vendredi 30 mars 2012

Février 2012










 Comme un désir d'Astrée












Mercredi 1er février

Sept heures et quart. – La pige correspondant à mes trois premiers papiers pour Enquêtes a été virée aujourd'hui sur notre compte bancaire et la feuille de paie correspondant est arrivée ici en même temps. Cela dit, comme voilà quinze jours qu'on ne me demande pas de travail – mais il est vrai que Rochechouart était absent – et que rien ne semble arriver non plus cette semaine, il se pourrait bien que cette première pige soit aussi la dernière. Du reste, j'ai trouvé tout de même un peu saumâtre que, dans les quatre cents euros du tarif initial soient inclus les congés payés et le treizième mois – ce qui, en fin de compte, ramène la pige réelle à environ trois cent cinquante euros. Je ne fais pas une affaire de la différence – quoique… –, mais enfin, j'aurais bien apprécié que l'on n'oubliât pas de me le préciser dès le départ. Et l'emploi du verbe oublier est pure indulgence de ma part.

– La méchante Marie-Thérèse vient de se réveiller, pour me demander par mail quand je comptais lui rendre le prochain BM. Je lui ai en gros répondu que “pas d'argent, pas de Suisse”. Elle en a pris acte par retour d'ondes, sans faire le moindre commentaire. Il est possible que cette impassibilité semblant dénoter une grande force d'âme provienne du fait qu'elle aurait déjà un manuscrit d'avance, ce qui lui permettrait de faire fi de mes menaces. Auquel cas, qui se retrouverait le derrière dans l'eau et avec un roman inutile sur les bras ? Tant pis ; décidément je m'en fous, et de plus en plus.

– Samedi soir, nous sommes invités à prendre l'apéritif chez nos voisins “de droite”, ceux qui possèdent le verger et qui ont racheté la grande maison du tondeur de gazon fou, il y a un peu plus d'un an je crois. Catherine les connaît un peu car ils fréquentent l'église de Pacy. Elle est professeur de français, je crois bien, mais lui, on ne sait pas ce qu'il fait – en dehors d'une heure de jogging chaque week-end, avec leur petit chien blanc. Je suppose qu'on en saura plus samedi soir. Et puis, j'avoue que je suis également très curieux de voir à quoi ressemble l'intérieur de leur maison…

– À propos de maisons, le quatrième tome des Demeures de l'esprit françaises de Renaud Camus viennent de paraître. Elles concernent cette fois le quart sud-est du pays. Je devrais recevoir le volume d'ici trois ou quatre jours. Ensuite, il ne lui restera plus que Paris et l'Île-de-France pour en avoir terminé. Quant aux Demeures étrangères, j'ai passé mon tour pour ce qui concerne les deux tomes scandinaves, mais je vais sans doute me laisser tenter par l'Italie, qui est censée suivre.


Jeudi 2 février

Sept heures et quart. – Venant de procéder à une première relecture du mois de janvier de ce journal, j'ai pu constater avec une certaine affliction que je n'y parle presque plus que de mes petites histoires de boulot (tel papier à écrire, tel autre rendu, etc.). Il est vrai que mon changement de statut, et partant de vie, à FD continue de me plaire beaucoup ; par conséquent il est sans doute normal que ce journal se fasse le témoin de cette sorte d'excitation que je ressens encore, un mois après la survenue du dit changement. Mais enfin, cela ne le rend guère passionnant à lire.

– Nous venons, Catherine et moi, de sacrifier au rite de la chandeleur en faisant un dîner de crêpes – à diverses confitures pour moi, au sirop d'érable pour elle.

– Demain, dernières journées de travail à FD avant dix jours de vacances. Qui vont s'employer à l'achèvement de mon ultime BM. Si le temps se maintient au beau, comme il est depuis quelques jours, nous irons peut-être passer une journée à Chantilly.

– Reçu ce matin la biographie de Richelieu par François Bluche, qui prendra tout naturellement sa place après celle de Mazarin que je lis actuellement – même si la logique aurait plutôt voulu l'ordre inverse ; mais ma fantaisie et les livraisons d'Amazon en ont décidé ainsi.

– Je continue à aller traîner sur divers blogs, malgré la promesse que je m'étais faite, mais d'une part j'en lis beaucoup moins qu'avant le coup d'arrêt de la semaine dernière et, d'autre part, je m'astreins à ne laisser aucun commentaire nulle part, même si parfois le bout des doigts m'en chatouille.

– Ce pauvre Amiral Woland est actuellement en exil à Rio de Janeiro, pour son travail, et le moins qu'on puisse dire, si l'on en juge par les deux billets qu'il a publiés sur son blog, est qu'il ne semble nullement sensible à la prétendue magie de cette ville – magie à laquelle je suis persuadé que je résisterais fort bien moi-même. Du reste, d'une manière plus générale, le genre de métier qui est le sien, et qui le conduit régulièrement dans les endroits les plus improbables de cette fichue planète, ce genre de métier constituerait pour moi une manière de punition divine, ou, si l'on veut voir les choses d'une façon plus positive, une abréviation de mon futur temps de purgatoire, voire de ce purgatoire lui-même.

(Le mot “abréviation” m'est en premier venu spontanément sous les doigts, dans la phrase précédent. Puis, réfléchissant, je l'ai remplacé par “abrègement”. Réfléchissant encore, je me suis demandé si ce dernier existait bien. Vérification faite (dans le Petit Robert), oui. Mais le même dictionnaire signale l'emploi d'abréviation dans le sens que je voulais. Comme il le signale “vieilli”, je me suis empressé de rétablir cette “abréviation” surannée.)

– Pour l'article que je devais écrire aujourd'hui – et que j'ai en effet écrit -, il m'a fallu lire (mais suivant une diagonale très pentue…) l'autobiographie d'Axel Bauer, chanteur de variétés ayant eu sa minute trente de gloire dans les années quatre-vingts grâce à une chanson intitulée Cargo de nuit. À propos du “clip” ayant été tourné à cette occasion par Mondino, et dont je me souviens en effet vaguement, ce Bauer écrit : « J'avais moi-même un look très proche de celui de l'acteur Brad Davis dans Querelle, le film culte du célèbre réalisateur homo Jean Genet. » Jean Genet qui, on le suppose, devait adapter le fameux roman de Fassbinder. Qu'un chanteur de variétés soit inculte, voilà qui ne devrait surprendre personne. Mais qu'il ne se soit pas trouvé un type, chez l'éditeur, pour relever et corriger la bévue, voilà qui continue de m'étonner, moi. Il est vrai que l'éditeur en question est Michel Lafon…


Vendredi 3 février

Sept heures vingt. – Et me voilà donc en vacances pour dix jours. D'un autre côté, je passe désormais tellement peu de temps à Levallois que je me demande si je vais vraiment m'apercevoir d'une différence.

