AUTOUR DE SWANN
Mercredi 2 avril
Neuf heures et demie (du matin…). –
Je crois bien que c'est la première fois, depuis que je tiens un peu
sérieusement ce journal, que je “rate” non seulement le dernier jour du
mois mais également le premier du suivant. La raison en est que nous
avons été, ces derniers jours, plutôt bousculés dans notre petit
train-train (ou tran-tran, comme l'écrivait Balzac) par
l'arrivée, dimanche midi, d'Adrien, et surtout celle, le lendemain, de
Ludovic (qui est censé repartir pour Rennes cet après-midi…). Je ne sais
si mon seuil de résistance s'est abaissé ou si le cas de Ludovic s'est
aggravé, mais je supporte de moins en moins cette faculté qu'il a de
parler tout le temps, et pour exposer en long et en large les théories
les plus fumeuses qu'il a pu glaner ici ou là. Je suppose que la
naissance d'internet a dû l'encourager dans cette voie pénible, car Dieu
sait le nombre d'élucubrations qui peuvent proliférer dans ce cloaque à
écran ouvert. Et, naturellement, Ludovic est le meilleur client qui
soit pour les plus saugrenues d'entre elles, qu'il expose
interminablement et avec un sérieux aussi papal qu'accablant. La
conséquence est que, hier soir comme la veille, nous avons commencé
l'apéritif à six heures (endurer le flot verbal sans celui de l'alcool
m'est chose rigoureusement impossible) et, à huit heures et demie,
prétextant d'une ivresse que je ne ressentais qu'à demi, j'ai fui
lâchement le théâtre des opérations en direction de mon lit, laissant
Catherine en tête à tête avec le conférencier – mais, après tout, c'est
son fils et non le mien. Je pense que, ce soir, nous allons nous
octroyer, elle et moi, une ultime libation, mais sur le mode détendu, ne
serait-ce que pour nous réjouir des deux semaines de vacances qui se
profilent pour moi.
Midi. – Gabriel étant
justement venu pour faire avec moi un “point” à propos de mes vacances,
j'ai bien dû constater que celles-ci, en avril, ne se montaient qu'à une
semaine, et non à deux comme une panne momentanée du cerveau me l'avait
laissé croire. Du coup, m'en voici tout chiffonné…
Jeudi 3 avril
Sept heures vingt.
– Hier soir, à l'heure où les vieux fauves s'abreuvent après une dure
journée, je disais à Catherine m'étonner du silence de Joseph Vebret et
de son Salon littéraire, à propos de mon œuvre immortelle. Une
heure plus tard, que trouvé-je dans ma boitamel ? Un message du même
Vebret me donnant un lien pour parvenir à l'article qu'il venait de
publier dans son salon. Article assez long, signé par Jacques Aboucaya,
avec lequel, assez bizarrement, Catherine s'est montrée fort sévère,
alors qu'il parut, à moi, tout à fait satisfaisant. Mais c'est qu'elle
voudrait pouvoir placer chaque article me concernant à la même hauteur
(exagérée…) où elle a placé mon livre. J'ai demandé à Vebret l'adresse
de M. Aboucaya, afin de le remercier de la peine qu'il a prise.
Cet article du Salon littéraire,
je l'ai signalé brièvement sur le blog, ce qui m'a valu une rafale de
commentaires suintant de rancœur de ce blogueur qui se fait appeler
absurdement Cui Cui fait l'oiseau. Je les reproduis ici :
Commentaire 1 :
Vous jouissez hein ?
Figurez vous que j'éprouve la même chose en
vous observant vous vautrer dans cette autosatisfaction impudique ou
cet exhibitionnisme obscène devant ce qui n'est qu'une hagiographie
outrée, sans la moindre critique, distillée par un collègue en demande
de retour d'ascenseur...
Vous qui n'avez jamais de mots assez sévères pour fustiger tous les blogueurs.
Vous étendant sur leur soi-disant médiocrité ou leur inculture, votre
mépris ne vous a jamais fait honneur et il me parait donc fort naturel
que le retour de bâton soit légitime.
Post scriptum : Je n'ai pas lu votre livre mais j'ai lu bien plus que ce qu'il contient.
Commentaire 2, après que lui ai répondu que je sentais s'exprimer là de la jalousie et de l'envie :
Comment pourrais-je être jaloux ?
Vous êtes grotesque...
Je n'ai jamais eu, ni le talent ni même l'ambition, ni la moindre ombre d'idée de me faire éditer ! Vous êtes fou.
Je ne suis qu'un petit camelot et rien d'autre.
Vous êtes grotesque...
Je n'ai jamais eu, ni le talent ni même l'ambition, ni la moindre ombre d'idée de me faire éditer ! Vous êtes fou.
Je ne suis qu'un petit camelot et rien d'autre.
Commentaire 3, qui se voudrait “coup de pied de l'âne” :
Et puis pour conclure définitivement, sachez que je suis content que vous soyez content.
Surtout s'il s'agit d'une revanche : je conçois très bien que le rôle de nègre littéraire est un emploi ingrat qui entraîne rancœur et besoin décuplé de créer ses propres œuvres...
Et,
pour en finir avec cet épisode sans importance, le commentaire d'une
certaine Christine, qui pourrait être la Mère Castor mais peut-être pas.
En tout cas, il est bien possible qu'elle vise juste :
Monsieur cui-cui a visiblement besoin de beaucoup d'amour et de reconnaissance. Je crains que vous ne l'ayez un jour blessé par inadvertance en ne faisant pas justice à ses grandes qualités humaines et intellectuelles. Vous devriez l'assurer de votre magnanimité et de votre bienveillance pour tous les oiseaux qui viennent se nourrir chez vous.
