LE PRÉPOSÉ AUX CHOSES VAGUES
Au Père B.
Vendredi 1er juillet
Trois heures et quart. – B. vient de rentrer de déjeuner ; visiblement, il a bu plus qu'il n'aurait été nécessaire ; du coup, il parle à jet continu – limite bredouillant – et très fort. Je n'écoute pas, ne réponds pas, reste ostensiblement penché sur mon clavier : il s'en fout, il continue. Heureusement que la délivrance est pour dans quelques heures – mais elles vont être longues. Et je n'ai même plus la ressource de me tirer de ce bureau en prétextant une soudaine et irrésistible envie de descendre fumer.
– Dominique Strauss-Kahn pourrait se voir très rapidement innocenté – sinon innocenté du moins plus poursuivi. Je rêverais de le voir revenir en France et annoncer tout de go qu'il est candidat à l'élection présidentielle de 2012 : pas aux primaires grotesques des socialistes, non : directement à la présidentielle. Rien que pour voir la tête de ses petits camarades. Mais mon rêve a peu de chances de se réaliser, j'en ai peur.
– Brice, ce matin, me disait qu'il avait, la semaine dernière, croisé Jean S. à Levallois. Cet ancien reporter de FD, que j'aimais beaucoup et qui était d'assez loin le plus talentueux, lui a dit qu'il était un lecteur assidu de mon blog et que c'était même pour cette raison qu'il se trouvait à Levallois : devant consulter un dentiste et n'en ayant pas d'attitré, il avait opté pour celui dont j'ai parlé dans un récent billet ! J'espère qu'il a été satisfait des soins à lui prodigués, sinon je vais sentir peser sur moi une certaine responsabilité.
Ce Jean-là possédait il y a une quinzaine d'années une maison de campagne dans l'Orne, à Courtomer. Lorsque nous avons acheté la nôtre en 1998 (mais en résidence principale puisque j'avais alors démissionné de FD), à Sainte-Scolasse-sur-Sarthe, nous nous sommes retrouvés voisins, séparés par moins de dix kilomètres. Jean passait souvent nous voir, parfois seul, parfois avec l'un ou l'autre de ses trois enfants, et parfois encore avec sa femme, qui se prénomme également Catherine. Nous avons dîné plusieurs fois les uns chez les autres et toujours avec grand plaisir, au moins en ce qui nous concerne. Il a fallu ce rapprochement géographique pour que je découvre que le personnage morose et systématiquement grognon qu'il se composait à FD relevait en effet de la composition et qu'il redevenait, “dans le civil”, un homme charmant, enjoué et plein d'entrain.
Samedi 2 juillet
Dix heures et demie du matin. – J'ai lu tout à l'heure ce qu'a fait Yanka pour un éventuel BM, à savoir l'établissement des principaux personnages et le synopsis des deux premiers chapitres : c'est excellent, et j'en suis très content (très content pour lui, essentiellement). Il va maintenant falloir qu'il mène le scénario à son terme et qu'il écrive le premier chapitre pour qu'on soit sûr, lui et moi, qu'on peut vraiment lancer la machine. Nous communiquerons par mails, puisque demain, je l'emmène en Belgique, chez ses amis des Ardennes. Il est tout de même dommage qu'il ait traîné autant avant de s'y mettre : il aurait été plus simple de collaborer de vive voix durant le temps qu'il a passé ici. Mais bon.
– J'ai, ce matin, formé le néologisme muni-cois ( ou Municois, je ne sais pas trop ; j'hésite) pour désigner nos amis progressistes qui, non seulement se couchent devant les musulmans et leurs revendications irrecevables, mais en plus osent de moins en moins ne serait-ce qu'évoquer les problèmes grandissants qu'ils posent. Je voulais en faire un petit billet sur le blog-mère et puis finalement non : la mayonnaise n'a pas voulu prendre. Il y a aussi que le blog me lasse un peu et que, de surcroit, nous sommes le samedi 2 juillet et qu'il ne se trouverait à peu près personne pour le lire.
Cinq heures et demie. – Finalement, je l'ai fait, ce petit billet, mais il est trop sommaire et anecdotique pour être mis en lien ici.
– Je me réveille tout juste du semblant de sieste que je viens de faire dans mon fauteuil, au salon, à côté de Catherine qui lisait dans le canapé. Il est tout de même un peu attristant de constater que l'on ne peut pratiquement plus passer un après-midi sans piquer du nez au moins une fois, à un moment ou à un autre.
– Sur les conseils de Nathalie, qui ne lit que cela depuis des mois, j'ai commencé ce matin un roman de Don DeLillo, Bruit de fond. J'en ai lu une centaine de pages, avec une certaine excitation et beaucoup de plaisir. Il y a 12 ou 13 ans, j'avais tenté de lire Mao II mais l'avais abandonné avant son terme. Ce qui m'amuse dans celui-là (au milieu d'autres choses) c'est que le personnage principal partage avec moi un rapport particulier et un peu tordu à la langue allemande. Mais j'y reviendrai un autre jour : là, je ne suis pas assez bien réveillé pour me lancer sur ce chapitre.
Lundi 4 juillet
Trois heures et demie. – Rentré de Sedan il y a une heure environ. Je comptais d'abord prendre le chemin des écoliers (puisque eux-mêmes sont en vacances) afin d'éviter la région parisienne qui, dimanche matin, nous a laissé, à Yanka et à moi – mais davantage à moi qui conduisais – un souvenir très mitigé : Laon, Compiègne, Beauvais, etc. Seulement voilà : mes parents ayant récupéré le carillon “Westminster” de mes grands-parents, ils me l'ont donné, avec toute la solennité requise, comme il était prévu qu'ils le fissent depuis environ quarante ans. Or, ce carillon s'est révélé ultra-sensible aux plus infimes secousses et vibrations de la voiture, si bien que j'ai compris, au bout de cent mètres qu'il allait tintinnabuler durant tout le voyage sans la moindre interruption – ce qu'il a fait effectivement. En conséquence, à moins d'accepter de devenir fou avant d'arriver au port, il me fallait renoncer à mon périple buissonnier et rentrer le plus vite possible en roulant aussi régulièrement que faire se peut – donc par les autoroutes. Voyages sans anicroche, si l'on excepte l'accompagnement musical ininterrompu durant près de cinq heures…
– Mes grands-parents ont acheté ce carillon à l'extrême fin des années quarante ou peut-être au tout début de la décennie suivante : ma mère reste incertaine sur ce point. Ils vivaient à ce moment là au 13 du boulevard Fabert, dans la petite maison annexe de la Chambre de commerce où mon grand-père, ayant quitté l'armée, occupait les fonctions de concierge-homme à tout faire, qu'il conservera jusqu'à sa retraite, en 1974. Cette maison est le symbole de mon enfance, ainsi que je l'ai plus ou moins dit (mais bien sommairement et maladroitement) dans cet ensemble de textes que j'ai intitulé Généalogie. À l'intérieur de la maison, le saint des saints était constitué par la cuisine. Et si je devais encore concentrer toutes ces années en un seul point, mon enfance se ramasserait alors entre les contours de ce carillon, accroché au mur au bout de la table où se prenaient les repas de famille, mais qui servait aussi à quantité d'autres choses, puisqu'elle était en fait la seule table dont disposait cette famille de sept enfants : ma mère par exemple y a fait tous ses devoirs d'écolière, puis de collégienne, puis de lycéenne – ses sœurs et frères également.
J'ai toujours adoré ce carillon, symbole de l'enfance, je l'ai dit, mais surtout symbole de l'enfance en vacances – vacances toujours imperturbablement ensoleillées, le souvenir est formel sur ce point même lorsque l'intelligence regimbe. Un jour, je devais déjà être adolescent, j'ai dit à mes grands-parents : « Ce que j'aimerais, moi, quand vous serez morts, c'est avoir le carillon… » Aussi sec, René : « Tu l'auras, mon gamin ! Je te le promets, il sera pour toi ! » Et, depuis quarante ans, il a toujours été entendu qu'un jour, le carillon serait pour Didier, fils aîné de la fille aînée du clan. Quelques années après la mort de René, survenue en 1993, lorsque ma grand-mère s'est résolue (ou résignée…) à quitter sa maison pour aller vivre dans une résidence mieux adaptée à ses besoins, les enfants se sont partagés les meubles que Suzanne ne pouvait emporter avec elle. Mais elle a gardé mon carillon.
Et ce n'est que tout récemment, lorsque Suzanne a dû partir dans une maison de retraite “médicalisée” que ma mère a récupéré le précieux carillon. Qu'elle vient donc de me remettre et qui se trouve maintenant à droite de mon fauteuil en attendant que Catherine trouve le temps de le fixer au mur. J'ai remis le balancier en mouvement et, à trois heures, il a sonné comme il le fait depuis soixante ans. Et j'ai éprouvé un sentiment très étrange, mais encore impossible à cerner, à définir, en l'entendant sonner ici, chez moi. C'était comme si j'étais devenu brusquement étranger en ma propre demeure, ou bien comme si René venait d'y faire irruption. Car c'est lui beaucoup plus que ma grand-mère que m'évoque le carillon. Il est vrai que mon attachement pour lui a toujours été beaucoup plus intense et solide que celui qui me lie à Suzanne. Peut-être simplement parce qu'il vouait une véritable passion aux enfants, alors qu'elle pas spécialement. Mais je n'ai guère envie de creuser ce sujet pour le moment.
– Sinon, dimanche, le voyage avec Yanka s'est très bien déroulé (hormis les problèmes circulatoires parisiens) et je l'ai déposé sans coup férir chez ses amis – qui étaient absents mais avaient laissé un mot et la clé à son intention), dans un village nommé Buzenol, à une vingtaine de kilomètres de Florentville – soit à une cinquantaine de Sedan, où je suis arrivé peu après cinq heures et demie.
– Petit choc, tout de même, en découvrant les cheveux ras et clairsemés de mon père. Peu avant de me coucher, alors que j'étais sorti dans le jardin pour regarder les chauves-souris voleter dans le ciel sombre, j'ai eu la sensation pénible que c'était la dernière fois que je voyais mes parents ensemble, en forme (relative) et chez eux. Je me suis dépêché d'aller me coucher.
Mardi 5 juillet
Onze heures du matin. – Aujourd'hui, journée de repos, entre les agitations d'hier et d'avant-hier et le vrai démarrage du BM demain. Le programme est celui-ci, jusqu'au 19 juillet inclus : lever à huit heures, mise au travail à neuf heures et demie (et sans avoir ouvert la boitablogs !) jusqu'à une heure et demie. Repos l'après-midi. En principe, si je me tiens à cela (mais je suis le tout premier à en douter), je devrais faire au moins quinze feuillets par matinée. Comme je dispose de quatorze jours, nous arrivons à un total de presque 220 feuillets sur les 240 qui doivent être écrits (mais 230 suffisent, en fait…) ; ce qui impliquera de faire une ou deux journées “continues” vers la fin du livre. Si je fais le fainéant une ou deux matinées, j'en serai quitte pour rajouter l'équivalent en “journées temps plein”. De toute façon, tout doit être bouclé le 19 juillet, c'est impératif.
– Les deux titis de la tourterelle nicheuse (que l'on voit de moins en moins au nid, du reste) sont énormes, presque aussi gros que leurs parents, mais avec un bec disproportionné par rapport à leur tête. Ils commencent vraiment à être à l'étroit au nid – c'est du moins l'impression qu'ils donnent aux humains – et je pense que leur envol est affaire de quelques jours. Je ne sais plus si j'ai noté ici que Yanka, juste avant son départ, avait repéré, dans le tilleul, la présence d'une autre tourterelle nicheuse.
– Je suis absolument ravi de la présence du carillon dans le salon. Pour l'instant, chacune de ses sonneries big-beniennes me fait un curieux effet, comme si l'on m'avait brusquement transporté dans l'espace et le temps – expérience proustienne, évidemment, mais dont je ne tirerai rien d'intéressant, pas même ici.
– Catherine, profitant du retour de Roselyne, est partie faire des courses ; les chiens dorment dans le salon ; Golo guette les merles depuis la terrasse ; il fait beau et tout va bien.
Mercredi 6 juillet
Deux heures et demie. – Voilà, ça y est : il y a environ une heure, l'un des deux tourtereaux a quitté le nid. J'ai raté de peu ce premier envol : le temps de rentrer dans la maison pour dire quelque chose à Catherine puis de ressortir sur la terrasse, et il était par terre, juste au pied du volet de la Case. Nous avons aussitôt fait rentrer les chiens, pensant qu'il avait pu choir du nid et non s'en envoler. Mais, tout de suite après, il a voleté jusqu'à la gouttière. De là, il a grimpé jusqu'au faîte, d'où il a encore voleté jusqu'au tilleul, dans les frondaisons duquel il a disparu. Je l'ai retrouvé une dizaine de minutes plus tard, sur le faîte de la maison cette fois, où il avait rejoint sa mère (ou son père ?) : il y sont encore en ce moment même. Quant à l'autre, on sent qu'il aimerait s'élancer à son tour, mais il hésite encore. Pourtant, il semble bien que c'est pour l'inciter à se y aller que ses parents sont venus tout à l'heure déposer au sol un demi escargot, à la verticale du nid.
– Je passe mon temps depuis la fin du déjeuner à les observer au lieu de me remettre au travail. Cela dit, pour une “vraie première” matinée, j'ai bien avancé ce matin : dix feuillets tout ronds, que j'ai annoncés sans tricher à Catherine ; laquelle du coup, pensant que je me livre à mes petites gamineries habituelles, est persuadée que je n'en ai fait que sept ou huit : l'honnêteté ne paie jamais. Comme elle a prévu de venir passer une heure ou deux à sa machine à coudre, ici même, dans la Case, je pense que je vais en profiter pour écrire quatre ou cinq feuillets de plus, ce qui me mènerait donc à quinze, et le contrat moral passé avec moi-même serait rempli.
– Le petit Titi courageux (par opposition au petit Titi faignasse, qui n'a pas quitté le nid) non seulement a rattrapé ses parents en taille, mais il me semble même, vu d'en bas, plus volumineux. C'est peut-être dû au fait que ses plumes sont encore tout ébouriffées, ou bien à ce que ses parents ont pris plus de temps pour nourrir leurs petits que pour s'alimenter eux-mêmes. Il n'empêche : vu le vent violent qui souffle par bourrasques depuis hier soir, on peut dire qu'ils n'ont pas choisi le meilleur jour pour s'essayer au vol. Ou bien si, au contraire ?
