LES RUSES DU GRAND CAHIER
Lundi 1er juin
Sept heures vingt. – J'ai manqué la fin de mai, hier. La faute en revient à la fête des Mères, laquelle nous a conduits à aller déjeuner chez la mienne ; pour ce faire, j'ai enduré les deux trajets sous une pluie continuelle, et parfois battante, dont je me suis récompensé par un modeste apéritif, lequel, fatigue aidant, m'a envoyé au lit avant que j'ai eu le temps de dire ouf ! D'un autre côté, je n'avais aucune raison sérieuse de dire ouf ! Néanmoins, pas de journal hier.
–
Juin n'a pas mieux commencé, puisque je n'ai pas écrit la moindre ligne
dans le Grand Cahier (formule figée et un peu stupide, puisque je
travaille désormais à l'ordinateur directement). Coup de chance,
Catherine a oublié de me poser sa rituelle question : « Alors ? T'en as
écrit combien aujourd'hui ? », ce qui m'a évité de lui mentir
éhontément.
– Demain, elle m'accompagne à Levallois, où
nous avons tous les deux, l'un derrière l'autre, rendez-vous chez notre
oculiste habituel. Ensuite, je serai dispensé de trajets durant deux
semaines, Philippe B. m'ayant demandé d'écrire huit longs articles pour
un FD “hors série” devant paraître fin juin, en me spécifiant que je
pourrais faire tout ce travail chez moi. Il a fort bien compris que ne
pas bouger de la maison est ce qui, désormais, m'importe le plus ; il
m'accorde donc généreusement cette possibilité, ce qui lui évite d'avoir
à me payer en plus. Bref, tout le monde est content, dans la mesure où
j'ai effectivement moins besoin d'argent que de paix.
Mercredi 3 juin
Sept heures cinq. –
Je m'étais, hier, fixé un emploi du temps pour les douze jours à venir,
à compter d'aujourd'hui : écriture “Grand Cahier” de dix heures à midi
(à peu près…), pause de midi à deux heures, article pour FD à partir de
deux heures. J'ai bien entendu commencé par ne pas m'y tenir
aujourd'hui, en tout cas à ne m'y tenir qu'à demi : si j'ai
effectivement travaillé “pour moi” à partir de neuf heures, et jusqu'à
onze heures et demie, je n'ai pas eu le courage de revenir devant ce
clavier après le déjeuner. Du reste, c'est un courage que je n'ai à peu
près plus jamais, mieux vaut en tenir compte. Donc, à compter de demain,
ce sera : Grand Cahier de neuf à onze, pause café rapide et
enchaînement direct sur FD ; de façon à ce que toutes mes écritures
soient terminées au moment de déjeuner. Après, sieste et lecture
jusqu'au repas de Bergotte.
– En ayant terminé avec Morand (Londres et Le Nouveau Londres), au moins provisoirement, je suis revenu aux Origines de la France contemporaine et j'ai également ressorti de son étagère le Journal des Goncourt.
Jeudi 4 juin
Sept heures cinq. –
Grosse grisaille ce matin, au réveil ; non dehors, où le temps était
superbe et l'est resté, mais dedans : je me suis levé avec la certitude
assez déprimante que je n'allais rien faire de ce que je devais, ni pour
moi, ni pour FD ; c'était une certitude, et une certitude peu agréable.
Or, quatre ou cinq heures plus tard, j'avais écrit sept mille signes de
Grand Cahier, puis, quasiment de la même main, exhumé puis renterré C.
Jérôme en un peu moins de dix mille signes. J'en étais moi-même tout
ébahi, presque incrédule. Sur ce, je suis retourné à Taine et aux
Goncourt.
– À propos des Goncourt, justement, j'ai lu
souvent – et encore dernièrement sous la plume de Morand ou de
Chardonne, je ne sais plus – que le vrai écrivain des deux était Jules
et que le Journal baissait beaucoup de qualité après sa mort,
n'étant plus ensuite qu'une collection de ragots. Eh bien, je me trouve
d'un avis exactement inverse : Jules “fait l'écrivain”, il place des morceaux,
il se contemple écrire ; de ce fait, il devient assez vite pénible.
