LE CHANGEMENT EST DERRIÈRE NOUS
Mardi 1er mai
Dix heures du matin.
– Je ne sais si c'est l'effet du manque de tabac, mais voilà deux jours
que je boude ce journal. Inversement, le fait que nous ayons replongé
hier soir est-il la cause de mon retour matinal vers lui ? Allez savoir…
Ce qui est sûr c'est que j'y viens à une heure aussi inhabituelle
simplement parce que, pour cause d'aspirateur, Catherine m'a proprement
viré de la maison. Et comme cela ne me disait rien de m'allonger sur la
terrasse avec les trois chiens (eux aussi virés), je suis venu me
réfugier dans la Case. Et tant qu'à y être…
– À propos
de chiens, Elstir a le rhume depuis avant-hier. Il éprouve de pénibles
difficultés à respirer – pénibles pour lui sans doute, mais aussi pour
les humains qui doivent supporter les bruits de vieille chaudière que sa
gorge produit sans arrêt –, et son nez coule pratiquement en continu.
En principe le rhume est assez rare chez les chiens et touche surtout
les vieux. Mais, évidemment, dès qu'une maladie passe, il faut qu'Elstir
l'attrape.
– Hier soir, l'infirmière a téléphoné à
plus de huit heures pour m'informer qu'elle serait ici dans une
demi-heure. Comme nous avions pris l'apéritif, je ne me sentais
nullement d'humeur ni de patience à supporter son bavardage et je me
suis inventé une obligation de sortie professionnelle afin de la
dissuader de venir, en lui disant que mon pansement tiendrait bien
jusqu'à demain – c'est-à-dire jusqu'à aujourd'hui.
– Il
fait beau. J'espère que ce temps va se maintenir au moins jusqu'à
demain, afin que je puisse passer la tondeuse (aujourd'hui, c'est
interdit), car le jardin commence à se savaniser de manière inquiétante.
Mercredi 2 mai
Huit heures moins le quart. –
Dans moins d'une heure, donc, le grand débat rituel de l'entre-deux
tours. Je ne sais pas encore si on va le regarder (il y a deux films
possibles sur d'autres chaînes…). De toute façon, presque par essence,
par la nature même de l'exercice, il ne peut strictement rien en
sortir. Et puis, même si je vais aller voter pour Sarkozy dans trois
jours (non, quatre !), je commence à me ficher à peu près complètement
du résultat. J'aimerais bien que Sarkozy l'emporte au moins parce que
tout le monde prédit sa défaite. Et aussi pour voir mes petits camarades
socialistes ou apparentés tenter de renfoncer les bouchons dans le
goulot des bouteilles de champagne.
– Je suis reparti
de FD peu avant deux heures avec, sous le bras, pas moins de trois
livres consacrés à Romy Schneider, dont ce sera le trentième
anniversaire de la mort le 29 de ce mois. J'ai réussi à les lire (le
verbe est très exagéré, en l'occurrence) tous les trois avant l'heure du
dîner. Très peu de choses à en tirer, évidemment, en tout cas rien du
tout de neuf, de pas-encore-su. Il va pourtant bien falloir que j'arrive
à en extraire six ou sept mille signes qui devront avoir l'air neuf…
–
Arrivé à la maison sur les coups de trois heures, je me suis précipité
sur la tondeuse, sous un ciel singulièrement menaçant. Et j'ai bien fait
de ne pas surseoir : à peine avais-je terminé que la pluie se mettait à
tomber, et n'a plus cessé depuis.
(À l'instant, coup
de téléphone de l'infirmière pour m'annoncer sa venue d'ici une
demi-heure. Comme, chez elle, la demi-heure vaut trois quarts d'heure,
cela veut dire qu'elle va me faire manquer le début du débat (dont tu
viens, je te signale, de dire que tu n'en avais rien à faire : il
faudrait un peu savoir…).)
– J'ai oublié, hier, de
noter que j'avais téléphoné à André et Béa pour leur demander si l'idée
de nous avoir chez eux durant le week-end du 19 mai ne les déprimait pas
trop : apparemment non, nous serons donc brièvement alsaciens à cette
période-là. Et Petros sera du voyage, ce qui nous ramènera tous les deux
au début des années 80, pour une équipée du même genre que nous fîmes,
dans ma voiture toute neuve de l'époque, en compagnie de Bernalin. En y
réfléchissant, ce devait être en 1979 ou en 1980, puisque après cette
date j'ai revendu cette voiture à mes parents.
Jeudi 3 mai
Huit heures moins vingt. –
Comme prévu, la blogosphère de gauche se pâme devant ce qu'il y a eu de
plus ridicule dans la prestation de Hollande hier soir (le “Moi,
président de la République”, qui aurait fait rougir de honte n'importe
quelle première année de conservatoire d'art dramatique provincial).
Cela dit, ils ont raison de se réjouir, puisque leur candidat a passé, à
mon sens, l'épreuve – si c'est bien une épreuve significative – haut la
main. La preuve : toutes les hyènes centristes se rallient, de Douste à
Bayrou, en passant par d'autres d'encore plus d'inimportance.
Bref, sauf miracle, Hollande sera le prochain président de la
République. Quand je dis “sauf miracle”, ce n'est pas que je considère
que la réélection de Sarkozy en serait un, de miracle. Le miracle serait
simplement que Hollande soit battu alors que tout le monde, et mes
chers confrères folliculaires en tête, veut absolument le voir déjà
vainqueur avant même qu'élection soit faite.
Cela
étant, voir Sarkozy battu ne me fera aucune peine. Notamment pour s'être
livré, en début de mandat à cette mascarade grotesque de “l'ouverture”
(Kouchner, pitoyable ; Besson, à vomir ; etc.) et à ces nominations
“showbiz” (Rama Yade, Fadela Machin, Rachida Dati), faites au détriment
de vraies personnalités de la droite qui, aujourd'hui, et on les
comprend, ne se bousculent pas pour soutenir leur candidat naturel.
L'atmosphère “fin de règne” est aussi perceptible – peut-être même plus –
qu'à l'époque de Giscard (du Giscard de 1981), on sent bien que tout ce
petit monde a déjà le nez dans les cartons et la tête aux
reclassements.
Heureusement, à partir du 7 mai, on va pouvoir commencer à rire un peu.
Vendredi 4 mai
Huit heures. –
Fichtre ! Je ne m'étais pas rendu compte que nous avions, ce soir, dîné
à ce point en retard ! Si même les vieux couples dans notre genre se
mettent à devenir risque-tout, où va-t-on ? Je sais bien que “le
changement c'est maintenant”, mais tout de même : changement à la
rigueur, politique de la table rase non merci !
– Alors
que tout le monde s'apprête à vivre un (second) long week-end, je me
prépare, moi, à l'un des plus petits de ma carrière puisque je suis
requis lundi et mardi à FD – en pige, bien entendu. Cela étant, comme je
n'ai pas bougé d'ici aujourd'hui et pas écrit une ligne non plus, ça
compense. Non, d'ailleurs, ça ne compense rien du tout, puisque le
travail qui n'a pas été accompli aujourd'hui (et pas de mon fait : je
n'ai eu le feu vert directorial que vers quatre heures cet après-midi)
devra l'être demain ou dimanche. Ce sera sans doute pour demain matin.
–
Ce soir, dernière visite de l'infirmière, alors qu'elle était censée
venir encore trois ou quatre jours avant de passer le relais à
Catherine, pour mon changement de pansement. Comme j'en avais assez de
cette contrainte, mais ne voyant pas comment lui annoncer la chose, je
nous ai inventé un voyage de quatre jours en Alsace à compter de demain –
mensonge par simple anticipation puisqu'en Alsace nous irons bien, mais
seulement aux alentours du 20.
– Reçu par la poste un roman de Châteaubriant (Alphonse de), La Brière,
dans son édition Grasset originale de 1923, écrivain dont je n'ai
jamais lu une ligne, pour des raisons évidentes : personne ne se
risquerait à rééditer un collabo nauséabond, et encore moins aujourd'hui
qu'hier. Cela dit, il est possible aussi qu'on ne le réédite pas
simplement parce que ses écrits n'en valent pas la peine ; on verra à la
lecture.
– Relisant machinalement le troisième
paragraphe de cette entrée, je tombe sur le mot “relai”, ainsi
orthographié par moi cinq minutes auparavant. Il fait partie, ce mot, de
ceux que je ne saurai jamais écrire. Et, cette fois encore, soupçonnant
qu'il mériterait bien un “s” final, il a tout de même fallu que je me
reporte au dictionnaire pour en être sûr. Et je sais déjà que, la
prochaine fois qu'il me viendra sous les doigts, je devrai une fois de
plus aller vérifier son orthographe, à ce foutu relais. Dans le même
genre, il a y aussi “catéchisme”, que j'ai longtemps eu la manie
d'écrire cathéchisme, sans doute à cause de la parenté
spirituelle qu'il entretient avec la cathédrale. Sans parler de
“métempsycose” que, tout récemment, dans un billet, j'ai de nouveau
écrit métempsychose. Encore, là, s'agit-il d'un mot relativement piégeux. Mais j'ai très longtemps buté sur d'abord (ou dabord ?) et encore plus sur davantage (ou d'avantage
?) Et je préfère ne rien dire de cette saloperie vicieuse d'accent
circonflexe, dont je ne suis jamais tout à fait certain de le placer ou
de l'omettre à bon escient. Encore plus étrange – on doit être là aux
frontières de la dyslexie orthographique, je suppose –, durant un mois
ou un mois et demi, en classe de quatrième, je me suis mis à écrire mon
nom (notamment sur mes copies de lycéen) : Goux Dididier. Ce
bégaiement écrit est apparu du jour au lendemain et, après s'être montré
quasi systématique durant le temps que je viens de dire, a disparu tout
aussi soudainement. Parfois je me demande si j'étais réellement fait
pour devenir journaliste et écrivain en bâtiment.