Cinq heures et quart. – Eh bien voilà, le Titi faignasse a finalement pris son courage à deux ailes et a quitté le nid vers quatre heures. Du coup, ils ont tous disparu, parents et petits, et je me sens un peu déçu de leur désertion – comme si nous avions sué sang et eau pour les élever et qu'ils nous avaient quittés sans un mot de remerciement ni d'affection, sans même se retourner. L'ingratitude des tourterelles pourrait d'ailleurs bien être le titre de ce journal de juillet, pour leur apprendre. Il nous reste bien celle qui couve toujours dans les branches basses du tilleul, mais je sens que ça ne sera pas pareil… Quelque chose s'est cassé…
Jeudi 7 juillet
Une heure de l'après-midi. – Onze feuillets écrits, depuis dix heures ce matin : ce n'est pas mal, mais insuffisant pour ne travailler que le matin, comme j'espérais pouvoir le faire sans trop y croire. Il va donc falloir m'y remettre une heure ou deux cet après-midi, en revenant du garage où je dois aller faire ajouter dans le moteur l'huile que Roselyne a réclamé par deux fois, et de façon assez comminatoire, la semaine dernière, lorsque je circulais entre la Normandie et la Belgique. Ce qui me fait penser (la Belgique) que je dois sélectionner deux ou trois de mes anciens BM pour les envoyer en “docs joints” à Yanka, à fins de documentation.
– Les titis n'ont pas réapparu.
Sept heures et quart. – Je me suis laissé aller à une polémique stupide, sur un blog qui l'est à peine moins et où le taulier est surtout horripilant par sa manière de foutre des couleurs à vomir dans ses billets. Taulier dont le pseudonyme est Cui cui fait l'oiseau, ce qui aurait dû être suffisamment dissuasif. Tiens, je pense que je vais reproduire l'intégralité des commentaires, plutôt que de perdre du temps à gloser. Au départ, le billet est un classique de la gauche lacrymale, à propos de je ne sais quelle famine en Afrique. Voilà la suite :
Trois heures et quart. – B. vient de rentrer de déjeuner ; visiblement, il a bu plus qu'il n'aurait été nécessaire ; du coup, il parle à jet continu – limite bredouillant – et très fort. Je n'écoute pas, ne réponds pas, reste ostensiblement penché sur mon clavier : il s'en fout, il continue. Heureusement que la délivrance est pour dans quelques heures – mais elles vont être longues. Et je n'ai même plus la ressource de me tirer de ce bureau en prétextant une soudaine et irrésistible envie de descendre fumer.
– Dominique Strauss-Kahn pourrait se voir très rapidement innocenté – sinon innocenté du moins plus poursuivi. Je rêverais de le voir revenir en France et annoncer tout de go qu'il est candidat à l'élection présidentielle de 2012 : pas aux primaires grotesques des socialistes, non : directement à la présidentielle. Rien que pour voir la tête de ses petits camarades. Mais mon rêve a peu de chances de se réaliser, j'en ai peur.
– Brice, ce matin, me disait qu'il avait, la semaine dernière, croisé Jean S. à Levallois. Cet ancien reporter de FD, que j'aimais beaucoup et qui était d'assez loin le plus talentueux, lui a dit qu'il était un lecteur assidu de mon blog et que c'était même pour cette raison qu'il se trouvait à Levallois : devant consulter un dentiste et n'en ayant pas d'attitré, il avait opté pour celui dont j'ai parlé dans un récent billet ! J'espère qu'il a été satisfait des soins à lui prodigués, sinon je vais sentir peser sur moi une certaine responsabilité.
Ce Jean-là possédait il y a une quinzaine d'années une maison de campagne dans l'Orne, à Courtomer. Lorsque nous avons acheté la nôtre en 1998 (mais en résidence principale puisque j'avais alors démissionné de FD), à Sainte-Scolasse-sur-Sarthe, nous nous sommes retrouvés voisins, séparés par moins de dix kilomètres. Jean passait souvent nous voir, parfois seul, parfois avec l'un ou l'autre de ses trois enfants, et parfois encore avec sa femme, qui se prénomme également Catherine. Nous avons dîné plusieurs fois les uns chez les autres et toujours avec grand plaisir, au moins en ce qui nous concerne. Il a fallu ce rapprochement géographique pour que je découvre que le personnage morose et systématiquement grognon qu'il se composait à FD relevait en effet de la composition et qu'il redevenait, “dans le civil”, un homme charmant, enjoué et plein d'entrain.
Samedi 2 juillet
Dix heures et demie du matin. – J'ai lu tout à l'heure ce qu'a fait Yanka pour un éventuel BM, à savoir l'établissement des principaux personnages et le synopsis des deux premiers chapitres : c'est excellent, et j'en suis très content (très content pour lui, essentiellement). Il va maintenant falloir qu'il mène le scénario à son terme et qu'il écrive le premier chapitre pour qu'on soit sûr, lui et moi, qu'on peut vraiment lancer la machine. Nous communiquerons par mails, puisque demain, je l'emmène en Belgique, chez ses amis des Ardennes. Il est tout de même dommage qu'il ait traîné autant avant de s'y mettre : il aurait été plus simple de collaborer de vive voix durant le temps qu'il a passé ici. Mais bon.
– J'ai, ce matin, formé le néologisme muni-cois ( ou Municois, je ne sais pas trop ; j'hésite) pour désigner nos amis progressistes qui, non seulement se couchent devant les musulmans et leurs revendications irrecevables, mais en plus osent de moins en moins ne serait-ce qu'évoquer les problèmes grandissants qu'ils posent. Je voulais en faire un petit billet sur le blog-mère et puis finalement non : la mayonnaise n'a pas voulu prendre. Il y a aussi que le blog me lasse un peu et que, de surcroit, nous sommes le samedi 2 juillet et qu'il ne se trouverait à peu près personne pour le lire.
Cinq heures et demie. – Finalement, je l'ai fait, ce petit billet, mais il est trop sommaire et anecdotique pour être mis en lien ici.
– Je me réveille tout juste du semblant de sieste que je viens de faire dans mon fauteuil, au salon, à côté de Catherine qui lisait dans le canapé. Il est tout de même un peu attristant de constater que l'on ne peut pratiquement plus passer un après-midi sans piquer du nez au moins une fois, à un moment ou à un autre.
– Sur les conseils de Nathalie, qui ne lit que cela depuis des mois, j'ai commencé ce matin un roman de Don DeLillo, Bruit de fond. J'en ai lu une centaine de pages, avec une certaine excitation et beaucoup de plaisir. Il y a 12 ou 13 ans, j'avais tenté de lire Mao II mais l'avais abandonné avant son terme. Ce qui m'amuse dans celui-là (au milieu d'autres choses) c'est que le personnage principal partage avec moi un rapport particulier et un peu tordu à la langue allemande. Mais j'y reviendrai un autre jour : là, je ne suis pas assez bien réveillé pour me lancer sur ce chapitre.
Lundi 4 juillet
Trois heures et demie. – Rentré de Sedan il y a une heure environ. Je comptais d'abord prendre le chemin des écoliers (puisque eux-mêmes sont en vacances) afin d'éviter la région parisienne qui, dimanche matin, nous a laissé, à Yanka et à moi – mais davantage à moi qui conduisais – un souvenir très mitigé : Laon, Compiègne, Beauvais, etc. Seulement voilà : mes parents ayant récupéré le carillon “Westminster” de mes grands-parents, ils me l'ont donné, avec toute la solennité requise, comme il était prévu qu'ils le fissent depuis environ quarante ans. Or, ce carillon s'est révélé ultra-sensible aux plus infimes secousses et vibrations de la voiture, si bien que j'ai compris, au bout de cent mètres qu'il allait tintinnabuler durant tout le voyage sans la moindre interruption – ce qu'il a fait effectivement. En conséquence, à moins d'accepter de devenir fou avant d'arriver au port, il me fallait renoncer à mon périple buissonnier et rentrer le plus vite possible en roulant aussi régulièrement que faire se peut – donc par les autoroutes. Voyages sans anicroche, si l'on excepte l'accompagnement musical ininterrompu durant près de cinq heures…
– Mes grands-parents ont acheté ce carillon à l'extrême fin des années quarante ou peut-être au tout début de la décennie suivante : ma mère reste incertaine sur ce point. Ils vivaient à ce moment là au 13 du boulevard Fabert, dans la petite maison annexe de la Chambre de commerce où mon grand-père, ayant quitté l'armée, occupait les fonctions de concierge-homme à tout faire, qu'il conservera jusqu'à sa retraite, en 1974. Cette maison est le symbole de mon enfance, ainsi que je l'ai plus ou moins dit (mais bien sommairement et maladroitement) dans cet ensemble de textes que j'ai intitulé Généalogie. À l'intérieur de la maison, le saint des saints était constitué par la cuisine. Et si je devais encore concentrer toutes ces années en un seul point, mon enfance se ramasserait alors entre les contours de ce carillon, accroché au mur au bout de la table où se prenaient les repas de famille, mais qui servait aussi à quantité d'autres choses, puisqu'elle était en fait la seule table dont disposait cette famille de sept enfants : ma mère par exemple y a fait tous ses devoirs d'écolière, puis de collégienne, puis de lycéenne – ses sœurs et frères également.
J'ai toujours adoré ce carillon, symbole de l'enfance, je l'ai dit, mais surtout symbole de l'enfance en vacances – vacances toujours imperturbablement ensoleillées, le souvenir est formel sur ce point même lorsque l'intelligence regimbe. Un jour, je devais déjà être adolescent, j'ai dit à mes grands-parents : « Ce que j'aimerais, moi, quand vous serez morts, c'est avoir le carillon… » Aussi sec, René : « Tu l'auras, mon gamin ! Je te le promets, il sera pour toi ! » Et, depuis quarante ans, il a toujours été entendu qu'un jour, le carillon serait pour Didier, fils aîné de la fille aînée du clan. Quelques années après la mort de René, survenue en 1993, lorsque ma grand-mère s'est résolue (ou résignée…) à quitter sa maison pour aller vivre dans une résidence mieux adaptée à ses besoins, les enfants se sont partagés les meubles que Suzanne ne pouvait emporter avec elle. Mais elle a gardé mon carillon.
Et ce n'est que tout récemment, lorsque Suzanne a dû partir dans une maison de retraite “médicalisée” que ma mère a récupéré le précieux carillon. Qu'elle vient donc de me remettre et qui se trouve maintenant à droite de mon fauteuil en attendant que Catherine trouve le temps de le fixer au mur. J'ai remis le balancier en mouvement et, à trois heures, il a sonné comme il le fait depuis soixante ans. Et j'ai éprouvé un sentiment très étrange, mais encore impossible à cerner, à définir, en l'entendant sonner ici, chez moi. C'était comme si j'étais devenu brusquement étranger en ma propre demeure, ou bien comme si René venait d'y faire irruption. Car c'est lui beaucoup plus que ma grand-mère que m'évoque le carillon. Il est vrai que mon attachement pour lui a toujours été beaucoup plus intense et solide que celui qui me lie à Suzanne. Peut-être simplement parce qu'il vouait une véritable passion aux enfants, alors qu'elle pas spécialement. Mais je n'ai guère envie de creuser ce sujet pour le moment.
– Sinon, dimanche, le voyage avec Yanka s'est très bien déroulé (hormis les problèmes circulatoires parisiens) et je l'ai déposé sans coup férir chez ses amis – qui étaient absents mais avaient laissé un mot et la clé à son intention), dans un village nommé Buzenol, à une vingtaine de kilomètres de Florentville – soit à une cinquantaine de Sedan, où je suis arrivé peu après cinq heures et demie.
– Petit choc, tout de même, en découvrant les cheveux ras et clairsemés de mon père. Peu avant de me coucher, alors que j'étais sorti dans le jardin pour regarder les chauves-souris voleter dans le ciel sombre, j'ai eu la sensation pénible que c'était la dernière fois que je voyais mes parents ensemble, en forme (relative) et chez eux. Je me suis dépêché d'aller me coucher.
Mardi 5 juillet
Onze heures du matin. – Aujourd'hui, journée de repos, entre les agitations d'hier et d'avant-hier et le vrai démarrage du BM demain. Le programme est celui-ci, jusqu'au 19 juillet inclus : lever à huit heures, mise au travail à neuf heures et demie (et sans avoir ouvert la boitablogs !) jusqu'à une heure et demie. Repos l'après-midi. En principe, si je me tiens à cela (mais je suis le tout premier à en douter), je devrais faire au moins quinze feuillets par matinée. Comme je dispose de quatorze jours, nous arrivons à un total de presque 220 feuillets sur les 240 qui doivent être écrits (mais 230 suffisent, en fait…) ; ce qui impliquera de faire une ou deux journées “continues” vers la fin du livre. Si je fais le fainéant une ou deux matinées, j'en serai quitte pour rajouter l'équivalent en “journées temps plein”. De toute façon, tout doit être bouclé le 19 juillet, c'est impératif.
– Les deux titis de la tourterelle nicheuse (que l'on voit de moins en moins au nid, du reste) sont énormes, presque aussi gros que leurs parents, mais avec un bec disproportionné par rapport à leur tête. Ils commencent vraiment à être à l'étroit au nid – c'est du moins l'impression qu'ils donnent aux humains – et je pense que leur envol est affaire de quelques jours. Je ne sais plus si j'ai noté ici que Yanka, juste avant son départ, avait repéré, dans le tilleul, la présence d'une autre tourterelle nicheuse.
– Je suis absolument ravi de la présence du carillon dans le salon. Pour l'instant, chacune de ses sonneries big-beniennes me fait un curieux effet, comme si l'on m'avait brusquement transporté dans l'espace et le temps – expérience proustienne, évidemment, mais dont je ne tirerai rien d'intéressant, pas même ici.
– Catherine, profitant du retour de Roselyne, est partie faire des courses ; les chiens dorment dans le salon ; Golo guette les merles depuis la terrasse ; il fait beau et tout va bien.
Mercredi 6 juillet
Deux heures et demie. – Voilà, ça y est : il y a environ une heure, l'un des deux tourtereaux a quitté le nid. J'ai raté de peu ce premier envol : le temps de rentrer dans la maison pour dire quelque chose à Catherine puis de ressortir sur la terrasse, et il était par terre, juste au pied du volet de la Case. Nous avons aussitôt fait rentrer les chiens, pensant qu'il avait pu choir du nid et non s'en envoler. Mais, tout de suite après, il a voleté jusqu'à la gouttière. De là, il a grimpé jusqu'au faîte, d'où il a encore voleté jusqu'au tilleul, dans les frondaisons duquel il a disparu. Je l'ai retrouvé une dizaine de minutes plus tard, sur le faîte de la maison cette fois, où il avait rejoint sa mère (ou son père ?) : il y sont encore en ce moment même. Quant à l'autre, on sent qu'il aimerait s'élancer à son tour, mais il hésite encore. Pourtant, il semble bien que c'est pour l'inciter à se y aller que ses parents sont venus tout à l'heure déposer au sol un demi escargot, à la verticale du nid.