Tandis qu'Edmond est beaucoup plus naturel, même s'il l'est bien moins
que Léautaud ne le sera quelques années plus tard. Et puis, quoi : les
ragots forment une part importante de ce qui fait l'intérêt d'un journal
d'écrivain. Du reste, Jules aussi ragote ; mais il en profite pour faire du style, ce qui est agaçant.
–
Pour ce qui concerne le roman, J'ai introduit ce matin deux nouveaux
personnages, à savoir les parents de Tosca, mon adolescente. Ils sont
amusants à “faire” mais pas très faciles. Ce sont des bourgeois de
gauche à la mode d'aujourd'hui, de gauche sociétale, mais qui, au
fond, trouvent plutôt saumâtre que leur fille leur ramène un Arabe fils
d'épicier ; chose que, dans leur discours, ils sont évidemment obligés
de trouver très bien. La difficulté consiste à montrer cet écartèlement,
à faire en sorte qu'il soit comique, mais sans tomber dans la
caricature, ni la charge. Je ne suis pas sûr d'y parvenir.
Vendredi 5 juin
Sept heures dix.
– J'ai raté une marche sur les deux prévues de gravir. J'ai bien écrit
sept mille signes de Grand Cahier, entre neuf heures et onze heures (le
chapitre, si je maintiens le rythme, devrait être fini dans trois ou
quatre jours ; mettons cinq) ; mais, ensuite, après une pause consacrée à
la lecture, puis une autre au déjeuner, quand je suis revenu dans la
Case, il y faisait bien trop chaud déjà pour envisager de pelleter de la
terre. Or, comme je l'ai fait hier pour C. Jérôme, je devais déterrer
puis réinhumer ce présentateur de télévision tout à fait anodin
nommé Patrick Roy, tué par le cancer des os à 40 ans, voilà 23 ans. Ce
sera pour demain.
Quant aux feuillets du GC écrits hier et ce matin, je suppose qu'ils doivent être mauvais, ou au moins sans intérêt, puisque je les ai écrits sans difficulté et même avec un certain plaisir. Attendons le verdict de Michel Desgranges, d'ici une semaine.
– Depuis environ une heure et demie il tonne par intermittence et le vent souffle ; mais l'orage semble passer plus au sud.
–
J'ai abandonné Taine à l'entrée de la Révolution, quelques semaines
après la prise de la Bastille, pour passer à Tocqueville, que je n'ai
jamais lu, bien que possédant ses deux ouvrages les plus connus depuis
environ 20 ans. J'ai évidemment commencé par celui qu'il consacre à
l'Ancien Régime et à la Révolution.
Samedi 6 juin
Sept heures et quart. –
Le gros rhume que Catherine a attrapé dimanche dernier chez ma mère,
sans doute par le truchement d'Olivier (allez, on balance !), elle me
l'a gentiment repassé hier. Depuis, je me traîne un peu misérablement.
(Il faut tout de même arriver à la soixantaine pour se voir à demi
abattu par un rhume : trop la honte…). J'ai tout de même réussi,
ce matin, à allonger le Grand Cahier de quatre mille signes, puis à en
écrire dix mille sur un animateur de télévision, mort depuis quatre
lustres et demi. Ensuite, j'ai mollement flâné dans le Journal
des Goncourt, sautant directement de 1865 à 1870, année de la mort de
Jules ; je puis donc confirmer ce que je disais il y a deux ou trois
jours : la partie Edmond est bien meilleure, contrairement à ce qui se
prétend çà ou là.
Dimanche 7 juin
Sept heures vingt.