Samedi 5 mai
Sept heures et demie. –
Comme de juste, partant du principe que je dispose encore de toute la
journée de demain, je n'ai pas écrit le premier des 7500 signes que je
dois rendre d'ici lundi matin à FD, à partir de la mince autobiographie
qu'a publiée Éric Charden juste avant de mourir (le livre est même sorti
deux ou trois jours après, je crois bien). Une fois de plus, je le dis :
cette attitude procrastineuse est totalement stupide, dans la
mesure où elle me contraint à continuer de penser à ce travail, alors
que, fait, je l'aurais déjà oublié.
– Lu cet après-midi
le dernier volume des églogues de Renaud Camus (dont je continue à
trouver un peu saumâtre que 650 des 770 pages soient occupées par
l'index…). Comme pour L'Amour l'Automne il y a deux ou trois
ans, je prends beaucoup de plaisir à me noyer dans ces textes, et
d'autant plus que je ne m'y noie pas totalement : des chemins se
laissent deviner, des pistes embroussaillées apparaissent, un fanal
par-ci, par-là, des flèches que l'on repère… 90% au moins des liens,
correspondances, échos, etc. m'échappent manifestement, mais je m'amuse
beaucoup avec les autres 10%. Néanmoins, que l'auteur me pardonne, j'ai
toujours un certain mal à considérer ces livres comme une œuvre littéraire.
Et même, disons-le, comme une œuvre tout court. Pourtant, cette lecture
m'a donné grande envie de reprendre d'autres livres de Camus, ce qui
n'est déjà pas si mal. Et puis, on considérera que, les églogues étant
une montagne manifestement trop haute pour mes petits muscles, mon avis
sur elles doit avoir à peu près autant de valeur que celui de mon voisin
sur les œuvres de Picasso ou de Twonbly.
– Catherine
fut, de son propre aveu ce soir, d'humeur morne une grande partie de la
journée. Elle n'a pas indiqué pourquoi, peut-être ne le sait-elle pas
précisément elle-même. Ou bien elle préfère garder cela pour elle.
–
Plutôt que de travailler à mon article pour FD, j'ai préféré relire les
mois d'octobre et novembre de mon journal 2011, dans le livre Blurb,
pour lequel il ne restera donc bientôt plus qu'à choisir les douze
photos ouvrant chacune un mois, ainsi que celle de couverture.
–
La campagne électorale s'est achevée hier soir à minuit, comme le veut
la loi. Du coup, depuis ce matin, une étrange et délicieuse impression
de vacances, et même de vacances imméritées. Mais, évidemment, le
fracas va reprendre dès lundi. Quoi qu'il en soit, effet de l'arrêt de
cette campagne ou non, j'en suis arrivé à me moquer à peu près
complètement du résultat. De toute façon, il apparaît de plus en plus
clairement que notre monde est entré en agonie, et que ce n'est pas X ou
Y qui pourront, ni même voudront, y changer quoi que ce soit. Il me
semble bien que les choses sont désormais irréversibles : on ne sauve
pas un malade qui tient à ce point à mourir.
Dimanche 6 mai
Sept heures vingt. –
Petit tour rapide dans ce journal avant retour devant la télévision,
afin de ne pas manquer la grand-messe électorale. Aujourd'hui, plus les
heures passaient et moins je me souciais de ce “grand rendez-vous
républicain”. Au point que, tout à l'heure, au moment de nous mettre à
table, il a fallu que je fasse un léger effort pour me souvenir
qu'il me faudrait quitter ce bureau un peu plus tôt que d'ordinaire. En
revanche, il n'est pas question que je m'inflige le bal des faux-culs
qui va démarrer sitôt l'annonce faite et le président connu.
–
J'ai finalement attendu cet après-midi pour écrire mes cinq feuillets
sur Éric Charden, et j'en ai d'ailleurs fait six. Cela m'a pris un peu
plus d'une heure et demie.
– Travers Coda m'ayant laissé sur ma faim (en raison de sa brièveté et non par défaut de qualité, bien au contraire), j'ai failli reprendre L'Amour l'Automne, mais ai finalement choisi de relire quelques pages du Journal de Travers. D'autre part, après hésitation, j'ai reproduit sur le forum de la SLRC le mini-billet que j'ai écrit ce matin à propos de Travers Coda. Et je me demande si j'ai bien fait. Enfin…
Lundi 7 mai
Neuf heures. –
Apéritif ce soir, donc je voulais noter deux ou trois truc vite fait
ici. Et voilà que je vais d'abord traîner un peu sur le forum de la
SLRC, persuadé qu'il n'y aurait rien à y lire. Or; justement, une
réponse de Renaud Camus à mon petit billet d'avant-hier. Du coup, j'ai
fait un longue réponse à la réponse.
– Pour le reste ? Pour le reste, rien.
Mardi 8 mai
Huit heures. –
Belle journée. Je veux dire, journée très productive et sans temps
mort, soit le contraire de ce qui se passait lorsque j'étais rewriter.
Je suis arrivé à FD à neuf heures moins le quart, rédaction déserte
bien entendu. Je tenais à écrire la majeure partie de mon article sur
François hollande avant que Brice n'arrive, et les décibels qui
généralement l'accompagnent. Article difficile à écrire, et frustrant,
parce que la matière excède de beaucoup ce que l'on a à rendre. À
l'arrivée (“au final”, comme disent les cons actuels), on remet un
article dont on ne peut pas être content, parce qu'on a éliminé mille
choses intéressantes, et que…
Bref : à midi, j'avais
pondu mes dix mille signes. Dans l'intervalle, parce que qu'on me
connaît, on m'avait refilé cinq mille signes supplémentaires sur
Charlène de Monaco. Je ne sais rigoureusement rien à propos de cette
femme. Mais bon : à trois heures et demie de l'après-midi, tout était
écrit.
Ensuite, je suis parti. Les gens du rewriting,
eux, sont restés, forcément. Et, une fois de plus, j'ai rendu grâce à
qui de droit de ne plus faire parti de ce service, le rewriting, qui est
plus ou moins mourant, ce que je sais depuis déjà quelque temps.
Ce que je ne pouvait pas savoir est qu'on allait
Neuf heures moins le quart. –
Mais qu'est-ce que c'est que cette phrase pas finie ? J'en ai assez de
ce clavier moderne où, lorsqu'on rate la touche “a” on cesse de taper
quoi que se soit ! J'y reviendrai peut-être demain, si jamais je me
souviens de ce que je voulais dire – mais rien n'est certain.
–
En revanche, ce qui est sûr est que Catherine et moi avons parlé, ce
soir, de notre maison d'Assay, c'est-à-dire de notre jeunesse. Pas de
notre jeunesse réelle, mais du début de notre vie commune, soit de notre
jeunesse conjugale commune, si l'on veut. Nous avons passé l'essentiel
de cet apéro à cela. À examiner ce vieillissement de vingt années, à
essayer de comprendre la manière dont, aujourd'hui, nous contemplons les
quatre années que nous avons passées dans cette maison de bord de
Loire, notre première maison. Nous nous sommes aperçus que nous
fantasmions cette époque, plus ou moins. Et, en y repensant maintenant,
au moment où je tente de fixer ce que nous nous sommes dit, je sais
bien que ce fantasme nous est cher, et qu'il n'y a pas de raison pour
l'éliminer.
Mercredi 9 mai
Huit heures moins le quart.
– Pas envie de noter grand-chose ici ce soir. Sinon que, sur l'un de
ses blogs, Nicolas a récupéré une superbe modernœuse (de sexe féminin),
qui signe Rosa L. (kolossale finesse…) qui est une sorte de concentré de sottise haineuse maquillée en altruisme et en gentillesse : fascinante à observer.
Vendredi 11 mai
Cinq heures et quart.
– Pas d'entrée hier, pour cause d'apéritif puis d'un billet sur le
blog-mère, dont l'idée m'est venue durant l'apéritif en question, en
résonance à une phrase prononcée par Catherine : « Hollande ne pourra
pas donner du travail à tous ceux qui n'en veulent pas. »
–
Aujourd'hui, journée “grise” : pas écrit le premier des sept mille
signes que je dois à FD (sur Romy Schneider dont c'est bientôt le
trentième anniversaire de la mort), pas tondu la pelouse non plus, alors
qu'elle le mérite amplement : tout cela sera pour demain. En lieu et
place, j'ai accompagné Catherine cet après-midi dans diverses opérations
d'achat, toutes aussi ennuyeuses les unes que les autres, et dont il
n'y a désespérément rien à dire. La seule bonne nouvelle de la journée
c'est qu'elle (Catherine) a acheté des radis à la ferme aux légumes et
que nous allons les manger ce soir : c'est mince.