– Je passe mon temps depuis la fin du déjeuner à les observer au lieu de me remettre au travail. Cela dit, pour une “vraie première” matinée, j'ai bien avancé ce matin : dix feuillets tout ronds, que j'ai annoncés sans tricher à Catherine ; laquelle du coup, pensant que je me livre à mes petites gamineries habituelles, est persuadée que je n'en ai fait que sept ou huit : l'honnêteté ne paie jamais. Comme elle a prévu de venir passer une heure ou deux à sa machine à coudre, ici même, dans la Case, je pense que je vais en profiter pour écrire quatre ou cinq feuillets de plus, ce qui me mènerait donc à quinze, et le contrat moral passé avec moi-même serait rempli.
– Le petit Titi courageux (par opposition au petit Titi faignasse, qui n'a pas quitté le nid) non seulement a rattrapé ses parents en taille, mais il me semble même, vu d'en bas, plus volumineux. C'est peut-être dû au fait que ses plumes sont encore tout ébouriffées, ou bien à ce que ses parents ont pris plus de temps pour nourrir leurs petits que pour s'alimenter eux-mêmes. Il n'empêche : vu le vent violent qui souffle par bourrasques depuis hier soir, on peut dire qu'ils n'ont pas choisi le meilleur jour pour s'essayer au vol. Ou bien si, au contraire ?
Cinq heures et quart. – Eh bien voilà, le Titi faignasse a finalement pris son courage à deux ailes et a quitté le nid vers quatre heures. Du coup, ils ont tous disparu, parents et petits, et je me sens un peu déçu de leur désertion – comme si nous avions sué sang et eau pour les élever et qu'ils nous avaient quittés sans un mot de remerciement ni d'affection, sans même se retourner. L'ingratitude des tourterelles pourrait d'ailleurs bien être le titre de ce journal de juillet, pour leur apprendre. Il nous reste bien celle qui couve toujours dans les branches basses du tilleul, mais je sens que ça ne sera pas pareil… Quelque chose s'est cassé…
Jeudi 7 juillet
Une heure de l'après-midi. – Onze feuillets écrits, depuis dix heures ce matin : ce n'est pas mal, mais insuffisant pour ne travailler que le matin, comme j'espérais pouvoir le faire sans trop y croire. Il va donc falloir m'y remettre une heure ou deux cet après-midi, en revenant du garage où je dois aller faire ajouter dans le moteur l'huile que Roselyne a réclamé par deux fois, et de façon assez comminatoire, la semaine dernière, lorsque je circulais entre la Normandie et la Belgique. Ce qui me fait penser (la Belgique) que je dois sélectionner deux ou trois de mes anciens BM pour les envoyer en “docs joints” à Yanka, à fins de documentation.
– Les titis n'ont pas réapparu.
Sept heures et quart. – Je me suis laissé aller à une polémique stupide, sur un blog qui l'est à peine moins et où le taulier est surtout horripilant par sa manière de foutre des couleurs à vomir dans ses billets. Taulier dont le pseudonyme est Cui cui fait l'oiseau, ce qui aurait dû être suffisamment dissuasif. Tiens, je pense que je vais reproduire l'intégralité des commentaires, plutôt que de perdre du temps à gloser. Au départ, le billet est un classique de la gauche lacrymale, à propos de je ne sais quelle famine en Afrique. Voilà la suite :
Pour le moment, nous en sommes là. Je trouve étonnant cette façon qu'ont certains blogueurs de projeter sur vous leurs propres frustrations et aigreurs. Celui-ci, par exemple, tient absolument à ce que je sois un rat de bibliothèque qui ne sort jamais de chez lui et est devenu méchant parce qu'il est un écrivain raté. Et, bien entendu, il me tient pour incapable de comprendre quoi que ce soi à rien, puisque, dit-il, je ne suis jamais (contrairement à lui, il va de soi) allé sur le sacro-saint terrain. Comme s'il suffisait d'en arpenter la pelouse pour savoir jouer au football. Et puis, naturellement, cette réjouissante stupéfaction lorsqu'ils s'aperçoivent que non seulement on peut ne pas marcher dans leurs niaiseries progressistes, mais qu'en plus on n'en a même pas honte. Au fond, ils ont absolument besoin de nous ; notre monstruosité est indispensable à la beauté dont ils s'affublent.
Vendredi 8 juillet
Cinq heures. – L'écrivain en bâtiment grimpe dans les tours : 18 pages écrites aujourd'hui, ce qui est exactement le rythme que je dois tenir jusqu'à la fin si je veux finir exactement le jour que je me suis fixé, à savoir le 18.
– Terminé Bruit de fond, de DeLillo, juste après le déjeuner. Comme Outremonde est arrivé ce matin par la poste, je vais pouvoir enchaîner. Écrivain puissant et original, c'est évident, alliage fait d'humour et de profond malaise, regard à la fois cruel et tendre sur ses personnages – mais je suis fatigué et n'ai nulle envie de jouer maintenant les critiques littéraires. D'ailleurs, j'en ai de moins en moins envie, d'une manière générale. Tout de même : il y a dans ce roman une sorte de folie latente, d'autant plus effrayante qu'elle semble toujours prête à s'épandre sur le monde si propre et ordonné que l'on nous donne à voir, tout comme s'épand le mystérieux nuage toxique de la seconde partie, mais qu'elle n'agit qu'à “bas bruit”, justement. Elle finit par exploser tout de même, à la fin, au moment de la tentative de meurtre. Mais alors, elle est elle-même obligée de battre en retraite face à la mort, ou plutôt à la puissance de la peur que la mort implique. Enfin, dans les dernières pages, même la mort se retire, devant la toute puissance des habitudes et des voies balisées de la consommation réflexe – à moins que ce ne soit cela, le vrai visage de la mort (et on pense aux zombis de Romero arpentant en titubant les allées d'un centre commercial, film d'ailleurs presque contemporain du roman de DeLillo). Le bruit de fond du titre c'est bien sûr celui émanant des radios et télés omniprésentes, mais c'est surtout, il me semble, le bourdonnement que produisent ensemble toutes ces peurs individuelles que plus rien ne parvient à divertir, ni la religion (extraordinaire dialogue avec la religieuse, à la fin du roman) ni le monde des objets familiers (scène brutale du personnage narrateur disséquant littéralement les détritus de la famille pour tenter d'y trouver une définition juste de ce qu'ils sont).
Samedi 9 juillet
Sept heures vingt. – Petite journée au fond de la mine : onze feuillets ce matin, ce qui n'était pas mal, et zéro cet après-midi, ce qui se passe de commentaire. J'en suis à la page 62 (sur 230). Je ne devrais jamais m'interrompre, à midi (c'est-à-dire en fait plutôt vers une heure), sur la fin d'un chapitre. Il faudrait au contraire toujours commencer le suivant, ne serait-ce que d'un feuillet ou deux. Sinon, le courage me manque, à la reprise de trois heures.
Demain, Catherine assistera à la messe comme tous les dimanches, et l'après-midi elle a prévu d'aller faire un tour à je ne sais quelle brocante ou vide-grenier à Saint-André : je n'ai pas hâte de compter mes feuillets demain soir, à l'issue de cette journée passée quasiment en roue libre.
– Les cinquante premières pages d'Outremonde, qui se déroulent entièrement durant un match de base-ball new-yorkais, celui qui opposait les Dodgers aux Giants en octobre 1951, sont éblouissantes d'intelligence, de virtuosité, de composition, toutes pleines d'échos, d'appels et de répons, etc. Du coup, j'ai commandé un nouveau roman de DeLillo : Libra, ainsi qu'American psycho de Bret Easton Ellis, que je n'ai jamais lu et dont je n'attends pas grand-chose, je ne sais pourquoi. Peut-être parce qu'on m'en a, à une époque, un peu trop rebattu les oreilles.
Dimanche 10 juillet
Une heure de l'après-midi. – Je me sens, depuis ce matin, d'une humeur merveilleusement indulgente. Je serais assez en peine de dire ce que recouvre ce mot en l'occurrence, mais c'est celui qui m'est venu et, à la réflexion, je n'en trouve pas de plus juste. On pourrait peut-être parler aussi d'humeur harmonieuse. Tout me semble à sa place, non dans le monde, mais dans la minuscule portion que j'en occupe – et même le fait de devoir aligner les feuillets de BM ne m'est d'aucun poids. Du reste, je les aligne à petite vitesse, mais contrairement à souvent je ne m'en soucie pas du tout. Je suis curieux de voir combien de temps cet état, à vrai dire assez inhabituel chez moi, va durer. En somme on pourrait, bravant le ridicule, se hasarder à dire que je me sens tout à fait content de moi, de mon existence présente, étroitement présente, et du petit cadre dans lequel elle se déroule. C'est une sensation assez curieuse mais fort agréable. J'écoute du piano depuis mon arrivée dans la Case ; d'abord Mendelsohn, les Lieder ohne Worte, puis Scriabine, les sonates opus 3 et 5, et actuellement Richard Strauss, Klavierstücke opus 3, joués par Gould.
Au fond, je crois que mon idéal, désormais, sera de quitter le moins possible cette maison – c'est-à-dire que je voudrais réussir à ne plus aller travailler à Levallois, ce qui reste un peu difficile, mais aussi à ne plus partir en vacances, ce qui l'est finalement à peine moins. Je crois que je n'ai plus beaucoup la curiosité du monde, même si le fantasme de la découverte perdure plus ou moins. Heureusement pour moi, Catherine semble engagée sur la même pente : il nous arrive de plus en plus de rêver de vacances prochaines et de nous en tenir là. De courtes et proches échappées, comme celle qui nous a conduits à Jumièges le mois dernier : voilà qui me suffit amplement – et encore pas trop souvent.
Sept heures et demie. – À la suite de ce que j'écrivais plus haut à propos de Don DeLillo, et dont j'ai fait un semblant de billet sur le blog-mère ce matin, Charles (il Sorpasso) m'écrit que mes quelques phrases lui donnent envie de s'y plonger, alors qu'il a toujours hésité à le faire, par peur que DeLillo ne soit un “faux écrivain” (l'expression n'est pas de lui mais de moi), à l'instar, dit-il, d'un Pynchon ou d'un Harrison. Pour Pynchon, j'aurais tendance à le suivre, mais il se trouve que j'ai beaucoup lu et beaucoup aimé les romans de Jim Harrison, en particulier Dalva et sa suite, La Route du retour. Il est vrai que mon enthousiasme s'est ensuite considérablement attiédi et que ses romans les plus récents m'ont donné l'impression d'un habile faiseur tournant un peu en roue libre – et en rond. Comme je lui disais à peu près cela, Charles me répond ceci :
Ce qui m'énerve sur Harrison c'est qu'on arrête pas de nous le présenter le "grantécrivain américain" et qu'on nous vend surtout sa gueule de cinéma. Or ce que j'ai lu de lui-outre son autobiographie- me parait dépassé, et je ne suis même pas sûr que ça ait jamais correspondu à une réalité. Trop carte postale. Trop "faulknérien présentable". Pas de personnages, ou plutôt personnages sacrifiés pour la "saga familiale", voilà : le personnage c'est la lignée elle-même, espèce de collages sépias qui forment un tout, une histoire, un passé-album photo. Bref l'anti-roman justement, où finalement le "négatif individuel" est absorbé par un monologue de mamie.
Je trouve le jugement trop sévère, à la limite de l'injustice, mais en même temps c'est assez bien visé. Ce qu'il y a, me semble-t-il, c'est que Harrison ne cherche pas forcément à faire vivre des personnages, mais plutôt à peindre des coyotes dans un paysage ; des coyotes qui s'exerceraient à se transformer en statues pour se débarrasser de leurs souffrances ; en statues de coyotes. Harrison me semble avoir un grand sens de l'immobilité.
Lundi 11 juillet
Cinq heures moins le quart. – 17 feuillets écrits, et ce bien que Catherine ait passé une bonne partie de la journée à faire tourner sa machine à coudre à moins de trois mètres de ce bureau – bruit moins gênant que ce que j'aurais pu craindre. Il y a une demi-heure, au moment de retourner dans la maison : « C'est curieux, j'aurais bien envie d'un petit apéro, ce soir… », lâche-t-elle en guise d'appât. Tu as raison : c'est vachement curieux ! Évidemment l'appât a été saisi dans sa gueule vorace par l'écrivain en bâtiment, qui, du coup, aiguillonné par la perspective, a trouvé un regain de d'enthousiasme pour atteindre le 17e feuillet, alors qu'il était parti pour caler vers 14. Je vais aller faire un saut au Super U, pour le ravitaillement.
– Ce matin, j'ai envoyé un mail à Nathalie, à FD, pour lui demander si elle travaillait la semaine prochaine. Le but était évidemment de la laisser en solo mercredi de façon à ne reprendre moi le collier que jeudi. Elle a dit oui à tout. Il me reste donc huit jours pour écrire entre 140 et 150 pages, et ce mercredi “volé” sera pour la relecture de l'ensemble. Je ne voudrais pas tenter inutilement les démons qui guettent sans relâche l'écrivain en bâtiment, mais je trouve que, jusqu'à maintenant, ce BM-ci s'écrit plutôt facilement, presque agréablement. Ça change…
– Pascal Z. a laissé un commentaire il y a quelques heures pour dire quelques mots à propos de Don DeLillo et de Jim Harrison, sous le billet où je parlais d'eux, hier. Il terminait en disant qu'il allait s'attaquer aux Belles Endormies, précisant que c'était l'un de mes billets qui lui avait donné l'envie de lire le roman de Kawabata. Eh bien j'éprouve toujours la même surprise, à la fois satisfaite et vaguement incrédule, lorsque quelqu'un (et surtout un homme comme Pascal, bien plus cultivé que je ne le serai jamais) prétend lire un livre grâce à moi, tellement je persiste à me trouver tout à fait illégitime dans la posture du critique littéraire. Mais enfin, si je peux faire lire les livres que j'aime à trois ou quatre personnes, en dehors de Catherine, ce n'est pas si mal, légitime ou pas.
Mardi 12 juillet
Huit heures. – Journée “blanche”, c'est-à-dire sans pratiquement de travail, évidemment pour cause d'apéritif hier soir. Il fut pourtant bien peu massif, cet apéro-là, mais il se confirme que, même à doses relativement légères, l'alcool me met désormais hors d'état de mouliner mes feuillets le lendemain. Pour me donner bonne conscience à peu de frais, j'ai tout de même relu et corrigé les 82 pages déjà écrites.
– J'ai également, et pour cause, bien avancé dans ma lecture d'Outremonde, dont il se confirme que c'est un grand roman.
– Ce matin, Catherine et moi (mais surtout elle) avons procédé à l'accrochage du carillon – que nous avons baptisé René, non par référence à Chateaubriand mais en souvenir de mon grand-père qui en fut le premier propriétaire, de 1950 environ à la mort en 1993 – juste à droite de mon fauteuil, où se trouvait jusqu'à présent la gravure à nous offerte par Olivier Deprez. La gravure en question va se transporter, ces jours prochains, au mur qui est derrière mon fauteuil, où il tiendra compagnie aux deux toiles du même Deprez qui s'y trouvent déjà accrochées.