– Les guignols du Monde.fr viennent de publier, comme cela se fait régulièrement chez les Importants, une sorte de carte de la blogosphère politique. Dans laquelle le blog-mère est représenté par un gros point rose, ce qui signifie que je suis étiqueté “socialiste”. La dernière fois, sur celle établie par le Mrap, j'étais “droite extrême”. Je n'ai jamais prétendu avoir des convictions idéologiques bien solides, mais enfin là…

– J'avais prévu de me débarrasser dès cet après-midi du papier que l'on m'a confié en fin de matinée. Mais après avoir lu, dans le livre d'un “thérapeute bioenergéticien” (qui a fait ses débuts avec les Inconnus…) les pages au fil desquelles Mimie Mathy déverse ses considérations filandreuses sur la vie, la mort, l'avant-vie, l'après-mort, la métempsychose, le carré d'agneau, etc., je n'ai plus eu le courage de m'y mettre et suis retourné au salon avec Mazarin – lequel me plaît de plus en plus (je parle du personnage lui-même). Les trois feuillets commandés seront pour demain : un tel fatras de conneries requiert un esprit à peu près frais et un corps reposé.

– Aucune nouvelle de Rochechouart. J'ai l'impression que ma collaboration à son journal est mort-née (ou morte-née ?). Tant pis. Je sens que Catherine verrait d'un bon œil que je le relance, mais je ne crois pas avoir à le faire. Après tout, c'est la condition normale du pigiste extérieur : si on a besoin de ses services, on le sonne ; dans le cas contraire, on se contente de ne rien lui demander – il n'y a pas lieu de se formaliser ni de s'inquiéter de cela.

– Contrairement aux semaines précédentes, je n'ai pas pris, ce soir, mon apéritif de fin de semaine, au prétexte que nous allons boire de l'alcool demain soir chez nos voisins (et sans doute un ou deux verres supplémentaires en rentrant chez nous…) : on devient d'un raisonnable qui ferait presque peur.


Samedi 4 février

Six heures. – Heure assez inhabituelle pour venir dans ce journal. C'est que, tout à l'heure, nous sommes attendus chez nos voisins pour l'apéritif, et je pense qu'ensuite je n'aurai guère le courage de revenir devant ce clavier. J'étais, je suis encore d'une certaine manière, tout à fait content de cette invitation ; néanmoins, et comme presque à chaque fois désormais, plus le moment se rapproche et plus la perspective de cet échange social me pèse. Devoir parler, s'intéresser…

– J'étais ravi, ce matin, de trouver dans la boîte aux lettres le quatrième volume des Demeures de l'esprit françaises. J'ai aussitôt remisé Mazarin, si je puis dire, pour m'y plonger. Pas longtemps : après quelques pages tournées, la couverture s'est brusquement désolidarisée du livre lui-même, ce qui me contraint à le renvoyer. Comme Amazon préfère, pour des raisons qui m'échappent, procéder au remboursement plutôt qu'à l'échange, j'ai immédiatement recommandé le même ouvrage, qui sera ici dans quelques jours. Et c'est le rusé cardinal qui a profité du contretemps.

– Je n'ai pas eu trop de peine à écrire mes trois feuillets sur Mimie Mathy, mais Dieu que je m'y suis ennuyé ! Ces considérations filandreuses sur la vie, la mort, la réincarnation et autres billevesées, me sont rapidement sorties par les yeux – et je crains bien d'avoir finalement rendu mon plus mauvais papier depuis que je suis passé rédacteur. Le plus terne, en tout cas

– Demain, retour au BM, qui devrait être fini dimanche prochain et relu lundi. Ensuite, tout dépendra de GdV et du virement bancaire qu'il me fera ou ne me fera pas.

– Il y a deux ou trois jours, découvrant au journal télévisé les affrontements qui venaient d'avoir lieu en Égypte à propos de je ne sais quel match de football entre deux équipes locales, et qui ont tout de même fait 74 morts, j'ai dit à Catherine : « Tu vas voir, dans deux jours, une chose en entraînant une autre, ça va être de la faute d'Israël et des États-Unis. » Elle a trouvé que j'exagérais. Eh bien ça n'a pas manqué : ce matin, sur le forum de l'In-nocence, l'un des intervenants signale que je ne sais plus quel cheik abruti rejette en effet la responsabilité de l'affaire sur les deux pays en question. C'est curieux mais il me semble que si j'étais égyptien – arabe en général –, je finirais par trouver assez humiliant que rien de ce que je puisse faire ne soit jamais de ma faute. Il y a des moments où je crois que je préférerais passer pour un salaud plutôt que pour ce ballot un peu niais qui se retrouve constamment le jouet de puissances extérieures à lui, et auxquelles bien entendu il n'est jamais à même de résister, encore moins d'en déjouer les manœuvres démoniaques.


Dimanche 5 février

Sept heures et quart. – L'apéritif d'hier, chez nos voisins, s'est globalement très bien déroulé, même si nous n'avons pas bien compris pourquoi, en même temps que nous, ils avaient invité un autre couple de villageois que nous ne connaissions nullement. Catherine a émis l'hypothèse que c'était parce qu'ils avaient peur de s'ennuyer avec nous seuls. J'ai rétorqué qu'ils nous avaient peut-être invités, nous, parce qu'ils avaient peur de s'ennuyer avec les autres…

La femme de ce couple est professeur agrégé de lettres classiques, tandis que lui œuvre dans le “commercial” – il se rend à Paris tous les jours de la semaine, en voiture, tout comme moi ; la différence est que lui ne rentre jamais avant neuf heures du soir. Mais bon : il est jeune.

Arrivés à sept heures et demie, nous sommes rentrés à la maison deux heures plus tard, et Bergotte nous a fait une fête comme si nous étions partis un mois. Comme cet apéritif était abondamment pourvu en petites cochonneries à grignoter, nous avons sauté le dîner et, cependant que Catherine allait s'installer devant la télé, j'ai mis à mal la demi-bouteille de Ricard qui traînait dans la souillarde. À l'issue de quoi je suis allé me coucher dans la Case, afin de ne pas importuner Catherine par mes ronflements d'ivrogne. Ce matin j'avais l'air assez con, avec mes charentaises dans quinze centimètres de neige.

– Rien fait de la journée si ce n'est lire.

– Sans trop savoir pourquoi j'ai également rétabli les commentaires sur le blog-mère et, à peine trois ou quatre heures après, je commence déjà à le regretter un peu.


Mardi 7 février

Sept heures et demie. – Les piaulements progressistes provoqués par la petite phrase anodine de Claude Guéant à propos de la non équivalence des différentes civilisations atteignent des proportions hallucinantes. J'ai l'impression d'avoir été jeté brusquement au fond d'un asile d'aliénés sans aucun espoir d'en ressortir jamais. Le plus étrange est que personne ne fait mine de discuter ses propos, chacun se contente de s'indigner de ce qu'il n'a pas dit mais que Pierre, Paul et Jacques ont cru deviner de sous-jacences dans ses quelques mots. En clair, Claude Guéant est coupable de n'avoir pas dit ce que Modernœud a cru entendre. À ce sujet, voici le communiqué publié ce matin par le parti de l'In-nocence :


« Le parti de l'In-nocence observe avec une fascination stupéfaite la comédie pourtant prévisible des réactions politiques et médiatiques aux propos de M. Claude Guéant, ministre de l'Intérieur, sur l'inégalité des civilisations — propos d'une telle évidence et d'un si élémentaire bon sens que même les plus indignés de ceux qui y réagissent n'osent pas soutenir leur contraire, tant ce contraire serait absurde ; de sorte que, par un tour supplémentaire de la répression idéologique, M. Guéant n'est pas fustigé pour ce qu'il a dit mais pour ce que, disant, il aurait pu vouloir dire, insinuer, donner à entendre aux uns ou aux autres.