– Il
m'est venu à l'idée de faire un mini-livre chez Blurb, sur le format des
carnets de notes réalisés par Catherine, dans lequel je mettrai les
extraits de ce journal concernant notre séjour au Mont Saint-Michel, en
octobre dernier. Le but est de le donner le mois prochain à mes parents
afin qu'il leur serve plus ou moins de guide, puisque eux-mêmes
passeront alors une semaine au Mont, dans le même gîte que nous. Je vais
m'occuper de cela ce week-end, ce ne sera pas bien long.
Sept heures et demie.
– Dîner de radis frais, beurre salé et baguette croustillante : l'un de
mes repas du soir préférés. Mais la saison du radis n'est hélas pas
bien longue. Enfin, si elle l'était davantage, je suppose que je
finirais par me lasser. J'ai complété avec une boîte de maquereaux au
vin blanc, conserve pour laquelle j'ai une coupable appétence depuis mon
premier âge ou presque, laquelle ne s'est jamais encore démentie.
–
Rien de tel, pour se remettre d'une campagne électorale que de se
replonger dans la lecture des journaux ; pas ceux que l'on vend au
kiosque, ceux des écrivains. Suite à la lecture de Travers Coda, dernier volume des églogues de Renaud Camus, j'ai repris son Journal de Travers,
dont j'alterne la lecture avec celui de Virginia Woolf. Il serait
sûrement intéressant de tenter de dégager les points de contact, les
espaces de résonances entre ces deux journaux, et pas seulement parce
que Virginia Woolf et ses différents romans sont très présents dans le Journal de Travers (ainsi que dans Travers,
bien entendu), notamment lors des glissements onomastiques que l'auteur
a introduit après coup dans ce journal d'une année complète (du 20 mars
1976 au 19 mars 1977). On croise beaucoup de gens chez l'un comme chez
l'autre, on se perd un peu dans les noms et les prénoms, on effectue des
parcours presque immuables et sans cesse répétés qui, de ce fait,
prennent à la longue des allures un peu initiatiques ; et cette même
course haletante derrière le fugace, le presque rien, en particulier
lorsqu'il s'agit de rendre compte d'une conversation à plusieurs voix,
d'en retrouver les cheminements, les incises, les “causes à effets”,
etc. Avec, au bout du compte, chez les deux diaristes, la même
frustration de n'y point parvenir, ou en tout cas fort imparfaitement.
Ils ont même en commun la course contre le temps, elle aussi perdue
d'avance, cette noyade progressive mais irrémédiable dans
l'enchevêtrement des faits qui surviennent alors que l'on est occupé à
noter ceux qui ont été vécus la veille, ou même de se plaindre, sur le
papier, que l'on n'a pas eu le temps, la veille, d'écrire ce qui s'était
produit deux jours plus tôt, et ainsi de suite.
Mais, évidemment, on s'encule beaucoup moins chez Virginia que chez Renaud.
Samedi 12 mai
Sept heures et demie. –
Première pensée, ce matin, en sortant du lit (neuf heures et demie,
tout de même…) : « Merde, c'est vrai, il faut que je tonde cet
après-midi ! » Une vingtaine de minutes plus tard, prenant mon premier
café face au jardin : « Ah oui, c'est vrai : il faut que je tonde… »
Là-dessus, je me dis qu'il fait à la fois soleil et du vent et que,
donc, rien ne m'oblige à attendre le milieu voire la fin de
l'après-midi pour me livrer à cette corvée ; et, presque simultanément,
par la fenêtre de la cuisine, je vois Roberta (surnom donné par nous à
notre voisine “de gauche”) sortir sa propre tondeuse et la mettre en
marche. Je me dis alors que si elle peut passer la sienne (de tondeuse),
c'est que l'herbe ne doit pas être si humide que je feins de le croire,
à seule fin de retarder ma corvée, de la repousser à l'après-midi (tout
en sachant que je ne penserai à rien d'autre de toute la matinée). Du
coup, je décide de faire ce que je ne fais jamais : passer la tondeuse le matin.
(La décision est rendue plus facile à prendre par le fait que Catherine
est absente jusqu'aux environs de midi et que, donc, rentrant, elle va
avoir la surprise, que je vais être le p'tit gars très méritant
qui, non seulement fait ce qu'il a à faire, mais se précipite au-devant
de l'épreuve : gaminerie poussée à l'extrême.) À peine ai-je commencé à
tondre l'étroite bande d'herbe se trouvant derrière la maison (et qui,
précisément, nous sépare du jardin de Roberta, elle-même poussant sa
propre machine (nous ne nous accorderons pas le moindre coup d'œil, nous
nous considérerons comme mutuellement absents)) que le voisin
d'en face sort son propre tracteur-tondeuse et se met au boulot. Durant
un moment, je me demande s'il a suivi le même raisonnement que moi et ne
s'y est mis que parce que Roberta et moi étions déjà à la peine – j'ai
un doute.
– Cet après-midi, Catherine m'ayant “ouvert
le doc Blurb” (comprenne qui pourra), je place dedans l'extrait de mon
journal d'octobre 2011 qui, dans mon esprit, doit plus ou moins servir
de guide à mes parents lorsque eux-mêmes, en juin prochain,
s'installeront dans le gîte proche du Mont Saint-Michel que nous
occupions alors. J'ai conçu cela comme une sorte de petit guide
touristique à usage parental. Entrer le texte me prend au bas mot une
demi-heure. Sauf que nous arrivons de la sorte à treize pages, et que Sa
Majesté blurbienne ne daigne imprimer un livre qu'à partir de vingt.
Qu'à cela ne tienne – me dit Catherine –, on va ajouter des photos. ce
que nous faisons effectivement. Mais il se trouve que tout cela est un
peu plus délicat à “finaliser”, et que ces travaux internétiques ont
tendance à me plonger dans des états de nerfs et une imbécilité contre
lesquels non seulement je ne puis pas lutter mais qui, de plus, se
répercutent sur tout mon environnement humain (et peut-être canin). Si
bien que, finalement, tout se termina conformément aux attentes, mais
nous laissa relativement pantelants.
– Là-dessus, après quelques dizaines de pages du Journal de
Travers (dans lesquelles Renaud Camus fait preuve d'une sorte
d'hystérie amoureuse peu propre à calmer son lecteur de trente-cinq ans
plus tard), il devient l'heure d'aller nourrir les Pépères, ce que je.
Là, debout dans le sous-sol attendant qu'ils engloutissent, me point une
véritable envie d'alcool (la tonte du matin et le Blurb de l'après-midi
y sont évidemment pour quelque chose). C'est à ce moment que je
deviens admirable : je décide de n'en rien dire à Catherine. Si elle
manifeste une envie apéritive, je ne m'opposerai point (ben tiens…),
sinon, je fermerai ma gueule – tel est le deal passé avec moi-même, la tension est maximale.
Les
chiens ayant vidé les gamelles, je remonte ; et le face-à-face a lieu –
dans la cuisine. Elle me dit (en souriant) quelque chose comme (je n'ai
pas noté les mots exacts) : « C'est bizarre, j'ai l'impression que tu
as envie de prendre un verre… Je le sens, je le vois à tes yeux… »
Comment nier ? Je lui affirme – il n'est pas certain qu'elle m'ait cru,
et pourtant c'est la vérité pleine et entière – que j'avais décidé de
m'en remettre entièrement au hasard qu'elle personnifie : si elle
n'avait rien dit, je n'aurais rien dit non plus, malgré que j'en aie.
Mais elle a dit. Et nous avons bu ; pas trop ; et avec, je crois, ce
plaisir que seuls les couples anciens et intimes peuvent connaître
d'avoir joué ensemble. Comme des enfants.
– Je vais
jouer encore : il es huit heures onze, exactement. Le programme de
télévision que nous nous sommes choisi ne commence que dans une
demi-heure. Donc, je vais quitter la Case et, tout doucettement, me
rendre à la maison afin de m'y servir une larme de whisky (une larme à
la D.G. : une dose de cheval sur le retour) ; non par envie de boire,
spécialement, mais par besoin de parvenir à le faire sans que Catherine
s'en aperçoive. Et elle, de son côté, peut-être, fera celle qui n'entend
rien même si elle entend.
(Ç'a marché impeccable !)
–
Je crois, par rapport à ce que je viens d'écrire, que les jeunes
couples sont bien plus sérieux que nous. C'est sans doute normal : ils
ont un avenir à construire, des enfants à lancer sur le marché, pas
nous. C'est un des avantages à se découvrir vieux : on peut se mettre à gaminer. Il faut essayer de ne pas trop verser dans ce travers, évidemment ; sinon, on tombe en enfance, c'est-à-dire qu'on l'on gâtoche.
Catherine et moi savons déjà que nous sommes exposés à cela, et que
nous y tomberons, sauf si l'un de nous (probablement moi) meurt avant
d'y parvenir. Ça ne nous effraie pas beaucoup, je crois ; et même ça
nous amuse assez : c'est sûrement le signe que nous sommes déjà en voie
de blêtissement. Il n'y a que les jeunes gens pour s'inquiéter de
leur prochain vieillissement – et encore font-ils semblant de
s'inquiéter puisqu'au fond ils n'y croient pas.