Fin de l'histoire, donc ; à moins qu'il ne revienne à la charge.
–
Cet après-midi, Catherine a vu apparaître les premières hirondelles
dans le ciel hébertiste. Je les ai d'ailleurs vues aussi, mais après
elle.
Samedi 5 avril
Dix heures et demie du matin.
– Catherine vient de m'appeler du presbytère, après être passée à la
clinique vétérinaire : la mort de Swann est programmée pour jeudi
prochain, cinq heures et demie. La décision d'en venir là avait été
prise moins d'une heure plus tôt, conjointement. Déjà, pour Elstir, cela
s'était réglé un samedi matin. Mais il y a deux grosses différences,
une favorable, si je puis dire, et une défavorable. La première est
qu'Elstir n'avait que quatre ans, alors que Swann vient d'en avoir
treize et que nous savons depuis déjà quelques mois que, de toute façon,
il n'aurait jamais pu voir la fin de l'année, ni même sans doute
l'arrivée de l'été ; ce grand âge qu'il a devrait (conditionnel prudent,
néanmoins…) rendre les choses un peu moins pénibles. La seconde est
que, dans le cas d'Elstir, le rendez-vous avait été pris pour le lundi
matin, si bien que nous n'avions passé que deux jours dans la peau de
bourreaux sadiques ; tandis que là…
Sept heures vingt. – Émile Faguet se montre vraiment trop sévère avec Balzac dans ses Études littéraires (1887) ; même s'il dit à son sujet des choses fort judicieuses. Il est beaucoup mieux balancé à propos de Chateaubriand.
Dimanche 6 avril
Sept heures et demie. – André a fait paraître, dans l'édition de ce matin des Dernières Nouvelles d'Alsace, un article sur En territoire ennemi, que je reproduis ici :
Dans En territoire ennemi, Didier Goux s’attaque aux moulins à vent de son époque, ou plutôt aux éoliennes du prêt-à-penser.
«
ÊTRE DANS LE VENT, une ambition de feuille morte!» La formule est de
Gustave Thibon (1903-2001), auquel on a collé bien vite l’étiquette de
réactionnaire. Qui connaît encore ce philosophe grognon, acerbe et
lumineux, lecteur de saint Thomas d’Aquin et ami de Simone Weil ? Qui a
lu L’ignorance étoilée, et ses aphorismes taillés comme des silex, et qui sait que c’est à lui que l’on doit l’édition de La Pesanteur et la Grâce ? Qu’importe. Mais la silhouette de Thibon resurgit à l’esprit à la lecture d’En territoire ennemi,
le livre de Didier Goux. Même posture chagrine de celui qui se serait
trompé d’époque, même réflexion sans concession sur le
prêt-à-penser « vu à la télé » de ses contemporains, même goût
des vrais livres qui vous emporte, même bonheur des phrases qui font
mouche. Et même jouissance de la marche contre le vent, même goût du
contre-courant, avec sa pincée, et parfois sa brassée, de provocation.
En territoire ennemi
est un florilège de billets « postés », au fil de sept ans de
boutique, sur le blog de Didier Goux. Un blog à deux lames, comme un
rasoir : la chronique presque quotidienne des travaux et des jours, des
livres qu’on lit, des souvenirs qui remontent, des réflexions qui
s’aiguisent – et un journal plus intime, décalé d’un mois, demi-pudeur
de qui sait que le bon mot d’un soir peut parfois être un mauvais tour
pour qui vous est proche, et qu’il vaut mieux, parfois, se relire à
cœur attentif et à tête reposée. Le livre imprimé reprend deux cents
chroniques, organisées sous trois exergues, « Ce qui fut », « Ce qui
advint », « Ce qui reste », avant un « envoi » de quatre billets « A
vous, les mô- mes ». On y parcourt les bonheurs et les humeurs d’un
talentueux et sévère imprécateur. On y voit fustigé le personnage de
Modernœud, archétype de la gauche bien-pensante et mal-écrivante qui
exaspère
Goux. On s’y interroge sur cette planète qui tourne et les humains qui
croient que c’est pour eux. On s’y émeut d’un oiseau qui passe, d’un
écrivain d’un autre temps, d’un souvenir de famille. On s’y collète aux
tracasseries du jour et à l’inavouée quête de Dieu. On y rit aussi,
comme face au décorticage des films « gore » de seconde partie de
soirée sur les chaînes câblées.
Didier Goux tisse
la chronique d’un monde qu’il croit voir s’effriter en même temps que
sa propre jeunesse. Chroniqueur « réac », diront certains – et cela
écartera l’un ou l’autre, qui n’achète le vin que sur l’étiquette.
Mais chroniqueur insatiable, cultivé, polémique, indigné, sensible,
et qui, en plus, sait écrire.
JACQUES FORTIER
J'ai
répondu à André que cette critique était sans doute la plus juste et la
plus chaleureuse que j'aie eue jusqu'à présent, mais qu'il ne devait
pas pavoiser pour cela, dans la mesure où elle n'était pas très éloignée
d'être la seule.
