphoné deux jours avant
sa mort, pour lui dire qu'il avait suivi son conseil et que, depuis, il
avait “la patate”. À ce moment, la pocharde Christine B. intervient : «
Mais alors, tu l'as tué ! Il a peut-être fait une overdose ! » Rires
dans le studio, puis on passe au sujet suivant. On aurait coiffé tout
cela d'un titre bien dramatique, du genre : « J.P. C. : le terrible
scénario de sa mort ». J'ai tenté d'abord de leur dire que ça me
semblait vraiment limite, voire contre-productif aux yeux de nos
lectrices qui, majoritairement, devaient bien aimer le Coffe en
question. Mais comme la plupart des chefs le font, ils tenaient trop à
leur idée pour y renoncer aussi facilement et “on” a tenté de m'affirmer
que si, si, je t'assure, tout cela se tient très bien ; j'ai donc un
peu haussé le ton dans un second temps. Et je viens évidemment d'avoir
gain de cause : exit l'anecdote foireuse des comiques appointés.
Si
je dis “évidemment”, ce n'est point forfanterie de ma part. C'est que
je suis capable de sauver des papiers tellement acrobatiques que
n'importe quel autre membre de la rédaction s'y prendrait les pieds pour
se vautrer lamentablement. Par conséquent, lorsque par hasard (cela
arrive très rarement), j'affirme que tel article n'est pas viable en
l'état où il m'est demandé, et en argumentant un minimum, j'obtiens
toujours gain de cause. Simplement parce que, en attirant leur attention
sur une chose que je trouve aberrante, je les contrains à l'examiner
vraiment. C'est que, moi aussi, je puis être un fameux “lanceur
d'alertes”…
– Terminé le roman de Mme von Arnim et commencé aussitôt Ainsi va toute chair,
de Samuel Butler : c'est nettement moins léger, si j'en juge d'après
les cent premières pages. On regarderait plutôt du côté de Thomas Hardy.
Du coup, je me demande si je ne vais pas me refaire un petit cycle de
romanciers anglais (Sterne, Thackeray, Dickens, Hardy, etc.), sans
toutefois aller jusqu'à Virginia Woolfe, que je n'ai guère envie de
relire.
Samedi 9 avril
Cinq heures et demie. – Passé la journée avec Samuel Butler : Ainsi va toute chair
(presque terminé) est un excellent roman, ironique, parfois cruel, sans
doute assez fortement autobiographique, notamment pour ce qui est du
terrible couple formé par les parents du héros : père pasteur et
tyrannique, mère bigote et mielleuse. Comme si nous avions décidé de
rester dans cette ambiance fils-de-pasteur, nous allons ce soir regarder
les Scènes de la vie conjugale de Bergman ; “nous” étant composé
de Catherine et moi plus Élodie, qui est ici depuis hier soir et
jusqu'à demain. Elle est toute heureuse de s'être trouvé un appartement à
sa convenance, à Saint-Malo où elle avait déjà déniché un travail en
CDI il y a deux ou trois mois. Et nous sommes contents avec elle car,
dans quinze jours, elle viendra récupérer ses meubles et ses affaires,
nous rendant ainsi la libre jouissance du sous-sol, légèrement encombré
ces derniers temps. Hier soir, les deux femmes se sont fait un programme
télé Capra + Lubitsch, tandis que j'allais me coucher dès neuf heures,
sentant bien que l'apéritif pris allait contrarier mes velléités de
demeurer éveillé. Comme, en outre, j'avais déjà vu et revu l'un et
l'autre film…
Lundi 11 avril
Sept heures. –
La journée d'hier s'étant passée entièrement dans les livres (fin de
Samuel Butler, début de Thackeray), je n'avais aucune raison de venir
dans ce journal, n'ayant vraiment rien pu m'extirper d'intelligent à
dire à propos d'Ainsi va toute chair. Il n'est pas sûr que je serai plus inspiré à propos de La Foire aux vanités,
mais comme je n'en ai lu que trois centaines de pages sur plus de
mille, j'ai encore un peu de temps devant moi. J'ai également écrit six
mille signes pour FD, qui ne valent vraiment pas la peine d'être
évoqués. En outre, il a plu sans discontinuer depuis ce matin, ce qui
m'a dissuadé de mettre le pied dehors, envie par quoi je n'étais de
toute façon nullement taraudé. Il y a gros à parier que la journée de
demain ressemblera aux deux que je viens d'évoquer brièvement.