Nous,
oui. Nous savons que c'est déjà en marche, nous le sentons. Nous en
rions, généralement lorsque nous revenons de Sedan. Parce que mes
parents sont encore là pour nous faire rempart ; ils sont cette
génération qui nous protège encore de la vieillesse ; et en même temps
pas tant que ça. Catherine, de ce point de vue, est plus forte que moi,
ou si l'on veut moins gamine, parce que son père et sa mère sont
morts : elle sait ce qui est en train de m'arriver, elle est passée par
là. Moi aussi je comprends, évidemment ; mais je ne sais pas. Je suis en train de doubler ce cap incompréhensible, qui consiste d'une certaine manière à devenir adulte à la place de ses parents ; qui, eux, ont plus ou moins lâché prise.
Je m'arrête là pour ce soir, j'y reviendrai sans doute. Le film du soir va commencer.
Dimanche 13 mai
Sept heures vingt. – Abandonnant provisoirement le journal de Virginia Woolf, j'ai eu envie, au moment d'aborder le second volume du Journal de Travers, d'en coupler la lecture avec celle d'Échange, roman faisant partie du cycle des églogues et dont l'écriture se termine précisément l'année qui occupe tout le Journal de
Travers. Je possédais le roman depuis déjà plusieurs années mais ne
l'avais jamais lu. C'est-à-dire que j'avais essayé mais l'avais
rapidement abandonné. Et, aujourd'hui, le reprenant, je me demande bien
ce qui a pu motiver cet abandon : je viens d'en lire cent pages d'une
traite, avec beaucoup de plaisir et en étant très sensible à la force
d'envoûtement de ce livre cyclique, mouvant, se dérobant sans cesse, où
rien n'est totalement assuré, ni vrai, ni faux. Le livre est signé Denis
Duparc, mais Du parc pourrait aussi bien en être le titre. De même, il y a, dans cet Échange beaucoup de passages, reste à vérifier qu'il y a également des échanges dans Passage.
Mais, pour ce dernier livre au moins, le premier de la série, je suis
bien sûr de n'avoir pas du tout réussi à y entrer. La difficulté se
doublait, pour moi, du fait qu'il est impératif de le lire en ligne, sur
le site de la SLRC, le volume “papier” n'étant pas disponible chez
Amazon – non plus que Travers et Été, d'ailleurs. Et ce
n'est certainement pas maintenant que P.O.L va se lancer dans une
réimpression. Du reste, je ne suis même pas sûr qu'Otchakovsky puisse le
faire, si tant est qu'il le voulait, les droits en devant appartenir à
Flammarion, a priori. En tout cas, j'ai l'impression que je suis entré
dans un nouveau cycle de lectures camusiennes. J'ai d'ores et déjà le
projet de relire le Voyage en France, ainsi que celles des élégies que je n'ai lues qu'une seule fois, lorsque je les ai achetées.
–
J'ai bien évidemment attendu le milieu de l'après-midi, aujourd'hui,
pour me débarrasser des sept mille signes que je devais à FD à propos de
Romy Schneider, dont ce sera le trentième anniversaire de la mort le 29
de ce mois. Et je m'y suis attelé en me demandant si j'allais pouvoir
tenir la distance imposée. Finalement, et comme d'habitude, l'article
s'est écrit à peu près tout seul, en une heure et demie, il compte 7850
signes, soit plus d'un demi-feuillet en plus de la borne supérieure, et
je n'ai pas utilisé plus de la moitié des phrases que j'avais au
préalable stabilobossées dans l'interview accordée par Sarah B*asini à J.P. Lavoign*t, dans le nouveau livre de ce dernier consacré à Romy.
–
Je ne me suis avisé qu'hier que, pour cause de jeudi de l'Ascension, le
prochain week-end serait de nouveau “long” et que, de ce fait, nous
pourrions sans dommage traverser la région parisienne pour nous rendre à
Strasbourg, samedi, surtout si nous prenons la précaution de le faire à
peu près à l'heure du déjeuner. Conséquence : nous passerons prendre
Petros en bas de chez lui, plutôt que de le contraindre à venir
jusqu'ici par le train la veille au soir. Et nous gagnerons ensuite
facilement deux heures de route.
– Ai-je dit qu'Elstir était enfin guéri de son rhume ? Non ? Alors voilà : Elstir est enfin guéri de son rhume.
Lundi 14 mai
Sept heures et demie. – Journée presque exclusivement camusienne, comme je l'avais plus ou moins prévu hier : deuxième moitié d'Échange, une cinquantaine de pages du Journal de Travers (tome II) et Le Bord des larmes
dans son entier. Je ne me souvenais pas que ce dernier livre – une
“élégie” – était au fond si cafardeux, si l'on veut bien me passer le
mot. J'en suis ressorti l'âme toute chagrine et l'humeur assez assombrie
; c'est plus ou moins en train de se dissiper, mais pas complètement.
– Sinon, j'ai tout de même, ce matin, vidé puis rempli le lave-vaisselle.
Mardi 15 mai
Sept heures et demie.
– Jean-Marc Ayrault est nommé Premier ministre. Et il se trouve des
blogueurs pour s'enthousiasmer d'une telle non nouvelle. Il me paraît
difficile, dans le monde politique, de trouver un homme qui ait
davantage que cet Ayrault-là la tête de personne, et pour commencer si
peu de lui-même.
– Mon retour de flamme camusien produit les effets redoutés, quoique bien connus. Ayant lu Travers Coda
comme il était naturel puisque le livre venait de paraître et
d'arriver, j'ai voulu retourner aux sources : me voilà donc de nouveau
aux prises avec les 1600 pages du Journal de ce même Travers. Lequel a pour effet d'aviver encore mon appétit églogal et de me faire lire Échange,
que j'avais abandonné lors de ma première tentative d'abordage,
probablement en 2007. Comme une partie du “décor” de ce roman est fourni
par Chamalières, voilà que me prend, par glissement onomastique,
l'envie de relire l'élégie consacrée à cette ville natale de l'auteur –
et, à sa suite, deux des autres élégies : Le Bord des larmes et Le Lac de Caresse, toutes deux assez sombres de tonalité, notamment la seconde. Ce Lac aux eaux bien noires parle explicitement d'un violent chagrin d'amour et, déjà, 20 ans avant Loin,
d'un désir d'effacement, de disparition, d'auto-annulation de l'être.
Ce petit livre (ainsi que l'autre élégie) a été écrit à l'automne de
1990. Évidemment, la tentation était grande d'aller voir, dans le
journal de cette année-là, de quoi il avait été question in real life. J'ai donc tout à l'heure repris L'Esprit des terrasses.
Or, le lisant, il m'apparaissait à chaque page davantage que le journal
de ses années-là était autrement plus dense, plus introspectif, plus journal,
en fait, que les derniers volumes parus. Il faudrait donc aussi
vérifier cette impression qui, si elle s'avérait, serait assez fâcheuse,
à la fois pour l'écrivain et pour ses lecteurs. Et, justement, cela
tombe bien, puisqu'on doit demain nous livrer Septembre absolu,
c'est-à-dire le journal 2011 : on va donc pouvoir comparer. Mais je
crains déjà, vraiment, que la comparaison soit peu en faveur du Camus
d'aujourd'hui. Quoi qu'il en soit, on ne semble pas près de sortir de ce
cycle rinaldien.
– On comprendra que ces lectures en
cascades aient amplement suffi à emplir ma journée et que, par
conséquent, il ne soit question de rien d'autre ici ce soir.
Mercredi 16 mai
– Huit heures moins vingt. –
Il y a environ un mois, après que Catherine et moi avions décidé de
passer à la cigarette électronique, nous avions trouvé un site qui en
proposait de peu coûteuses (par rapport aux prix pratiqués dans les
bureaux de tabac) et j'en avais aussitôt commandé quelques-unes – six,
je crois bien. D'après l'officine virtuelle en question, le délai de
livraison était d'environ une semaine. Quinze jours après, toujours
rien. Mais, activant le “suivi de commande”, je m'aperçois alors que
j'avais un message de l'un des employés (ou patrons…) m'informant que
suite à une erreur de transcription de mon code postal, le colis leur
était revenu, mais qu'ils me le réexpédiaient séance tenante, agrémenté
d'un “petit cadeau” pour se faire pardonner. Une semaine plus tard,
toujours rien ; je m'informe ; on me répond que, en raison de la semaine
de vacances que la société s'était accordée (?), il y avait eu une
certaine désorganisation, que je voudrais bien les en excuser, que mon
colis était déjà reparti depuis la veille, avec un petit cadeau, etc.
(Je me demande combien, au final, je vais recevoir de petits
cadeaux.) Nouvelle semaine se passant, toujours rien. Poussé dans les
reins par Catherine, je suis donc venu devant ce clavier en début
d'après-midi afin de me livrer à un remontage de bretelles en règle.
Coïncidence : un message de la société m'attendait dans ma boitamel,
pour me signaler que, cette fois, c'était sûr, gravé dans le marbre, mon
colis partait aujourd'hui même. Je leur ai répondu ceci :
«
Est-ce que vous vous rendez bien compte que cette commande a été passée
il y a près d'un mois maintenant, et que cela fait TROIS fois que vous
me jurez vos grands dieux qu'elle est partie “aujourd'hui” ? Étant d'une
nature indulgente et magnanime, je vous laisse jusqu'à lundi prochain :
si, à cette date, ces maudites cigarettes ne sont pas dans ma boîte aux
lettres, j'exigerai de vous le remboursement immédiat de la somme que
vous aurez alors indûment perçue, et j'avertirai PayPal de votre manque
absolu de sérieux et de crédibilité commerciale.