– Ce matin, levé avec une vague fièvre, je me suis dit que je n'allais
probablement rien faire aujourd'hui. En foi de quoi, j'ai écrit 6500
signes de Grand Cahier, puis 9000 de Balavoine. Pour les feuillets
personnels, qui se sont écrits en un rien de temps, j'ai peur qu'ils ne
vaillent pas plus que ce rien ; quant à l'article pour le hors-série, je
crois bien avoir bâclé un peu la fin, tant j'étais horripilé de devoir
tresser des louanges à ce petit con, génial précurseur de nos mutins de
Panurge actuels, les habitués du plateau de Ruquier. Cela étant, comme
je le disais à Corto en commentaire de ce billet,
il y a tout de même un certain plaisir à cet exercice (mais 9000 signes
c'est vraiment trop…) ; pour s'amuser un peu, il suffit d'outrer le
dithyrambe en le faisant porter précisément sur les points qui rendent
l'individu détestable. Ici, par exemple, parler de la voix aux intonations enchanteresses, des mélodies raffinées et envoûtantes, des textes d'une grande qualité poétique et révélant une conscience profonde de la misère humaine, ou encore de la sublime générosité pétrie d'humanisme
du guignol : quelque chose comme cela. Personne, parmi vos lecteurs, ne
repérera la moquerie, mais vous, vous aurez souri en l'écrivant ; et
vos amis aussi, si par hasard ils tombent dessus.
Lundi 8 juin
Cinq heures.
– Les derniers dix mille signes du chapitre VII ont été écrits
aujourd'hui, le chapitre relu et corrigé dans la foulée (je suis
toujours très inquiet du peu de corrections que je fais dans ces
moments-là : comme si je me faisais relire par un aveugle ou un idiot…).
Finalement (ou bizarrement, comme dirait Jonathan), je ne le trouve pas si mauvais ; en tout cas, moins pire
que ne me le représentaient mes appréhensions. On verra ce qu'en dit
Catherine, qui est occupée à le lire en ce moment même ; c'est
d'ailleurs pour cette raison que je me suis réfugié dans la Case : je
supporte difficilement de rester près d'elle lorsqu'elle me lit ; je
passe mon temps à épier le moindre signe sur son visage, ou, pis,
l'absence de signe. Et si, par simple coïncidence, elle réprime un
bâillement en cours de lecture, là, je dois me retenir pour ne pas filer
me pendre. Après cela, même si elle s'en dit satisfaite, j'aurai
toujours, au-dessus de ma tête, l'épée michelo-damoclétienne ; je pense
que, si l'avis de Catherine est favorable, je lui enverrai, à Michel
Desgranges, le chapitre en “doc joint” dès ce soir. (Ce que je dis est
idiot : même si Catherine émet des réserves, il faudra pourtant bien que
Michel le lise !).
À présent, me voici au pied du mur
de l'avant-dernier chapitre, celui qui m'excite et me terrifie tout en
même temps, quasiment depuis le début : le tête à tête de Jonathan et de
H. Bizarrement, le dernier chapitre, lui, ne m'a jamais inquiété
le moins du monde. S'il se trouve, ce sera le plus difficile à écrire,
il n'y a pas moyen de savoir, aucune certitude possible. Mais, au moins,
il aura l'immense et reposant avantage d'être le dernier. Du reste, ce
que je dis est incomplet : le chapitre V aussi me faisait très peur
(celui du retour d'Evremont dans la maison familiale) ; finalement, je
n'ai pas eu trop de misère à l'écrire et je ne crois pas qu'il soit le
plus mauvais.
– Quant à Philippe B., mon distingué
directeur, il s'est déclaré très content des deux articles que je lui ai
envoyés ce matin, le Balavoine et le Patrick Roy. C'est toujours ça de
pris.
Mardi 9 juin
Sept heures. –
Pas grand-chose à noter (et même rien, en vérité) pour cette journée
post-apéritive : lecture paresseuse, longue sieste, aucun travail. Si,
tout de même, ce matin, j'ai tracé une ébauche de plan pour le chapitre
VIII ; auquel je devrais bien me mettre demain, ainsi qu'à Lady Diana,
cette princesse bidon qui me sort par les yeux, depuis trente ans que
j'en bouffe.
– J'ai envoyé dès hier soir le chapitre
VII – à propos duquel Catherine n'a trouvé que des compliments à me
faire – à Michel Desgranges, qui m'en a accusé réception dans la
matinée, mais ne semble pas encore l'avoir lu. Ou alors, il ne sait trop
comment me dire à quel point il le trouve raté. Quoique, pour la
première version du VI, il avait parfaitement su.
Jeudi 11 juin
Sept heures dix.
– Il était donc prévu que je commençasse le chapitre VIII ce matin.