– Ce soir, soirée Pialat : Sous le soleil de Satan, d'abord ; puis Van Gogh. Si je tiens jusqu'au bout car j'ai déjà failli m'endormir, tout à l'heure, en attendant le moment du dîner…
Mercredi 13 juillet
Sept heures et demie. – 56e anniversaire de mariage de mes parents aujourd'hui.
– Je veux noter ici deux ou trois lambeaux de commentaires qui me sont venus en continuant de lire le roman de DeLillo, et dont j'espère me resservir pour en faire un billet à peu près cohérent, une fois la lecture menée à son terme.
Notes sur Outremonde (II)
- Parallèle entre les déchets industriels dont s'occupe Nick, à titre professionnels, et les déchets humains que sont entre autres les dealers que l'on rencontre dans la deuxième partie. Dans les deux cas, impression de grouillement, mais de grouillement cadavéreux, par opposition avec le grouillement intensément vivant du stade, lors du prologue.
- L'outremonde est un monde d'après la vie ; il se présente sous différents aspects qui, bien entendus n'en font qu'un -----> monde à facettes. Aux B52 hors d'usage (porteurs de bombes, véhicules de mort), rassemblés dans le désert et muséifiés par Klara dans la première partie, correspondent les voitures volées puis abandonnées et finalement recyclées par Ismael, dans cette zone du Bronx qui est montrée dans la deuxième partie, ville d'où la vie se retire pour laisser apparaître, là encore, le grouillement.
Dans cette seconde partie, l'outremonde prend des allures de retour au Moyen âge : d'un côté les gueux et les damnés (drogués misérables, dealers violents et infra-moraux), tous rongés par une lèpre sans remède (sida) entraînant avec elle une sorte de fatalisme macabre. De l'autre les religieuses qui parcourent ces immeubles dévastés afin d'y porter de la nourriture, et dont les appartements squattés sont comme les multiples anfractuosités de l'immense caverne aux lépreux dans Ben-Hur. Ici, Sœur Edgar, la plus vieille des religieuse, représente la métamorphose du monde en Outremonde, elle l'ancienne institutrice “bourreau d'enfants” les battant à coups de chapelet et de crucifix en fer (religion d'avant : dure mais “constituante”) se muant en une sorte de petite sœur des pauvres ne pouvant plus rien d'autre que de nourrir les corps et, pour cela, retrouvant, réendossant l'habit traditionnel et ancien. Au milieu de ce territoire des morts (et on retrouve encore Romero), Esmeralda, la gamine insaisissable, à la pureté menacée de toutes part, mais toujours plus rapide que ceux qui veulent l'attraper, dans cet enchevêtrement de carcasses métalliques et d'immeubles aveugles.
Et, bien entendu, les touristes indispensables, avec leurs appareils photos, aussi morts et peut-être plus que les miséreux qu'ils prennent en photo avant de remonter dans leur car bariolé. Ils sont d'un autre Outremonde, symbolisé par le fait qu'ils sont Européens.
Comme il ne peut y avoir d'outremonde sans monde, même mort, le symbole primordial est évidemment le match de baseball (1951) qui occupe tout le prologue. Foule grouillante, là déjà, mais foule vivante et où l'on peut encore trouver des individus différenciés. On bascule du monde dans l'outremonde au moment précis où la balle sort du terrain, semblant donner la victoire à l'une des deux équipes. Je dis “semblant” puisque, en fait, elle marque la sortie de jeu du monde “d'avant”. Après, le match continuera d'avoir de l'importance, mais à titre de trace morte, de lumière fossile. On dépensera des trésors d'énergie pour retrouver la balle de la victoire (-----> irruption ou plutôt retour de la pensée magique), mais elle n'est plus évidemment qu'un symbole inerte, dénué de pouvoir, puisque l'énergie humaine qui en a fait ce qu'elle est, en la propulsant hors du champ de la partie, cette énergie n'est plus. Et de fait, on s'épuise à la traquer, cette balle, mais on ne peut rien de plus, pour cela, qu'ausculter de vieilles photographies représentant une foule immobile et en noir et blanc, c'est-à-dire très exactement un monde mort. Dont il semble, mais à tort, que la balle (qui ici rime avec Graal), la balle matérielle, physique, pourrait lui rendre vie.
– Je ne sais pas si je parviendrai à tirer quelque chose de cohérent de ce fatras, d'autant que je n'ai encore lu que 260 pages sur plus de 800. Mais enfin, peu importe.
– 19 feuillets écrits aujourd'hui, et sans le moindre effort. Il est vrai que je me suis bien “appuyé” sur le BM 238, La Vierge gothique. Il me reste environ 120 feuillets à faire et six jours pour cela : tout semble aller pour le mieux. D'autant que, en début d'après-midi, Nancy m'a signalé qu'elle venait de me verser les 2300 euros correspondant à la signature du contrat.
– Le texte de Robert Marchenoir que j'ai publié hier doit en être à l'heure qu'il est à près de 150 commentaires, et des copieux. Certains lecteurs s'étonnent de ce que je n'intervienne pas dans ces commentaires. La raison officielle (et vraie) est que j'ai décidé de laisser Marchenoir animer le forum lorsque je lui en confie les clés, si l'on peut dire. La seconde raison, officieuse mais tout aussi vraie, est que je me contrefiche du libéralisme, qui est son sujet principal, et que je serais bien en peine d'avoir des avis intelligents sur cette question qui ne m'a jamais intéressée plus que cela. Et même un peu moins que cela. Voilà qui m'arrange très bien en ce moment puisque, pour cause de BM, je ne pourrais de toute façon pas prendre le temps de jouer les maîtres de cérémonie même si j'en éprouvais l'envie. Je préfère nettement consacrer mes quelques heures de liberté à Outremonde.
– J'ai reçu ce matin Libra ainsi que l'American psycho d'Ellis. Je compte commencer par le second afin de faire un petit break dans mes lectures DeLillesque.
Jeudi 14 juillet
Midi. – On a échappé aux pétards hier soir et cette nuit, mais pas ce matin… Il est vrai que, par rapport aux cramages de bagnoles post-modernes, le pétard vous a un petit côté blouse grise et guerre des boutons qui redeviendrait presque agréable.
Trois heures. – Après deux cents commentaires sous le billet de Marchenoir, le libéralisme me sort par les yeux ; ses adorateurs et ses contempteurs avec. Du reste, depuis ce matin, je balance directement à la corbeille sans les lire tous les nouveaux qui arrivent ma boitamel, tellement j'ai l'impression que, sur ce sujet comme sur d'autres, on verse très rapidement dans la pensée magique, ou dans l'incantation, ce qui revient à peu près au même, d'un bord comme de l'autre.
– Catherine est partie fureter à je ne sais quel marché aux puces ou foire à tout, ou vide-grenier, à Bonnières. C'est nouveau, chez elle, cet engouement pour ce genre de manifestations. En tout cas, si j'en juge par moi-même, ça ne semble pas contagieux – mais alors pas du tout.
–Sept feuillets seulement ce matin, qui plus est assez péniblement écrits. Et je n'ai pour l'instant aucune envie de m'y remettre. C'est probablement la punition pour avoir écrit ici hier que ce BM se faisait quasiment tout seul.
Huit heures. – Je me suis finalement bien repris cet après-midi, puisque aux six petits feuillets (et non sept comme annoncé plus tôt : j'en arrive à me tromper moi-même…) écrits ce matin j'en ai finalement ajouté huit autres, et sans grand effort. Pourtant, j'étais dans le même chapitre et il s'agissait de continuer la même scène : mystère.
– En ramassant les merdes de chiens dans le jardin (ce qui signifie – message subliminal – qu'elle aimerait bien me voir passer la tondeuse demain s'il ne pleut pas…), Catherine a trouvé une tourterelle morte, ou plutôt le tas de plumes qui restait de la tourterelle en question. Elle est persuadé qu'il s'agit de l'un des deux titis nés récemment “chez nous” : elle n'a probablement pas tort, les jeunes ne sachant pas encore trop se méfier des chats embusqués dans la haie et ayant de surcroît moins d'habileté à l'envol. En voilà un qui n'aura pas profité beaucoup de la vie.
– Pendant ce temps, les commentateurs de Marchenoir – aidés par Marchenoir lui-même – ont allègrement franchi la barre des deux cents commentaires. Heureusement que je ne me sers pas de la “modération”, j'y deviendrais fou.
– J'aurais bien, tout à l'heure, pris un Ricard ou deux, histoire de faire arriver l'heure du dîner. Mais j'ai résisté à cette envie incongrue : petite victoire agréable, et petite victoire pour moi tout seul puisque je n'en ai rien dit à Catherine. Et, du reste, l'heure du dîner est arrivée tout de même.
– La vérolerie ambulante nommée Éva Joly veut supprimer le défilé militaire du 14 juillet pour le remplacer par un défilé citoyen. En voilà une qui commence très bien sa campagne, en ayant à cœur de se montrer sous son vrai visage. Comme le dit l'un des intervenants du forum de l'In-nocence, je ne sais plus lequel : « Elle finirait par me faire aimer le Tour de France. » Cette femme est un véritable cloaque idéologique, et je propose de la rebaptiser Éva-Ginette, pour bien marquer le suintement poisseux que produit son cerveau.
Vendredi 15 juillet
Cinq heures et quart. – Arrêté d'écrire à trois heures et demie, mais avec vingt feuillets faits, c'est-à-dire plus que je n'en ai encore fait en un jour sur ce BM-ci. La raison était que je voulais passer la tondeuse ensuite, puis le temps de la douche obligatoire, et qu'il m'en reste suffisamment pour descendre à Pacy m'acheter une bière ou deux – car la tondeuse implique la bière, et depuis la nuit des temps. Tout fut fait à peu près comme je viens de le dire, sauf qu'avant de partir je suis venu ici, dans la Case, pour prévenir Catherine (qui faisait de la couture) de ce programme. Et ces deux petites bières que je prévoyais de m'octroyer se sont transformer en un majestueux apéro, avec whisky pour elle, Ricard pour moi, et quelques cigarettes pour les deux. Je me suis tout de même pris deux bières, comme traces du projet initial. Le tout va être de ne pas trop boire, de ne pas “exagérer”, car il n'est pas question de prendre une journée blanche demain : plus assez de marge de manœuvre. Il me reste 80 feuillets à écrire et quatre jours pour les faire, plus une ultime journée, mercredi, pour relire et corriger. Si bien que si je ne faisais rien demain le BM ne serait terminé que mercredi en fin de journée et il me faudrait donc tout relire par tranches, après le dîner, ce qui n'est pas spécialement drôle.
– Les vieux idéologues flapis de Ruminances ne se rendent absolument pas compte que leur antimilitarisme a 16ans d'âge mental et de l'acné plein la gueule. Ils sont aussi folkloriques qu'une femme bigouden en costume et coiffe. Et tout aussi inoffensifs, heureusement. Ruminances, c'est un peu ma vitrine à fossiles. On peut aussi les voir (et pas seulement parce qu'ils sont presque tous bretons) comme le petit village d'Astérix, entouré de plessis et ne sachant absolument rien de la manière dont marche le monde à l'extérieur de leurs palissades défensives, que les autres, c'est-à-dire nous, par amusement et pitié, font semblant de respecter et de ne pas pouvoir franchir. On peut parler d'un petit nombre de choses avec certains d'entre eux, comme on peut le faire avec des trisomiques moins atteints que d'autres. Il n'y a guère que le Begouen avec qui aucun dialogue ne semble possible, tant il suinte la crapulerie morale et, au fond, la bêtise à front de taureau maquillée en altruisme.
Samedi 16 juillet
Huit heures et demie. – Il pleut comme vache qui pisse depuis environ trois heures, le ciel est plombé comme un régiment de tirailleurs sénégalais – et j'adore ça. J'aime ce pied de nez normand au temps qu'il devrait faire – les sacro-saintes “normales saisonnières”. De la Case où je suis, porte ouverte, j'entends l'eau ruisseler de partout, et elle semble dire qu'elle ne cessera jamais : je l'aime pour ça. Je ne pourrai jamais aller vivre dans ces pays imbéciles et m'as-tu-vu du sud de la France, où soit on agonise de ciel d'azur et de chaleur, soit on assiste impuissant à ces crues obtuses qui ravagent les villages. Ici, la pluie garde quelque chose de civilisée : elle arrose les champs et les jardins, mais sans empêcher les humains d'aller se coucher et de s'endormir – au contraire : elle les berce.
De plus, malgré leur côté mal aimable, les Normands sont au moins dépourvus de cet accent stupide (je reconnais qu'un accent peut difficilement être stupide, mais tant pis) dont sont affligés les gens du sud de la Loire, en tout cas beaucoup d'entre eux, et que je supporte de moins en moins. Proposez-moi un travail de tout repos à 5000 euros mensuels à Toulouse, Marseille ou Montpellier, je vous le refuserai pour cela, pour cet accent parfaitement insupportable qu'ils ont. Et d'autant que je sais bien que je serais alors privé de ce ruissellement qui charme en ce moment même mon oreille.
Dimanche 17 juillet
Trois heures. – Journée presque blanche, pour cause d'apéritif hier soir (voulu par Catherine, je tiens à le préciser pour la postérité…). Si la situation avait été catastrophique, comme elle l'est régulièrement, j'aurais tout à fait été capable d'écrire une dizaine de feuillets, mais elle ne l'est pas. Je me suis donc contenté de relire et corriger les quelque quarante pages qui restaient à l'être.
– Ensuite, j'ai la lu la dernière livraison de la NRH, ce qui constitue un plaisir certain mais coûteux. Non coûteux en soi – l'abonnement me revient à 48 € l'an – mais en raison des livres que la revue m'incite à commander sans le moindre délai chez Amazon. C'est ainsi que j'ai acheté La Révolte des masses d'Ortega y Gasset, que Juan, le père de Carlos, m'avait fait lire il y a bien 35 ans et dont j'ai naturellement tout oublié. Le livre coûte 33 euros : on exagère, aux Belles-Lettres ! J'ai commandé aussi (mais en poche) le gros livre d'Ernst Nolte : La Guerre civile européenne : National-socialisme et bolchevisme 1917-1945. Et enfin, Les Racines de notre Europe sont-elles chrétiennes et musulmanes ? de Guy Rachet, livre qui semble être un bon complément à celui de Gouguenheim, si j'en juge par l'interview de l'auteur dans la NRH.
– Avec tout cela, je n'ai pas avancé du tout dans la lecture d'Outremonde, ce qui est regrettable et nuisible. Je comprends Nathalie, qui me disait avoir relu ce roman tout de suite après l'avoir terminé : la construction en est si subtile, les différents plans si foisonnants et imbriqués que le livre ne s'accommode guère d'une lecture fragmentée comme l'est la mienne, et qu'il nécessitera en effet une seconde lecture. À condition d'en trouver le temps.