Le parti de l'In-nocence estime pour sa part, bien entendu, que les civilisations sont aussi inégales que les intelligences, les talents, les aptitudes physiques et les vertus morales ; et que seul un monde sinistre où la morale, l'esthétique et la réflexion politique seraient tenues pour nulles et non advenues pourrait soutenir et forcer à soutenir que les civilisations sont égales alors qu'il n'y a aucune égalité en art, en morale, en discrimination et en in-nocence ; qu'au demeurant un tel monde aux valeurs écrasées est bien celui que la Grande Déculturation, la décivilisation, l'enseignement de l'oubli et l'industrie de l’hébétude nous ont préparé de longue date. »

Et, sur le même sujet, le billet que j'ai mis en ligne hier soir :

« Claude Guéant a perdu une bonne occasion de se taire. Non parce qu'il aurait dit une bêtise, ou soufflé son haleine fétide aux délicats naseaux de Modernœud, ou nausé-abondé dans le mauvais sens – mais simplement parce qu'il n'est pas, à ma connaissance, payé sur les deniers de l'État pour proférer des évidences. 

« Que certaines civilisations soient plus riches, plus fécondes, plus intenses que d'autres – et, donc, en un mot fort vilain, qu'elles soient supérieures à d'autres –, c'est l'évidence même, et ce ne sont pas les piaulements de la basse-cour progressiste qui changeront quoi que ce soit à cet état de fait. Énoncer cela sur un ton pontifiant et ministériel, c'est nier l'existence du ridicule, ça ne mérite pas qu'on s'y arrête une nanoseconde.

« Ce qui est amusant, en revanche, ce sont les arguments utilisés pour attacher ce malheureux Guéant à sa roue : en proférant ce truisme, il aurait cherché à draguer les électeurs du front national. Je reconnais que c'est très laid, de chercher à attirer des électeurs en période électorale ; c'est une chose que les socialistes ne s'autoriseront jamais, par exemple. En dehors de cela, je trouve l'argument parfaitement saugrenu. 

« On sait à peu près, je crois, quelles franges de la population fournissent ses gros bataillons de votants au parti de Marine Le Pen : plutôt Mimile et sa casquette que M. le marquis dans sa tenue de chasse à courre, pour le dire rapidement. Donc, je m'interroge, je tergiverse, je dubitative : nos petits camarades de la gauche vertueuse aux idées qui sentent bon croient-ils réellement que, le soir, au comptoir de toutes les Comète de France, on tient des meetings passionnés sur les mérites comparés des civilisations grecque et eskimaude ? Qu'on lance des débats de fond à propos des réalisations et des apports de la Chine et du Monomotapa ? Que l'on s'interroge gravement de savoir si le relativisme culturel est naturel à tous les peuples de la Terre ou bien s'il est une originalité de la civilisation dite occidentale ? Et le midi, à la cantine de l'entreprise, on reprend sur le formica des tables de huit la conversation amorcée la veille au zinc ? Ils croient sérieusement ça, nos amis ?

« À mon avis, ils gagneraient à fréquenter davantage les bistrots, ça leur éviterait de proférer de telles âneries. Enfin, non, ce n'est même pas sûr. »

– Pour revenir à des préoccupations un peu moins asilaires (encore que…), le BM avance à bon train : vingt feuillets par jour, et sans forcer. En principe, il sera bel et bien fini dimanche.

– Mail tout à l'heure de Rochechouart. Qui me dit qu'il vient seulement de revenir à Paris (mille pardons : sur Paris…) et me demande de l'appeler demain. J'espère que c'est pour du travail à faire.

– Mazarin n'est pas loin d'entrer en agonie : si tout se passe normalement, il sera mort avant demain soir.


Mercredi 8 février

Sept heures vingt. – Du nouveau sur le front professionnel et financier. D'abord Rochechouart m'a rappelé aujourd'hui pour me demander si je souhaitais toujours travailler pour lui, malgré l'interruption de trois semaines qui vient de se produire. Je lui ai répondu qu'oui ; les papiers devraient reprendre dès la semaine prochaine.

D'autre part, cet après-midi, mail affolé de Nancy, la comptable de GdV, me disant qu'elle venait d'apprendre ma décision d'arrêter la BM et me faisant (gentiment) le reproche de ne pas l'en avoir avertie. C'est évidemment un coup de la méchante Marie-Thérèse, qui soit n'a rien compris au mail dans lequel je l'informais de ce que je ne rendrais pas le prochain BM avant versement, soit a pris un malin plaisir à répandre ce faux bruit. Bref, j'ai eu beau jeu de répondre à Nancy que j'étais d'autant moins décidé à arrêter que j'étais précisément occupé à terminer celui qui doit paraître début avril. Tout cela par mails. Là-dessus, je lui téléphone et elle m'informe qu'elle s'apprête à virer sur mon compte 2300 euros (sur 6800 dus) et que, si j'en suis d'accord, elle me versera 1500 euros par mois, régulièrement, à compter du mois de mars. J'ai évidemment dit d'accord, même si cet arrangement me pose un problème.

Le problème est que j'étais (je suis ?) en effet décidé à arrêter la BM une fois terminé celui en cours. Mais comment, et surtout quand le lui dire, au vu de la nouvelle configuration ? Il serait très incorrect de ma part d'annoncer ma défection au dernier moment, car je mettrais les éditions dans un vrai embarras financier. D'un autre côté, si je l'annonce dès la fin de février, par exemple, je pourrai toujours me brosser pour ce qui est des mensualités proposées. Catherine me suggère de dire que je ne ferai pas celui qui est à rendre au 15 mai, et que je reprendrai ma place pour celui du 15 août, ce qui en effet laissera le temps à la Gecep d'apurer nos comptes. Ce n'est pas idiot, mais j'hésite encore.

– À propos de BM : 8 feuillets seulement aujourd'hui. Mais il ne m'en reste qu'une soixantaine à faire et j'ai jusqu'à dimanche soir pour cela, ce qui est amplement suffisant. D'autant que la journée à Chantilly que nous avions plus ou moins envisagée durant ces vacances va être remise à plus tard, pour cause de neige et de froid.

– Reçu ce matin un deuxième volume des Demeures de l'esprit IV : celui-ci semble en parfait état. Il n'y a plus maintenant qu'à renvoyer le premier pour qu'il me soit remboursé. Comme je me refuse à aller faire la queue au guichet de la poste, cela attendra mon retour à FD, mardi prochain.