Comme il me restait, d'hier, trois ou quatre mille signes de Lady Di à
expédier, et que cela me polluait l'esprit, je me suis d'abord
débarrassé de ceux-ci. Après, il a commencé à faire chaud et, Catherine
étant absente, c'était à moi de vider le lave-vaisselle. Quand elle est
rentrée, et que je lui ai, à sa demande, annoncé un feuillet
écrit, elle a eu l'air de trouver ça bien maigre ; c'était encore énorme
par rapport au rien qui était la réalité. Pourtant, contre toute
attente, passant cet après-midi devant ce clavier, j'ai tout de même
écrit les trois premières phrases, terrassant ainsi les sortilèges de
l'écran blanc. Et réduisant mon piteux mensonge à la moitié de lui-même.
Demain, je vais tâcher d'arrêter les conneries.
(Il y a
aussi que Michel Desgranges ne m'a toujours donné aucune nouvelle du
VII : j'ai beau faire le malin, ça m'agace tout de même un peu les
gencives, de ne pas savoir…)
Vendredi 12 juin
Sept heures dix. –
Tout à l'heure, continuant de lire “en pointillé” le journal d'Edmond,
il m'est soudain venu à l'esprit que si, par miracle, je pouvais me
retrouver face à mes personnages en chair et en os, il n'y en a pas un
parmi eux avec qui j'aurais envie d'aller dîner, ni même prendre un
verre en terrasse. Sur le moment, ça m'a un peu inquiété. Sur ce, je
reviens devant cet ordinateur, et c'est pour trouver dans ma boitamel un
message de Michel Desgranges, me disant que le chapitre VII lui a plu,
qu'il l'a trouvé “fort bien construit et mené” ; ce qui va m'inciter à
me lancer à corps perdu dans le VIII, chose que je n'ai encore pas faite
ce matin, malgré l'assurance que j'en ai donné à Catherine. J'aimerais
beaucoup réussir à le terminer en dix jours, à raison de six ou sept
mille signes chaque matin ; ainsi, il me resterait trois semaines pour
le grand final (avec épilogue éventuel), car je tiens beaucoup à avoir
tout terminé pour la dernière semaine de juillet, lorsque vont débarquer
Adeline et ses enfants, puis que je vais rester tout seul ici durant
plusieurs jours. Ensuite, je filerai chez Michel, qui, n'ayant plus la
crainte de me voir abandonner le livre, va pouvoir, cette fois, me
déballer tout ce qui, à son avis, ne va pas. Je n'ai pas hâte d'y être.
Dimanche 14 juin
Une heure et demie. – Jeudi, on s'en souvient, j'avais annoncé à Catherine un
feuillet de roman écrit, alors que j'avais péniblement tracé les deux
lignes de l'incipit. Vendredi, ayant écrit encore moins, c'est-à-dire
rien, je lui avait lâchement annoncé deux feuillets. Hier soir, devant la télé, en attente de film, quand elle m'a posé la question traditionnelle, j'ai répondu : trois. Or, c'était de nouveau un mensonge, puisque, depuis le matin, j'avais écrit six feuillets. Et voilà comment, en additionnant deux mensonges éhontés et un mensonge tactique, on obtient une indubitable vérité.
– Commencé hier à lire Ni Marx ni Jésus : remarquable, en dépit de l'éloignement provoqué par le temps passé depuis sa parution.
Mercredi 17 juin
Quatre heures.
– La machine à feuillets s'est brusquement emballée : depuis mon
dernier passage ici, c'est-à-dire en deux jours et demi, j'ai écrit
environ trente cinq mille signes, et me voilà rendu à peu près aux deux
tiers, voire aux trois quarts de ce chapitre VIII. De plus, j'ai tracé
le plan (vague, le plan…) du IX et dernier. Le chapitre actuel sera
terminé demain, après-demain au plus tard. Si bien que je devrais
pouvoir arriver au bout du roman aux alentours du 15 juillet : une chose
que je n'aurais même pas osé espérer il y a encore une semaine. Reste à
savoir si cette brusque accélération de la production n'est pas le
signe d'un bâclage, certes inconscient, mais néanmoins dommageable.