Didier Goux »
Quelque chose me dit que, cette fois, elles vont arriver. Et j'ai bien hâte de découvrir mon petit cadeau.
– Septembre absolu,
le journal 2011 de Renaud Camus, est arrivé par porteur cet après-midi.
Naturellement, j'ai couru à l'index afin de voir s'il y est question de
moi. Il est. À la première occurrence, Camus reproduit in extenso
un billet que j'avais publié, au début de l'année, sur le blog-mère,
dans lequel je disais mon inquiétude au sujet de lui, de lui en tant
qu'écrivain, condamné à produire toujours plus et plus vite afin de
combler le trou financier que le château de Plieux creuse toujours plus
vite que lui-même ne le remplit. Il ne fait aucun commentaire, ce que je
trouve un peu bizarre : pourquoi reproduire ces vingt ou trente lignes
si c'est pour n'en rien dire ? À moins qu'il ne considère qu'elles
parlent suffisamment d'elles-mêmes ?
Lors de la
deuxième entrée me concernant, il revient sur “l'affaire Asens*o”, et
une nouvelle fois pour me reprocher d'avoir exciter le dit Asens*o
contre lui, ce que je continue de nier farouchement : je n'ai été, tout
au plus, que l'instrument du destin…
Quant à ma
troisième apparition, je ne me souviens déjà plus quel est son objet,
mais elle concerne quelque chose que j'ai écrit en commentaire sur le
forum de l'In-nocence. Pour ce volume du journal lui-même, je n'en ai
évidemment pas lu assez pour avoir quelque chose à en dire.
–
En dehors de cela, rien à noter de particulier, sinon que, ayant
brusquement eu envie d'un apéritif aux environ de six heures, juste
avant d'aller nourrir les trois bestiaux, je me suis héroïquement
abstenu de faire état de désir auprès de Catherine ; et que, donc, nous
sommes restés parfaitement sobres.
Jeudi 17 mai
Quatre heures. – Je suis très heureux de constater que ce journal 2001 de Renaud Camus (Septembre absolu), dans lequel je suis immergé depuis hier soir, est nettement plus riche que celui qui l'a précédé (Parti pris),
lequel amorçait déjà une remontée par rapport aux deux ou trois volumes
antérieurs, ainsi que je crois bien l'avoir noté alors. M'y intéresse,
entre autres, le fait qu'on y voie ressurgir plusieurs des personnages
qui peuplent les pages du Journal de Travers, journal qu'un
heureux hasard me fait relire en même temps que celui-là. On les a
connus vivants et agissants, on les retrouve en quelque sorte biographés,
trente-cinq ans après, à l'occasion des recherches faites sur eux par
l'auteur, occupé à dresser l'index (si je puis dire) qui va venir
occuper la majeure (toujours si je puis dire) partie du sixième volume
de ses églogues : Travers, Coda, Index & Divers. Et ce
rétro-éclairage sur eux les complète, les incorpore au temps – ou le
temps à eux –, les nimbes d'une sorte de voile mélancolique qui n'ose
pas tout à fait se dire nostalgie.
Journal plus riche,
donc ? Au cours des 280 pages déjà lues, indubitablement. La vie,
l'allant, l'appétit, l'enthousiasme qui paraissaient refluer en des
volumes comme L'Isolation, Une chance pour le temps, etc., font ici résurgence, comme le journal 2010, Parti pris,
le laissait déjà présager. Les thèmes habituels sont bien sûr toujours
là, mais revivifiés et, du même coup, approfondis au lieu d'être
ressassés.
Il reste que si le diariste pouvait cesser
de m'imputer toute la responsabilité des attaques en piqué dont il est
la cible de la part de Juan A., il me ferait bien plaisir…
Huit heures et demie
– Sur ma sollicitation, nous avons pris un apéritif ce soir. Nous en
avons profité pour établir un budget sévère, destiné à nous permettre de
vivre désormais avec ce que je gagne à FD et pas un sou de plus. Après
avoir décortiqué maniaquement nos rentrées et nos dépenses obligées,
nous fûmes très contents de constater que nous étions tout à fait
capables d'y arriver. Sauf que, évidemment, il reste à passer l'épreuve
des faits.
Vendredi 18 mai
Huit heures. –
Nous avons pris l'apéritif hier pour, en quelque sorte, ne pas avoir à
le prendre ce soir, dans la mesure où je suis censé être pleinement
reposé demain, afin de mener la voiture (et nous dedans) du Plessis à
Strasbourg. Moyennant quoi, nous venons d'en reprendre un ce soir, mais
vraiment tout petit : on a liché les fonds de bouteilles.
– Je n'ai pas réussi à terminer Septembre absolu
avant notre départ de demain, ce qui n'a aucune importance : il
m'attendra. Car, contrairement à mes habitudes ancestrales, j'ai décidé
de ne plus emporter de livres lorsque nous partons chez des amis : en
général, celui que j'élis se contente de faire le voyage dans la valise
sans en sortir une seule fois. Si jamais se dégage un moment pour la
lecture au cours de ce week-end, je vivrai sur le pays, comme on disait dans les armées de jadis.
–
Cela étant, j'ai chanté louange un peu vite, hier, sur le blog-mère, à
propos de ce journal 2011 de Camus. Si la première moitié est en effet
pleine d'un allant qui avait plus ou moins disparu ces dernières années,
la deuxième retombe dans certains travers (!) qui, personnellement,
m'horripilent chaque fois un peu davantage. Je veux parler des mois
d'été, qui voient l'auteur et son compagnon repartir sur les routes en
vue d'un nouveau volume des Demeures de l'esprit. Non seulement,
il faut de nouveau s'appuyer les interminables et très répétitives
plaintes contre l'hôtellerie moderne, mais on doit aussi voir en partie
déflorer les textes qui, plus tard, composeront le volume à venir des Demeures
; textes auxquels ne s'ajouteront qu'une compilation hâtive et hâtée
des diverses sources internétiques ou livresques que l'auteur aura pu
trouver concernant les habitants des demeures en question – habitants
dont il reconnaît plus d'une fois qu'il ignorait tout d'eux la veille
encore. Non, décidément, cette collection ne me convainc pas. Elle ne me
convainc pas en tant que partie intégrante de l'œuvre de Camus,
s'entend. Elle est d'un remarquable et brillant faiseur, mais d'un
faiseur tout de même. C'est de la “littérature en bâtiment” haut de
gamme, voilà tout.
– Tout à l'heure, Petros a appelé pour dire qu'il était obligé de déclarer
forfait, à cause d'une préparation de réunion de co-propriétaires dont
il est responsable et qui se révèle plus longue et pénible que prévu.
Nous ne serons donc que tous les deux, Catherine et moi, ce qui ne nous
peine ni l'un ni l'autre, même si j'aurais été ravi de ce week-end
alsacien en compagnie de Petros. Partie remise, comme on dit.
Lundi 21 mai
Huit heures. –
J'aurais dû insister pour que Catherine emporte son ordinateur. D'abord
parce que ça ne pèse rien, ces petites choses, ensuite parce qu'on
était en voiture et seulement elle et moi ; donc on avait la place. Il
est vrai que je lui ai dit que nos amis Fernique avaient tous les
ordinateurs qu'on voulait, et que, donc, je ferais du journal sans
problème. Oui, mais je n'ai rien demandé à personne, ni à André, ni à
Béa – et, pour le coup, je n'ai rien écrit. J'ai donc laissé passé deux
jours essentiels, parce que je n'avais rien pour noter ce qui venait.
J'y reviendrai demain, j'espère.
– Sinon, avant de
parler du week-end proprement dit, voyage de retour largement pourri.
C'est-à-dire de plus en plus pourri à mesure que nous quittions les
marches de l'Est pour nous rapprocher des contrées parisiennes : fin de
ciel clair, baisse de température, brumes et pluies, puis trombes d'eau
en approchant de ce cloaque mental qu'est Marne-la-Vallée, le royaume de
Mickey. Et nous étions, Catherine et moi, éplorés de notre pulsion
immobilière alsacienne.
Cette pulsion-là, je l'ai
depuis longtemps – et je crois l'avoir déjà dite ici : il me semble que
ma vie se terminera en Alsace, tout près d'André et Béa.
(Penser à parler de Christine Guillou.)
Mardi 22 mai
Quatre heures. –
Je crois bien que ce n'est pas encore aujourd'hui que je reviendrai sur
notre week-end alsacien : nous sommes cinq dans ce bureau trop chauffé
et les autres parlent fort (surtout Brice, naturellement). Normalement,
puisque je suis “de tonneau”, c'est-à-dire censé être là dès huit heures
et demie, je devrais avoir tout le temps pour cela demain matin.
Mercredi 23 mai
Neuf heures du matin. –
Revenons donc un peu sur ce week-end alsacien, puisque je suis seul
dans ce bureau et qu'aucun travail ne semble me menacer dans l'immédiat.
Rien à dire du trajet aller, samedi : après avoir, comme de coutume,
déposé les trois chiens (mais pourquoi donc ai-je d'abord écrit : les quatre
chiens ? L'inconscient, tu crois ?) au chenil de Chaignes, nous sommes
partis par les voies les plus directes, à savoir : A 13, A 14, A 86 pour
contourner Paris, et enfin A 4. J'avais au départ prévu de faire un
grand crochet septentrional par Beauvais et Soissons, afin de ne
rejoindre l'A 4 qu'à Reims, mais je me suis avisé ensuite que nous
étions au beau milieu d'un long week-end, pour cause d'Ascension, et que
la circulation en Île-de-France serait sans doute fluide – et elle
l'était.