Jeudi 9 février

Sept heures et demie. – Grosse déception à la lecture du dernier volume paru des Demeures de l'esprit, consacré à la France du Sud-Est. Les photographies tout d'abord. Elles me semblent moins nombreuses que dans les précédents tomes (mais il faudrait vérifier cela), et surtout moins bien choisies : trop de détails et pas assez de vue d'ensemble des maisons elles-mêmes. Le choix des personnages bénéficiant d'une entrée, ensuite : que viennent faire ici les frères Montgolfier ou Claude Bernard, par exemple ? Loin de moi l'idée de nier l'intérêt de la papeterie, de l'aérostatique ou encore de la médecine expérimentale, mais enfin, il me semble qu'on s'éloigne, avec eux, beaucoup du concept original de la collection. Enfin, les textes : on croit y ressentir une certaine lassitude chez l'auteur, laquelle lassitude le conduit à “dérouler” un peu trop longuement les biographies et généalogies de ses personnages, lesquelles ne sont évidemment que le démarquage – talentueux, certes – de textes écrits par d'autres et ailleurs. Bien sûr que Camus a procédé comme cela dès le début, mais il y mettait, me semble-t-il, plus de lui-même. Je crois qu'il devrait songer, sinon à interrompre ces Demeures, du moins à les produire à un rythme moins soutenu : deux volumes par an, c'est trop. Mais, évidemment, il y a les contrats, qui doivent rapporter l'argent destiné à nourrir le moloch Plieux.

Cependant, gros dégât collatéral de cette lecture : j'ai non seulement envie de relire le Sentiment géographique de Chaillou, ce qui n'est pas très grave, mais aussi celle de commander l'Astrée, dont Camus signale en passant que le premier volume paru est fort cher. Je vais m'efforcer d'attendre quelques jours, afin de laisser à ce désir le temps de s'évaporer. D'autant que je soupçonne qu'il y a une part de snobisme dans ce désir (pas pour Chaillou, pour d'Urfé).


Vendredi 10 février

Sept heures et quart. – Eh bien, on dirait que mes problèmes de timing avec la BM sont en passe de s'arranger pratiquement tout seuls. Hier – j'ai oublier de le noter ici –, mail de la méchante Marie-Thérèse, pour me demander 1) le titre du roman en cours de rédaction (titre que je lui ai fourni il y a au moins deux mois, si ce n'est trois…) et 2) si je comptais toujours écrire celui qui est à rendre le 15 mai. J'ai sauté à pied joints sur cette perche tendue, au risque de me rompre le dos : je lui ai répondu que non, justement, que je me trouvais contraint (sans lui expliquer pourquoi) de “passer mon tour” et que je ne me remettrais sur les rangs que pour celui devant lui être remis vers le 15 août. Bien entendu, je n'ai nulle intention d'écrire celui-ci, ni aucun des suivants, mais au moins, ces quelques mois de délai devraient permettre à Nancy d'éponger presque complètement la dette de la GECEP à mon égard. Vers la fin mai, je signifierai officiellement à tout ce petit monde que je me retire complètement de la série. Après cela, si les paiements s'interrompent, comme je le pense, je ne devrais perdre que deux ou trois mille euros, ce qui ne sera pas bien grave. De toute façon, grave ou pas, je me vois mal avoir recours aux services d'un avocat pour si peu.

– Il faut que je nuance mon appréciation sévère d'hier, à propos des Demeures de l'esprit : si mon opinion n'a pas changé quant au choix des photographies, j'ai lu aujourd'hui un certain nombre de textes (ceux consacrés à Voltaire, Rousseau, Picasso et les frères Reinach notamment) qui justifieraient à eux seuls l'achat du volume.

– Le drame des mauvais peintres : ils veulent réussir croûte que croûte.

– Comme dirait l'autre, le froid dure : - 12° encore ce matin. Les services compétents nous annoncent un net radoucissement à compter de lundi. Tant mieux car je suis de ces personnes que la neige ne charme jamais plus de deux ou trois jours.


Dimanche 12 février

Sept heures et demie. – À cinq heures et demie, j'ai fini le BM en cours, qui se trouve être mon dernier (en principe ; car si dans trois ou quatre mois j'ai trouvé un vieux roman capable d'en donner un nouveau sans trop d'effort et de rapporter 4500 euros, il est probable que je repiquerai au truc). Pour l'instant, il n'empêche que je viens de sacrifier à la tradition et de prendre un apéro (court, très court) afin d'enterrer ma vie d'écrivain en bâtiment.

– il reste que Catherine est d'humeur renfrognée, qu'elle supporte mal d'être obligée de se passer d'apéritif en raison du manque de tabac. Et, du coup, elle supporte encore moins bien que je puisse, moi, boire quelques verres sans souffrir le moins du monde de ce manque-là. Alors, sans s'apercevoir qu'elle le fait, elle s'ingénie, comme ce soir, à me pourrir l'apéro en question. Exemple aujourd'hui :

Au milieu du déjeuner, j'annonce – à propos de tout à fait autre chose – que je vais ce soir sacrifier à la tradition, et donc prendre ce fameux apéritif de fin de BM. Je précise qu'en plus il s'agit de la fin de mon dernier BM. Catherine feint de se rendre à cet argument, mais je la vois se raidir et je sais d'ores et déjà qu'elle va tâcher de me gâcher ce début de soirée. Et en effet…

Je termine le BM vers six heures moins le quart, je vais aussitôt nourrir les chiens, puis remonte à la maison. Je sors du vaisselier le verre que je vais bientôt me remplir. Aussitôt, Catherine, qui n'a pas bougé du canapé de l'après-midi, se sent prise d'une frénésie d'activité. Elle commence par s'occuper des choux de Bruxelles dont elle menace de nous nourrir demain midi. J'ai à peine le temps de m'asseoir au salon, après avoir lancé la sonate D 960 de Schubert, qu'elle est “obligée” de mettre en route cette saloperie de soufflerie au-dessus de la cuisinière. J'arrête la musique.

« Ce ne sera pas long ! », me dit-elle. Je n'y crois pas une seconde. En effet, c'est assez court (une dizaine de minutes quand même). Le silence revenu, je rends la parole à Schubert, persuadé que je vais avoir droit à une “deuxième couche”. Et, tout juste, cinq à dix minute plus tard, la soufflerie se remet en marche. Je recoupe sa chique à Schubert. Puis la soufflerie s'interrompt et Schubert revient.

Là, je me demande quel va être le prochain stade. Car voilà maintenant trois quarts d'heure que Catherine ne sort plus de la cuisine : son but est de me dire qu'elle désapprouve formellement cette heure agréable que je suis en train de m'octroyer, et qu'elle a décidé de ne plus partager. Non seulement de ne plus partager, mais de me la gâcher aussi complètement que possible. Bien entendu, elle trouve : vider le lave-vaisselle propre est une chose qu'il est difficile de faire en silence, surtout si l'on a décidé de faire du bruit.

Finalement, elle finit par venir s'asseoir dans le salon, ayant épuisé toutes les raisons possibles de me pourrir ce moment de grâce. Là, elle s'offre le luxe de me demander pourquoi j'ai l'air de faire la tronche, mais sans insister.

Il va de soi, je pense, que je ne lui en veux nullement, dans la mesure où elle ne se rend pas du tout compte qu'elle reporte sur moi le fait que le manque de tabac l'empêche de prendre tranquillement un apéritif comme avant – alors que moi, oui.