Jeudi 18 juin
Cinq heures et demie. – Chapitre VIII terminé (65 000 signes) ; apéritif en vue.
Vendredi 19 juin
Trois heures et demie. –
J'ai trouvé, hier soir, pendant le traditionnel apéritif de fin de
chapitre, le sujet d'un roman prochain. Plus exactement, je l'avais déjà
trouvé avant, mais, hier, pour Catherine, je l'ai bien développé. Je ne
le noterai pas ici car, en bon auteur que me voilà devenu, j'ai
tendance à développer une certaine paranoïa à propos des sujets que je
trouve, et que le monde entier, me les enviant évidemment, ne rêve que
de me voler. Roman plus ambitieux que l'actuel (dont je ne donne pas le
titre non plus…), donc plus difficile à faire, et qui nécessitera un
gros travail “en amont” : il n'a une mince chance d'être mené à bien que
si je m'appuie sur un plan fourni, détaillé et sans failles.
Samedi 20 juin
Sept heures. –
En relisant mon journal de mai (la publication s'en vient…), je me suis
aperçu que j'avais déjà parlé du sujet de roman auquel je faisais
allusion hier. M'enfonçant dans ma paranoïa, je l'ai aussitôt supprimé.
–
La tradition aura donc été maintenue jusqu'au bout : alors que je
comptais fermement commencer l'ultime chapitre ce matin, je n'en ai rien
fait; et non plus cet après-midi. Ce sera pour demain. À la place, je
me suis repu de Revel : fin des Plats de saison ce matin et La Grande Parade
ensuite. Sa mise à plat de la mauvaise foi et du déni des communistes
(mais aussi des socialistes) quant à la nature intrinsèquement mauvaise,
pour ne pas dire maléfique, du communisme, est des plus réjouissante ;
et implacable pour eux. Heureusement, ils continuent à ne s'apercevoir
de rien.
Dimanche 21 juin
Sept heures et demie. –
Le chapitre IX est lancé, et il l'a même été assez loin, puisque me
voilà ce soir avec 12 000 signes écrits. En complément de ce programme
déjà satisfaisant, un court mail de Michel Desgranges, pour me dire
qu'il trouve très bon le précédent, à l'exception du premier paragraphe,
ce qui devrait pouvoir s'arranger assez facilement ; mais on verra ça
au moment de la relecture générale.
Mardi 23 juin
Sept heures vingt.
– Je supporte de moins en moins cette obligation qui m'est faite, de me
rendre à Levallois les mardis et mercredis. Ne serait-ce, en ce moment
du moins, parce que cela m'empêche de faire avancer le roman, et que
j'en conçois ensuite une sourde irritation ; laquelle, bien que ne
pouvant se diriger contre personne en particulier, n'en est pas moins
fort agissante. Je compte, demain, prendre la route avant sept heures,
de façon à être à FD peu après huit heures : j'y trouverai la rédaction
vide et silencieuse (à part la femme de ménage, mais elle n'est pas bien
gênante, la pauvre), ce qui me permettra, je l'espère, de faire avancer
ce maudit chapitre (mais pourquoi maudit ? Il ne l'est pas plus
que les précédents; plutôt moins même), lequel a été augmenté de sept
mille signes hier mais de rien du tout aujourd'hui. J'aimerais beaucoup
en avoir terminé avec lui à la fin de la semaine prochaine, soit vers
les 4 ou 5 juillet. Ensuite l'épilogue ne devrait pas me prendre plus de
deux ou trois jours : tout serait ainsi bouclé aux environs du 10.
– On répète que les chats adorent le soleil. On devrait plutôt dire que la plupart
des chats aime le soleil : Boulou, lui, se couche systématiquement à
l'ombre. Et ce ne peut être un hasard puisque, lorsqu'il se trouve par
exemple au pied d'un massif, ou sous la petite table qui est sur la
terrasse, il se déplace à mesure que le soleil tourne, de façon à
toujours demeurer à l'ombre.
Samedi 27 juin
Quatre heures.
– Diable ! je ne pensais pas être resté si longtemps sans venir ici. Je
pense même que cela ne m'est jamais arrivé, depuis que j'ai commencé de
tenir régulièrement ce journal, en octobre 2009. Enfin, il faudrait
vérifier, et je n'en ai nulle envie.