Partis de Normandie sous un ciel plombé et
avec une température assez basse, nous sommes arrivés à Schiltigheim –
vers cinq heures et demie – presque au cœur de l'été. Il faisait doux au
point qu'André avait installé une table et des chaises de jardin dans
la cour et que nous avons commencé par prendre une bière là, à peine
descendus de voiture. Des quatre enfants Fernique, seuls étaient
présents Adèle, la “petite” dernière du lot, et Adrien, le second. Mais,
pour compenser l'absence d'Elsa, l'aînée, et de Sarah, ma filleule,
Adrien était accompagné de Bénédicte, sa femme (sont-ils mariés ? Tiens,
je ne sais plus…), que nous ne connaissions pas encore, et de leur
fille nouvellement née, qui porte le très wagnérien prénom de Freïa – je
ne garantis pas l'orthographe… En outre, à peine étions-nous assis que
nous avons vu arriver les parents de Béa, que je connais depuis plus de
trente ans et que j'ai toujours bien aimés. Ils s'apprêtaient, si j'ai
bien compris mais ce n'est pas sûr du tout, à repartir pour
Menthon-Saint-Bernard où ils ont une maison de famille et où ils vivent
désormais, je crois bien. Ou alors ils s'apprêtent à aller s'y installer
définitivement ? Décidément, on n'est sûr de rien, dans cette histoire :
je ferais un fort piètre reporter. En tout cas, ce dont je suis sûr,
c'est que c'est là, à Menthon, au bord du lac d'Annecy, que nous avons
marié André et Béa, il y a… Pfff ! Il y a vachement longtemps,
début des années quatre-vingts. C'était l'été, il faisait très chaud, au
point que, le samedi après-midi, beaucoup des invités – mais pas moi… –
s'étaient baignés dans le lac ; et c'est à cette occasion que cette
andouille d'André a trouvé le moyen d'y perdre ses lunettes, sans
lesquelles il ne voit à peu près rien, si bien qu'il a vécu son mariage
et la fête qui s'en est suivie dans un épais brouillard. Le plus beau,
c'est que l'un des invités, le lendemain, a retrouvé les lunettes en
question dans le lac.
– Bref, au bout d'une petite
heure, passée pour les femmes à s'extasier et bêtifier devant la
dernière née de la troupe, tout le monde est parti vaquer à ses
occupations personnelles, et nous sommes restés à quatre, André, Béa et
nous. C'est un peu plus tard, remontés à la maison, qu'André a débouché
la première bouteille de riesling. Puis une autre. Il faut dire que, si
elle est une excellente cuisinière, Béa n'a qu'un sens approximatif du timing.
Et, du coup, les deux épaules d'agneau qu'elle a enfournées aux
environs de sept heures n'ont guère été cuites avant neuf heures et
demie, en mettant mes souvenirs au mieux. Mais c'était sans importance :
le vin était frais et les conversations chaleureuses, comme il est de
coutume en cette maison. Nous (Brice vient d'arriver : il va devenir
problématique de se concentrer…) avons mis un terme à la soirée peu
après une heure du matin, non sans avoir fait honneur à une excellente
mirabelle (surtout moi ; mais je me demande pourquoi je note encore ce
genre de précision).
– Quelques heures plus tôt, alors
que, évoquant notre passé commun, André avait sorti la “photo de classe”
réalisée en mai 1979, alors que nous allions bientôt tous quitter le
CFJ, il m'a appris la mort de Christine Guillou, avec laquelle j'avais
été plus ou moins ami, notamment durant la première des deux années que
nous avons passées ensemble. Je crois même qu'à cette époque, elle
n'aurait rien eu contre un rapprochement plus intime entre nous. J'en
veux pour preuve la réflexion qu'elle me fit, un soir (et c'était
justement dans le petit appartement d'André, rue du Sommerard), sans
doute profitant de ce qu'elle avait bu un verre ou deux de trop. Parlant
de la chanteuse (Mama Béa Tekielski) dont nous écoutions le disque à ce
moment-là, et que je lui avais fait découvrir quelques mois auparavant,
elle m'a dit, d'un ton un peu désabusé, pour ne pas dire pincé : « Tu
m'auras au moins servi à ça… ». Si le rapide compte de mémoire que je
viens de faire à l'instant est exact, Christine doit être, de cette
promotion dont je fus, la sixième personne à mourir, Philippe Bernalin
ayant été le premier. Et, finalement, en y pensant, je ne trouve pas que
ce soit beaucoup, six sur quarante-cinq ou quarante-six, pour des gens
qui, tous, aujourd'hui, approchent de la soixantaine.
–
La matinée du dimanche fut flâneuse et nonchalante. Puis, sur
proposition de Catherine, plutôt que de déjeuner à la maison, ce qui
aurait contraint Béa à se remettre aux fourneaux, plus ou moins, il fut
décidé de partir de suite en promenade et de déjeuner sur le pouce ici
où là. La promenade ne pouvait se faire qu'en voiture, à cause des
douleurs que Catherine ressent dans un pied depuis plusieurs semaines,
et dont nous ne savions pas encore s'il s'agissait d'une fracture ou non
(elle vient tout juste de m'appeler du cabinet de radiologie : ce n'est
pas une fracture, mais “un os qui pousse”…). André avait donc proposé
la route des vins, ce qui nous agréait tout à fait, car nous avions
envie de voir de belles et grosses maisons alsaciennes (notre prurit
immobilier n'est jamais loin de nous démanger, surtout lorsqu'il est
question d'Alsace). Nous avons très classiquement commencé par le mont
Saint-Odile, que je suis presque certain d'avoir déjà visité mais sans
être fichu de me rappeler en quelle occasion. La vue y est
impressionnante, et elle l'aurait été encore davantage si le temps avait
été plus parfaitement clair.
Dans l'une des salles,
étaient accrochées aux murs un certain nombre de grandes reproductions
photographiques, montrant des pèlerins, des visiteurs, etc. L'une
d'elles représentait un groupe d'hommes, posant devant l'objectif, dans
les années trente. Et j'ai été frappé de constater que la distance
temporelle produisait à peu près le même effet d'uniformisation,
d'indifférenciation, que l'éloignement géographique : de même que “les
Chinois se ressemblent tous”, nos grands ou arrière-grands-parents sont
beaucoup plus difficilement individualisables, pour nous, pour notre œil et notre esprit, que les personnes qui nous sont contemporaines.
Comme
le restaurant qui se trouvait là ne nous disait rien, et surtout parce
que nous ne voulions pas passer trop de temps à faire un vrai déjeuner,
nous sommes repartis sans avoir mangé. La même chose, ou à peu près,
s'étant reproduite dans les divers villages où nous nous sommes arrêtés,
nous avons tout simplement “sauté” ce repas, le remplaçant par une
sorte de goûter roboratif, une fois de retour à Schiltigheim, sur les
coups de cinq heures, André devant être à la rédaction des DNA (Dernières Nouvelles d'Alsace…),
à six heures, pour mettre la dernière main à une page d'échos politique
destinée à l'édition du lundi. Il pensait n'être pas de retour avant
neuf heures, mais en fait il l'était dès huit. Béa ayant cette fois
assuré comme une professionnelle, nous passâmes à table peu après.
Adrien, la veille, ayant apporté à sa mère des asperges (qui, ai-je
appris, se cultivent beaucoup en Alsace, ou au moins en certains coins
d'Alsace), c'est en effet ce que nous avons mangé, accompagnée par un
excellent muscat, lequel a pour réputation de se marier fort bien avec
les dites asperges ; et en effet leurs noces furent heureuses. Heureuses
mais empreintes de raison car nous ne vidâmes pas plus de deux
bouteilles à quatre. Et à onze heures tout le monde dormait, si bien que
nous nous réveillâmes en grande forme, Catherine et moi, pour reprendre
la route.
– Comme nous avons quitté Schiltigheim
d'assez bonne heure, j'ai programmé Roselyne pour qu'elle nous emmène
jusqu'à Saverne par l'ancienne route, qui traverse toute la plaine
d'Alsace et de nombreux villages. Le but était de s'arrêter voir le
château des Rohan, bâtisse en effet impressionnante par sa taille et par
l'ordonnancement rigoureux de sa façade rouge, mais à qui il manque un
je ne sais quoi pour être tout à fait séduisante. Ensuite, nous sommes
allés récupérer l'autoroute à Phalsbourg. À ce moment-là, le ciel était
couvert, mais les nuages formaient un voile léger et gris pâle, pas du
tout menaçant, et la douceur de l'air était la même que la veille.
–
C'est à partir de Reims que la situation s'est détraquée. D'abord, dès
l'entrée en Lorraine, la température a commencé de chuter. Il faisait
16° à Strasbourg dès neuf heures et demie du matin, il n'en faisait plus
qu'11 lorsque nous atteignîmes la Champagne, aux environ d'une heure.
La pluie a commencé à tomber vers Château-Thierry, pour se transformer
en trombes à partir de Meaux. L'enfer s'est déchaîné à Marne-la-Vallée,
comme c'est assez souvent le cas. La Francilienne était totalement
bouchée, l'A 86 nord aussi, pour cause d'inondation d'un souterrain je
ne sais où. Nous avons donc décidé de tenter notre chance par le sud
(Créteil, Vélizy, Versailles…) mais en serrant considérablement les
miches. Or, par là, tout s'est finalement bien passé, et il n'était pas
plus de quatre heures et demie lorsque nous avons récupéré les trois
chiens.