(Je continue, par bribes, tout au long des jours, de penser à mes malheureux Exilés
; des lambeaux d'idées surgissent, puis s'évanouissent sans que j'aie
pris la peine de les noter. Et quand par extraordinaire j'en consigne
une dans mon petit carnet, ce n'est pas ça qui me donne davantage envie
de “m'y mettre”. J'ai l'impression que la parenthèse “littéraire” de mon
existence est en train de se refermer doucement derrière moi, sans que
je m'en soucie plus que cela.)
Mercredi 13 avril
Sept heures et quart.
– Il me semble bien que ce journal d'avril va être l'un des plus
rapidement lus depuis que je tiens et publie un journal ; surtout
maintenant qu'il n'y a plus à espérer le rallonger en y incorporant les
articles ou réactions suscités par le Chef-d'œuvre. Je verrai à
la relecture, mais je me demande même si cela vaudra la peine de le
mettre en ligne, pour peu qu'il se résume à noter ce que j'ai lu dans la journée
écoulée et rien d'autre.
– Il en va de Thackeray comme
des autres romanciers anglais que je connais un peu, en tout cas ceux du
XIXe siècle : il souffre de la même faiblesse que Dickens, Austen,
Scott, Butler, Eliot, Hardy (dans une moindre mesure peut-être, ce
dernier), etc., par rapport à leurs homologues français de la même
période. Cette faiblesse est constituée par leurs personnages féminins ;
lesquels peuvent être intelligents ou stupides, retors ou naïfs,
ambitieux ou innocents, etc., mais ont tous en commun d'être en quelque
sorte dépourvus de sexe et, donc, incapables de ressentir les
bouleversements qui s'y rattachent et en proviennent. Leurs portraits de
femmes peuvent être aussi fouillés qu'ils voudront, il leur manquera
toujours une dimension, celle que l'on pourrait appeler : le pouvoir de
volupté. Il faudra relire les sœurs Brontë pour voir s'il en va de même
chez elles, au moins Charlotte et Émilie. Et il conviendrait aussi de
remonter encore d'un siècle, afin de savoir s'il en était déjà ainsi au
XVIIIe, chez Fielding, Smolett ou Sterne (pour Richardson, ça me paraît d'ores et
déjà avéré). Bref, je ne suis pas encore sorti de ma période
britannique ; d'autant que ces gens avaient presque tous la
particularité d'écrire volumineusement.
Vendredi 15 avril
Cinq heures vingt. –
Catherine avait posé les cartes sur la table dès mardi : « Vendredi
soir, vu l'après-midi de merde qu'on aura eue, je suppose qu'on prendra
l'apéritif ? » Pour commencer, et par parenthèse, on notera dans
l'expression et le choix des mots cette lâcheté mâtinée de rouerie
typiquement féminine ; elle n'a pas dit : je propose que, mais bien : je suppose
que ; ce qui semblait sous-entendre (ou, au moins, pouvait laisser
entendre) qu'elle-même aurait été plutôt pour s'en passer mais que, me
connaissant, elle trouvait inutile d'engager un combat perdu d'avance.
Bref, l'affaire était entendu, car en effet l'après-midi promettait
d'être peu enthousiasmant. Il s'agissait de parcourir le chemin séparant
notre havre de la clinique de l'Europe, sise dans l'un des quartiers
neufs les moins enthousiasmants de Rouen (une heure de trajet) et
d'arriver à la dite clinique pour quatre heures moins le quart, moment
auquel Catherine aurait été reçue par un anesthésiste qui, en vue de son
opération du 2 mai, lui aurait posé des questions tellement rituelles
qu'il n'aurait probablement pas écouté les réponses. En coloriant les
choses d'un joli rose (c'est-à-dire en imaginant un médecin ponctuel
dans ses rendez-vous), nous nous voyions quitter la clinique entre
quatre heure et demie et cinq heures, c'est-à-dire au plus propice
moment pour tomber dans une mélasse circulatoire, englués dans les
bouchons formés par tout ce qui peut rester de travailleurs dans la
capitale normande, pressés tout comme nous de rentrer chez eux pour y
faire péter la gnôle. On conviendra qu'une telle perspective méritait
bien un apéritif compensatoire.