– Ce bon M. Faguet, par l'étude qu'il
lui consacre, à l'entrée de son livre consacré au XIXe siècle, m'a
donné une grande envie de lire ou de relire Chateaubriand. Je dis
“relire” car je l'ai bien sûr déjà fait, mais je dis aussi lire, car
l'envie qu'il m'a donnée est plutôt d'aller voir du côté des œuvres
qu'on ne lit jamais, en tout cas moi. Comme je possédais, Dieu sait
pourquoi, une édition de poche des Natchez, je l'ai sortie de son
étagère pour la rapporter au salon. Ce qui, injustice cruelle et
ironique, va conduire M. Faguet à retourner un temps en salle d'attente,
avec le risque toujours à craindre de n'en plus ressortir jamais. En
attendant cette disgrâce, j'ai lu tout à l'heure son étude sur Hugo,
plutôt réjouissante car tout à la fois admirative (sur certains aspects
de l'écrivain) et d'une ironie pleine de verve (sur d'autres).
Lundi 7 avril
Sept heures et demie. –
Journée bien tranquille comme on les aime et aimerait en avoir encore
plus souvent. À part une rapide descente à Pacy pour en rapporter pain
et victuailles diverses, je n'ai rien fait d'autre que lire
Chateaubriand (Le début des Natchez, puis Atala presque en totalité). Chaque fois que je reviens à lui (que je reviens vers
lui, pour parler un modernœud de stricte correction), je m'amuse en
songeant à Léautaud qui le détestait ; ce que je comprends d'autant
mieux que c'est précisément ce qui le rebutait qui moi me charme : ce
drapé majestueux des longues phrases, cette absence de “naturel” (le mot
fétiche de Léautaud), cette pose que Chateaubriand prend toujours plus
ou moins face à lui-même et à nous ; comme si l'ensemble de ses livres
avaient été directement écrits par sa statue. Il reste que cette prose
est tout de même l'une des plus belles que l'on puisse lire dans notre
langue, même si elle n'est pas des plus étonnantes : Saint-Simon,
Proust et bien entendu Céline le sont davantage. Je donnerais pourtant
tous les romans de Céline contre le premier tome des Mémoires. Mais c'est peut-être que, finalement, je n'aime pas tant que cela les styles étonnants – quoiqu'il y a Proust, tout de même…
–
En principe, sauf imprévu que nul ne souhaite, demain devrait être
exactement semblable à aujourd'hui ; je le dis pour me disculper par
avance, si jamais j'omettais de venir dans ce journal…
Mardi 8 avril
Huit heures. –
Compte à rebours pénible. Aujourd'hui était l'avant-dernière journée
“complète” de Swann. Après-demain soir, à cette heure, il sera mort. Ce
n'est sans doute pas étranger au fait que nous ayons pris un verre ce
soir, et que Catherine n'ait parlé à peu près que de lui, qui était au
même moment couché à ses pieds, comme d'habitude. Il est vrai que Swann a
toujours été “son” chien, comme Balbec était le mien, et qu'il a tout
de même partagé treize ans de notre vie commune. Depuis aujourd'hui,
Catherine ne cesse de bourrer ce vieux chien de friandises diverses,
sous prétexte que… On tente minablement de supporter ce qu'on a décidé
de faire, et que l'on va faire en effet. Je serais surpris qu'on ne
reprenne pas un verre demain, pour la “dernière soirée”.
– Le billet
que j'ai publié aujourd'hui n'a eu, comme je m'y attendais, aucun
commentaire ou presque. C'est bien normal : on ne peut rien ajouter à
ce genre de petit texte, je crois. Seul Nicolas s'y est risqué et, comme
d'habitude, il a trouvé le ton juste. Je sais ce que pensent la plupart
de mes lecteurs réguliers de Nicolas : c'est à peu près aussi louangeur
que ce que pensent les siens de moi, quoique très différent. Les
“abonnés” de Nicolas m'accordent généralement, du bout des lèvres, une certaine intelligence, une certaine
culture (dont les plus stupides se plaignent de façon comique, dans ce
style : quel malheur qu'un type aussi répugnant ait lu des écrivains et,
en plus, ait l'air de les avoir compris !), ce qui fait de moi une
larve rampante d'autant plus dangereuse qu'elle peut être séduisante.
Du
côté de mes réacs, il est admis que Nicolas est le dernier des abrutis,
une brute socialiste, une carpette du pouvoir, un tas de viande sans
cerveau, un tonneau de bière percé, etc. Il faudrait bien que je leur
dise, un de ces jours, qu'il est l'un des êtres les plus fins et les
plus subtils que j'ai rencontrés durant ces dix dernières années ; mais,
évidemment, comme les lecteurs de blog de Nicolas quand il est question
de moi, ils penseraient que je “fais de la provocation”. Or, non.
D'abord, je ne fais à peu près jamais de “provocation”, simplement parce
que provoquer quelqu'un implique qu'on le considère comme son égal –
c'est le principe du duel. Ensuite, dès ma première rencontre avec ce
garçon, en 2008, je crois, et alors que ce premier contact fut assez
bref, j'ai su que j'étais tombé sur un homme méritant d'être connu ;
d'être connu mieux. Il me semble qu'il est arrivé aux mêmes conclusions
en ce qui me concerne, et, depuis, nous nous amusons des cris d'orfraie
des uns et des autres.
– Catherine, sur ma demande, m'a
ouvert un nouveau livre “Blurb” afin que j'y déverse mon journal 2013.