– Le chapitre IX a
subi ce matin un sort inattendu, qui lui vaut de s'être fini
prématurément. Il a fort bien marché mercredi, jeudi et hier : 12 à 13
000 signes pour chacune de ces trois journées. Mercredi, étant arrivé à
Levallois vers huit heures, et nul “repiquage” n'étant survenu, j'ai
passé l'essentiel de la matinée à y travailler ; et, les deux jours
suivants, une bonne partie du temps que me laissait les articles à faire
pour FD. Bref, ce matin, j'en étais rendu à peu près aux deux tiers,
peut-être un peu moins, c'est impossible à dire. Or, j'avais déjà
dépassé les cinquante mille signes. Cela ne m'inquiétait pas, mais
enfin, les autres font tous (sauf le II, un peu plus long), entre 55 et
65 000 signes. Je reprends donc au milieu de la scène où je m'étais
arrêté la veille, écris trois ou quatre mille signes et m'interromps
pour aller boire une tasse de café. C'est alors qu'il m'est apparu d'un
coup et très nettement, que ce chapitre final – si on ne compte pas
l'épilogue – devait être scindé en deux, et qu'il devait l'être
précisément à la fin de la scène qui était en train de s'écrire ; c'est
ce qui a été fait environ une heure plus tard. Du coup, j'ai occupé la
suite du temps à le relire entièrement et à le corriger, avant de le
faire lire à Catherine, puis de l'envoyer en “doc joint” à Michel
Desgranges, dans l'espoir d'un enthousiaste nihil obstat. Michel
Desgranges que, par ailleurs, j'irai visiter en ses terres le 16
juillet, c'est-à-dire quand le roman sera entièrement terminé par moi et
lu par lui, de façon à ce que nous puissions passer aux critiques dont
je ne doute pas qu'il en a gardé toute une batterie sous le coude.
Je
ne sais pas si j'ai déjà noté ceci, que l'approche de la conclusion de
ces presque huit mois d'écriture me jette dans des sentiments
contradictoires, qui ont tendance à s'exacerber à mesure des jours.
D'une part l'envie d'en avoir terminé ; car même si les inquiétudes des
mois précédents ont fini par s'estomper fortement, elles n'ont pas tout à
fait disparu ; et, de leur fait, je ne serai totalement sûr d'avoir
écrit un roman, de l'avoir mené à bien, que quand le dernier mot en aura
été écrit (mot que je connais, d'ailleurs, et depuis déjà un bon
moment). D'autre part, je me suis mis dans l'idée que, le lendemain de
ce jour-là, peut-être le soir même, au moment du rituel apéritif de fin
de chapitre, j'allais éprouver une grande et désagréable sensation de vide
; ce qui fait qu'à l'envie d'en avoir fini vient se mêler la tentation
contraire, celle de prolonger le roman, c'est-à-dire, en pratique, d'en
ralentir le débit. Jusqu'à aujourd'hui, heureusement, c'est la première
tendance, celle de l'accélération, qui semble vouloir l'emporter.
Il
n'empêche que je n'aurai commencé à me sentir un peu à l'aise dans ce
livre qu'à partir du chapitre VIII, c'est-à-dire à plus des
trois-quarts. Et je me demande si, dans l'éventualité assez peu probable
où je me lancerais dans un autre roman après celui-ci, je serais
condamné à repasser par les mêmes doutes et interrogations paralysants.
Dimanche 28 juin
Dix heures du matin.
– Plus j'y réfléchis et plus je pense que j'ai eu raison de scinder le
dernier chapitre. (Ce qui revient à m'approuver moi-même : la belle
affaire !) Il y a bien sûr la question de la longueur du chapitre
initialement prévu, comme je le notais hier. Mais la raison essentielle,
qui m'est apparue après avoir pris la décision de la scission,
est une question de tonalité. Il me semble que, à partir du moment où
l'on a choisi de diviser un roman en chapitres, chacun de ceux-ci doit
avoir sa tonalité propre, un peu comme des morceaux de musique
autonomes, même si l'analogie est sans doute un peu scabreuse.