Nous arrivâmes au petit
guichet anesthésiant avec un quart d'heure d'avance, ce qui laissa tout
le temps à la charmante dame se trouvant au-delà de lui de nous
expliquer que le rendez-vous de Catherine avait bien été pris pour 15h
45, mais le mercredi 13 et non le vendredi 15; elle ajouta d'un air
sincèrement navré que, même armée d'un chausse-pied et d'un
démonte-pneu, elle était dans l'impossibilité de caser ma distraite
épouse entre deux patients, et qu'il nous faudrait revenir mercredi
prochain. Le bon côté de la chose fut que nous récupérâmes Liselotte au
parking de la clinique sans avoir à verser un sou dans la borne (son
moteur était encore chaud, tant nous l'avions délaissée peu de temps).
Tandis que je manœuvrais pour sortir de ce piège à rats souterrain sans
érafler rien de la voiture, Catherine eut l'audace, voire
l'inconscience, de suggérer que, comme nous allions finalement rentrer
tôt, nous pourrions nous passer de l"apéritif ; je lui fis comprendre
assez nettement à quel point cette hypothèse me semblait loufoque et, à
ce titre, ne méritait pas d'être examinée une seule seconde. Toutefois,
une fois de retour, et afin de paraître mériter la libation sus-évoquée,
je me mis illico à tondre le jardin, cependant que fraîchissait le
riesling dans la porte de l'armoire à froidure.
Samedi 16 avril
Sept heures dix. –
Notre apéritif d'hier se tint dans les limites du raisonnable puisque,
après lui, je fus capable, sans m'endormir comme une outre imbibée, de
regarder deux épisodes de House of Cards (saison 1) plus un de Seinfeld (saison 5). Lorsque l'on voit la première des deux que je viens de citer plus quelques autres (Deadwood, Carnivale…),
on est bien obligé de constater que les Américains n'ont pas leur
pareil pour concevoir et réaliser des séries à la fois intelligentes et
superbes. Les Anglais réussissent assez bien dans le genre “déjanté” ;
le problème, à mes yeux, est que, passé l'étonnement incrédule suscité
par les trois ou quatre premiers épisodes, le délire et le trash
systématiques deviennent rapidement lassants – ils me lassent moi, en
tout cas. Alors que nous nous sommes avalés, par exemple, les 35
épisodes de cinquante minutes de Deadwood comme on aurait gobé un
œuf, sans jamais ressentir la moindre lassitude ; et avec le regret que
la quatrième et ultime saison n'ait jamais été tournée. Donc, je
voudrais bien savoir par quel miracle (ou malédiction, selon le point de
vue adopté) tous les acteurs des séries américaines sont excellents, y
compris dans les rôles les plus épisodiques, alors que, dans les séries
françaises, même les personnages de premier plan sont interprétés par
des nuls. Il est vrai qu'ils ne sont guère aidés par les dialoguistes
qui, eux aussi, souffrent atrocement de la comparaison avec leurs
confrères d'outre-Atlantique.
– Il me reste environ cinquante pages à lire de La Foire aux vanités, et il est temps que cela se termine : mille pages, c'est tout de même bien long… Après cela, demain, je compte relire Le Moulin sur la Floss,
roman de George Eliot que Proust prisait beaucoup ; et qui, comparé à
celui de Thackeray, va me faire l'effet d'une longue nouvelle, du haut
de ses à peine sept cents pages.
– Il faudra aussi que
je me ménage une heure pour écrire cinq mille signes à propos de Sophie
Marceau ; à qui, bien entendu, il n'arrive rien. Quand il leur arrive
réellement quelque chose, on monte tout de suite facilement à sept ou
huit mille signes… Ce qui me fait penser à cette histoire russe se
passant dans un camp de la mort communiste, sous Staline, peu après la
grande terreur de 1937. Un zek demande à un nouveau prisonnier : « Tu
en as pris pour combien ? » L'autre : « Vingt-cinq ans. » Le premier : «
T'avais fait quoi ? » Le second : « Mais rien du tout ! » Le premier,
ironique : « Arrête tes charres : quand on n'a rien fait, le tarif c'est
dix ans… » Cela dit, le zek de l'histoire péchait par optimisme :
Varlam Chalamov a passé quinze ans dans différents camps de la Kolyma
et il n'avait évidemment rien fait ; même chose et même tarif pour
Evguenia Guinzbourg et quelques millions d'autres.