Je ne sais si M. Blurb a amélioré son logiciel ou quoi, mais en une
heure et demie j'ai fourré là-dedans quatre mois de journal, sans que le
moindre problème pénible ne se pose. À un moment, j'ai trouvé le titre
de ce volume futur : Les Cérémonies hospitalières. Plus j'y
pensais et plus je le trouvais bon. Me méfiant de moi-même, j'ai demandé
à Desgranges ce qu'il en pensait, et il vient de me répondre qu'il le
trouvait excellent. Je n'étais pas certain du tout de vouloir faire ce
volume, j'étais même tout au bord d'y renoncer. Mais Catherine m'a dit
qu'elle ne relirait jamais mon journal sur écran, et que, de plus, ma
mère nous avait dit aimer ces volumes que je lui donne. Donc…
Mercredi 9 avril
Sept heures et demie. –
“Veillée d'armes” assez triste et amère. Dernier repas de Swann,
dernière soirée avec lui, dernier ceci, dernier cela… Bien entendu, pour
lui, rien n'est changé : il est dans son panier, au pied du canapé, il
réclame de façon sonore les caresses que Catherine lui prodigue plus
volontiers à mesure que monte sa mauvaise conscience, et la mienne.
Demain, nous allons tuer ce chien qui a partagé treize ans de notre vie.
Je me refuse farouchement à dire que nous allons le “faire piquer” ou
“euthanasier” : nous allons bel et bien le tuer, à cinq heures et demie
de l'après-midi. On essaie de ruser avec cette réalité massive. On se
dit – et c'est vrai – que, de toute façon, on serait venu au même point
dans deux semaines, ou un mois, ou trois. Mais ça ne marche qu'à moitié.
Catherine, ce matin, me disait qu'on pourrait peut-être reculer d'une
semaine…
Mais non, pourquoi ? Cette période, depuis
samedi que la décision a été prise, n'est en rien pénible pour Swann :
elle l'est pour nous. Reculer l'issue d'une semaine (puis d'une autre,
et d'encore une…) ne servirait qu'à prolonger cette culpabilité que l'on
sait assez stupide mais qui nous fouaille jusques aux moelles. Si notre
vie commune doit se terminer, pourquoi pas demain ? Ou hier ? Hier
aurait été bien mieux : nous serions déjà dans l'après-Swann depuis
vingt-quatre heures. Mais je suppose que nous devons en passer par ces
quelques jours de purgatoire, que c'est le prix à payer pour ce pouvoir
de tuer un chien qui se pense encore éternel (c'est une façon de
parler), qui a connu Balbec, et qui va donc le rejoindre, si jamais il
existe un paradis des chiens.
Ce que je viens d'écrire
est stupide : il ne peut pas y avoir de “paradis des chiens”,
c'est-à-dire un endroit où ils seraient seuls, séparés de nous, leurs
maîtres terriens. Il ne peut y avoir qu'un seul paradis : les chiens y
sont, ou ils n'y sont pas. S'ils n'y sont pas, je suis désolé de le dire
à mes amis catholiques, mais je n'irai pas non plus, en tout cas ne
ferai rien pour : qu'est-ce que je foutrais d'une éternité sans Balbec,
sans Elstir, sans Swann ?
Et pendant que j'écris,
Bergotte, la survivante de demain, ronge l'un des deux os que Catherine a
rapportés cet après-midi, cependant que Swann est retourné dans son
panier. Et comme, évidemment, tout “fait signe”, le fait de la voir
seule au jardin, rongeant et grognant, m'incite à tasser un peu plus le
verre que je suis parti me resservir. – De tout cela Swann se fout, il
somnole, comme tous les autres soirs, à cette heure de l'encore jour.
Jeudi 10 avril
Sept heures et demie. –
Voilà, Swann est mort. Comme elle était en pleurs avant de partir, j'ai
proposé à Catherine d'y aller à sa place ; grâce à Dieu, elle m'a
répondu non, qu'elle voulait “être là”, ce à quoi, personnellement, je
ne tenais guère. Le docteur Le Thomas n'était pas trop en retard (quand
on vient faire tuer un chien qui vous suit de confiance, le plus pénible
c'est évidemment le retard du bourreau…). Comme Catherine était partie
en larmes, et que moi-même disant adieu au vieux chien dans le coffre de
la voiture je n'étais pas très éloigné de me répandre, je me suis
ensuite agité frénétiquement : j'ai descendu le panier de Swann au
sous-sol, changé l'orientation de mon fauteuil et de ma desserte en
profitant de l'espace libéré, etc. Ensuite, comme j'étais incapable de
rester assis, j'ai presque fini la bouteille de prune que Woland avait
déposée chez nous lors de son dernier passage (mais il en restait fort
peu). Puis, à six heures, Catherine est revenue seule, aussi en larmes
qu'elle était partie. Mais sans Swann. Treize ans de notre vie venaient
de se terminer.
(Là, je tourne la tête vers la gauche
et, par la fenêtre de cette Case, je vois Bergotte couchée au haut des
marches de la terrasse. Il serait facile de penser qu'elle va, dans les
jours à venir, porter le deuil de Swann. Mais non : les chiens ne
portent pas le deuil ; éventuellement, durant deux ou trois jours, ils
cherchent l'absent. Nous, en revanche, nous allons porter le deuil.)