Dois-je vraiment préciser que Catherine et moi
avons cédé au rituel apéritif de fin de voyage et que ma soirée en fut
écourtée d'autant ?
Jeudi 24 mai
Sept heures vingt. –
Chaleur d'été depuis la mi-journée. Je pense que c'est à elle que je
dois imputer le sourd mal de tête qui m'occupe depuis plusieurs heures :
trop fort pour se laisser tout à fait oublier, trop faible pour
entraîner une prise d'aspirine. À propos d'aspirine, je viens de lire
dans le dernier numéro de La Recherche qu'une prise faible et
quotidienne d'aspirine – ce qui est mon cas depuis 2003 – entraînait au
bout de cinq ans une diminution des risques de cancer de 37 %. Pour une
fois que ce que je fais ou suis ne constitue pas un facteur aggravant,
c'était à noter.
– Je dois écrire demain un article
assez long (assez long pour FD : cinq feuillets maximum) à propos de
Carla Bruni, des attaques que, désormais, elle ne laissera plus passer,
etc. Je vais le faire sans grand enthousiasme, tant le sujet est
filandreux, flou, personne ne semblant vraiment savoir, parmi mes
instances dirigeantes, ce qu'il souhaite exactement. Mais enfin, je sais
bien qu'il en sortira tout de même quelque chose. Et, quand j'aurai
terminé, il me restera encore à tondre le jardin, puis à aller acheter
des sacs de croquettes pour les chiens et des packs d'eau à bulles pour
les humains. Bref, une journée à la con, avec en guise de non-cerise sur
ce non-gâteau une absence complète d'apéritif vespéral.
–
En attendant de recevoir les trois livres d'Ibsen, d'Hamsun et de
Strindberg que j'ai commandés (suite à ma rapide lecture des Demeures de l'esprit scandinaves empruntées le week-end dernier à André), je poursuis ma relecture du Journal de Travers avec beaucoup de plaisir.
–
Les blogueurs de gauche, dont on aurait pu espérer que la victoire de
leur grand homme les calmerait un peu, sont au contraire en train de
virer hystériques. La moindre critique contre n'importe quel membre de
ce gouvernement d'apparatchiks les plonge aussitôt dans des colères
noires et provoque des torrents d'imprécations, d'injures et
d'excommunications hautement réjouissantes. Quand on pense à ce qu'ils
ont dégoisé durant cinq ans à propos de Nicolas Sarkozy et de ses
ministres, on a envie de se pincer. Moi, je ne m'en mêle pas : les
chamailleries de bac à sable, ça va un moment.
Vendredi 25 mai
Sept heures vingt. –
Mon programme de la journée se composait de deux parties bien
distinctes : ce matin je devais écrire environ sept mille signes à
propos de Carla Bruni, et cet après-midi tondre le jardin. Je me suis
mis aux écritures entre dix heures et demie et onze heures, me disant
qu'à midi, midi et demie au maximum, c'en serait terminé. Mais il m'est
assez vite apparu que ce papier-là allait s'écrire plus lentement et
péniblement que d'ordinaire, d'abord parce que personne n'avait été,
hier, capable de me dire ce qu'on attendait exactement de mon travail,
et ensuite parce que, venant renforcer cette absence de ligne directrice
nette, les informations se trouvaient disséminées dans au moins une
douzaine d'articles plus anciens, à raison de trois lignes ici, deux
paragraphes là, etc. Bref, à midi, je commençais à en avoir sérieusement
assez, tout dépité de constater que je n'avais encore écrit que trois
mille cinq cents signes, ce qui me plaçait au milieu du gué et non sur
la rive d'en face comme je l'avais escompté. Du coup, m'étant assuré
auprès de Catherine que le temps serait tout aussi estival demain qu'il
ne l'était aujourd'hui, j'ai dans un premier temps décidé de remettre la
tonte de vingt-quatre heures et de boucler la Bruni après la pause du
déjeuner. Mais, à l'issue de celle-ci, Catherine étant partie faire
quelques courses indispensables à nos survie et bien-être, je me suis
demandé laquelle de mes deux corvées me déprimerait le plus, demain
matin, au moment de quitter le lit, entre la pelouse à tondre et
l'article à terminer. Il m'a semblé que ce serait la première. J'ai donc
choisi de m'en débarrasser tout de suite et de remettre Carla à demain.
J'étais encouragé à cette solution par le fait que, ayant dit hier,
bien imprudemment, à la rédactrice en chef que je lui enverrais
l'article en tout début d'après-midi, de façon à ce que la page soit
terminée avant le départ général en long week-end, elle m'avait très
mollement répondu que ce serait bien, oui, en effet, mais que de toute
façon elle devait s'occuper avant de toutes les pages consacrées à la
reine d'Angleterre. J'en avais conclu que, si jamais je trébuchais dans
la dernière ligne droite, personne ne viendrait m'en chercher querelle –
et c'est pourquoi j'ai finalement opté pour la tondeuse. Les esprits
chagrins, s'il s'en trouve en ces parages, m'objecteront sans doute que,
ayant terminé la tonte aux environs de trois heures et demie, il me
restait largement assez de temps pour achever ensuite mon article. Je
leur répondrai que m'attendait aussi le deuxième volume du Journal de
Travers, dont l'attrait sur moi était bien plus puissant que les
charmes discutables de l'ex-présidentielle épouse. De plus, il
commençait à faire très chaud. Maintenant, un autre danger me guette :
celui de laisser traîner l'article jusqu'à lundi (avec la mauvaise
conscience attachée après, comme la casserole à la queue du chien), sous
prétexte que, bien évidemment, personne ne se penchera plus dessus
avant mardi matin. Mais non, ce serait vraiment trop stupide et
se pourrir l'existence tout seul : il faut absolument que je m'en
débarrasse demain matin, pendant que Catherine sera au presbytère.
Samedi 26 mai
Cinq heures et demie. –
Eh bien, comme il était facile de s'y attendre, je ne me suis
débarrassé de rien du tout : les trois mille ou trois mille cinq cents
signes de Carla Bruni qui étaient à faire le demeurent. Je n'ai
absolument rien fait d'autre aujourd'hui que lire (et encore : bien
paresseusement…) divers journaux de Camus, d'abord la fin de celui de Travers, puis celui de 2006 (L'Isolation) au prétexte qu'il correspond à l'année où se prépare le Journal de
Travers, justement. J'ose à peine écrire que je compte en finir avec
Carla demain matin, pendant que Catherine sera à la messe. Cela dit, il
faudrait bien, car je viens de m'avise qu'ensuite il fallait encore que
je lise je ne sais plus quelle biographie de Marlène Dietrich afin
d'essayer d'en tirer un sujet d'article.
Ah, tout de
même, j'exagère un peu : tout à l'heure, par solidarité avec Catherine
qui y avait du repassage à faire, je suis venu avec elle ici, dans la
Case, et j'ai procédé à une dernière relecture du journal d'avril, qui
sera mis en ligne en principe jeudi.
Dimanche 27 mai
Huit heures moins le quart.
– Et voilà, c'est parti ! Les blogueurs de gauche ont senti l'odeur du
sang frais et ils frétillent dans leur mare comme jamais. Celui-ci (et
une douzaine d'autres) applaudit bruyamment à l'éviction d'Éric Zemmour
de RTL ; celui-là (et une douzaine d'autres) demande, exige qu'on n'en
reste pas là et qu'on poursuivre rapidement dans cette excellente voie ;
l'inénarrable Gauche de Combat agite ses petits bras, tout
là-haut dans son mirador virtuel, et réclame des têtes, à commencer par
celle de Mme Lagarde ; etc. Et même chez ce bon et d'ordinaire placide
Nicolas, vous frôlez dangereusement la peine de mort – ou au moins le
goudron et les plumes, voire la tonsure en place publique – si seulement
vous vous avisez de dauber sur les ridicules de Mme Taubira, dont je
sens par ailleurs, vu son départ en fanfare, qu'elle va nous faire
presque autant de profit qu'une Éva Joly. On ne réclame pas encore que
les blogs non péhessolâtres roulent dans le panier de son, mais
on sent que ça en démange déjà pas mal, de ces petits ouistitis qui,
tout impatients qu'ils sont de rétablir une démocratie saine, normale,
citoyenne et joyeuse, laissent se craqueler leurs masques de vertu et
voir ce qui se cachait dessous tant bien que mal. Ils se sont voulus
Jean Moulin pendant cinq ans, ils aspirent maintenant à
Fouquier-Tinville, si cher au cœur de leur mélenchonesque rabatteur.
Certains se partagent même déjà la chemise et le jabot de dentelle de
ceux dont la tête est encore sur les épaules : c'est Robespierrette et
le pot au lait. Cela dit, on ne peut leur en vouloir de cette véhémence
qui sent sa précipitation : même incultes comme les a faits l'école de
la République, ils sentent confusément que Vendémiaire n'est jamais bien
loin de Thermidor. Surtout lorsque les maîtres du calendrier sont à
Berlin.