– À part ça, revenons à la vie telle qu'elle va, je ne ressens rien de plus de la fin de ce BM-là qu'à celle de tous les autres, durant les 25 années qui viennent de s'écouler, alors qu'il est censé être le dernier de ma vie et que, donc, une certaine solennité semblerait de mise. Mais au fond, c'est normal : j'ai suffisamment dit que la fin d'un roman ne déclenchait rien de particulièrement joyeux, et même que l'auteur s'en sentait plutôt grisâtre, cendreux, un peu perdu, etc. Pourquoi en irait-il différemment pour le dernier BM ? On aurait même dû s'en douter, en fait : on n'est pas plus grisâtre, pas plus cendreux, pas plus perdu. En dehors du fait qu'on n'est pas tout à fait sûr qu'il s'agisse du dernier, ce dernier-là ne représente à peu près rien. Bien sûr, on aurait pu, dans l'épilogue, glisser une allusion amusante pour soi seul, comme je l'avais fait dans le dixième volume de L'Empire des sectes, parce que je savais qu'il n'y en aurait pas d'avantage. Mais en fait, on s'en fout.  Et on ne s'en fout pas tout ensemble.

Un quart de siècle, tout de même, à écrire ces livres. Les romans sont tous pareils, mais l'auteur ? Il a vieilli, il a du mal, maintenant. Parfois, il pense à la vitesse à laquelle il travaillait avant, et lui-même a peine à y croire. (Tiens, je me souviens d'une discussion avec un intervenant du forum de l'In-Nocence, il y a deux ou trois ans – Francis Marche je crois. Il refusait de croire que j'avais été capable d'écrire un BM en quatre jours. Et, moi, je savais que cela m'était arrivé, au moins deux fois. Mais il me démontrait que, non, c'était impossible. Et je finissais presque par le croire alors que je savais bien que je l'avais fait.) Bref, il n'est pratiquement plus capable de rien, maintenant. Sauf de recopier et d'arranger des livres déjà écrits. Et encore, ça lui est pénible, c'est pour cela qu'il arrête, qu'il vient de mettre le point final à son dernier.

Et comment il le prend ? Bien ? Mal ? Il essaie de le prendre, c'est tout. Il se souvient, forcément (il se voit à telle table, ou bureau, dans telle maison et à tel âge), il sait qu'il a fait tout cela. C'est sans importance, évidemment. Mais enfin, il n'en est plus capable. Du coup, quand il songe à cette époque où il le faisait, il a l'impression de penser à quelqu'un d'autre. Un type qui lui ressemble de façon indubitable mais qui n'est pas tout à fait lui, une sorte de jeune homme qui vivait dans une maison presque oubliée et qui tapait si vite sur le clavier.


Lundi 13 février

Sept heures vingt. – La neige a presque totalement fondu depuis ce matin. Mais voilà que, depuis une petite heure, il tombe une pluie assez soutenue : s'il regèle par là-dessus, je ne suis pas sûr que les routes soient praticables demain matin, pour moi aller à Levallois comme je suis censé le faire après ces dix jours de vacances.

– Le BM a été entièrement relu et corrigé aujourd'hui. il est donc prêt à être expédié à qui de droit, si qui de droit vire sur mon compte bancaire les 2300 euros que ce même qui de droit m'a promis pour cette semaine.

– Nous pensions qu'accrochée en hauteur comme elle l'est, la cabane à graines était hors d'atteinte des velléités prédatrices de Golo. Il n'en est rien : cet après-midi, alors qu'elle était au téléphone avec l'une de ses filles, Catherine a vu l'animal sauter à la verticale et chiquer le verdier qui prenait tranquillement son goûter. Comme malgré tout ces tueurs sont délicats dans leurs approches, nous avons réussi, en nous y mettant à deux, à coincer Golo dans un coin et à lui faire lâcher sa proie ; laquelle s'est aussitôt envolée sans le moindre dommage apparent.

– Le même Golo, avant-hier soir, se sentait d'humeur joueuse, et c'est avec ma main qu'il prétendait se divertir. Je me suis donc employé à l'exciter davantage, chose qui m'a toujours amusé avec tous les chats qui ont croisé mon existence. Le résultat, aujourd'hui, est que ma main gauche est lacérée de marques de griffes d'un très beau rouge sang.


Mardi 14 février

Huit heures vingt. –  Gros échange de mails entre Catherine et moi, ce jour. Elle supporte mal d'avoir arrêté de fumer, et, du coup, nous avons repris, de concert, ce soir, autour d'un verre et même de plusieurs.  Pour ce qui me concerne, rien à cirer, je n'avais pas vraiment arrêté de fumer.

– Reçu aujourd'hui le premier volume de L'Astrée. Je ne sais pas si je vais être capable de lire ce livre. Je veux en être capable, pourtant, je veux plonger dans ce siècle déjà si lointain et tenter de comprendre pourquoi ce roman a été un véritable best-seller. Et puis, relire Chaillou en même temps.

Je veux revenir vers cette époque révolue, parce que la mienne, d'époque, ne me convient décidément pas. Voilà : je mourrai dans un de ces siècles passés, mais certainement pas dans le mien. Je me fous de ce qui va arriver à ce monde ; vraiment, certains soirs comme celui-ci, je me moque bien de l'avenir de cette Europe ouverte à tous vents, et spécialement aux vents de sable.

Le monde qui m'a engendré est en train de mourir, nous sommes en voie de tiers-mondisation accélérée, la France (et l'Europe) est en train de sombrer à mesure qu'elle s'assombrit. Que va-t-il se passer ? Simple à comprendre : fatiguée d'elle-même, l'Europe va s'effondrer sur elle-même telle une étoile à bout d'hydrogène. La géante blanche va se métamorphoser en naine noire, et ce sera laid à voir.


Mercredi 15 février

Sept heures et demie. – Nancy m'a finalement viré 2300 euros ce matin, comme elle me l'avait promis la semaine dernière. Reste à voir, maintenant, si elle va pouvoir assurer les 1500 euros mensuels qu'elle est censée me verser jusqu'en août.

– Terminé La Mélodie céleste, de Trinh Xuan Thuan. Je me suis aussitôt attaqué au livre du biologiste Michael Denton consacré à la controverse qui fait rage autour du darwinisme. Honoré d'Urfé et son Astrée attendront encore un peu, et Michel Chaillou avec eux…

– Ce matin, accident sur l'A 13. Résultat : trajet de deux heures et quart au lieu d'une. Et tout ça pour rien puisqu'on ne m'a, à mon arrivée, donné aucun travail à faire pour le numéro qui se bouclait. Enfin, tant pis pour moi : je n'avais qu'à habiter plus près.


Jeudi 16 février

Huit heures moins le quart. –  En réalité, je suis assez triste. Triste de voir certaines gens que j'aime bien s'abîmer dans le militantisme le plus “bas de plafond”, et notamment Nicolas, bien sûr. Je ne lis plus ses billets, simplement parce que je tiens à préserver ce que je pense de lui. Pour l'instant, il est en train de se ravaler au rang d'un “Intox 2007”, d'un bœuf militant, alors qu'il est évidemment quelqu'un d'autre que ce parasite socialiste que je viens de nommer.