(Rappelons que Chalamov fut expédié à la Kolyma pour avoir soutenu publiquement qu'Ivan Bounine – exilé volontaire dès 1918 et prix Nobel de littérature en 1933 – était un grand écrivain russe. On pourra lire de lui La Vie d'Arséniev, roman assez largement autobiographique.)
(Rappelons que Chalamov fut expédié à la Kolyma pour avoir soutenu publiquement qu'Ivan Bounine – exilé volontaire dès 1918 et prix Nobel de littérature en 1933 – était un grand écrivain russe. On pourra lire de lui La Vie d'Arséniev, roman assez largement autobiographique.)
Dimanche 17 avril
Sept heures dix. – Depuis ce matin, je m'efforce de lire Le Moulin sur la Floss
avec les yeux de Marcel Proust – toutes proportions gardées, il va de
soi. Il n'y a pas besoin d'atteindre la centième page (j'en suis là)
pour comprendre ce qui a pu, chez Eliot, séduire l'auteur de La Recherche
: notations sur l'enfance, sur la manière dont les impressions et les
souvenirs s'en inscrivent en nous, quels phénomènes de transmutation ils
subissent avec le temps, etc. Sans parler de l'humour de la romancière,
qui se rapproche beaucoup de celui de Proust. J'ai commencé à corner
quelques pages, avec l'idée d'en faire un billet d'ici quelques jours,
si je m'en sens capable ; et si l'envie subsiste. Je crois bien avoir,
en rayon, un ou deux autres romans de George Eliot : si mon admiration
ne faiblit pas, il se pourrait bien que je les tire ensuite de leur
sommeil. (Je viens d'aller vérifier : il s'agit d'Adam Bede et de Middlemarch, deux romans eux aussi très volumineux.)
– Les six mille signes de Sophie Marceau se sont écrits à peu près tout seuls.
Mercredi 20 avril
Sept heures dix. – Journée assez corvéeuse.
D'abord parce que la femme de ménage a passé trois heures dans la
maison ce matin, nous contraignant à un repli forcé dans la Case ;
ensuite parce que, suite au rendez-vous manqué de la semaine dernière
(voir plus haut), il nous fallait retourner à Rouen en début
d'après-midi, afin que Catherine puisse sacrifier au rite de la visite
pré-opératoire chez l'anesthésiste ; laquelle n'avait que fort peu de
retard sur son planning – moins d'un quart d'heure –, si bien que nous
pûmes quitter la ville avant que les travailleurs ne le fissent ; enfin,
parce que, au retour, m'attendaient cinq mille signes à écrire sur
Carla Bruni, lesquels ne pouvaient guère être remis à demain, dans la
mesure où je suis attendu pour midi chez les Desgranges. Tout cela
aurait logiquement mérité un apéritif, dont nous nous dispensâmes,
précisément parce que je sais que je vais en prendre un demain, au
retour de chez Michel. Avec tout cela, je n'ai guère sollicité Miss
Eliot : une dizaine de minutes dans la salle d'attente, pas davantage.
Heureusement, le temps travaille pour elle.
Jeudi 21 avril
Huit heures et demie.
– Je suis rentré du Perche il y a une couple d'heures. Michel
Desgranges était en belle forme. Nous avons beaucoup parlé des
États-Unis (je veux dire par là que lui a beaucoup parlé et moi beaucoup
écouté et un peu questionné). Il lit régulièrement un certain nombre de
journaux, revues, etc. américains, ce qui lui permet de dire sur ce
pays, et particulièrement sur les élections en cours, nettement moins de
sottises pitoyables que celles que l'on peut lire dans notre presse
d'État. Je lui ai demandé un certain nombre d'éclaircissements sur le
système électoral en vigueur (que j'aurais sans doute pu trouver sur
internet, mais je suis trop fainéant pour cela). Puis, Michel a dérivé
sur les ravages de ce que, faute de mieux, on continue d'appeler le
“politiquement correct” et qui ressemble de plus en plus à une dictature
de type communiste, mais ouatinée. Vraie jouissance – du genre un
peu nihiliste que l'on éprouve face à une catastrophe aussi majeure
qu'inéluctable – lorsqu'il m'a exposé les mésaventures de cette “pièce”
qui s'intitule Les Monologues du vagin – que jamais je ne lirai
ni bien entendu n'irai voir, en raison même de son titre répugnant ; de
même que je me tiendrais à l'écart, s'ils existaient, des Soliloques de la bite ou encore des Litanies du trou du cul, des Stances des coucougnettes ou des Babillages du clitoris.