– On approche des 400 commentaires sous le billet de Marchenoir, et je crois bien que je vais les fermer : j'en ai un peu marre d'être obligé de purger ma boîte mail toutes les trois heures rien que pour ça.
– Il continue de faire un froid de gueux : 7,5° ce matin à huit heures, et 15 dans la maison puisque, pour le chat, nous laissons la porte ouverte la nuit. En plus il vente à décorner les bœufs. Je souhaite bien du plaisir aux estivants des plages normandes.
Huit heures. – Apéro, cette fois encore à l'initiative de Catherine, pour qui ce verre constitue une excuse pour fumer quelques cigarettes. Je nous sens mal barrés, si on doit reprendre un apéro tous les soirs juste pour pouvoir fumer. Je termine le BM en cours et je reprends les choses en main : plus de cigarettes, plus d'apéro. En serai-je capable ? Faut voir…
– J'ai finalement fermé les commentaires sous le texte de Marchenoir. Immédiatement, Carine, que le sens de la mesure ne caractérise pas, s'est transportée sous mon dernier billet pour continuer ses bavardages horripilants. J'ai donc été obligé, à cause d'elle, de fermer aussi les commentaires sous ce billet-là, ce que je ne souhaitais pas. Je viens de les rétablir.
Comment cette femme, à tendance paranoïaque, et donc toujours prête à voir les manquements des autres par rapport à sa personne, à soupçonner quelque indélicatesse dirigée contre elle là où il n'y en a évidemment aucune, comment peut-elle se comporter avec un tel sans-gêne ? Voilà qui m'étonne. C'est sans doute que les paranoïaques, même légers, doivent être incapables de s'intéresser à tout ce qui n'est pas eux. Bien entendu, comme chaque fois, elle m'a expédié un mail privé pour me dire qu'elle ne reviendrait plus jamais, que j'avais cette fois dépassé les bornes, etc. Et, bien entendu, elle sera là dès demain matin ; ou, si elle est vraiment vexée, après-demain. Elle semble ne pouvoir vivre que sur le mode de l'offuscation. Et malgré cela, il lui arrive encore assez souvent de dire des choses pertinentes et de faire preuve d'un humour assez caustique.
– Ce soir, film inconnu de moi, mais avec Charles Laughton dans le rôle principal, et qui semble, à voir le “pitch”, une transposition du roi Lear.
Lundi 18 juillet
Huit heures. – Aujourd'hui, soixante-quinzième anniversaire du déclenchement de la Guerre d'Espagne, par le débarquement des troupes du général Franco sur le sol métropolitain. Nul ne s'en est avisé dans la blogosphère de gauche, alors que c'est typiquement le genre de choses qui les fait bandocher plus ou moins, en principe. Mais, évidemment, encore faut-il se souvenir, et d'abord savoir, que la dite guerre a débuté le 18 juillet 1936. C'est tellement plus gratifiant de blablater sur les propositions insanes de la Norvégienne écologiste de très fraîche date, la Fouquière-Tinvillette des fjords.
– Le film de David Lean, hier, était fort savoureux, sans être un chef-d'œuvre. Laughton y était irrésistible de cabotinage décomplexé, flirtant dans certaines scènes avec un comique “du muet”, une cocasserie verveuse tout à fait chaplinesque.
– 17 feuillets ce jour. Il m'en reste 45. Il faut donc atteindre les 20 demain pour ne pas finir sur une trop grosse journée mercredi : ça ne devrait pas poser de problème. D'autant que nous sommes – enfin – repassés ce soir en mode “eau pure”.
Ce matin, par mail, Mme M., le remplaçante de Marie-Thérèse aux éditions Vauvenargues, m'a informé qu'elle allait bientôt me téléphoner à propos du programme éditorial de 2012. Je ne sais au juste pourquoi, je n'attends rien de bon de ce coup de fil-là. Mais comme je m'en fous totalement, ça reste sans importance : se passera ce que voudra, peu me chaut.
Mardi 19 juillet Huit heures. – 18 feuillets ce jour, + relecture de 35 (hier & aujourd'hui) + rédaction de la quatrième de couverture. Il me reste 25 pages pour demain, ce qui, pour une dernière journée, est loin d'être excessif : ce BM aura donc passé sans m'en apercevoir.
– Cela étant, je me sens intensément fatigué, sans savoir pourquoi (pas d'alcool hier ni ce soir, huit heures d'excellent sommeil). J'ai même réussi, peu avant six heures, à m'endormir dans mon fauteuil sur Don DeLillo, ce qui est proprement scandaleux. Et encore maintenant, je me sens tout somnolent, et sans grande envie de poursuivre ce journal – où je n'ai du reste rien à écrire de particulier. Mais enfin, ça…
– FDesouche a exhumé une interview accordée par Eva Joly à Libération le 6 juin 2000, dans laquelle la candidate à la présidence de la République déclare qu'elle ne pense pas comme nous parce qu'elle n'est pas française : la chose a le mérite de la clarté. Cela ne semble pourtant pas gêner grand-monde, à gauche, qu'une femme revendiquant cela puisse prétendre à la fonction suprême en France. On se demande jusqu'à quel degré d'abaissement ces gens vont consentir. Ou plutôt, non, on ne se le demande plus : il suffit d'attendre encore un peu.
Je ne parviens d'ailleurs toujours pas à comprendre en quoi le fait de la considérer, Eva Joly, comme pas tout à fait française, comme moins française, etc. pourrait avoir quelque chose de scandaleux. Je suis bien sûr que si j'avais épousé une Sénégalaise ou une Urugayenne ou une Chinoise ou une Égyptienne, et si j'avais obtenu de prendre sa nationalité, je ne me serais jamais offert le ridicule de me penser et de me prétendre pour autant aussi sénégalais, urugayen, chinois ou égyptien que ma femme “de souche”. Cela me paraît relever du simple bon sens. Mais on m'expliquera sans doute que ce que je prends pour du bon sens n'est que l'expression de mes préjugés, de mon mépris, de ma xénophobie, etc. Il est d'ailleurs amusant d'entendre prononcer ce mot, xénophobie, à propos de Mme Joly : qui a jamais entendu parler d'une xénophobie française touchant les pays scandinaves ?
Mercredi 20 juillet
Neuf heures moins le quart du soir. – BM 328 bouclé. Et, donc, apéritif, comme chaque fois. Je viens d'expliquer à Axelle Crevette – parce que j'avais un mail d'elle – pourquoi la fin d'un BM est toujours quelque chose de grisâtre, de pénible. En réalité, non, je ne lui ai rien expliqué du tout, puisque je n'en sais rien moi-même. Mais enfin c'est ainsi : je ne connais rien de plus triste, de plus morne, de plus gris, que le fait d'inscrire mentalement le mot “fin” au bas d'un BM, alors même qu'on ne rêve que de ça dès le premier feuillet, ou pas loin.
Pourquoi raconter ce genre de choses sans intérêt à la Crevette ? Parce qu'elle est une femme que j'aime ? Évidemment. Pourquoi est-ce que je l'aime ? Pfff ! Qu'est-ce que j'en sais ? Il me semble que je l'aime de la même manière que j'aime Béa Fernique, mais évidemment d'une autre manière aussi, puisque Béa fait partie indissolublement de ma vie, parce qu'André, parce que Bernalin, parce que Petros ou Jean-Michel. Néanmoins, cette femme-là, et son mari, Damien, font désormais (ou en tout cas en ce moment) parti de mon existence et je serais attristé qu'ils en disparussent. Mais admettons. Admettons qu'ils en disparaissent, de ma vie : est-ce que je ne les oublierais pas dans la seconde ?
Je suis ce genre d'individu, qui s'amourache. Catherine non. Elle me maintient d'une certaine manière. Moi, je fonce droit n'importe où, toujours. Mais, bon : je suis bien certain que ces Crevette ne sortiront plus de ma vie. Enfin, hein, ils ont intérêt !
Je comprends néanmoins ce qu'Axelle représente pour les jeunes gens d'ILYS, et même pour les moins jeunes : Maman. Et je pense qu'elle-même aime ce rôle, qu'elle veut rassembler sous son aile ces jeunes gens, que je trouve moi-même tout à fait fréquentables.
En même temps… En même temps, je vois bien ce qui nous sépare, ces quelque vingt ans que j'ai de plus, ou qu'ils ont en moins. C'est un mur. Même si on est en effet capable de parler, de se joindre, le mur est tout de même là. Ils baignent dans un monde dont je n'ai plus rien à foutre, et eux ne connaissent rien du monde qui fut le mien – même quand ils sont intelligents. Le résultat est que, lorsqu'il m'est donné de les rencontrer, principalement chez la Crevette, je ne sais pas quoi leur dire, j'ai toujours peur de devenir le vieux con assis sur sa colonne, le faux sage dont les jeunes se moquent à juste titre, ou à pas juste titre.
J'aimerais beaucoup voir ce qu'ils seront dans vingt ans – mais évidemment je serai mort : dommage. Néanmoins, oui, les voir, mes amis réactionnaires, qui n'ont jamais été ce que je fus : grotesque gauchiste par pur conformisme à l'époque, jouissance d'être exactement comme tous les autres, etc.
Je n'aime pas du tout ce que j'ai été. Et, du coup, je n'aime pas trop non plus ce que je suis devenu. Parce que, si j'étais ce crétin soumis à tous les vents de mon époque, qui me dit que je ne suis pas encore la même chose ? Cet imbécile en liège oscillant au gré des flots dominants ?
Jeudi 21 juillet
Quatre heures et demie. – Retour à FD. Ce mortel ennui… J'ai dû, depuis ce matin onze heures (oui, je suis arrivé tard…), travailler en tout une demi-heure. Et je vais probablement rentrer à la maison dès que j'aurai fini d'écrire ces quelques lignes sans intérêt ni même objet. D'ailleurs je m'arrête là.
– Ah, non, tout de même : je ne crois pas avoir noté ici que Catherine a proposé à Adeline de prendre Malena une semaine chez nous, et que sa proposition a été acceptée d'enthousiasme. La vie normale et humaine va donc s'interrompre le dimanche 24 juillet pour reprendre son cours le mardi 2 août…
– Mardi prochain, nous aurons le père B. à dîner et à coucher. Peut-être également le père Éric, s'il est dans les parages en ce moment, ce qui n'est pas sûr. Et peut-être aussi Axelle et Damien Crevette, s'ils ne sont pas déjà partis pour la Bretagne et s'il jugent que partager notre repas vaut la peine d'un aller-retour en voiture.
Vendredi 22 juillet
Midi. – Les Crevette ne seront pas des nôtres mardi prochain : Axelle m'a répondu que Damien, qui rentre tout juste des États-Unis et doit repartir à la fin du mois pour le Sud-Ouest – en voiture avec toute la smala, tandis qu'Axelle de son côté prendra le train avec la neuvième roue de leur carrosse familial –, Damien, donc, avait reculé devant l'obstacle de cet aller-retour supplémentaire dans l'Eure. Je le comprends très bien.
– Dans le même ordre d'idée, et malgré l'envie que nous avons tous les deux de les voir, Catherine et moi venons de renoncer au petit séjour que nous devions effectuer à la fin d'août chez les Pluton, dans leur maison de… (dire que je ne parviendrai jamais à me souvenir du nom de leur lieu de villégiature ! Enfin, c'est dans le Vaucluse, ou peu s'en faut) : Mettre les trois chiens au chenil, parcourir huit cents kilomètres aller, la même chose au retour (qu'il en aille autrement aurait été un peu surprenant…), pour finalement ne passer que deux jours avec eux m'a soudain paru excessif. Il faut d'ailleurs que je leur envoie un mail pour les avertir de ce changement de programme – ou plus exactement de cette annulation de programme.
– Cette journée levalloisienne a plutôt bien commencé. D'abord parce que je suis seul dans ce bureau avec Eugénie, qui est tout à fait charmante et silencieuse, et ensuite parce que nous avions du travail dès notre arrivée, ce qui m'a évité d'aller m'abrutir sur les blogs. Je ne compte cependant pas faire de trop vieux os cet après-midi.
– À propos de blogs et d'abrutis, le camarade Lou Ravi (Babelouest, le plus “primitif” des Ruminants, et d'assez loin) fait très fort depuis quelques jours. Il a ouvert le feu par un billet déplorant la victoire de 732 (ou 733 d'après certains historiens) sur les Arabes, ce qui est dans la logique de sa démence et de sa haine de soi : si les hordes musulmanes l'avaient emporté, nous aurions vu s'épanouir une merveilleuse civilisation de paix et d'amour, au lieu de l'univers carcéral que nous a bâti l'Église catholique. Dans le même billet, cet attendrissant mouton écarlate nous explique doctement que, le détroit de Gibraltar étant tout récent (ce qui est vrai : environ vingt mille ans) , les Arabes pouvaient joyeusement venir s'ébattre en Espagne sans mouiller leurs babouches : on voit à quelle profondeur de sottise nous sommes. Il récidive aujourd'hui avec un billet proprement délirant et d'un antisémitisme haineux (bien sûr maquillé en antisionisme vertueux) toujours à propos de ces martyrs multifonctions que sont les prétendus “Palestiniens” – le tout sous les applaudissements des autres Ruminants, tout aussi antijuifs que Lou Ravi, à commencer par la crapule hirsute dont je ne veux même plus avoir à écrire le nom, synonyme pour moi d'abjection morale.
Heureusement, ces révolutionnaires en déambulatoires et fauteuils roulants (qui, dans la vie, doivent être de charmants “papys gâteau”…) sont dans l'incapacité totale de nuire à qui que ce soit, et leur autisme idéologique les confine dans leur petite bulle étanche, d'où nulle vision claire du monde ne leur est possible. On aurait presque envie de leur porter des chocolats : ça aime beaucoup les sucreries, à cet âge-là.
Dix heures. – Valse à trois temps. J'arrive à la maison vers six heures et quart. Temps miraculeusement dégagé (alors que j'ai essuyé des trombes d'eau presque jusqu'à Mantes-la-Jolie). Je trouve Catherine assise sur la terrasse et lui dis : – Je prendrais bien un petit verre.
Elle : – Tu n'aurais pas racheté des cigarettes ?
Moi : – Mais non ! (ton indigné d'acteur de théâtre de province)
Elle : – Je suis sûre que tu en as racheté.
Moi (de plus en plus “tournée Baret”) : Mais puisque je te dis que non !
Elle (comme on s'adresse à un enfant pour qu'il se décide à devenir raisonnable) : – Didier, c'est pas possible que t'en ai pas racheté…
Moi (comprenant que l'apéro va me filer sous le nez si je m'obstine dans cette voie sans issue de la vertu abstinente) : – Oh, bon, d'accord, oui j'en ai !