Il faut attendre ; attendre la fin de cette période de crétinerie ardente qu'est une élection présidentielle, mais qui en même temps est si importante. Moi-même je balance entre deux visions de notre avenir proche. Je sais que l'élection de Hollande serait (ou sera) une catastrophe. Mais quelque chose en moi se réjouit de cette catastrophe : le voir, ce camarade-énarque-qui-n'aime-pas-la-finance aller à Canossa devant Merkel, l'entendre déclarer au “peuple-de-gauche” qu'il faudra finalement se serrer la ceinture, comme il en a assuré, à tout petit pas et à voix presque inaudible,  la City il y a deux jours, eh bien j'ai envie de vivre cela – et il semble probable que c'est ce que je vais vivre en effet.


Samedi 18 février

Sept heures et demie. – Je suis revenu m'installer devant cet ordinateur par pure habitude, et surtout sans la moindre envie d'écrire dans ce journal. Et c'est pour constater que je l'ai déjà déserté hier : le début de la fin ?

– Le livre de Michael Denton consacré à Darwin et à la crise de la sélection naturelle est passionnant. Bien entendu, comme je peine tout de même un peu à bien comprendre ce que je lis, je sais parfaitement qu'il ne m'en restera pratiquement rien. En tout cas que les quelques lambeaux qui subsisteront dans ma mémoire seront bien insuffisants pour prétendre expliquer quoi que soit à quiconque de cette lecture, et encore moins pour faire face à la moindre contradiction. J'y ai tout de même passé l'essentiel de cette journée, alors que j'étais censé écrire un article pour FD, consacré aux amours ducales de Pippa Middleton…

– Coup de téléphone, hier, de Rochechouart, me demandant si  cela m'amuserait d'écrire un article pour un autre magazine dont il a la charge, et que nous appellerons Astrologia. Je ne puis pas affirmer que l'astrologie soit l'une de mes passions, mais enfin pourquoi pas ? En fait, il n'y a rien de mieux que d'écrire sur des sujets dont on se fout : ça élimine un certain nombre de blocages, on travaille plus vite, nettement plus vite, et le résultat n'est pas plus mauvais ; plutôt meilleur, même, je crois.

– Moi qui envisageais, il y a quelques semaines, de me désintoxiquer de la lecture des blogs en employant je ne sais quels grands moyens drastiques, je suis en train de m'en déprendre sans faire pour cela le moindre effort, tout à fait naturellement. Bien aidé en cette cure par le niveau de bêtise et d'insignifiance militantes atteint par la plupart. C'est au point que, s'il me vient l'idée d'un billet à résonance plus ou moins politique, un tant soit peu en rapport avec l'actualité, je renonce finalement à l'écrire, pour ne pas avoir à descendre dans ces arènes fangeuses. De toute façon, pour le peu que j'ai à dire sur ces sujets-là, autant s'abstenir, quelles que soient les circonstances et le climat.

– Ce matin, Catherine est revenue des courses avec (entre autres) un paillasson neuf. Vingt minutes plus tard, il était déjà au milieu du jardin, à moitié déchiqueté par Elstir qui le tenait solidement entre ses pattes avant.


Dimanche 19 février

Sept heures et demie. – Fort de ma lecture du livre de Denton concernant l'évolution, le darwinisme, etc, et de l'enthousiasme qu'elle a suscité en moi, je me suis fendu d'un billet sur le sujet. J'aurais dû avoir la modestie et la prudence de m'en abstenir :  me voilà quasiment obligé maintenant de contrer les objections qui me sont faites, alors que je suis loin d'en être capable, évidemment. C'est qu'il y a une trotte entre la compréhension (et encore : très partielle et superficielle) d'un sujet et la capacité de soutenir une discussion sur lui !

– Plus simple, d'avantage à ma portée, j'ai mené à bien en une demi-heure les deux feuillets et demi que je devais écrire pour FD sur Pippa Middleton, la sœur de l'épouse du prince William d'Angleterre. Laquelle sœur semble avoir mis le grappin sur le futur duc de Northumberland et aurait bien tort, je trouve, de le laisser filer, vu les biens mobiliers et immobiliers dont peut se targuer cette respectable famille angloise.

(Comment ce journal est en train de virer à Point de vue.)

– Toujours au chapitre des lectures, j'ai très envie de rester dans le domaine des sciences, mais n'ai plus de nourriture à portée de main. Je pense que je vais commander un livre de Thomas Kuhn, historien des sciences américain, intitulé : La Structure des révolutions scientifiques, dans laquelle, si j'ai bien compris ce qu'en dit Trinh Xuan Thuan, il aborde la question des paradigmes – laquelle m'intéresse beaucoup et a des chances d'être moins “technique” que ce que je viens de lire depuis une quinzaine de jours.


Lundi 20 février

Huit heures. – Cet après-midi, troisième et dernière relecture du journal de janvier : il ne devrait pas rester trop de fautes…

– Ensuite, relecture (décidément…) de deux anciens BM, l'un de 2000 qui se passait à Sydney, Australie, l'autre de 2003 qui avait pour toile de fond une boîte échangiste de luxe à Vincennes. Je me suis rapidement rendu compte que ni l'un ni l'autre ne pourrait être réutilisé – pour des raisons différentes d'ailleurs – mais je les ai tout de même relus jusqu'au bout, les deux, en les trouvant vraiment bien ficelés. Le début du gâtisme ?

– En reprenant le mois de janvier de ce journal, je suis tombé sur le passage où je disais que la biographie du Grand Condé (Simone Berthière) me donnait envie de retourner à Chantilly et que nous allions probablement le faire “un de ces lundis". Or, aujourd'hui aurait été la journée idéale, Catherine et moi n'ayant rien de plus intelligent ni pressé à faire, et le temps se prêtant admirablement à l'expédition. Sauf qu'alors, il était déjà trois heures de l'après-midi…


Mardi 21 février

Huit heures moins le quart. – Je suis allé à Levallois aujourd'hui (160 km) pour écrire une feuillet et demi, ce qui m'a pris une demi-heure – et encore je compte large. D'un autre côté, je ne peux m'en plaindre : la même chose m'arrivait déjà couramment lorsque j'étais rewriter, sauf qu'alors il me fallait néanmoins rester jusqu'à des heures avancées de la journée. Tandis que, là, j'ai décidé tout seul, à trois heures et demie, que je m'autorisais à rentrer chez moi – ce que j'ai fait.

Demain, le réveil va sonner à six heures et demie car il faut que je sois sur le pont à huit heures et demie. Tout en sachant que si aucun sujet nouveau n'entraîne un “repiquage”, je me serai arraché du lit en pleine nuit pour rien. Mais, là encore, à deux heures au grand maximum je serai reparti.


Mercredi 22 février

Six heures et quart. – Heure assez inhabituelle pour venir ici. La raison en est que Catherine, pour cause de mercredi des Cendres je crois bien, va m'abandonner entre sept heures moins le quart et huit heures et quart (environ) et que, par voie de conséquence aisément prévisible, j'ai décidé de m'octroyer mon apéritif hebdomadaire aujourd'hui.