C'est-à-dire – poursuivons-la, cette analogie –, que le chapitre doit se
terminer sur la même note qui l'a commencé. Or, j'ai attaqué le IX sur
Charlie, ce qui signifie que la tonalité est optimiste, joyeuse, tendue
vers l'avenir (même si, à ce moment précis, le personnage est grognon…)
; il était donc bien meilleur de le terminer également sur lui, pour
retrouver cette note, et de la retrouver amplifiée, magnifiée,
éclatante. À l'inverse, je vais commencer le suivant avec Jonathan,
c'est-à-dire sur une note sombre, grise, pessimiste si je puis dire ; ce
qui doit être également la tonalité de la fin du roman (hors épilogue).
Je pense donc, par la scission, avoir gagné en cohérence, en plus
d'avoir éviter le danger d'un chapitre obèse et un peu “fourre-tout”.
Je
notais hier, comme en passant, que je connaissais déjà la dernière
phrase de l'épilogue, c'est-à-dire du livre tout entier. C'est qu'elle
doit retomber, elle, sur la “tonalité” de l'ensemble du roman, soit sur
les tout premiers paragraphes du chapitre premier ; et c'est, je crois,
ce qu'elle fait effectivement.
(Je suppose que je dois
des excuses aux douze lecteurs de ce journal, lequel est sans doute,
depuis quelque temps, de plus en plus ennuyeux à lire, dans la mesure où
il n'y est plus guère question que de l'élaboration d'un roman dont ils
ignorent tout. Mais comment faire autrement ? Un journal, il me semble,
doit rendre compte de ce qui occupe et préoccupe son auteur ; c'est en
tout cas ainsi que je vois et mène le mien depuis six ans. Par
conséquent, je ne vois pas comment le roman et toutes les questions
qu'il engendre pourraient ne pas envahir à peu près tout l'espace.)
Lundi 29 juin
Sept heures dix. –
Mail de Michel Desgranges, à l'instant, pour me dire qu'il trouve mon
chapitre IX excellent : tant mieux. Il me dit aussi qu'il aimerait bien
voir Evremont “sortir de sa léthargie”. Diable ! Je reconnais que ce
personnage, qui devait au départ dominer plus ou moins tous les autres,
s'est trouvé être beaucoup plus statique que je ne le pensais. En fait,
je crois que la visite à son père l'a complètement “tué”. Peut-être trop
? De toute façon, il est trop tard pour y remédier, si jamais il était
ici question de remède.
J'ai commencé le
chapitre X et dernier (à moins que celui-ci se scinde également…) ce
matin : six mille signes. Sauf empêchement extérieur et fortuit, il sera
fini à la fin de la semaine ; peut-être même l'épilogue à sa suite.
Mardi 30 juin
Sept heures dix.
– Le mardi n'est décidément pas un jour propice à l'avancée des
chantiers littéraires. Sachant que je vais devoir partir pour Levallois
vers dix heures, je n'ai pas le goût de me mettre à l'établi avant cela ;
sur place à partir d'onze heures, ça ne vaut pas le coup non plus,
sachant que mes Puissances tutélaires vont me donner de quoi m'occuper
d'une minute à l'autre ; ensuite, retour à la maison, je n'ai plus guère
le courage de m'y plonger, surtout quand il fait approximativement 30°
implacablement celsius dans la Case (qui, de ce fait, mérite plus que
jamais son nom). On l'aura compris : je n'ai pas touché au chapitre X
aujourd'hui. En revanche, tout comme la semaine dernière le IX, je
compte l'emporter sous mon bras demain matin : ayant prévu d'arriver à
Levallois entre sept heures et demie et huit heures, j'aurai tout le
temps de m'y consacrer ; sauf en cas de “repiquage” inopiné, bien
entendu.
– Philippe B., le Zeus de mon Olympe
levalloisien, devant le succès du dernier “hors série” a décidé d'en
faire immédiatement un second, et de me mettre à contribution pour le
remplir de prose. Conséquence heureuse pour moi : je serai dispensé de
me rendre à FD la semaine prochaine. L'été commence bien. Surtout si,
comme je l'espère, j'en ai terminé avec le roman dimanche ou lundi.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.