Bref, petit journal naïf et innocent, il fallait bien que je te l'avoue : on a replongé dans le tabac tous les deux. Oh, pas complètement, d'accord. Pas beaucoup. Mais suffisamment pour ruiner partiellement cinq mois d'abstinence totale. Et ça me gonfle. Je ne m'aime pas refumant, même si c'est trois ou quatre cigarettes quotidiennes, et encore pas tous les jours. L'alcool je m'en fous, j'arrête quand je veux et sans même y penser. Mais le tabac, merde ! L'impression d'être une grosse masse de viande privée de volonté – c'est un peu pénible. Le plus (pénible) étant de se dire que lorsque qu'on va décider de “re-arrêter”, on va repartir presque de zéro, qu'on aura annulé presque tout le bénéfice et les efforts de ces cinq mois.
En plus, je triche. Ni avec Catherine ni avec personne : avec moi, ce qui est le plus puéril et donc le plus déprimant. Les jours où je fume, c'est plutôt huit ou dix que quatre. Mais si je m'écoutais, je vois bien que j'arriverais à me persuader que c'est quatre : peut-on être plus pitoyable ?
Quoi qu'il en soit, je ressens une espèce de soulagement imbécile d'avoir enfin noté ici que je refume. Parce qu'il y avait ça aussi : à quoi bon ce journal si c'est pour ces petites ruses méprisables, ces évitements d'enfant ?
Mais c'est peut-être un des éclairages les plus crus du journal : se rendre compte de ce qu'on n'y note pas, jamais, et pourquoi on ne le fait pas. Et bien sûr je reviens à cette interrogation déjà formulée : doit-on publier ce qu'on écrit sous cette forme ? Ou alors, faudrait-il tenir un “journal du journal”, dans lequel on consignerait tout ce qui ne peut prendre place dans le premier, en tâchant de comprendre pourquoi ?
– Aucune nouvelle d'Ygor Yanka depuis son retour en Belgique. En tout cas, aucune nouvelle du BM qu'il est censé écrire, que je lui ai rétrocédé pour lui permettre de gagner quelque argent. Je ne suis pas très surpris, je pense qu'il ne l'écrira jamais. Je peux d'ailleurs comprendre qu'il ne le fasse pas. Écrire un BM est toujours très excitant quand on n'a encore rien fait pour cela. C'est un peu comme gagner au loto : on rêve très facilement de ce qu'on fera avec la somme d'argent échue, mais ensuite, il faut se “sortir les doigts”, comme dirait l'autre. C'est une chose qui m'avait bien intéressé – et amusé – lorsque j'avais lancé ce “jeu” sur le blog mère, sans y penser sérieusement, en fait : je paie 5000 € à qui m'écrit un BM. Une dizaine de mes commentateurs en avaient piaillé de joie – parce qu'ils voyaient très bien ce qu'ils allaient pouvoir faire avec cette somme qui, pour la plupart des gens, est importante. Là-dessus, j'ai expliqué qu'il fallait me fournir une idée de scénario ; qu'ensuite, il faudrait bâtir un synopsis ; qu'après cela, il serait nécessaire d'écrire le premier chapitre, pour que je vois si l'affaire était possible. Là, je n'ai plus eu personne.
Sauf un : Y. Il a bâti un synopsis – qui était bon. Il m'a écrit un premier chapitre – qui était bon (moyennant quelques retouches, ce qui était vraiment la moindre des choses). Enfin, il a écrit – en un temps prouvant qu'il avait l'étoffe d'un véritable “écrivain en bâtiment” – un BM entier qui a été publié : je lui ai versé les 5000 euros, au départ promis comme un gag ou presque. Pratiquement dans la foulée, on a trouvé, ensemble, une nouvelle idée de scénario, et il en a écrit un deuxième, pour lequel je lui ai de nouveau versé 5000 euros. Pendant ce temps, aucun des blogueurs qui s'étaient enthousiasmés à l'idée de cet argent ne m'a relancé – trop heureux, j'imagine, de n'avoir pas à bosser finalement. Quant à Y., il avait déjà l'idée du troisième, mais la baisse drastique de mes droits d'auteur a fait qu'il ne devenait plus très intéressant pour lui de continuer. Il n'empêche : ce garçon peut éventuellement me solliciter pour n'importe quoi, il me trouvera. Parce qu'il est fiable. Parce qu'il n'a pas piaillé sur l'argent, sur le loto, mais qu'il a “fait le job”, pour parler un langage présidentiel.
Pendant ce temps, Yanka ne fait rien. Bien entendu, je m'en fous. Le BM qu'il ne fera pas, je le ferai moi – ce sera juste un de plus. Et au lieu de lui verser ce que j'ai versé à Y., je garderai tout pour moi : où est l'problème ?
Il y a d'autant moins de problème que je comprends parfaitement – je crois – Ygor Yanka. D'abord, contrairement à moi, il est écrivain. Plonger dans le bâtiment, pour un écrivain, ne doit pas être si simple. Je dis cela sans la moindre ironie, et même avec une certaine admiration : ce que Yanka m'a donné à lire de lui m'a montré facilement ce qui nous sépare. Alors, bien sûr, on peut toujours ironiser. Dans le genre : qu'est-ce que c'est que cet écrivain dont on n'a jamais rien lu ? Qui n'a rien publié ? Je suis peut-être une sorte de “lou ravi”, mais je crois les gens qui me disent qu'ils sont écrivains, même quand ils n'ont jamais rien publié (enfin, pas tous, tout de même…). C'est le cas de Carlos, dont j'ai toujours su qu'il me dépassait de cent coudées. C'est également le cas de Yanka. Et, donc, je trouverais presque anormal que Carlos, ou Yanka, produisent des BM. Je me souviens de mon sursaut lorsque Renaud Camus, au cours de notre premier dîner, en décembre 2006, à l'hôtel de Bastard, à Lectoure, m'a soudain demandé s'il pourrait écrire des BM. Je me souviens lui avoir répondu, tout de suite et très vivement : « Ah, non ! » Et, juste après, me rendant compte qu'il pouvait penser que j'essayais de préserver mon “pré carré”, m'être englué dans une explication merdique, comme quoi, non, vraiment, un vrai écrivain, qui avait d'autres choses à écrire… J'ai dû être assez pitoyable, mais je pensais vraiment ce que j'ai tenté de dire : on ne produit pas des BM quand on est écrivain. Du reste, je suis bien persuadé que Camus a lancé cela en l'air, sans la moindre intention de… D'une certaine manière, lui aussi (parce qu'on venait, si je me souviens bien, de parler d'argent) s'est mis à frétiller sur les sommes en jeu.
Samedi 23 juillet
Onze heures du matin. – Matinée quelque peu nauséeuse pour cause d'abus alcoolique hier soir. D'abus et de mélange, qui plus est. Cela ne m'a pas empêché d'avoir un copieux et fort intéressant échange de mails avec Nicolas, qui s'est poursuivi ce matin. J'attends Catherine, qui ne devrait pas tarder à rentrer du presbytère.
– Temps toujours aussi maussade, automnal pour ne pas dire plus. Sauf que les feuilles s'accrochent encore aux arbres.
– Déterminé à “re-arrêter” la cigarette dans huit jours, lorsque Malena sera repartie pour Barcelone. Et l'alcool aussi, bien entendu, puisque c'est tout un ensemble, comme dit le grand-père du narrateur (je crois…) dans La Recherche.
Quatre heures et demie. – Pour la première fois depuis que je le tiens (août 2009), je viens de relire trois mois de ce journal : de janvier à mars 2010. J'en ressors avec l'impression étrange d'être moins intelligent que l'homme qui s'y exprime – même si ce dernier n'est pas précisément une lumière.
Dimanche 24 juillet
Onze heures du matin. – Me voilà seul pour toute la journée. Calme avant la tempête, puisque Catherine est partie pour Beauvais où elle doit récupérer Malena et l'amener ici pour dix jours – lesquels vont sans doute me sembler fort longs. En recomptant, je m'aperçois avec une certaine satisfaction qu'il ne s'agit pas de dix mais de huit jours. Qui pèseront tout de même de tout leur poids, je pense. Ensuite, épuisée, Catherine va dormir durant une bonne semaine, comme à chaque fois. Crevant, le métier de grand-mère. En attendant je vais me faire des pâtes.
– La blogosphère d'extrême gauche ne se tient plus de joie, avec l'affaire de ce déséquilibré norvégien qui, à lui seul, a massacré 90 personnes. Norvégien de souche, comme on a soudain le droit de dire, et même le devoir de souligner, d'extrême droite ainsi qu'il est requis de le clamer, en n'omettant pas de préciser qu'il est tout à fait représentatif, ce garçon, de toutes les extrêmes droites européennes, sans doute mondiales, voire extra-terrestres si d'aventure il en existe. Comme ce brave CSP le souligne, avec la fatuité naïve qui est sa marque de fabrique, on ne pourra désormais plus dire un mot sans qu'on nous rebalance les 90 Norvégiens que, d'une certaine façon, nous avons tous massacrés. Et tout ce petit monde de faire mine de ne pas s'aviser de la différence qu'il y a entre un “fondamentaliste chrétien" (mais qui est en même temps franc-maçon : mélange qui aurait fait se tordre de rire nos aïeux du XIXe siècle) qui prend l'initiative de décharger son fusil sur tout ce qui remue un orteil, et un “combattant d'Allah” qui exécute un attentat meurtrier dûment commandité et soigneusement préparé par une organisation bien structurée, ayant parfois pignon sur rue ou peu s'en faut.
Cela étant, dans cette gigantesque nursery féminolâtre et cousue d'immigrés que semble être devenue la Scandinavie tout entière, il ne faut pas s'étonner que certains enfants cassent leurs jouets et secouent un peu violemment les barreaux du parc où ils sont sommés de se réjouir de ce qui leur arrive pour leur bien. De tels carnages sont évidemment appelés à se reproduire. Déjà, le Premier ministre norvégien en a appelé à “plus d'ouverture”. Si vous avez oublié de fermer le robinet de votre baignoire et que votre salle de bain s'en trouve inondée, ouvrez plus grand le dit robinet : bientôt il y aura assez d'eau pour nager et vous vous réjouirez bruyamment de cette piscine gratuite à domicile (si vous ouvrez votre salle de bain au public, ce que vous serez de toute façon bientôt obligé de faire, pensez à prévoir des heures d'ouverture spécifiques pour les femmes affligée d'une pudeur coranique). Si le robinet est déjà grand ouvert, il vous reste aussi la ressource d'aller louer une lance d'incendie et d'en ouvrir à fond les vannes afin d'éteindre l'inondation. Bonne chance.
Lundi 25 juillet
Huit heures. – Première journée avec Malena, beaucoup plus calme et charmante, à huit ans, qu'elle ne l'a été jusqu'à six. De plus, je ne peux pas dire qu'elle ait beaucoup encombré le paysage, puisque Catherine et elle ont passé l'après-midi dehors (courses + piscine). Mais ce qui reste fascinant – et un peu perturbant pour ce qui me concerne – c'est ce déplacement soudain du centre de gravité de toute l'existence, lequel se déporte vers l'enfant pour n'en plus bouger. Tout le reste devient secondaire ou semble le devenir.
– Ce soir, Catherine avait préparé de la purée pour accompagner le jambon, pensant que cela lui agréerait. Cela n'a pas : Malena a renvoyé le plat en cuisine. En revanche, les deux grands-parents se sont éclatés comme des bêtes à cette régression culinaire radicale.
– À la télévision tout à l'heure (si la jeune squatteuse du poste daigne aller se coucher d'ici là…), Key Largo, et ensuite le Corbeau de Clouzot.
Mardi 26 juillet
Trois heures. – Petite plage de calme entre le départ de Catherine et Malena pour la piscine de Pacy et l'arrivée du père B., prévue pour la fin de l'après-midi. Non que je suppose que le père en question puisse arriver dans un vaste cortège de bruit et de fureur, mais enfin sa survenue représente tout de même un bouleversement de notre intangible routine, déjà fortement mise à mal par la présence de Malena.
– Par ailleurs, parce que j'avais donné mon accord pour aller aujourd'hui tenir ma partie à FD, et m'étant finalement désisté – pour cause de visite ecclésiastique justement –, je me suis proposé pour une après-midi de télétravail, au cas où les trois filles actuellement présentes à Levallois ne suffiraient pas à la tâche ; et je compte fermement qu'elles y suffiront. Et voilà une phrase bien cahoteuse, pour ne pas dire chaotique.
– À propos de l'affaire du Norvégien fou, je reste sidéré de voir à quel point, désormais, il n'est plus possible d'établir le moindre distinguo entre la pensée et l'acte, en particulier lorsqu'il s'agit d'un acte criminel. Évidemment, empressons-nous de le dire, ça ne marche pas, ça ne doit pas marcher, dans le cas du socialisme. Là, même si toutes les tentatives ont abouties à des catastrophes de grande envergure, on donnera toujours quitus aux tenant de l'idée au nom de l'idéal, voire de la simple intention. Mais pour le reste… En dehors de CSP, ce garnement immature, tout le monde ou presque dénie toute solution de continuité entre le fait d'être contre l'immigration, et en particulier l'immigration musulmane, et celui de massacrer près de cent personnes sous prétexte qu'elles sont, ou sont censées être, favorables à cette même immigration. Dans un ordre d'idées voisin, si vous pensez qu'il y a trop d'Africains en Europe, et plus particulièrement en France, vous ne pouvez qu'approuver d'enthousiasme tout massacre d'Africains passé, présent ou à venir – ça ne souffre aucune discussion. Si vous pensez que les musulmans, à doses massives, ne sont pas à leur place en Europe, c'est que, de facto, vous êtes déjà en train, mentalement, d'ouvrir pour eux de nouveaux camps d'extermination. Et ainsi de suite.
Avec à la clé toujours le même sempiternel argument qui semble irréfutable au premier abord : « Voyez Hitler et les juifs : l'antisémitisme de parole entraîne les massacres de masse aussi sûrement que de l'œuf naît le poussin. » Mais c'est oublier un peu vite que, sous sa forme “moderne”, l'antisémitisme d'Europe occidentale a duré près d'un siècle, parfois sous des formes particulièrement virulentes et abjectes (années 1880-1930, en très gros), mais que, durant cette longue période, personne n'a préconisé de détruire collectivement les juifs d'Europe (sauf Hitler, précisément, cette monstrueuse exception). C'est même durant cette période que beaucoup d'entre eux ont accédé à la haute bourgeoisie, se fondant, ou croyant se fondre, dans les divers creusets nationaux, et y réussissant souvent magnifiquement, du fait de leur intelligence, contribuant à produire ce qu'il y a de plus précieux dans notre culture commune.