Enfin, bref, il s'est trouvé que, dernièrement, me raconte Michel, de
braves étudiants plus que corrects d'une université du Texas ont eu
l'idée de monter la “pièce” de Mme Ensler, ce concentré de féminisme
progressiste et pensant mieux que bien. Aussitôt, tollé de la part
d'autres étudiants, encore plus corrects (on pourrait les appeler les
“post-corrects”) : écrits par une femme manifestement blanche, ce texte
faisait comme si le vagin noir n'existait pas et n'avait pas ses
problèmes et ses sanglots spécifiques ; le tintamarre fut si bruyant, et
surtout si menaçant, que l'œuvre ne fut jamais montée. À quelque temps
de là, dans une autre université, californienne cette fois, d'autres
petits automates estudiantins ont la même idée, celle de représenter le
chef-d'œuvre considéré. Nouveau tollé, dont l'angle d'attaque est un peu
différent, et même, reconnaissons-le, encore plus “à la pointe des
luttes” : post-post-moderne, pourrait-on dire. Cette fois, ce qui est
vertement reproché à l'auteur, c'est de ne tenir aucun compte des
personnes qui, bien que nanties d'une verge et d'une paire de
testicules, se sentent (que dis-je : se savent) femmes “dans leur tête” ; là encore, la “pièce” est abandonnée.
Michel m'a raconté d'autres anecdotes au moins aussi réjouissantes que ces deux-là. Comme celle de ce pasteur noir
de je ne sais quelle chapelle protestante, comme il en bourgeonne des
centaines aux États-Unis, et par ailleurs une grosse pointure dans son
métier (j'ai oublié lequel). Au lendemain du funeste jour où ce grand
naïf s'est avisé de dire, d'après lui-même et la Bible, ce qu'il
convenait de penser des sodomites, il s'est retrouvé proprement lourdé
par l'entreprise qui l'employait. Peut-être cet homme avait-il cru que
sa couleur de peau lui serait une sorte de cuirasse immunitaire ;
peut-être, plus simplement, n'avait-il pas envisagé que l'on pût, au pays de la liberté,
être foudroyé pour avoir exprimé une opinion non conforme à ce que
pensent Susan Sarandon ou George Clooney (et deux cents autres : en
dehors du fait qu'ils ne sont nullement fonctionnarisés, les acteurs
américains ressemblent beaucoup aux nôtres, quand il s'agit d'afficher
les bonnes pensées, celles qui permettent d'obtenir des rôles et des
contrats).
Bref, j'ai passé une excellente journée. Il y
fut aussi question de George Eliot, de Mario Vargas Llosa, de Flaubert,
de Henry James et du Chef-d'œuvre de Michel Houellebecq, mais je vais garder tout cela pour moi, au moins ce soir.
Samedi 23 avril
Sept heures.
– Élodie nous étant arrivée vendredi sur les coups de cinq heures,
apéritif il y eut ensuite, bien évidemment ; mais raisonnable puisqu'il
ne nous a pas empêchés, après le repas, de regarder Sarabande, le dernier film de Bergman, qui se présente comme une sorte de suite à ses Scènes de la vie conjugale, mais située trente ans après, avec ces deux mêmes prodigieux acteurs que sont Erland Josephson et Liv Ullmann.