Samedi 12 avril
Six heures. – Je viens à l'instant de mettre la dernière main aux Cérémonies hospitalières,
qui est donc le titre que j'ai choisi pour mon journal de 2013. Le
volume va faire 428 pages ; il n'est pas parfait, loin de là, mais pas
catastrophique non plus. D'après le tour d'horizon que je viens de
faire, en “mode aperçu”, les problèmes rencontrés, et partiellement non
résolus, viennent tous de l'interlignage que, malgré mes efforts, je ne
suis pas parvenu à maîtriser complètement. Si bien qu'il m'arrive de me
trouver avec une ligne “creuse” en début de page, voire une date en pied
de page. Heureusement, cela n'arrive pas trop souvent. De même, n'étant
pas capable de créer des espaces “insécables”, il arrive trop souvent
qu'un “l apostrophe” arrive en fin de ligne et que le mot qu'il
introduit parte au début de la ligne suivante. D'un autre côté, comme à
part Catherine, ma mère et moi, à peu près personne n'ouvrira ce livre,
ce n'est guère gênant. Et puis, ne dramatisons pas : dans l'ensemble, le
volume a plutôt bonne allure, il me semble.
– Je viens
en ce journal plus tôt que d'habitude car Catherine est allée assister à
une messe dans le coin, mais, assez vicieusement, elle a choisi celle
de cinq heures et non de six et demie, afin de me priver de ma
coutumière excuse pour prendre l'apéritif en solitaire ; ce qui tombe
assez bien puisque, pour cause de mort de Swann, voilà au moins trois
soirs que nous le prenons de concert.
Lundi 14 avril
Sept heures vingt. –
Je ne sais si je subis le contrecoup de la mort de Swann, mais depuis
quelques jours, je n'ai pas goût à grand-chose et me sens d'humeur
plutôt morose. Signe qui ne trompe pas : je ne lis presque plus, tout
livre m'ennuie après quelques dizaines de pages ; en revanche, je passe
des heures à remplir des grilles de mots croisés…
– Hier soir, ayant décidé de revoir le film de Coppola, Le Parrain 2,
Catherine et moi nous sommes aperçus qu'en réalité nous ne l'avions
jamais vu ni l'un ni l'autre. Après ces trois heures et demie
d'excellent cinéma, j'ai commencé à revoir le troisième et ultime
volet… pour faire exactement la même constatation. Au total, j'ai passé
six heures parfaites. Et je me demande si la dernière partie de la
trilogie ne serait pas la meilleure des trois.
Mardi 15 avril
Sept heures et demie.
– C'est Nathalie qui, hier, m'a parlé de ces insistantes rumeurs de
déménagement du groupe Lagardère, au moins dans sa composante presse ;
rumeurs qui n'étaient pas encore parvenues jusqu'à moi. La première
chose qu'elle m'a dite m'a fait frémir d'horreur, puisque, jusqu'à une
date récente, il semblait être très fortement question de
Marne-la-Vallée. Marne-la-Vallée, bon sang de bois ! Aller travailler,
voire s'installer, dans une banlieue pourrie, où les petits blancs et
les “divers” se regardent en chiens de faïence, tout en étant cernés par
les mickeys géants de Disneyland ! Tout de suite, je me suis dit qu'il
ne saurais être question pour moi d'aller vivre dans ce cloaque, dans ce
monde d'après l'homme. Et comme il ne saurait non plus être question de
faire chaque jour le trajet entre le dit cloaque et notre actuelle
maison, je me voyais déjà devoir démissionner à 58 ans passés…
Heureusement,
après cette nouvelle de cauchemar en est arrivée une meilleure.
Toujours suivant Nathalie, depuis la réélection de Balkany, le départ de
Levallois serait de moins en moins assuré, le maire tenant par-dessus
tout à garder Lagardère “sur ses terres” (ce sont les termes de
Nathalie). Aux dernières nouvelles, ou plutôt : aux dernières rumeurs,
nous nous contenterions de déménager dans la partie de Levallois proche
du boulevard périphérique, ce qui, pour moi, ne changerait à peu près
rien.
Ensuite, en en parlant avec Catherine, nous nous sommes aperçus que si le cauchemar de Marne-la-Vallée (le cauchemarne)
reprenait de la vigueur, il nous suffirait de renverser totalement
notre position par rapport à mon lieu de travail, c'est-à-dire d'acheter
(ou de louer) une maison à 70 ou 80 km au-delà de Marne-la-Vallée, ce
qui nous emmènerait aux alentours de Château-Thierry, qui, outre qu'elle
est la patrie de La Fontaine, présente encore l'avantage de ressembler à
une ville française, du moins le crois-je ; et l'on peut supposer que
les villages alentour ne doivent pas trop différer d'où nous sommes
actuellement. Il reste que cela ferait beaucoup de dérangement pour
rien.
Jeudi 17 avril
Sept heures dix. –Bien
que le risque en semble peu présent, cette hypothèse de déménagement de
Lagardère à Marne-la-Vallée continue de me préoccuper quelque peu. J'ai
passé une heure, cet après-midi, à me renseigner un peu sur la ville de
Château-Thierry et à errer sur les sites d'agences immobilières pour y
voir les prix des maisons. Ils sont effectivement abordables, mais la
difficulté principale consisterait d'abord à vendre la nôtre. Il faut
ajouter à cela que ni Catherine ni moi n'avons le moindre désir de nous
exiler dans l'Aisne ; et moi, pas du tout celui de travailler près de
chez Mickey. Wait, mon gars, wait…
Samedi 19 avril
Sept heures et quart.