Il y a aussi que bon nombre d'entre nous (nous, les nauséabonds…) ne dit pas : les Arabes sont ceci ou les noirs sont cela. En tout cas, si nous croyons discerner leurs caractéristiques communes qui les différencient de nous, nous n'en tirons aucune conclusion dépréciative en ce qui les concerne. Et pourquoi ? Simplement parce que nous nous moquons bien que les Arabes et les noirs soient ceci ou cela. Qu'ils ont tout le loisir d'être ce qu'ils veulent, mais que nous ne nous résignons pas à les voir proliférer au milieu de nous. Soyez pleinement vous-mêmes, mes frères humains, mais soyez-le pleinement ailleurs. Vous êtes fiers de votre culture ? Très bien, parfait, nous aussi : bricolons nos deux cultures chacune sur son sol et, ensuite, éventuellement, à fin d'enrichissement mutuel, retrouvons-nous de loin en loin, pour se faire montrer nos jouets, comme disent les enfants au lendemain de Noël.
Et me revoilà à débiter mes vieilles antiennes…
Mercredi 27 juillet
Midi et demie. – Soirée fort agréable, hier, avec le père B. dans le rôle de l'hôte disert, intelligent et chaleureux. Nous avons parlé de beaucoup de choses – je veux dire : de religion, bien entendu, mais pas que, loin de là. C'est moi qui, à un moment déjà avancé de la soirée, nous étions revenus au salon, me suis risqué de le faire parler d'apologétique : j'ai bien failli couler corps et biens à quelques reprises. Il faut préciser que tout en écoutant le père B. développer ce qu'il avait à dire sur le sujet, je continuais de siroter l'excellent chablis – cuvée habituelle – dont j'avais fait emplette le matin même, mais aussi le non moins buvable Sancerre avec lequel notre hôte s'était présenté. Et puis, comme beaucoup de gens maîtrisant parfaitement leur sujet, le père B. ne mesure pas toujours l'étendue de l'ignorance qui se tient coite en face de lui, lançant des noms supposés connus – mais à tort – et s'appuyant sur eux et sur eux seuls pour étayer une assertion. Par exemple, pour nous prouver la largesse d'esprit de tel directeur de revue catholique, mettons, il est capable de vous dire sur le ton de l'évidence la plus élémentaire : « C'est quelqu'un qui peut avoir un dialogue aussi bien avec Salmon-Valcreuse qu'avec von Schmürtz. » Vous, en face, in petto et tentant de prendre un air appréciateur : « Ah ouais, quand même… » Bon, heureusement, ce ne fut pas le cas trop souvent. Et puis, rien ne m'empêchait d'interrompre un instant le flot pour signaler que je n'avais, à ce jour, jamais entendu prononcer les noms des illustres Salmon-Valcreuse et von Schmürtz.
À un moment que nous parlions de la presse “catho tradi”, le père B. a eu cette remarque : « L'ambiance est un peu trop souvent à : “Le premier qui rit a un gage…”. » Il nous a également donné une définition très drôle de sa fonction auprès de son évêque. Me disant qu'elle plairait beaucoup à André, je l'ai notée aussitôt sur un petit calepin que j'avais à main droite, et j'ai bien fait car ce matin je ne parviens plus à la retrouver dans ma mémoire. et comme je suis à FD et le calepin à la maison, il faudra attendre ce soir ou demain.
Malena s'est révélée charmante, passant la première partie de la soirée devant la télé, dans le petit salon, tandis que nous nous tenions, nous, au grand (j'adore écrire ceci : petit salon, grand salon…), puis allant se coucher dans notre chambre (d'où j'ai été expulsé sans merci dès dimanche soir) sans faire la moindre difficulté.
À plusieurs reprises, j'ai regretté l'absence des Crevette – à qui le père B. m'a chargé de présenter ses salutations et ses regrets de ne les avoir pas rencontrés –, qui, l'un comme l'autre, auraient été bien mieux à même que moi de “renvoyer la balle”. Parce que, hein, l'apologétique et le droit canonique, je ne pratique pas tous les jours non plus. Mais je pense que cette rencontre ne restera pas sans lendemain et on tâchera de mieux s'organiser la prochaine fois que le père B. passera par la Normandie.
Lorsqu'il m'avait dit se rendre en Angleterre, j'avais sottement pensé qu'il s'agissait de ses vacances. Or, s'il est effectivement en congé de son diocèse, il se rend Outre-Manche pour remplacer l'un de ses… (collègues ? Confrères ? Pfff…) bref, le curé d'une paroisse située au nord de Londres durant les vacances de ce dernier. Ce qui lui permet, dit-il, de rendre service, de pratiquer son anglais puisqu'il dit la messe et prêche en cette langue, et de “faire un peu de paroisse”.
Il m'a aussi parlé d'un petit livre, traduit par lui de l'italien, sur la Divine Comédie, mais dont malheureusement il ne lui restait aucun exemplaire et qu'il devrait m'envoyer d'ici quelques semaines. D'après lui, la prière à Marie écrite par Dante et mise dans la bouche de saint Bernard (je crois ne pas dire de bêtise…) est la plus belle qui soit, et le père B. se dit absolument scandalisé de ce que la plupart des commentateurs français de Dante ne mettent pas en lumière le profond christianisme de celui-ci. Je lui ai avoué tourner autour de La Divine Comédie depuis un quart de siècle sans avoir jamais osé y planter mon piolet. Peut-être le livre en question m'incitera-t-il à tenter enfin l'escalade, on verra.
Ce matin, parce que nous devions partir sans faute à neuf heures – Catherine et Malena devant être à onze heures et demie à La Villette –, nous avons laissé la maison, les chiens et le chat au père B, à charge pour lui de ne pas les laisser filer dans la rue lorsqu'il prendrait lui-même la route, de fermer le portail à clé et de glisser celle-ci dans la boîte aux lettres.
À part ça nous avons tout de même bu trois bouteilles de vin blanc à nous trois et, bien entendu, ma portion fut très loin d'être la plus congrue. Comme j'ai ensuite assez mal dormi sur le “clic-clac” du petit salon, je me sens vaguement chiffonné. Sauf si Catherine s'y oppose avec véhémence, je pense qu'un petit apéritif à notre retour sera le bienvenu. Du reste, je pense qu'elle ne s'y opposera nullement, et pour deux raisons. La première est qu'elle a toujours envie d'un verre lorsqu'elle rentre d'une journée passée à crapahuter dans Paris ; la seconde est qu'elle a bien conscience qu'avoir un enfant à la maison ne représente pas pour moi une féérie de tous les instants, et que j'ai donc plus ou moins “sacrifié” ma tranquillité d'ours à son bonheur de grand-mère : le moyen de refuser un godet à un homme capable d'une telle abnégation ? Non, décidément, je crois que je joue sur du velours.
Dix heures et demie du soir. – Pour en revenir au père B., il nous annonce que son titre est chancelier (de l'évêque ? de l'évêché ? J'ai évidemment oublié : piètre, ô piètre diariste que moi-même!) Bref, lorsqu'on lui demande en quoi consiste ce poste de chancelier, le père B. nous répond par cette définition, émanant d'un ami (d'un supérieur ? d'un de ses “maîtres”, comme il dira plusieurs fois durant la soirée ? Une fois de plus, le diariste ne sait plus…) : « C'est le préposé aux choses vagues… » Et, quitte à me répéter, à ce moment j'ai vu surgir le sourire si particulier (et si précieux pour moi) d'André, comme s'il était là, dans le canapé – et j'ai aimé pour nous deux cette formule si andréienne.
[Rajout du 21 août : j'avais d'abord pensé choisir comme titre à ce journal L'ingratitude des tourterelles, mais je vais finalement opter pour la formule bénédictine, approuvée par Catherine à qui j'ai soumis mon micro-dilemme : Le Préposé aux choses vagues. De toute façon, l'autre sonnait un peu trop comme du Pascal Sevran.]
Jeudi 28 juillet
Une heure et demie. – C'est curieux, cette répugnance que j'ai à me nourrir au bureau quand il s'y trouve encore quelqu'un – y compris lorsque c'est Brice, comme en ce moment, alors que nous avons déjeuné ensemble des dizaines de fois. Du coup, comme il profite de ce moment de calme pour exécuter je ne sais quels travaux d'écriture, je trompe ma faim comme je peux en attendant qu'il se décide à partir manger. C'est idiot.
– Comme je l'avais prévu, Catherine et Malena ne sont pas venues avec moi ce matin, pour aller passer une seconde journée à Paris : la première citée récupère de sa journée d'hier, ou tente de le faire.
Quatre heures. – Un mail de Nicolas m'apprend la mort du Coucou, blogueur que j'aimais bien, sans doute l'un des moins sectaires et agressifs de la blogosphère dite de gauche. Je lui avais envoyé deux assez longs mails, l'un à la mort de sa femme, il y a six mois environ, et l'autre voilà quelques semaines, à la suite d'un texte – du reste pas très bon – qu'il avait publié comme une sorte d'in memoriam. Le ton du mail de Nicolas me fait penser qu'il pourrait s'être suicidé, mais peut-être n'en est-il rien. Attendons.
– Je pensais, juste avant de recevoir ce mail, à ces thèmes musicaux qui, pour moi, expriment de manière immédiate, évidente, cette sorte particulière de mélancolie assez douce que suscite la nostalgie – non peut-être la nostalgie elle-même, une nostalgie précise, mais un sentiment de nostalgie. S'y rangent pour moi le merveilleux thème du premier mouvement de la sonate D 960 de Schubert, aussi celui qui ouvre la quatrième symphonie de Brahms ; mais, par-dessus tout, du même Brahms, cette mélodie “tremblée” (je ne trouve pas de meilleur qualificatif) par quoi commence le premier mouvement de l'opus 117 : il me donne la sensation presque physique de voir Surgir du fond des eaux le regret souriant.
– Je suis en passe de terminer Outremonde : l'épilogue (Das Kapital) est prodigieux, les thèmes se rassemblent, se fondent, se rejoignent, notamment ceux de l'apocalypse nucléaire et des déchets (dans un complexe nucléaire des steppes russes, où se trouve une chambre des malformés, dans laquelle sont exposés à l'intérieur de bocaux individuels des fœtus de monstres produits par les radiations). Il faudrait bien que je revienne sur ce roman, mais peut-être pas avant de l'avoir relu, comme l'a fait Nathalie, celle qui m'a transmis le virus DeLillo.
Vendredi 29 juillet
Cinq heures moins le quart. – Catherine a soixante ans aujourd'hui, et on ne peut pas dire que ce changement de dizaine la ravisse en extase. Pour moi, évidemment, cela ne fait pas la moindre différence.
– Rien d'autre à inscrire ici, je me sens aussi morne et grisâtre qu'un régime socialiste.
– Ah, si, tout de même : hier soir j'ai reçu un mail de l'épouse de ce blogueur qui se fait appeler Fromage plus, m'assurant qu'elle était une fidèle lectrice de mon blog et qu'ils seraient ravis, tous les deux, d'être autorisés à faire escale au Plessis-Hébert, lors de leurs vacances itinérantes. Autorisation que je lui ai donnée avec enthousiasme et par retour de courrier. Nous devions rencontrer Fromage plus au spectacle Luchini/Muray, l'année dernière. La rencontre ne s'est pas faire puisque, au dernier moment, un gros coup de flemme nous a empêchés de nous transporter à Paris.
Samedi 30 juillet
Trois heures. – Petite plage de calme et de tranquillité, Catherine ayant emmené Malena à l'agility, pour lui montrer “les copines de Bergotte” en action. Il va être temps, en ce qui me concerne, que cette parenthèse infantile se referme – ce sera mardi matin –, car je me sens tout proche d'atteindre mon seuil de tolérance, très bas il est vrai en ces matières. Je me demande, comme chaque fois, comment font pour lire, pour lire vraiment, les gens qui sont affligés d'enfants. Je sais bien qu'il existe encore çà et là des enfants calmes, mais tout de même. J'ai un peu l'impression d'avoir été congelé dimanche dernier, et j'ai bien hâte qu'on me ressorte de ce foutu caisson frigorifique. Dieu que j'aurais sans doute été malheureux si j'avais commis la sottise de faire des enfants et de devoir les élever ! Je pense que je serais déjà mort – d'épuisement ou de frustration inexprimable.
– J'ai publié ce matin le journal de juin. Au début je comptais ne le faire que lundi, au prétexte que personne ne lit les blogs durant le week-end, et puis je me suis avisé que nous serions alors le premier août et que, par conséquent, de lecteurs il y aurait encore moins sans doute. De toute façon quelle importance ?
– À propos d'août, j'ai appris avec horreur, la semaine dernière, que le souterrain de la Défense serait totalement fermé du 1er au 19 de ce même mois. Ce qui va m'obliger, matin et soir durant trois semaines, à aller me perdre dans de déprimantes banlieues allogènes, criblées de feux tricolores qui vont avoir pour effet de rallonger considérablement mes temps de trajet ; et d'autant plus que je ne serai évidemment pas le seul automobiliste à devoir traverser la brousse verticale qui sépare l'autoroute A 14 de Levallois-Perret.
– Bref échange de mails, à l'instant, avec Nicolas, manifestement excédé par ses amis blogueurs qui veulent à toute force qu'il organise une collecte afin d'envoyer à Claviers, le village de Jean-Louis “Coucou”, une couronne pour son enterrement. Une couronne de blogueurs ! Sont-ils vraiment stupides au point de ne pas voir ce que cela aurait de ridicule, de presque blasphématoire ?
– Commencé la lecture de La Révolte des masses, lue il a près de 35 ans et totalement oubliée, comme il se doit. C'est Juan, le père de Carlos, qui m'avait fait découvrir Ortega y Gasset (mais sans doute étais-je encore un peu trop “tendre”…), parce que, assez étrangement, il possédait ce livre en français et non en castillan. Mais, évidemment, lire cela au grand salon pendant que, dans le petit, le téléviseur déverse ses insanités cartoonesques, ça l'fait pas…
Neuf heures. – Je découvre à l'instant l'assez long commentaire laissé par Ygor Yanka à la suite de sa lecture de mon journal de juin. Je l'espérais et le craignais. Plus exactement, j'espérais qu'il me comprendrait, et c'est bien entendu ce qui s'est passé. En réalité, je me rends compte, maintenant que l'alerte est passée, que je n'en ai jamais sérieusement douté : les gens intelligents et sensibles sont des gens sûrs, de ce point de vue.
– Faute de mieux (les programmes de télévision étant ce qu'ils sont d'ordinaire, et les programmes d'été ce qu'ils sont par rapport à l'ordinaire), Catherine a décidé de regarder un vieil (1972) épisode de Columbo. Comme le bruit de la télé m'horripile presque du matin au soir depuis six jours, je me suis réfugié ici – d'autant que je me souvenais avoir déjà vu cet épisode où le “méchant” – un œnologue – est joué par Donald Pleasence (pas sûr de l'orthographe). Je viens en tout cas de prendre conscience de ceci (il serait temps ! diront les âmes noires) : l'intérêt de Columbo (en dehors de Falk lui-même) réside dans cette ambivalence : on veut savoir comment le lieutenant va s'y prendre pour piéger le coupable, et, en même temps, ce coupable est très rarement antipathique. En fait, quatre fois sur cinq, mis dans sa situation, chacun de nous rêverait plus ou moins d'être assez intelligent pour ourdir des machinations telles qu'on les voit, et se débarrasser des boulets désagréables que sont en général les victimes dans cette série. Il reste qu'on finit par se demander comment des gens aussi brillants peuvent être assez cons pour assassiner qui que ce soit, alors qu'ils vivent à Los Angeles et qu'ils doivent bien se douter que c'est Columbo qui va s'occuper de leur cas. Ils devraient au moins avoir la décence de ne pas le prendre de si haut : on sent bien qu'ils l'agacent.