Quand je dis que j'ai décidé, c'est très exagéré puisque, devançant cette décision, Catherine m'avait acheté de quoi boire avant même de m'annoncer sa petite sortie, voilà trois ou quatre jours. Le fait notable est que la bouteille alors achetée par elle est restée intacte – ce qui prouve chez moi une volonté de fer.

– J'ai tout à l'heure commencé La Structure des révolutions scientifiques, livre paru en 1962 et dû à l'historien et philosophe des sciences américain Thomas Kuhn – livre que je me propose d'envoyer ensuite à Adrien, s'il ne l'a déjà lu, car je pense que le sujet devrait l'intéresser – sinon, il en sera quitte pour faire semblant. Pour ma part, n'en ayant lu qu'une quinzaine de pages avant de piquer du nez dessus, je me garderai pour l'instant d'en dire quoi que ce soit.

– Si j'ai piqué du nez c'est en grande partie parce que je me suis levé à six heures et demie ce matin, devant être à FD deux heures plus tard : j'étais “de tonneau”, comme disaient les maquettistes il y a quelques années, pour désigner celui qui se tapait le bouclage du journal à l'imprimerie jusqu'à des heures parfois avancées de la nuit, et en référence à la célèbre histoire du mousse dans le tonneau percé sur les bâtiments de la marine à voile. Ce départ matinal m'a valu de contempler, durant plus de dix minutes, roulant vers le levant, un ciel absolument superbe. Partant, juste au dessus du sol d'un mauve profond, presque moiré, s'élevant vers le rouge, passant par toutes les nuances d'orangé et de rose, avant de virer au jaune, puis, en continuant d'élever le regard, de basculer vers un bleu presque blanc d'abord et de plus foncé jusqu'à s'annuler presque complètement dans la nuit qui était derrière moi aux deux sens de la préposition, géographique et temporel.

– À part cet instant magique, qui justifiait à lui seul le double trajet, je suis allé à Levallois pour rien, aucun travail ne m'ayant été confié. J'en suis reparti à une heure et demie. Arrivé à la maison, coup de fil de la rédactrice en chef d'Astrologia (si c'est bien ainsi que j'ai appelé son magazine il y a quelques jours) afin que nous parlions du plan de l'article que je dois écrire pour elle. Comme elle a accepté de ne le recevoir que lundi, son journal étant mensuel, je disposerai donc du week-end prochain pour mener à bien les dix mille signes qu'elle attend de moi.

– J'ai appris ce matin que quatre des cloches de la tour nord de Notre-Dame de Paris, fondues en 1856, venaient d'être déposées afin d'être remplacées par d'autres, qui seront fondues en Normandie, mieux accordées au gros bourdon de la tour sud, accroché là, lui, depuis les années 1660 et qui produit, paraît-il, un fa dièse d'une exceptionnelle pureté. J'aurais bien aimé assisté à la dépose : on n'a pas tous les jours l'occasion de contempler une cloche non humaine sur un trottoir parisien.

– Catherine vient de partir pour Pacy : il va être temps de passer à des activités libatoires.


Vendredi 24 février

Sept heures et quart. – Me voilà incapable de me souvenir pourquoi je ne suis pas venu écrire ici hier. Du reste, il n'y avait peut-être aucune raison particulière, ce qui expliquerait que je l'aie oubliée.

– Mon nouveau travail à FD comporte tout de même des aspects assez étranges. Hier, je suis reparti de Levallois avec un livre (peu importe son sujet) à parcourir pour en extraire un sujet d'article – article que j'aurais donc écrit ici aujourd'hui, ce qui m'aurait dispensé d'un aller-retour. Malheureusement, je me suis vite aperçu de quel néant j'avais entre les mains et sous les yeux, et qu'il ne saurait être question d'en tirer quoi que ce soit. Je me suis donc vu contraint, n'ayant plus le moindre travail à effectuer aujourd'hui, d'aller à Levallois ce matin. Où l'on m'a donné un autre livre à lire, avec lequel je suis reparti presque immédiatement. J'ai donc passé deux heures dans ma voiture et parcouru 160 kilomètres pour prendre et livre à FD et y manger un sandwich – ce qui est un peu absurde. Mais, somme toute, moins pénible, et de loin, que d'y passer la journée entière à attendre, ainsi qu'il m'arrivait couramment lorsque j'étais rewriter.

« Bon, alors, de quoi tu te plains ? – Mais de rien, mais de rien ! »

– En commençant la repeinte de notre chambre, hier matin, Catherine s'est fait un genre de lumbago, qui non seulement a stoppé net ses velléités de rénovation, mais l'immobilise sur le canapé le plus clair de la journée. Par conséquent, je vais devoir l'accompagner demain afin qu'elle puisse se livrer aux emplettes dont nous avons besoin. Et, pendant le même temps, je dois également écrire dix mille signes pour Astrologia. Il est vrai que j'ai aussi toute la journée de dimanche pour cela.

– Quant au livre d'Anne Sinclair, que l'on m'a confié ce matin à FD, je l'ai lu cet après-midi et n'y ai pas trouvé moins de trois sujets possibles. Je peux m'attendre à ce qu'on m'en donne un à écrire lundi matin, puisque exceptionnellement je travaille lundi – je ne sais trop pourquoi d'ailleurs ; pénurie d'effectifs probablement.

– Pratiquement pas de lectures ces deux derniers jours, hormis celles à but lucratif.

– Ma mère m'a appelée pour me dire que mon père et elle iraient volontiers passer une semaine en juin, dans le gîte proche du mont Saint-Michel où nous sommes allés nous-mêmes, en octobre dernier. Je me suis donc mis en rapport avec le propriétaire : aucun problème, il leur envoie les contrats dès la semaine prochaine. Comme il a l'air fort méticuleux pour tout ce qui concerne sa maison, je me suis empressé de le rassurer en lui affirmant que, quoi qu'il puisse faire dans ce domaine, ma mère est sans doute la seule femme au monde qui lui rendra de toute façon une maison plus propre que ce qu'elle aura trouvé en arrivant – ce qui n'est nullement exagéré.


Samedi 25 février

Huit heures. – J'ai passé la première partie de la matinée à étudier la documentation que l'on m'a remise pour écrire l'article commandé par la rédactrice en chef d'Astrologia. La raison aurait voulu que j'enchaînasse directement sur l'écriture de ces dix mille signes et que je revinsse les terminer après le déjeuner. Au lieu de cela, j'ai préféré tout remettre à demain, sous le pitoyable prétexte qu'il était préférable de tout écrire d'une seule coulée (ce qui en soi n'est pas faux), et que la matinée de demain serait idéale pour cela. Il est vrai que j'avais également l'excuse de devoir, en début d'après-midi, servir de chauffeur à Catherine, que son début de lumbago empêche de conduire. Avec, en excuse subsidiaire, le fait qu'un jeune peintre a squatté notre salle de bain toute la journée afin de nous la rendre plus propre et blanche que nous ne la lui avons confiée.