– C'est fou ce que j'ai envie de venir dans ce journal, depuis quelque
temps. C'est bien : le mois d'avril sera vite lu et n'encombrera pas les
mémoires. Du reste, je n'ai pas envie de grand-chose, et ne serais pas
capable de dire à quoi cela peut tenir. Je ne lis pratiquement rien
(aujourd'hui, trois ou quatre articles du dernier numéro du Débat,
hier cinq pages de Ferdinand Bac et dix de Maxime Gorki…), les blogs
m'ennuient, le mien compris, je passe mes journées à graphiter des pages
de mots croisés, et mes soirées devant la télévision (mais, ça, ce
serait plutôt habituel). Dans ce contexte, il devient inutile, je pense,
de préciser que les trois feuillets que j'avais prévu d'écrire
aujourd'hui (une histoire de Chinois qui se déguisent en pandas pour en
relâcher des vrais dans la nature : on vit une époque étonnante) ne
l'ont nullement été. Je m'en débarrasserai demain, pendant que Catherine
et Rémi, qui sera notre hôte à déjeuner, assisteront à la messe de
Pâques.
– En espérant que cela me rendrait goût à la
lecture, j'ai commandé hier le livre que Marc Fumaroli a consacré à La
Fontaine (j'ai déjà oublié son titre) : ce sont évidemment mes
élucubrations castrothéodoriciennes de ces derniers jours qui m'ont
conduit là.
Dimanche 20 avril
Cinq heures vingt. –
Il a fallu au moins deux heures à Rémi pour nous dire qu'il était
désormais un auteur des Belles Lettres. Nouvelle qui m'a comblé de joie.
Il a eu l'air surpris que Desgranges ne m'en ait rien dit, ce que je
trouve, moi, tout à fait normal.
Lundi 21 avril
Cinq heures du matin. –
Depuis bientôt six ans que je tiens vaille que vaille ce journal, c'est
la première fois que j'y fais mon entrée à une heure pareille. La
raison en est que, hier, après avoir écrit les trois lignes ci-dessus,
j'ai fermé l'ordinateur, me rendant bien compte que le riesling absorbé
au cours de notre déjeuner pascal (et encore après…) contrecarrait
légèrement mon besoin d'expression écrite. J'ai eu ensuite la mauvaise
idée d'un petit billet stupidement polémique, que j'ai supprimé en me
levant, tout à l'heure. Bref, à six heures, après avoir nourri Bergotte,
comme il est de mon devoir, je me suis retrouvé à la maison,
demi-saoul, n'ayant aucune envie de lire ni de rien d'autre, j'ai bien
vu le danger se profiler, qui était de replonger directement dans la
bouteille de Ricard, laquelle, cette rouée, n'attendait que cela de ma
part. J'ai alors pris la lâche résolution de m'en aller coucher. À six
heures cinq j'étais au lit, à six heures sept je dormais. On ne
s'étonnera donc pas de ce que, réveillé vers trois heures et demie, je
me sois trouvé dans l'impossibilité de me rendormir, me sentant du reste
en pleine forme et sans aucune trace de mes petits excès de la veille. À
quatre heures j'étais donc sur le pont, au grand étonnement de
Bergotte, qui a tout de même réclamé son biscuit du matin, mais sans
grande conviction. Depuis, je savoure le silence qui règne dans la
maison, et tout autour d'elle. On devrait toujours se lever à quatre
heures du matin, finalement.
Sept heures et demie.
– C'est curieux, je crois bien que c'est la première fois que mes amis
les blogueurs de gauche n'y vont pas de leur petite pleurnicherie, à
propos de ce 21 avril de-sinistre-mémoire, celui qui vit l'ex-troskyste
Jospin se prendre une grande beigne dans les dents. J'espère que leur
conscience citoyenne et antifasciste n'est pas en train de s'émousser,
ce serait par trop horrible : qu'adviendrait-il de nous, privés de ces
impeccables et vigilants garde-fous ?
– Passé la journée à lire, mais fort paresseusement, “en touriste”, pour ainsi dire. Une centaine de page de l'Enfance
de Gorki, ce matin, livre que j'ai finalement abandonné, probablement
par défaut d'âme slave ; puis j'ai musardé à l'intérieur des Journaux parisiens
de Jünger, en sautant tous les passages qui m'ennuyaient, et il y en a
finalement beaucoup ; je l'ai abandonné un moment pour Gautier dont j'ai
lu deux récits fantastiques qui ne m'ont pas emballés plus que ça, et
enfin un Conte cruel de Villiers de L'Isle-Adam, qui m'a laissé
tout aussi amorphe. Bref, j'ai l'impression que mon goût pour la lecture
n'est pas encore de retour. On verra ce que ça donne le week-end
prochain (soit à partir de jeudi…).
Mardi 22 avril
Huit heures et demie. – Arrivée massive de livres aujourd'hui. D'abord les quatre volumes “Blurb” de mon journal 2013, Les Cérémonies hospitalières,
qui, de l'extérieur, a assez belle allure (mais moins de l'intérieur,
hélas), et puis le livre de Fumaroli consacré à La Fontaine. Au volume
est jointe, comme d'habitude, une feuille récapitulative. Sauf que, là,
l'expéditeur y a ajouté un commentaire écrit à la main, pour me dire que
cet exemplaire avait appartenu à la veuve de Darius Milhaud. J'avoue
que mon premier réflexe a été de ne pas croire à cela. Et puis, je me
suis dit, évidemment, que ce vendeur n'avait aucun intérêt à augmenter après paiement
la valeur du livre qu'il me cédait ; et que, surtout, s'il y avait un
intérêt qui m'échappe, il ne convoquerait pas un Milhaud, qu'à peu près
personne ne connaît, dans les temps qui sont les nôtres. Donc, ce doit
être vrai. Et alors, m'étant fait les réflexions qui précèdent, je me
suis surpris à manier ce volume avec une délicatesse, une componction
qu'il ne méritait pas forcément.