– Plus que deux jours. Demain une heure et demie de sérénité, au moment de la messe. Non pas que je compte m'y rendre, mais justement parce que je vais rester seul ici : les voies du Seigneur, etc.
Dimanche 31 juillet
Cinq heures et demie. – Dernier jour du mois – pour tout le monde – et avant-dernier de ma condamnation à certain travail d'intérêt général. La vie normale et sereine devrait reprendre son cours, sauf catastrophe que j'ose à peine concevoir, mardi midi.
– Coup de téléphone tout à l'heure de Monsieur Fromage (ou Monsieur Plus ? Non, ça fait un peu trop Bahlsen…), afin de préparer leur venue ici, à sa femme et lui. Ce sera le 15 août en fin d'après-midi, pour une soirée et une nuit – petits-déjeuners et boissons comprises, libre accès à internet, jouissance de la bibliothèque, etc. Je suis tout à fait ravi de faire leur connaissance. Comme ça, d'instinct.
– Livre vraiment extraordinaire que cette Révolte des masses. Mais je ne me hasarderai certainement pas à en tenter la critique, ayant un peu trop conscience de mes limites pour cela. Disons que, le lisant, je ne cesse d'essayer de le mettre en rapport avec d'autres lectures plus contemporaines, en particulier celle de Philippe Muray et celle du Renaud Camus de La Dictature de la petite bourgeoisie et de La Grande Déculturation. On pourrait dire que je lis et relie.
– Catherine vient de revenir de la piscine avec Malena, ce qui m'a offert deux heures de pleine tranquillité, durant lesquelles, justement, j'ai pu avancer dans le livre d'Ortega. Que lire ensuite ? Peut-être le gros livre d'Ernst Nolte qui traite de la période pendant laquelle écrivait l'Espagnol, et dont je ne parviens pas à me rappeler le titre exact.
– Ce matin, plein de bonne volonté – et un peu nauséeux, ce qui aide grandement –, j'ai acquiescé à la proposition de Catherine, de faire ce soir et demain une “pause apéro”. Mais naturellement , nos journées étant ce qu'elles sont, cette belle résolution n'a pas tardé à voler en éclats. Comme disait Lloyd Bridges dans Y a-t-il un pilote dans l'avion ? : « C'est pas le bon moment pour arrêter de snifer de la colle… »
Je m'abonne aux commentaires pour voir ceux de Didier Goux...
7 juillet 2011 09:44
Moi je reprendrais bien un peu de truffes! mais pas trop hein? je sais rester raisonnable moi monsieur ... bon sinon il faut donner d'ailleurs j'ai une idée! je vais copier le lien de ton billet et le refiler à tous nos puissants par le biais de twitter!! voila comme ça ils ne pourront pas dire que tu ne les avais pas prévenu.
7 juillet 2011 11:44
Chaque fois que j'entends parler de famine en Afrique, je ne peux m'empêcher de repenser à cette campagne-pour-rire lancée par Hara-Kiri il y a une grosse trentaine d'années : ils avaient photographié une épaisse tranche de jambon, séparée en deux par un trait d'encre vertical et médian, comme une carte postale. Dans la partie droite, en haut, ils avaient collé un timbre et, dessous, l'adresse était ainsi libellée :
Bamboula
Afrique
À mon avis, un journal satirique – fût-il de gauche ou d'extrême – qui se permettrait aujourd'hui ce genre de palinodie, se retrouverait directement à la case prison après passage éclair au tribunal de la bonne pensée.
(Ce commentaire était pour faire plaisir à Nicolas.)
7 juillet 2011 12:15
Et clic.
7 juillet 2011 12:15
Merci, le vieux.
7 juillet 2011 12:18
You welcome…
7 juillet 2011 12:26
euh sans faire chier c'est "you'RE welcome" enfin JDCJDR
7 juillet 2011 13:26
@ Nicolas
Bien vu ! Mon blog est un piège à Goux ! (drôle, non ?)
@ ThierryRégis
Sincèrement, ta présence répétée,ici, m'honore (sans pontifier) et me fait très plaisir. Merci infiniment.
@ Didier Goux
Je les connais par cœur les vieux réacs. Mon père en était un. Je connais parfaitement leur culture : les bibliothèques de ma maison étaient et sont toujours remplies de Rebatet,de Céline, de Brasillach, de Barrès, de Drieu, de Maurras, d'Alexis Carrel, de Galtier Boissières et autres polémistes d'extrême droite bien pires... J'ai même hérité de vieux "Crapouillot" et des premiers "Minutes". Sans compter les torchons fachistes de la littérature d'avant-guerre.
Inutile de noter que la violence y était autrement plus présente qu'actuellement. Vous et vos partisans feriez figure de gamins anémiques sans talent si vous aviez écrit à cette époque.
Il est de bon ton de jouer au cynique dans cette famille de pensée, de faire le fanfaron, de plastronner dès qu'on aborde ce sujet, de simuler le mec droit comme un I majuscule, détaché de la pauvreté qui pue autour de lui.
Mais ce sont des mots, tout ça ! Vous pensez si je les connais, les forts en gueule de l'extrême droite !
J'ai côtoyé des situations, que visiblement, vous n'avez jamais vécues. Je suis certain que si vous aviez été auprès de moi ou si vous aviez assisté à de telles scènes, vous ne vous exprimeriez jamais comme ceci.
Vous êtes un type intelligent, Goux : alors de grâce, ne sombrez pas dans la facilité et la morgue bourrue du type qui n'a vécu que dans un confort de petit bourgeois rance sans expérience et qui affiche avec condescendance son mépris pour tout ce qui est humanitaire...
PS : vous devriez vous abonner à ce blog qui semble vous attirer comme l'odeur du sang appâte les requins. Je me demande bien pourquoi. ;-)
7 juillet 2011 13:53
Alors là, c'est ce qui s'appelle taper à côté ! Depuis quand Hara-Kiri était-il un brûlot d'extrême-droite ? Pour le reste : Brasillach et Drieu m'emmerdent, Céline presque autant, je n'ai jamais lu une ligne de Carrel ni de Galtier-Boissières ni de Maurras. Barrès d'accord, mais en le mettant dans le même sac que Maurras, c'est vous qui prouvez que vous ne l'avez pas lu, ou fort mal.
Pour ce que j'ai pu vivre ou non, vous n'en savez rien, donc taisez-vous sur ce sujet. Une chose est certaine, je déteste par-dessus tout les belles âmes qui discourent sans fin sur la misère avec de beaux sanglots retenus dans la voix : c'est pour moi le comble de l'obscénité.
Seigneur, que de vertus vous nous faites haïr !
7 juillet 2011 15:07
@ Didier Goux
De grâce, arrêtez de jouer au professeur de littérature, mon cher ami !
Endossez votre rôle d' intello de droite qui étale sa suffisance devant ses grenouilles ébaubies mais, par pitié, pas avec moi !
Tout montre, dans ce que vous dites et écrivez que vous êtes un érudit, certes, un rat de bibliothèque, je ne le conteste pas, mais certainement pas un bourlingueur.
Vous avez un jugement sur tout mais vous ne connaissez rien.
Je m'en étais aperçu lors d'un échange avec vous sur les banlieues que je fréquente quotidiennement.
C'est la raison de votre agressivité. Je sais où se situe votre point faible : une terrible absence d'expérience.
Parler de l'Afrique n'est sûrement pas obscène.
J'ai décrit une réalité que vous ignorez, c'est tout. J'ai rédigé ce billet pour attirer l'attention sur une situation inadmissible, c'est tout.
Mais cela vous renvoie à vos lacunes !
Je n'ai pas d'autre prétention : je suis un blogueur quasiment inconnu et qui le revendique. Je n'attends rien d'Internet sinon, le plaisir d'être parfois parcouru, sinon lu.
Je ne suis pas à la recherche d'une reconnaissance intellectuelle comme vous, qui gémissez d'extase du fait d'être cité par Le Monde, invité aux côtés de Finkielkraut ou convoqué par l'immense Gérard de Villiers !
Vous me rappelez ces plumitifs aigris, persuadés d'être des génies méconnus et maudits de leur époque, qui, pour se singulariser, se découvrent toujours "pour ce qui est contre et contre ce qui est pour". C'est la voie royale pour vous créer une audience et une identité, du reste.
La réaction à ce point n'est plus une doctrine : c'est un mal-être.
Prenez donc une tisane ou à défaut continuez à lire Corneille pour vous calmer et allez y de vos citations pour étaler votre savoir...
Étalez, étalez, il en restera toujours quelque chose !
7 juillet 2011 16:01
Nicolas : je crois que vous avez bien fait de vous abonner aux commentaires, ça vaut le coup.
Bon, allez, un dernier pour la route : Cui cui, c'est VOUS qui m'avez balancé des écrivains à la tête, pas moi ! Je ne suis pas un bourlingueur, dites-vous ? Oh ça non, alors ! Mais je ne vois pas en quoi le fait de “bourlinguer” vous donnerait automatiquement une meilleure connaissance des choses et des gens : vous sous-estimez le poids de vos œillères idéologiques. Du reste, je connais des gens qui vivent depuis cinquante ou soixante ans en France et qui ne comprennent strictement rien à ce qui s'y passe. Par conséquent, ce n'est pas parce que vous êtes allé livrer trois sacs de riz aux Somaliens que cela vous donne la science infuse.
(Ce que je dis pour l'Afrique vaut pour Montfermeil ou Champigny, bien entendu)
Et il va de soi que ce n'est pas parler de l'Afrique qui est obscène (même si le sujet m'emmerde profondément, c'est vrai, n'en ayant rien à faire), mais une certaine manière d'en parler.
Pour ce qui est de ma soif de reconnaissance intellectuelle, il faut que vous soyez particulièrement inaccessible à l'humour pour citer les exemples de Finkielkraut et de GdV.
Quant à vos fantasmes à propos de ma prétendue culture (desséchée, forcément desséchée, par rapport à votre si vivifiante et sacro-sainte expérience), ils ne révèlent que le complexe que vous avez développé à partir de vos diverses ignorances, ou ce que vous prenez pour telles. C'est le ricanement de l'inculte, mal camouflé par une modestie hâtivement bricolée et revendiquée un peu trop fort pour sonner juste.
Et puis, si vous voulez polémiquer, essayez au moins de taper juste : génie méconnu, moi ? Écrivain aigri ? Mais je passe mon temps à détromper ceux de mes commentateurs qui s'obstinent à voir en moi un écrivain !
Je suis un écrivain en bâtiment, sans le moindre talent littéraire mais avec un savoir-faire qui lui permet de manger plus souvent des pâtes aux truffes (et non des “nouilles”, mot qui sent son prolo-formica, tout de même !) que des sauterelles frites et du sorgho. C'est mal ?
De toute façon, nourrir des Africains, je le fais déjà : par mes impôts qui vont directement aux éternels subventionnés de l'assistanat dont vous semblez faire partie. Rosny-sous-Bois a besoin de moi, Mogadiscio attendra.
7 juillet 2011 16:28
Le match est fini ?
7 juillet 2011 18:35
j'ai "vécu" 3 mois au Sénégal en 85. Je rêvais de l'Afrique depuis mes 10 ans. (je voyage depuis l'âge de 4 ans). En 2007 j'avais pris la décision de partir 6 mois… mais où. Après reflexion j'ai choisi l'Asie du Sud-Est, car l'Afrique et sa pauvreté me faisait peur.
Je croise une femme que je trouve belle, je lui dis, lui demande d'où elle vient, me répond Cameroun. Je lui dis deux mots de ma peur de la pauvreté. (J'ai entendu et lu que les gouvernements donnent la terre pour rien aux Chinois.) Elle m'explique que non seulement j'ai eu raison, que l'Afrique c'est appauvrie et que les Chinois sont les pires que les Occidentaux ont fait subir en matière d'esclavage et de colonisation. Malgré tout elle reste aveugle à "ses gouvernants". Enfin pas tout à fait car elle parle aussi de la corruption de ceux-ci…
7 juillet 2011 18:39
… suite.
La peur de l'immigration venue d'Afrique, ici, est ignoble.
Ils ont l'impression, la peur (c'est surtout la peur leur grande motivation) d'être envahis. Les cons.
Ils ne réfléchissent à rien. Ils ne savent pas que tous les Humains sur terre ont les même sentiments : ils aiment leur terre, leur famille, leurs amis, ils n'ont tous qu'une idée rester avec eux dans l'affection, le respect, le souvenir de l'enfance de ce qu'on à fait là…
Ceux qui viennent sont les plus téméraires. Il le faut. Comment sinon prendre un tel risque de mourir à tous les tournants, accidents pour enfin arriver là, en France ou ailleurs.
Ils n'ont qu'une idée, retourner chez eux.
Ils n'ont qu'une idée, nourrir les leur
… alors les montrer en boucs-émissaires de toux nos maux est à courte vue… et marche.
Quoi de mieux que de faire se battre les pauvres entre eux… ils en oublient les principaux coupables… les riches… qui possèdent et s'approprient pour rien le travail des autres
7 juillet 2011 18:46
@ Annie :
Merci de remettre les pendules à l'heure ^^ Je n'ajouterai qu'une précision : la misère est partout , même près de chez nous , mais nous avons des devoirs envers l'Afrique dont nous avons bien abusé.
Merci à Cui-cui de le rappeler ...
7 juillet 2011 19:11
Nicolas : ne faites pas la fine bouche, c'est vous qui avez provoqué !
Cui cui, voyez la belle illustration de ce que je disais : voilà une dame d'un certain âge qui dit voyager depuis sa quatrième année. Et tout ce qu'elle a appris c'est que les pauvres sont tous des gentils et les riches tous des méchants. Et aussi que les hommes sont tous pareils partout.
À ce compte-là, je préfère rester chez moi à essayer de réfléchir. Et avec l'argent que j'économise en n'allant pas polluer la planète par mes déplacements incessants et imbéciles, je me gave de pâtes aux truffes, ce qui me donne une belle silhouette d'Occidental nanti et exploiteur de négrillons au sourire si doux.
7 juillet 2011 19:13
Mamie rebelle : remettre une pendule à l'heure ne sert rigoureusement à rien si vous n'êtes pas capable d'en remonter le mécanisme.
7 juillet 2011 19:14