–
De toute façon, il valait mieux ne point trop boire et se coucher de
bonne heure, puisque, ce matin, dès huit heures et demie, devait nous
débarquer Mohammed-Charles (qui ne s'appelle évidemment pas ainsi) au
volant de sa camionnette de déménagement, afin de charger toutes les
affaires d'Élodie qui squattaient notre sous-sol depuis quelques
semaines. Il fut presque ponctuel, ce jeune homme “divers”, et nous nous
montrâmes ensuite, tous les trois (Catherine faisait bonne du curé…),
d'une efficacité redoutable puisque, ayant empoigné les premiers cartons
à neuf heures, à dix heures dix Mohammed-Charles refermait le battant
arrière de son engin (qui doit sûrement avoir un nom particulier) et
embarquait Élodie en direction de Saint-Malo, où les attendait le
déchargement. Rude journée en somme, mais pas trop pour moi, qui en ai
passé l'essentiel à terminer Le Moulin sur la Floss, dont je
compte faire un billet demain, une fois que j'aurai propulsé Danielle
Darrieux dans sa centième année en six mille et quelques signes. Pour la
suite de mes lectures anglaises, j'ai brusquement décidé ce matin de ne
pas enchaîner tout de suite avec Middlemarch, le dernier roman de George Eliot, mais de relire avant la Mrs Dalloway de Virginia Woolf.
Dimanche 24 avril.
Sept heures dix.
– Je découvre à l'instant, dans ma boîte mail, le message d'un M.
Christophe L. (je lui confère l'anonymat, faute d'indication contraire),
à propos du Chef-d'œuvre ; le voici :
Cher Monsieur,
Lecteur,
silencieux, de votre blog, je me devais de lire Le chef d'oeuvre de
Michel Houellebecq. J'en ai achevé la lecture ce matin. Je ne vais pas
vous ennuyer avec des analyses et des commentaires qui n'auraient, au
fond, d'autre but que de faire le malin. Je voulais simplement vous dire
que votre livre m'a captivé - si cette expression est encore en usage -
au point que j'ai manqué la messe. Rassurez-vous, j'ai déjà manqué la
messe pour des tas de raisons, plus ou moins bonnes. Mais aujourd'hui je
m'étais dit que j'irais. C'était sans compter les dernière pages de
votre roman. Donc, j'ai aimé ce livre. Il me semble que dans un des
conditions atmosphériques et biologiques normales il devrait donner lieu
à une discussion véhémente au Masque et la plume. Qu'il devrait faire
l'objet de quelques articles saignants ou élogieux. Dans la masse de la
production annuelle (pour parler comme à la radio), qui n'est pas si
nulle que ça n'en déplaise aux vieux-qui-regrettent, votre roman me
parait être un sacré morceau de littérature. Un peu comme ces glaciers
qui charrient à leur surface des blocs de granit tombés d'une face
nord. Je vais arrêter là, je suis déjà en train de faire le malin avec
mes commentaires.
Bien à vous. Et au plaisir de lire Pot-Bouille.
Il
fait bien, ce lecteur que je remercie, d'évoquer des glaciers, puisque
la destinée de mon malheureux roman ressemble fort à celle du Titanic.
La grosse différence est que, pour le lancement du paquebot, il y avait
eu de nombreux échos dans la presse… Pour ce qui est de l'hypothétique
futur roman, que j'ai commencé en effet par appeler Pot-Bouille et que je désigne désormais d'un nom plus proche de son éventuel titre, Les Exilés,
Michel Desgranges m'a vivement encouragé, jeudi dernier à m'y lancer
sans trop me poser de questions, en partant des personnages, qui lui
semblent être le point faible du précédent ; ce en quoi je me trouve
d'accord avec lui. Mais c'est que, pour l'instant, au stade nébuleux
où j'en suis, je ne sais pas trop par quel bout prendre l'affaire. Une
chose, cependant, me semble à peu près certaine : je ne pourrai pas me
lancer dans l'écriture tant que je n'aurai pas au moins trois ou quatre
personnages forts, bien typés, ayant un véritable destin.
– J'ai finalement laissé de côté Mrs Dalloway pour me plonger dans les onze cents pages de Middlemarch. Lire ou relire Virginia Woolf tient toujours un peu, pour moi, de la punition, ou si l'on préfère du gage
; deux choses que je n'avais pas très envie de m'infliger aujourd'hui.
On me dira que, dans ces conditions, je pourrais tout aussi bien décider
de ne plus jamais relire les romans de cette dame. Mais c'est qu'ils ne
sont pas seulement une punition : j'y trouve aussi mon compte de
jouissance, mais qui se paie, chaque fois, d'une certaine dose d'ennui ;
un peu comme ces vieilles maîtresses que l'on n'a plus tellement envie
de recevoir dans son lit, mais qui, lorsqu'elles parviennent à s'y
glisser encore, vous conduisent tout de même, vaille que vaille, à
l'orgasme.