– Je me suis mis à
penser, tous à l'heure, qu'avec les cinq volumes auto-édités de mon
journal, il y aurait peut-être moyen de produire un livre intéressant,
une sorte de best of. Juste après – je jure que c'est vrai –, j'ai éclaté de rire à cette prétention.
Mercredi 23 avril
Huit heures. –
Notre nouvelle femme de ménage est venue aujourd'hui en compagnie de
son très jeune chien, une espèce de petit terrier répondant au nom
d'Igor. Ce fut un plein succès : Bergotte fut immédiatement tirée de sa
“torpeur de deuil” et n'a plus arrêté de jouer, durant trois heures,
avec ce nouveau compagnon. L'expérience sera donc renouvelée tous les
mercredis.
– Quant à moi, j'ai lu une centaine de pages du Poète et le roi, de Marc Fumaroli, sous-titré La Fontaine en son siècle.
C'est bien de cela qu'il s'agit en effet, et non d'une simple
biographie. Fumaroli se montre éblouissant de culture et de
compréhension de ce siècle indépassable que fut le XVIIe, et montre fort
bien ce qui pouvait se jouer entre le Parnasse (les écrivains) et
l'Olympe (Louis XIV), les rapports tendus et compliqués qui se sont
instaurés entre ces deux pôles, au moment charnière que constitue la
disgrâce de Fouquet (que Fumaroli orthographie Foucquet) et la montée en
puissance de Colbert. Passionnant. Et, bien entendu, corollaire quasi
obligatoire, l'envie grandissante de s'offrir les œuvres complètes de La
Fontaine, si possible en Pléiade. Je devrais d'ailleurs profiter de ce
moment propice et les commander dès ce soir : ayant reçu tout à l'heure
son nouveau MacBook (mille euros tout de même…), Catherine sera bien obligée d'avaliser de bonne grâce ma propre dépense…
Jeudi 24 avril
Sept heures et demie. – Journée à la fois productive et studieuse, ce qui, somme toutes, devient assez rare pour être noté. J'ai écrit ce matin (assez tard ce matin, tout de même…) six mille signes à propos d'un livre sortant la semaine prochaine et concernant Marie-France Pisier. En début d'après-midi, craignant qu'il ne se mette à pleuvoir, comme nous l'avait promis Météo France, j'ai tondu le jardin, cependant que Catherine était partie se faire charcuter une dent à Pacy. Il n'a évidemment pas plu, mais enfin, c'était fait. Là-dessus, tout content de moi, j'ai écrit le deuxième des trois articles que je dois à FD, si bien qu'il ne me reste qu'environ quatre mille signes à écrire demain matin. Ensuite, j'ai pu consacrer tout le reste de mon temps au remarquable livre de Fumaroli ; Fumaroli dont j'ai ressorti de son rayonnage celui qu'il a consacré à Chateaubriand, acheté et lu à sa sortie, en 2003 donc, mais auquel j'ai envie de revenir. À moins que, d'ici que j'en sois arrivé à lui, ne survienne le Tristan L'Hermite que j'ai également commandé hier.
– Du côté des blogs, tout
était plutôt calme. Deux ou trois d'entre eux ont bien tenté d'ameuter
les foules à propos de cet article paru dans Le Progrès de Lyon, et qui est une sorte de who's who
de la délinquance rhodanienne, établi d'après des documents de police.
On y apprend qui s'occupe de quoi en matière de malfaisances : les Roms
plutôt ceci, les divers des cités plutôt cela, etc. Mais j'ai eu
l'impression que le cœur n'y était pas, que ces pauvres garçons en
étaient désormais au stade de l'indignation réflexe ; même le
pseudonommé Bembelly, pourtant fort chatouilleux de la négritude
d'ordinaire, m'a semblé très en dessous de lui-même sur ce coup. Sur le fond
(si je puis dire…), c'est évidemment toujours la même chose : ce qui
est odieux, pour ces jeunes gens, ce n'est pas que les mafias,
étrangères pour la plupart, se livrent à toutes sortes de crapuleries,
généralement impunies, mais bien le fait de l'écrire. En un sens, ils
sont d'ailleurs assez logiques avec eux-mêmes : quand on a décidé, une
fois pour toutes, de ne pas voir la réalité, et même de nier son
existence au mépris de toute vraisemblance, il doit être en effet odieux
de se la voir rappeler.
Samedi 26 avril
Sept heures vingt.
– On pourrait parfois se demander, nous autres les membres de plein
droit du réactionnariat international, si, au cœur de notre incessante
déploration du monde tel qu'il s'écroule, de la civilisation comme elle
se désagrège, et ainsi de suite, ne viendrait pas se lover discrètement,
au contraire de la pose que nous prenons, le désir plus ou moins bien
camouflé de voir réellement ce monde s'abîmer en effet, l'envie pas
toujours bien contrôlée que disparaissent pour de bon les anciens
parapets et, ainsi, de contempler avec une certaine satisfaction nos
survivants allant s'écraser au pied des falaises. En une phrase : ne
feignons-nous pas de nous alarmer d'une chose qu'en réalité nous
appelons de nos vœux ? Ce serait humain, d'ailleurs : quel extrême
vieillard n'accueillerait avec des tressaillements de joie et de
gratitude l'annonce de la météore qui s'apprête à pulvériser la Terre,
ou, au moins, à en éradiquer toute vie consciente ? Au moment de lâcher
son dernier râle, la mort des autres, mieux : leur disparition générale,
à la suite de la sienne, serait son dernier rêve vraiment doux.