– Passé la journée à lire Camus, à peu près
comme hier. Et, également comme hier, je me suis bien gardé de toucher à
mon article sur Carla Bruni. Bref, comme il était facile de le prévoir,
tout sera pour demain : cet article d'abord, puis la lecture rapide du
livre que l'on m'a donné, concernant Marlène Dietrich – dont on se
demande bien qui elle peut encore intéresser, en tout cas parmi les
lectrices de FD.
Lundi 28 mai
Sept heures et demie. –
En avril 1990, Charles Trenet adresse à Marlène Dietrich, 89 ans, le
télégramme suivant : « Greta Garbo est morte. Sincères félicitations.
Charles Trenet. » On dit qu'elle eut le goût d'en sourire.
–
J'ai finalement achevé Carla ce matin, évidemment sans le moindre
effort, après avoir tourné autour durant deux jours entiers. Je me
présente : Procrastin 1er… En fin d'après-midi, j'ai distrait une heure
et demie du temps que je comptais consacrer à la re-relecture de L'Amour l'Automne
pour avaler sans les mâcher les 230 pages d'un livre qui vient de
paraître sur Marlène Dietrich, écrit par un journaliste français qui fut
son ami et confident durant près de trente ans, et dont le nom est en
train de m'échapper. Ça se parcourt agréablement mais je crains qu'il
n'y ait pas grand-chose à en tirer pour FD – pas grand-chose qui n'ait
été déjà écrit dix fois, veux-je dire.
– Demain, retour à Levallois.
Mardi 29 mai
Neuf heures. –
Merveilleuse soirée, d'autant plus merveilleuse qu'elle n'était
nullement prévue. Partant de FD, j'ai eu envie d'un apéritif “en
terrasse”. Évidemment, Catherine a été d'accord, non parce qu'elle
tenait à boire, mais parce qu'elle était censée avoir arrêté de fumer
depuis ce matin, et qu'un apéritif impromptu lui autorisait une rechute.
Quant à moi, pourquoi un apéro ? Pff…
Je ne sais pas. Sans doute parce que le fait d'aller à Levallois me
donne envie de boire. J'ai noté plusieurs fois ici que mon nouveau
statut me rendait, en quelque sorte, une seconde jeunesse. Eh bien,
disons qu'elle est en train de s'évanouir. Ce que j'ai pu dire s'éloigne
: je suis encore content de ma situation, mais je commence à avoir
envie d'y échapper. En un mot : l'envie de m'absenter, de m'absencer,
du monde me revient, et en force. J'adorerais sortir de tout cela, ne
plus bouger d'ici, ne plus voir personne en dehors de Catherine.
Et
justement, je peux dire pourquoi. Ce soir, apéritif et conversation
entièrement dédiée à Balzac (Catherine est en pleine lecture de la Cousine Bette). Elle a hâte d'en avoir fini avec La Comédie humaine
pour pouvoir recommencer à la lire. Quant à moi, j'ai rarement passé
une aussi douce soirée que celle-ci, parce que je ne conçois pas de
soirée plus agréable que celles où l'on parle de Balzac. (Ah, si :
celles où l'on parle de Proust. Mais, là, c'est difficile, Catherine ne
l'ayant pas encore lu.)
Néanmoins, quel plaisir, un verre à la main, que de s'entretenir de cette Cousine Bette. Et de prévenir Catherine qu'elle va souffrir, s'énerver (presque autant que dans le Curé de Tours) lorsqu'elle va découvrir ce malheureux Cousin Pons.
Ah, non, vraiment, elle ne se rend pas compte à quel point elle va
tempêter, en lisant ce cousin-là ! Moi, je le sais ; et ça me donne,
évidemment, envie de replonger dans La Comédie humaine. Mais il faut être raisonnable : on ne peut pas passer sa vie à ne lire que Balzac.
Là-dessus, on s'est demandé, parlant de cette Cousine Bette, pour quelle raison René Girard n'avait jamais abordé ce continent-là, la Comédie humaine. Parce que c'est vrai : pas trace d'Honoré chez Girard. J'ai dit à Catherine que, peut-être, il était passé à côté de Balzac, simplement parce qu'il… parce qu'il quoi ? Parce qu'il n'a jamais été balzacien, si tant est que l'adjectif signifie quelque chose.
Il
reste que, ce soir, Catherine et moi l'étions furieusement, et
ensemble, balzaciens. et que, au moins pour moi, ce fut un moment
“magique” (je mets des guillemets parce que, en réalité, ça n'avait rien
de “magique” (au sens “Harry Potter”), mais plutôt… plutôt… Ben… : magique,
finalement.) Oui, tout de même, assez magique, puisque nous étions dans
une symbiose parfaite, grâce à Balzac. Nous sommes combien à connaître
ce genre de minutes précieuses ? Qui, en dehors de moi, a cette chance
de vivre avec une femme aussi adaptée à ce qu'il est ? Tenez, exemple :
à
peine arrivé, tout à l'heure, Catherine me dit que je vais devoir
produire environ mille signes à propos d'un livre, ou d'un écrivain, ou
des deux. Pour le bulletin paroissial. Je dis d'accord, quoique sans la
moindre idée. Mais sans inquiétude : je sais bien que je trouverai. Et
puis non, une demi-heure plus tard, c'est elle qui trouve : La Varende !
Bel écrivain, à la fois normand et catholique, celui qu'on a envie de
partager, naturellement, avec des gens qui n'en n'ont jamais entendu
parler.
Il m'a bien fallu vingt ans pour me rendre
compte de la chance que j'avais d'avoir croisé le chemin de Catherine.
Je ne veux pas insister sur ce sujet, parce qu'on croirait que je me
vante, ou que je rabaisse tous ceux qui vivent avec d'autres femmes que
la mienne. Mais, en l'occurrence – et je sais bien que c'est stupide –,
j'ai tout de même tendance à plaindre les hommes qui vivent avec
d'autres femmes que la mienne : j'espère qu'il en est de même pour vous.
Mercredi 30 mai
Sept heures et demie. – Un petit orage est passé très vite, tout à l'heure ; il n'a pas plu beaucoup, mais cela a suffi à faire embaumer le jardin.
– J'ai finalement abandonné L'Amour l'Automne
au milieu du gué, cet après-midi. Non que sa lecture m'ennuyait, bien
au contraire, mais c'était déjà la troisième, tout de même, et une
triplette de Scandinaves venait d'arriver, qui n'attendait que mon bon
vouloir pour s'exprimer : Hamsun, Ibsen et Strindberg. J'ai commencé par
le premier, La Faim. Je n'en ai lu qu'une trentaine de pages, mais j'y perçois des échos de Dostoïevski, celui du Sous-Sol (ou des Mémoires du souterrain, comme on voudra). Et aussi de Gogol.
Jeudi 31 mai
Huit heures moins vingt. – Il est temps que ce mois achève : ça commence à sentir un peu le renfermé ici, le vieux diariste qui se néglige.
–
Mail de Rochechouart cet après-midi, me proposant un déjeuner la
semaine prochaine. Non, ce n'est pas exact : il me propose une date pour
un déjeuner dont j'avais pris, moi, l'initiative. Je lui ai répondu que
je n'en voyais pas la nécessité puisque aussi bien il y a des semaines
qu'il ne m'envoie plus le moindre travail à faire et que, dans ces
conditions, je me trouve fondé à penser que notre collaboration est
quelque chose comme mort-née (ou morte-née ? Jamais su…). Il me répond à
son tour que, justement, il aurait aimé voir avec moi comment renforcer
notre collaboration, à laquelle il dit continuer de croire. Well…
Je veux bien, moi. Mais il me semble que, s'il voulait vraiment d'une
collaboration régulière, ce serait assez simple : il lui suffirait de me
commander chaque semaine un papier. Car l'initiative ne peut évidemment
venir que de lui.
– Je ne sais pourquoi je me suis
laissé aller à discuter, en commentaires sur son blog, avec la
pseudonommée Rosaelle, sorte de vieille gauchiste exaltée et masochiste,
obsédée par le racisme dont nous sommes supposés être tous gangrenés,
négrophile et arabolâtre comme elles le sont toutes. Je dis “vieille
gauchiste”, je n'en sais rien, d'ailleurs (à propos de son âge). Mais
enfin, elle a exactement le même type de discours idolâtre de ses futurs
maîtres qu'on peut trouver sous la plume d'une Clomani ou d'une Céleste
(tiens, qu'est-ce qu'elle devient, d'ailleurs, celle-là ? Elle me
manquerait presque). Bref, il va falloir que je cesse rapidement de lui
répondre, ça ne mène à rien et je pourrais occuper mon temps plus
intelligemment. Car en plus, la pasionaria est bavarde…
–
En commentaire sous l'annonce de parution de mon journal d'avril,
Nicolas regrettait que je parle plutôt moins des blogs qu'avant. C'est
possible. Je lui ai répondu que ça devait tenir au niveau exceptionnel
de bêtise militante qu'avait entraîné l'élection présidentielle ; je
pense que c'est la bonne explication, mais pas sûr : peut-être y a-t-il
un phénomène de lassitude plus général de ma part. Le cirque, c'est
amusant dix minutes, mais quand on vous ramène sur la piste le même
jongleur pour la vingt-cinquième fois, on a un peu des envies de quitter
discrètement le chapiteau. On verra ce que tout cela donnera après les
élections législatives, quand les choses sérieuses vont commencer. Bien
hâte que tout cela soit derrière nous.
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