Lundi 25 avril
Sept heures et quart.
– FD m'ayant gentiment oublié, j'ai décidé, en milieu d'après-midi, de
tondre le jardin, en profitant de ce que Catherine devait s'absenter
durant une heure ou une et demie. Je fus bien inspiré car la pluie se
mit à tomber plutôt dru, au moment même où je me dirigeais vers l'abri
pour y remiser l'engin sectionnant. Rentrée à l'heure prévue, Catherine
ne s'aperçut absolument de rien – et pas davantage depuis –, malgré les
larges traînées d'herbe fraîchement coupée qui maculaient l'allée
conduisant du portail à la maison. Après cela, les femmes vont tout de
même continuer, lorsqu'elles sont entre elles, à se moquer, de ce petit
ton mi-attendri, mi-supérieur qui leur est propre quand elles parlent
de nous : « Ah ! les hommes, ça ne remarque jamais rien… »
– Finalement, trouvant que je n'avais rien de bien original à en dire, j'ai rangé Le Moulin sur la Floss sans en avoir fait de billet ; texte qui, de toute façon, aurait emmerdé les quatre cinquièmes des passants au moins.
–
J'ai décidé, avant-hier, de me fixer un budget “culturel” (livres + DVD
ou blu-ray) de mille euros par an, soit quatre-vingts par mois ; j'ai
même créé un petit document Word pour, dorénavant, noter ce que j'achète
et à quel prix. Cela me permettra, les mois où je dépasse la barre des
quatre-vingts, de savoir qu'il faudra me restreindre le suivant. Bref,
je deviens raisonnable (enfin, on verra…).
– J'ai reçu
ce matin un dossier émanant de la Caisse de retraite de Normandie,
comportant des questionnaires, des notices, un résumé de carrière, etc.
Naturellement, je n'y ai pas compris grand-chose. Ce n'est pas trop
préoccupant pour le moment, dans la mesure où je suis bien décidé à ne
pas bouger une oreille tant que je n'aurai pas entre les mains un gros
chèque signé de mon cher employeur, ou au moins un papier officiel
dûment paraphé, par lequel il s'engagera à me verser tant le jour de mon
départ.
Jeudi 28 avril
Sept heures et quart. – Que dire, sinon que, ces deux derniers jours, j'ai bien avancé ma lecture de Middlemarch,
dont je viens d'atteindre la six-centième page – c'est-à-dire que j'en
ai tout juste dépassé la moitié. Roman foisonnant, roman chronique,
roman tableau, avec ses passages ennuyeux, ses dialogues souvent
intempérants, mais dont le charme est en fin de compte assez puissant
pour qu'on en poursuive la lecture.
– Je continue à penser beaucoup à mes Exilés,
sans pour autant me mettre vraiment au travail. (Je tente de m'enfumer
moi-même en me disant que la réflexion préliminaire est partie
intégrante de l'élaboration d'un roman, mais je ne me persuade qu'à
demi, et encore.)
Vendredi 29 avril
Sept heures.
– Emploi du temps bousculé de façon impromptue. En fin de matinée, dans
la boîte, une lettre de mon employeur (j'ai appris ensuite que tout le
monde avait reçu la même), pour me signaler l'ouverture, ce jour, d'un
site internet (avec code d'accès et mot de passe) dédié au prochain PDV (Plan de départs volontaires, rappelons-le pour les oublieux).
Je m'y suis rendu tout aussitôt. Il m'a eu l'air très bien fait, plutôt
clair, pas trop jargonneux. La principale chose que j'y ai
apprise est que les salariés désirant faire valoir leurs droits à la
retraite seraient parmi les premiers servis, et non impitoyablement
éliminés, comme je le craignais à tort depuis plusieurs mois. On donnait
sur ce site, un numéro “vert” (je ne suis pas certain de la couleur…)
afin de se mettre en rapport avec l' Espace mobilité (je sais, je
sais…), mis en place, à Levallois, pour répondre à toutes les questions
(les “champs”, en français d'outre-civilisation…) des volontaires au
départ (Champs du départ pourrait être le titre de ce journal).