–
Malgré l'arrivée de La Fontaine en Pléiade et de Tristan L'Hermite en
poche, j'ai continué ma journée avec Fumaroli, passant du précédent
volume, terminé hier soir, à celui consacré à Chateaubriand. Je me suis
tout de même, peu avant le repas de Bergotte, interrompu un moment pour
parcourir le premier livre des fables…
– En ce moment même : orage et soleil mêlés.
Dimanche 27 avril
Sept heures et demie. – Passé la journée en compagnie de Chateaubriand ; indirectement d'abord, par le livre de Fumaroli (Poésie et Terreur), puis directement en reprenant les Mémoires d'outre-tombe
où je les avais laissés, soit au début de la quatrième partie, qui
correspond en gros aux Trois Glorieuses (lesquelles ne le sont guère,
glorieuses, lorsqu'elles sont vues par Chateaubriand, justement). J'ai
aussi vaguement discutaillé sur tel blog ou tel autre, mais ça,
vraiment, ça ne mérite aucun développement.
Lundi 28 avril
Sept heures dix. – Depuis que je remplis régulièrement des grilles de mots croisés, je me dis que j'aurais certainement fait un excellent verbicruciste,
si c'est bien ainsi que l'on nomme la personne qui conçoit les grilles.
Deux fois sur trois, en effet, pour un mot donné, je trouve une bien
meilleure définition – plus drôle, plus piquante, plus “à double fond” –
que celle qui est proposée à ma mince sagacité. Évidemment, il aurait
encore fallu que j'apprisse à bâtir des grilles, chose dont je n'ai pas
la plus petite idée ; mais je suppose que ce ne doit pas être bien
compliqué. Et puis, j'ai toujours pensé que les professionnels, au bout
de quelques années, devaient se contenter de recycler leurs grilles
anciennes, car je crois qu'il est impossible, même à un cruciverbiste
doué d'une mémoire hors du commun, de reconnaître celle qu'il a pu
remplir un an ou deux plus tôt. Les définitions, oui, sans doute ; mais
l'agencement des mots entre eux, certainement pas.
Voilà
comment, par négligence et manque d'initiative, on passe à côté d'une
grande carrière ; même si je soupçonne celle-ci d'être assez peu
lucrative.
– Je suis arrivé à FD à onze heures ce
matin, j'ai écrit les six mille signes qu'on me demandait, j'ai déjeuné
en parcourant les blogs, et, à deux heures, j'étais de nouveau dans ma
voiture, sur le chemin du retour. Je fais vraiment un métier de fainéant
; et ne réclamant aucun talent particulier, qui plus est. Il n'empêche
que j'aurais tout de même préféré rester chez moi. Mais je soupçonne que
si nous habitions… disons : à Bois-Colombes, comme ce fut le cas dans
les années quatre-vingt-dix, c'est-à-dire à dix minutes de Levallois, je
m'apercevrais à peine que je travaille.
Mardi 29 avril
Huit heures et demie. –
Il y a une minute, quittant la maison pour venir ici, recevant à la
fois le bruit de la pluie et les derniers chants des oiseaux du soir,
j'ai eu, pendant deux ou trois secondes, mais de manière très dense
(dense n'est pas le bon mot), l'impression d'être revenu à Assay, en
cette maison des bords de Loire où nous avons vécu de 1992 à 1996 et
dont, d'une certaine manière, je conserve la nostalgie. C'est la
première fois que pareille chose m'arrive, cela s'est dissipé tout de
suite, évidemment, mais durant ces quelques secondes, ce fut à la fois
extrêmement violent, réaliste, et tout à fait volatile.
Il est vrai que cette maison d'Assay (notre première
maison, ce n'est sans doute pas un hasard) n'a jamais cessé, depuis que
nous l'avons quittée, pour des raisons stupides, au fond, n'a jamais
cessé de me tirer en arrière, de m'attrister de sa perte. Pourtant, je
me souviens fort bien que, somme toute, nous nous ennuyions plutôt,
là-bas ; et c'est sûrement pourquoi nous en sommes partis. Mais, dès que
nous avons quitté ce coin de val de Loire, j'ai commencé à le
regretter, comme on regrette généralement une enfance perdue. Et je vois
bien que je magnifie sottement ces quatre années, qui furent bien moins
précieuses que ce que je veux faire d'elles. Néanmoins, j'ai beau le
savoir, leur éclat ne se ternit pas, et j'en garde le souvenir d'une
sorte de farandole joyeuse qu'elles n'ont pas été ; comme si, à un
moment, sans savoir très bien pourquoi ni comment, j'avais attaché cette
maison à notre dernière jeunesse.
Mercredi 30 avril
Deux heures. –
Pour cause d'envahissement de la femme de ménage, Catherine et moi
sommes de nouveau relégués ici, dans la Case. Pendant ce temps, Bergotte
joue avec Igor, le très jeune chien de la dite femme de ménage. Pour
des histoire de premier mai, de congé des imprimeries, etc., ce mercredi
est comme un jeudi ordinaire, si bien que je me suis trouvé dispensé
d'aller à Levallois. Comme pour se venger de cette facilité qu'ils
m'accordaient, mes bien-aimés chefs m'ont envoyé par mail deux
articles à écrire au lieu d'un. Le premier, fort court, a été fait et
expédié à peine la documentation reçue ; le second, nettement plus long,
le sera demain : pour l'instant, je suis censé accompagner Catherine à
la jardinerie de Pacy, afin de me coltiner les sacs de terreau dont elle
a besoin pour son jardin tout neuf. Les corvées s'enchaînent sans se
ressembler, donc.
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