Mais quelle importance que celle de ce peintre dans la salle de bain de la maison, puisque tu travailles à ton bureau dans la Case ? va-t-on s'exclamer ci ou là. Aucune importance géographique, en effet. Mais la moindre rupture dans l'ordonnancement des choses suffit désormais à scier les branches professionnelles sur lesquelles je comptais m'asseoir. – L'article sera donc pour demain.

– Par voie de conséquence, j'ai eu tout le temps d'avancer dans ma lecture de La Structure des révolutions scientifiques, ouvrage qu'il me semble comprendre. Et encore : dans certaines de ses parties davantage qu'en d'autres.


Dimanche 26 février

Huit heures moins vingt. – Cet après-midi, vers cinq heures, le peintre et moi nous sommes trouvés, en même temps, très contents de nous-mêmes, lui pour avoir terminé de repeindre notre salle de bain et moi pour avoir expédié à la rédactrice en chef d'Astrologia les dix mille signes que je m'étais engagé à lui fournir pour lundi matin. J'ai peiné dans la première partie du texte, mais la suite est venue plus facilement – sans doute parce que la conscience de l'échec et de mon inaptitude avait plus ou moins relâché son emprise, à mesure que la bête allait s'échauffant.

– Dès demain, retour à FD, exceptionnellement : il y a bien longtemps, je crois, que je n'avais pas eu un week-end aussi court, d'autant plus qu'il fut partiellement laborieux.

– Yanka est revenu de son escapade amoureuse à Perpignan, chez Sand. Il semble assez nettement refroidi, sans que l'on discerne bien si cette chute de température est due à une connaissance plus précise de la dame ou bien à l'apaisement momentané de ses sens.


Lundi 27 février

Sept heures et demie. – J'avais décidé de publier dès ce soir mon journal de janvier, afin que Catherine puisse le lire dès demain, “avant tout le monde”, comme elle dit un peu comiquement si l'on songe aux douze personnes qui doivent le lire effectivement. Au moment de ce faire, je me suis aperçu que j'avais omis de lui chercher un titre, à ce journal. Je l'ai donc reparcouru très rapidement, jusqu'à ce que mes yeux accrochent le paragraphe où je disais que la lecture de la biographie du Grand Condé me donnait envie de revoir le château de Chantilly. ce sera donc : La Tentation de Chantilly. J'aurais sans doute pu trouver mieux, mais hein…

– Cette assurance des gens de gauche de réunir sur leurs têtes à peu près toutes les qualités humaines qui se peuvent concevoir atteint des sommets dans le comique. Le nommé Dedalus a fait aujourd'hui ou hier un billet pour dire qu'il ne comprenait pas pourquoi ni comment les gens à faible revenu pouvaient encore envisager de voter pour Sarkozy. Bon, jusque-là, c'était du classique, dans le genre. La suite était plus intéressante, puisque pour montrer sa belle âme, son abnégation, son altruisme, presque son héroïsme, il proclamait que ses hauts revenus et son capital devraient normalement le faire voter à droite, que ce serait même son intérêt, mais que malgré ça il continuait d'être de gauche. Et, ce faisant, avec une satisfaction puérile dont il ne semble même pas avoir conscience, il détaillait pour ses lecteurs éblouis tout ce qui tombait dans son escarcelle ou s'y trouvait déjà. Bien entendu, à aucun moment il ne percevait la contradiction criante qui faisait exploser son argumentation. À savoir que si lui est capable de voter contre ses intérêts, ainsi qu'il le proclame, les pauvres, ces pauvres de droite qui lui sont une énigme, pourraient fort bien en être capables également. Je ne suis pas loin de voir là l'expression du vague mépris que les pauvres en question doivent plus ou moins lui inspirer. J'imagine qu'il doit les considérer comme “victimes du bourrage de crâne de TF1 et du grand capital réunis”. alors que lui, Dedalus, bien entendu, est trop intelligent et lucide pour tomber dans les pièges idéologiques qu'on lui tend.

Il faut rire ; rire d'eux sans relâche.

– La rédactrice en chef d'Astrologia (appelons-là Oriane Délaumes, tiens : si par extraordinaire elle passait par ici un jour, elle comprendrait pourquoi) semble avoir été satisfaite de mon travail, bien que son jugement soit resté fort laconique : « J'ai reçu votre article, qui se lit fort agréablement. » Oui, c'est bien le moins : je ne connais pas ses lecteurs personnellement, mais je n'ai aucune raison de vouloir les rebuter.


Mardi 28 février

Sept heures vingt. –  Commencé le livre d'entretiens entre Matthieu Ricard et Trinh Xuan Thuan, pour l'instant sans enthousiasme particulier. il est vrai que c'était dans la salle de réunion, à FD et juste après mon déjeuner, si bien que j'avais une nette tendance à l'endormissement “post-prandial” comme dirait l'autre. Cependant, j'ai au moins obtenu, ou cru obtenir, la réponse à une question que je me posais depuis que je lis l'astrophysicien vietnamo-américain. Je me demandais lequel (ou lesquels) de ses trois noms représentait son patronyme et lesquels (ou lequel) étaient ses (ou son) prénoms. Comme Mathieu Ricard parle en premier et que son intervention est précédée de son seul prénom, j'en ai déduit que le “Thuan” qui ouvre la réponse de son interlocuteur devait correspondre au sien. Mais l'affaire se complique tout de même car j'aurais eu tendance, moi, à penser que son prénom était Xuan Thuan et son nom Trinh, c'est-à-dire sur le modèle chinois : M. Mao, Tsé Toung de son prénom. Bref, à la réflexion, je suis à peine plus avancé.

Je pense que si, pour l'instant, mon intérêt ne s'est que faiblement éveillé, c'est que le bouddhisme ne m'intéresse pas et ne m'a jamais intéressé. Ce n'est même pas que je rejette : je m'en fous. C'est sans doute fort dommage mais je n'ai pas l'impression que c'est ce livre qui va me ramener à de meilleurs sentiments.

– Demain, debout à six heures et demie, départ à sept heures et quart, afin d'être à Levallois avant huit heures et demie : pour cause de vacances scolaires, les jeunes membres de la rédaction, tous plus ou moins cousus d'enfants, se sont égaillés comme une volée d'étourneaux et je demeure à peu près seul sur le pont. Donc, me voilà "d'astreinte" pour la seconde semaine consécutive. En revanche, comme on m'a donné aujourd'hui à parcourir le livre d'entretiens que vient de sortir Eddy Mitchell, je compte bien m'appuyer sur ce “gros” travail pour ne pas aller du tout à FD jeudi.


Mercredi 29 février

Sept heures et demie. – Pas grand-chose à noter ici, mais il ne s'agissait pas de manquer la date. Lorsqu'elle reviendra j'aurai presque soixante ans. J'espère bien être en retraite ou sur le point de l'être, mais rien n'est moins sûr. J'espère aussi ne pas être mort, mais rien n'est moins sûr non plus. Combien me reste-t-il de 29 février, d'ailleurs ? Un ? Deux ? Trois ? À coup sûr pas davantage, en tout cas – et trois me semble déjà une hypothèse optimiste.

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