Je composai le numéro, en me disant que la ligne allait évidemment être
saturée, et je fus surpris de tomber sur une voix humaine dès ma seconde
tentative. Laquelle voix me proposa un rendez-vous pour aujourd'hui
même, à deux heures ; il était alors midi. Je n'eus donc que le temps
d'avaler un sandwich, de passer un pantalon et un polo “de ville” puis
de sauter dans Liselotte (?) et prendre avec elle la direction de
Levallois. Mon entretien, comme beaucoup d'entretiens, n'eut pour seul
intérêt que de m'informer des réunions et entretiens suivants, par
lesquels il me faudra passer. La prochaine réunion, collective celle-là,
est prévue pour le 12 mai. Il y aura ensuite un entretien téléphonique,
dont j'ai oublié à quoi il correspond, puis un autre rendez-vous
“physique”, mais cette fois individuel. Enfin, les dossiers de
candidature devront être déposés à la Direction à partir du premier
septembre. Et, si je me souviens bien, les choses s'étaleront ensuite
jusqu'en février de l'année prochaine. Ce qui veut dire que j'en ai
encore au moins pour un an à travailler ; cela ne me gêne nullement,
mais a déçu Catherine, toujours plus ou moins en proie à ses fantasmes de déménagement.
J'ai tout de même trouvé le
temps, ce matin et ce soir, d'écrire un mini-billet de quatre ou cinq
lignes (à propos de l'orage de grêle qui s'est abattu sur nos têtes vers
cinq heures), d'expédier trois mille signes dédiés à Florent Pagny et
de lire trois ou quatre chapitres du roman d'Eliot. La journée de demain
devrait être plus tranquille, et qui plus est conclue par un apéritif
doublement motivé : parce que ce sera la dernière matinée de bénévolat
de Catherine au presbytère de Pacy, et parce qu'elle rentre lundi à la
clinique de Rouen pour se faire rafistoler l'épaule droite.
Samedi 30 avril
Quatre heures et demie.
– Dans un grand élan d'optimisme, en parlant de journée tranquille,
j'avais oublié, hier, que je devais tout de même écrire entre cinq et
six mille signes à propos de Mimie Mathy ; laquelle se plaint de n'avoir
jamais fait la couverture de Elle ni d'aucun autre magazine
féminin. Elle s'en étonne, avec ce qui semble être de la bonne foi,
voire une certaine candeur ; à moins qu'il ne s'agisse d'une roublardise
fort habilement jouée. Voici ce qu'elle dit : « Je trouve que c'est un
magazine censé faire rêver, et moi je pense que je fais rêver. Je fais
rêver beaucoup plus qu'une mannequin à qui personne ne peut
s'identifier. Moi, je fais rêver dans le côté : Waouh ! elle y est
arrivée, on va y arriver ! » Je ne voudrais pas être méchant, et encore
moins incorrect politiquement, mais je doute fort que Mme Mathy ait
jamais fait rêver aucune femme, en dehors des autres naines évidemment,
notamment celles qui vivent avec un demi-smic ou des minima sociaux. De
toute façon, elle se fiche le doigt dans l'œil, en ce qui concerne les
mécanismes de ce qu'il est convenu d'appeler le rêve, et qui
n'est en fait que de l'envie, mais une envie qui ne ronge pas de façon
trop pénible parce que l'objet en est situé trop loin au-dessus du
sujet. En ce sens, les mannequins, les chanteuses, les actrices, les
princesses continueront de faire “rêver” les matrones en collants fluo
que je croise dans les allées du Super U de Saint-Aquilin ; mais jamais
les naines, même ayant fort bien réussi leur carrière et leur vie,
n'accompliront la même performance.
Comme
souvent, pour ce travail, il m'a fallu imaginer puis construire un texte,
à peu près cohérent et d'une lecture agréable, d'environ six mille
signes, en partant d'une information, celle que je viens d'indiquer, qui
devait occuper six ou sept lignes. Cela ne m'a pas posé le moindre
problème, tant est efficace l'entraînement du rédacteur de fond. Mais,
tout en le faisant, je me disais qu'il pourrait être amusant, pour les
lecteurs du blog, que j'explique, à partir de cet exemple concret,
“comment ça marche”. Finalement, lorsque l'article fut terminé, étant
moi-même au bord de l'indigestion de naine, j'y ai renoncé. Mais, en
reparlant, je me demande si je ne vais pas le faire tout de même. Après
tout, il me reste une grande heure à tuer avant l'apéritif de fin de
mois.
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